Discussion Jeux finis - Stop aux romances Ă©crites avec le cul. Depuis presque toujours, mon animal favori est la tortue, mon genre prĂ©fĂ©rĂ© est le beat’em up et j'adore les ninjas (les vrais, ceux qui passent par la porte principale et font des projections aĂ©riennes, pas ceux qui se cachent dans l'ombre). Aucun de ces Ă©lĂ©ments lĂ  n
Forum rpg sur Charmed -20% Le deal Ă  ne pas rater OnePlus Nord CE 2 5G – 8GB RAM 128GB – Charge 65W 239 € 299 € Voir le deal Dark charmed On y est ! Votre carte d'identitĂ© ! DĂ©solĂ©, tu as ratĂ© le trainPartagez AuteurMessage❝ InvitĂ©InvitĂ© Sujet Prune ☟ Il faut aimer ses ennemis. Ca les rend fous. Ven 11 Oct - 2141 Prune Patty Halliwell NOM + + Prune, PattyAGE+ 28 ans. DATE ET LIEU DE NAISSANCE + le 15 mars 2029 Ă  San Francisco, USA. ETUDES OU METIER+ propriĂ©taire du P3. STATUT SOCIAL + cĂ©libataire ORIENTATION SEXUELLE + hĂ©tĂ©ro. GROUPE + malĂ©fique. POUVOIRS + + Gemma Arteton.◣ Mon petit caractĂšre ◄☞ TĂȘtue, essayer de lui faire changer une idĂ©e qu'elle a en tĂȘte est presque impossible. ☞ Solitaire, elle est entourĂ©e mais elle ne fait pas confiance Ă  grand monde. ☞ FidĂšle, ĂȘtre l'un de ses proches est une chose prĂ©cieuse ☞ RancuniĂšre, la vengeance est un plat qui se mange froid, il faut le savoir ☞ Imprudente, elle a tendance Ă  suivre son instinct ☞ Sociable, elle a la parlote de la famille Halliwell ça c'est certain ☞ Curieuse, c'est une vraie petite fuine ☞ SincĂšre, si elle a quelque chose Ă  vous dire, vous le serez bien vite ☞ Protectrice, personne ne touche Ă  ceux qu'elle aime et cela peu importe le camp d'oĂč elles viennent ☞ Souriante, faut bien prendre la vie du bon cĂŽtĂ©, non ?Quelle est la derniere chose que tu as regardĂ© Ă  la tĂ©lĂ© ? une sĂ©rie que j'aime une sĂ©rie bidon un film. les informationsAvec qui aimerais-tu ĂȘtre en ce moment ? ma famille mon petit-ami je prĂ©fĂšre ĂȘtre seule ma/mon meilleure amieTu es plutĂŽt ? calme, je prends les choses comme elles viennent. impulsive, je rĂ©agis au quart de tour. je viens au jour le jour. vous ne savez pas ce que vous voulez◣ Behind the screen â—„ PRENOM/PSEUDO + Ă©crire ici. AGE + Ă©crire ici. PAYS + Ă©crire ici. COMMENT TU NOUS AS TROUVE + Ă©crire ici. VANILLE OU CHOCOLAT + Ă©crire ici. AS-TU LE CODE DU REGLEMENT + Ă©crire ici. COMMENT TROUVES TU LE FORUM ? + Ă©crire ici. DES SUGGESTIONS, UN DERNIER MOT ?+ Ă©crire ici. © Hellpoison ❝ InvitĂ©InvitĂ© Sujet Re Prune ☟ Il faut aimer ses ennemis. Ca les rend fous. Ven 11 Oct - 2141 ◣ Mon histoire â—„ C'est ici que tu nous racontes ton histoire, tu nous parle de ton passĂ©, de lĂ  oĂč tu es nĂ©/e, comment Ă©taient tes parents avec toi ? Si tu les as connu ou non ? Ton adolescence ? C'est-elle bien passĂ©e ? Tu nous racontes tout en un minimum de 30 ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Proin accumsan vel urna sit amet pretium. Quisque ullamcorper dui quis ante laoreet, et auctor libero vehicula. Maecenas eget nisi id nisi ullamcorper pulvinar. Curabitur laoreet nisi sed vehicula sodales. Morbi sed ligula commodo, tristique lectus at, varius orci. Quisque a metus purus. Quisque tempor nec ipsum in et odio nec libero ultricies pretium. Vestibulum aliquam mollis tristique. Etiam euismod velit eget urna dictum eleifend. Sed lacinia nisl eget est ornare ornare. Sed auctor, magna id consectetur commodo, odio magna semper urna, quis feugiat diam nunc ac lorem. Nam facilisis purus eros, sit amet condimentum enim interdum et. Morbi felis arcu, ultricies id urna nec, ultrices bibendum est. Vestibulum sagittis nibh ac lectus porttitor ornare vitae ut ipsum. Nunc in dolor tincidunt, convallis nulla quis, molestie quam. Ut commodo tempor at tincidunt lacus, placerat porta erat. Aenean condimentum, est quis tristique laoreet, justo diam malesuada libero, nec porttitor sem sapien et sapien. Praesent feugiat urna vel neque aliquet pharetra. Proin in dui pellentesque orci bibendum vulputate. Vestibulum molestie, risus sed cursus consectetur, mi urna feugiat diam, in sollicitudin felis ligula in magna. Etiam tincidunt eleifend nibh, vel volutpat massa. Proin et ultricies felis. Morbi porttitor viverra interdum. Phasellus ac aliquam quam, non eleifend nisl. Proin consectetur nulla non commodo rutrum. Suspendisse fermentum velit turpis, a sollicitudin felis pellentesque mattis leo id erat euismod, eget vulputate diam ullamcorper. Proin sit amet nunc non elit blandit luctus sed vel velit. Aliquam erat volutpat. Nam urna massa, varius a iaculis id, pretium sed mauris. Fusce convallis, nisi sed congue egestas, mauris velit vestibulum quam, id volutpat dui erat eget urna. Vestibulum nibh orci, aliquet sit amet tincidunt ut, consectetur sit amet orci. Curabitur ut risus metus. Cras imperdiet magna in libero dictum convallis. Vivamus vitae malesuada magna. Aenean eget nibh augue. Nam fringilla diam mauris, eget suscipit risus tincidunt a. Nullam lobortis dui non ultricies ornare. Integer viverra eleifend enim nec feugiat. Sed sem purus, molestie et felis nec, aliquet porttitor diam. Praesent facilisis justo eu magna iaculis, eu vehicula est euismod lorem ut blandit mattis. Sed sem erat, vulputate sed urna a, molestie euismod justo. Donec laoreet rutrum lorem, eu hendrerit lectus sagittis eget. Ut rhoncus nulla non libero tincidunt porta quis vitae elit. Donec euismod pellentesque odio, ac consequat neque convallis nec. Pellentesque consectetur magna eget nulla facilisis aliquet. Nullam molestie, diam vitae laoreet sagittis, augue risus egestas neque, eget molestie justo tellus nec leo. In non erat et lectus scelerisque commodo quis et tortor. Integer suscipit tempus lacus, at aliquet tellus interdum quis. Morbi fringilla odio ut tincidunt pellentesque. © Hellpoison ❝ PĂ©nĂ©lope I. Halliwell FONDATRICE ET ADMINETTE DE CHOC »ㄚ MESSAGES 72 Sujet Re Prune ☟ Il faut aimer ses ennemis. Ca les rend fous. Ven 11 Oct - 2144 ah ma grande soeur chĂ©rie Bienvenue sur le forum ! _________________Aucun ❝ InvitĂ©InvitĂ© Sujet Re Prune ☟ Il faut aimer ses ennemis. Ca les rend fous. Sam 12 Oct - 521 Cousine Bienvenue Bonne chance pour ta fiche ❝ InvitĂ©InvitĂ© Sujet Re Prune ☟ Il faut aimer ses ennemis. Ca les rend fous. Sam 12 Oct - 1443 Merci beaucoup les filles ❝ InvitĂ©InvitĂ© Sujet Re Prune ☟ Il faut aimer ses ennemis. Ca les rend fous. Mer 16 Oct - 1527 Hey, il te reste deux jours pour finir ta fiche, si tu as besoin d'un dĂ©lais n'hĂ©sites pas Ă  demander ❝ Contenu sponsorisĂ© Sujet Re Prune ☟ Il faut aimer ses ennemis. Ca les rend fous. Prune ☟ Il faut aimer ses ennemis. Ca les rend fous. Page 1 sur 1Permission de ce forumVous ne pouvez pas rĂ©pondre aux sujets dans ce forumDark charmed On y est ! Votre carte d'identitĂ© ! DĂ©solĂ©, tu as ratĂ© le train
Lestortionnaires plonge la victime dans l’eau glacĂ©e et la laisse assez longtemps jusqu’à l’évanouissement ou presque. On va l’interroger ensuite puis on recommence le lendemain jusqu’aux aveux. 8) La privation de sommeil : ça consiste, comme son nom l’indique, Ă  empĂȘcher la victime de dormir afin de la rendre confuse et
SociĂ©tĂ© - Éclairage Ce groupe chrĂ©tien s’en est violemment pris Ă  la communautĂ© LGBTQ+ vendredi dernier, en dĂ©truisant le symbole de l’arc-en-ciel sur un panneau d’affichage. OLJ / Caroline HAYEK, le 30 juin 2022 Ă  00h01 Une image tirĂ©e de la page Facebook des Jnoud el-Rab. Ils sont musclĂ©s, tatouĂ©s, barbus et souvent habillĂ©s de noir. Devant le siĂšge central de la SGBL Ă  Sin el-Fil ou devant l’agence de SaydĂ© Ă  Achrafieh, ces chabeb », souvent armĂ©s, sont postĂ©s aux entrĂ©es et surveillent les allers et... Ils sont musclĂ©s, tatouĂ©s, barbus et souvent habillĂ©s de noir. Devant le siĂšge central de la SGBL Ă  Sin el-Fil ou devant l’agence de SaydĂ© Ă  Achrafieh, ces chabeb », souvent armĂ©s, sont postĂ©s aux entrĂ©es et surveillent les allers et...Who are Ashrafieh’s 'Soldiers of God'?... Sur le mĂȘme sujet
Transcription. Vos deux plus grands ennemis sont dans votre PC
le sort de la France est entre leurs mains, soit on retrouve de la souverainetĂ©, on rĂ©industrialise massivement le pays et on reprend notre indĂ©pendance progressivement et Marine Lepen peut ĂȘtre un marche pied dans ce sensSoit on se fait dĂ©finitivement bouffer par le mondialisme et l'UE, rien ne pourra arrĂȘter Macron sur ce quinquennat Quand je vois tous mes potes insoumis et qui crachent sur Lepen comme des boomers je me dis vraiment qu'on ai foutuon ne pourra jamais redevenir souverain tant que le bloc insoumis et RN ne se parlent pas,les gars on est vraiment dans la merde on ne s'en rend pas compte,la France est foutue Message Ă©ditĂ© le 11 avril 2022 Ă  205527 par Lepourfenderer MĂȘme avec la retraite Ă  65 ans et le rsa Ă  15h ils votent macron. Ils sont fous. Message Ă©ditĂ© le 11 avril 2022 Ă  205425 par CompteSecours8 rien ne pourra bouger si le RN et la FI ne dĂ©cident pas de mettre leurs querelles sociĂ©tales de cotĂ© pour retrouver la souverainetĂ© de la France on est majoritaire mais on se fait cuck,c'est un vrai drame pour le camp souverainiste Message Ă©ditĂ© le 11 avril 2022 Ă  205928 par Lepourfenderer la France est foutueC'est le but des insoumis. Insoumis et je voterai contre Macron. Le 11 avril 2022 Ă  205553 Insoumis et je voterai contre plus part vont s'abstenir C'est le CNR du bloc populaire contre la mixture mondialiste libĂ©rale du bloc beaucoup sont coincĂ©s dans la boucle gauche/droite Ă  l'inverse de leurs interĂȘts Le 11 avril 2022 Ă  205643 Tu te fous de la gueule de qui ? C'est ta grosse daronne Le Pen utilisĂ© pour faire gagner l'opposant depuis la nuit des temps et eternellement incapable de gagner qui bloque tout, pas les insoumis Tu crois quoi, qu'on va voter pour ta candidate qui a rien Ă  voir avec nos idĂ©es pour te faire plaisir en plus de tout ce bordel ?j'ai votĂ© MĂ©lenchon mon gars car il avait le meilleur projet industriel pour le pays et un vrai retour Ă  la planification Le 11 avril 2022 Ă  205238 le sort de la France est entre leurs mains, soit on retrouve de la souverainetĂ©, on rĂ©industrialise massivement le pays et on reprend notre indĂ©pendance progressivement et Marine Lepen peut ĂȘtre un marche pied dans ce sensSoit on se fait dĂ©finitivement bouffer par le mondialisme et l'UE, rien ne pourra arrĂȘter Macron sur ce quinquennat Quand je vois tous mes potes insoumis et qui crachent sur Lepen comme des boomers je me dis vraiment qu'on ai foutuon ne pourra jamais redevenir souverain tant que le bloc insoumis et RN ne se parlent pas,les gars on est vraiment dans la merde on ne s'en rend pas compte,la France est foutueTon blabla est peut ĂȘtre exact mais Marine le Pen veut supprimer le HALAL Amis musulmans, je n'adhĂšre pas Ă  votre religion mais avec Macron vous pourrez encore manger de la VIANDE, ne l'oubliez pas Les vieux se foute de tout ça la retraite il l'ont dĂ©jĂ  et mĂȘme s'il l'ont pas encore il vont lavoir quand mĂȘme plus le RSA ? Ben oui c'est bien les jeune il vont un peu travailler comme ça... 20h par semaine pour une paye de misĂšre... Bordel c'est incroyable mĂȘme pas un plus 200€ pour les rsaiste complĂ©ter par les patrons... Le 11 avril 2022 Ă  205916 Le 11 avril 2022 Ă  205238 le sort de la France est entre leurs mains, soit on retrouve de la souverainetĂ©, on rĂ©industrialise massivement le pays et on reprend notre indĂ©pendance progressivement et Marine Lepen peut ĂȘtre un marche pied dans ce sensSoit on se fait dĂ©finitivement bouffer par le mondialisme et l'UE, rien ne pourra arrĂȘter Macron sur ce quinquennat Quand je vois tous mes potes insoumis et qui crachent sur Lepen comme des boomers je me dis vraiment qu'on ai foutuon ne pourra jamais redevenir souverain tant que le bloc insoumis et RN ne se parlent pas,les gars on est vraiment dans la merde on ne s'en rend pas compte,la France est foutueTon blabla est peut ĂȘtre exact mais Marine le Pen veut supprimer le HALAL Amis musulmans, je n'adhĂšre pas Ă  votre religion mais avec Macron vous pourrez encore manger de la VIANDE, ne l'oubliez pas Elle pourra rien faire sur le Halal et le voile maais elle pourra drastiquement rĂ©duire l'immigration, non choisie et c'est dĂ©jĂ  une grosse victoire Une chose est sĂ»re, je bois les larmes des prolos LFI qui vont goĂ»ter aux joies des chantiers m, du sens des responsabilitĂ©s, du combo Ă©tude travail, etc. Ça va leur faire tout drĂŽle de devoir trimer comme les vrais ouvriers du qui est jouissifs avec les trolls LFI du forum c'est que tu les sens d'un niveau socio Ă©conomique pourri et profondemment accablĂ©s de continuer Ă  ĂȘtre dans la merde malgrĂ© leurs sarcasmes Le 11 avril 2022 Ă  205712 C'est le CNR du bloc populaire contre la mixture mondialiste libĂ©rale du bloc beaucoup sont coincĂ©s dans la boucle gauche/droite Ă  l'inverse de leurs interĂȘtsMarine Le Pen va ĂȘtre une Salvini Ă©co+ Ă  la solde de l'UE L'alliance du peuple de droite et de gauche pour un nouveau CNR,ça aurait Ă©tĂ© possible avec le RN de Philippot,plus maintenant Je souhaite que MLP soit Ă©lue pour que les petits bras aient une dĂ©sillusion et qu'ensuite on puisse passer aux choses sĂ©rieuses et crĂ©er un vrai parti patriotique regroupant le peuple de droite et de gauche derriĂšre un programme commun patriotique et social Le 11 avril 2022 Ă  205643 Tu te fous de la gueule de qui ? C'est ta grosse daronne Le Pen utilisĂ© pour faire gagner l'opposant depuis la nuit des temps et eternellement incapable de gagner qui bloque tout, pas les insoumis Tu crois quoi, qu'on va voter pour ta candidate qui a rien Ă  voir avec nos idĂ©es pour te faire plaisir en plus de tout ce bordel ?C'est de votre faute les idiots gauchistes Vous avez Ă©lu chirac en 2002 en faisant barrage Vous avez Ă©lu macron en 2017 en faisant barrage Vous allez relire Macron en 2022C'est de votre faute car vous ne savez pas branchĂ© vos neurones et vous savez que sortir des arguments erronĂ©s comme combattre l'extrĂȘme droite gneugneu fachism racismCest bien remettez Macron au pouvoir alors quil est contraire Ă  toute vos idĂ©es avec la retraite Ă  65 ans les universitĂ©s payantes + de travail etc mais bon vous aurez fait barrage Ă  la N au moins hein ?? Le 11 avril 2022 Ă  205643 Tu te fous de la gueule de qui ? C'est ta grosse daronne Le Pen utilisĂ© pour faire gagner l'opposant depuis la nuit des temps et eternellement incapable de gagner qui bloque tout, pas les insoumis Tu crois quoi, qu'on va voter pour ta candidate qui a rien Ă  voir avec nos idĂ©es pour te faire plaisir en plus de tout ce bordel ?Ben c la seule a pouvoir faire barrage a macron. Vous vous ne pourrez rien faire au lĂ©gislatives parce que le parlement n'a aucun pouvoirs et est au ordre du president. Car si le parlement n'obeit au prĂ©sident, celui ci peut le dissoudre pour ensuite faire voter ses loi par un parlement godillot Le 11 avril 2022 Ă  210037 Une chose est sĂ»re, je bois les larmes des prolos LFI qui vont goĂ»ter aux joies des chantiers m, du sens des responsabilitĂ©s, du combo Ă©tude travail, etc. Ça va leur faire tout drĂŽle de devoir trimer comme les vrais ouvriers du qui est jouissifs avec les trolls LFI du forum c'est que tu les sens d'un niveau socio Ă©conomique pourri et profondemment accablĂ©s de continuer Ă  ĂȘtre dans la merde malgrĂ© leurs sarcasmes HĂąte de les voir sur le chantar, vous allez voir y'a toute la diversitĂ© que vous aimez tant Hakim et Jean-CĂ©lestin en train de retaper gratos le facing du Auchan pour pas un balle, quel plaisir. Les insoumis voteront blanc et Macron en masse, on se fait pas d'illusionMacron 2022 Edouard Philippe en 2027 Macron le retour en 2032 Victime de harcĂšlement en ligne comment rĂ©agir ? Pour payer les pensions, c'est vrai que la tĂ©lĂ©, ça a pu aider, mais ce n'est plus le cas maintenant, sourit FOG. Surtout avec ce genre d'Ă©missions. La tĂ©lĂ©, ça eut payĂ©, comme on dit
\ eMÂfe; - 5 ^ agi' 'Ht* Ve-jT Vr^-^n- J\x. yj ß ZZKM 'Ăąai-iùï'-j MML L’ É C O L E DES MƒURS. —Ë2Ăąs= TOME PREMIER. » L É C O L E DES MƒURS, O U RÉFLEXIONS MORALES ET HISTORIQUES SUE LES MAXIMES DE LA SAGESSE. Ouvrage utile aux jeunes gens & aux autres personnes , pour se bien conduire dans le monde. NOUVELLE ÉDITION, Rei’I/e cf corrigĂ©e avec soin , augmentĂ©e de piuseur\ nouveaux traits d* Histoire. PAR M. l’AbbĂ© BLANCHARD, Chanoine d’Avenay. T O M E PREMIER. A L Y O N, Chez 8 R U Y S ET FRERES. ' " 1 - " - - * - rS- * .— ~j M. DCC. LXXXVIII. Avec Approlation £‱? Frivifege du Roii Beatus homo qui invertit sapientiam , & qui .estait pTudentiĂą ! . Pretiofior est cunliis opibus / ÂŁ7* omnia qua dzfiderantur , huic non valent comparant Prov. Z» Heureux l’homme qui a trouvĂ© la sagesse, & qui eft rempli Je prudence T Elle est plus prĂ©cieuse que toutes les richesses; & tout ce qu’on dĂ©sire le plus, lie peut lui ĂȘtre comparĂ©. PRÉFACE.. Le but que nous nous Ă©tions proposĂ© en donnant ce Recueil au public, a Ă©tĂ© rempli, puisqu’on a trouvĂ© l’Ouvrage utile. Nous avons tĂąchĂ© dans cette derniere Edition de le rendre encore plus digne des suffrages des personnes de goĂ»t. PersuadĂ©s que les retran- chemens ne contribuentpas moins & concourent quelquefois mĂȘme plus que les additions Ă  la per-, section d’un Ouvrage ; nous avons supprimĂ© quelques traits d’Hilloire moins intĂ©ressans ou trop multipliĂ©s, resserrĂ© plusieurs articles de a iĂŻj vj PREFACE. morale trop Ă©tendus, & retranchĂ© des rĂ©pĂ©titions du Sage , que nous avons mis Ă  la fin des RĂ©flexions, a paru auffi trop long Ă  quelques personnes, & par-lĂ  mĂȘme ne pouvoit produire qu’un effet alfez froid & languissant nous l’avons beaucoup abrĂ©gĂ©. Nous n’en avons conservĂ© que les plus grands traits, qui plus rapprochĂ©s & plus vifs n’en frapperont que davantage. On nous a auffi conseillĂ© de changer le titre de Poste des MƓurs , ' que nous avions d’abord donnĂ© Ă  notre Ouvrage. Il fernhielt en effet annoncer plutĂŽt un recueil de poĂ©sies destinĂ©es Ă  former les mƓurs, que des rĂ©flexions P RE FA C E. vij en prose sur un petit poĂ«me moral, connu sous le nom de Maximes delĂ  Sagesse, & communĂ©ment attribuĂ© Ă  l’illustre Auteur du TĂ©lĂ©maque. Ceux qui connoistent dĂ©jĂ  ces Maximes, s'apercevront facilement que nous y avons fait des changemens & des additions considĂ©rables. Nous avons tĂąchĂ© d’y faire entrer tout ce qu’il y a de. plus propre Ă  former les mƓurs. Comm e ces Maximes font en vers, elles se graveront plus aisĂ©ment dans la mĂ©moire des jeunes gens, & y demeureront toujours. Ils se les rappelleront dans l’occasion ; & si alors elles les portent Ă  la vertu, ou les dĂ©tournent du vice, a iv viij PREFACE. n’auront-ils pas lieu de s’applaudir de les avoir apprises ? Ces prĂ©ceptes Ă©tant courts, selon le gĂ©nie de la PoĂ©sie, Le selon, le conseil d’Horace i , il Ă©toit nĂ©cesiĂ ire, pour les rendre plus utiles, pour en faire mieux sentir la vĂ©ritĂ© & la sagesse, de les dĂ©velopper. On ne sauroit trop souvent Le en trop de façons rappeler aux hommes leurs devoirs, dit M. de Claville dans son TraitĂ© du vrai mĂ©rite, Ouvrage estimable Ă  bien des Ă©gards, & oĂč se trouvent de trĂšs-bonnes choses, mais I Qtiidqnid pracipies , esta brevis , ut cilĂ  diĂąla Fercipiant nuimi dociles, tentant que sideles , H O R. PREFACE. ix dont les principes de morale ne font pas toujours assez exacts ni assez Ă©purĂ©s. AulĂźi avons-nous eu foin, dans cette nouvelle Edition, encore plus que dans la premiĂšre, de rectifier les rĂ©flexions que nous avons empruntĂ©es de ceMoraliste. Car, nous ne le dissimulons pas, moins jaloux de la gloire d’ĂȘtre Auteurs que de celle d’ĂȘtre utiles, & semblables Ă  l’abeille qui compose son miel du suc de toutes les fleurs, nous avons souvent fait usage de ce que nous avons trouvĂ© ailleurs de plus sagement pensĂ©, lorsqu’il pouvoit nous servir Ă  mieux remplir notre objet. Le cĂ©lĂ©brĂ© M. Rollin se permettait d’insĂ©rer en entier dans ses a v » x PREFACE. Ouvrages, qui font gĂ©nĂ©ralement estimĂ©s,, les plus beaux endroits des Auteurs anciens & modernes. Il se contentoit d’avertir en gĂ©nĂ©ral, dans ses PrĂ©faces, de cette elpece de larcin, qui par l’aveu mĂȘme cestoit d’en ĂȘtre un, & dont le public lui favoit grĂ©, parce que son travail Ă©toit utile 2. Comme ce sage Ecrivain, nous, n’avons pas toujours citĂ© les Moralistes, dont les pensĂ©es & les maximes nous ont paru propres Ă  enrichir les nĂŽtres, parce que CO Je ne nie suis sas fait, une peine , dit-il Ă  la fin de plusieurs de ses Pre'Faces, de prendre quelquefois dans de bons Ouvrages ce que fai cru convenir Ă  celui - ci je eberebois Ă  ĂȘtre utile. Ce mot qui suivit fa justification, ' Fait, auflila nĂŽtre. PREFACE. xj nous nous sommes rĂ©servĂ© le droit d’y faire tous les changemens, les additions & les corrections mĂȘme, convenables ou nĂ©cessaires. En employant le travail des autres, nous y avons ajoutĂ© le nĂŽtre. Si, selon mĂȘme un des Auteurs les plus originaux qu’ait produit le dernier siede 3 , le choix des pensĂ©es est invention, quand il est bon, juste, Ă©clairĂ© & judicieux ; si on loue un Architecte qui, avec des matĂ©riaux qu’il a su choisir & rassembler, est venu Ă  bout d’en composer un Ă©difice rĂ©gulier oĂč l’utile se trouve rĂ©uni avec l’agrĂ©able ; peut - ĂȘtre aussi ne refuser-»- si m 3 La Bruyert. xij P R E F A CE. t-on pas Ă  notre Ouvrage quelque elpece de mĂ©rite & de gloire. Mais nous avons portĂ© notre vue plus haut, & nous avons agi pour une fin plus relevĂ©e nous nous sommes proposĂ© de former les mƓurs, de la jeunesse, & de rendre les hommes plus vertueux & plus sages. Nous engager Ă  devenir meilleurs, nous Ă©clairer fur nous- mĂȘmes pour nous corriger, fixer nos regards fur les dĂ©fauts des autres pour nous en garantir, nous apprendre Ă  connoĂźtte nos devoirs & Ă  y conformer notre conduite e’est fans doute de toutes les sciences la plus importante. Sans les connoilfances brillantes, on peut ĂȘtre utile Ă  fa famille, Ă  ses, PREFACE, xiĂŻf amis, Ă  la sociĂ©tĂ©, en un mot ĂȘtre honnĂȘte homme mais le peut-on fans la sagesse ? C’est donc rendre le service le plus grand & le plus essentiel, que de travailler Ă  former les mƓurs , quittant l’exact accomplissement des devoirs imposĂ©s Ă  l’homme social , sont le fruit le plus prĂ©cieux de la sagesse, & l’hĂ©roĂŻsme de la vertu. Les mƓurs font le fondement de la sociĂ©tĂ© & la base de l’Etat. 11 n’est point de meilleurs appuis des trĂŽnes & des royaumes. Un Empire qui se gouverne- roit par la vertu, serait en quelque sorte Ă©ternel comme elle. Un peuple qui a des mƓurs, subsiste- roit plutĂŽt sans lois, qu’un peuple xiv PREFACE. sans mƓurs avec les lois les plus admirables. La vertu supplĂ©e Ă  tout, mais rien ne peut la supplĂ©er. Sans elle, on ne saurait ĂȘtre heureux ni dans la vie prĂ©sente ni dans l’autre. Mais plus les mƓurs font nĂ©cessaires, plus on doit s’appliquer de bonne heure Ă  les former. Ce n’est; pas quand l’arbre est durci par le temps & parles annĂ©es, qu’il faut le dresser’, le conduire ; c’est lorsqu’il est encore tendre & flexible. Qu’il nous soit donc permis de recommander ici aux parens & Ă  tous ceux qui sont chargĂ©s de l’emploi important d’élever la jeunesse , de lui inspirer dĂšs les premiĂšres annĂ©es les bonnes mƓurs PREFACE . xv & la vertu. Une toile neuve reçoit mieux & conserve plus long- tempslespremieres couleurs qu’on lui donne. Nous avons ouĂŻ raconter qu’une Dame de mĂ©rite avoit un neveu, jeune homme de beaucoup d’espĂ©rance, qui venoit souvent la voir. Elle tĂąchoit de lui inspirer la vertu par ses leçons ; mais pour mieux l’insinuer, elle choisit un livre oĂč les instructions Ă©toient habilement mĂȘlĂ©es d’exemples agrĂ©ables. Elle laisiĂ  ce livre seul sur sa table comme sans aucun dessein. Quand son neveu venoit lui rendre visite, elle prĂ©textait quelque occupation, & lui disoit de lire quelque chose en attendant. Les premiĂšres fois il prit ce livre, l’ouvrit & le referma presque aussi-tĂŽt. xvj PREFACE. Peu-Ă -peu il y prit goĂ»t, il le lut tout entier & avec tant de fruit, qu’ayant Ă©tĂ© mis dans les troupes, il devint l’exemple de son rĂ©giment par la rĂ©gularitĂ© de sa conduite ce qu’il dev oit, comme il le reconnoifloit lui-mĂȘme, au bon livre de sa tante. PuiSSL cet Ouvrage produire d’aulli heureux fruits dans l’esprit des jeunes gens qui le liront ! ils y trouveront les prĂ©ceptes & les exemples les plus propres Ă  former leurs mƓurs. On poura leur en faire rendre compte, & surtout des traits d’hilloire, qu’ils retiendront encore pĂźusfacilement que la morale. Par-lĂ  ils s’accoutumeront Ă  rĂ©flĂ©chir fur leurs lec- P R E F A C E. xvij tures,Ă  raconter avecgrace & avec aisance une histoire,une anecdote» un bon mot ce qui fait honneur & plaĂźt infiniment. Nous connoistbns des pĂšres de beaucoup d’esprit qui se sont servis avec succĂšs de ce Recueil, en suivant cette mĂ©thode. Car les parens eux-mĂȘmes peuvent ici fans peine servir d’instituteurs. Et quelle plus noble fonction, quelle occupation plus louable, que celle d’un pere ou d’une mere de famille, qui ne croyant pas remplir suffisamment le titre si estimable dont la nature les ahonorĂ©s, s’ils n e s’appliquent Ă  former eux-mĂȘmes le cƓur de l’esprit de leurs en fans, s’en chargent seuls , ou parta- xviij P R E F A C K gent avec des MaĂźtres ce glorieux emploi. Quoique la jeunesse ait Ă©tĂ© le principal objet de cet Ouvrage, il ne fera peut-ĂȘtre pas inutile aux autres personnes, & il leur plaira certainement davantage, parce qu’elles ont l’esprit plus formĂ©. _ L’enfance n’aime guere que l’amusement, la jeunesse ne cherche que le plaisir, l’ñge mĂ»r prĂ©fĂ©rĂ© le solide & l’utile. Ma i s si l’on veut plaire longtemps & mĂ©riter tousles suffrages, il faut Ă  l’utile mĂȘler l’agrĂ©ment. Nous avons donc cru devoir Ă©gayer la sagesse. Nous avons tempĂ©rĂ© fa gravitĂ© austere, pour la P R E F  C E. xix rendre plus aimable, pour lui concilier plus de cƓurs. La vertu fans attrait est un hameçon fins appĂąt. Les prĂ©ceptes seuls auroient bientĂŽt ennuyĂ© les exemples frĂ©- quens que nous y avons mĂȘlĂ©s , attacheront. Une morale trop continue fatigue des traits frappans, semĂ©s de distance en distance, dĂ©lassent l’esprit & le raniment. On oublie d’ailleurs les plus figes conseils, mais les beaux exemples ne s’effacent point ils fe gravent profondĂ©ment dans l’esprit, y impriment avec eux les maximes, & les rappellent. C’est ce qui nous avoit engagĂ©s, dans la premiĂšre Edition, XX PREFACE. Ă  multiplier les traits d'histoire mais nous n’y avions pas toujours mis asiĂšz de recueil de bons mots & dans la conversation, on souffre le mĂ©diocre dans un ouvrage de goĂ»t, on ne doit trouver que l’excellent. Cette judicieuse rĂ©flexion, que des amis nous ont fait faire, nous a dĂ©terminĂ©s Ă retrancher plusieurs traits, qui n’étoient pas assez ingĂ©nieux ou les avons remplacĂ©s par d’autres, qui rendront l’Ouvrage plus piquant. Il est rare qu’une premiĂšre Ă©dition soit parfaite ce n’est mĂȘme assez souvent qu’une Ă©bauche,Ă  laquelle on donne ensuite plus de perfection ; ou, si l’on veut, ce font des tableaux travaillĂ©s avec soin; P R E F A CE. xxj mais qui, exposĂ©s aux yeux des amateurs, leur laissent apperce- voir des dĂ©fauts, qu’une touche plus fine & plus lĂ©gĂšre fait bientĂŽt disparoĂźtre. On avoit trouvĂ© aussi que nous avions traitĂ© avec trop peu d’étendue l’importante matiĂšre de la Religion, quoiqu’elle soit le plus solide fondement des mƓurs. INI ous avons eu foin de rĂ©parer cette faute. Il auroit Ă©tĂ© difficile & dangereux peut-ĂȘtre, de vouloir donner du nouveau fur un sujet qui a tant de fois Ă©tĂ© maniĂ© & approfondi par les plus beaux & les plus grands gĂ©nies que la Religion a la gloire de compter parmi ses apologistes & ses dĂ©fenseurs. Tout ce que nous avons cru devoir faire, c’est de choisir les preuves les plus claires, les plus sensibles, & les plus faciles Ă  saisir par les jeunes gens mĂȘme. Ce fera pour eux une elpece de ThĂ©ologie aisĂ©e & naturelle, qui les instruira suffisamment & fans Ă©tude, de ce* qui leur est si essentiel de savoir. Sans entrer dans les difcuffions polĂ©miques, qui n’étoient pas de notre ressort, & laissant Ă  part tous les vains sophismes des incrĂ©dules , qui ont Ă©tĂ© cent fois victorieusement rĂ©futĂ©s, nous avons feulement voulu Ă©tablir les principes fondamentaux de la Religions prĂ©senter les grands traits qui attestent fa divinitĂ©, afin de PREFACE. xxiij prĂ©venir tous les doutes qui pou- roient dans la fuite s’élever dans l’esprit, ou que l’impiĂ©tĂ© cher- cheroit Ă  y faire naĂźtre. Puissent ces secours que nous offrons Ă  la jeunesse, la prĂ©munir contre les sĂ©ductions de l’incrĂ©dulitĂ©! Et dans quel fiecle furent-ils jamais plus nĂ©cessaires que dans le nĂŽtre, oĂč l’irrĂ©ligion a fait tant de funestes progrĂšs ! Dieu le permettant ainsi, pour rendre le triomphe de la Religion plus glorieux, pour Ă©prouver notre foi A nous en faire mieux sentir le prix par le malheur de ceux qui la perdent, "K&fF xxlv AVIS. IjAUTEUR a, avec M. Restant , retranche'un r dans je pourai, je pourois , parce qu’il ne s’y prononce pas comme dans je mourrai, je courrai, j’acquerrai. Il a aussi avec l’AcadĂ©mie , supprimĂ© un t dans le verbe jeter, oĂč le premier e est toujours muet , exceptĂ© je jette, tu jettes, il jette, ils jettent, oĂč il est ouvert. Afin d’orner cette quatriĂšme Editions qui fera la derniers Ă  laquelle nous ferons des additions & des changent ens considĂ©rables , nous y avons mis un frontispice allĂ©gorique, reprĂ©sentant la Sagesse , qui donne avec douceur &? avec bontĂ© ses leçons Ă  un de ses Ă©levĂ©s. RÉFLEXIONS W Ă - ! NI TW "'»S REFLEXIONS PRÉ LIMINAIRES SUR V ÉDUCATION. -ÂŁJ&SS* Ne o u s ne nous proposons pas de donner ici un nouveau plan d’éducation. Assez d’autres l’ont fait dans ce siecle, & ont imaginĂ© de brillans systĂšmes, moins propres peut-ĂȘtre Ă  Ă©clairer & Ă  instruire qu’à sĂ©duire & Ă  Ă©garer. Plus rĂ©servĂ©s & plus circonspects sur un objet aussi essentiel, nous voulons seulement exposer quelques rĂ©flexions particuliĂšres, que nous tirerons principalement de notre propre expĂ©rience & de celle des autres. Ce que nous avons Ă  dire fur cette importante matiĂšre Ă©tant trop Ă©tendu pour entrer dans le corps de. l’Ouvrage , nous avons cru plus conve- Leçon 23 ; Oui ne s'obtient que par la foi en JĂ©sus - Christ mettez » qttepar les mĂ©rites de Je jus- Christ. Partie 2 , Leçon 6 Et quand ce plaifir P emporte il faut mettre ici un carton 8c fur tout le reste jusqu’aux demandes. Leçon 11 D. Comment fa volontĂ© s'accomplit-elle fur la terres mettez pouĂŻ rĂ©ponse Lorsque nous gardons ses commandemens* Tome 2 , Part. 1, Leçon Z Incapables desaire aucun bien ajoutez, pour le Ciel. Part. 2, Leçon 2 Et quand ce plaifir , fisc, cartonner jusqu’à la charitĂ© est fondĂ©e. Leçon 37 nous choisissons toujours mettez , souvent le mal , ÂŁT nous n'avons point de libertĂ© peur faire le bien surnaturel. Ibid, mais nous n'avons pas la force de Pacm complir , parce que notre concupiscence mettez , mais notre oncupiscence. Ibid, elles sont toujours mettez presque toujours. Ibid liest impossible mettez, il est difficile. On a donnĂ© Ă  Bruxelles n 1778 VUS Ă©dition orthodoxe de ce Catcçhisme. LO RÉFLEXIONS prĂ©liminaires Qu’on cultive la mĂ©moire des jeunes gens par l’étude des langues ; qu’on orne leur esprit de belles & d’utiles connois- sauces mais prĂ©fĂ©rablement Ă  tout,qu’on s’applique Ă  leur donner la science des mƓurs. O vous que trop souvent la paresse ou l’incapacitĂ© des parens appelle pour remplir un devoir qui devoir leur ĂȘtre auffi'cher que sacrĂ©, songez, lorsque- vous exercez cette fonction importante, que vous devez non-seulement des hommes Ă  l’Etat & Ă  leur famille, mais aussi des chrĂ©tiens Ă  la religion. Songez que vous ĂȘtes les plus coupables des hommes, si vous nĂ©gligez les moyens de rendre vos Ă©leves Ă©galement Ă©clairĂ©s & vertueux. Faites-leur donc des leçons courtes mais frĂ©quentes fur la morale & fur la religion. Apprenez-leur le culte qu’on doit Ă  Dieu, & les priĂšres qu’il faut lui adresser. Pour leur donner l’exemple » priez avec eux , & mettez-vous dans la posture oĂč ils doivent ĂȘtre ce n’est qu’en parlant Ă  leurs yeux , que vous parlerez Ă  leur esprit. A commencer du moment que vous les aurez instruits,ne permettez jamais qu’ils oublient de prier, ni qu’ils prient dans une posture peu dĂ©cente, Ă  moins qu’ils ne {oient malades alors au lieu de leurs priĂšres ordinaires, qu’ils en fassent une courte & qu’ils n’y manquent jamais. Il y a peu de personnes, il est vrai, qui SUR L’ É D U e A T I O N. Lk n'inspirent ce devoir aux en sans, par prĂ©fĂ©rence mĂȘme aux besoins de la vie ; mais on ne le leur fait pas toujours remplir avec assez de piĂ©tĂ©, & l’on n’a pas assez foin de leur en donner l’exemple. Convaincu que les principes de la religion,si propres Ă  servir de germe Ă  toutes les vertus ,ne doivent pas ĂȘtre seulement appris par mĂ©moire ni expliquĂ©s superfi- eiellement, vous aurez foin que vos Ă©leves les comprennent autant que le permettra la capacitĂ© de leur Ăąge , & qu’ils s’en pĂ©nĂštrent. C’est par la douceur & par l’insinuation , bien plus que par les reproches & les chĂątimens, que vous rĂ©uisirez Ă  leur inspirer la piĂ©tĂ© & la vertu. Les pratiques de la religion, commandĂ©es avec rigueur , exigĂ©es avec sĂ©vĂ©ritĂ©, faites par contrainte & avec ennui, font le premier joug dont un jeune homme fe dĂ©charge en entrant dans le monde; ou s’il en conserve encore quelques-unes, Ă  la maniĂ©rĂ© dont il s’en acquitte, on croiroit volontiers qu’il ne les regarde que comme une espece de devoir d’usage, qu’il rend par habitude Ă  la DivinitĂ©. La cĂ©lĂ©brĂ© Madame de Maintenon est; Ăčn exemple bien propre Ă  faire voir ce que peut la douceur pour inspirer aux enfans les sentimens de religion. Elle avoit Ă©tĂ© Ă©levĂ©e dans le calvinisme. LL RĂ©flexions prĂ©liminaires Madame de Neuillant fa parente la prit chez elle , dans le de de in de la rendre catholique mais ohstinĂ©e dans ses premiers principes, cette jeune personne ferma son cƓur aux nouvelles instructions. Madame de Neuillant crut la faire changer en la puniilantpar des humiliations, Scelle la rĂ©duisit mĂȘme Ă  garder des dindons. Dans cet Ă©tat d’abaiiiement, un jeune paysan Ă©tant devenu amoureux de Mademoiselle d’AubignĂ©, Madame de Neuillant la mit au couvent des U rfulines de Niort,petite ville du Poitou. La jeune pensionnaire eut le bonheur d’y trouver une vieille Religieuse, qui lut s’en faire aimer, &. lorsqu’ils sont devenus grands , on peut juger par leur conduite Ăź leur tĂšte est bien faine. Il est fort dangereux aussi que les enfans qu’on a gĂątĂ©s,n’aient dans la fuite point ou presque point de religion. Les pratiques & les sentimens religieux demandent de la contrainte. Des personnes accoutumĂ©es dĂšs l’enfance Ă  ne se gĂȘner en rien , ne voudront pas se contraindre mĂȘme pour Dieu, ni pour les devoirs qu’il commande. Qu’il est Ă  craindre, qu’aprĂšs avoir Ă©tĂ© malheureuses en cette vie, elles ne le soient encore plus dans l’autre! Parens aveugles, vous vous trompez grossiĂšrement vous vous croyez tendres, vous 11’ùtes que foibles. Ce n’est pas vos enfans que vous aimez , c’est vous seuls, c’est le plaisir que vous avez Ă  les carelser, aies flatter. Le ciel vous les a-t-il donc confiĂ©s pour ĂȘtre les objets d’une passion folle, ou pour vous servir d’amusement? Ignorez-vous que c’est un dĂ©pĂŽt dont vous lui rendrez compte , que vous en ĂȘtes responsables Ă  la rĂ©publique, Ă  la postĂ©ritĂ©, Ă  eux-mĂȘmes ? Un jour viendra que vous payerez bien cher les foibles plaisirs que leur enfance vous donne. 28 RĂ©flexions prĂ©liminaires Quelle sera votre douleur, quand vous verrez l’objet de toutes vos affections devenu celui du mĂ©pris public ; quand ce fils, rendu dĂ©naturĂ© par l’excĂšs de vos tendresses, fera le premier Ă  vous reprocher tous ses vices, comme Ă©tant votre ouvrage; quand ses mauvaises façons Ă  votre Ă©gard deviendront le salaire de vos molles complaisances ! Alors vous rĂ©pandrez des larmes de fing; vous accuserez la gouvernante , le prĂ©cepteur, tout l’univers. Parens injustes, vous n’aurez Ă  vous plaindre que de vous. N’auriez-vous pas dĂ» savoir , & uneinfinitĂ©[d’exemples'ne vous avoient- ils pas assez instruits, que les enfans gĂątĂ©s font toujours ingrats , & que celui qui nĂ©glige la correction de son fils nourrit son ennemi ? La verge es 1 la correction , dit l’Ecriture, donnent la fagefj'emais F enfant qui efl abandonnĂ© Ă  fa volontĂ©, couvrira fa mere de confusion i . Marie de MĂ©dicis l’ avez pleurĂ©, lui disoit Henri IV, de ce que je fouettois votre fils avec un peu de sĂ©vĂ©ritĂ© mais quelque jour vous pleurerez beaucoup plus du mal qu’il aura, ou de celui que vous aurez vous-mĂȘme. C’est t T'ĂŻrga atque correftlo tribuit fapientiam puer tutcm qui dimittitur valuntati sua, confundie matrctn ÂŁuam, Prov. 2S. sur l’ÉdĂŒcatios. 29 en effet ce qui arriva aprĂšs la mort de ce Prince. Louis XIII, devenu majeur, ĂŽta Ă  la Reine fa mere les personnes qui avoient fa confiance. On lui dĂ©fendit de sortir de son appartement , dont on fit murer les portes, Ă  l’exception d’une feule, & l’on inlulta cette Princesse jusqu’à venir fouiller dans lĂ  chambre & dans son cabinet. Un traitement autfi dur dĂ©termina Marie de MĂ©dicis Ă  demander elle-mĂȘme son Ă©loignement. On ne lui laissa pas le choix du lieu de fa retraite, qui fut fixĂ© Ă  Blois. On lui accorda seulement la consolation devoir son fils avant de partir , mais on avoir rĂ©glĂ© julqu’aux termes 'dont elle de voit se servir pour faire ses adieux au Roi. Ils furent fort tendres de la part de la Reine, qui fondoit en larmes. Pour son fils, dĂšs qu’il fut que fa mere alĂźoit monter en carrosse, il alla fur son balcon pour la voir partir ; & lorsqu’elle fut sortie du Louvre, il courut Ă  sa galerie pour la voir passer encore sur le Pont- neuf. Il sembloit que°ce Prince se lit un plaisir barbare de repaĂźtre ses yeux d’un spectacle qui auroit du dĂ©chirer son cƓur. Cette infortunĂ©e Princesse , ayant trouvĂ© le moyen de s’échapper de l’espece de prison oĂč on la tenoit renfermĂ©e, erra de pays en pays, & se vit enfin obligĂ©e de se retirer Ă  Cologne. B ? ZO RĂ©flexions prĂ©liminaires Les chagrins multipliĂ©s & les humiliations en tout genre qu’avoit reçu cette Princesse, avoient tellement flĂ©tri son ame, qu’elle en Ă©toit devenue stupide. Elle mourut comme une bourgeoise obscure,iĂ ns ĂȘtre plainte dans son infortune, Ă  laquelle il faut convenir qu’elle avoit donnĂ© lieu, & qu’elle auroit mĂ©ritĂ©e de la part de tout autre que d’un fils. Quelqu’un a fort bien dit Peres, n’écoutez pas une aveugle tendresiĂ« Corrigez vos enfans, lorsque dans leurjeuneslĂš Sans peine vers le bien vous pouvez les plier. C’est bien aimer, dit-on, que de bien chĂątier. Fables d'Esoee. On s’imagine qu’il ne faut point con- traindreles enfans dans leurs premiĂšres annĂ©es. On ne fait pas attention que les contradictions qu’on apprĂ©hende ne font rien, & que celles qu’on leur prĂ©pare seront terribles. Car ils ne trouve- rontpas toujours des personnes disposĂ©es Ă  faire toutes leurs volontĂ©s ils trouveront souvent au contraire des concur- rens ou des ennemis qui leur feront Ă©prouver des chagrins d’autant plus sensibles & plus amers, qu’ils auront Ă©tĂ© plu-s flattĂ©s dans leur enfance. C’est ce qui arriva Ă  un jeune homme dont parle l’auteur du Comte de Valmont. sur l’Éducation. 51 Il avoir Ă©tĂ© Ă©levĂ© , ainsi que sa sƓur, le plus mal du monde, par une mere idolĂątre de ses enfans , & qui toujours en opposition avec le pere dans le peu qu’il oldit leur dire, Ă©toit souvent en contradiction avec elle-mĂȘme. TantĂŽt elle les grondoit, les maltraitoit dans des accĂšs d’impatience ; le moment d’aprĂšs elle les appaisoit, les careflĂŽit, & par tout ce manege leur apprenoit tout Ă  la fois, & Ă  se rĂ©volter contre les chĂątimens, & Ă  dĂ©daigner les caresses , ne gagnant auprĂšs d’eux d’un cĂŽtĂ© que pour perdre encore plus de l’autre , ne les portant Ă  cĂ©der pour le moment que de maniĂšre Ă  les rendre bien plus opiniĂątres & plus volontaires par la l’étoient-ils devenus au point que rien ne pouvoit plus les appaiser ni les satisfaire. La mere, toujours aux expĂ©dions pour les faire obĂ©ir, ne savoir les animer, les rĂ©compenser ou les punir que par tout ce qui pouvoir intĂ©resser en eux la vanitĂ©, la gourmandise , l’amour du luxe & de la parure; ce qui avoitdonriĂ© au fils beaucoup de suffisance, & Ă  la fille un amour excessif des ajustemsns , qui fut bientĂŽt suivi d’une envie dĂ©mesurĂ©e de plaire. Une si mauvaise Ă©ducation eut l’effet qu’on devoir en attendre. La fille dĂ©shonora iĂą famille, & alla cacher fa honte dans un couvent. Le fils trouva dans le B 4. ;L RĂ©flexions prĂ©liminaires sionde bien des contradictions & des peines au sein mĂȘme de ses plaisirs il mangea en peu de temps tout son bien, & n’eut d’autre ressource pour subsister que la compassion d’un de ses proches , aprĂšs avoir vil mourir samere de chagrin & de douleur. Parais foibles,aveugles & insensĂ©s, qu’il est juste que vous payiez cher un jour des Ă©carts que vous ne pouvez imputer qu’à vous-mĂȘmes ! On se propose de plier lors, qu’il seLa grand ; pourquoi ne veut-on pas voir qu’il seroit plus facile d’y rĂ©ussir lorsqu’il estfoible? Ne fiit-on pas qu’un jeune arbre se plie comme on veut? quand il est fort % on le romproit plutĂŽt que de le redresser. Un cheval qu’on nĂ©glige A qu’on ne dornte pas de bonne heure, devient intraitable il en est de mĂȘme, dit le Sage, du fils qu’on abandonne Ă  sa libertĂ©; il deviendra incorrigible , & se prĂ©cipitera dans les plus grands dĂ©sordres. Ne le rendez point maĂźtre de lui-mĂȘme dans sa jeunesse, ajoute-t-il, & ne nĂ©gligez point ce qu’il fait ni ce qu’il penle. Courbez-lui le cou pendant qu’il est jeune i , de peur qu’il ne s’endurcisse, qu’il ne veuille plus vous Xi Equus Indomitus evudit du us , filius remijsus evadit prxceps , iCccii. 30. sur- l’Education. 33 ‱bĂ©ir , & que votre arae ne soit percĂ©e de douleur. N’attendez donc pas que le vĂŽtre commette de grands crimes, pour le corriger. La malice croĂźt avec l’ñge, & elle arrive enfin Ă  un terme & Ă  un excĂšs oĂč le chĂątiment eft non-feulement trĂšs- inutile,mais aulĂźi trĂšs-dangereux. L’Histoire ancienne nous en a conservĂ© un exemple qui doit faire trembler tous les parens. Denis le Tyran ayant en son pouvoir le fils de Dion son ennemi, imagina contre le pere une vengeance singuliĂšre, & d’autant plus cruelle qu’elle paroissoit plus douce. Au lieu desaire mourir cet enfant ou de le mettre dans une dure prison, il se proposa de corrompre en lui toutes les bonnes qualitĂ©s de l’arne. Dans ce dessein, il lui permit tout, l’abandonna entiĂšrement Ă  ses fantaisies, & ordonna qu’on lui laissĂąt faire toutes ses volontĂ©s. Le jeune homme, emportĂ© par l’amour des plaisirs, donna dans la plus affreuse dĂ©bauche. Personne n’a voit l’Ɠil sur sa conduite, ni n’arrĂȘtoit le torrent de ses passions. On contentoifc tous ses dĂ©sirs, on louoit toutes ses fautes; ce qui acheva de le corrompre & de le prĂ©cipiter dans toutes forces de crimes. Lorsque le Tyran le vit tel qu’il dĂ©siroit, il le rendit Ă  son pere. On b r 54 RĂ©flexions prĂ©liminaires Je mit entre les mains de Gouverneurs, qui n’oublierent rien pour le faire changer ; mais tout fut inutile car plutĂŽt que de fe corriger , il fe jeta du haut de la maifpn & fe cassa la tĂȘte i . C’est donc une erreur bien aveugle & bien funeste, que de croire qu’il faut attendre qu’un enfantait cesse de l’ĂȘtre pour travailler Ă  former son caractĂšre & Ă  le rendre docile.. Si dĂšs la premiĂšre enfance on ne l’accoutume point Ă  suivre la raison d’autrui, on peut ĂȘtre fur qu’il ne suivra pas la sienne quand il fera plus avancĂ© en Ăąge. Tant que l’enfant fe portera bien, q-u’on ne lui passe ni volontĂ© ni impatience ; quand mĂȘme il serait indisposĂ©, il ne faudroit pas s’écarter de cette regle. Un mois de maladie , durant lequel on n’auroit cherchĂ© qu’à le flatter & Ă  lui obĂ©ir,nuiroit plusĂ fon Ă©ducation qu’une annĂ©e de foins n’auroit pu l’avancer. Ce n’est pas la maladie qui rend impatient, c’est l’habitude d’ĂȘtre impatient qui fait qu’on l’est davantage quand onfoulfre; & c’est la foible & timide complaisance des parens, qui fait qu’alors un enfant le devient Ă  l’excĂšs. Les premiĂšres volontĂ©s d’un enfant i Cor, Nep, dans la Vie de Ilion. sur l’Éducation. z>- sont toujours foibies ; c’est un germe qui se dĂ©veloppe , mais que la moindre rĂ©sistance arrĂȘte. Elles resteront foibies tant qu’elles lui rĂ©usiiront mal. S’il demande quelque chose avec impatience, on lui dira avec beaucoup de douceur qu’on est bien fĂąchĂ© de le refuser, mais qu’on n’accorde point aux enfans ce qu’ils demandent avec impatience. Peut- ĂȘtre il n’entendra pas ce discours, mais il remarquera l’air & le ton ; il verra qu’on ne lui donne point ce qu’il a demandĂ© surpris de ne rien obtenir, ou las de crier inutilement , il suspendra ses larmes qu’on profite de cet intervalle pour le satisfaire. Mais ne lui accordez jamais ce qu’il demande en pleurant. Il s’apper- cevroit bientĂŽt que les larmes font le moyen d’obtenir, & il ne manqueroit pas de l’employer, souvent mĂȘme pour avoir des choses qu’on ne pouroit lu donner. Comme nous sommes convaincus que c’est dans les pleurs d’un enfant, bien ou mal compris , bien ou mal dirigĂ©s par la tend reife des mer es, que consiste presque tout l’art & toute la difficultĂ© dĂ©fia premiĂšre Ă©ducation, nous ajouterons ici quelques rĂ©flexions judicieuses que fait Ă  ce sujet M. Rousseau dans son 'Emile , oĂč parmi un grand nombre d’erreurs trĂšs-pernicieuses se trouvent des vĂ©ritĂ©s B 6 RĂ©flexions prĂ©liminaires utiles. „ Les premiĂšres pleurs I clĂ©s enfans, dit-il, font des priĂšres si l’on n’y prend garde,elles deviennent bientĂŽt des ordres. Ils commencent par fe faire assister, ils finissent par se faire servir. „ Si l’enfant ne pleure que quand il souffre, c’est un trĂšs-grand avantage car alors on fait quand il a besoin de secours , & l’on ne doit pas tarder un moment Ă  le lui donner, s’il est possible il importe mĂȘme qu’on le prĂ©vienne , & qu’on ne fe laisse pas avertir de ses besoins par ses cris. Mais si vous ne pouvez le soulager, restez tranquille sans le flatter pour l’ap- paiser vos caresses ne guĂ©riront pas fa colique; cependant il fe souviendra de ce qu’il faut faire pour ĂȘtre flattĂ©, & s’il sait une fois vous occuper de lui Ă  fa volontĂ©, le voilĂ  devenu votre maĂźtre, tout est perdu. „ Les longs pleurs d’un enfant qui n’est ni liĂ© ni malade, & qu’on ne laisse manquer de rien, ne font que des pleurs d’habitude & d’obstination ils ne font point l’ouvr .ge de la nature , mais de la nourrice qui , pour n’en savoir endurer l’importunitĂ©, la multiplie, sans songer qu’en faisant taire l’enfant au jourd’hui, on l’ex- xite Ă  pleurer demain davantage. Le seul moyen de guĂ©rir ou de prĂ©venir cette X j, Il falloir dire Le-! frtmkn plsuu, sur l’Education; 37 habitude, est de n’y faire aucune attention personne n’aime Ă  prendre une peine inutile , pas mĂȘme les enfans. Ils font obstinĂ©s dans leurs tentatives mais fl vous avez plus de constance qu’eux d’opiniĂątretĂ©, ils se rebutent, & n’y reviennent plus. C’est ainsi qu’on leur Ă©pargne des pleurs, & qu’on les accoutume Ă  n’en verser que quand ladouleus les y force. „ Au reste, quand ils pleurent par fantaisie ou par obstination , un moyen sĂ»r pour les empĂȘcher de continuer est de les distraire par quelque objet agrĂ©able & frappant qui leur fasse oublier qu’ils vou- loient pleurer. La plupart des nourrices excellent dans cet art; bien mĂ©nagĂ© , il est trĂšs-utile mais il est de la derniere importance que l’enfant n’apperçoive pas l’intention dele distraire,& qu’il s’amuse sans croire qu’on songe Ă  lui or voilĂ  sur quoi toutes les nourrices font maladroites. line faut quelquefois aux en- fans, pour pleurer tout un jour, que s’appercevoir qu’on ne veut pas qu’ils pleurent. Le pis est que l’obstination qu’sis contractent tire Ă  consĂ©quence dans un Ăąge avancĂ©. La mĂȘme cause qui les rend criards Ă  trois ans , les rend mutin Ă  douze, querelleurs Ă  vingt, impĂ©rieux Ă  trente, & insupportables toute leur vie " HZ RĂ©flexions prĂ©liminaires DĂšs qu’un enfant donne les premiers signes de connoiisonce , il est donc essentiel de prĂ©venir en lui toute obstination & toute indocilitĂ©. L’opiniĂątretĂ© est le dĂ©faut de la plupart des enfans ; mais on peut dire qu’ils le doivent en grande partie Ă  la premiĂšre Ă©ducation. On dĂ©fĂ©rĂ© Ă  toutes leurs fantaisies. Ce qu’on a refusĂ© Ă  leurs priĂšres, on l’accorde Ă  leur importunitĂ©, Ă  leurs pleurs , Ă  leurs violences. On les porte mĂȘme Ă  iĂš venger, Ă  frapper. „ J’ai vu, dit encore l’auteur d 'Emile ; d’imprudentes gouvernantes animer la mutinerie d’un enfant, l’exciter Ă  battre, s’en laisser battre elles-mĂȘmes, & rire de ses foibles coups , fans songer qu’ils Ă©toient autant de meurtres dans l’intention du petit furieux, & que celui qui veut battre Ă©tant jeune, voudra, tuer Ă©tant grand “. Comment un enfant craindra-t-il ses parens, quand ils ne lui seront pas reconnoĂźtre leur autoritĂ© , & qu’ils ne feront quelquefois que ses premiers fer-? viteurs ? AbandonnĂ© au dĂ©rĂšglement de ses goĂ»ts & au dĂ©sordre de ses idĂ©es, il s’élĂšvera lui-mĂȘme le plus doucement & le plus mal qu’il lui fera possible. Devenu absolu & volontaire , il prendra l’habitude de ne plus Ă©couter que son caprice & so volontĂ©. Voulez-vous que cela n’arrive pas sur l’Éducation. 59 prenez une d’agir toute diffĂ©rente. Observez de ne Je caresser que lorsqu’il sera tranquille , & de cesser les caresses ou mĂȘme de prendre un air plus sĂ©rieux dĂšs qu’il fera opiniĂątre ou impatient. Cette conduite n’a rien de dur ni de cruel. L’enfant remarquera bientĂŽt qu’il n’est caressĂ© & qu’il n’obtient ce qu’il veut s que quand il est doux ; & il aimera mieux le devenir. DĂšs que vous l’aurez rendu tel, comptez que vous aurez tout gagnĂ©i il fera entre vos mains de mĂȘme qu’une cire molle , que vous pĂ©trirez comme il vous plaira. Mais qui que vous soyez, pere ou mere, prĂ©cepteur ou gouvernante ; si vous voulez former le caractĂšre de votre Ă©leve , tĂąchez de rĂ©gler & de soutenir le vĂŽtre. Car nĂ© croyez pas qu’on forme un enfant avec de beaux discours & de belles phrases vos discours poliront Ă©clairer son ame, mais c’est votre caractĂšre qui fera le sien. Avec beaucoup de rĂ©gularitĂ© dans la conduite , ayez beaucoup d’égalitĂ© dans l’humeur , de gaietĂ© dans vos leqons, de douceur dans vos paroles. PrĂȘchez d’exemple rien n’est plus puis, suit sur les eufans comme fur les hommes faits. Ne vous permettez pas, s’il est possible, une parole qui ne soit une leçon , une dĂ©marche qui’ ne soit un modele. De quelque tempĂ©rament que soit 4° RĂ©flexions prĂ©liminaires votre Ă©leve, vous verrez qu’insensible- ment la vertu , la douceur & la sĂ©rĂ©nitĂ© de votre aine passeront dans la sienne. 11 ne faut donc jamais confier -un enfant Ă  des personnes tracĂ ffieres , grondeuses, acariĂątres ou pleines d’humeur bientĂŽt il leur ressemblerait ou devien- droit pire encore. Veillez avec foin fur les personnes qui approcheront vos en- fans. Ne les laissez jamais entre les mains des domestiquĂ©s , ou d’autres gens im- prudens & sans Ă©ducation, qui se plaisent souvent Ă  les agacer, les irriter, les impatienter , ou ne leur apprennent que de gross ers badinages. Cette frĂ©quentation leur seroit cent fois plus dangereuse Ăą plus funeste que les plus douloureuses maladies. Que l’entrĂ©e de leur chambre ne soit permise qu’à des personnes prudentes & polies qui, quand elles joueront avec eux, sachent conserver de la dĂ©cence, & qui,lorsqu’elles les entretiendront , ne leur parlent jamais que raison, & ne leur inspirent que des sentimens louables. Faites en forte qu’ils ne parodient point ou qu’ils ne parodient qu’un moment, lorsque vous aurez beaucoup de monde. Ils n’y trouveroient que des complaisans qui les flatteroient, ou des personnes qui en feroient leur jouet ni l’un ni l’autre ne doivent plaire Ă  des sur l’Education. 41 parens sensĂ©s. Les exemples qu’ils verdoient , ne seraient pas toujours ailĂ©s dons; les conversations qu’ils entendraient, ne feraient pas ailĂ©s discrĂštes. Beaucoup d’actions fans consĂ©quence , ne Je sont point pour un enfant beaucoup de discours qui ne signifient rien pour des gens faits, pouroient nuire Ă  fa raison ou Ă  ses mƓurs. IV. Les MƓurs. O N ne saurait ĂȘtre trop circonspect devant les enfans ils voient, ils Ă©coutent, ils remarquent tout, & souvent mieux qu’on ne croit. Mais comme peu de personnes , Ă  moins qu’elles n’en fassent leur unique affaire, font capables de se contraindre ou de vouloir se gĂȘner au point'de ne jamais rien laisser Ă©chapper qui ne soit entiĂšrement conforme aux rĂ©glĂ©s de la vĂ©ritĂ© & de la sagesse ; que vos enfans voient peu d’étrangers, & par votre exemple apprenez Ă  ceux qu’ils seront forcĂ©s de voir, Ă  respecter leur enfance. Lar vous ne devez jamais oublier vous-mĂȘme qu’une des plus belles maximes de l’éducation est celle que la raison- a dictĂ©e Ă  un ancien 1 , & aprĂšs lui Ă  un moderne C I ; Maxhna dtlstur pttcro rercrentia. J uv. 42 RĂ©flexions prĂ©liminaires On imite aisĂ©ment le mal que l’on voit faire, St le mauvais exemple aux humains tstfatal. Je rĂ©pĂ©tĂ© aprĂšs Juvenal Cette maxime salutaire A vos en/ans , dit-il, vous dcve\ des Ă©gards s Si vous ave\ quelque foĂŻblefsc a t' , fuye\ leurs regards , Rcspcfte\leur tendre jeuncjse . Rien zk. Bien des parens aiment assez Ăą donner Ă  leurs enfans des leçons de vertu & de probitĂ© ; on se fait honneur mĂȘme de leur rĂ©pĂ©ter les maximes les plus exactes & les plus sĂ©veres de la sagesse mais souvent la conduite domestique soutient mal ces belles instructions. Auffi, bien loin de leur inspirer des sentimens de vertu par ces leçons que des mƓurs opposĂ©es dĂ©mentent, on les accoutume Ă  croire que la vertu n’est qu’un nom, & que les maximes qu’on en dĂ©bite ne lont qu’un langage dont on est le maĂźtre dĂ©penser tout ce qu’on veut. Il est donc plus essentiel encore de leur donner de beaux exemples que de belles leçons l’un & l’autre font un devoir pour les parens, dont l’exemple, ainsi que l’autoritĂ©, est toujours plus puis ant.. Mais gardez-vous fur-tout d’adopter jamais pour regle cette maxime pernicieuse , que nous avons souvent entendu rĂ©pĂ©ter Ă  des personnes du monde peu s u R l’Éducation. 4 % rĂ©flĂ©chies Qu’il faut tout dire aux enfam , U 1rs injĂŻruire du mal mĂȘme , afin quils sachent T Ă©viter U fe tenir fur leurs gardes. Parler ainsi, ce n’est pas connoitre la nature humaine, ni la prompte & presque invincible disposition des enfans Ă  faire tout ce qui les frappe & les attire. La raison croissant avec la connoissancesucceflive du mal, sert dans la fuite de rempart contre les impresi. fions du vice mais elle est trop foible encore dans les enfans pour les dĂ©fendre contre les attraits sĂ©ducteurs du mal, & contre les sollicitations pressantes de cette curiositĂ© expĂ©rimentale qui fait le caractĂšre de leur Ăąge. Qu’on les laisse donc ignorer le mal, & mĂȘme les vĂ©ritĂ©s physiques ou morales dont ils pouroient abuser. Ils les connoĂź- tront bien allez dans la fuite par la lecture & par l’usage de la ils feront alors armĂ©s & fortifiĂ©s contre les premiĂšres impressions du vice, par le sentiment de la vertu & par les grands motifs de la religion , si l'on a eu la prĂ©caution de les graver bien avant dans leur esprit Faites-leur seulement des leçons gĂ©nĂ©rales fur la dĂ©cence & la pudeur donnez- leur des avis sĂ©rieux lorsqu’ils s’échappent le plus lĂ©gĂšrement du monde, ne fĂ»t-ce qu’en sepermettantun mot peu honnĂȘte eu peu dĂ©cent. Par cette conduite , en 44 RĂ©flexions prĂ©liminaires ies Ă©loignant de l’apparence mĂȘme du mal, on les Ă©loignera encore plus de la rĂ©alitĂ© ; & en les tenant en garde contre les paroles, ils le seront encore davantage contre les faits. A mesure qu’un instituteur attentif s’appercevra que Ta connoissance du mal se dĂ©veloppe dans son Ă©leve, il redoublera d’activitĂ© & de prudence, pour le prĂ©munir par desleqons , des motifs, des exemples propres Ă  le tenir attachĂ© Ă  la vertu. Il lui tracera avec discrĂ©tion des tableaux nuancĂ©s & comme de profil des vices les plus dangereux qui rĂ©gnent dans le commerce de la sociĂ©tĂ©. Par-lĂ , en entrant dans le monde, le jeune homme ne fera plus frappĂ© de rien, parce qu’il est averti suffisamment, & qu’en voyant le mal, il est parfaitement instruit de la maniĂ©rĂ© dont il saut l’envisager. Cette eonnoistance gĂ©nĂ©rale & nĂ©cessaire suffira pour le prĂ©server de Pimpreffion subite & profonde, si voisine du vice, qu’il recevroit infailliblement, s’il venoit Ă  se produire dans les sociĂ©tĂ©s avec une ame pour ainsi dire toute neuve , & ne con- noiisant encore que l’innocence. Comme les enfans font enclins Ă  imiter tout ce qu’ils voient,ils font fur-tout, par leurenjouement naturel, portĂ©s Ă  contrefaire les personnes dont le ton de voix ou les façons leur paroissent ridicules. sur l’Éducation. 4^ Au lieu d’en rire, comme font tant d’autres , il faut les en reprendre sĂ©vĂšrement. Outre que ces maniĂ©rĂ©s mimiques ont quelque chose de bas & de contraire aux fentimens honnĂȘtes, il elf Ă  craindre qu’ils n’en contractent l’habitude , & qu’ils ne deviennent eux-mĂȘmes auffi ridicules que ceux qu’ils ont ridiculisĂ©s. Il faut bien plutĂŽt profiter de cette pente qu’ils ont Ă  ĂȘtre imitateurs, pour les porter Ă  ce qui est vertueux & louable. C’est-lĂ  le grand art & la magie de l’éducation. Qu’ils n’aient fous les yeux que des modĂšles de vertu , ils ne seront jamais vicieux. Mais comme il n’est pas pofllble qu’ils ne voient, malgrĂ© les prĂ©cautions qu’011 prend, beaucoup de choses qui font mal; il faut leur faire remarquer de bonne heure l’impertinence de certaines gens vicieux & dĂ©raisonnables , fur la rĂ©putation desquels il n’y a rien Ă  mĂ©nager. Il faut leur montrer combien on est mĂ©prisĂ© & digne de l’ĂȘtre, combien on est malheureux, quand on s’abandonne Ă  ses pallions & qu’on ne fuit point fa raison. Il ne faut pas mĂȘme, dit M. de FĂ©nelon, s’abstenir de le prĂ©venir en gĂ©nĂ©ral fur certains dĂ©fauts, quoiqu’on puiiTe craindre de leur ouvrir par-lĂ  les yeux fur les foibleifes des personnes qu’ils 46 RĂ©flexions prĂ©liminaires doivent respecter car on ne doit pas espĂ©rer qu’ils les ignoreront toujours & ils ne l'es remarqueront que trop vite. Mais quoiqu’on doive leur donner les vrais principes, & les prĂ©server d’imiter le mal qu’ils ont nĂ©celsairement devant les yeux , il faut pourtant rĂ©server de telles instructions pour l’extrĂ©mitĂ©, & les instruire en mĂȘme temps qu’ils font obligĂ©s de diffimuler, d’excuser, de supporter, les dĂ©fauts des autres , & fur-tout de leurs parens ; qu’ils doivent les couvrir eu quelque forte, comme les vertueux fils de NoĂ© , du manteau du respect, & n’arrĂȘter leurs regards que fur leurs bonnes qualitĂ©s. On seroit bien rarement dans la triste nĂ©cessitĂ© de prendre toutes ces prĂ©cautions Ă  l’égard des parens mĂȘmes, s’ils avoient un peu plus de prudence & de discrĂ©tion. Mais au lieu de cacher avec foin Ă  leurs enfans tous leurs dĂ©fauts, il semble que la plupart affectent de les leur montrer, & quelquefois de les leur ne se contente pas d’ĂȘtre vicieux ou libertin on fait de ses enfans par ses leçons & par ses exemples, une lucceffion & une gĂ©nĂ©ration de libertins. On n’est leur pere que pour leur transmettre ses vices, que pour leur faire sucer avec le lait ses maximes impies ou scandaleuses. Semblable Ă  ces parens L’ÊdUCATIOĂŻT. 4 f cruels, qu’une superstition barbare por- toit Ă  immoler leurs propres enfans au dĂ©mon de l’idolĂątrie, 011 les sacrifie dĂ©jĂ  en quelque forte au dĂ©mon de l’orgueil, de l’ambition, de la vengeance, de l’amour impur, dont on leur inspire, souvent pour toute leur vie, les premiers & pernicieux fentimens. Si l’Evangile prononce 1 e pl us terrible anathĂšme contre celui qui scandalise & porte au mal les petits & les foibles , s’il dĂ©clare qu’il vaudrait mieux pour lui qu’on lui attachĂąt une meule au cou, & qu’on le prĂ©cipitĂąt dans la mer ; combien un pere n’cst-il pas criminel ! & combien ne doit-il pas redouter les effets de la vengeance divine, lorsqu’il cause la perte Ă©ternelle de ses enfans en corrompant leur cƓur ! U11 autre mal ausiĂź grand, & dont nous n’avons Ă©tĂ© nous-mĂȘmes que trop souvent tĂ©moins, c’est que des parens, n’étant plus dans le cas ou dans l’ñge de donner certains mauvais exemples , les renouvellent souvent & les perpĂ©tuent, pour ainii dire, en regrettant les plaisirs de leur jeunesse, en racontant avec une forte de complaisance & de satisfaction la vieille histoire de leurs inclinations, de leurs foiblesses, de leurs vices, de mille choses dont ils ne devraient fa souvenir que pour en gĂ©mir & en rougir. Ils croient suffisamment rĂ©parer le tout. 48 RĂ©flexions prĂ©liminaires & prĂ©venir le mal, en recommandant de ne pas faire comme eux. Mais quelle force peuvent avoir de telles leçons, que l’exemple a dĂ©jĂ  dĂ©truites par avance. V. L’autoritĂ© & ie rejpeĂą. Des parens veulent que leurs enfans aient de P estime & du respect pour eux, & ils ont raison ; car ces deux sentimens fi justes , & si honorables pour les uns & pour les autres , font en mĂȘme temps si nĂ©cessaires & si essentiels , que fans cela il ne fera jamais faire aucun bien. Mais ils ne devroient pas du moins ĂȘtre les premiers Ă  les veulent-ils que leurs enfans les estiment & les refpectent , s’ils se montrent Ă  leurs yeux ridicules ou mĂ©prisables ? Pour vous, que des parens trop occupĂ©s ou trop indolens chargent de les remplacer,tĂąchez de vous faire toujours estimer & respecter T de vos Ă©leves, en veillant fur vous-mĂȘmes pour ne leur rien laisser voir qui ne soit estimable. Leur relpect Ă©tant le premier sentiment que vous devez exiger d’eux, ne souffrez jamais qu’ils le perdent impunĂ©ment. Mais pour cela il faut que les parens vous appuient ; & n’est-il pas de leur plus grand intĂ©rĂȘt de le faire, puisque vous tenez leur place , & que s’ils laissent affoiblir votre autoritĂ©, ils perdront infailliblement sur u’É ducation. 49 infailliblement beaucoup de la leur? Il ne peuvent se faire respecter eux-mĂȘmes, qu’en imprimant Ă  votre emploi toute la considĂ©ration & toute la dignitĂ© convenables. L’Empereur Thcodofc le Grand ayant fait venir de Kome Ă  Constantinople un homme de mĂ©rite, nommĂ© ArsĂšne, pour le charger de l’instruction du jeune Arcadius, qu’il venoit de dĂ©clarer Auguste , il lui donna toute l’autoritĂ© qu’il avoit fur son fils , & lui dit ces belles paroles Vous ferez dĂ©formais son pere plus que je ne le fuis moi-mĂȘme. Etant un jour entrĂ© dans la chambre oĂč ArsĂšne instruisoit Arcadius, il vit le maĂźtre debout, tandis que le disciple Ă©toit assis. 11 en tĂ©moigna de l'indignation , & fit mĂȘme des reproches au maĂźtre de ce qu’il ne confier voit pas assez sa supĂ©rioritĂ©. ArsĂšne s’excusa sur ce qu’il n’étoit pas de la biensĂ©ance qu’un Prince revĂȘtu de la pourpre, restĂąt debout devant lui. ThĂ©odose qui vouloit inspirer Ă  son fils un grand respect pour son maĂźtre, lui fit quitter aussi-tĂŽt les marques impĂ©riales, & lui ordonna de se tenir debout, la tĂȘte dĂ©couverte, devant son prĂ©cepteur assis. Quelque chose qui puisse arriver de 3a part des parens ou du prĂ©cepteur, ĂŒ faut qu’il paroisse y. avoir toujours Tome I. C fo RĂ©flexions PRÉLIMINAIRES une parfaite harmonie entre eux & lui. Ils doivent le soutenir de toute leur autoritĂ©, & sur-tout prendre garde Ă  ne jamais lui faire perdre la sienne, eu parlant de ses dĂ©fauts en prĂ©sence de son Ă©leve , ou en blĂąmant la conduite. Un maĂźtre peut manquer, & des parens doivent quelquefois l’en avertir, mais avec honnĂȘtetĂ© & politesse , & toujours en particulier. L’instituteur de son cĂŽtĂ© ne doit jamais parler Ă  son Ă©leve de scs parens qu’avet estime & respect. Il doit lui apprendre & lui rĂ©pĂ©ter souvent, que son bonheur ou son malheur est dans leurs mains ; qu’il tient de leur bontĂ© tout ce qu’il a ; qu’ils font pour lui l’image de la DivinitĂ© ; que Dieu leur a donnĂ©, par rapport Ă  lui, une partie de sa puissance, de sa bontĂ©, de fa justice ; qu’il ordonne de les aimer & de les respecter; & que le bonheur de cette vie & de l’autre n’est promis qu’aux enfans qui honorent leur pere & leur mere. Que les parens cachent Ă  leurs enfans toute la tendresse qu’ils ont pour eux ils en abuseraient. Le premier foin d’un enfant est de trouver l’endroit foible de ses maĂźtres & de tous ceux Ă  qui il est soumis. DĂšs qu’il a pu les entamer , il prend fur eux un ascendant qu’il ne perd plus. Etes-vous jaloux de conserver l’autoritĂ© sur l'Education. fs ‱S; le respect, qui vous sont II nĂ©cessaires pour le bien mĂȘme de vos enfans ne badinez jamais-avec eux d’une maniĂ©rĂ© indĂ©cente, comme avec un perroquet ou une poupĂ©e. Quand on estpere, peut-on ne pas sentir le respect qu’on doit Ă  son fsts & qu’on se doit Ă  soi-mĂȘme Flattez votre fils , dit l’EcclĂ©siastique, & il vous causera de grandes frayeurs jouez avec lui , N il vous donnera beaucoup de chagrins. Ne vous amusez pas Ă  rire avec lui , de peur que vous n'en ayiez de la douleur , ÂŁ quĂ  la fin vous n'en recueilliez des fruits amers qui vous feront grincer les dents si. L’ñge le plus tendre, il est vrai, a besoin de quelque indulgence & de quelques caressĂ©s mais auln-tĂŽt que l’esprit d’un enfant commence Ă  se former , le pere ne doit plus s’amuser Ă  rire & Ă  jouer avec lui, parce que cette familiaritĂ© le porteroit bientĂŽt Ă  traiter d’égal celui Ă  qui il doit toujours ĂȘtre soumis avec le plus grand respect, & dont il doit craindre les moindres paroles. Si vous continuez' Ă  jouer avec lui, vous perdrez beaucoup Ă  ce jeu-lĂ . Votre familiaritĂ© fera rĂ©compensĂ©e d’un mĂ©pris qui remplira votre vie de chagrins & d’amertumes. I La afili um , par entern teficlet ludecumeo , ccntriftahit te. Non corridcas ils ’, ne dolcas ; & in noviffimo tbflupefant dentĂ©s tui, Eccli. 30, C L f 2 RĂ©flexions prĂ©liminaires ,, Trois choses, dit l’Auteur des Con seils de la Sagesse , vous feront perdre nĂ©cessairement l’autoritĂ© fur votre fils rire avec lui & vous rendre trop familier , souffrir & dissimuler ses fautes, lui donner de mauvais exemples & faire paroitre devant lui vos foiblesses & vos sont-lĂ  les trois indiscrĂ©tions qui lui ĂŽtent le respect, & qui l’accoutument Ă  vous mĂ©priser. Evitez-les soigneusement car dĂšs que vous verrez votre autoritĂ© perdue, assurez-vous que votre fils est perdu lui-mĂȘme. „ Les en fans viennent en un Ăąge, oĂč il ne leur faut plus ni de lait, ni de caresses, ni de ris, ni de familiaritĂ©. Il faut toujours de l’amour ; mais en cet Ăąge, c’est Ă  votre fils de deviner que vous l’aimez ; ce n’est pas Ă  vous de le lui dire. Ayez une retenue & un silence qui fassent tout, qui le louent quand il fait bien, & qui le corrigent quand il manque. Ne lui Ă©pargnez pas les louanges ni les corrections mais faites en forte, s’il est possible, que les unes & les autres ne se donnent que par les yeux. Quand il a bienfait, qu’il soit ravi de vous voir, & qu’il prenne cela pour fa rĂ©compense. Quand il a mal fait, que votre prĂ©sence & votre tristesse soient tout son supplice “. SUR i’ÉDUCAT ON. g? VI. Les Punitions. Votre Ă©leve fera des fautes ; il est de ' l’enfance,de l’humanitĂ© mĂȘme d’en faire mais si vous ĂȘtes attentif, il en fera peu. Les enfans ne font presque jamais punissables , qu’il n’y ait plus de la faute de ceux qui les conduisent que de la leur. Plus votre conduite fera Ă©gale & soutenue , moins il olĂšra s’écarter de ce que vous lui prescrirez. Plus vous mettrez de douceur, d’affection & de bontĂ© dans vos leçons & dans vos remontrances, plus il lui fera facile de s’y conformer. Plus vous l’avertirez de ses devoirs , moins il fera en danger d’y manquer. Soyez doux, mais ferme. Ne faites point de menaces inutiles ou infructueuses l’enfant s’y accoutumeroit, & les fausses menaces lui feroient mĂ©priser les vĂ©ritables. Une punition oubliĂ©e ou nĂ©gligĂ©e le rendroit plus hardi par l’el- poir de l’impunitĂ©. Soyez donc exact Ă  lui tenir parole lorsqu’il a osĂ© faire ce que vous lui aviez dĂ©fendu sous peine d’ĂȘtre puni mais ne le soyez pas moins Ă  lui donner les rĂ©compenses que vous lui avez promises, & ne lui promettez jamais que ce que vous voulez lui donner. On perd toute confiance,dans l’elprifc des enfans, quand on leur manque de parole ; & c’est leur apprendre par fou j?4 RĂ©flexions prĂ©liminaires exemple Ă  faire ce qui n’est permis a l’égard de personne. Ils font naturellement sincĂšres & vrais. Si l’on ne veut pas leur faire perdre cette qualitĂ© prĂ©cieuse ; toutes les paroles qu’on leur dit, doivent servir Ă  leur faire aimer la vĂ©ritĂ©. U ne faut donc jamais , quelque petits qu’ils loient, employer aucune feinte pour les appaiser, ou pour leur persuader ce qu’on dĂ©sire. Les enfans font plus pĂ©nĂ©trais qu’on ne croit; & dĂšs qu’ils ont apperçu quelque duplicitĂ© dans ceux qui les gouvernent , non-feulement ils perdent la simplicitĂ© & la confiance qui leur font naturelles , mais il apprennent l’artifice qu’ils n’oublieront jamais. Le mensonge bientĂŽt oifrira son secours Ă  la dissimulation il leur aura malheureusement rĂ©ussi une fois , ce fera pour eux un motif d’en continuer & d’en multiplier l’ des enfans devenus cachĂ©s , dissimulĂ©s, menteurs; & tout cela est l’ouvrage d’une- imprudence. Ne punilĂŻ'ez jamais un enfant des fautes qu’il n’a point faites, ou sĂ©vĂšrement de celles qui font lĂ©gĂšres. Les enfans savent ausiĂź-bien que personne ce qu’ils mĂ©ritent ; ils connoilsent si c’est Ă  tort ou avec raison qu’on les chĂątie, & ne se gĂątent pas moins par des peines injustes que par l’impunitĂ©. Lans vos rĂ©primandes & dans vos sur l’Education. ss punitions possĂ©dez-vous toujours , & tĂąchez d’ĂȘtre assez maĂźtre de vous-mĂȘme pour ne laisser paroĂźtre aucune passion , aucune humeur. „Fouetter les enfans & les chĂątier Ă©tant en colere , dit Mon. tagne, ce n’est plus correction; c’est vengeance. Les chĂątimens qui. se font avec poids & discrĂ©tion, se reçoivent bien mieux, & avec plus de fruit de celui qui les souffre. Nous ne devrions jamais mettre la main fur ceux qui doivent nous obĂ©ir, tandis que la colere dure. Pendant que le pouls nous bat, & que nous sentons l’émotion, remettons la partie car c’est la passion qui commande alors , ce n’est pas nous. " La colere jointe Ă  la correction, est un poison mĂȘlĂ© dans une excellente mĂ©decine. Si vous donnez l’un avec l’autre, vous perdrez votre fils , en croyant re r mĂ©dier Ă  son mal & le guĂ©rir. Soyez sĂ©vere en paroles & en actions quand il faut l’ĂȘtre; tĂ©moignez de l’indignation, quand les fautes le mĂ©ritent La trisiejjc du visage corrige le coupable l . Mais sachez ĂȘtre redoutable sans ĂȘtre en fureur , ferme & inflexible fans ĂȘtre dur & violent ayez Pair d’un juge, & le cƓur 1 J Per tristiiiam yultĂ»s çorrigituranĂŻmus Jclin7un- sis, Eccli, 7 . C 4 56 RĂ©flexions prĂ©liminaires d’un pere que l’amour dicte vos paroles & conduise votre main. Si vous voulez que votre correction soit utile, observez aussi de ne jamais punir lorsque Pensant est dans quelque fougue ou dans le fort de l’entĂȘtement attendez que l’agitation de son ame soit calmĂ©e. Les en sa ns font des especes de fous, aux caprices desquels il faut quelquefois fe prĂȘter si l’on s’obstinoit Ă  fe roidir contre eux,ils s’obstineroient peut- ĂȘtre de leur cĂŽtĂ©, fe rĂ©volteroient ou s’endurciroientaux chĂątimens, & fcrme- xoient ainsi toutes les voies de les corriger. La prĂ©cipitation Ă  les punir paroĂźt avoir un air de vengeance, qui produit en eux des fentimens tout contraires Ă  ceux qu’on veut leur inspirer. Ne punissez donc jamais un enfant ni dans son premier mouvement ni dans le vĂŽtre. Si vous le faites dans le vĂŽtre, il s’apperçoit que vous agissez par humeur & par promptitude, & non par raison & par amitiĂ© vous perdez'fans ressource votre autoritĂ©. Si vous le corrigez dans son premier mouvement, il n’a pas l’est prit assez libre pour avouer lĂ  faute, pour vaincre fa passion & pour sentir l’importance de vos avis c’est mĂȘme l’exposer Ă  perdre le respect qu’il vous doit, Ă  dire ou faire de nouvelles sottises. Le Duc de Berry, petit-fils de Louis XIV» SUR l’ É I> U CA T I 6 S. ff ©tant encore fort jeune, faisoit souvent de petites fredaines, & le Roi lui ordon- noit les arrĂȘts dans fa chambre. Un jour son sous-gouverneur fit fermer les fenĂȘtres , disant que les prisonniers ne dĂ©voient pas voir le jour. Vous me faites lien saisir , lui dit le jeune Prince, puisque vous me garantissez par-lĂ  d’ime vision au fi dĂ©sagrĂ©able que la vĂŽtre. AprĂšs cela, il le mit Ă  battre du tambour avec les doigts fur une table. Le fous-gouverneur trouva encore cela mauvais, & pria le Prince de ne point*toucher Ă  cette table, puisqu'elle ne lui appartenoitpas, & que tous les meublas Ă©toient au Roi. Oh ! pour le coup , repartit le petit Prince dĂ©pitĂ© , vous ne me disputerez pas que ceci ne soit Ă  moi. En mĂȘme temps il se mit Ă  battre sur ses fesses. Le fous-gouverneur prit sagement le parti d’en rester lĂ . Il faut, pour punir les enfans avec fruit, beaucoup de modĂ©ration, de prudence & d’adresse. La maniĂ©rĂ© dont M. de FĂ©nelon corrigeoit le jeune Duc de Bourgogne, Ă©toit excellente. Lorsque ce Prince tomboit dans un de ces em- portemens ordinaires Ă  l’enfance , fou sage instituteur laissoit passer ce moment d’orage oĂč la raison n’auroit pas Ă©tĂ© entendue. Mais dĂšs ce moment tout ce qui l’approchoit, avoit ordre de le servir n filence » & de lui montrer im visage f§ RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES morne. Ses exercices mĂȘme Ă©toient suspendus. Il scmbĂźoit que personne n’osĂąt plus communiquer avec lui, & qu’on ne le crut plus digne de parler avec les hommes. BientĂŽt le jeune Prince Ă©pouvantĂ© de fa solitude, troublĂ© de l’eflfoi qu’il infpiroit, ne pouvant plus vivre ni avec lui ni avec les autres, venoit'demander grĂące. L’habile maĂźtre alors profitant de ses avantages , faisoit sentir au Prince toute la honte de ses Fureurs sa voix paternelle pĂ©nĂ©troit dans un cƓur ouvert Ă  la vĂ©ritĂ© &au repentir , & les larmes de son Ă©Jeve arrosaient ses mains. On ne peutrWn lire dĂ©plus sage ni de plus judicieux, que ce qu’il dit lui-mĂȘme dans son TraitĂ© de l’Education des filles, sur la maniĂ©rĂ© de conduire & de corriger les en sans. Les rĂ©flexions qu'il fait Ă  ce sujet, ainsi que la plupart des nĂŽtres, peuvent Ă©gale ment servir aux deux sexes. „ Ne prenez jamais, dit-il , fans une extrĂȘme nĂ©cessitĂ©, un air austere & impĂ©rieux qui les fait trembler. Vous leur fermeriez le cƓur & leur ĂŽteriez la confiance , fans laquelle il n’y a nul fruit Ă  espĂ©rer de l’éducation, faites-vous aimer d’eux. Qu’ils soient libres avec vous, & qu’ils ne craignent pas de vous laisser voir .leurs dĂ© sauts. Soyez indulgent Ă  ceux qui ne se dĂ©guisent point devant vous. Ne paroissez ni Ă©tonnĂ© ni irritĂ© de leurs man- SUR L’EdĂŒCATIOÜ. fg vaises inclinations au contraire,compatissez Ă  leurs foiblesses. Quelquefois il eu arrivera cec inconvĂ©nient, qu’ils seront moins retenus par la crainte mais Ă  tout prendre, la confiance & la sincĂ©ritĂ© leur sont plus utiles que l’autoritĂ© rigoureuse. D’ailleurs l’autoritĂ© ne laissera pas de trouver sa place,si la confiance & la persuasion ne sont pas assez fortes. Mais il faut toujours commencer par une conduite ouverte, gaie , & familiĂšre fans bassesse, qui vous donne moyen de voir agir les enfans dans leur Ă©tat naturel, & de les connoĂźtre Ă  fond autrement on en fait des hypocrites , & on les dĂ©goĂ»te du bien, dont on doit chercher uniquement Ă  leur inspirer l’amour. „ Les enfans ont la tĂšte foible, & leur Ăąge ne les rend encore sensibles qu’au plaisir. 11 ne faut donc pas demander d’eux une exactitude &un sĂ©rieux, dont souvent ceux qui l’exigent seroient incapables. Outre qu’il eit Ă  craindre qu’on ne fasse par-lĂ  une dangereuse Impression de triitesse & d’ennui sur leur tempĂ©rament , on obscurcit leur esprit, on abat leur courage. S’ils font vifs, on les irrite s’ils font mous, on les rend stupides. La- contrainte trop grande jette un enfant dans la timiditĂ© & dans la crainte,pallions assoiblissantes qui dĂ©truisent les forcesj& la vigueur, 6o RĂ©flexions prĂ©liminaires „ Quoiqu’on ne puisse guere espĂ©rer de se passer toujours d’employer la crainte pour le commun des enfansdontle naturel est dur & indocile, il ne faut pour- tanty avoir recours qu’aprĂšs avoir Ă©prouvĂ© tous les autres remedes. La crainte est comme les remedes violens, qu’on emploie dans les maladies extrĂȘmes ils purgent, mais ils altĂšrent le tempĂ©rament & usent les organes. Une ame menĂ©e par la crainte, en est toujours plus, foible. il ne faut donc en venir lĂ  , que quand on ne fĂ uroit faire autrement. „ Au reste, quoiqu’il ne faille pas toujours menacer fans chĂątier , de peur de rendre les menaces mĂ©prisables , il faut pourtant chĂątier encore moins qu’on ne- menace. Pour les chĂątimens, la peine doit ĂȘtre aussi lĂ©gĂšre qu’il est possible, mais accompagnĂ©e de toutes les circonstances qui peuvent piquer l’enfant de honte & de remords. Montrez-lui tout ce que vous avez fait pour Ă©viter cette extrĂ©mitĂ©. „ Ne dites point Ă  l’enfant son dĂ©faut, sans ajouter quelque moyen de le surmonter , qui l’encourage Ă  le faire. Car il faut Ă©viter le chagrin & le dĂ©couragement que la correction inspire quand elle est sĂšche “. Il faut passer aux enfans tout ce qui ne menĂ© point an mal,& les en avertir feule- sur l’Éducation, 6 % ment fans les en douceurn’est point perdue. Ils font si aises de trouver de l’indulgence oĂč ils craignoient de la sĂ©vĂ©ritĂ© , qu’ils en deviennent beaucoup plus dociles, & plus disposĂ©s Ă felaisser conduire dans les choies importantes. La trop grande sĂ©vĂ©ritĂ© fait perdre l’amour» & ce n’est pas conserver son autoritĂ© que de la trop faire sentir au contraire , il saudroit tĂącher de ne la point rendre incommode ni odieuse , afin qu’on ne cherchĂąt pas Ă  s’y soustraire. Votre Ă©leve fera des fautes par ignorance il oubliera ce que vous lui aurez dit, parce qu’on l’aura distrait, il brisera ou renversera quelque chose par Ă©tourderie il mĂ©nagera peu ses vĂȘtemens. Ces bagatelles viennent de l’ñge , & ne tirent point Ă  consĂ©quence pour l’avenir. Il faut l’en avertir t mais il ne faut pas l’en punir, Ă  moins qu’il n’y eĂ»t mauvaise intention. Ce sont pourtant ces bagatelles que des pareils intĂ©ressĂ©s puniront plus que ce qui mĂ©riteroit bien davantage de l’ĂȘtre. Une dĂ©sobĂ©iisance, un trait d’humeur » un mensonge, une parole mal-honnĂȘte, un coup donnĂ© par colere , une dilpute avec ses ItĂ©rĂ©s ou sƓurs, tout ce qui peut ĂȘtre le germe d’un vice, tout ce qui annonce de la baiseise dans les sentimens, de la jalousie, de la gourmandise, de 6r RĂ©flexions prĂ©liminaires l’insensibilitĂ© ; voilĂ  des fautes punissables. Ces mĂȘmes fautes deviendront des crimes du premier ordre , quand il y aura intention marquĂ©e, rĂ©cidive ou habitude car il faut considĂ©rer les fautes d’un enfant, moins par ce qu’elles font, que par leur principe & par les suites qu’elles peuvent avoir. La punition des fautes lĂ©gĂšres, ce fera de le mettre quelque temps aux arrĂȘts, avec la menace , s’il y retombe , de les lui reprocher devant tout le monde. Il vous priera de n’en rien faire. AprĂšs lui avoir pardonnĂ© une fois ou deux, soyez inexorable. Bien-loin de dissimilier les fautes ou de les excuser, il faut en parier avec force , afin de frapper l’enfant & de l’humilier davantage. La punition des grandes fautes fera la privation de toute caresse, de toute amitiĂ© de la part de ses pareil s ; on y joindra , suivant l’énormitĂ© de la faute, toutes les autres privations, fur-tout des choses qu’il aime le plus. En ne les lui accordant que lorsqu’on a lieu d’ĂȘtre content de lui, il les estimera davantage, les recevra avec plus de plaisir, & n’en abusera jamais ; il s’efforcera mĂȘme de les mĂ©riter de plus en plus. Si au contraire on les lui prodigue fans mesure, fans discernement, fans Ă©gard Ă  fa bonne ou Ă  fa mauvaise enduite j bientĂŽt il n’en fera plus de cas, sur l’Éducation. 6 % croira qu’elles lui font dues , & n’en deviendra que plus difficile ou plus, vicieux. Vous le laisserez, durant tout le temps de fa punition, dans un extĂ©rieur nĂ©gligĂ©. Vous ne lui accorderez d’amufemens, qu’autant qu’il en faut pour l’empĂȘcher de tomber dans la langueur & dans, l’abattement.. Vous ferez froid avec lui, mais fans cesser d’ĂȘtre doux. Il aura beau promettre d’ĂȘtre plus raisonnable, ses promesses ne seront point Ă©coutĂ©es. Pour obtenir fa grĂące, il faudra qu’il la mĂ©rite; & elle ne fera jamais accordĂ©e qu’à l’excĂšs- de fi douleur & Ă  fa bonne conduite. Quand il en aura donnĂ© des marques certaines quelques jours de fuite ; alors vous lui rendrez ses habits ordinaires, ses amulĂšmens, votre amitiĂ© & celle de ses parens, en lui faisant sentir toute la diffĂ©rence de ce nouvel Ă©tat. Si l’enfant, est bien Ă©levĂ©, cette grande punition ne peut avoir lieu que rarement. Si l’on a Ă©tĂ© attentif Ă  le punir des petites fautes * il ne s’exposera pas souvent Ă  en faire de grandes. A l’égard des verges, il ne doit pas en ĂȘtre question dans une Ă©ducation bien ‱conduite, si ce n’est peut-ĂȘtre dans l’ñge oĂč la douleur est le seul langage que l’enfant puisse entendre ; ou bien lors qu’ayant Ă©tĂ© prĂ©cĂ©demment gĂątĂ©, soit 44 RĂ©flexions prĂ©liminaires parce qu’il a Ă©tĂ© malade , soit par nĂ©gligence , il est parvenu Ă  ce point d'opiniĂątretĂ© de dire positivement non. Alors comme il est de la plus grande importance de ne lui pas cĂ©der , c’est avec la verge qu’il faut lui rĂ©pondre. Dans tout autre cas, & dĂšs que l’enfant est capable d’un sentiment honnĂȘte , les verges doivent ĂȘtre bannies. Il faut le rendre sensible Ă  la honte , si vous voulez qu’il le devienne Ă  l’honneur. On ne fait usage du fouet si souvent, que par humeur ou par incapacitĂ©. On rend ce chĂątiment inutile, en le rendant trop frĂ©quent ; & par la maniĂ©rĂ© dont on l’emploie , on n’y attache pas assez de honte. Il fand toit qu’il fĂ»t l’annonce & le prĂ©lude de toutes les autres punitions possibles , & que ces punitions lui suis eut imposĂ©es, parce qu’il s’est fait traiter comme un enfant fans ame & fans honneur. Alors ce chĂątiment deviendroit pour lui un Ă©vĂ©nement unique, dont la feule idĂ©e le feroit frĂ©mir au lieu que de la façon dont on s’y prend,il s’accoutume Ă  cette punition comme Ă  toute autre, & n’y gagne qu’un dĂ©faut de plus. Les coups font des chĂ timens serviles qui avilissent l’ame, lors mĂȘme qu’ils corrigent des dĂ©fauts, si toutefois ils en corrigent , car leur effet ordinaire est d’endurcir Ă  force de frapper. sur l’Éducation. 6 s Vil. Les Sentimcns. La meilleure Ă©ducation est celle oĂč l’on n’inspire rien que par le canal de la raison & de l’honneur. MĂ©nagez la sensibilitĂ© de votre Ă©le've, & vous aurez mille moyens de le rĂ©compenser ou de le punir. Qu’il craigne plus que tout le reste de perdre votre amitiĂ© faites-la lui valoir. J’ai vu des enfans fort jeunes, plus charmĂ©s d’ĂȘtre les amis de leur maĂźtre que de toutes les autres choses c’est qu’on les Ă©levoit ainsi. Accoutumez le vĂŽtre Ă  penser noblement ; cela n’est pas si difficile qu’on le croit le principe de l’honneur est dans les enfans comme dans les hommes faits, puisque l’amour de soi - mĂȘme & de l’estime des autres y est ; il n’est question que de le bien diriger, & de l’attacher invariablement Ă  ce qui est honnĂȘte & vraiment digne d’éloge. Les enfans ne jugent des choses que par le prix qu’on y met. Mettez Ă  un haut prix celles que vous voudrez que le vĂŽtre estime, & vous verrez qu’il les estimera. Faites-lui faire une chose louable , pour mĂ©riter d’en faire une autre c’est une excellente pratique , qui tournera toute entiĂšre au profit de la vertu. Accordez-lui les choses de son Ăąge, parce qu’elles sont nĂ©celĂŻĂ ires Ă  sis 66 RĂ©flexions prĂ©liminaires foiblesse & qu’elles l’amusent ; mais ne les lui proposez point comme des rĂ©compenses dignes de lui. Cherchez ces recompenses dans des objets qu’il doive aimer, & dont il doive faire cas toute fa vie placez-les dans les caresses & dans l’amitiĂ© de sesparens, dans quelque devoir de religion qu’il n’ait point encore rempli , dans quelque acte de bienfaisance envers des malheureux, dansl’ac- quilĂźtion de quelques beaux livres, de quelque? cartes utiles qu’on lui aura fait dĂ©lirer, dans le plaisir d’apprendre quelque chose qu’il ignore. Qu’il ait une noble envie de faire mieux que les autres, & de mĂ©riter d’ĂȘtre louĂ©. On n’est guere sensible au blĂąme, quand on ne l’est pas Ă  l’éloge. C’est ainsi qu’on peut Ă©lever Ion ame au-dessus des sentimens de son Ăąge. EchauffĂ©e par l’émulation & par l’amour de la gloire, elle s’ouvrira d’elle-mĂȘme Ă  toutes les semences de raison & de vertu que vous voudrez y rĂ©pandre. Toute l’activitĂ© qui l’auroit entraĂźnĂ©e vers le mal, le portera vers le. bien. A mesure que vous y verrez croĂźtre ces semences prĂ©cieuses que vous y aurez versĂ©es, cultivez-les par les mĂȘmes moyens que vous les aurez fait naĂźtre. Caressez, louez, applaudissez. DĂšs que de son propre mouvement il aura fait sur l’Education. 67 eu pensĂ© quelque chose digne d’éloge , ne manques pas de l’en fĂ©liciter aufli- tĂŽt que tout le monde vienne lui faire compliment avec un air de considĂ©ration, Nous avons dit que les parens dĂ©voient ĂȘtre mĂ©nagers de leurs caresses ; mais ceci eit un cas Ă  part, c’est le seul oĂč il leur soit permis de laisser Ă©clater toute leur tendresse. Puisque l’enfant a Ă©tĂ©- capable d’un sentiment vertueux , il faut pour l’instant le regarder comme un homme fait, & lui rendre l’hommage qu’on doit Ă  la sagesse & Ă  la vertu. La Rochefoucault dit que l’éducation qu’on donne d’ordinaire aux enfans, est un second amour-propre qu’on leur inspire. Il semble en effet qu’on ne sache les louer que fur leur esprit, leur figure leurs habiĂŒemens, Sont-celĂ  les objets- qu’il faut leur prĂ©senter comme estimables ? veut-on les rendre fats, prĂ©somptueux, frivoles? C’est pourtant tout ce que peuvent produire ces ridicules & mĂ©prisables louanges. Ce qu’il faut louer devant eux , ce font les choses vĂ©ritablement louables. Ce qu’on doit louer en eux, c’est leur douceur , leur obĂ©issance,, leur exactitude Ă  remplir leurs devoirs , leur respect & leur attachement pour les personnes qu’ils doivent respecter & aimer. Dites Ă  votre Ă©leve, que lorsqu’on loue 6g RĂ©flexions prĂ©liminaires un enfant sur sa figure ou sur ses habits, c’est qu’on ne voit rien autre chose en lui qui mĂ©rite d’ĂȘtre louĂ©. Qu’il rĂ©ponde Ă  ceux qui le loueront de la sorte, que ce n’est pas lĂ  ce qui fait le mĂ©rite de l’homme, mais la bonne conduite &la sagesse. Si votre fils, & plus encore, fi votre fille est belle, & qu’elle ne l’ignore pas, rĂ©pĂ©tez-lui souvent que la beautĂ© sans le caractĂšre n’est rien faites-lui fans cesse l’éloge de la vertu & du bon esprit; dites-lui que ce font lĂ  les premiers agrĂ©mens & les seuls qui soient durables i . Il faut fans doute qu’un enfant ait des sentimens ; mais on doit prendre garde qu’ils n’aillent trop loin, & qu’ils ne dĂ©gĂ©nĂšrent en fiertĂ©. Dans l’homme le vice est si prĂšs de la vertu ! Elevez le vĂŽtre dans la modestie. Si vous lui inspiriez de la hauteur & de l’orgueil, vous en seriez la premiĂšre victime. ĂŒu lieu de nourrir la vanitĂ© d’un enfant de condition, en portant ses regards fur les avantages de fa naissance & de son rang, ou lĂčr les grandes richesses dont il doit ĂȘtre un jour possesseur, dĂ©tournez-les avec foin de ces i On peut fe servir des mĂȘmes moyens, popĂź »liftier celle qui auroit le malheur d’ĂȘtre laide. sur l’Éducation. 69 bjets que la flatterie se plaĂźt Ă  leur offrir; & Ăąxez-les sur sou Ă©tat prĂ©sent. Faites-lui voir qu’il est dĂ©pourvu de tout ce qui mĂ©rite l’estime des hommes ; qu’il n’a presque encore niicience, ni raison, ni vertus ; qu’il ne peut rien par lui- mĂȘme, qu’il a besoin des autres, & que personne n’a besoin de lui. On ne sauroit trop faire sentir aux enfans leur foiblesse & leur dĂ©pendance. Induits dĂšs leur naissance, parla mollesse dans laquelle ils font nourris, par les Ă©gards que tout le monde a pour eux, par la facilitĂ© d’obtenir tout ce qu’ils dĂ©lirent, Ă  penser que tout doit cĂ©der Ă  leurs fantaisies, les jeunes gens de qualitĂ© entrent dans le monde avec cet impertinent prĂ©jugĂ© , & souvent ils ne s’en corrigent qu’à force d’humiliations, d’affronts & de dĂ©plaisirs. Epargnez Ă  votre Ă©leve cette seconde A mortifiante Ă©ducation, en lui donnant par la premiĂšre une plus juste opinion de lui-mĂȘme & des autres. Apprenez- lui, lorsqu’il sera capable de recevoir cette instruction, que l’amour de soi, sage & bien ordonnĂ©, ne cherche Ă  nous rendre heureux qu’en agissant de maniĂ©rĂ© que tous les autres le soient avec no us au lieu que l’amour-propre, toujours injuste & exclusif, cherche son bonheur aux dĂ©pens des autres & ne le trouve jamais. 70- RĂ©flexions prĂ©liminaires Pour confondre l’orgueil qui vient de la naissance, des titres, du faste & des richesses, Ă©clairez-le au flambeau de la raison sur tous ces objets faites- lui en voir le nĂ©ant & le prĂ©jugĂ©. Instrui- fez-le Ă  peser les mĂ©rites plus que les richesses, Ă  compter les vertus plus que les titres. Louis Dauphin, pere du Roi Louis XVI, donna une belle instruction Ă  ses trois fils contre l’orgueil qu’inspire la naissance. Lorsqu’on leur eut suppléé les cĂ©rĂ©monies du BaptĂȘme , il leur fit observer que leurs noms Ă©toient inscrits fur les registres de l’Eglise avec ceux des autres enfans qui avoient Ă©tĂ© baptisĂ©s avant eux. Vous voyez, leur dit-il, que vos noms font ici mĂȘlĂ©s & confondus avec ceux du peuple. Cela doit vous apprendre que les distinctions dont vous jouissez, ne viennent pas de la nature , qui a fait tous les hommes Ă©gaux il n’y a que la vertu qui mette entre eux une vĂ©ritable diffĂ©rence ; & peut - ĂȘtre que l’enfant d’un pauvre, dont le nom prĂ©cĂ©dĂ© le vĂŽtre, fera plus grand aux yeux de Dieu, que vous ne le ferez jamais aux yeux des peuples. Ne donnez point de titres Ă  votre Ă©leve, & ne souffrez pas qu’on lui en donne s’il en a , il suffira qu’il les con- noilfe quand il entrera dans le monde. Mais souvent la vanitĂ© des peres, Ă  sur l’Education; jt des meres encore p!us , aime Ă  prĂ©venir ee temps , & on les voit appeler eux- mĂȘmes leur fils , Monsieur le Marquis , le Comte , le Chevalier , ou simplement Monsieur , comme s’il y avoit au monde un titre plus beau, plus honorable & plus doux que celui de la nature. Que votre Ă©leve soit attentif & poli. Qu’il reçoive avec reconnoissance les bontĂ©s qu’on aura pour lui. Que personne ne soit son complaisant ni son adulateur. Le grand Dauphin, dit Madams de SĂ©vignĂ©, Ă©tant jeune, s'amusait Ă  tirer au blanc, & droit fort loin du but. Le Duc de Montausier son gouverneur, se moqua de lui, & dit au Marquis de CrĂ©qui, qui Ă©toit fort adroit, de tirer. Mais ce jeune Seigneur qui cherchoit dĂ©jĂ  Ă  faire sa cour, tira un pied plus loin que le Dauphin. Ah ! petit corrompu, s’écria M. de Montausier, il faudroit vous Ă©trangler. Il ne lui permit plus de jouer avec son Ă©leve. Faites de mĂȘme Ă  l’égard du vĂŽtre Ă©loignez de lui tous les flatteurs. Si son rang ne vous permet pas de le garantir de certains respects ; qu’il sache que c’est Ă  ses parens qu’ils s'adressent , & que ces distinctions font le prix de leurs bienfaits & de leurs vertus , encore plus que de leur naissance ou de leurs dignitĂ©s. 72 REFLEXIONS prĂšlimt AIRES Qu’il ne commande Ă  personne qu’il demande avec douceur qu’il remercie avec politesse. S’il commande ; que tout le monde soit sourd, & que le mot je veux , s’il sort de sa bouche , soit un arrĂȘt de refus prononcĂ© par lui-mĂȘme. Que les domestiques soient avertis de lui refuser tout ce qu’il ne demandera pas civilement. S'il reçoit un service ou un prĂ©sent de personnes au-dessous de lui ; qu’il leur en tĂ©moigne si reccmnoiffance , qu’il les rĂ©compense ou leur rende au-delĂ  de ce qu’il a reçu. S’il brise quelque chose qu’on lui aura confiĂ©; qu’il rĂ©pare le dommage par un prĂ©sent qui y soit supĂ©rieur. Que tout cela se fasse par ses mains & de son argent. C’est ainsi qu’on lui en apprendra l’usage, & qu’en mĂȘme temps on lui inspirera les premiers sentimens d’humanitĂ© , de bontĂ©,de gĂ©nĂ©rositĂ©, de justice. Puisqu’on donne de l’argent aux enfans, il ne faut pas que ce soit pour l’amasser comme quelques parens le recommandent, ni pour le dĂ©penser en fantaisies comme c’est l’intention de beaucoup d’autres ; Ă  moins qu’on n’ait envie de les rendre avares ou dissipateurs. La plupart font avides de recevoir, lents Ă  donner. Que le vĂŽtre donne volontiers & de bonne grĂące qu’il s’empresse Ă  partager avec les frĂ©tĂ©s & sƓurs ou sĂŒu l’ Education. 7; ou avec d’autres ce qu’il a reçu pour lui seul ; linon, qu’il en soit privĂ©. Dites-lui souvent qu’aimer Ă  donner est la marque d’un bon cƓur & d’une grande ame. Denis le Tyran voyant dans la chambre de son, fils plusieurs ouvrages d’or & d’argent qu’il lui avoit donnĂ©s Tu n’es pas digne de rĂ©gner , lui dit-il, puisque tu ne t’es pas encore fait des amis de ces prcfens que je t’ai donnĂ©s. Qu’il reçoive difficilement des Ă©trangers ; qu’il ne demande jamais. Appre- nez-lui qu’il est humiliant de recevoir , qu’il est doux de donner, & que c’est un devoir pour ceux qui font dans l’abondance, par rapport Ă  ceux qui font dans le besoin. S’il rencontre un pauvre ou un malheureux; qu’il lui donne quelque secours. Racontez-lui le beau trait que fit Ă  quatorze ans le jeune Duc de Berry petit-fils de Louis XIV. Un pauvre Officier rĂ©formĂ© trouva un moment propre Ă  lui exposer ses besoins. Le Duc de Berry rĂ©pondit qu’il Ă©toit bien fĂąchĂ© de ne pouvoir pas Paflister fur le champ, mais qu’il devoir toucher le lendemain son mois , & qu’il pour oit lui donner ce jour - lĂ  quelque secours Ă  la chasse , oĂč il lui dit de le joindre. L’Officier fut ponctuel au rendez-vous. DĂšs que le jeune Prince le vit, il lui mit dans la main une bourse oĂč il y avoir trente louis c’étoit tout Tome I. D 74 RĂ©flexions prĂ©liminaires ce qu’il avoit reçu pour ses menus plaisirs d’un mois. Le soir les Princes firent une partie de Duc de Berry s’excusa de jouer il allĂ©gua plusieurs raisons dont on ne se paya pas, & il fut obligĂ© de dire la vĂ©ritable. On lui demanda ce qu’il avoit fait de son argent. Il avoua qu’il l’avoit donnĂ© Ă  un pauvre Officier rĂ©formĂ©, & qu’il avoit mieux aimĂ© se priver de ses plaisirs, que de laisser mourir de faim un homme qui avoit bien servi le Roi. On vĂ©rifia le fait qui se trouva vĂ©ritable & fut admirĂ©. MĂȘlez souvent Ă  vos leçons de pareils exemples une feule action vertueuse est plus persuasive que dix traitĂ©s fur la vertu. Portez votre Ă©leve au bien par des exhortations touchantes,par des exemples srap- pans ; car c’est par la persuasion & par des images sensibles , bien plus que par des leçons seches ou des chĂątimens, qu’on peut faire naĂźtre dans son jeune cƓur l’amour des vertus dont il aura besoin pour son bonheur & pour celui des autres hommes. VIII. Le temps g? la maniĂ©rĂ© d'inflruirc. Si vous voulez retirer du fruit de vos instructions, choisissez votre temps. Ce n’est pas quand l’enfant est dissipĂ©, que les choses sensĂ©es qu’on lui dit peuvent faire impression fur lui; c’est dans le sur. l’Éducation. 75 particulier, quand son ame est tranquille &son'esprit recueilli. Ne nĂ©gligez nĂ©anmoins aucune occasion de l’instruire tout en jouant avec lui, mais en peu de mots & comme en pas faut les sermons trop longs ou trop multipliĂ©s ennuient & rebutent tout le monde, Ă  plus forte raison les enfans. J’ai Ă©tĂ© jeune autrefois, dit Salomon, tendrement aimĂ© de mon pere, & gouvernĂ© par ma mere qui me tenoit toujours auprĂšs d’elle pour y recevoir autant d’instructions que j’y recevois de caresses. Je 11’y perdois point le temps, mĂȘme durant le jeu car, tandis que je prenois les divertissemens de mon Ăąge, elle vou- loit que j’eusse toujours l'esprit attentif & le cƓur ouvert pour Ă©couter, parce- qu’elle avoir toujours quelque bonne parole Ă  me dire. Son discours le plus ordinaire Ă©toit Mon fils, aimez la sagesse & la vertu plus que tous les biens du monde le reste n’est que vanitĂ©. Il n’y a de vrai bien que ce qui vous rendra honnĂȘte homme, ni de vraie grandeur que ce que Dieu estimera dans vous. Observez sa loi & obĂ©issez Ă  les volontĂ©s. 1 Que la sagesse, ajoute un de seĂą Cl Nam LT' ego filins fui patris mei,teneĂŒus LT' unigenittcs torammatre meĂą ; ÂŁ f docebat me atque dicebat ; Sufcipiat verba mea cortuum ; poÛtde fapientiam , &c. Frov. 4. D - 16 RĂ©flexions prĂ©liminaires meilleurs InterprĂštes i , a de grandes inventions en de petites choses ! qu’elle a une politique sublime & relevĂ©e en la conduite d’un enfant qui sort du berceau ! que voici de beaux & d’admirables conseils dans un illustre exemple ! Aimer un enfant tendrement, fans gĂąter la fleur de son Ăąge ni flĂ©trir la candeur de son innocence & de sa simplicitĂ©; l’arrĂȘter auprĂšs de soi, fans le gĂȘner; le tenir dans la crainte & dans le devoir, sms lui ĂŽter la libertĂ©; faire en forte qu’il ne perde ni le respect durant les familiaritĂ©s ,ni l’amour dans les corrections, ni le temps durant le jeu ; qu’il apprenne toujours quelque chose qui l’aide Ă  devenir fige, & que sur chaque accident qui arrive on lui salle une utile leçon. Qu’il est beau de voir une mere faire sucer Ă  son fils avec le lait les premiĂšres douceurs de la sagesse, & imprimer de bonne heure en ion ame cette maxime Qu'il n y a point sur la tare d’autre fĂ©licitĂ© que de vivre selon les lois de la raison es de lajuJHce ; lui redire souvent la mĂȘme chose en des façons diffĂ©rentes & avec tant d’adrelle qu’il ne s’ennuie point de l’écouter; & pour lui dire un ! t t,e P. Boutant, JĂ©suite, auteur des Conseils de la sagesse le premier volume, Ă  quelques dĂ©fauts Je sty;e prĂšs, eii exe»lient. sur l’Éducation. 77 beau mot, prendre le temps le plus pro- pre, tandis qu’il joue & qu’il a le cƓur ouvert par la tendresse, afin que les paroles entrent plus doucement, & qu’il ne fente que du plaisir en apprenant ce qu’il doit apprendre. Laissez donc jouer un enfant; mais veillez fur lui dans ses heures mĂȘme de rĂ©crĂ©ation. PrĂ©sidez Ă  ses jeux toujours comme maĂźtre, & rarement comme Ă©gal, pour ne pas compromettre votre autoritĂ©. C’est dans ces heures de libertĂ© qu’un enfant se fait mieux connoĂźtre un maĂźtre habile sait en profiter, & faire tourner le plaisir mĂȘme Ă  l’utilitĂ© de son Ă©leve. C’est le moment de l’accoutumer Ă  la douceur, Ă  la complaisance, Ă  la modĂ©ration , Ă  la politesse ; de lui apprendre fur-tout Ă  ĂȘtre beau joueur ; ce qui fait honneur dans la sociĂ©tĂ©. MĂȘlez l’instruction avec le jeu mais quittez les leçons dĂšs qu’elles peuvent ennuyer. Que la sagesse ne se montre Ă  lui que par intervalles & avec un visage riant, bernez de fleurs l’aurore de fa vie, & cachez toujours les fruits fous les fleurs. S’il se faisoit une idĂ©e triste & sombre de ses devoirs , vous travailleriez en vain Ă  lui en inspirer l’amour. Cette regle de rendre l’instruction agrĂ©able Ă  un enfant doit ĂȘtre sans exception. Il faut meme que dĂšs le premier D ; 78 RĂ©flexions prĂ©liminaires moment oĂč l’on aura jugĂ© convenable de lui apprendre Ă  lire , on lui en falle un an usement & un plaisir. On y rĂ©ussira si l’on ne s’y prend pas trop tĂŽt, & si l'on a foin d’exciter en lui le dĂ©sir d’apprendre. „ On se fait une grande atia-'re, dit M. RonJJeau, de chercher les meilleures mĂ©thodes d’apprendre Ă  lire on invente des bureaux , des cartes ; on fait de la chambre d’un enfant un atteĂŒcr d’impr'mcrie. Locke veut qu’il apprenne Ă  lire avec des dĂ©s. Ne voilĂ  - t- il pas une invention bien trouvĂ©e? Quelle pitiĂ©! un moyen plus sĂ»r que tous ce ux-lĂ  , & qu’on oublie toujours, est le dĂ©sir d’apprendre. Donnez Ă  l’enfant ce dĂ©sir, puis Îaissez-JĂ  vos bureaux & vos dĂ©s, toute mĂ©thode lui fera bonne. L’intĂ©rĂȘt prĂ©sent, voilĂ  le grand mobile, le seul qui mette sĂ»rement & loin un enfant “. Cherchez donc tous les moyens de lui faire aimer les choses que vous exigez de lui. En avez-vous quelqu’une de difficile ou de dĂ©sagrĂ©able Ă  proposer faites-lui entendre que la peine fera bientĂŽt suivie du plaisir. Faites-lui connoĂźtre futilitĂ© des choses que vous lui enseignez fans cela l’étude lui paroĂźtroit un travail stĂ©rile & Ă©pineux. Rendez-lui raison de tout ce que vous lui enseignez. Montrez-lu toujours un but solide & agrĂ©able qu SUR l’ÉdĂŻĂŻcation. 79 l’anime dans le travail. A mesure que fa raison augmentera, vous raisonnerez de plus en plus avec lui fĂŒr le besoin & la nĂ©cessitĂ© de son Ă©ducation. Mais ayez soin de lui faire sentir tout l’avantage qu’il peut retirer , pour le moment mĂȘme, de ce qu’on lui apprend encou- ragez-le par des rĂ©compenses bien mĂ©nagĂ©es & proportionnĂ©es Ă  son Ăąge ; s’il elf un peu lent Ă  comprendre, ne le reprenez point rudement, vous le rendriez encore plus stupide. Commencez par les choses les plus aisĂ©es & les plus faciles. C’est pour cela qu’une excellente mĂ©thode , & qui nous a rĂ©uili Ă  nous- mĂȘnie, est de faire , avant l’étude de la grammaire latine , prĂ©cĂ©der celle de la grammaire frangoisc. Un des grands avantages de cette pratique est d’épargner bien des peines & des impatiences aux maĂźtres, bien des rĂ©primandes & des chĂąrimens aux enfans, en leur rendant la tĂąche plus agrĂ©able & moins difficile. Ils apprendront plus volontiers ce qu’ils comprendront micux% & quand ils sauront bien les rĂ©glĂ©s* de leur propre langue, ils auront beaucoup d’avance & de facilitĂ© pour apprendre celles de la langue des anciens Romains i . ^ I M. Ă e Wailly a fait dans cette vue un AbrĂ©gĂ© de fa Grammaire fiançoiie» il est de beuicou]» prĂ©fĂ©* D 4 8o RĂ©flexions prĂ©liminaires M. Fleury , dans son TraitĂ© furies Ă©tudes , approuve cette mĂ©thode , qui paroit prĂ©fĂ©rable Ă  celle de faire apprendre le latin aux enfans dĂšs l’ñge de cinq ou six ans, comme on le fait souvent en France. C’est forcer leurs fibres tendres & dĂ©licates , c’est les exposer Ă  concevoir du dĂ©goĂ»t pour l’étude, qui est la source des plus belles & des plus utiles con- noiflances. Les enfans aiment l’Histoire. Ne seroit-il pas plus Ă  propos de commencer par-lĂ ? On les instruiroit en les amusant, on les accoutumeroit insensiblement & agrĂ©ablement au travail, jus. qu’à l’ñge de dix ou douze ans que l’on pouroit commencer les premiers principes de la langue latine ils y firoient rable Ă  celui de Reßaut. Quoiqu'on puisse encore le perfectionner, c’est ce que nous connoiflons de mieux en ce genre. On pouroit en mĂȘme temps, pour exercer Si cultiver lamĂ©nioire des enfans, leur faireappiendre par cƓur les plus belles fables des meilleurs Fabulistes François, & fur-tout de La Fontaine, dont plusieurs font des chefs-d’Ɠuvre d’une iimplicisĂ© ingĂ©nieuse. i\lais comme elles ne- font pas toutes, Ă  beaucoup prĂšs, de la mĂȘme beautĂ©, & qu’il y en a mĂȘme qu’il ne feroit pas Ă  propos de faire lire aux enfans , il faut fe borner Ă  leur faire apprendre Sc dĂ©clamer les plus belles & les plus riantes, vers font excellens pour commencer Ă  exercer la mĂ©moire; ils ont fur la prose l’avantage d’entrer plus facilement dans le dĂ©pĂŽt de nos connoifĂźances leur cadence & leur harmonie triomphent de la mĂ©moire la plus dure & la plus obstinĂ©s. sur l’Éducation. gt des progrĂšs beaucoup plus rapides, parce qu’ils auraient l’esprit plus ouvert & le jugement plus formĂ©. Le pere du cĂ©lĂ©brĂ© Pascal , qui Ă©toit PrĂ©sident Ă  la Cour des Aides de Clermont en Auvergne, homme trĂšs-savant, & qui fut lui-mĂȘme le prĂ©cepteur de son fils, ne lui apprit le latin qu'Ă  l’ñge de douze aus, & qu’aprĂšs lui avoir rempli l’esprit d’autres connoilsances utiles, telles que celles de la religion, de la gĂ©ographie, de l’histoire sacrĂ©e & profane , de la mythologie. Mais il ne faut? pas nĂ©anmoins vouloir trop les accumuler; & quand mĂȘme vous pourrez avancer beaucoup l’esprit d’un enfant fans le presser, vous devriez craindre de le faire. Il est dangereux que ces Ă©tudes prĂ©maturĂ©es ne le remplissent de vanitĂ© & de prĂ©somption, & ne soient pas moins funestes au tempĂ©rament. Les mĂ©decins observent que dans un enfant trop appliquĂ© les nerfs agissent trĂšs-peu fur le corps ; & comme leur action est absolument nĂ©cessaire Ă  l’augmentation de ses forces, obliger un enfant dĂ©licat Ă  s’appliquer beaucoup, c’est achever de dĂ©truire fa santĂ©, jeter chez lui le germe de tous les maux de nerfs, & lui prĂ©parer une vie douloureuse. Un cĂ©lĂšbre MĂ©decin de ce siede avoit depuis long-temps entendu parler avec U y 82 RĂ©flexions prĂ©liminaires admiration des vastes connoissances que possĂ©doit un enfant dans l’ñge le plus. tendre. L’occasion se prĂ©senta de le voir & de l’entretenir il en profita pour lui faire des questions fur l’histoire , la physique, l’anatomie, la gĂ©omĂ©trie, l’astronomie & les mathĂ©matiques. La justesse des rĂ©ponses que lui fit l’enfant fur toutes ces matiĂšres , & la subtilitĂ© avec laquelle il leva les doutes que le MĂ©decin lui proposa , le remplirent d’étonnement. Mais ayant jetĂ© un coup d’Ɠil fur la structure de son corps, fur la longueur de ses cheveux, & fur l’expression des muscles de son visage, il comprit que l’irritation qu’on avoit faite aux fibres du cerveau , avoit dĂ©terminĂ©, les sucs nourriciers Ă  se porter vers la tĂȘte, lit comme il est de la derniere importance que ces sucs se distribuent Ă©galement dans toutes les parties du corps pour leur dĂ©veloppement, il crut devoir conseiller au pere de cet enfant de discontinuer au moins pour quelques annĂ©es, une. Ă©ducation si prĂ©coce. C’est, lui dit-il* un grand mal d’appliquer l’esprit Ă  des choses abstraites dĂšs qu’il commence Ă  s’ouvrir on desseche les fibres du cerveau , on les met dans un Ă©tat de tension qui les gĂšne, on les empĂȘche de se fortifier. La nature qui ne devroit ĂȘtre occupĂ©e qu’à prendre des forces, en est sur l’ÊducatioS. 8; dĂ©tournĂ©e par la perte des esprits animaux qu’on lui fait faire. Il fuit de lĂ  que les enfans restent feststes & dĂ©licats pendant toute leur vie. D’ailleurs, ajou- toit-il, ils ne jouissent pas toujours fort long-temps des connoillĂ nces qu’on s’est efforcĂ© de leur inculquer ainsi j’en ai vu plusieurs qui aprĂšs avoir fait l’étonnement des gens d’elprit dans leur jeune Ăąge Ă©toient devenus stupides & hĂ©bĂ©tĂ©s par la fuite. Ă i le cerveau mol & humide des en- fans est propre Ă  y graver des images, ce qui fait qu’ils ont d’ordinaire beaucoup de mĂ©moire & d’imagination, il faut convenir que cet Ăąge l’est moins au raisonnement; parce que l’agitation continuelle de leur esprit empĂȘche toute application suivie i . Ainsi il faut mĂ©nager avec soin les organes, jusqu’à ce qu’ils fĂ© soient affermis. Faites feulement dans la mĂ©moire un amas de bons matĂ©riaux ; le temps viendra oĂč ces matĂ©riaux s’assembleront d’eux-mĂšmes, & que t La substance du cerveau dans les enfans Ă©tant extrĂȘmement molle & humide, cette mollette & cette humiditĂ© , jointes Ă  une grande chaleur, lui donnent un mouvement facile & continuel. C’est comme une hougie allumĂ©e dans un lieu exposĂ© au vent, &dout la lumiĂšre vacille toujours De-lĂ  vient cette agitation des enfans, qui ne peuvent arrĂȘter leur eipiil Ă  au tua objet, ni leur corps eu aucun lieu- D 6 s 84 RĂ©flexions prĂ©liminaires le jugement les liera ensemble. En atten dant, bornez-vous Ă  redresser doucement l’esprit de l’enfant quand il ne raisonnera pas juste. Instruilez-le peu-Ă -peu, & le plus souvent en causant avec lui. Comme les enfans ignorent bien des choses, ils ont beaucoup de questions Ă  faire aussi en font-ils beaucoup. Leur curiositĂ© est un penchant de la nature qui va comme au-devant de l’instruction ce font des ouvertures qu’elle offre. Ne manquez pas d’en profiter pour apprendre au vĂŽtre mille choses dont il est bon qu’il soit instruit. Ne dĂ©daignez pas de satisfaire Ă  ses questions, quelque puĂ©riles qu’elles soient, rendez-luiraison de tout ce qui en est susceptible rĂ©pondez-lui prĂ©cisĂ©ment & nettement; & ajoutez quelquefois certaines petites comparaisons , pour rendre plus sensibles les Ă©clairciisemens que vous lui donnez. Ne parodiez jamais importunĂ© de ses demandes au contraire, tĂ©moignez y prendre plaisir. S’il lui Ă©chappe des absurditĂ©s ou des contradictions, faites-Ăźes lui sentir avec douceur. Ne lui donnez jamais que de bonnes raisons, pour l’accoutumer Ă  la justesse & Ă  la vĂ©ritĂ©, oyez toujours vrai & simple avec lui c’est l’unique moyen de l’encourager & d’acquĂ©rir fa confiance, Si vous riez d’une objection SUR l’Educatiok. Sf singuliĂšre qu'il vous sera, si vous vous moquez de la simplicitĂ©, ou , ce qui est pis encore , si vous la traitez de bĂȘtise, vous le dĂ©concerterez , vous l’humilierez ; & pour n’ĂȘtre plus exposĂ© Ă  cette sorte de mortification, il se gardera dĂ©sormais de vous proposer ses doutes. En vain tĂącherez-vous de le faire revenir fa confiance est Ă©vanouie ; il va apprendre a dissimuler vis-Ă -vis de vous. Vous aurez beau vouloir Ă©clairer son esprit, il vous dira toujours qu’il comprend, & la plupart du temps il n’en fera rien. On oblige un enfant Ă  se renfermer en lui-mĂȘme , dit M. Formey , on lui ĂŽte toute envie de s’ouvrir, dĂšs qu’on pesĂ© scrupuleusement toutes les syllabes , & que d’un ton magistral on lui demande les raisons de ce qu’il a avancĂ©. Il faut s’y prendre avec beaucoup moins d’art, ou plutĂŽt avec un art bien plus dĂ©licat. S’il demande des explications qui soient au-deisus de son Ăąge, il faut le lui faire observer, & lui dire qu’on les lui donnera quand il aura l’esprit plus formĂ©. Car il ne faut pas trop raisonner avec les enfans, de peur de les rendre trop raisonneurs , ni vouloir leur rendre compte de tout. Lorsqu’on s’est fait une loi de leur expliquer les choses mĂȘme qu’ils ne font pas en Ă©tat de comprendre, ils attribuent au caprice la conduite la plus 86 RĂ©flexions prĂ©liminaires prudente, celle de Dieu mĂȘme, si-tĂŽt qu’elle est au-dessus de leur portĂ©e. Si le vĂŽtre juge de quelque chose fans le bien savoir, il faut l’embarrasser par quelque question nouvelle, pour lui faire sentir sa faute , sans le confondre rudement. On peut aussi lui faire remarquer Ă  cette occasion combien ses jugemens font encore imparfaits , par ceux qu’il a portĂ©s de certaines choses il y a un an ou deux. TĂ©moignez-lui que vous l’approuvez bien plus quand il doute & qu’il demande ce qu’il ne fait pas , que quand il dĂ©cide le mieux. C’est le vrai moyen de le prĂ©munir contre la prĂ©somption & la prĂ©cipitation dans les jugemens , source ordinaire d’une infinitĂ© d’erreurs ; & de mettre dans son esprit, avec beaucoup de politesse , une modestie vĂ©ritable , qui est presque toujours la compagne & l’annonce du vrai mĂ©rite. Comme les enfans Ă  certain Ăąge savent peu , & qu’ils ne peuvent presque encore rien penser ni dire d’eux-mĂȘmes, ils ne parlent pas beaucoup , Ă  moins qu’on ne les y accoutume , & c’est de quoi il faut bien se garder. Mais souvent pour s’amuser, ou sous prĂ©texte de leur donner de l’assurance , on les excite Ă  hasarder tout ce qui leur vient dans l’esprit. Ils prennent dĂšs-lors , & quelquefois pour toute leur vie , l’habitude de parler fans SUR l’EĂŒUCATIO S. gr rĂ©flexion & de juger de tout sans con- noiflĂąnce. Il y a des personnes qui ont la folie ou l’imprudence d’admirer tout ce que disent & font les enfans. Les yeux d’une mere fur-tout , ne font pas comme ceux des autres. Elle trouve dans ses enfans des beautĂ©s, des qualitĂ©s, des perfections que personne'n’y dĂ©couvre. Faites tout ce qui dĂ©pend de vous pour que vos enfans ibient digues de louanges , mais laiisez aux autres le foin de les louer encore devez - vous rarement souffrir qu’on le faite en leur prĂ©sence, Ă  moins que ce ne soit sur leur sagesse & leur vertu, comme nous l’avons dit ailleurs- Quand ils s’apperçoivent qu’on les regarde avec complaisance , qu’on observe tout ce qu’ils font, qu’on les Ă©coute avec plaisir; ils s’imaginent n’avoir rien que d’extraordinaire & d’admirable ; ce qui les rend fats & prĂ©somptueux. „ Que peut penser un enfant de lui- mĂȘme , dit Ă  ce sujet M. RouJJcau , quand il voit autour de lui tout un cercle de gens sensĂ©s l’écouter, l’agacer, l’admirer , attendre avec un lĂąche emprĂ©sentent les oracles qui sortent de sa bouche, & se rĂ©crier avec des retentissemens de joie Ă  chaque impertinence qu’il dit ? La tĂšte d’un homme auroit bien de lu peine Ă  tenir Ă  tous ces faux applaudisse- 88 RĂ©flexions ĂŻrÉliminairĂšs mens jugez de ce que deviendra la sienne. Il en est du babil des enfans comme des prĂ©dictions des almanachs. Ce seroit un prodige , si sur tant de vaines paroles le hasard ne fournilsoit jamais une rencontre heureuse. Imaginez ce que font alors les exclamations de la flatterie fur une pauvre mere dĂ©jĂ  trop abusĂ©e par son propre cƓur, & sur un enfant qui ne sait ce qu’il dit & se voit cĂ©lĂ©brer. “ La mere de son Emile n’avoit pas cette foiblesse, ou plutĂŽt elle avoir l’esprit & l’adresse de la mieux cacher. „ Ne pensez pas, lui fait-il dire Ă  elle-mĂȘme, que pour dĂ©mĂȘler l’erreur je m’en garantisse. Non , je vois la faute & j’y tombe. Mais si j’admire les reparties de mon fils, au moins je les admire en secret. Il-n’apprend point, en me voyant les applaudir , Ă  devenir babillard & vain ; & les flatteurs , en me les faisant rĂ©pĂ©ter * n’ont pas le plaisir de rire de ma foi- blesse. „ Un jour qu’il nous Ă©toit venu du monde, Ă©tant allĂ©e donner quelques ordres , je vis, en rentrant, quatre ou cinq grands nigauds occupĂ©s Ă  jouer avec lui, & s’apprĂȘtant Ă  me 'raconter d’un air d’emphase je ne lais combien de gentil leises qu’ils vendent d’entendre, & dont ils semblaient tout Ă©merveillĂ©s sur l’ Education. $9 Meßt tun , leur dis -je allez froidement., je ne doute pas que vous ne sachiez faire dire Ă  des marionnettes de fort jolies choses mais j’espere qu’un jour mes enfans seront hommes qu ils agiront & parleront d’eux - mĂȘmes U alors j’apprendrai toujours dans la joie de mon cƓur tout ce qu’ils auront dit & fait de bien. Depuis qu’on a vu que cette maniĂ©rĂ© de faire fa cour ne prenoit pas , il ne leur vient plus de compere ; & ils en valent sensiblement mieux. “ Prenez donc foin de vos enfans, fans leur laisser voir que vous pensez beaucoup Ă  eux. Faites-leur entendre que c’est par amitiĂ© & par le besoin oĂč ils font d’ĂȘtre redressĂ©s, que vous ĂȘtes attentif Ă  leurs discours & Ă  leurs actions, & non point par l’admiration de leur esprit. Ne permettez pas non plus qu’on leur fasse, & ne leur faites pas vous-mĂȘme, dans la vue de les faire briller, trop de questions de fuite au bout de quelques minutes , l’attention des enfans fs lasse -, ils n’écoutent plus ce qu’un obstinĂ© questionneur leur demande , & ne rĂ©pondent plus qu’au hasard. IX. Modele d’Mducation. Pour finir ce qui concerne la premiĂšre Ă©ducation, c’est-Ă -dire , celle qui 5o RĂ©flexions prĂ©liminaires doit ĂȘtre encore plus l’objet des foin d’un pere on d’une mere que d’un prĂ©cepteur ou d’un gouverneur, nous allons rapporter ici la maniĂ©rĂ© dont Madame de Veymur Ă©leva son fils & fa fille. Ce fera comme une rĂ©capitulation de tout ce que nous avons dit jusqu’à prĂ©sent sur cet important sujet, un supplĂ©ment instructif Ă  ce que nous avons omis, & un parfait modele de la plus excellente Ă©ducation. Il y a fur cette matiĂšre des choses si essentielles , qu’on ne sau- roit trop les remettre fous les yeux & en trop de façons. PersuadĂ©e que des premiĂšres impressions que reçoit un enfant, dĂ©pendent ses premiers penchans, ses premiĂšres habitudes , & de - lĂ  souvent pour la suite les qualitĂ©s ou les dĂ©fauts de son esprit, & presque toujours les vertus ou les vices de son cƓur , Madame de Veymur se fit une loi de n’offrir aux premiers regards de ses enfans rien qui pĂ»t leur faire prendre une inclination vicieuse. Leurs jouets Ă©toient simples ; leurs vĂȘtĂšmens propres, mais fans ĂȘtre recherchĂ©s ; leurs moindres meubles tout ordinaires. Si quelquefois , toujours en sa prĂ©sence, ils se'trouvoient mĂȘlĂ©s avec d’autres en- fans , elle vouloit que , fans distinction, fans choix , ils fissent tous usage des mĂȘmes choses , pour leur inspirer les sur L’Education. $> i premiers sentimens de l’humanitĂ© & d’une bienveillance universelle. De tous les foins qui concernoient ses enfans, elle ne lailfoit aux autres que ceux qu’elle ne pouvoit prendre elle- mĂȘme. Quelques domestiques, ceux seulement dont elle ne pouvoit se passer, sembloient les aider plutĂŽt que les servir ils leur donnoient, comme en les obligeant & par bontĂ©, le nĂ©cessaire , & avoient ordre de se refuser Ă  leurs caprices. Ce petit nombre de domestiques qui les environnoient, pleins de vĂ©nĂ©ration pour leur maĂźtresse, prenoient fans effort le ton de la sagesse & de la raison qu’elle leur infpiroit; & il n’y en avoit aucun parmi eux, dont elle ne voulut ĂȘtre Ihre comme d’elle-mĂȘme. Madame de Veymur avoit bien raison. Corrompus & en mĂȘme temps corrupteurs , la plupart des domestiques communiquent la contagion dont ils font infectĂ©s, aux enfans qui les frĂ©quentent. Par leurs discours, par leurs lĂąches flatteries , & par leurs pernicieux exemples, ils gĂątent ces esprits flexibles, pervertissent ces Ăąmes pures & innocentes, & leur apprennent souvent ce qu’il faudroit toujours ignorer. Sans cesse Madame de V eymur obser- voit ceux qu’elle avoit mis auprĂšs de 92 RĂ©flexions prĂ©liminaires ses enfans ; fans cesse elle s’obfervoit' elle-mĂȘme. Elle n’ignoroit pas combien l’Ɠil de l’enfant est attachĂ© fur ceux qui le gouvernent ; combien, naturellement imitateur, il observe leurs moindres actions pour agir d’aprĂšs le modele qu’on lui prĂ©sente , avec quel soin il Ă©tudie leurs affections & leur langage, pour se passionner d’aprĂšs eux, pour aimer 6cpour haĂŻr Ă  leur exemple mais fur-tout elle' savoit avec quelle finesse il Ă©pie leurs moindres dĂ©fauts, avec quelle sagacitĂ©, quelle justesse il saisit leur foible pour s’en faire une excufĂš Ă  lui-mĂȘme, ou une dispense de respect & de confiance envers ceux qui le lui laissent appercevoir. Aussi, d’aprĂšs ces lumiĂšres, elle portoit jusqu’au scrupule l’attention qu’elle prenoit Ă  surmonter devant ses enfans ses moindres foiblesses, afin de ne rien perdre fur leur esprit de tout le crĂ©dit qu’elle vouloit y conserver. Naturellement vive, elle se contraignent jusqu’à ne laisser paroĂźtre aucun ligne d’altĂ©ration sur son visage, & d’impatience dans ses discours. Elle avoir pour principe de ne jamais les reprendre dans le moment oĂč elle fĂš sentoit trop affectĂ©e de ce qu’ils avoient fait de mal & elle aimoit mieux mettre quelque in tervalle entre la faute & la rĂ©primande SUR L’ É D U C A T I O N. 9; que de s’exposer, par trop d’empressement , Ă  leur donner lieu de croire qu’elle ne les reprenoit que par paision ou par humeur. Souvent elle leur faisait faire le reproche par d’autres que par elle, afin de les accoutumer Ă  aimer la vĂ©ritĂ© , de quelque part qu’elle leur vint ; & elle a voit foin alors de leur faire regarder comme un service important l’avis qu’on vouloir bien leur donner. Mais autant elle s’intĂ©ressoit Ă  ce qu’on les reprit avec bontĂ©, & Ă  ce que l’on mortifiĂąt leurs fantaisies ; autant s’oppo- soit-elle en secret Ă  ce qu’on les contrariĂąt dans ce qui Ă©toit raisonnable , pour ne pas leur donner l’exemple contagieux des fantaisies des autres, & ne pas altĂ©rer, le caractĂšre de douceur & de bontĂ© qu’elle vouloir former en eux. Le mĂȘme esprit de raison & de sagesse prĂ©sident Ă  toutes les lois qu’elle leur prescrivent. Avant que de rien commander , elle observoit si elle ne pou voit pas le suggĂ©rer. Elle se conduisoit de maniĂ©rĂ© qu’ils paroissoient s’y porter comme d’eux-mĂšmes. Elle faisoit si bien, que ce qui lui plassoit leur plaifoit aulsi. Si cependant la chose devoir ĂȘtre pĂ©nible, si elle avoir besoin d’ĂȘtre commandĂ©e ; elle commet çoit par essayer leurs forces, pour ne pas compromettre son autoritĂ©. 94 RĂ©flexions prĂ©liminaires Aussi ne fit-elle jamais un commandement inutile ; & lorsqu’ensin elle venoit Ă  donner un ordre, ou Ă  faire une dĂ©fense, elle ne les rĂ©voquoit fous aucun prĂ©texte , tant que les circonstances Ă©toient les mĂȘmes, pour ne pas fe montrer foible ou ne pas paroĂźtre dĂ©raisonnable. Ce ton de fermetĂ© lui assuroit leur respect & leur obĂ©issance. Elle avoit Ă©galement rĂ©uisi Ă  gagner leur amour par celui qu’elle leur tĂ©moignent, leur confiance par la persuasion oĂč elle les avoit mis , qu’elle ne faisoit & n’exi- geoit rien d’eux qui ne fĂ»t pour leur bonheur par - lĂ  mĂȘme elle les avoit amenĂ©s au point de lui confier leurs secrets, de lui exposer leurs dĂ©sirs, de lui rĂ©vĂ©ler leurs fautes , & de les faire convenir intĂ©rieurement qu’ils rempor- toient toujours quelque avantage de leur sincĂ©ritĂ©. Leur crainte de lui dĂ©plaire Ă©toit si grande, qu’un air froid de fa part les glaqoit. Mais elle cherchent encore plus Ă  leur leur devoir & Ă  le leur rendre agrĂ©able. Jamais elle n’employoit, pour y rĂ©ussir, les ressorts dangereux de la vanitĂ©, de l’envie, delĂ  gourmandise, & de toutes ces passons funestes dont on ne corrige l’une qu’en nourrissant l’autre , & qui ne prĂ©viennent un petit sur l’Éducation, 9f dĂ©faut que pour nous donner un grand vice. Elle n’ignoroit pas que toutes les pallions font sƓurs , qu’une feule suffit pour en exciter mille , & que les combattre l’une par l’autre , n’elt qu’un moyen de rendre le cƓur plus sensible Ă  toutes. C’est donc une trĂšs-mauvaise mĂ©thode qu’ont la plupart de ceux qui gouvernent les enfans. Ils semblent n’avoir d’autre moyen de les porter au bien qu’en leur inspirant des pallions qui font la source de toutes les autres. Ils flattent & augmentent leur orgueil, leur avarice , leur gourmandise , leur amour des plaisirs , leur paresse , en leur promettant de beaux habits , de l’argent , des friandises , des divertissemens , l’exemption du travail. Il faudrait leur faire estimer les choses qu’on leur promet ou qu’on leur accorde , moins par ce qu’elles valent ou ce qu’elles font en elles - mĂȘmes, que par ce qui les leur a mĂ©ritĂ©es , & comme Ă©tant la rĂ©compense de leur sagesse & de leur conduite. Revenons Ă  Madame de Veymur. Elle animoit, elle vivifloit toutes ses instructions par l’esprit de cette religion sainte, qu’elle se plaisoit Ă  faire connoitre Ă  ses enfans. Elle les accoutumoit Ă  tirer de ses dogmes les plus grandes leqons pour les mƓurs. Elle les environnent fans cesse de la majestĂ© de l’Etre SuprĂȘme, & leur D6 RĂ©flexions prĂ©liminaires faisoit voir Dieu par-tout, plus soigneusement que les nourrices & la plupart des meres ne font voir par-tout Ă  leurs enfans des spectres & des lutins i . Madame de Veymur ne nĂ©gligeoit pas les autres moyens de dĂ©tourner ses en- fans du mal, dont elle cherchoit Ă  leur inspirer la honte par l’idĂ©e du mal mĂȘme. Elle avoir mis dans leur ame une trĂšs- grande dĂ©licatesse fur tout ce qui s’of- froit Ă  eux fous cette idĂ©e, qu’elle leur montrait toujours accompagnĂ©e de confusion &d’hoĂźreur. Elle leur apprenoit Ă  haĂŻr le pĂ©chĂ© plus que la mort, & elle leur avoir tout dit quand elle avoir dit, cela cß mal. TantĂŽt elle les prenoit par les seit- timens honnĂȘtes & par la raison Etre nĂ© raisonnable , leur disoit-elle quelquefois , Ê? agir ainsi! TantĂŽt elle les en- courageoit, en les comparant Ă  eux- mĂȘmes. Je suis contente , mes enfans , leur rĂ©pĂ©toit-elle souvent, voilĂ  le point oĂč vous Ă©tiez il y a tel temps , voilĂ  celui oĂč vous ĂȘtes arrivĂ©s vous avez a ĂŒ de tant i La pratique si commune d'Ă©pouvanter les enfans , pour les empĂȘcher de pleurer ou de faire quelque autre chose , est trĂšs pernicieuse par les impudsious de frayeur qu'elle laisse souvent pour toute Ăźa vie. Ou devroir au contraire s'appliquer plutĂŽt i les enhardir, en les familiarisant peu-Ă -peu avec les objets qui les ont effrayes. sur l’Éducation - . tant de degrĂ©s en mĂ©rite U en sagesse. Je compte que vous ferez dans un an encore une fois plus grands que vous nĂštes. Son gouvernement & sa conduite Ă  leur Ă©gard Ă©toient une sĂ©vere douceur. TrĂšs- itidulgente fur ce qui ne provenoit que de l’ñge, elle ne punifloit dans eux que la mauvaise volontĂ© & l’entĂȘtement. Une faute avouĂ©e Ă©toit presque toujours une faute pardonnĂ©e ; & si l’aveu n’étoit pas suivi toutes les fois d’un pardon entier , parce qu’il seroit devenu un jeu, il ne manquoit jamais de diminuer la punition. Elle alloit Ă  la source du mal elle l'arrĂȘtait dans son commencement, pour en empĂȘcher les progrĂšs elle punissoit d’abord, pour ne pas avoir un jour Ă  punir avec trop de rigueur. Si un air de mĂ©contentement de sa part, si de la leur le sentiment ne iuffisoit pas , elle les traitait alors comme des malades dans l’accĂšs de la fievre & du dĂ©lire elle les Ă©loignoit de sa table, elle les envoyoit coucher, elle venoit ensuite les veiller elle-mĂȘme, & les rĂ©duisent Ă  l’ennui de ne pouvoir rien faire , & au dĂ©plaisir d’ĂȘtre traitĂ©s comme quelqu’un qui a perdu la santĂ© ou la raison. Une fois elle punit son fils pour un mensonge , mais cü’une autre maniĂ©rĂ©. Elle regardent cette faute comme capitale. Tome I. E 98 RĂ©flexions prĂ©liminaires persuadĂ©e que ce vice tient Ă  tous les autres, & que la mĂȘme balsefle d’ame qui porte Ă  celui-lĂ  rend aisĂ©ment capable des plus grands. Elle voulut donc que tout se rĂ©unit pour lui en faire honte & pour l’en punir. Elle lui montra une dĂ©fiance qu’elle n’avoit jamais eue tout le monde Ă  son exemple sembloit se dĂ©fier de lui onrĂ©voquoit en doute ses sentimens les plus naturels. Tandis qu’un mot dans la bouche de sa sƓur avoit tout le poids de la vĂ©ritĂ© , des assurances rĂ©itĂ©rĂ©es de lĂ  part ne paroiffoient encore aux autres qu’un mensonge. Ce chĂątiment, pris dans la natufe mĂȘme de la chose, & qui de la maniĂ©rĂ© dont il fut conduit, lui parut un supplice , le corrigea pour toujours. DU PRÉCEPTEUR ou Gouverneur. Si vous ĂȘtes assez habile pour servir vous-mĂȘme de maĂźtre Ă  votre fils, faites- vous-en un plaisir & un devoir. La nĂ©gligence des uns & les affaires des autres , ont introduit la coutume de confier Ă  des Ă©trangers Tinllruclion de ses enfans. Ce n’eif pas ce que prĂ©tendoit la nature. Lorsqu’elle donnoit du lait & des tendreises Ă  la mere, de i’intel- sur l’Education. 99 & de la prudence au pere, son dessein Ă©toit de remplir la gloire de leur fĂ©conditĂ©, & de les rendre pere & mere d’un fils qui fĂ»t entiĂšrement leur fils, & qui ne dĂ»t fa nourriture & sa sagesse qu’à leur peine & qu’à leur infiruction. Nul homme n’eit parfaitement heureux d’avoir un fils, & ne peut se glorifier de ses belles actions, que celui qui lui a donnĂ© la vie, la science & la vertu. Que votre fils, s’il eit poffible, reçoive tout cela de vous. Formez-le vous-mĂȘme Ă  la politesse, Ă  la douceur, Ă  la bontĂ©, Ă  l’amour de l’étude & du travail. Dirigez ses premiers sentimens vers le bien » rĂ©primez ses paillons naissantes; pliez son caractĂšre ; apprenez-lui Ă  dĂ©tester le vice & le mensonge, Ă  aimer son devoir, Ă  avoir beaucoup de religion & une probitĂ© Ă  toute Ă©preuve. Instruisez votre fils , dit Salomon , il vous consolera , Ë? il deviendra les dĂ©lices de voire ame 1 . Si vous ne vous sentez pas la capacitĂ© convenable pour Ă©lever vous-mĂȘme vos enfans , comme vous dĂ©lirez qu’ils le soient; ou si vos affaires & vos occupations ne vous permettent pas de donner tous vos foins Ă  une chose qui exige d’ĂȘtre suivie de si pris n’épargnez ' T ; Erudifi'.imn tuum. Lff resrigtrabit te , dabit dtlicias animai tuez. L'iov. 29. E z ICO RĂ©flexions prĂ©liminaires rien pour y supplĂ©er, & pour confier en des mains sĂ»res un dĂ©pĂŽt si prĂ©cieux. Pline ne connoissoit rien de plus important qu’un tel choix. Philippe, roi de MacĂ©doine , Ă©crivit le jour mĂȘme de la naissance d’Alexandre au plus grand gĂ©nie qu’il eĂ»t dans ses Ă©tats. „ Il vient de me naĂźtre un fils. Je remercie les Dieux de ce qu’ils me l’ont donnĂ©, mais beaucoup plus de ce qu’il est nĂ© de votre temps. ElevĂ© par un homme tel que vous , il fera digne de nous & de l’empire qui lui est destinĂ© Cette lettre , aussi honorable au prince qu’au philosophe, montre le cas que Philippe saisoit d’un bon maĂźtre. Mais il y a les gens de mĂ©rite ne reçoivent plus de pareilles lettres. Le plus souvent on confie l’éducation de ce qu’on a de plus cher Ă  un homme qui est lui-mĂȘme fans Ă©ducation, A qui, dĂ©pourvu de talens & d’expĂ©rience, st’a aucune Ă©lĂ©vation dans les sentimens, ni aucune politesse dans les maniĂ©rĂ©s. Le bon marchĂ© fait tout prendre. Un pere vouĂźoit mettre son fils entre les mains d 'Arisiippc. EtonnĂ© du prix que kii demandent ce philosophe, il s’écria qu’avec cet argent il pouroit avoir un esclave HĂ© bien, achcte-le, reprit le philosophe, U tu en auras deux. On ne saurait acheter trop cher le sur l’Éducation. loi bonheur de ses enfans, & ils ne peuvent trouver ce bonheur que dans la science & dans la vertu, fruits prĂ©cieux d’une lĂ€ge Ă©ducation. Il est vrai qu’une personne allez habile pour la donner, seroit en droit d’attendre des Ă©gards particuliers. Mais pourquoi les marques de considĂ©ration feroient-elles refusĂ©es Ă  un homme qui les mĂ©riteroit par de belles qualitĂ©s ? Sercit-ce sa condition qui em- pĂšcheroit de les lui donner ? Mais autant qu’elle est utile au public , autant est-elle honorable quand on s’y conduit par des principes d’honneur & de religion. La profession d’instruire la jeunesse n’a Ă©tĂ© avilie & dĂ©gradĂ©e, que par la faute de ceux qui l’ont exercĂ©e, par leur ignorance, par leur bassesse, par la corruption de leurs mƓurs. Mettez Ă  leur place un homme de mĂ©rite, seul digne qu’eu lui confie l’éducation. Comme il sentira la noblesse de son emploi, il le respectera le premier A le rendra respectable. Mais quand un instituteur n’auroitpas absolument tout le mĂ©rite qu’il seroit Ă  dĂ©sirer qu’il eĂ»t, on devroit toujours des Ă©gards & des distinctions au service essentiel qu’il rend & au poste mĂȘme qu’il occupe. On vent que des enfans respectent ceux qui les instruisent, & on les traite soi-mĂȘme d’une maniĂ©rĂ© qui n’inspire pour eux que du mĂ©pris. ,ic2, RĂ©flexions prĂ©liminaires On compte pour rien qu’ils dĂ©chargent les pareils d’un pĂ©nible fardeau. On ne pefe que l’argent qu’on leur donne ; on n’estime ni leur gĂšne ni leurs dĂ©sagrĂ©- mens ; & au lieu de chercher Ă  les adoucir, par des marques de considĂ©ration & de confiance, on les augmente souventsoi- xnĂšme. Madame de Veymur Ă©toit bien Ă©loignĂ©e, de penser & d’agir ainsi. AprĂšs avoir donnĂ© par elle-mĂȘme Ă  son fils la premiĂšre & belle Ă©ducation que nous avons vue, elle sentit qu’elle avoit besoin d’une personne sur qui elle pĂ»t se reposer de ce qu’elle ne pouvoir plus faire par ses propres foins. Il lui falloir quelqu’un qui pĂ»t veiller fur lui, & le guider dans les exercices convenables Ă  son sexe, Ă  son Ăąge, aux difsĂ©rens devoirs qu’il auroit Ă  remplir; qui pĂ»t le produire dans le monde , le familiariser avec lui sans danger, l’aider Ă  le connoitre sans l’exposer au risque d’en ĂȘtre sĂ©duit; & qui fĂ»t pour lui un guide, un ami, le supplĂ©ment d’un pere, si toutefois urr pere peut se supplĂ©er; un homme enfin qui mĂ©ritĂąt assez son estime pour lui confier le dĂ©pĂŽt le plus cher, celui de son fils, & qui eĂ»t toutes les qualitĂ©s qu’elle dĂ©siroit trouver un jour dans son Ă©leve. Elle n’ignoroit pas qu’un tel homme sur l’Éducation. io; ne se paye point mais elle savoit aussi qu’il y a des hommes qui, avec beaucoup de mĂ©rite & de sentimens , n’ont pas de bien, & n’en font quelquefois que plus propres Ă  conduire d’autres hommes. Elle croyoit qu’en partageant avec l’un d’eux sa propre fortune,- elle faisait celle de son fils. Elle se propose it de lui procurer tous les agrĂ©mens d’une sociĂ©tĂ© honnĂȘte, & de l’honorer assez pour qu’il fĂ»t digne lui-mĂȘme de lui faire honneur & Ă  son fils. Elle eut le bonheur de rencontrer un ami tel qu’elle le dĂ©siroit & qu’elle le mĂ©ritoit. fille mit en lui toute sa confiance.. Leurs principes furent toujours les mĂȘmes, leur concert Ă©toit parfait. Jamais aucune parole, aucune action de l’un ne contredisait les discours ni la conduite de l’autre ; & ils s’obfervoient tous deux au point de ne rien dire & de ne rien faire, qui ne fĂ»t pour leur Ă©leve une leçon & un modele de lĂ gesse & de vertu. Elle laissoit fur son fils au gouverneur une autoritĂ© souveraine, & ne se rĂ©servoir que le droit de la soutenir de toute la sienne, s’il en Ă©toit besoin. Le jeune homme ne s’apperçut qu’il avoir un maĂźtre de plus , qu’aux nouvelles douceurs que sa sociĂ©tĂ© lui procures , & aux connoissances plus Ă©tendues dont il lui donnoit le goĂ»t en mĂȘme E 4 > r o4 RĂ©flexions prĂ©liminaires temps qu’il les lui faisoit acquĂ©rir conjointement avec des maĂźtres car on n’en Ă©pargna aucun peur son Ă©ducation, & l'on n’avoit pas imaginĂ© que son instituteur dĂ»t ĂȘtre un homme universel. Au reste, la maniĂ©rĂ© dont il s’y prit pour achever de former & de perfectionner ion Ă©leve, mĂ©rite d’ĂȘtre connue de tous ceux qui ont Ă  remplir la mĂȘme fonction. On peut en voir tout le dĂ©tail dans le Comte de Valmont, Nous dirons seulement, en faveur de ceux qui sont bien-ailes de trouver ici tout ce qu’il y a de plus nĂ©cessaire Ă  savoir pour une parfaite Ă©ducation, que cet ami fidele n’abandonnoit pas un instant le jeune homme dont il Ă©toit chargĂ©. Il Ă©toit de toutes ses Ă©tudes, pour les Ă©clairer, pour les aplanir , pour Ă©tudier en quelque forte avec lui. Il Ă©toit de tous ses plaisirs , pour les rĂ©gler, pour les Ă©purer, pour les lui rendre plus agrĂ©ables encore .par l’assaisonnement qu'il y savoit mettre. Il Ă©toit de toutes ses sociĂ©tĂ©s, pour lui apprendre Ă  les choisir, pour en Ă©carter les pĂ©rils, pour l’éloigner adroitement de celles qui ne lui conve- noient pas. Il Ă©toit fur toutes choses de ses pratiques de religion & de vertu, pour les diriger, pour les lui faire aimer, pour les lui persuader par son exemple bien plus que par ses discours. sur l’Éducation, ros Ils assoient ensemble s’attendrir fur les miseres humaines , pleurer fur les malheureux, & les consoler en leur procurant tous les secours dont ils avoient besoin. De la maniĂ©rĂ© dont il s’y pre- noit, c’étoitune des plus grandes rĂ©compenses de son Ă©leve que de pouvoir faire du bien ; & son gouverneur l’a voit sĂ©vĂšrement puni, toutes les fois que mĂ©content de lui, il ne lui a voit pas laissĂ© la libertĂ© d’en faire. Pour qu’il pĂ»t satisfaire aisĂ©ment cette passion si belle qu’il avoit excitĂ©e en lui, il le rendoit figement Ă©conome dans tous les achats qu’ils faisoient ensemble des choses qui lui Ă©toient nĂ©cessaires. Il lui en offroit ordinairement de plusieurs qualitĂ©s & de disse rens prix Ceci, lui diioit-il, fußt Ă  vos besoins , Ă  la biensĂ©ance, ÂŁ s? nest point au-defj'ons de votre Ă©tat ceci lui convient encore , nefl point au-dessus , mais il coĂ»te davantage, U vous laissera moins de bien Ă  faire. L’examen Ă©toit court, & le choix bientĂŽt fait. Il ne s’appliquoit pas seulement Ă  rendre son Ă©leve plus humain, plus bienfaisant, mais aussi plus Ă©clairĂ©, plus juste apprĂ©ciateur des choses. Il Pins truisoit Ă  ne mettre dans la poursuite de ce qu’on appelle des biens qu’un degrĂ© de chaleur proportionnĂ© Ă  leur prix ce qui en prĂ©venoit la passion, se ioS RĂ©flexions prĂ©liminaires souvent mĂȘme en Ă©teignoit le dĂ©sir. Il lut enseignoit Ă  ne pas confondre le bonheur avec l’opulence, la grandeur avec les dignitĂ©s & les titres, la vertu avec son masque, & l’homme avec son habit. Mais pour ne pas lui former un esprit caustique & un caractĂšre mĂ©chant, les leçons Ă©toient gĂ©nĂ©rales, & l’on nefaisoit aucune application sur personne en particulier , Ă  moins que les vices ne' fuflent manifestes ; encore lui faisoit-on de leur spectacle une Ă©cole de vertu. On lui apprenoit Ă  sĂ©parer toujours l’homme de ses dĂ©fauts, Ă  respecter sa nature, Ă  gĂ©mir de les erreurs en mĂȘme temps qu’on dĂ©testoit ses vices. Telles Ă©toient les leçons que lui don- noit son guide; mais elles ne sulFilbient point Ă  lĂ  sagesse. Il vouloit encore former en lui une ame forte, & la remplir de courage , non-seulement Ă  l’égard des Ă©vĂ©uemens & des revers, mais surtout Ă  l’égard des hommes & de leurs juge mens, il l’instruisoit Ă  braver le ridicule en faveur du devoir, Ă  mĂ©priser les plaiiĂ nteries des gens fans mƓurs, & Ă  triompher, par le sentiment du vĂ©ritable honneur, de la lĂąchetĂ© du respect humain. Ce n’est pas qu’il prĂ©tendĂźt par-lĂ  lui faire contracter le caractĂšre d’une vettu rude & farouche il vouloit au contraire S r R l’É DUCATION. lo? qu’il se pliĂąt Ă  tout ce qui n’étoit point un mal & qui ne pou voit pas le devenir; & que fans gĂšne , fans grimaces , fans feinte, il fĂ»t, s’il Ă©toit possible, le plus poli de tous les hommes. C’est ainsi que le fils de Madame de Veymur Ă©toit instruit & formĂ© par son sage Mentor. Heureux les parens qui peuvent avoir de tels instituteurs , de tels peres en second pour leurs enfans ! Si vous avez eu le bonheur d’en trouver un semblable, vous pouvez vous dĂ©charger fur lui de l’éducation des vĂŽtres, ou plutĂŽt y travailler de concert avec lui car rien ne peut vous dispenser, autant que vous le pourez, d’y travailler aussi vous-mĂȘme. Quelques leçons donnĂ©es Ă  propos dans vos nromens libres , seront beaucoup d’impression, si vous savez vous faire aimer & respecter. Avez - vous eu le malheur de donner, fans le savoir, un mauvais maĂźtre Ă  vos enfans hĂątez-vous de le renvoyer. En le gardant, vous vous rendriez, coupable de tout le mal qu’il ne manquerait pas de faire Ă  ses Ă©lĂšves. On raconte que fous le regne du cĂ©lĂ©brĂ© Kang-Hi, Empereur de la Chine, un riche Inspecteur des manufactures de ce vaste empire , Ă©tant fur le point de faire une longue tournĂ©e , donna un gouverneur Ă  ses deux fils. Tous deux annonçoient E 6 io8 RĂ©flexions prĂ©liminaires d’heureuses dispositions. Le pere fut k peine parti , que le gouverneur, abusant de l’autoritĂ© qu’on lui avoir confiĂ©e , devint le tyran de la maison. Il Ă©loigna les honnĂȘtes gens quipouvoient Ă©clairer ses dĂ©marches, & fit chasser ceux d’entre les domestiques qui avoient le Il us Ă  cƓur les intĂ©rĂȘts dĂ« leur maĂźtre absent. On eut beau instruire le pere de ce dĂ©sordre, il n’en voulut rien croire, parce qu’ayant une belle a me , il n’irna- ginoit pas qu’on pĂ»t jamais en agir ainsi. Ce mal n’auroit pas Ă©tĂ© fans remede, ii ce mĂ©chant pĂ©dagogue eĂ»t pu donner Ă  ses Ă©levĂ©s quelques vertus & des talens. Mais comme il en manquoit lui-mĂȘme, Il n’en fit que des enfans groiliers, impĂ©rieux, faux , libertins, ignorans. AprĂšs cinq annĂ©es de courses, l’Inspecteur de retour vit enfin la vĂ©ritĂ© , mais trop tard ; & fans autrement punir celui qui avoit abusĂ© de sa confiance, il se contenta de le renvoyer. Ce mauvais gouverneur eut l’imprudence de citer l’Inspecteur au tribunal d’un Mandarin, pour qu’on eĂ»t Ă  lui payer la pension qu’on lui avoit promise. Je la payerois trĂšs- volontiers , ĂȘf mĂȘme double , rĂ©pondit le pere en prĂ©sence du juge, ß ce malheureux m avoit rendu mes enfans tels que je devais naturellement l’espĂ©rer. Les voici poursuivit-il en s’adrefiant Ă  l’homme de sur l’Éducation. 109 la loi , examinez - les prononcez. E11 effet, aprĂšs les avoir interrogĂ©s, & aprĂšs avoir entendu toutes leurs inepties", le Mandarin porta cette sentence Je condamne cet Ă©ducateur Ă  la mort comme homicide de ses Ă©levĂ©s , si leur pere Ă  Vamende de trois livres de poudre d'or, non pour l’avoir chois mauvais , car on peut se tromper , mais pour avoir eu la faiblesse de le conserver si long - temps. Il faut quun homme , ajouta-t-il, ait la force d’en perdre un autre , quand il le mĂ©rite, si fur - tout si le bien de plusieurs l’exige. Ö11 sera rarement dans ce cas - lĂ , si l’on apporte toutes les prĂ©cautions qu’on doit Ă  un clioix de cette importance, ' & si l’on a moins Ă©gard au bon marchĂ© qu’au mĂ©rite. Peres de famille , vous mettez dans vos affaires le bon ordre 8 c l'arrangement, vous arrondissez votre fortune & celle de vos enfans mais vous nĂ©gligez l’essentiel. Quelques arpens de terre de plus peuvent-ils compenser une acquisition qui substitueroit le mĂ©rite dans les familles, & pouroit ouvrir les portes des emplois & des honneurs ? Sans Ă©ducation on ne fera jamais estimĂ©. Vous donc qui aspirez Ă  l’approbation des hommes , & qui voulez bien sĂ©rieusement vous perfectionner, recueillez tout. le. fruit que vous pouvez tirer de IÏO RĂ©flexions prĂ©liminaires l’éducation prĂ©cieuse que vous donne unpere tendre, connoisseur & attentif. La peine est courte, & les avantages durent toujours. Faites valoir au centuple l’argent de votre pere , amassez du mĂ©rite, tntrez courageusement dans le sentier qui mene Ă  la. vraie gloire. Songez que rien n’est plus beau ni plus utile pour vous , que de vous rendre estimable. TĂŽt ou tard les qualitĂ©s & les talens ont leur part Ă  la distribution des grĂąces ; & l’honnĂȘte homme ne veut devoit fa fortune qu’au mĂ©rite. Un Ministre avoit Ă©levĂ© une personne Ă  une place Ă©minente. Celle-ci vint pour l'en remercier , Vous ri avez , lui dit le Ministre , aucunes grĂąces Ă  me rendre; je nui eu en vue que l’utilitĂ© pubbque , A? vous n auriez point eu mon choix ,fi f avois trouvĂ© quelqu’un qui en fut plus digne que vous. Lorsqu’on a nĂ©gligĂ© dans la jeunesse de faire provision de science & de c-on- noissances utiles, on s’en repenttoujours dans la fuite. On se trouve souvent sans Ă©tat, sms fortune & dans la misere, soit parce qu’on a manquĂ© de conduite , fruit ordinaire d’une Ă©ducation nĂ©gligĂ©e, ou parce que, faute de capacitĂ©, on ne peut parvenir Ă  des emplois qui auroient fourni aux besoins & aux commoditĂ©s de la vie. L’oisivetĂ© a toujours Ă©tĂ© la sur l'Éducation. m mere de l’indigence , & l’ignorance la fille de la paresse. Les momens font bien chers , mettez, les Ă  profit. Vous ĂȘtes dans cet Ăąge heureux oĂč l’esprit commence Ă  penser , & oĂč le cƓur est pur & tranquille. C’est peut-ĂȘtre Ă  prĂ©sent le seul temps que vous pourez employer Ă  vous instruire. BientĂŽt le goĂ»t des amusemens , l’amour des plaisirs emportera tous vos momens ; ou le foin des affaires domestiques , les relations nĂ©cessaires Ă  un Ă©tat que vous embrasserez , les infirmitĂ©s qui peuvent survenir, ne vous permettront pas d’acquĂ©rir les connoilĂźances qui font honneur. Et quand mĂȘme , convaincu de leur grande utilitĂ© , vous voudriez alors vous y appliquer sincĂšrement, le dĂ©goĂ»t que vous Ă©prouveriez , vous empĂšche- roit d’y faire de grands progrĂšs parce que votre esprit n’ayant plus alors cette flexibilitĂ© , qui est le partage de la jeunesse , il vous faudrait acheter par un travail pĂ©nible ce que vous pouvez apprendre aujourd’hui avec une grande facilitĂ©. Mettez donc, je vous le rĂ©pĂ©tĂ© , Ă  profil l’aurore de votre vie; & tachez de vous garantir de l’ignorance qui, indĂ©pendamment de la honte qui l’accompagne , est toujours un dĂ©faut de plus & un mĂ©rite de moins. On ne recueille point ce qu’on n’a pas semĂ©. 2?iÀ RĂ©flexions prĂ©liminaires DES EXERCICES PROPRES A PERFECTIONNER ÉÉDUCATION. Bien des parais bornent l’éducation Ă  l’étude du latin ; & quand les classes font faites, ils croient que tout est fait. Ceux qui pensent mieux n’ont garde de s’en tenir Ă  si peu de chose. Ils s’appliquent Ă  orner l’esprit des connoif- fances nĂ©cessaires dans la sociĂ©tĂ©, & Ă  former le corps par tous les exercices qui conviennent. On ne verrait pas tant de fainĂ©ans , de libertins , d’hommess groifiers & inutiles , qui surchargent la terre du poids de leur existence ou la dĂ©shonorent par leurs vices, si l’on savoir mieux employer cet Ăąge fortunĂ© qui se trouve entre la fin des classes & le choix d’un Ă©tat. C’est le dĂ©faut d’études & d’occupations , qui prĂ©cipite d’ordinaire la jeunesse dans les plus honteux Ă©gare mens. A peine hors du college ou des mains d’un prĂ©cepteur, des jeunes gens souvent ausiĂź remplis de vanitĂ© que vides de science, renoncent Ă  toutes les Ă©tudes & se trouvent libres. Tour l’emploi qu’ils font de leur temps, se rĂ©duit Ă  monter Ă  cheval, Ă  faire des armes, Ă  promener en tous lieux un sur l’Education, i i 3 plumet ou un uniforme, Ă  s’associer Ă  une troupe de petits-maĂźtres , & peut- ĂȘtre de jeunes dĂ©bauchĂ©s qui n’ont nul respect pour les biensĂ©ances , Ă  frĂ©quenter les spectacles , les promenades publiques , les cafĂ©s, les lieux de jeu. Et comment veut-on que des jeunes gens, accoutumĂ©s de li bonne heure Ă  ne savoir que faire, Ă  ne rien faire, ne fassent pas mal, & ne finissent par se dĂ©grader ? DĂšs qu’un jeune homme a fini ses Ă©tudes , c’est alors qu’un pere judicieux, & curieux de la perfection de son fils, doit redoubler ses soins , son attention & sa dĂ©pense. Le moment est venu de travailler Ă  faire concourir tout ce qui peut le perfectionner. Il doit lui donner un peu plus de libertĂ©, sans lui lĂącher les rĂȘnes ; lui confier de l’argent, mais ni trop ni trop peu, & s’en faire rendre compte pour Ă©viter l’abus. Il faut encore le bien persuader que c’est assez d’ĂȘtre mis proprement , mais modestement ; le convaincre qu’il doit Ă©viter l'oisivetĂ© & la dissipation , & partager son temps entre la lecture de livres choisis, les exercices , & les plaisirs innocens de son Ăąge. A l’égard des exercices, il doit s’appliquer avec un trĂšs - grand foin Ă  tous ceux qui , propres Ă  son tempĂ©rament ii4 RĂ©flexions prĂ©liminaires & Ă  la condition, peuvent le fortifier, le dresser , corriger ce qu’il y a de grösster dans ses mouvemens, & leur faire prendre une attitude convenable. C’est en particulier ce que procure un bon maĂźtre d 'armes. Sans vouloir faire le mĂ©tier mĂ©prisable de gladiateur , il est utile de savoir faire des armes. On peut fe trouver dans le cas d’ĂȘtre obligĂ© de dĂ©fendre iĂ  vie contre un brutal ou des assassins. Je fais qu’un jeune homme, fier de bien manier l’épĂ©e, peut en abuser , ainsi que des meilleures choses mais s’il a Ă©tĂ© bien Ă©levĂ© , il ne le fera jamais. Le manĂšge est absolument nĂ©cellaire mais un an ; c’est assez. On ne s’en occupe plus long - temps que par amusement , ou pour remplir le vide du temps qu’on ne fait pas mieux employer. Le dejjin est trĂšs-utile il apprend Ă  bien juger d’un tableau, Ă  dessiner un plan, Ă  crayonner un point de vue ; mais on doit en demeurer lĂ  , Ă  moins qu’on ne soit destinĂ© au gĂ©nie & aux fortifications. Pour la peinture, il faut s’y appliquer beaucoup moins ; fans quoi l’on contracte un goĂ»t dangereux; onse ruine en originaux, & l’on reste souvent un original. Pour la danse , c’est un ornement qu’il est bon de se procurer. Car ce seroit sur. l’Education. uf porter le rigorisme trop loin , que d’interdire absolument la danse aux personnes du monde , & l’on ne peut en condamner que les abus. Elle est dans la classe des exercices propres aux jeunes gens de l’un & de l’autre sexe. Elle apprend Ă  se prĂ©senter de bonne grĂące, Ă  marcher de bon air , Ă  bien placer la tĂȘte & le corps. Mais Ă  trente ans on ne danse plus, & alors c’est le plus petit mĂ©rite du monde d’ĂȘtre bon danseur , sur-tout quand on n’est guĂšre que cela. Une dame , plus spirituelle que polie, dit Ă  un petit homme qui n’avoit pour tout mĂ©rite que de bien chanter & de bien danser Petit homme , chantez petit homme, dansez; petit homme , allez- vous-en. Il n’en est pas de mĂȘme de la musique ; c’est une ressource pour toute la vie. Celui qui n’a pas appris la musique, ne sauroit en sentir toute la beautĂ©. C’est le plus honnĂȘte & le plus pur de tous les plaisirs il est de tous les Ăąges, de tous les Ă©tats , de tous les lieux , de presque tous les goĂ»ts. Mille gens , grossiers d’ailleurs , aiment la musique ; & l’on ne trouvera pas un homme dĂ©licat qui ne l’aime. On peut en jouir aux dĂ©pens d’autrui, sans ĂȘtre importun , & l’on peut s’en amuser seul elle fournie souvent l’occasion d’amuser les autres. n6 RĂ©flexions prĂ©liminaires Elle dĂ©lasse l’esprit , prĂ©vient l’ennui, dissipe l’humeur sombre , inspire la joie & les sentimens agrĂ©ables. Elle fauve les mƓurs, & les conserve. Combien de jeunes gens se sont prĂ©servĂ©s de parties de dĂ©bauches par des parties de musique ! Il ne faut pourtant pas en faire sa principale occupation , ni faire dire de foi ce qu’on dilbit d’un habile joueur d’instrument , qu’il avoit tant d’esprit au bout des doigts V dans l’oreille , qu’il ne lui en restoit que fort peu dans la tĂȘte. DĂšs qu’on fait dĂ©chiffrer un air & faire fa partie, c'en est assez. Procurez la plupart de ces ornemens Ă  votre fils ils font gracieux, ils font honneur au pere & Ă  son Ă©leve. Mais prĂ©fĂ©rablement Ă  tout, attachez-vous aux connaissances de l’efpric. Formez- lui une bibliothĂšque des meilleurs dictionnaires, des plus excellons historiens, des plus habiles orateurs, des poĂ«tes les plus renommĂ©s & des principaux ouvrages de religion & de morale. Enrichiriez- la tous les ans, non de ces brochures ephemeres qu’on ne lit qu’une fois, & qu’on est souvent fĂąchĂ© d’avoir lues, mais de ces livres prĂ©cieux qui ont mĂ©ritĂ© une approbation gĂ©nĂ©rale, & qu’on ne cesse de relire, infpirez-lui le goĂ»t & l’amour de la bonne lecture ; elle achĂšvera de lui Ă©tendre & de lui perfectionner l’esprit.. sur l’Éducation. 117 Qu’il apprenne Y histoire ancienne U moderne ignorer ce oui s’elt passĂ© avant fa naissance , s’est rester toujours enfant. Mais fur-tout qu’il s’attache Ă  bien savoir l’histoire de sa patrie , & qu’il l’apprenne avec quelque Ă©tendue il suffit de jeter une vue plus gĂ©nĂ©rale fur les autres nations. Qu’il s’applique auffi Ă  la puretĂ© & Ă  la dĂ©licatesse de fa langue. Tout terme impropre & toute construction vicieuse gĂątent la conversation la plus brillante ; & s’il y a peu de gloire Ă  bien parler fa langue, il y a beaucoup de honte Ă  la parler mal. Les bons dictionnaires & les meilleures grammaires apprennent l’orthographe , qui fait partie & preuve d’une Ă©ducation cultivĂ©e. S’il a beaucoup de loisir, qu’il Ă©tudie Yhistoire naturelle & la phyfique. Ces connoissances , qui piquent la curiositĂ© & l’amusent, sont dignes de l’homme. 11 convient de connoĂźtre le sĂ©jour qu’on habite. Il est bon auffi d’avoir quelques principes de philosophie ils forment l’elprit & Ă©clairent la raison. Mais il doit principalement s’attacher Ă  cette partie de la logique qui a pour but de nous apprendre Ă  raisonner juste. On n’est pas obligĂ© de savoir l’histoire, la gĂ©omĂ©trie , les langues > mais on doit toujours ÎI§ RÉFLEXIONS PRELIMINAIRES juger sainement - & raisonner avec justesse sur tout ce qui regarde la vie civile. 31 y a lĂ -dessus d’excellentes choses dans la Logique de Fort - Royal. Il lira cet ouvrage avec fruit, s’il a pour guide & pour interprĂ©tĂ© un maĂźtre habile , qui sache en retrancher les inutilitĂ©s & quelques erreurs. Il est si facile d’apprendre les rĂ©glĂ©s de la verßsication française , qu’il est presque inexcusable & honteux de les ignorer. Il est d’ailleurs agrĂ©able & utile de les savoir , pour lire les vers avec plus de plaisir, & pour en composer quelques-uns dans l’occasion mais si l’on est fige, on laissera faire le mĂ©tier de poĂ«te Ă  d’autres. Les Espagnols disent en proverbe , qu’il faut ĂȘtre sot pour ne pas faire deux vers, & fou pour eu faire quatre. L’AbbĂ© RĂ©gnier , qui a fait quelques jolies piĂšces de vers, a dit aussi Qu'un honnĂȘte homme, une fois en fa vie, Fasse un sonnet, une ode , une Ă©lĂ©gie, Je le crois bien. Mais que l’on ait la tĂȘte bien raflise, Quand on en fait mĂ©tier & marchandise, Je n’en crois rien. Si pour achever l’éducation d’un jeune homme , on le fait voyager qu’il ne ressemble pas Ă  ces jeunes fous , qui ont couru tout le monde & n’ont rien sur l’Éducation. 119 vu. Qu’il examine , Ă©tudie les mƓurs & les caractĂšres , & fur-tout qu’il fe compose un mĂ©rite de celui de toutes les autres nations. Ce plan bien exĂ©cutĂ©, nous osons annoncer au pere de famille qu’il fera de son fils un sujet excellent, l’honneur de fa maison , la joie de fa vieillesse, & la consolation de toute sa vie. Car si l’éducation la plus soignĂ©e n’a pas toujours un heureux succĂšs, c’est une exception rare, & qui n’arrive encore le plus souvent que parce qu’on a pris trop peu de prĂ©cautions pour en conserver & en assurer les fruits. Quel bonheur & quels avantages pour les enfans, quel honneur & quelle satisfaction ne fe prĂ©parent pas pour eux- mĂ©mes les peres & les meres qui, convaincus que le plus important de leurs devoirs est celui de l’éducation de leur famille , s’appliquent Ă  le remplir dan» toute fou Ă©tendue ! Mais qu’ils font doux ces devoirs que la nature leur impose ! En prenant foin de fa famille, on substitue des plaisirs vrais & lĂ©gitimes Ă  des ^ plaisirs faux & dangereux , des occupa- ' tions honnĂȘtes Ă  des amufemens frivoles on rend fa maison vivante & agrĂ©able pour foi-mĂšme. Un vrai pere reçoit avec transport les caresses ingĂ©nues de fe» enfans , les tĂ©moignages respectueux de I2V RĂ©flexions prĂ©liminaires, &c. leur amour , & cultive avec joie ces jeunes plantes une vĂ©ritable mere veille fur leur santĂ©, prĂ©side Ă  leurs jeux , Ă  leurs plaisirs innocens & s’en amuse. Tous deux resserrant Ă  l’envi les nƓuds qu’ils ont formĂ©s , & dont ils voient les heureux gages croĂźtre & se perfectionner sous leurs yeux , se tiennent lieu de l’univers. Cependant le public les loue , les estime ; & si , par une Ă©ducation sage & exempte de foiblesse , ils apprennent Ă  leurs enfans Ă  les respecter, Ă  leur ĂȘtre soumis, Ă  leur rendre ce culte filial qu’on doit Ă  ceux qui nous ont donnĂ© le jour ; s’ils leur font aimer par la persuasion & par l’exemple les vertus qu’ils leur enseignent, que leur manque -t-il pour ĂȘtre heureux? LES MAXIMES DE L’HONNÊTE HOMME O U DE LA SAGESSE. I. Craignez un Dieu vengeur, & tout ce qui le blesse. C’elt-lĂ  le premier pas qui mĂšne Ă  la sagesse. I I. Ăźle plaisantez jamais ni de Dieu ni des Saints;- Laissez ce vil plaisir aux jeunes libertins. III. Que votre piĂ©tĂ© soit sinCere & solide Et qu’à tous vos discours la vĂ©ritĂ© prĂ©side. I V. Tenez votre parole inviolablement Mais- ne la donnez pas inconsidĂ©rĂ©ment. Tome I. F % - 122 L e's Maxim e s v. Soyez officieux i complaisant, doux,affable, Poli, d’humeur Ă©gale &vaiis serez aimable. V I. Du pauvre qui vous doit augmentez point les maux. Payez Ă  l’ouvrier le prix de ses travaux. V I I. Bon pere, bon Ă©poux , bon maĂźtre fans foi- blesse; Honorez vos parens, fur-tout dans leur vieillesse. VIII. Du bien qu’on vous a fait soyez reconnoissant. Montrez-vous gĂ©nĂ©reux, humain & bienfaisant. I X. Donnez de bonne grĂące une belle maniĂ©rĂ© Ajoute un nouveau prix au prĂ©sent qu’on veut faire. X. Rappelez rarement up service rendu Le bienfait qu’on reproche est un bienfait perdu. X I. Ne publiez jamais les grĂąces que vous faites; Il faut les mettre au rang des affaires fecrete-s. t de l’h oN K kt e Homme. i^Ăź X I I. PrĂȘtez avec plaisir, mais avec jugement. S’il faut rĂ©compenser, faites-le dignement. XIII. Au bonheur du prochain ne portez pas envie. N’alltz point divulguer ce que l’on vous confie. X I V. Sans ĂȘtre familier , ayez un air aisĂ©. Ne dĂ©cidez de rien qu’aprĂšs l’avoir pesĂ©. X V. A la religion soyez toujours fidelle On ne fera jamais honnĂȘte homme sans elle; XVI. DĂ©testez & l’impie & ses dogmes trompeurs Ils sĂ©duisent l’esprit, ils corrompent les mƓurs. XVII. Ne rejetez pas moins tout principe hĂ©rĂ©tique C’est peu d’ĂȘtre chrĂ©tien si l’on n’est catholique. X V II I. Aimez le doux plaisir de faire des heureux Et soulagez sur-tout le pauvre vertueux. IL4 Les M axĂŻSes X I X. Soyez homme d’honpeur, & ne trompes personne A tous ses ennemis un cƓur noble pardonne. X X. Aimez Ă  vous vengerpar beaucoup de bienfaits , Parlez peu,pensez bien,& gardez vos secrets. XXL Ne vous informez pas des affaires des autres Sans air mystĂ©rieux dissimulez les vĂŽtres. XXII. N’ayez point de fiertĂ©. Ne vous louez jamais. Soyez' humble & modeste au milieu des succĂšs. XXIII. Surmontez les chagrins oĂč l’esprit s’abandonne Ne Faites rejaillir vos peines fur personne. XXIV. Supportez les humeurs & les dĂ©fauts d’au» trui Soyez des malheureux le plus solide appui. XXV. Reprenez sans aigreur louez fans flatterie. Ne mĂ©prisez personne entendez raillerie, D È L 1 H O N N È T E H 0 M JM E JZs XXVI. FuyeZ les libertins , les fats & les pĂ©dans. Choisissez vos amis , voyez d’honnĂȘtes gens. XXVII. Jamais ne parlez mal des personnes absentes. Badinezprudemmentlespersonnes prĂ©sentes. XXVIII. Consultez volontiers. Evitez les procĂšs. OĂč la discorde regne , apporte-y la paix. XXIX. Avec les inconnus usez de dĂ©fiance. Avec vos amis mĂȘme ayez de la prudence. XXX. Point de folles amours, ni de vin, ni de jeux Ce font lĂ  trois Ă©cueils en naufrages fameux. XXXI. Sobre pour le travail, le sommeil & la table, Vous aurez l’esprit libre & la santĂ© durable. XXXII. Jouez pour le plailir, & perdez noblement, Sans prodigalitĂ© dĂ©pensez prudemment. XXXIII. Ne perdez point le temps Ă  des choses frivoles L sage est mĂ©nager du temps & des paroles. F Z 126 Les Maximes, &c. XXXIV. Sachez Ă  vos devoirs immoler vos plaisirs Et pour vous rendre heureux modĂ©rez vos dĂ©sirs, XXXV. Ne demandez Ă  Dieu ni grandeur ni richesse i Mais pour vous gouverner demandez la fa* gesse. L'ÉCOLE DES MƒURS O u RÉFLEXIONS MORALES ET HISTORIQUES SUR LES MAXIMES DE l’hONNÈTE HOMME. I. C'aignt { un Dieu vengeur , ÂŁ? tout ce qui le blesse C'est-lĂ  le premier pas qui mene Ă  la sagesse. ; toutes les connoissances nĂ©cessaires Ă  l’homme, la premiĂšre & la plus importante est celle de l’existence d’un Etre suprĂȘme. La persuasion de cette F 4 i2g L’I e o l Ăš existence est la base fixe & invariable sur laquelle reposent les mƓurs , la vertu, la probitĂ© , & toute la sociĂ©tĂ© humaine. Qtez-la du cƓur des hommes , que deviendra le monde , ou plutĂŽt quel théùtre d’horreurs ne deviendra-t-il pas ? Oui, il est un Dieu ; & nous ne pouvons le concevoir que fous l’idĂ©e d’un Etre tout-puiiĂźant, souverain protecteur de l’ordre » vengeur du crime & rĂ©munĂ©rateur de la vertu. Essentiellement infini dans toutes ses perfections , il cesseroit d’ëtre Dieu , s’il 1 assoit la vertu fans rĂ©compense ou le vice impuni. Il n’exerce pas toujours dans cette vie les droits de sa justice , pour des raisons dignes de sa sagesse ; car qui oseroif prĂ©tendre qu’il n’en peut avoir? Et quand nous ne les connaĂźtrions pas , qui de nous a l’Ɠil assez pĂ©nĂ©trant, pour dĂ©couvrir toute la profondeur de sa conduite fur les enfans des hommes., & pour la juger ? S’il rĂ©compensait toutes les bonnes actions fur le champ , & s’il punissoit le crime auilĂź-tĂŽt qu’il est commis , ne gĂšneroit-il pas cette libertĂ© » qui est le principe des vertus , des rĂ©compenses. mĂ©ritĂ©es , en mĂȘme temps, qu’elle nous tait rendre Ă  Dieu un hommage digne de lui ? Car s’il lui a plu- de nous laisser durant le court espace de cette vie entre les mains de notre des MƓurs. 129 conseil, c’est parce qu’il lui est plus glorieux d’ĂȘtre servi & adorĂ© par des crĂ©atures libres & raisonnables, que par des ĂȘtres qui , ioumis Ă  la nĂ©cesiĂŻcĂ© , ne ferment ni plus vertueux ni plus vicieux que le soleil qui mĂ»rit nos moissons, & la grĂȘle qui les dĂ©vaste. Mais si pour un temps il souffre l'abus de la libertĂ© , il sait toujours tirer le bien du mal mĂȘme. Tandis que la vertu gĂ©missante se purifie & s’éprouve, qu’elle augmente ses mĂ©rites & ses rĂ©compenses ; le mĂ©chant, qui triomphe & qui prospĂ©rĂ©, a tout le temps , & ne peut imputer qu’à lui-mĂȘme les horribles malheurs qui l’attendent,'si, en s’obstinant , malgrĂ© les cris de fa conscience , Ă  mettre le comble Ă  ses crimes , il force enfin la Justice divine Ă  les punir. Et ne doutons pas qu’elle ne le fasse d’une maniĂ©rĂ© digne d’ells, & proportionnĂ©e aux attentats. Eh quoi ! dioit-on Ă  un impie qui se raiiloit de l’enfer,/ hommes auront des prisons , des cachots , des roues A? des feux pour punir les crimes de lese-majestĂ© humaine ; Èf Dieu rte Je sera rien rĂ©servĂ© pour venger sa majestĂ© divine, ß souvent st indignement outrapĂ©e par de vils mortels , quil avoit comblĂ©s de ses bienfaits ! Que deviendroient lĂ  justice & si saintetĂ© suprĂȘme, s’il regardoit du mĂȘme F s ’3?ÂŁ> L’École oeil le bien & le mal , & s’il laiiĂźoĂźt le- scĂ©lĂ©rat dormir Ă  cĂŽtĂ© de l’homme de- bien dans la,nuit paisible du tombeau? Heureux dans son iniquitĂ©, environnĂ© de richesses & de plaisirs , il auroit opprimĂ© l’innocence , Ă©puisĂ© tous les crimes , & terminĂ© en paix ses jours, abominables; pendant que le Julie, , victime de ses violences , auroit passĂ© & fini les siens dans l’infortune & dans les larmes. Et Dieu, qui en auroit Ă©tĂ© le tĂ©moin, qui se seroit vu lui-mĂȘme infiniment offensĂ© dans les persĂ©cutions faites Ă  la vertu , garderoit un Ă©ternel silence ! & il n’y aura pas une autre vie oĂč fa justice rĂ©tablira l’ordre , changera les destinĂ©es, & rendra Ă  chacun selon ses oeuvres! Oui, fans doute, il se lĂšvera- enfin, jugera lui-mĂȘme sa cause , & se vengera en maĂźtre justement irritĂ©, Il n’est si lent Ă  punir , il ne laisse Ă©chapper avec tant de peine les traits de fa colere, que parce qu’il a une Ă©ternitĂ© toute entiĂšre pour frapper les coupables. En vain l’impie se flatte-t-il d’ĂȘtre anĂ©anti celui qui l’a tirĂ© du nĂ©ant, l’en tireroit une seconde fois, s’il le sali oit, pour exercer fur lui ses vengeances , et lui faire boire jusqu’à la lie le calice de sa fureur. Dieu ne nous a pas créés , il est vrai, pour nous perdre & nous rendre Ă©ternellement malheureux ; mais aufli il ne DES MƒURS. I ’ 1 nous a pas créés pour l’offenser & l’outrager. Nous le saisons cependant, nous changeons toutes les vues qu’il avoit lia nous faut-il nous Ă©tonner qu’il change Ă  notre Ă©gard tout l’ordre de la providence? Si nous abusons de la bontĂ© & de ses bienfaits dans le temps de sa clĂ©mence, ne doit-il pas punir les outrages lans nombre, faits Ă  la souveraine majestĂ©, lorique le temps de fa justice fera venu ? Plus ses chĂątimens feront terribles, plus nous devons les redouter, 8c craindre un maĂźtre aussi puissant qu’il est juste. Mais, quelque triste qu’il soit de le dire , la plupart des hommes n’ont jamais fait lĂ -dessus aucune rĂ©flexion profonde, & ils vivent, fur ce qu’il y eut jamais de plus important .pour eux , clans une iudissĂ©rence Ă©tonnante qu’ils n’aufoient pas pour leurs affaires d’une bien moindre consĂ©quence. Tandis que l’impie, qui dĂ©sire que Dieu ne soit point, s’efforce de se le persuader , & se fait mĂȘme un honneur affreux d’en paroĂźtre convaincu ; beaucoup d’autres , Ă  qui une impiĂ©tĂ© ferme & dĂ©clarĂ©e feroit horreur , aiment mieux n’y point penser , ou rester dans une indĂ©cision, qui, Ă  la bien dĂ©finir, n’est qu’une espece d’athĂ©isme , moins rĂ©voltante & plus tranquille. DĂ©chirons le bandeau fatal qui les aveugle & ne les excuse pas. Montrons F 6 L’É c o l e aux yeux & Ă  l’esprit l’existence du souverain Etre, imprimĂ©e sur toutes les crĂ©atures en caractĂšres fi ineffaçables & si Ă©clatons , que les hommes mĂȘme les plus simples & les plus greffiers ne sauroient la mĂ©connoĂźtre. Apprenons fur-tout Ă . l’àge qui rĂ©flĂ©chit si peu , Ă  faire fur ce qu’il voit tous les joups fans attention, des rĂ©flexions aulfi agrĂ©ables & aussi- nouvelles pour lui, qu’utiles & satisfaisantes. DĂ©couvrons-lui dans les principales merveilles de la nature l’Auteur de l’univers & le sien. Trop grand , trop parfait pour tomber fous les sens , peut- on ne pas l’appercevoir & ne pas le reconnoitre dans scs ouvrages ? En effet, quand je vois un bel Ă©difice , je me dis Ă  moi-mĂȘme Ce superbe bĂątiment ne s’elt pas formĂ© seul avec tant d’ordre & de rĂ©gularitĂ© un architecte habile en a tracĂ© le dessein , & des ouvriers intelligens l’ont exĂ©cutĂ©. Je rirois de celui qui viendroit me dire sĂ©rieusement qu’il est l’ouvrage du hasard ; cause aveugle qui mĂȘme n’en est pas une , puisque ce n’est rien. Ainsi, lorsque je contemple l’admirable spectacle de l’univers, ctsglobes lumineux,, qui roulent si majestueusement au-dessus de nos tĂštes, depuis un si grand nombre de siĂšcles , avec des rĂ©volutions si justes & si constantes ; lorsque je considĂ©rĂ© la. des MƓurs. 15 j prodigieuse fĂ©conditĂ© de la terre, que le temps n’a point Ă©puisĂ©e, & qui nous paye tous les ans , avec le mĂȘme ordre & une si reguliere exactitude, le tribut prĂ©cieux de tant de fruits & de plantes » dont la variĂ©tĂ© est infinie ; lorsque je promenĂ© mes regards Ă©tonnĂ©s fur l’immense Ă©tendue de la mer, que je pĂ©nĂ©trĂ© dans ses abymes profonds oĂč le jouent tant de monstres d’une Ă©norme- grandeur, oĂč se reproduisent sms celle tant d’autres poissons , dont plusieurs, ont reçu pour nous une fĂ©conditĂ© inĂ©puisable ; lorsque j’examine enfin la construction merveilleuse du corps humain,, qui est un chef- d’Ɠuvre de mĂ©canisme Ă  la vue de tant de belles choses , plein d’une religieuse admiration, je m’écrie AlĂźurĂ©ment tous ces prodiges annoncent, un souverain MaĂźtre, qui a créé le monde- par sa toute-puissance,, le conserve pat lĂ  bontĂ© , & le gouverne par sa lĂ gesse infinie. Quel autre en effet pour oit les avoir produits ? Si en voyant une belle- machine, personne ne doute qu’elle ne forte des mains d’un ouvrier industrieux», en considĂ©rant les beautĂ©s de la nature ,, qui peut douter i qu’elles ne loient Ci Je fuis persuadĂ©, dit >*. de Voltabc , qu’une- horloee prouve un horloger , & que l’univeri prouvĂ©, un Dieu. Lettre Ă  la suite de sa AiĂ©taçhyfiquc, Ăź 34 L’É c o L E l’ouvrage d’un Dieu crĂ©ateur & maĂźtre absolu de l’uni vers ? Mais parce que ces grandes & magnifiques preuves de l’existence d’un Dieu, pour faire des impressions plus profondes & plus durables, doivent ĂȘtre prĂ©sentĂ©es avec quelque Ă©tendue , nous invitons les jeunes gens Ă  vouloir bien nous suivre dans le dĂ©veloppement que nous allons en faire pour leur instruction. .Nous ne leur offrirons que des tableaux agrĂ©ables & intĂ©reflans. Non fans doute , nous n’avons pas besoin de recherches pĂ©nibles , pour apprendre qu’il existe un Etre suprĂȘme, & pour en concevoir la plus grande idĂ©e ; nous n’avons qu’à lever les yeux vers le Ciel nous verrons que tout y annonce Ă  l’univers son existence & fa grandeur. Qui a dit au soleil Sortez du nĂ©ant R prĂ©fidezaujour ,‱ & Ă  la lune Parafez fi-f soyez le flambeau de la nuit ? Qui a donnĂ© l’ĂȘtre Ă  cette multitude d’étoiles qui dĂ©corent le firmament , & dont le nombre , ainsi que l’éclat, a vraiment de quoi nous Ă©tonner & nous surprendre 12 2 On compte T400 Ă©toiles u la simple vue mais avec le tĂ©lescope on en dĂ©couvre bien davantage. La seule voie Ustéç eĂŒ, selon l’opinion go*n- des MƓurs. jjy Si, suivant la sage rĂ©flexion d’un des plus cĂ©lĂ©brĂ©s Auteurs paĂŻens, quelqu’un eĂ»t Ă©tĂ© Ă©levĂ© dĂšs l’enfance dans des lieux fous terre , & qu’il en sortĂźt tout d’un coup pendant une de ces. nuits brillantes oĂč mille astres Ă©tincellent de toutes parts ; quel servit son Ă©tonnement ! Ne cher- cheroit-il pas Ă  connoĂźtre l’auteur d’une dĂ©coration si magnifique ? & quelle idĂ©e ne se formerait-il pas de sa puissance ? Quelque accoutumĂ©s que soient nos yeux Ă  un si beau spectacle , pouvons- nous en jouir nous - mĂȘmes fans en ĂȘtre frappĂ©s, & ne pas nous Ă©crier quelquefois Quelle magnificence & quelle attention , d’avoir Ă©levĂ© si haut de tels luitres dans toute la voĂ»te des deux, pour embellir durant la nuit notre sĂ©jour sans en troubler le repos , pour guider nos pas dans les tĂ©nĂšbres ? & pour diriger au milieu des ondes nos hardis navigateurs ! Tous ces astres qui nous parodient si petits, & qui font autant de soleils immenses , n’ont fans doute Ă©tĂ© placĂ©s si loin de nous que pour nous garantir de leurs feux , fans nous priver de la jouissance de leur lumiĂšre. mime des favans , un amas infini d'Ă©toiles, qui ne parcilTun dans U tĂ©lescope mĂȘme, a cause de leur prodignux Ă©loignement, que komme ko? Éourwiliere 4e points iumineu*. i ^6 L’ É c 0 t E Comme il n’y a que celui qui a fait les Ă©toiles qui puiife en compter le nombre , lui seul auliĂź peut en mesurer la grandeur. Elle doit ĂȘtre prodigieuse puisqu’on les apperçoit encore , quoiqu’elles soient la plupart beaucoup plus- Ă©loignĂ©es de la terre que le soleil lui- mĂȘme dont la distance nous Ă©tonne. Z Sans entrer ici dans les calculs astronomiques , qui ne font pas de notre ressort; ce qui est certain, & ce qui nous intĂ©relle bien davantage, c’est que la Sagesse divine a mis , ainsi que les Ă©toiles , l’astre du jour dans la juste distance qui nous convenoit. PlacĂ© plus- loin ou plus prĂšs, il nous eĂ»t Ă©tĂ© inutile ou nuisible il n’aurait pu rendre la terre fĂ©conde par sa douce chaleur , ou. il l’auroit bridĂ©e de ses feux. Si quelques-uns de ces astres innombrables qui brillent au-dessus de nos tĂštes , venoient Ă  se dĂ©placer , tout 3 On fait que les plus habiles mathĂ©maticiens afl’urcnt qu’il est un million de fois plus gros que la tene . & qu’il est Ă©loignĂ© de nous de plus dt 30 millions de lieues Les Ă©toiles fixes font encore inst nhuent plus Ă©loignĂ©es la plus voisine de la terre 3 selon M. Hayons , l’un des plus grands mathĂ©maticiens & des plus cĂ©lĂ©brĂ©s astronomes du ilernur siede» en est 27 mille 604 fois plus Ă©loignĂ©e que ie soleil ainsi eiltest Ă  910 milliards 932 1e lient s de la terre» en supposant, selon l’opinkn commune, ie soleil Ă  33 millions de lkues de nuus. des MƓurs. 137 l’univers seroit dans la confusion le moindre choc d’une de ces spheres terribles pouroit mettre notre globe en morceaux. Cependant, malgrĂ© leur multitude , nra'grĂ© les effort? & la rapiditĂ© de leurs mouvemens , depuis six mille ans elles se meuvent toujours l’une auprĂšs de l’autre dans le nĂ©me ordre , & fuis aucun embarras le jeu en ef Ă©galement facile ce constant. Elles font donc toutes sorties d’une mĂȘme main, & marchent fous les lois d’un seul .MaĂźtre. Et qu’il etc grand, ce MaĂźtre ! qu’il elf puissant! Le ciel est rempli de la g'oire on y voit par. tout les traits de fa sagesse & de sa grandeur profondĂ©ment gravĂ©s. Si au spectacle magnifique du ciel nous joignons celui de la Mer, quelle iubh’me idĂ©e n’aurons-nous pas de la puissance de Dieu ! Ne peut-011 pas mĂȘme dire que la mer nous offre, Ă  bien des Ă©gards, une image sensible de la DivinitĂ©? son immensitĂ© nous peint en quelque forte celle de Dieu ; sa profondeur qu’on ne sauroit atteindre , ü’abyme impĂ©nĂ©trable des desseins Ă©ternels. Son calme nous reprĂ©sente la clĂ©mence divine, & son courroux la colere terrible d’un Dieu irritĂ©- Les mugisse- mens affreux de ses flots remplissent d’effroi les plus intrĂ©pides, & en les r;8 L’École' voyant s’élever presque jusqu’aux nues avec tant de grandeur & de majestĂ©, celui qui pense ne peut s’empĂȘcher de reconnoĂźtre avec le Roi-Prophete , que c’est-SĂ  vraiment une des choses les plus admirables de'l’univers , & un des tĂ©moignages les plus convaincans de la toute-puissance divine. 4 On croiroit que ce vaste & fier Ă©lĂ©ment , dans la fureur qui le transporte, va quitter son lit & inonder les terres. Mais la mĂȘme main qui Ă©leve ses vagues comme des montagnes vers la haute mer , lui a proscrit des lois qui les rĂ©priment du cĂŽtĂ© de la terre. Quelque furieuse que soit la mer en approchant de ses bords, elle s’en retire en mugissant , & courbe ses flots respectueux, comme pour adorer l’ordre souverain qu’elle y trouve Ă©crit. Les lĂ  vans de tous les siĂšcles ont cherchĂ© Ă  dĂ©couvrir ce qui retenoit ainsi la mer mais quelle autre cause trouvera-t-on jamais que la volontĂ© d’un Dieu tout-puissant, qui seul peut faire tomber l’orgueil de ses dots devant la ligne qu’il lui a tracĂ©e. ? p 4 1 MirabĂźles elationes maris , mirabilis in altis Dominas, Ps. 92. 5 C’est ce que le Seigneur exprime lui-mĂȘme fi magnifiquement dans les livres saints. Ouis con - du fit ostiis man , quando erumpebat quajĂź de ~vuĂŻvĂą pro- des MƓurs. Canut, Roi d’Angleterre, Ă  l’exemple de ses prĂ©dĂ©cesseurs, qui s’étoient fait appeler les maĂźtres & les dominateurs des mers, rĂ©solut, dit-on, un jour de prendre posseffion de ce titre solennellement , afin qu’à l’avenir cette qualitĂ© ne pĂ»t lui ĂȘtre contestĂ©e. Se persuadant qu’il ne pouvoit rendre cet acte plus authentique , qu’en obligeant la mer elle-mĂȘme Ă  venir lui rendre hommage comme Ă  son Souverain, au temps de la marĂ©e il fit dresser un trĂŽne fur la greve de Southampton 6. LĂ  en habit royal, la couronne fur la tĂȘte, il tint ce langage Ă  la mer , lorsqu’elle commenqoit Ă  s’approcher de lui Sache que tu es ma sujette, que la terre oit je suis eß Ă  moi , que jusqu’ici personne ri a Ă©tĂ© rebelle Ă  mes volontĂ©s. Je te commande donc de demeurer oĂč tu es, fans passer outre ni ĂȘtre assez hardie que diapprocher de ton Seigneur. A peine achevoit-il ces paroles , qu’une vague renversa son trĂŽne, & l’ayant mouillĂ©e depuis les pieds jusqu’à cedens ? CircumdiĂąi iĂźlud urminis mets , posui vcSiem ostia , tT dix't C/sque hue ventes , nĂ n procĂ©dĂ©s ampLiiis , & hic confringes tumentes fluihts tuos. Job. 33* Dans Us plus violentes tempĂȘtes, la mer, dit fil. Placke , ne passe communĂ©ment ses bornes ordinaires que ds sept pieds. 6 Grands ville prĂšs de la mer, Ă  25 lieues de tendres, 140 L’ É C O L E la tĂšte, lui apprit le fond qu’il dĂ©voie faire sur l’obĂ©iifance de cet Ă©lĂ©ment. Les- Rois peuvent commander aux hommes mais Ăźa mer 11’obĂ©it qu’à Dieu 7 . La Terre concourt Ă©galement avec la- mer & les cieux Ă  publier la gloire de son Auteur, & Ă  nous faire appercevoir' ses perfections invisibles dans les ouvrages de ses mains. Quel lieu de la terre pourions-nous parcourir, oĂč nous ne trouvions par-tout fur nos pas les marques sensibles de l’existence de Dieu & de quoi admirer fa grandeur & fa magnificence ? La prodigieuse fĂ©condité’ des plantes prouve visiblement le dessein- du CrĂ©ateur, il pourvoit par ce moyen, & Ă  la conservation cle l’efpece qui orne notre demeure, & au besoin de tant d’animaux qui s’en nourrissent. Pour admirer la bontĂ© de Dieu dans l’extrĂȘme variĂ©tĂ© des fruits, dans leur abondance, dans leur dĂ©licatesse , dans leur regne pĂ©riodique & successif, il n’est pas nĂ©cessaire de l’envisager avec des yeux' chrĂ©tiens, il suffit jle la voir avec des yeux attentifs. Aussi un Sage du paganisme n’a-t-il pu considĂ©rer cette bien- 7 Le traie insensĂ© de Canut, fut, selon quelques Auteurs , un trait de sagesse il vouloir par-lĂ  faire voir Ă  ses sujets combien Ăźa puissance de Dieu est au-dtssus de celle du plus grands .Rois. des MƓurs. 14t fatsance de l’Auteur de la nature, qu’avec des tranlports d’admiration & de recon- noissauce 8. Laissons donc des esprits, chagrins & querelleurs, se plaindre de quelques dĂ©sordres apparens il serait facile de les justifier; mais la Sagesse divine n’a pas besoin d’apologie on reconnaĂźt partout une Intelligence suprĂȘme. Elle n’éclate pas moins dans la fĂ©conditĂ© des animaux que dans celle des plantes. Et comme il n’y a point de grain plus fertile que le blĂ©, parce qu’il est le plus nĂ©cessaire Ă  l’homme; les animaux aussi qui servent de nourriture aux autres, font ceux qui multiplient le plus. Si les animaux sauvages multipliaient comme les animaux domestiques, les hommes bientĂŽt ne seraient plus les maĂźtres de la terre. En voyant des troupeaux de cent bƓufs d’une taille monstrueuse, se laisser conduire par un enfant qu’on leur a donnĂ© pour gouverneur, peut-on mĂ©connaĂźtre dans cette Ă©tonnante docilitĂ© la puissance secrete qui nous les attache 9. S Sei ilia quanta, henignitas natura , quoi, tant multa advefeendum , tarn varia , tamque jucunda gißnit , neque ea uno temporc anni , ut Çemperi? novitau dclecr temurÇf copia! Cic. de nat. Deor. liĂŒ L. 9 C'est U belle rĂ©flexion de l’ingĂ©nieux Auteur du Spcftacle de la Nature ouvrage digne de tenir une 142 L’ É C Ô L E Plusieurs animaux , il est vrai, font quelquefois usage de leurs armes meurtriĂšres , contre nos dĂ©sirs ou au-delĂ  de nos besoins mais plus doux, plus soumis dans l’état d’innocence, leurs rĂ©voltes contre l’homme font la fuite & le chĂątiment des rĂ©voltes de l’homme contre son bienfaicteur. L’univers entier n’offroit Ă  l’homme innocent que des plaisirs ; tout annonçoit les complaisances d’un pere pour des enfans dignes de son amour. Mais aprĂšs la prĂ©varication de l’homme tout a changĂ©. La terre est devenue pour lui un lieu de pĂ©nitence & d’exil. HĂ©ritiers malheureux i d’un pere criminel, nous avons Ă©tĂ© enveloppĂ©s dans sa disgrĂące , comme les enfans infortunĂ©s d’un pere rebelle font justement privĂ©s des biens & des prĂ©rogatives de leur naissance. De lĂ  toutes les miseres attachĂ©es Ă  la nature humaine, les flĂ©aux qui dĂ©solent la terre, & les passions qui la ravagent encore plus de lĂ  les poisons & les bĂȘtes venimeuses armĂ©es contre nos jours; le feu, la grĂȘle, la famine & la mort, créés, dit l'Ecriture, ainsi que des premiĂšres places dans la bibliothĂšque des jeunes gens. C’ell une excellente & agrĂ©able thĂ©ologie naturelle qui nous rend Dieu senlible dans tous ses plus beaux ouvrages. des MƓurs. 145 les dents des bĂȘtes , les scorpions & les serpens, pour exercer la vengeance 1 o. De lĂ  enfin tous les autres dĂ©sordres survenus dans la nature, & dont nous souffrons triples apanages de l’homme nĂ©anmoins ne nous a pas traitĂ©s avec toute la rigueur que nous mĂ©ritions. Aux maux & aux afflictions qu’il destinoit Ă  nous rappeler Ă  lui, il a mĂȘlĂ© des biens & des douceurs qui en temperent l’amertume. 11 nous a chĂątiĂ©s en pere , & c’est avec bontĂ© qu’il nous punit. Et en effet, pour ne parler ici que des animaux, s’il a permis que la fĂ©rocitĂ© ou la rage en soulevĂąt quelques-uns, contre nous, s’ils font quelquefois entre les mains de fa justice les ministres & les instrumens de ses vengeances; il n’a pas oubliĂ©, & il se souvient encore tous les jours que nous avons besoin d’ĂȘtre logĂ©s, vĂȘtus , nourris, transportĂ©s il veut qu’une foule d’animaux viennent nous offrir tous ces secours. L’homme a besoin de compagnie & de dĂ©lassement aprĂšs le travail il a mis auprĂšs de lui un animal plein d’enjouement, qui, avec les apparences de la raison , a ' i lgnis , grando , famĂ©s & T' mors , cmnia hac ad vind'Ham creata funt j bestiamm dĂ©niĂ©s , ÂŁÂŁ* fcorpii ; S" serpentes. Eccli. Z-. 144 L’ É c o l E pour son maĂźtre une amitiĂ© tendre, une fidĂ©litĂ© Ă  l’épreuve il a donnĂ© Ă  d’autres des dispositions Ă  se laisser apprivoiser, afin qu’ils puisent nous rĂ©jouir par les charmes de leur familiaritĂ©. La Sageise divine ressemble Ă  une mere tendre, Ă  qui tous les besoins de ses en sans font chers, qui, fans s’avilir, daigne badiner avec eux, & s’intĂ©resser Ă  leurs plaisirs. Si des animaux nous descendons jus. qu’aux plus vilsJnsecles , quel amas merveilleux de beautĂ©s sĂ©crĂ©tĂ©s ! & dans ces petits animaux qui lie font rien , quelle perfection inexprimable n. Plus l’objet est petit & l’ouvrage imperceptible, plus brille l’art de l’Ouvrier. Tout est grand & admirable dans la nature les. plus petites choses y font marquĂ©es au coin d’un CrĂ©ateur tout-puissant. L’Ɠil d’un ciron est d’une finesse oĂč notre esprit se perd. Philosophes orgueilleux, produisez , je ne dis pas une de ces riches fleurs qui font l’admiration de nos yeux & l’ornement de nos jardins, mais un de ces vermidĂ©aux que vous foulez aux pieds, que vous mĂ©prisez. Quelle richesse, quel Ă©clat de couleurs fur la tĂȘte d’une mouche , dans anntous les neaux d’une chenille, M ln his arvĂźs arjue tinunullls quam int* TĂŻcabdis ptr/eiiio ! Plin, des MƓurs. 14$- chenille, sur les ailes des papillons ! Quel sujet d’admiration & de reconnoiflĂ nce ne trouvons - nous pas dans ce ver prĂ©cieux , Ă  qui nous devons nos plus doux Sc nos plus superbes vĂštemens ! L’univers est rempli de miracles semblables , que nous n’admirons pas, parce qu’ils font trop frĂ©quens , mais qui ne prouvent pas moins Ă  qui fait penser & sentir, non - seulement l’e xistence d’un Etre infiniment puissant , mais auffi fa sagesse, fi rhaguificence, & sur - tout sa bontĂ© pour nous. „ Le monde entier, dit le Philosophe de Geneve, u’ossre Ă  un cƓur sensible que des sujets d’atten- drissement & de gratitude. Par-tout il apperqoit la bienfaisante main de la Providence. Il recueille ses dons dans les productions de la terre il voit lĂ  table couverte par ses foins il s’endort fous fa protection, son paisible rĂ©veil lui vient d’elle. Il sent ses leçons dans les disgrĂąces, & ses faveurs dans les plaisirs J “ ia Les athĂ©es, s’il en est, font donc ou des monstres d’ingratitude qu’on doit regarder avec horreur, ou des fous dignes de pitiĂ© , & qui ne mĂ©ritent pas qu’on leur parle. S’il leur reste encore quelques Ă©tincelles de cette raison qu’ils s'efforcent d’éteindre, ne les convaincra- ‱ H PensĂ©es de J. J. Rousseau. Tome I. G I4 Selon d’autres , l’homme est nĂ© de la mer, dont l’écume demeurĂ©e fur le rivage, & Ă©chauffĂ©e par les rayons du soleil, s’est tout d’un coup Ă©levĂ©e comme un champignon, s’est trouvĂ©e organisĂ©e , s’est levĂ©e sur ses pieds, & a Ă©tĂ© en Ă©tat de faire toutes fortes de mou- vernens. Nous avons lu dans un livre d’anecdotes, un trait bien honorable Ă  cette sublime philosophie. Un Milord Anglois, 16 Les matĂ©rialiste? modernes ne se fervent plus du nom trop dĂ©criĂ© de hasard ; mot vide de sens & qui ne sert qu’à couvrir notre ignorance ils emploient plus ordinairement celui de nature. Mais, Ă  parier exactement, qu'est ce que la nature? CWV dit M. de Buston , tome 12, le systĂšme des loi r Ă©tablies par le CrĂ©ateur pour L’existence des choses la succesion des ĂȘtres. Suivant cette juste dĂ©finition, que deviennent toutes Ăźgs belles phrases de nos impies phiiosophiftes ? 150 L’ Ê C O L E qui avoit fait sa lecture favorite de ces beaux systĂšmes , crut, d’aprĂšs leurs auteurs , que l’homme pouvoir naĂźtre ds la pourriture Ă©chauffĂ©e par le soleil. Il se voyoit vieux , infirme & caduc. Il fit son testament, oĂč il ordonna qu’aprĂšs sa mort on laisseroit dans un coin de son jardin, son cadavre exposĂ© aux rayons du soleil, jusqu’à ce que par leur chaleur vivifiante ils l’eussent rajeuni & ranimé» Plein de cette flatteuse espĂ©rance, dans les plus beaux jours de l’étĂ©, il se coupa la gorge. Qui n’admirera la profondeur de gĂ©nie de ccs hommes rares , qui, par de U heureuses dĂ©couvertes, nous expliquent la formation de l’univers & de l’homme ! Parlons sĂ©rieusement si quelque fou aux petites - maisons nous tenoit un- pareil langage , nous en aurions fans- doute pitiĂ©. Mais non , ce font des philosophes qui parlent ainsi ; & l’on applaudit Ă  leurs extravagances ! Que les idĂ©es des vrais philosophes, des hommes sensĂ©s & raisonnables-, font bien diffĂ©rentes ! Non, nous ne fournies, pas *l’ouvrage du hasird le rien ne fait rien, & une cause aveugle ne peut produire un effet oĂč brillent l’intelligence & la sagesse. Nous sommes créés de Dieu. Notre corps est formĂ© de limon , Ă  la vĂ©ritĂ© , mais il a Ă©tĂ© pĂ©tri par la des MƓurs. ifi main du Tout-Puissant. Ce corps ainsi organisĂ© n’étoit encore que matiĂšre. C’est Dieu qui y a rĂ©pandu un souffle de vie , & c’est ce souffle de vie qui nous anime. Il nous a faits Ă  son image, ,en nous donnant une ame spirituelle & immortelle, capable de cohnoĂźtre son Auteur, d’admirer ses ouvrages , & de commander Ă  toute la nature. , Ces lumiĂšres pures,.que nous donne le flambeau de la rĂ©vĂ©lation fur la noblesse de notre origine, quelque communes qu’elles paroissent Ă  un esprit frivole, ne font-elles pas bien plus belles & plus satisfaifuites que les puĂ©riles chimĂšres qu’on se Ă  y substituer, pour nous dĂ©grader en nous confondant avec les plus vils animaux ? Quel animal au contraire a Ă©tĂ© plus favorisĂ© que l’homme ? Quel autre que lui contemple le firmament , distingue le coloris & la Forme agrĂ©able des corps ? Dans cette multitude d’ĂȘtres vivans, dont le monde est rempli, la beautĂ© de l’univers seroit sans tĂ©moins, si mon ame, qui en jouit, ne lui payoit pas l’hommage de son admiration. Peut-on rĂ©flĂ©chir, & ne pas sentir naĂźtre dans son cƓur mille sentimens de reconnoillance, Ă  la vue des biens que Dieu dispense Ă  l’homme d’une maniĂ©rĂ© si libĂ©rale? Peut-on n’ùtre pas sensible Ă  l’empire qu’il nous a donnĂ© G 4 i;a L’École sur tout ce qui nous environne , Ă  la diitinction flatteuse qu’il a mise entre les connoifiances si bornĂ©es des animaux brutes, & notre raison qui s’élĂšve jusque dans le ciel, jusqu’à l’Auteur de notre ĂȘtre ? 11 faudroitsans doute ĂȘtre bien dĂ©raisonnable & bien aveugle , pour mĂ©con- noĂźtre ce Dieu si bienfaisant, si gĂ©nĂ©reux. L’impie a beau se vanter qu’il ne le connoĂźt pas ; c’est qu’il le cherche dans son cƓur dĂ©pravĂ© , plutĂŽt que dans lĂ  raison. Mais qu’il regarde du moins autour de lui, il retrouvera son Dieu par-tout , toute la terre le lui annoncera. Il verra les traces de fa puissance , de sa sagesse & de sa bontĂ© imprimĂ©es fur toutes les crĂ©atures ; & son cƓur so trouvera seul dans l’univers qui n’annonce & ne reconnoiise pas l’Auteur de la nature. Qui peut porter des hommes douĂ©s de raison Ă  cet excĂšs de folie, que les passions honteuses qui les ont alsorvis, & qu’ils ne pouroient satisfaire Ă  leur grĂ© , s’ils admettoient un Dieu, trop juste & trop saint pour n’ĂȘtre pas le vengeur du crime ? Un juge que rien ne trompe, un maĂźtre qui peut & qui doit tout punir , est odieux Ă  des cƓurs vicieux & corrompus ; on voudrait, s’il irait possible, pouvoir l’anĂ©antir. Four des MƓurs. in nous, plus vertueux & plus sages , ayons du souverain Etre, non cette crainte impie qui s'efforce d’en effacer l’idĂ©e, mais cette crainte religieuse qui engage Ă  Ă©viter tout ce qui pouroit lui dĂ©plaire. La crainte du Seigneur , dit l’Elprit- Saint, est le principe de la sagesse. 17 C’est en effet le motif le plus propre Ă  contenir l’homme , toujours prĂȘt Ă  s’égarer. Si dans l'observance de la loi, l’homme aveugle , & plus fragile encore, trouve des obstacles frĂ©quens qui le dĂ©tournent du bien, des sĂ©ductions puissantes qui le sollicitent au mal ; la crainte de Dieu le rend supĂ©rieur Ă  tout elle le retient sur le bord du prĂ©cipice , & le rappelle Ă  la vertu. Les parens & les maĂźtres ne sauraient donc inspirer de trop bonne heure Ă  leurs enfuis & Ă  leurs Ă©lĂšves la crainte du Seigneur. Qu’ils leur rĂ©pĂštent souvent ces beaux vers de Racine dans Athalie Soumis avec respect Ă  sa volontĂ© sainte, Je crains Uieu, cher Abner, & n’ai point d’autre crainte. Qu’ils leur inculquent ces belles maximes du Sage Les grands , les juges U les puis ans font en honneur mais nul riefi i 17 Timor Domini principium fapientiĂŠ. Prov. I. g r if 4 L’Ecole plus grand que celui qui craint Dieu. Celui qui a peu d'esprit U de lumiĂšres , mais qui a la crainte de Dieu , vaut mieux que celui qui a un grand sms , ççf qui viole la loi du Trc^Haut. Celui qui craint le Seigneur , fera heureux , il fera bĂ©ni au jour de fa mort. ig Ces leçons frĂ©quentes, fur-tout fi elles font appuyĂ©es de l’exemple , pĂ©nĂ©treront comme des traits de flamme dans ces jeunes cƓurs , & s’y graveront en caractĂšres ineifaqables. Nous en avons un exemple illustre dans la personne de Saint - Louis , Roi de France. La Reine Blanche , lorsqu’il Ă©toit -encore enfant, lui disait avec cette tendresse que la nature a donnĂ©e aux meres . & avec cette magnanimitĂ© que la religion donne Ă  ses hĂ©ros Mon jĂŒs , je vous aime beaucoup mais j’aimer ois mieux vous voir expirer Ă  mes pieds , que de vous voir commettre un seul pĂ©chĂ© mortel. Ces paroles restĂšrent si profondĂ©ment imprimĂ© s dans le cƓur de ce saint Roi, que l’hiltoire attelle qu’on ne lui en vit jamais commettre un seul dans toute fa vie. Ce qu’il dit Ă  .Joinville, comme cet Historien lui-mĂ©mo le rapporte, prouve auiii combien il 13 > Timcrv Doni’num bene erh , ÂŁf ind/ebus con~- fumtmiuonis ii/ius bcntdiatur. ÂŁ lcN. ch. v. . des MƓurs.' iff Ă©toifc pĂ©nĂ©trĂ© de cette grande vĂ©ritĂ©. Ayant dans la conversation demandĂ© un jour Ă  ce Seigneur, ce qu’il aimeroit le mieux, d’ĂȘtre lĂ©preux ou d’avoir commis un pĂ©chĂ© mortel Joinville lui rĂ©pondit avec sa franchise naturelle, qu’il aimeroit mieux avoir fait trente pĂ©chĂ©s que d’avoir la lepre. Le saint Koi indignĂ© lui dit d’un ton un peu Ă©mu Il pat oit bien que vous ne savez pas ce que c'est que d'avoir offensĂ© Dieu. Apprentis qu’un seul pĂ©chĂ© mortel est un mal plus Ă  craindre que tous les maux du monde ensemble. Il eut foin d’inculquer la mĂȘme maxime Ă  son fils , dans les sages avis qu’il lui donna un peu avant de mourir. „ Mon fils , lui dit ce vertueux Prince, la premiĂšre chose que je vous enseigne & que je vous recommande, c’est d’aimer Dieu de tout votre cƓur & par - deilus tout car nul homme ne peut ĂȘtre sauvĂ© sans cela. Donnez-vous bien de garde de rien faire qui lui dĂ©plaise vous devez dĂ©sirer de souffrir toutes sortes de tour- mens , plutĂŽt que de l’offenfir. “ Louis VIII son pere n’avoit. pas des sentimens moins chrĂ©tiens, St l’on peut dire qu’il les porta jusqu’à l’hĂ©roĂŻsme. Guillaume de Fuilawens rapporte que ce Prince Ă©tant tombĂ© malade au siege d’Avignon, dans la guerre qu’il faiioit contre les Albigeois, ses mĂ©decins, pour G 6 i§6 L’Ecole le guĂ©rir, lui proposĂšrent un remede qui Ă©toit dĂ©fendu par la loi de Dieu. II reietta ce conseil avec horreur, & rĂ©pondit qu’il valoit mieux mourir, que de sauver sa vie par un pĂ©chĂ© mortel. Il mourut en effet de cette maladie Ă  trente-neuf ans. Quels exemples ! & ce font des Princes qui nous les donnent. des MƓurs. is7 I I. He plaisantez jamais ni de Dieu ni des Saints Laissez ce vil plaisir aux jeunes libertins O N doit toujours parler de Dieu avec le plus profond respect. Son nom est saint & terrible il n’est pas mĂȘme permis de l’employer sans raison ou pour des sujets vains & lĂ©gers, comme il arrive si souvent. Que le nom de Dieu , dit le Sage , ne soit point sans cesse dans votre bouche r parce que vous ne ferez pas en cela exempt de faute t . Quel cfinis n’est-ce donc pas d’oser le blasphĂ©mer, ainsi que l’impiĂ©tĂ© ne craint point de le faire, en l’appelant cruel, injuste, en raillant des divines. Ecritures, qui font les dĂ©positaires de fa parole, en le reniant par des imprĂ©cations infernales, que les libertins se font quelquefois un jeu de profĂ©rer , & qui ne peuvent qu’exciter l’indignation des honnĂȘtes gens ! Ceux qui ont un peu de religion , s’abstiendront mĂȘme de profaner le nom de T Nominatio DĂ» non fit ajfidua in ort iuç t & c. Ecpli. 23. 158 L’ É c o l E Dieu, en le mĂȘlant Ă  des plaisanteries indĂ©centes ne blĂąmeroit-on pas celui qui oferoit se le permettre Ă  l’égard des Princes de la terre ? - Les choses saintes, & tout ce qui est spĂ©cialement consacrĂ© Ă  Dieu , ne mĂ©ritent pas moins de respect. En badiner, les tourner en ridicule, c’est se rendre soi-mĂȘme infiniment ridicule & mĂ©prisable. Les railleries ou le mĂ©pris qu’on en feroit, scroient des impiĂ©tĂ©s & des facrileges, parce qu’ils rejailliroient fur la DivinitĂ©. C’est manquer au maĂźtre ,. que d’insulter ou de mĂ©priser ce qui lui appartient. Rien pourtant n’est plus commun aujourd’hui. Non-feulement les Ministres ou Seigneur & les personnes religieuses, mais les Saints, les reliques, les miracles, 'les mystĂšres & les cĂ©rĂ©monies sacrĂ©es de la religion , font pour bien des gens du monde des sujets de fades plaisanteries. On croit acquĂ©rir par-lĂ  le titre de bel-esprit & de philosophe ; mais ne voit-on pas qu’on ne mĂ©rite que celui d’impie & de libertin? on montre moins le brillant de Ion esprit que la corruption, de son cƓur. 11 est fi aisĂ© de sure rire les lots, quand ou ne veut que faire rire, & qu’on ne respecte rien ! La raillerie est l’arme favorite du des MƓurs. 759 vice. C’est par - lĂ  que les audacieux contempteurs de la piĂ©tĂ© se plaisent Ă  l’attaquer. Ils insultent Ă  la iimplicitĂ© du juste mais que leur triomphe fera court! Le temps viendra, & il est plus proche qu’ils ne pensent, oĂč ils dĂ©testeront leur aveuglement & leur folie, en voyant la distĂ©rence terrible & dĂ©sespĂ©rante de leur sort Ă©ternel & de celui du juste qui Ă©toit l’objet de leur dĂ©rision 2. Laiisons-leur donc ce funeste plaisir , & gardons-nous bien d’y prendre part., Se faire un amusement de leurs plaisanteries , c’est se rendre aulsi coupable qu’eux. Comme ils ne raillent guere que pour ĂȘtre applaudis, trompons leur attente en leur opposant un froid & dĂ©daigneux silence, qui les oblige eux- mĂȘmes Ă  se taire. Celui qu’une mauvaise honte empĂȘche de tĂ©moigner sa juste horreur, trahit lĂąchement les intĂ©rĂȘts de Dieu. Devons-nous ĂȘtre moins zĂ©lĂ©s pour sa gloire, que chacun de nous ne le scroit pour venger la sienne propre ou celle de la famille qu’on verrait attaquĂ©e ? C’est ce que fit un jour adroitement sentir Ă  l'Empereur ThĂ©odoiĂš saint { 2 iVĂŒt inscnsatĂŻ vitam illorum ƓjĂŻ'mabamus insa* nium , ÂŁjc. 5-> l6o L’ É C 0 L E Amphiloquc , EvĂȘque d’ïcone & grand dĂ©fenseur de la foi contre les Ariens. Il voyoit avec peine que l’empereur fnvo- risoit ces ennemis delĂ  divinitĂ© de Jefus- Chrilt. ThĂ©odose ayant aflociĂ© son fils Arcadius Ă  l’empire, il profita de cette occasion pour venir au palais le jour que le Prince & son fils recevoient les fĂ©licitations dĂ© toute la cour. AprĂšs avoir saluĂ© profondĂ©ment l’Empereur, il s’approcha du jeune Arcadius, qui Ă©toit affis prĂšs de lui fur son trĂŽne, & lui passant familiĂšrement la main au visage Dieu te conserve , mon fils , lui dit- il. Toute l’assemblĂ©e rougit, & ThĂ©odose piquĂ© comme d’une insulte qu’on lui faisoit en la personne de son fils, commanda qu’on chassĂąt ce vieillard imprudent. Saint Amphiloque se retourna vers l’Empereur, & lui dit avec une respectueuse libertĂ© On vous offense , Seigneur, lorsqu’on ne rend pas Ă  votre Fils le meme honneur qu’à vous - meme. Croye 2 -vous que le Pere cc'leße ne ressente pas aussi vivement l’injure que lui font ceux qui refusent d’adorer son Fils, gui blasphĂšment contre lui en niant sa divinitĂ© ? ThĂ©odose comprenant alors la sagesse du saint fvĂȘque, le traita avec plus d’honneur , & publia peu de temps aprĂšs des lois sĂ©veres contre les Ariens. A combien de gens du monde, qui se des MƓurs. 161 disent chrĂ©tiens , ne pouroit - on pas adresser la mĂȘme leçon ! Tranquilles & indiffĂ©rens surtout ce qui regarde Dieu, ils font pleins de feu fur ce qui les touche. Qu’un impie raille en leur prĂ©sence de ce qu’il y a de plus saint dans la religion une crainte humaine les rend muets, & peut-ĂȘtre mĂȘme vont-ils jusqu’à s’en divertir. Mais que la raillerie lance fur eux ses traits piquans, qu’elle ne fasse mĂȘme que les elHeurer un peu; c’est alors que toute leur sensibilitĂ© parent, que leur mĂ©contentement Ă©clate. S’ils aimoient Dieu autant qu’ils s’aiment eux-mĂȘmes , ne prendroient-ils pas Ă©galement en main ses intĂ©rĂȘts ? S’ils le regardoient comme leur pere , ne dĂ©fen- droient-ils pas sa gloire indignement outragĂ©e, en fermant la bouche Ă  ces railleurs sacrilĂšges lorsqu’ils pouroient le faire, ou du moins en leur marquant de l’horreur & du mĂ©pris C’est une obligation indispensable pour tout chrĂ©tien , pour les femmes mĂȘme qui n’ont pas renoncĂ© entiĂšrement Ă  la religion ; & malheur Ă  celles qui auraient perdu le meilleur garant, le plus sĂ»r palladium de leur honneur , comme le remarque trĂšs - bien un Auteur Anglois dans les sages conseils qu’il adresse Ă  ses filles. j, Ne vous permettez jamais, leur l6z L’ É C O L E dit-il, de mĂȘler le ridicule aux discours qui ont la religion pour objet, & n’autorisez pas les autres Ă  prendre cette licence, en parodiant vous amuser de ce qu’ils disent. Votre froideur suffira seule pour arrĂȘter les personnes bien Ă©levĂ©es, & vous,ns devez pas en souffrir d’autres auprĂšs de vous. Les femmes se trompent beaucoup, lorsqu’elles s’imaginent de se faire estimer de nous par leur irrĂ©ligion. Les incrĂ©dules eux-mĂȘmes n’aiment pas l’incrĂ©dulitĂ© dans les femmes. Tout homme qui connoit la nature humaine, regarde la douceur ne caractĂšre & la sensibilitĂ© du cƓur, comme liĂ©es dans votre sexe avec les sentimens religieux. D’ailleurs les hommes regardent la religion comme une des principales sĂ»retĂ©s que vous puffst ez leur fournir de la conservation de la chastetĂ©, de cette vertu qu’ils estiment le plus dans les femmes. Si un homme prĂ©tend vous montrer quelque attachement , & s’efforce d’ébranler en vous les principes religieux; logez affĂ»tĂ©es que c’est un Ă©tourdi , ou qu'il a fur vous des deli’eins qu’il n’ose avouer } Les femmes honnĂȘtes doivent donc Ă©loigner avec foin toutes les conversations qui tendent Ă  Ă©branler leur foi. C3> Legt d’un pere Ă  ses filles , Par. M. des MƓurs. i§; Elles doivent rejeter sĂ©vĂšrement tout ce qui a trait Ă  l’irrĂ©ligion , rompre brus- xjutment ou dĂ©tourner le discours, & imposer mĂȘme silence, s’il le faut, Ă  ceux qui auroient l’indiscrĂ©tion ou l’irn- politeilĂ© d’entamer & de continuer devant elles ces entretiens. Mais fur-tout qu’elles n’aient jamais la ridicule vanitĂ© de vouloir disputer sur ces matiĂšres, mĂȘme avec les meilleures intentions. Une rĂ©ponse nette, qui en faisant voir leur attachement inĂ©branlable Ă  la religion, oblige le railleur Ă  se taire, vaut mieux pour elles, & leur fera infiniment plus d’honneur. Telle est celle que fit un jour une Dame, comme nous le lui avons ouĂŻ raconter Ă  elle-mĂȘme. Elle se trouvoit en voyage avec des Ministres ils le mirent Ă  parer contre la re'igion catholique, badinĂšrent beaucoup fur plusieurs de ses usages , & vantĂšrent la rĂ©forme que Luther avoir, faite. La Dame qui jusqu’alors avoit gardĂ© le silence, leur dit en riant 7 l faut avouer, Messieurs , que vous avez fait une admirable ref-rme vous avez G'Ă© le carĂ©me , la mes e, la confession , le purgatoire ĂŽtez encore Penser , je serai des vĂŽti es. Ils ne rĂ©p'iquerent pas un mot, & ne parlĂšrent plus de religion. C’est ainsi le plus si uvent qu’il faut rĂ©pondre aux mauvais rJlieurs des 16'4 L’ É C O L E choses saintes. On ne doit pas s’engager dans le combat avec eux, si l’on n’est bien armĂ© & assurĂ© du triomphe c’est nuire Ă  une bonne cause que de la mal dĂ©fendre. Pour confondre l’erreur, pour la suivre dans le labyrinthe oĂč elle aime Ă  nous Ă©garer avec elle, pour Ă©carter les nuages dont elle s’enveloppe, & dont elle couvre la vĂ©ritĂ©, il faut plus de connoiflances & de lumiĂšre» que n’en ont la plupart des personnes du monde. C’est lĂ  le partage .des docteurs & des thĂ©ologiens les plus habiles; & comme c’est Ă  eux de faire connoitre toute la beautĂ© , la saintetĂ©, la divinitĂ© de la religion , c’est ausiĂź Ă  eux sur-tout qu’il appartient de la dĂ©fendre en dĂ©tail, de la venger vigoureusement des insultes de ses ennemis. Et souvent il ne leur est pas fort difficile de le faite car la plupart de ceux qui attaquent la religion, ne la connoiiient point, & blasphĂšment ce qu’ils ignorent. Nous rapporterons Ă  ce sujet un trait qu’on nous a racontĂ©. Un Religieux Ă©toit avec de jeunes Officiers dans une voiture publique. Ils se mirent Ă  parler des choses de religion. Ils en firent le sujet de leurs plaisanteries, & dĂ©bitĂšrent tout ce qu’ils fĂ voient & ne fĂ voient pas. Le Religieux qui les voit Ă©coutĂ©s fans rien dire, fit tomber des MƓurs. idy Ă  son tour la conversation sur les choses de la guerre il en parla d’une maniĂ©rĂ© li ridicule, que ces Officiers ne purent s’empĂȘcher d’éclater de rire; Meßkurs , leur dit-il, c’eft ainfi que vous avez parlĂ© de la religion. J’ai voulu vous faire voir que nous ne nous rendons jamais plus ridicules qu’en voulant parler des matiĂšres qui ne font pas de notre ressort , ou raisonner de celles dont nous n'avons qu’une connoisj'ance trĂši-J'uperficiclle ,‱ parce qu'il eß impossible d'en parler bien & avec justesse. En fait de religion plus qu’en tout autre , quand on parle de ce qu’on ne fait point , on s’expose Ă  dire bien des erreurs & des sottises. Cette petite leçon les confondit, & ils furent plus circonspects le reite du voyage. Avec les impies & les libertins, qui ne parlent de la religion & des choses saintes que pour en railler, n’employez donc pour l’ordinaire qu’une rĂ©ponse courte & gĂ©nĂ©rale qui tranche la difficultĂ© , ou une fine ironie qui faite tomber le ridicule sur le mauvais plaisant. Elle prĂ©vient ou 'arrĂȘte de longs combats ; & il elt des occasions oĂč il vaut mieux ne pas entrer en lice , mĂȘme avec des armes supĂ©rieures. En voulant rĂ©pondre Ă  toutes les chicanes des impies, on s’exposeroit peut-ĂȘtre Ă  scandaliser & Ă  Ă©branler dans leur foi des iGS L’ É C O L E personnes foibles, qu’il convient quel-, qucfois dĂ©mĂ©nager, quoique la crainte d’un scandale pris mal-Ă -propos ne doive jamais faire abandonner la cause de la vĂ©ritĂ©, quand les circonstances exigent de la dĂ©fendre. Dans une compagnie nombreuse , l’incrĂ©dule vaincu rougiroit d’avouer sa dĂ©faite, & pour mieux la cacher, affecteroit un air de triomphe qui en imposeroit. On peut donc alors dĂ©daigner 11 s attaques , & se contenter de payer son audace d’un juste mĂ©pris, aprĂšs lui avoir fait sentir son tort ou son indiscrĂ©tion. C’est ce que fit dans une de ces rencontres le P. Oudin , JĂ©suite, & l’un des plus fa van s littĂ©rateurs de ce siecle. Un jeune incrĂ©dule Ă©tant allĂ© le voir Ă  Dijon , voulut aussi-tĂŽt entrer en dispute avec lui sur la religion. Mais le P. Oudin l’interrompit en disant, qu’il nfaimoitpas Ă  disputer avec personne sur les points importuns de notre foi C'cß pourquoi , ajouta-t-ii , trouvez bon que nous nen parlions pas. Du moins , mon Pere , ajouta le petit - maĂźtre en pirouettant fur un pied, je fuis bien-aise de vous apprendre que je fuis athĂ©e.,.Alors le P. Oudin gardant un profond silence, se mit Ă  le regarder & Ă  l’examiner avec Ă©tonnement & avec dĂ©dain. Qu’ai-je de si singulier , mon Pere,, rĂ©pliqua le jeune homme, & que regardez - vous donc t e s MƓurs. 167 avec tant de curiositĂ© ? Je regarde , Mans car , dit le P. Oudin, la bĂȘte quan appelle AthĂ©e , es que je navois jamais vue. A ces mots le petit-maitre se retira tout confus. „ Les hommes , dit Abadie , ne font incrĂ©dules que parce qu’ils veulent l’ùtre; & ils veulent l’ùtre, parce que c’est l’intĂ©rĂȘt de leurs passions “. La religion ne sauroit s’allier avec une vie diilolue ; ses menaces empoisonnent tous les plaisirs criminels. Il laut , ou abandonner des passions qui font cheres, ou soutenir sans cesse des remords qui troublent; & comme il en coĂ»terait trop pour sicrisier ce qu’on aime, & qu’on ne saurait se calmer qu’en doutant des vĂ©ritĂ©s importunes, on prend le parti de ne rien croire , ou du moins de douter de tout. Mais on a beau chercher Ă  se rassurer la rai Ion & la conscience sĂš soulĂšvent toujours contre un si affreux & si insensĂ© systĂšme; & l’incrĂ©dulitĂ© la plus hardie ne peut presque jamais parvenir Ă  Ă©touffer tous leurs cris. Aussi n’est - il pas rare devoir les plus impies rĂ©tracter Ă  la mort les railleries sacrilĂšges qu’ils avoient faites pendant qu’ils se portoient bien. Me'zerai , historiographe de France, avoit affectĂ©, durant tout le cours dosa vie, un pyrrhonisme , qui Ă©toit plus dans fa bouche que dans fou cƓur. Pendant t6t V É C O L E sa derniere maladie, il fit venir ceux de ses amis qui avoientĂ©tĂ© les tĂ©moins les plus ordinaires de fa licence Ă  parler fur les choses de la religion. Il les pria d’oublier ce qu'il avoit pu dire autrefois » & de lĂ© souvenir que MĂ©zerai mourant Ă©toit plus croyable que Mezerai en santĂ©. Quand l’homme se voit prĂšs de la mort , disoit un cĂ©lĂ©brĂ© Auteur paĂŻen, e’elt alors qu’il se souvient qu’il y a des Dieux & qu’il elf homme 4. S’il avoit paru l’oublier dans l’éclat de sa fortune, ou dans la vigueur de sa santĂ©, il ne sent que mieux alors toute sa foiblesse & sa dĂ©pendance. Au premier lignai de la mort, le plus incrĂ©dule leve les yeux vers le ciel il reconnoit le Dieu qui tient en sa main la vie de tous les mot- t;els. il tremble fur un avenir qu’il s’étoit vantĂ© de ne pas croire, & dont il avoit peut-ĂȘtre plaisantĂ© souvent il redoute une Ă©ternitĂ©, dont les portes commencent Ă  s’ouvrir, & lui font dĂ©jĂ  entrevoir toutes ses profondeurs il se jette dans le feinde fonPere & de l’Auteur de son ĂȘtre. Heureux s’il y rĂ©pand des larmes qui puilfent effacer ses blasphĂšmes ! Ceux 4 Time Deos , tune homintm cjse se menĂčnit, Plin. Jun. D E S M ƒ U R S. J69 Ceux qui dans ce moment terrible, oĂč il va ĂȘtre dĂ©cidĂ© de leur fort Ă©ternel, portent l’irrĂ©ligion jusqu’à vouloir plai- lauter encore sur les choses les plus res. pectables , mettent le comble Ă  leur impiĂ©tĂ© & Ă  leur folie. Ils font consister leur honneur dans ce qui achevĂ© de les couvrir d’opprobre. Toute plaisanterie dans un homme mourant, comme le dit l’Auteur des Caratlercs , est hors de sa place si elle roule sur le chapitre de la religion , elle est funeste. C’est uns extrĂȘme misere que de donner Ă  ses dĂ©pens, Ă  ceux qu’on laide, le plaisir d’un bon mot. C’est encore une raillerie bien condamnable , que celle qu’on se permet sur la vertu & la dĂ©votion. Il y a, je le sais , une fauste vertu, une dĂ©votion hypocrite, blĂąmable fans doute , mais beaucoup moins que le libertinage scandaleux & l’impiĂ©tĂ© dĂ©clarĂ©e car l’hypocrisie garde du moins les apparences ; & c’est, comme on l’a fort bien dit, un hommage que le vice rend Ă  la vertu. Elle est aussi plus rare que bien des gens ne se le persuadent. Ils aiment Ă  penser mal de la dĂ©votion, pour se justifier de n’en avoir pas. La censure tacite que la vraie dĂ©votion fait de leur conduite , les indispose contre elle. Ils se plaisent Ă  la confondre avec la fauste , Ă  la dĂ©figurer Tome, I, H 170 L’ Ê C O L E par de malignes interprĂ©tations , Ă  lui enlever par des soupçons injustes l’estime qui lui est due, Ă  la rendre mĂȘme odieuse par la critique la plus amere ; & tandis qu’ils se permettent tout, ils ne lui pardonnent rien. Ils la regardent comme le partage des petits gĂ©nies & des esprits faibles ils se croient au contraire des esprits forts ; & ils ont sans doute raison, fi la vraie force consiste Ă  se laisser maĂźtriser par ses pallions , Ă  se laisser aller Ă  ses penchans , &, par une fuite toute naturelle, Ă  mĂ©priser la religion & ses pratiques. Les personnes dĂ©votes peuvent avoir des dĂ©fauts, A elles en ont, parce qu’on est toujours homme. On peut, avec de la dĂ©votion, avoir des foiblesses , des petitesses mĂȘme. Mais gardons-nous pour cela de mĂ©priser la dĂ©votion, & distinguons bien, si nous voulons ĂȘtre Ă©quitables, ce qui vient d’elle & qu’elle approuve, d’avec ce qui vient de l’homme & qu’elle s’applique Ă  rĂ©former. Les personnes dĂ©votes qui ont des dĂ©fauts, en auroient souvent de plus grands encore, si elles n’avoient point de dĂ©votion. De combien peut-ĂȘtre de vices scandaleux ne les prĂ©serve-1-elle pas ! Qu’on en juge par bien des gens du monde, qui ne se piquent pas de piĂ©tĂ©, & qui font fort Ă©loignĂ©s d’avoir les moeurs ausii des MƓurs.’ 171 pures que la plupart des dĂ©vots. Ceux qui aiguisent le plus les traits de la critique contre la dĂ©votion, font souvent ceux qui donnent eux-mĂȘmes le plus de prise Ă  la censure. Pour respecter , pour estimer cette vertu , il suffiroit d’ĂȘtre juste, & de n’avoir point d’intĂ©rĂȘt honteux Ă  la dĂ©primer. Que ce sentiment de M. de Fontenelle nous paroit beau ! Il disoit sur la fin de sa vie sai vĂ©cu cent ens, & je mourrai avec la consolation de rĂ©avoir jamais donnĂ© le plus petit ridi* cule Ă  la plus petite vertu „ L’ Ê c o l i I I I. fhit votrt piĂ©tĂ© Jolt sincĂšre & solide , -Alyez une vĂ©ritable piĂ©tĂ© quelque rare qu’elle soit peut - ĂȘtre , elle n’en est que plus honorable & plus digne d’estime. L’impie, le libertin, d’aprĂšs quelques exemples, aime Ă  croire que eeux qui parodient les plus vertueux, ne font que jouer le personnage de la vertu, qu’ils n’ont par-dessus lui que plus d’habiletĂ© Ă  se cacher, & qu’au fond ils ont, comme tous les autres, leurs pas- fions & leurs foiblesses. Aussi > malgrĂ© la rĂ©gularitĂ© de bien des personnes pieuses qu’il connoĂźt, malgrĂ© l’éclat scandaleux de sa conduite, il se persuade qu’il est moins coupable qu’elles ; parce qu’il est du moins de bonne foi, & qu’il n’affecte point de paroitre ce qu’il n’est pas. Laissons les ennemis de la pietĂ© chercher Ă  Ă©touffer leurs remords, Ă  se justifier dans leurs dĂ©sordres, en tĂąchant de je persuader qu’il n’y a point de vertu, afin que le vice leur paroisse plus excusable. Laissons-Ăźeur la triste consolation de penser aussi mal des autres qu’on pense mal d’eux. Pourions-nous espĂ©rer de faire euĂźendre la voix de la raison Ă  dbs MƓurs. »7; ceux qui font profession depuis long* temps de la mĂ©priser dans leur conduite ainsi que dans leurs discours, & qui ne se sont une idĂ©e si affreuse des autres hommes, que pour ĂȘtre moins effrayĂ©s de celle qu’ils font obligĂ©s d’avoir d’eux- mĂȘmes ? Non, non, quoi qu’ils en disent, la piĂ©tĂ© n’est pas toujours un masque qui cache l’hypocrite & le scĂ©lĂ©rat. S’ils pourvoient ĂȘtre tĂ©moins de ce qui se passe en certaines Ăąmes solidement pieuses ; s’ils voyoient la puretĂ© de leurs intentions, la noblesse de leurs sentimens, la gĂ©nĂ©rositĂ© de leurs sacrifices, ils en seroient quelquefois remplis d’admiration ; & loin de les mĂ©priser, ils auroient pour elles cette vĂ©nĂ©ration & ce respect qui sont toujours dus Ă  la vertu. Si la fausse piĂ©tĂ© est plus connue que la vraie , c’est que celle - ci se cache , parce qu’elle est humble l’autre , au contraire , aime Ă  se montrer , parce qu’elle est orgueilleuse. Mais, quoiqu’elle ait presque tous les dehors de la piĂ©tĂ© vĂ©ritable , tĂŽt ou tard elle se dĂ©ment & se sait connoĂźtre le voile dont elle se couvre , tombe quelquefois de lui-mĂȘme , & elle rĂ©ussit plus longtemps Ă  se faire illusion qu’à le faire aux autres. Car nous ne parlons pas de ces dĂ©vots scĂ©lĂ©rats, de,ces tartuffes impies, 174 L’ É c o t e qui ne se servent du manteau de la piĂ©tĂ© que pour mieux cacher le jeu de leurs pallions , couvrir leurs vues criminelles & tromper les hommes. Il en est d'autres qui, dĂ©vots de meilleure foi, n’ont pas neanmoins une piĂ©tĂ© sincere ni solide , parce qu’ils veulent allier avec la piĂ©tĂ© ce qui lui est incompatible. En plaignant leur erreur, cherchons Ă  les dĂ©tromper peut-ĂȘtre y rĂ©uffirons- nous, en les montrant Ă  eux-mĂȘmes tels qu’ils paroiffent aux yeux des autres. Si quelquefois on craint de se connoitre, de peur d’ĂȘtre obligĂ© de le corriger , souvent auffi on ne le corrige point, parce qu’on ne se connoĂźt pas. Quoique les femmes aient pour l’ordinaire plus de piĂ©tĂ© & de dĂ©votion que les hommes , soit parce qu’elles ont le cƓur plus sensible & plus tendre, soit parce que moins occupĂ©es de grandes affaires ou de l’étude, elles n’ont ni Ă  remplir les emplois qui dissipent & font souvent nĂ©gliger la plus importante de toutes les affaires , ni Ă  cultiver des sciences qui enflent le cƓur & le dessĂšchent ; elles peuvent aussi plus facilement donner dans l’illusion. On en voit qui sont exactes Ă  toutes leurs pratiques de piĂ©tĂ© elles se reprocheroient de manquer Ă  la plus petite. Mais en mĂȘme temps elles font impĂ©rieuses , aigres des MƓurs.' Si entĂȘtĂ©es elles ne lavent ni plier ni se contraindre il faut que chacun souffre de leur humeur & de leurs caprices. Elles veulent ĂȘtre dĂ©votes , & ne font pas mĂȘme raisonnables. il y en a qui, par un aveuglement aussi Ă©trange, veulent unir tout le luxe Se tous les plaisirs du monde avec la dĂ©votion & la piĂ©tĂ©. On est le matin Ă  l’église, & le soir aux spectacles. On est de toutes les assemblĂ©es chrĂ©tiennes & de tous les amul'emens mondains. On veut servir tour-Ă -tour Dieu & le monde. Mais comment peut-on se flatter de pouvoir plaire Ă  deux maĂźtres, allier l’esprit de Dieu avec celui qui lui est le plus opposĂ©, le goĂ»t des choses saintes avec celui des choses profanes, & malgrĂ© les anathĂšmes que Jesus-Christ a lancĂ©s contre le monde , espĂ©rer d’accorder le monde & l’Evangile ? 11 en est d’autres qui, par une illusion moins condamnable, mais qui l’est nĂ©anmoins, consacrent Ă  la dĂ©votion & Ă  la priere une grande partie du temps qu’il faudroit donner Ă  l’éducation de sa famille , au foin de son mĂ©nage, Ă  la vigilance fur lĂšs domestiques. Mais la vraie piĂ©tĂ© qui nous porte Ă  remplir fidellement tous nos devoirs, pour oit- elle approuver qu’on les nĂ©gligeĂąt pour elle, & qu’on lui conlacrĂąt un temps I?6 L’ E C 0 L E qu’on ne sauroit lui donner sans le dĂ©rober Ă  ses plus Ă©troites obligations ? La religion pouroit-elle autorise- ce que la raison condamne ? Ne nous ap prend-elle pas elle-mĂȘme , qu’il n’y a point de priere plus publiante, plus efficace auprĂšs de Dieu que l’accomplissement de ses volontĂ©s, & qu’on n’est rien Ă  ses yeux quand on n’est pas ce qu’on doit ĂȘtre. Lorsque le Roi Henri IV travaillĂąt Ă  des affaires pressantes, & qu’il ne pouvoir affilier au service divin, il en faisoit des especes d’excuse aux PrĂ©lats qui se trouvoient Ă  sa cour , & leur disoit Qiiand je travaille pour le public , il me semble que c est quitter Dieu pour Dieu mĂȘme. Quelque lĂ©gitime que soit cette raison , on ne doit pas nĂ©anmoins en abuser , comme bien des personnes qui prĂ©textent leurs affaires ou leurs foins domestiques pour se dispenser de ce qu’ils doivent Ă  Dieu , & qui les oublient quand il s’agit de leurs plaisirs. Si on le vouloir bien sincĂšrement, ou trouverait presque toujours du temps pour satisfaire avec prudence aux devoirs ordinaires de la piĂ©tĂ© , fans nĂ©gliger ceux de son Ă©tat, & ceux - ci mĂȘme ne s’en feraient que mieux. Il y a tant de morne ns qu’on perd en des choses vaines ou moins importantes. Qiii eut jamais 'des MƓurs.' 17p de plus grandes occupations que Saint Louis fur le trĂŽne? Qui fut cependant plus exact , & Ă  remplir tous les devoirs de son Ă©tat, & Ă  11’omettre aucune de ses pratiques de piĂ©tĂ©? L’auteur du TraitĂ© du vrai mĂ©rite , qu’on n’accusera certainement pas d’avoir Ă©tĂ© un bigot, dit qu’il a connu de vieux guerriers, qui Ă©toient persuadĂ©s que dans cent dangers dont ils ne penvoient fe tirer fans une espece de miracle, ils avoient du leur salut Ă  la rĂ©gularitĂ© avec laquelle ils rĂ©citoient dĂ©votement, depuis leur enfance, des priĂšres dont ils faisaient la nourriture & la force de leur ame. » Je crois , ajoute-t-il, l’affiduitĂ© Ă  entendre la meife, le plus efficace de tous les principes de conduite. J’ai trouvĂ© des Officiers-gĂ©nĂ©raux en voyage, qui forcĂ©s de partir dĂšs quatre heures du matin, ne l’auroient pas perdue pour tous les biens du monde, Ils iĂ voient rendre Ă  Dieu & au Prince ce qu’ils leur dĂ©voient Cela nous montre de quelle importance il est de former de bonne heure les enfans Ă  la piĂ©tĂ©, & de les accoutumer Ă  en remplir fidellement tous les devoirs. Les premiĂšres impressions font ordinairement les plus durables. Un vase neuf conserve long-temps l’odeur de la premiers liqueur qu’on y a versĂ©e. Z 78 t’ É c o l s Comme nous voulons faire aimer Ăźa piĂ©tĂ© , nous nous garderons bien de la peindre fous ces traits sombres & rembrunis, dont certaines personnes se plaisent Ă  la charger. Une morale trop sĂ©vere produit peu de Saints. Elle fait prĂ©fĂ©rer la facilitĂ© qu’on trouve Ă  demeurer dans le vice, aux difficultĂ©s qu’il y a d’en sortir, & de pratiquer la vertu. Un rigorisme outrĂ© ne sert communĂ©ment qu’à rendre la piĂ©tĂ© & la religion mĂȘme odieuses. C’est un sujet de raillerie pour les libertins , & de scandale pour les foibles. Les libertins font bien aises qu’on leur exagere les choses, pour avoir droit de n’en rien croire, & surtout de n’en rien faire, & qu’on leur en demande trop, pour avoir un prĂ©texte de refuser tout. Les foibles, fur ces principes trop sĂ©vĂšres, se sont souvent formĂ© de fausses consciences, qui leur ont fait commettre de vĂ©ritables crimes. Pour se dĂ©tromper les uns & les autres, qu’ils lisent le beau livre que saint François de Sales a composĂ© sur ce sujet f . Ils y verront que la vraie piĂ©tĂ© n’est ni aussi farouche ni aussi austĂšre qu’on s’est plu Ă  la leur reprĂ©senter ; que le joug du Seigneur est doux & lĂ©ger ; qu’on peut vivre dans le 1 s Introduis ion i la rit dirett. des MƓurs; Î79 monde sans ĂȘtre du monde, & qu’on peut y avoir de la dĂ©votion fans blesser les biensĂ©ances, fans fe rendre ridicule ou mĂ©prisable. Ils y apprendront surtout que la piĂ©tĂ© sage & Ă©clairĂ©e ne cherche, ni par une rigueur trop gĂȘnante Ă  rĂ©trĂ©cir le chemin du ciel juiqu’à le rendre impraticable, ni par un relĂąchement trop doux Ă  l’élargir jusqu’à le rendre trop facile. Entre ces deux routes, dont l’une conduiroit au dĂ©sespoir & l’autre perdroit par une trompeuse confiance , elle tĂąche de prendre le juste milieu pour elle-mĂȘme & pour les autres. Mais quelque ennemie qu’elle soit des excĂšs dont nous venons de parler, elle l’est encore bien plus d’un autre, qui n’est aujourd’hui que trop commun, de cette dangereuse & sĂ©duisante maxime, qui prĂ©tend borner tous les devoirs de la piĂ©tĂ© chrĂ©tienne aux devoirs de la p’robitĂ© mondaine, & qui ose assurer qu’on est assez vertueux lorsqu’on est honnĂȘte homme. Je demanderois volontiers aux apĂŽtres de ce nouvel Ă©vangile, par quelle autoritĂ© ils viennent contredire si formellement celui de Jesus-Christ , & s’ils ont donnĂ©, pour mĂ©riter notre crĂ©ance, des preuves plus authentiques de leur mission. S’ils en ont de moins fortes , vu plutĂŽt s’ils n’en ont d’autres que lent H 6 ĂŻgo L 1 ÂŁ C 0 L É opinion particuliĂšre & la commoditĂ© de leur doctrine, doivent-ils s’étonner que nous dĂ©fĂ©rions plutĂŽt Ă  la parole de Dieu qu’à la leur ? car pour nier ou douter que la religion chrĂ©tienne soit divine, il faut avoir renoncĂ© Ă  toutes les lumiĂšres de cette raison mĂȘme qu’ils veulent prendre uniquement pour guide. Mais il n’est pas moins Ă©vident que la religion de l’honnĂȘte homme chrĂ©tien est bien diffĂ©rente de celle que se contente d’avoir celui qu’on appelle simplement honnĂȘte homme selon le monde. Celui-ci soumet la religion Ă  sa raison. Parmi les dogmes du christianisme, il adopte les uns, rejette les autres, ne compose fa foi que des articles qui lui semblent ne point contredire ni rĂ©volter la raison , & il se fait une religion Ă  sa mode. Parmi les prĂ©ceptes, il respecte ceux qu’on ne pouroit violer sans manquer aux lois de l’honneur ou de la sociĂ©tĂ© il s’en dĂ©clare hautement le rigide observateur , pour se croire en droit d’enfreindre ou de mĂ©priser les autres , qui le gĂȘner oient trop, ou qui ne lui plaisent point. L’homme vĂ©ritablement chrĂ©tien soumet au contraire sa raison Ă  la religion, & la captive sous l’obĂ©issance de la foi. La raison chez lui ne fait que les premier pas ; elle le conduit jusqu’au fane» DES M ƒ U U S. Igl tuaire du christianisme. LĂ  , aprĂšs lui avoir fait voir Ă©crites en caractĂšres lumineux les preuves incontestables de la divinitĂ© de fa religion , elle le remet entre les mains de la foi , Ă  laquelle il fe soumet aveuglĂ©ment pour tout ce qu’elle lui enseigne de la part de Dieu ; alfurĂ© de ne pouvoir jamais s’égarer, parce qu’il est conduit par celui qui est la sagesse & la vĂ©ritĂ© mĂȘme. Fidelle observateur de tous les prĂ©ceptes , il croit devoir n’en mĂ©priser aucun, parce qu’ils Ă©manent tous de la mĂȘme autoritĂ©, qui est celle de Dieu. Enfant soumis de l’Eglise, il en respecte toutes les dĂ©cisions , & les regarde comme des oracles, parce que son infaillibilitĂ© est fondĂ©e sur les promesses de son divin Auteur, qui sera toujours avec elle jusqu’à la consommation des siĂšcles, & qui veut qu’on regarde comme un paĂŻen & un publicain celui qui n’écoutera pas l’Eglise. Toutes ses lois sont sacrĂ©es pour lui ; il fait qu’on ne doit pas seulement l’obĂ©issance aux prĂ©ceptes naturels & divins, mais encore aux prĂ©ceptes ecclĂ©siastiques ; qu’il faut observer les uns & ne pas omettre les autres , & qu’une feule offense mortelle, en quelque point que ce soit, suffit pour nous perdre Ă©ternellement. Mais la vraie piĂ©tĂ© ne s’en tient pas lĂ , & elle ne se borne pas simplement N,.. , i§r L’École Ă  ce qui est commandĂ©. Elle aspire Ă  ce qu’il y a de plus parfait, de plus digne d’elle & de Dieu. Elle aime mieux en faire trop que trop peu , & aller au- delĂ  de ses obligations que de s’exposer Ă  y manquer en cherchant trop scrupuleusement le terme de ses devoirs. Elle fait Ă  qui elle se confie. Elle connoĂźt la bontĂ© gĂ©nĂ©reuse du MaĂźtre qu’elle sert, & qui rĂ©compense si libĂ©ralement tout ce qu’on fait pour lui, tandis que les hommes, qu’on sert avec tant de zele & d’empressement, ne rĂ©compensent presque rien de ce qu’on fait pour eux. . Bien diffĂ©rent des mondains , dont la piĂ©tĂ© est si facile Ă  se rebuter, si prompte Ă  se dĂ©goĂ»ter dans le service de Dieu, & qui trouvent que les momens qu’ils jr donnent font toujours ceux qui leur semblent couler le plus lentement; le chrĂ©tien pieux ne goĂ»te jamais de momens plus doux , plus agrĂ©ables , que ceux qu’il peut consacrer aux saints exercices line s’imagine pas que la naissance, les dignitĂ©s ni les richesses suent un titre pour se dispenser de ce qu’un doit Ă  Dieu. Plus le rang qu’il tient dans le inonde est honorable & distinguĂ©, plus il se croit obligĂ© Ă  servir de modelĂ© & Ă  donner l’exemple. Ainsi pensoit J’illustre Ă©pouse de Henri xll, Louise de Vaudemont. PlacĂ©e des MƓurs. 18? fur le trĂŽne de France, la couronne ne servit qu’à relever l’éclat de ses vertus, & ne lui fĂźt rien perdre de son humilitĂ© , de sa piĂ©tĂ©, de sa douceur. Elle fut un modele de modestie & de pudeur dans un temps oĂč la dissolution & les dĂ©bauches infectoient la ville & la cour. Au milieu du luxe & du faste le plus indĂ©cent, elle ne se distinguoit que par la simplicitĂ© de ses habits. Aussi pieuse qu’elle Ă©toit humble & modeste, elle parloit plus Ă  Dieu qu’aux hommes , & on la trouvoit plus souvent aux Kglises qu’au Louvre. Durant les premiĂšres annĂ©es de son mariage, elle se confessoit & communion tous les mois mais quatre ans aprĂšs avoir Ă©pousĂ© le Roi, & Ă©tant veuve , elle frĂ©quentoit les Sacremens tous les huit jours. Convaincue par lĂ  propre expĂ©rience que la lecture des livres spirituels est l’aliment de la piĂ©tĂ©, que ces livres qui paroissent si ennuyans, fi insipides aux personnes qui ne lisent que des livres profanes, font bien plus utiles & plus nĂ©cessaires, elle les lisoit volontiers , & en faisoit la nourriture ordinaire de son ame. Celui qu’elle se faisoit lire le plus souvent, Ă©toit la Vie des Saints 6 . 6 Il y a plusieurs Vus des Saints trĂšs-bien faites* & trĂšs - diimĂ©es, telles çue celles Uu i*, Croisa, & ,84 L’ É c o i s C’est en effet ce qu’il y a peut- ĂȘtre de plus propre Ă  nourrir la piĂ©tĂ© , & mĂȘme Ă  en inspirer l’amour & le goĂ»t les exemples des Saints ont fait beaucoup d’autres Saints. On lit avec aviditĂ© tant de livres qui n’apprennent rien, ou qui ne servent qu’à satisfaire une vaine curiositĂ©. On ne veut rien ignorer, exceptĂ© la feule chose qu’il faudroit savoir, la science de la religion & du salut. Par une suite de l’incrĂ©dulitĂ© de notre siede , on parolt rougir de la lecture la plus utile & la plus Ă©difiante , comme on rou. git de passer pour pieux & dĂ©vot. On redoute la critique du monde, de ce monde qu’on n’a pas la force de mĂ©priser lors mĂȘme qu’on le juge le plus mĂ©prisable. On craint des hommes qui ne peuvent faire aucun mal, & dont la censure est un Ă©loge tacite mille fois plus glorieux que leurs fausses & frivoles louanges ; & l’on ne craint point de rougir du service d’un MaĂźtre tout-puis- mieux encore celles du P. Grijset , pour tous les jour» Ăźle l’annĂ©e; en douze volumes, Ü. les Vies des PĂšres , des Martyrs & des autres principaux Saints , traduites le PAngiois par une SociĂ©tĂ© d’EcclĂ©fi astiques. Il y a aussi un bon AbrĂ©gĂ© de La Vie des Saints pour tous les jours de /'annĂ©e , accompagnĂ©e de rĂ©flexions , &c. en un gros vol. in *8°. par un CurĂ© de Rouen. Noua ne parlons pas des autres, parce que nous ne vouions indiquer que ee que nous sonnojsibus de meilleur, des MƓurs. *8s fĂ nt , d’un Dieu jaloux, qui regarde du mĂȘme Ɠil & ses ennemis & ceux qui n’osent se dĂ©clarer pour lui. Y a-t-il donc sur la terre des Grands assez grands, & des Puissans assez puissans, pour mĂ©riter que nous les prĂ©fĂ©rions Ă  Dieu ? Qui que vous soyez , dans quelque Ă©tat, Ă  quelque haut rang que vous soyez placĂ© , ne rougissez jamais d’ĂȘtre pieux , ni de le paroĂźtre. Ne faites pas comme le superbe , qui s’imagine qu’il ne doit point croire ni agir comme le vulgaire. Ne prenez pas pour une marque de noblesse & de grandeur d’ĂȘtre moins sage que les autres. Si parce que vous ĂȘtes noble vous avez peine Ă  faire ce. que fait le petit peuple , faites mieux que lui ce qu’il fait bien. Ne le suivez pas dans les voies de la piĂ©tĂ© ; ayez Ă©gard Ă  votre condition, marchez le premier , servez d’exemple. Tenez votre rang dans le lieu saint; ne permettez pas qu’aucun y soit plus religieux ni plus modeste que vous. Mon fils , disoit avec cette simplicitĂ© si digne de sa piĂ©tĂ© Saint Louis Ă  Philippe qui devoit lui succĂ©der au trĂŽne, assistez avec dĂ©votion au service de Dieu tÂŁ de la sainte Eglise notre mere. Priez-y Dieu de cƓur & de bouche , principalement Ă  la messe , aprĂšs la consĂ©cration du corps de Notie- Seigneur , fans y causer ni parler Ă  qui i%6 V É C O L 2 que ce soit. Ce saint Roi pratiquoit lui- mĂȘme ce qu’il recommandoit Ă  son fils. Il Ă©toit durant tout le temps de la messe, & fur-tout aprĂšs que les paroles sacrĂ©es avoient fait descendre fur l’autel la Victime sainte , dans le recueillement & le respect le plus profond. Quelle diffĂ©rence de ce pieux Monarque Ă  ce tourbillon de jeunes & quelquefois de vieux insensĂ©s, qui, aprĂšs avoir passĂ© toute la semaine sans pa- roitre dans nos temples , y accourent enfin les jours de fĂȘtes & de solennitĂ©s ! EntraĂźnĂ©s par la coutume & conduits par la biensĂ©ance , ils y viennent pour voir & pour ĂȘtre vus ; pour critiquer & pour Ă©taler les modes, les parures mondaines ; pour concerter souvent les plaisirs de l’aprĂšs-midi, durant le plus auguste de nos MystĂšres. Sans retenue comme fans religion dans nos Eglises, on les voit y causer, y rire, y commettre des indĂ©cences qu’ils n’ose- roient se permettre dans une assemblĂ©e profane. Ils entrent avec dĂ©cence dans la maison d’un Grand , ils s’y observent, ils s’y composent ; & ils ne craignent pas d’entrer, d’agir {ans respect dans la maison de Dieu. Ils y promĂšnent partout leurs regards insolens , qu’ils ne fixent de temps en temps fur l’autel que pour voir si le sacrifice sera bientĂŽt fini. des MƓurs. iz? A peine daignent-ils suspendre leurs scandaleux entretiens & mettre un genou en terre , ou incliner foiblement la tĂȘte, dans le moment le plus redoutable du sacrifice. S’ils ne font plus chrĂ©tiens, pourquoi viennent-ils dans les assemblĂ©es chrĂ©tiennes ? & s’ils le font encore, comment osent-ils y outrager , y insulter le Dieu qu’ils adorent ? Avouons-le pourtant Ă  la gloire de la religion quelque frĂ©quent que soit ce dĂ©sordre, il n’est pas universel. Dieu s'est rĂ©servĂ© parmi nous un grand nombre de vrais & de fidelles adorateurs ; & l’on voit les Princes eux - mĂȘmes ne pa- roĂźtre devant nos autels que pour confondre l’impiĂ©tĂ© par d’augustes exemples , & donner Ă  leurs peuples des marques publiques de leur piĂ©tĂ©. Nous avons vu de nos jours un puissant Monarque prier durant les saints mystĂšres avec une modestie Ă©difiante , descendre de carrosse & se mettre Ă  genoux au milieu des boues pour adorer le Fils de Dieu , qu’on portoit aux malades 7. Nous avons vu le vertueux Dauphin son fils, que la religion honorera longtemps de ses regrets, signaler Ă©galement 7 Louis Xf , qui eut toujours un grand fonds ie religion. i88 L* È e o l E sa piĂ©tĂ©. Ayant apperçu de loin une procession du Saint-Sacrement, il fit arrĂȘter, descendit de carrosse, s’avança Ă  pied vers le reposoir , se confondit dans la foule, rejeta les carreaux qu’on voulut mettre fous ses genoux, & se prosterna sur le pavĂ©. La piĂ©tĂ© des Grands est le plus beau triomphe de la religion , qui Ă  son tour les comble de gloire. Cette belle qualitĂ© fut une de celles de Philippe II , Roi d’Espagne, que l’Histoire nous reprĂ©sente comme un des plus grands Princes de son siecle par fa sagesse, son Ă©quitĂ© & sa magnificence. Il Ă©toit sorti de Madrid pour se promener en voiture. Il trouva le Vicaire d’une petite paroisse de la campagne , qui , prĂ©cĂ©dĂ© d’un enfant, portoit le saint Viatique Ă  un malade. Il descendit aussi-tĂŽt de son carrosse, y fit monter le PrĂȘtre, qu’il accompagna la tĂȘte nue & la main Ă  la portiĂšre, jus qu’à ce qu’il fĂ»t arrivĂ© chez le malade. C’étoit un pauvre Jardinier. Le Prince assista avec la plus grande dĂ©votion Ă  toute la cĂ©rĂ©monie. Il fit ensuite une aumĂŽne considĂ©rable Ă  celui qu’on ve- noit d’administrer; & remontant dans son carrosse avec le PrĂȘtre , qu’il fit mettre Ă  la place la plus honorable, il le ramena jusqu’à son Eglise imitant en cela l’exemple d’un de ses plus DBS M ƒ U R S. 18- illustres aitcetres, Rodolphe de HubsbourÇy tige de la Maison d’Autriche , dans laquelle la pitiĂ© & la religion ont de tout temps Ă©tĂ© hĂ©rĂ©ditaires. Ce Prince Ă©tant Ă  la chasse, rencontra un CurĂ© qui permit le Viatique. Il descendit de cheval, y fit monter le PrĂȘtre , & conduillt lui- mĂȘme le cheval par la bride. Le nouveau Roi de Portugal, Dom Pedro , a donnĂ© Ă  ses sujets, dans une semblable occasion, une marque aussi Ă©clatante de son religieux respect ; & il a fait voir Ă  ce siede d’irrĂ©ligion, que. la vraie grandeur ne consiste point Ă  faire parade de son impiĂ©tĂ© , Ă  mĂ©priser les choses saintes, mais Ă  honorer , Ă  servir son CrĂ©ateur & son MaĂźtre. Quels sentimens respectueux ne devons - nous donc pas avoir aussi pour cet Etre suprĂȘme , puisque nous voyons de grands Monarques, devant qui tous les autres hommes se prosternent & s'humilient * se prosterner eux-mĂȘmes & s’humilier devant lui ! Quelle plus utile instruction Ă  donner Ă  la jeunesse, que de lui faire remarquer souvent ces nobles exemples , si propres Ă  lui donner une grande idĂ©e de Dieu & de la religion, Ă  lui transmettre l’amour de la vĂ©ritable f iĂ©tĂ©, qui est, ainsi que la crainte du eigneur, A la source de la sagesse. 190 L’ È C O L B Cet hĂ©ritage, le plus prĂ©cieux que des parens chrĂ©tiens puissent laisser Ă  leurs enfans , ne le donne pas comme les autres hiens, en disant Je laisse Ă  mon ßls la pietĂ© 6r la sagesse. Si vous voulez qu’il les possĂ©dĂ©, faites en forte, tandis que vous vivez, qu’il s’en mette en pot session. Si vous attendez trop long-temps, il ne les aura jamais. C’est au printemps de la vie qu’il faut jeter dans les jeunes cƓurs les semences de la vertu. 11 faut pour ainsi dire , leur faire sucer avec le lait les premiĂšres douceurs de la piĂ©tĂ© elle croĂźtra avec l’ñge, elle jettera dans l’ame des racines profondes, & les plus violentes tempĂȘtes ne poliront la renverser. Dociles Ă  ses leçons , ils deviendront des hommes sages, des citoyens vertueux , des personnes irrĂ©prochables dans leurs mƓurs & dans leur conduite, aussi sidelles Ă  remplir tous les devoirs de la probitĂ© & de l’honneur que ceux de la piĂ©tĂ© & de la religion ; ou plutĂŽt exacts observateurs des premiers, parce qu’ils le seront de ceux-ci car comme il n’y a point de vraie, de solide religion sans probitĂ© , il n’y a point non plus de vraie, de solide probitĂ© sans religion & qui peut oublier ce qu’il doit Ă  Dieu, peut aisĂ©ment mĂ©connoitre ce qu’il doit aux hommes, des MƓurs. 191 t Nous „fe pouvons mieux finir ces rĂ©flexions, que par les excellons conseils que Madame de Maintenon douĂąt , au sujet de la piĂ©tĂ© , Ă  la Duchesse de Bourgogne, dans l’instruction qu’elle composa pour cette jeune Princesse. C’est un parfait modele de ce que tous les gens du monde, & en particulier les personnes du sexe, doivent faire. ,, Que votre piĂ©tĂ© , lui dit-elle, soit solide, droite, Ă©clairĂ©e solide, en Ă©vitant de la mettre dans des minuties; droite , en prĂ©fĂ©rant toujours les obligations de votre Ă©tat Ă  toute dĂ©votion particuliĂšre ; Ă©clairĂ©e, en vous instruisant de tout ce que vous devez savoir pour vous sauver. » Vous aimez la joie, le repos, le plaisir croyez-moi, j’ai goĂ»tĂ© de tout ; il n’y a de joie , de repos, de plaifir qu’à servir Dieu ; le vice est affreux, & l’on ne peut trop tĂŽt se donner au Seigneur. » Evitez la vanitĂ© & l’oisivetĂ© ; Ă©vitez sur - tout le pĂ©chĂ© on se jette aisĂ©ment dans le vice, 011 en fort difficilement. „ MĂ©ditez la loi de Dieu jour & nuit; gravez-la profondĂ©ment dans le fond du cƓur rentrez souvent en vous-mĂȘme, & tĂąchez de vous mettre en la prĂ©sence Me Dieu au milieu des compagnies les plus nombreuses» 19* L’ E C 0 L E „ Aimez l’Eglise , qui est rassemblĂ©e des fidelles respectez ses Ministres protĂ©gez les gens de bien & les bonnes Ɠuvres. DĂ©clarez-vous contre les nouveautĂ©s dans la religion. Tenez-vous attachĂ©e au Saint -Siege , c’est le centre de la catholicitĂ©. „ Soyez simple dans la piĂ©tĂ©, docile, humble, unie, comme saint Paul l’ordonne aux femmes. ,, FrĂ©quentez les sacremens avec joie & avec confiance choisissez un bon Confesseur, & laissez-vous conduire dans le bien qu’il vous conseillera. ,, Aimez la lecture des livres qui portent Ă  Dieu, tels que l'Imitation de Jesus- Christ & les ƒuvres de saint François de Sales , que vous ne devez point vous lasser de lire. Les livres profanes inspirent l’orgueil, & nourrissent la curiositĂ© si dangereuse Ă  notre sexe, Ă  mesure qu’ils Ă©tendent les connoifiances. „ Aimez vos enfans, voyez - les souvent c’est l’occupation la plus honnĂȘte qu’une Princesse & une Paysanne puissent avoir. Jetez dans leurs cƓurs les semences de toutes les vertus. ct B des MƓurs. 19; 1 .- ==== es^=========& Et qu'Ă  tous vos discours la vĂ©ritĂ© prĂ©side. La vĂ©ritĂ© est ie premier devoir de l’homme en sociĂ©tĂ©. La parole a Ă©tĂ© donnĂ©e aux hommes pour se communiquer leurs pensĂ©es c’est aller contre l’institution de la nature , que de la faire servir Ă  la duplicitĂ© & au mensonge. Quelle confiance les hommes pouront-i's avoir entre eux , st la vĂ©ritĂ© est bannie de la sociĂ©tĂ©, & st la langue , destinĂ©e Ă  ĂȘtre l’interprete fidelle du cƓur , n’en est plus que le voile trompeur qui le cache & le dĂ©guise? Que l’homme vrai est prĂ©cieux dans le commerce de la vie ! Avec lui on peut rĂ©gler ses jugemens, ses sentimens, les dĂ©marches son amitĂ© n’est point Ă©quivoque ni trompeuse sa bouche est l’organe de la vĂ©ritĂ©, & jamais le mensonge n’a souillĂ© ses levres. Maisilfaurconvenir qu’un tel homme est bien rare. La vĂ©ritĂ© est simple & ingĂ©nue ; & nous voulons du spĂ©cieux & de l’ornement. Elle vient du ciel toute faite, pour ainsi dire, & dans toute fa perfection5 & nous n’aimons que notre propre ouvrage, 'la fiction & la fable; ou , comme dit un Auteur cĂ©lĂ©brĂ©, qui Tome I. I 194 L’ É C O L E par la multitude de ses erreurs eu tout genre l’a prouvĂ© plus que personne. Le vtai nous vient du terre Ciel s l’erreur vient de Voltaire. la Voyez le peuple il controuve, il augmente, il charge les faits par gros siĂ©retĂ© & par sottise. Dans le grand monde toutes les sociĂ©tĂ©s font empoi- ionnĂ©es par le dĂ©faut de sincĂ©ritĂ© & de droiture les entretiens n’y font le plus souvent que des mensonges, cachĂ©s fous les dehors de l’amitiĂ© & de la politesse. Les politiques font du dĂ©guisement & du mensonge leur Ă©tude ; plusieurs en font leur plaisir, & d’autres leur mĂ©tier. Pour vous , ce qu’en ont fait tous les grands hommes , l’abomination » de votre cƓur. Regardez avec le Sage le mensonge comme une tache honteuse & un opprobre. La vie des menteurs , ajoute-t-il, est une vie fans honneur leur confußon les accompagne fans ccjße 8 - L’honnĂȘte homme, le vrai chrĂ©tien, ne mĂ©prise pas seulement le mensonge, mais il le hait, il ledĂ©telfe, parce qu’il fait jjue le Dieu qu’il adore elf la vĂ©ritĂ© s S j ADoninĂ»Vo est Domino labia m tndacia. Prov. 12. DSS M CE X> R. S. igs mĂȘme, & que les levres menteuses lui font en abomination 9. Ne craignez donc jamais que de ne pas dire la vĂ©ritĂ©, & abhorrez le mensonge plus que la mort. Ces beaux sentimens Ă©toient ceux de ce saint EvĂȘque de Thagaste en Afrique , nommĂ© Firmus , dont parle saint Augustin. Il tenoit chez lui, cachĂ© avec beaucoup de soin, un homme innocent, qu’un Empereur paĂŻen vouloir faire mourir. Des Exempts vinrent par ordre de l’Empereur lui demander cet homme. Il leur rĂ©pondit qu’il ne pouvoir ni mentir ni leur dĂ©couvrir celui qu’ils ch er choient. On lui fit souffrir tous les tourmens imaginables mais il fit paroĂź- tre une constance hĂ©roĂŻque. Il fut amenĂ© devant l’Empereur, qui admira ses sentimens , & lui accorda mĂȘme la grĂące de l’homme qu'il gardoit chez lui. Quelles louanges, ajoute le saint Docteur , ne mĂ©rite pas cet illustre EvĂȘque, qui aima la vĂ©ritĂ© jusqu’à tout souffrir plutĂŽt que de mentir ! A son exemple, estimez plus la vĂ©ritĂ© que toutes les choses du monde, craignez de vivre avec la rĂ©putation d’ĂȘtre un homme faux. HaĂŻssez le mensonge ; & quoique dans les compagnies on f 9; in keminemendacium , Kcdi» 20. 1 2 195 L 5 É C O L E l’appelle le. plus innocent des pĂ©chĂ©s , & dans les palais le plus nĂ©cessaire, appelez-le par-tout le plus honteux & le plus indigne d’un homme d’honneur. Ne vous permettez mĂȘme jamais de le mĂȘler Ă  delĂź'ein dans les faits que vous racontez, pour les rendre plus agrĂ©ables. Quelque ornement que vous puissiez lui donner, croyez qu’il ne sautoir ĂȘtre que trĂšs-mellĂ©ant dans votre bouche. Il l’est fur-tout dans celle de ces personnes, qui par leur Ă©tat, parleur dignitĂ© ou par la saintetĂ© de leur caractĂšre , doivent ĂȘtre les plus fidelles images de celui qui est la vĂ©ritĂ© par essence 10. Un Religieux qui vouloir se jouer delĂ  simplicitĂ© apparente de saint Thomas d’Aquin , lui dit d’aller Ă  la fenĂȘtre , & qu’il verroit en l’air un bƓuf qui voloit. Saint Thomas y accourut. Le Religieux se moqua de lui. Comment, lui dit-il, avez-vous pu croire qu’un bƓuf pĂ»t voler? Je croirois plutĂŽt, lui rĂ©pondit le Saint, qu’un hƓuf volĂąt , que de penser quun Religieux tel que vous fit un mensonge. De quelque condition que vous soyiez, ayez la force de ne jamais rien dire que de vrai. N’ayez pas la manie si ordinaire aux enfans, aux femmes & Ă  ceux 19 Non iecetprincipcm labium mentiens. Frov. Z7. des MƓurs.“ 197 qui ont , comme elles, l’imagination vive Ă  ardentej de tout agrandir, de tout exagĂ©rer. On veut Ă©tonner & surprendre dans cette vue on outre tout ce qu’on dit, & d’un ciron l’on fait un colosse. Mais qu’arrive-t-il ? dĂšs que l’on con- noit une personne sur ce ton , on commence par diminuer au moins la moitiĂ© de ce qu’elle dit, & l’on finit par ne plus la croire. Evitez le mensonge avec un foin extrĂȘme. Si l’on remarque en vous peu le sincĂ©ritĂ©, L’on ne vous croira pas, lors mĂȘme Que vous direz la vĂ©ritĂ© H . On 11e gagne en effet Ă  mentir, que de n’ùtre pas cru lorsqu’on dit vrai. Un menteur ne ment pas toujours, mais c’est toujours une folie de se fier Ă  si parole. Un mĂ©chant homme affirmoit une chose avec serment Ce rieft pas aux fer mens qu’on ajoute foi, lui rĂ©pondit-on ,‱ ceft Ă  la probitĂ©. Quand une personne a la rĂ©putation d’ĂȘtre vraie, on jureroit sur sa parole ce qu’elle dit a toute l’autoritĂ© du serment. Madame la Duchesse de Longue- ĂŻ! Tables d'Esope , mises en françois avec le sens fnoral en quatre vers , qui sont ordinairement bien faits. C’est un excellent livre p'jur les enfans qfli commencent Ă  lire. 1 3 ip8 L’ È c o l Ă« ville , qui mĂ©rita par scs grandes qualitĂ©s l’eitime dont e!le jouit dans le dernier' siecle, n’ayant pu, dit Pclifon, obtenir une grĂące du Roi pour une de ses crĂ©atures, elle en fut ti vivement piquĂ©e, qu’il lui Ă©chappa des paroles fort indiscrĂštes & fort peu respectueuses. Une seule personne qui les avoir entendues , ne lui fut pas fidelle. La chose revint au Roi , qui en parla Ă  M. le. Prince c’étoit le grand CoudĂ©, frere de la Duchesse de Longueville. Celui- ci assura le Roi que cela ne pouvoir ĂȘtre, & que sa sƓur n’avoit pas perdu l’esprit. Je l’en croirai elle-mĂȘme , rĂ©pliqua le Roi, ß elle dit le contraire. Le Prince va voir sa sƓur , qui ne lui cache rien. En vain il tĂąche, durant une aprĂšs-dinĂ©e toute entiĂšre , de lui persuader qu’en cette occasion la sincĂ©ritĂ© fer oit une vraie simplicitĂ©; qu’en la justifiant auprĂšs du Roi il avoir cru dire la vĂ©ritĂ© mais qu’il falloir laisser tomber cela, & qu’elle feroit mĂȘme plus de plaisir au Monarque de nier fa faute que de l’avouer. Voulez-vous , lui dit- elle , que je la rĂ©pare par une plus grande , non - feulement envers Dieu , mais envers le Roi ? Je ne faurois gagner fur moi-, mĂȘme de lui mentir , lorsqu’il a la gĂȘnĂ©-, de m’en croire ris fis' s’en rapporter Ă  moi. Celui qui m’a trahie a grand, torts des MƓurs. 199 mais apres tout il ne ni eß pas permis de le faire palier peur un calomniateur , puisqu’ en ejfct il nel’efi pas. Elle alla le lendemain Ă  la Cour. AprĂšs avoir obtenu de parler an Roi en particulier , elle se jeta Ă  ses pieds , & lui demanda pardon des paroles indiscrĂštes qui lui Ă©toient Ă©chappĂ©es. Elle ajouta que M. le Prince n’avoit pu l’en croire capable, & que c’étoit pour cela qu’il avoir entrepris de la justifier auprĂšs de Sa MajestĂ©; mais qu’elle aimoit mieux lui avouer sa faute que d’ĂȘtre justifiĂ©e aux dĂ©pens d’autrui. Louis XIV , par un action Ă©galement hĂ©roĂŻque , non-seulement lui pardonna de bon cƓur , mais lui fit quelques autres grĂąces qu’elle ne s’attendoit pas de recevoir elle crut mĂȘme remarquer qu’il la traita depuis avec plus de considĂ©ration & de bontĂ© qu’auparavant. S’il est vrai que de la soibieiie & de la dĂ©pendance naiisent souvent la fineise & la faulsetĂ© , la vĂ©ritĂ© est une vertu biçn . estimable dans les femmes. Austi faut-il avouer qu’elle s’y trouve encore plus rarement que dans les hommes, parce que l’éducation mĂȘme qu’011 leur donne pour l’ordinaire , augmente & fortifie en elles le penchant qu’elles ont Ă  la dissimulation. On leur apprend, presque dĂšs l’enfance, fart de feindre, & la plupart n’y deviennent que trop 2,00 L’ É C O L E habiles. Madame de Maintcnon , qui re- connoĂźt que la mauvaise dissimulation dans laquelle on Ă©leve les femmes a de grands inconvĂ©niens , conseille Ă  la Ducheise de Bourgogne d’avoir plutĂŽt une prudente En lui recommandant d’unir la prudence Ă  la franchise, elle lui donnoit un avis bien important; car il est quelquefois de la sageste de diffimuler ce qu’on pense , & de ne pas dire tout ce qu’on fait. La diiiimulation n’est donc pas toujours mauvaise ni blĂąmable. 11 y en a une louable, au contraire, & qui fait partie de la prudence elle sait, sans le secours du mensonge, cacher ses senti- nvens aux curieux qui voudraient les- pĂ©nĂ©trer elle tait la vĂ©ritĂ© qui dĂ©plairait, lorsque les circonstances n’exigent pas qu’on la faste connoitre elle couvre des voiles du silence, quand la justice ou la charitĂ© le demande, ce qu’elle fait des dĂ©fauts ou des intĂ©rĂȘts du prochain. Cette belle & estimable dissimulation est le partage des hommes sages & prudens, des personnes vertueuses & chrĂ©tiennes , comme celle quf emploie le dĂ©guisement & le mensonge pour tromper & en imposer, ou qui retient la vĂ©ritĂ© captive, lorsqu’il est du devoir de la manifester , est la honteuse ressource des politiques mondains, des. DES M ƒ U R 8. 201 eourtisans flatteurs, des chrĂ©tiens foibles & pusillanimes. La bouche qui ment , dit l’Esprit-Saint en parlant des mensonges pernicieux, donne la mort Ă  l'ame. Le faux tĂ©moin ne demeurera pas impuni , & celui qui dit des mensonges pĂ©rira 12 . Ces terribles sentences frappĂšrent tellement un pieux Avocat, qu’ayant, un jour en plaidant , laide Ă©chapper un lĂ©ger mensonge, & Ă©tant tombĂ© peu aprĂšs fĂŒr ces endroits de l’Ecriture, il renonça fur le champ Ă  une profeiĂźion oĂč il est si facile & fi. funeste de dĂ©guiser la vĂ©ritĂ©. Ceux qui le font un jeu & une habitude de manquer de sincĂ©ritĂ© dans les petites choses , s’exposent Ă  en manquer bientĂŽt dans les grandes. L’habitude rend aisĂ© & mĂȘme agrĂ©able ce qujon faisoit d’abord avec peine & avec Craignez donc de contracter un vice qui vous feroit haĂŻr & mĂ©priser non-seulement du Seigneur , mais des hommes. Car le monde, tout faux & tout corrompu qu’il est, ne sauroit s’empĂȘcher de rendre hommage Ă  la droiture ; & ceux mĂȘme qu’elle a offensĂ©s, finiffent par l’admirer. On dĂ©teste les fourbes & T- Os quod occidit aninam. Sap. i. » Pro y. ĂŻ 9 . 2,0 ĂŻ L’ É G O L t les cƓurs doubles, on estime les hommes- droits & sincĂšres, on aime la candeur & la franchise. La candeur est la marque d’une belle ame, qui se montre telle qu’elle est la franchise est celle d’une ame noble, qui aime la vĂ©ritĂ© , & qui ne craint pas de se dĂ©clarer pour elle l’une & l’autre font l’expression & l’effusion de la droiture du cƓur. Trop pure, trop innocente pour ĂȘtre dissimulĂ©e; si la candeur pense hautement, c’est qu’elle n’a point Ă  rougir de ses pensĂ©es. Mais souvent qu’il est Ă  craindre que la franchise, Ă  moins qu’elle ne soit dirigĂ©e par la prudence & par la politesse , ne fasse rougir les autres ! Combien de gens qui, pour vouloir ĂȘtre sincĂšres & vrais, font impolis & grofiĂźers, ou mondains & satiriques ! Un jeune Poete vint montrer Ă  LuUl un prologue qu’il avoit composĂ© pour un OpĂ©ra, & lui demanda ce qu’il en peitscht. Lulli l’ayant lu , lui dit qu’il n’y trouvent qu’une lettre de trop. L’Auteur flattĂ© de ce qu’il croyoit un Ă©loge, le pria de lui indiquer l’endroit. C’est, rĂ©pondit Lulli, dans ces mots fin du prologue , la derniere lettre de fin. N’ayez point cet amoiĂźr outrĂ© & farouche de la vĂ©ritĂ©, qui dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en humeur cynique, & qui ne la montre DES M ƒ U R S. que sous un dehors rĂ©voltant. Ce dĂ©faut est d’autant plus difficile Ă  corriger qu’on s’en fait gloire. Quand ou le reproche Ă  ceux qui l’ont, ils rĂ©pondent qu’ils font faits ainsi, & qu’ils ne sauroient dire que ce qu’ils pensent. Ignorent-ils donc qu’on fe doit les uns aux autres des Ă©gards & des mĂ©nagemens? il n’y a point d’homme, quelque mĂ©rite qu’il ait, qui ne fĂ»t fort mortifiĂ© , si on lui disoit tout ce qu’on pense de lui. La discrĂ©tion est Ă  l’ame ce que la pudeur est au corps. Un excĂšs de franchise est une indĂ©cence comme la nuditĂ©. Celui qui dit tout ce qu’il pense, ne’ pense pas toujours Ă  tout ce qu’il dit. Il y a souvent bien de l’imprudence & du pĂ©ril Ă  ĂȘtre trop sincere. Des coups dĂ©shonorans, & la mort mĂȘme, ont Ă©tĂ© plus d’une fois les honteuses & tristes suites de l’indiscrĂ©tion de la langue. Le moindre mal qui puisse en arriver , c’est de nous faire perdre l’estime & l’amitiĂ© de ceux avec qui nous vivons. Cependant il vau droit encore mieux ĂȘtre & trop vĂ©ridique, que fourbe & dissimulĂ©. Mais il y a un milieu Ă  tenir , & l’homme poli saura presque toujours le trouver. Il saura Ă©viter adroitement de dire des vĂ©ritĂ©s dĂ©sagrĂ©ables ou tĂąchera de les adoucir, persuadĂ© que; dans des bagatelles- on ne doit la dĂ©cia- 204 L’ É C O L E ration de ses sentimens qu’à ses amis ; encore faut-il qu’ils aient grande envie ou grand besoin qu’on la leur fasse. Mais dans quelque cas que ce soit, il n’aura jamais recours Ă  cette perfide & trompeuse difĂźimulation , Ă  qui un PoĂ«te dit ironiquement Art prĂ©cieux de feindre avec adresse U» sentiment que l'on n’éprouve pas; Et qui nous fais , blessant goĂ»t & justesse,. Louer tout haut, quand nous blĂąmons tout bas;. Tu fais voiler d’une gaze lĂ©gĂšre La vĂ©ritĂ©, dont le front trop sĂ©vĂšre Blesse nos yeux devenus dĂ©licats.. Aussi la flatterie ordinairement fait-elle des amis, & la vĂ©ritĂ© des ennemis. Mais les grandes Ăąmes, qui counoissent tout le prix delĂ  sincĂ©ritĂ©, prĂ©fĂ©reront toujours Ă  des amis qui les flattent, des ennemis mĂȘme qui leur diront la vĂ©ritĂ©.. "Philippe, Roi de MacĂ©doine, qui esti- nioit dans les autres une sincĂ©ritĂ© qu’il n’avoitpas, Ă©toit Ă  la vente de quelques esclaves dans une posture indĂ©cente. L’un d’eux l’en avertit Qu'on mette cet homme en libertĂ© , dit Philippe , je ne savais pas quil fĂ»t de mes amis. Henri IV, plus grand homme encore- que Philippe, & d’un caractĂšre plus franc & plus droit,, eut le bonheur d’avoir des MƓurs. 2 , 0s Ă  la Cour des Ministres qui lui difoient la vĂ©ritĂ©, & de les estimer. La Marquise de Verneuil savoir engagĂ© Ă  lui donner par Ă©crit une promesse de mariage. Le Prince, avant de la lui remettre, consulta Sully, & la lui montra. Ce Ministre , zĂ©lĂ© pour la gloire de son MaĂźtre, la dĂ©chira. Le Roi indignĂ© d’une pareille- hardiesse , lui dit tout en colĂšre Vous ĂȘtes fou, Sully. Je voudrois F ĂȘtre fui, Sire, rĂ©pondit Sully. Henri IV, malgrĂ© sa passion pour la Marquise, ne put. blĂąmer ce Ministre, parce qu’il sentoit qu’il avoir raison; & il le quitta sans lus rĂ©pliquer un mot.. > c L’ É C O L E 1o6 I V. Ttne{ votre parole ĂŻnviolablemtnt. C E L u i qui aime fa rĂ©putation, aime Ă  tenir exactement sa parole -, la qualitĂ© d’honnĂȘte homme impose ce devoir. I! se fait une loi, lorsqu’il le peut, de tenir ce qu’il a promis, dans les choses mĂȘme les plus legeres ; parce qu’on est bientĂŽt infidelie dans les grandes, quand on s’accoutume Ă  n’ùtre pas fidelle dans les petites. DesprĂ©aux aimoit Ă  se trouver exactement Ă  l’heure qu’il avoir promis , parce que , disoit-il, la premiĂšre chose qui se prĂ©sente Ă  l’esprit & dont on s’occupe le plus, ce font les dĂ©fauts de la personne qui se sait attendre. Lorsque la promesse n’est pas injuste ou absohiihent impossible, on ne doit jamais la violer, pour quelque raison ou pour quelque intĂ©rĂȘt que ce soit. Pendant que le jeune PompĂ©e disputoit de l’Empire avec Octave & Marc-Antoine, ils firent entre eux une espece de treve , & ils se donnoient des repas tour-Ă -tour. Un jour que ces deux derniers mangeoient dans la galere de PompĂ©e , un de ses Capitaines le tira Ă  l’écart, & lui dit que , s’il veut le laisser faire, il fera bientĂŽt le DES M ƒ U R S. fiOf maĂźtre du monde. VoilĂ  un coup de partie , ajouta-t-il ; la fortune vous favorise; si vous le voulez, vous n’avez plus d’ennemis dans un quart-d’heure. PompĂ©e n’y voulut point consentir Ils Jour, venus de bonne foi, dit-il, & j’aime mieux garder ma parole que de commander Ă  tout Cunivers. L’Histoire nous a conservĂ© des traits d’hĂ©roĂŻsme en ce genre , plus grands encore & plus magnanimes. Tel est celui du RĂ©gulus François, Jean Premier. Qui ne fait le noble iacrisice qu’il fit Ă  cette belle maxime, qui Ă©toit la sienne Que ß la vĂ©ritĂ© U la bonne foi Ă©taient perdues , on devrait les retrouver dans le cƓur ÂŁ ? dans la bouche des Rois. Ce Prince, dont l’ame fut encore plus grande que ses malheurs, ayant Ă©tĂ© fait prisonnier dans une bataille, fut renvoyĂ© fur fa parole mais n’ayant pu accomplir toutes les conditions qu’on a voit mises Ă  fa libertĂ©, il retourna accompagnĂ© de fa feule vertu dans les prisons du Roi d’Angleterre, &. y mourut trois ans aprĂšs. Le P. de Lauriere, Franciscain , montra la mĂȘme fidĂ©litĂ© , le mĂȘme courage, & eut un plus heureux succĂšs. Ayant Ă©tĂ© pris par les Indiens avec plusieurs Officiers Portugais, il demanda qu’on le laiifat partir , pour aller traiter de l’échange des prisonniers. Le Roi de Gain. LO8 L’ É C 0 1 2 baie paroi fiant craindre qu’il ne revint pas, le Religieux dĂ©tacha son cordon , & le lui mit en main comme le gage le plus afliirĂ© de sa foi. Sur cela seul on le laissa partir. Sa nĂ©gociation ayant Ă©tĂ© infructueuse , il revint dans les fers. Le Roi fut si frappĂ© de cette fidĂ©litĂ© , & il conçut une si haute opinion d’un peuple qui produisoit des hommes capables de cet acte gĂ©nĂ©reux de vertu, qu’il renvoya, tous les prisonniers fans rançon. On doit fur-tout garder les promesses; qui ont Ă©tĂ© munies du sceau sacrĂ© du serment ; & celui qui est la vĂ©ritĂ© par essence, a quelquefois puni dĂšs cette viele parjure d’une maniĂ©rĂ© sensible & Ă©clatante. Loihairc , Roi de la Lorraine Ă  laquelle il donna son nom , & neveu de l’Empereur Charles le Chauve, avoit rĂ©pudiĂ© Thktbcrgc son Ă©pouse lĂ©gitime, afin d’épouser Valdrade, pour laquelle il avoit conçu une inclination dĂ©rĂ©glĂ©e. Le Pape cassa la sentence d’un synode, qui avoit rompu le premier mariage , & menaça Lothaire de l’excommunication,, s’il ne quittoit ce commerce scandaleux. 11 vint Ă  Rome, pour donner satisfaction. Il jura en prĂ©sence du Souverain Pontife, & fit mĂȘme jurer une partie des Seigneurs de la fuite , que depuis la dĂ©fense du Saint- Siege il n’avoit point eu de communication avec Valdrade. Il des MƓurs. 209 lui promit de suivre en tout ses avis. Le Pape ie fit approcher de la sainte table , & lui dit de recevoir hardiment le sacrement du salut Ă©ternel , s’il avoir une ferme rĂ©solution de rompre pour tou-. jours le commerce criminel qu’il avoir eu avec Valdrade, sinon de n’ùtre point allez tĂ©mĂ©raire pour le recevoir, de peur qu’il ne tournĂąt Ă  la condamnation. Le Roi, fans hĂ©siter, reçut la communion. La plupart de ceux qui l’accompagnoient se prĂ©sentĂšrent auffi Ă  la sainte table , & il n’y en eut que quelques-uns qui n’ose rent en approcher. Lothaire sortit de Rome plein de joie, croyant avoir heureusement terminĂ© son affaire mais la main de Dieu s’appesantit sur lui. La fievre le prit Ă  Lucques , & la maladie se mit parmi ceux de lĂ  suite il les vit mourir presque tous fous ses yeux , & mourut ensuite lui-mĂȘme, comme le rapportent M. Fleury & tous les Historiens EcclĂ©siastiques. „ On observa, dit l’Auteur de l’Histoire de l’Empire, que la mort qui le surprit bientĂŽt aprĂšs, fut la punition que Dieu exerça contre Ion parjure. On remarqua aulli que de ceux qui avoient jurĂ© & communiĂ© avec lui, il n’y en eut pas un qui vĂ©cut plus de six mots anrĂšs cette impiĂ©ti. “ 1 ' i HĂŒt. EcĂŒiĂ©f. de Fleury. Ăźiv. 5i. an». &69*-fe Hist- de l’Emp. Ue HĂąjs. Uv. 1. 5, 210 L’ É C O L E Celui , die l’Ecrivain {acre de l’EcclĂ©siastique , qui ne fait pas ce qu’il a promis avec serment , aura son pĂ©chĂ© sur lui U s'il jure en vain , c’est-Ă -dire, pour des choses de peu d’importance ou fans avoir dessein d’accomplir ce qu’il promet , ce rtc fera pas une excuse qui le jujlifie. 2 Les paĂŻens ont pensĂ© de mĂȘme. AprĂšs la bataille de Cannes , Annibal avoit renvoyĂ© Ă  Rome dix prisonniers, avec ferment de revenir, s’ils ne pouvoient obtenir qu’on rachetĂąt des soldats Romains qui avoient Ă©tĂ© pris. Ceux qui manquĂšrent Ă  leur serment, furent dĂ©gradĂ©s par les Censeurs, & relĂ©guĂ©s pour toute leur vie parmi les derniers du peuple. On usa de la mĂȘme sĂ©vĂ©ritĂ© Ă  l’égard du soldat qui, dans cette occasion, s’étoit rendu coupable, en voulant Ă©luder son ferment} parce que c’est manquer Ă©qui- valemment Ă  fa parole, que de lui donner des interprĂ©tations captieuses. Ce soldat, dit CicĂ©ron , Ă©toit revenu au camp d’Annibal, peu de temps aprĂšs l’avoir quittĂ©, fous prĂ©texte qu’il avoit oubliĂ© quelque chose en Ă©tant sorti 2 ÂŁ r ß ht vacuum juravtrit , nen justificabiĂźur. des MƓurs. 2ĂŒ ensuite , il s’étoit cru dĂ©gagĂ© de fa pro- meiie. II i'Ă©toit, ajoute CicĂ©ron, Ă  soutenir Ă  la lettre mais dans le fond il ne I’étoit pas , parce qu’en fait de promesses il faut toujours regarder l’intention qu’on a dĂ» avoir ou qu’on est prĂ©sumĂ© avoir eue. % Si l’on juge d’aprĂšs ces principes, ce que fit un Empereur Turc , quoique ce fĂ»t Ă  un perfide, ne paroĂźtra pas moins reprĂ©henfibie & contraire Ă  la bonne foi. Ce traĂźtre dĂ©couvrit Ă  Soliman 11 l’extrĂ©mitĂ© oĂč Ă©toit la ville de Rhodes , & la maniĂ©rĂ© de s’en rendre maĂźtre, aprĂšs ĂȘtre convenu qu’il auroit pouf rĂ©compense une des filles du Sultan en mariage. La ville prise , il lui demanda l’effet de sa promesse. Je me fuis engage* rĂ©pondit Soliman, Ă  vous donner ma fille, & je fuis rĂ©solu de vous tenir parole mais il faut premiĂšrement que je vous sĂ€ĂŸe ĂŽter votre vieille peau de chrĂ©tien f s’il vous en vient une nouvelle , vous lĂ©pouserez. Il le fit Ă©corcher vif. Le traĂźtre mĂ©ritent sans doute un pareil supplice * mais il ne falloir pas, pour profiter de sa trahison , le tromper par une promesse qu’on Ă©toit bien rĂ©solu d’éluder ensuite. 3 Scmpcr in quid finfieris , non ç'/fÂŁ dlx i, de Osik. 212 L’É C O L È La justice , qui nous oblige Ă  tenir notre parole quand nous le pouvons lĂ©gitimement, nous permet aussi & nous ordonne mĂȘme quelquefois d’y manquer. Ainsi , les promelTes arrachĂ©es par la crainte ou obtenues par l’artifice , il n’y a personne , dit CicĂ©ron, qui ne voie qu’on n’est pas obligĂ© Ă  les tenir. 4 ForcĂ© par les circonstances de faire une promesse Ă  un brigand pour sauver votre vie ou prĂ©server votre maison du feu, vous avez droit de ne pas lui donner ce qu’il n’avoit aucun droit d’exiger. Vous ayez promis de prĂȘter une somme' d’argent qui vous devient nĂ©cessaire Ă  vous - mĂȘme, de rendre une Ă©pĂ©e dont on veut iĂš servir pour une fin criminel!, de remettre un livre obfccne ou impie lĂ  loi de la charitĂ© vous dĂ©fend de tenir votre parole , lorsque vous pouvez y manquer fans vous exposer Ă  quelque' fĂącheux accident. Avez-vous promis de faire une action mauvaise, de commettre un crime ou d’y coopĂ©rer gardez-vous de croire que vous foyiez obligĂ© Ă  tenir votre promesse. L’exĂ©cution vous rendroit doublement criminel. AgĂ©silas, Roi de Sparte, cĂ©dant / 4 Jam illis promißis ftandum non effĂč guis non' vidt , guet coaius guis mttu , aux, dteeptus dolo pro- miftrit ? I de Off. des MƓurs. ir? Ă  l'importunitĂ© d'un de ses sujets, lui avoit promis une chose qui, apres y avoir fait rĂ©flexion, ne lui parut pas juste. Il diffĂ©ra pour cette raison de remplir sa promesse. PressĂ©-par le Spartiate, il lui dit qu’il ne pouvoit pas lui accorder fa demande, parce qu’elle Ă©toit injuste. Mais les Rois , ajouta ce particulier, ne doivent promettre que ce qu’ils veulent tenir. Et. les sujets , reprit AgĂ©silas , ne doivent demander aux Princes que ce qu’ils peuvent accorder. -q r—- - K. Mais ne la donnes pas inconsidĂ©rĂ©ment. S I la probitĂ© & la bonne foi doivent rĂ©pondre de notre parole, la prudence & la sagesse doivent prĂ©sider Ă  nos engagemens. C’est n’ùtre ni prudent ni sage, que d’ĂȘtre trop facile Ă  promettre .mille circonstances imprĂ©vues peuvent vous en faire repentir. Ne promettez jamais non plus fans en savoir l’objet vous vous exposeriez souvent Ă  devenir infidĂšle ou criminel. Her ode dans l’ivresse de l’admiration, promet Ă  la fille d’HĂ©rc- dias tout ce qu’elle voudra lui demander. Elle lui demande ce qu’il ne peut accorder sans crime. DĂ©jĂ  coupable par son imprudence, il le devient encore plus par la mauvaise honte qui i’empĂȘche L’ É C O L Ăź de dĂ©savouer si promesse , & il donne , quoiqu’à regret, l’ordre de trancher la tĂšte Ă  un saint ProphĂšte, qu’il jugeoit digne de sa confiance & de son eitime. y iNie soyez ni inconsidĂ©rĂ© ni trop prompt Ă  donner votre parole ceux qui la donnent aisĂ©ment , y manquent de mĂȘme. Tel Ă©toit le Cardinal Mazarin. Jamais personne ne promit plus, & ne donna moins. Il tĂ choit d’inspirer la mĂȘme maxime Ă  Louis XIV. Promettez toujours aux François , lui disoit-il , mais ne vous mettez pas en peine de rien tenir. Le trait suivant peint encore mieux son caractĂšre. Il avoit eu l’ambition de marier sa niece au Prince de Conti. BrĂ©quigni Ă©tant venu lui apporter la nouvelle qu’elle Ă©toit accouchĂ©e d’un fils, le Cardinal rempli de joie lui promit une grande rĂ©compense. L’enfant mourut quelque temps aprĂšs. BrĂ©quigni voulant rappeler au Cardinal le souvenir de sa promesse, ce fin Ministre lui dit DrĂ©cptipni , ne me parlez pas de cela , vous renouvelez ma douleur. Quand les Grands , par l’abus i 5 ; Jicrodcs metuebat Joannem , sciens eum yirum. justum cT* fanftum ; ÂŁ? cufiodUbat eum , ÂŁ T audito eg tmtĂźta fachbat , ÂŁ 7 * libenter eum audiebat. Marc. 6. Veröde qui fit mourir saint JeamBaptiste , avoit ravi Ă  Philippe Ion frerç sa femme HĂ©rodias il pĂ©rit mi» {Ă«rablement avec elle Ă  Lyon, oĂč il fut relĂ©guĂ© par D E S M ƒ .U R 5. Ils Ăźle leur indĂ©pendance, croient pouvoir se dispenser des rĂ©glĂ©s que la probitĂ© impose aux autres hommes, c’eit toujours aux dĂ©pens de leur rĂ©putation ; & si leur rang est plus Ă©levĂ©, la tache qu’ils impriment Ă  leur nom, comme celle qui est fur une Ă©tost’eriche, n’en paroĂźt que davantage, & n’en est que plus dĂ©shonorante. Donnez tout ce que vous avez promis, mais ne promettez pas plus que vous ne pouvez faire , & promettez toujours moins que vous n’avez envie de donner. 11 est juste & beau de remplir ses promesses , il est sage & prudent de les rĂ©gler fur son pouvoir, il est doux & agrĂ©able de donner plus qu’on n’a promis. Si vous aimez votre tranquillitĂ©, promettez rarement, Ă  moins que vous ne puisiez donner bientĂŽt, aux personnes qui ont peu d’occupation ; ou vous Ă©prouverez plus d’une fois combien il est fĂącheux d’avoir promis quelque chose Ă  des gens qui n’ont rien Ă  faire qu’à penser aux promesses qu’on leur a faites. Ne faites pas trop valoir, & ne louez pas beaucoup ce que vous promettez. L’imagination des personnes auxquelles on promet quelque chose de beau ou d’extraordinaire , surpasse souvent tout ce qu’ou leur donne dans la fuite il vaut mieux que le don soit au-dessus qu’au- dessous des espĂ©rances. ai s L’École Biglai» V. Scyt{ officieux , complaisant , doux , affable, Poli , d’humeur Ă©gale ; U voax/ e s MƓurs. 237 qui par leur rang & leur naissance de- vroient avoir le plus de sentimens, Ă  dire & Ă  faire mille choses qui avilissent toujours & qui souvent dĂ©shonorent. Le philosophe DĂ©monax voyant un LacĂ©dĂ©monien en colere, qui maltraitoit son esclave Cesje , lui dit-il, de te rendre semblable Ă  lui. Ce qui se fait dans la passion, se fait toujours contre la raison, & donne souvent de grands sujets de repentir. Un moment de colere cause quelquefois des regrets qui durent toute la vie. Quiconque sefĂąche a tort ou saura bientĂŽt il est difficile de ne pas s’échapper dans la colere, jusqu’à dire des injures ou faire des outrages , dont ensuite 011 rougit A dont on est mĂȘme quelquefois obligĂ© de faire des excuses. Il y a quelque chose de si humiliant dans l’excuse , qu’on devrait bien ne se mettre jamais dans le cas d’en faire Ă  qui que ce soit. Demander pardon, c’est convenir qu’on a tort, & il n’est pas permis Ă  une personne qui pense , d’avoir dit ou fait des sottises. Mais il vaut encore mieux l’avouer & reconnoĂźtre fi faute » que de vouloir la justifier ou la soutenir. La colere est peut-ĂȘtre de toutes les passions violentes celle qui nuit le plus au corps mĂȘme. Kien n’altere plus la santĂ© que les empertemens ils corrom- 2^8 L’ É C O L E pent le sang, bouleversent les humeurs, changent totalement la constitution , & conduisent prĂ©cipitamment au tombeau. Les transports U la colcre , dit l’Ecriture, abrĂšgent les jours. 6 Combien mĂȘme n’en a-t-on pas vus, qui dans un de leurs accĂšs violens de colere font tombĂ©s morts ! l’Empereur Valentinien I , dont l’Histoire loue les grandes qualitĂ©s , & qui , fils d’un Cordier , s’étoit Ă©levĂ© Ă  l’Empire par fa valeur, devint la triste victime des frĂ©quens mouvements de colere auxquels il se livroit , & qu’il nĂ©gligea trop de rĂ©primer. Donnant un jour audience aux Ambassadeurs des Quades , il entra dans une si grande fureur, qu’il eut un regorgement de sang, & en mourut. Qu’il est terrible de paroĂź- tre en ce moment au tribunal du fimve- rain Juge, pour y rendre compte de tous ses emportemens ! Les personnes sujettes Ă  la colere, ne l’appellent que vivacitĂ© mais qu’importe quel nom on lui donne , si cette vivacitĂ© dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© presque toujours en brusqueries & en boutades ; si elle porte Ă  des excĂšs de folie ou de fureur, & finit par faire d’un homme une bĂšte fĂ©roce , un flĂ©au de la sociĂ©tĂ© ? Les femmes, qui font nĂ©es vives & 6 Zelus f iraçundla minuunt dies, Eccli. 30. des MƓurs. 239 coleres, doivent s’appliquer encore plus que les hommes Ă  corriger ce dĂ©faut. La nature leur a donnĂ© la douceur en partage ondiroit qu’une femme qui s’irrite change de sexe. La colere ne fait pas seulement qu’elles deviennent odieuses & insupportables , elle les dĂ©nature & les rend hideuses. Si les femmes savoient combien les emportemens dĂ©figurent les personnes les plus aimables , elles s’en garantiroient pour toujours. Mais ce qu’il y a de plus fĂącheux encore , c’est qu’il n'y a point de colere plus grande ni plus terrible, & qu’il n’y a pas d’excĂšs dont une femme en fureur ne soit capable. Malheur Ă  ceux qui sont obligĂ©s de vivre avec une femme de ce caractĂšre ! U vaudroit mieux , dit l’Ecrivain sacrĂ©, demeurer avec un lion ou avec un dragon. 7 Et en effet on peut apprivoiser ou domter les bĂȘtes sauvages, on peut du moins trouver les moyens de s’échapper d’elles & de se sauver par la fuite mais les fureurs d’une femme emportĂ©e font inĂ©vitables ; vous ne pouvez ni la domter, ni l’appaiser, ni la fuir. Une femme de cette espece Ă©tant venue Ă  l’audience du Chancelier SĂ©guier, s’oublia jusqu’à lui reprocher en des ternies outrageans la perte d’un procĂšs 7 Non est ira fus er iram m-tUeris , te. U ssii. r;> A4 v É C O L E elle Ă©toit furieuse. Le Chancelier , sans s’émouvoir, demanda Ă  celui qui l’ac- compagnoit si elle Ă©toit sa femme. Il rĂ©pondit que oui. En vĂ©ritĂ© , reprit le Chancelier , je vous plains bien , ramenĂ©s-la chez vous ♩ La colere ne mesiied pas moins aux Grands qu’aux femmes ; & cependant ce font ceux-lĂ  mĂȘmes qui y font le plus sujets. Le feu , ditl’Esprit-Saint-, Ćž, embrase dans la forĂȘt selon qu’il y a de bois ; U la colere de l’homme s’allumera Ă  proportion de fa puissance il la fera d’autant plus Ă©clater quil aura plus de bien. 8 C’est que la colere qui nous porte Ă  rejeter avec violence ce qui nous choque , naĂźt ordinairement de l’orgueil, & que l’orgueil croit Ă  proportion qu’on s’estime plus grand par son mĂ©rite ou par ses qualitĂ©s extĂ©rieures. Mais celui qui a l’ame aussi Ă©levĂ©e que son rang, croi- roit s’abaisser & s’avilir , s’il s’abandon- noit aux transports honteux de la colere. M. de Lauzun ayant un jour parlĂ© fort insolemment Ă  Louis XIV Si je n’étois pas Roi , lui dit ce grand Prince,Je me mettrois en colere. Il S SscundĂčm ligna fylvƓ ßc igtĂčs cxarĂąefcit ; ÂŁ T ficundĂčm virt'ifc ** kc mini s ßc iracundi ». iliius erit „ ÂŁT secundĂčm substantiqm. suam exaltĂ»bu irtm fuam, fcccii. 28 des MƓurs. 24 f 11 ne montra pas une modĂ©ration moins Ă©tonnante dans une autre occasion, oĂč il eil peut-ĂȘtre plus difficile encore de surmonter les mouvemens ‱impĂ©tueux de la nature. Un de ses valets Ă  chambre ayant par malheur rĂ©pandu. , -de la cire bouillante fur son pied , il se contenta de lui dire avec beaucoup de douceur Prenez garde une autrefois de tl ĂȘtre plus fi mal-adroit. 11 en coĂ»te pour ĂȘtre ainsi maĂźtre de soi mais quand on a soin de rĂ©primer ses pallions, leur fĂ©rocitĂ© s’adoucit ; elles deviennent comme des animaux dĂŽmes- tiques & apprivoisĂ©s, qui habitent avec nous et qui s’y tiennent en paix. Ne vous dĂ©couragez donc pas de tous les efforts infructueux que vous avez peut- ĂȘtre faits jusqu’ici pour surmonter votre naturel emportĂ© & violent. Quand 011 succomberoit quelquefois , il est toujours utile & glorieux d’avoir souvent rĂ©sistĂ© & vaincu. Chaque victoire a sa rĂ©compense; & lorsque, la passion calmĂ©e, on envisage de sang-froid jusqu’oĂč elle pouvoir nous mener, c’est une satisfaction bien douce qu’elle ne nous ait rien fait commettre contre la raison & la sagesse. Que toutes ces rĂ©flexions entrent profondĂ©ment dans votre ame, & vous prĂ©parent pour le moment du combat. Vous vaincrez toujours, fi vous en Tome I. L 242 L’ É C O L E prenez les vrais moyens, & si vous allez puiser des forces & du couragĂ© dans les puissans motifs & dans les grands exemples que vous offre la religion. En vain chercheriez-vous ailleurs des remedes eiticaces contre la plus impĂ©tueuse des pallions. Nos Philosophes, qui, Ă  l’exemple des StoĂŻciens , se vantent de pouvoir les donner, ne font comme eux que d’habiles charlatans ; parce que bien loin de couper la racine la plus fĂ©conde de la colĂšre , qui ett notre orgueil & notre amour-propre, ils la nourrilsent, au contraire, & la fortifient par une vaine apparence de modĂ©ration, qui louvent ne tarde pas Ă  le dĂ©mentir. Leurs lĂ©gers palliatifs pouront donc peut-ĂȘtre fuspciu dre & calmer pour un temps la violence du mal, mais ils ne le guĂ©riront jamais entiĂšrement. Cette gloire n’est rĂ©servĂ©e qu’à celui qui, en fortifiant les plus faibles, se plaĂźt Ă  rĂ©compenser en eux ce qu’ils ont fait avec lui. Combattez avec les armes invincibles de la foi fans relĂąche, & s’il le faut, jusqu’à la mort. Le souverain RĂ©munĂ©rateur, tĂ©moin & juge Ă©clairĂ© de tous vos combats, vous attend au bout de la carriĂšre pour les couronner. Si vous voulez assurer votre bonheur dĂšs cette vie mĂȘme, ainsi que celui de la sociĂ©tĂ© ; travaillez sans cesse Ă  vous des MƓurs. 24; rendre maĂźtre de votre passion, Ă  vaincre l’humeur, Ă  prĂ©venir les emportemens de la colere, au-devant de laquelle, disoit un ancien Philosophe, il faut courir comme au-devant du feu, parce qu’elle s’allume & s’enflamme aussi-tĂŽt, si on ne l’arrĂȘte. ReprĂ©sentez-vous les lieux, les occasions & les personnes quipouroient l’exciter ; & dans le calme que vous laille encore l’éloignement des objets, armez- vous de rĂ©solutions courageuses Priez celui qui vous a donnĂ© votre ante, de vous la faire possĂ©der dans la patience, & de ne point permettre qu’elle s’abandonne Ă  des transports indignes d’elle. Les Savans & les Philosophes font quelquefois les premiers Ă  eu donner des exemples, bien propres Ă  dĂ©shonorer ie beau 110m dont ils se parent. Tels furent les deux dont parle Furcticrc. Ils frĂ©quen- toient l’acadĂ©mie des beaux-esprits, que tenoit chez lui M. l’AbbĂ© Bourdelot. L’un d’eux avoit fait une piece de théùtre, que les ComĂ©diens avoient refusĂ©e jusqu’à quatorze fois il taxa dans l’acadĂ©mie ses juges d’ignorance, & soutint que sa piece Ă©toit bonne. Un bel- esprit de l’assemblĂ©e, ne pouvant souffrir les louanges qu’il donnoit Ă  sa piece, lui dit qu’il se trompoit & qu’elle Ă©toit dĂ©testable. Ils en vinrent aux paroles piquantes, se dirent les injures les plus L 2 N. J 244 L’ É c o i e grossiĂšres, & Ă  la fin le PoĂ«te transportĂ© de fureur, donna un soufflet Ă  son critique. Ils ail oient se battre on les sĂ©para. Mais la chose n’en demeura pas lĂ . Le lendemain le b es esprit souffletĂ©, se munit d’une Ă©pĂ©e plus longue -que celle qu’il avoit le jour prĂ©cĂ©dent. Il rencontre le PoĂ«te, il l’attaque l’autre se dĂ©fend, mais d’une maniĂ©rĂ© toute nouvelle. Car, comme il ne manioit guere mieux l’épĂ©e que la plume, il s’étoit muni par prĂ©caution de deux petits sachets de cendre, qu’il tenoit ouverts dans les poches. Il les jeta aux yeux de son adversaire, & l’en aveugla si heureusement, qu’il le mit hors de combat. Il l’auroit tuĂ©, s’il l’eĂ»t voulu ; mais soit peur, soit philosophie, il se contenta de lui dire Je te laijje la vie , pour publier qu’il ri a tenu qu’à moi de te F ĂŽter. Adieu fais-toi guĂ©rir. ‱g L. .. —- p. Affable. Cette aimable qualitĂ©, qui fait qu’un supĂ©rieur reçoit d’une maniĂ©rĂ© gracieuse ceux qui s’adressent Ă  lui, doit ĂȘtre fur-tout celle des Grands & des hommes en place. Plus on est Ă©levĂ© par son rang ou par sa naissance au-dessus des autres, plus on doit avoir de douceur & d’affabilitĂ©. O vous qui ĂȘtes jaloux de l’amour des hommes, aimez Ă vous rendre des MƓurs. 245 humains & accessibles montrez Ă  tous cet air simple & noble de bontĂ©, qui attire les cƓurs. Faites qu’au sortir de votre entretien on goĂ»te toujours le plaisir d’ĂȘtre charmĂ© de vous & d’ĂȘtre content de soi-mĂȘme. Banniisez de vos paroles l’humeur & la fiertĂ©, qui n’ajoutent rien Ă  la grandeur & qui ĂŽtent beaucoup aux Grands. PrĂ©venez par votre accueil le respect qui n’ose vous approcher , & soulagez le timide embarras qui craint de vous parler. Le Maire d’une petite ville de France, chargĂ© de haranguer. le Roi en lui prĂ©sentant les clefs, lui dit Sire , la joie que nous avons en voyant Votre AlajefiĂ© , cß fi grande que,... Il fut alors si interdit, qu’il rappela en vain fa mĂ©moire il rĂ©pĂ©ta , en bĂ©gayant, les dernieres paroles qu’il venoit de prononcer. Oui, lui dit le Prince d’un ton de bontĂ©, la joie que vous avez est fi grande que vous ne pouvez l'exprimer. OccupĂ©s de leurs plaisirs & 1 allĂ©s des hommages , beaucoup de Grands ne les reçoivent plus qu’avec dĂ©goĂ»t mais qu’il faut ĂȘtre nĂ© dur, pour se faire mĂȘme une peine de paroĂźtre bon, pour recevoir avec indiffĂ©rence les marques d’amour & de respect que nous donnent nos infĂ©rieurs ! N’elt-ce pas reconnoitre qu’on ne mĂ©rite point l’affection des hommes, quand on en rebute les plus 246 L’ É C 0 L E doux tĂ©moignages? N’est-ce pas s’avilir foi-mĂšme, que de mĂ©priser Ă  ce point ses semblables, & de rejeter leurs nommages avec un dĂ©dain li digne lui-mĂȘme de mĂ©pris? Souvent, il est vrai, c’est l’humeur toute feule, plutĂŽt que l’orgueil, qui rĂ©pand far le visage des Grands ces nuages sombres qui Ă©cartent ou intimident ceux qui voudraient les approcher. Mais l’humeur est-elle donc un privilĂšge attachĂ© Ă  la grandeur, qui doive les justifier ? & un vice peut - il ĂȘtre l’excuse lĂ©gitime d’un autre? sera-t-il donc plus permis aux Grands, aux heureux du monde, que les joies & les plaisirs accompagnent par-tout, d’ĂȘtre chagrins, fĂącheux, inabordables , qu’à ces homme obscurs & malheureux, que la unsere 1 les nĂ©cessitĂ©s domestiques & tous les plus noirs soucis environnent? Quel drefit barbare que celui d'accabler encore du poids de ses chagrins bizarres & de ses caprices , des infortunĂ©s qui gĂ©missent dĂ©jĂ  sous le joug de l’autoritĂ© & de la puissance! Ne devrait-on pas au contraire regarder comme un des plus beaux privilĂšges de l’élĂ©vation, de pouvoir par des maniĂ©rĂ©s douces & affables adoucir les peines de ceux qui s’adressent Ă  nous? N’est-ce pas mĂȘme, pour les hommes en place, & fur-tout pour les des MƓurs. 247 Magistrats, un devoir indispensable de le faire, en rendant leur accĂšs moins difficile & plus agrĂ©able? L’affabilitĂ© ouvre le chemin Ă  la vĂ©ritĂ©, par la confiance qu’elle inspire, & sert de consolation aux malheureux. Ils sont dĂ©jĂ  assez Ă  plaindre voulez- vous encore ajouter Ă  l’amertume de leur vie vos dĂ©dains, vos hauteurs , vos brusqueries , & peut- ĂȘtre vos refus de les voir & de les entendre? Un peu d’affabilitĂ©, & vous leur ferez paner des nuits tranquilles. Qui poura calmer l’agitation de leur ame , si ce n’est la douceur? Que deviendront- ils, si, vous livrant Ă  votre impatience , vous ĂȘtes toujours dur ou inaccessible pour eux ? J’avoue que ces sortes d’audiences font pĂ©nibles , dĂ©sagrĂ©ables, accablantes quelquefois. Juges , Magistrats , SupĂ©rieurs , voilĂ  les peines de votre Ă©tat elles font grandes; mais vous avez le bien, il faut en avoir les charges. Les emplois qui clevent fur les autres, hommes , ne font Ă©tablis que pour eux. Les dignitĂ©s publiques doivent leur institution aux besoins de la sociĂ©tĂ© ; & l’autoritĂ© remise entre les mains de quelques-uns de ses membres, ne doit ĂȘtre un joug que pour ceux qui l’exercent, & non pas pour ceux qui viennent y chercher un 248 L’ É C O L E Si l’affabilitĂ© est de devoir dans un Grand, dans un homme en place, elle est aussi bien plus propre Ă  lui concilier l’estime & l’amour, que fa dignitĂ© mĂȘme ou son rang. L’éclat qui brille autour de sa personne nous offusque trop pour ne pas nous dĂ©plaire; & l’élĂ©vation oĂč il est placĂ© humilie trop notre amour-propre, pour ne pas chercher dans ses dĂ©fauts & dans ses fautes de quoi justifier notre envie. Mais fi les charmes de l’affabilitĂ© tempĂȘtent les rayons de gloire qui nous Ă©blouissent, si la douceur des maniĂ©rĂ©s fait en quelque forte descendre jusqu’à nous celui qui sembloit si Ă©levĂ© au-dessus de la condition commune , il dĂ©sarme la jalousie , sait taire la haine , & attire Ă  lui tous les cƓurs. Il ne lui faut pour cela ni grands efforts, ni gĂšne, ni contrainte souvent une seule parole, un sourire gracieux, un seul regard suffit. Quel est donc l’orgueil insensĂ© de ceux qui, par un front toujours fevere & dĂ©daigneux , aliĂšnent les cƓurs qu’ils pouroient si aisĂ©ment gagner ! S’ils vouloient rentrer en & rĂ©flĂ©chir fur le plaisir que leur fait l’affabilitĂ© des personnes qui font au- dessus d’eux, pouroient-ils se refuser Ă  la douce satisfaction de le procurer aux autres ? Cette Ă©quitable façon de penser des MƓurs. 249 Ă©toit celle de Trajan. Ses favoris le voyant recevoir tout le monde avec beaucoup d’affabilitĂ©, lui reprĂ©fentoient qu’il oublient la majestĂ© de l’Empire. Je veux, rĂ©pondit-il, que mon peuple trouve en moi un Empereur, tel que je dĂ©jircrois en avoir un, Ji f Ă©tais homme privĂ©. Grands, hommes publics , voilĂ  votre modele. Vous craignez peut-ĂȘtre de trop vous abaisser & de vous compromettre. Mais cette crainte n’est qu’un orgueil mal-entendu, qui vous abaisse en esset. C’est une preuve que vous ne voyez pas assez de ressources en vos qualitĂ©s personnelles, pour ĂȘtre grands par vous- mĂȘmes , & que toute votre grandeur n’est que d’emprunt. C’qst un aveuauflĂź honteux qu’humiliant, que vous n’ĂȘtes rien moins que ce que vous paroissez ĂȘtre. On n’apprĂ©hende fi fort de se laisser approcher , que quand on craint de laisser appercevoir sa petitesse. La vraie grandeur est libre, douce, familiĂšre , populaire elle se laisse pour ainsi dire toucher & manier elle se courbe par bontĂ© vers ses infĂ©rieurs, fans rien perdre de lĂ  dignitĂ©. Telle est celle de l’Empereur Joseph II, dont faisabilitĂ©, la popularitĂ© le rendent d’autant plus grand qu’il affecte moins de le paroĂźtre. L’affabilitĂ©, ainsi que le remarque un L 5 2sO V É C O L E Auteur cĂ©lĂ©brĂ© 9, es! comme le caractĂšre insĂ©parable & la plus sĂ»re marque de la grandeur. Les dcscendans de ces races illustres & anciennes, auxquels personne ne dispute la supĂ©rioritĂ© du nom & l’antiquitĂ© de l’origine , ne portent point sur leur front l’orgueil de leur nailsance ils la laisseroient ignorer , si elle pouvoir l’ĂȘtre. On ne sent leur Ă©lĂ©vation que par une noble simplicitĂ©. Ils se rendent encore plus respectables, en ne souffrant qu’avec peine le respect qui leur est dĂ» ; & parmi tant de titres qui les distinguent, la politesse & l’affabilitĂ© font la seule distinction qu’ils affectent. La fausse grandeur, au contraire., est farouche & inaccessible, comme si elle craignoit que; vue de trop prĂšs, elle ne perdit beaucoup de ce qu’elle paroĂźt ĂȘtre. Les demeures de ces prĂ©tendus Grands font des maisons d’orgueil & de faste, oĂč ceux que leurs affaires y attirent pensent presque plus aux moyens d’aborder les maĂźtres, qu’à leur exposer leurs raisons & leurs droits. Idoles orgueilleuses, dont on ne peut approcher qu’en tremblant, qu’on ne peut servir que les yeux timidement baissĂ©s, & qui 9 MajlĂźllon , dans son petit CarĂȘme, Hui est un thef-d’auvre. des MƓurs. 251 ne se font respecter que par la crainte qu’elles inspirent. Ceux qui en ont besoin les adorent, les autres s'cn raillent & les mĂ©prisent. Une Dame Allemande de la premiĂšre distinction, reçut chez elle des Officiers François, avec un air de grandeur & de dignitĂ© imposante qui les rĂ©volta. Us la quittĂšrent bientĂŽt les uns aprĂšs les autres. Les derniers dirent au Laquais qui les reconduisait Allez tenir compagnie Ă  Madame. - — _ . - L- Poli. L’inclination Ă  obliger, l’honnĂȘte complaisance, sont les parties principales de la politesse; mais cela seul ne compose pas la politesse il faut encore ce que quelques-uns appellent le don des maniĂ©rĂ©s. Ainsi la poĂŒtefle consiste non-seulement Ă  ne rien faire & Ă  ne rien dire que d’obligeant, mais aussi Ă  le faire & Ă  le dire avec une façon de s’exprimer & des maniĂ©rĂ©s qui aient quelque chose de noble & d'aisĂ©, quelquefois mĂȘme de fin & de dĂ©licat. On pouroit appeler la politesse une bontĂ© assaisonnĂ©e c’est la bonne grĂące ajoutĂ©e au bon cƓur. L’homme poli s’étudie Ă  rendre les autres contens de lui & d’eux-mĂȘmes; car la plus forte paffion des hommes Ă©tant d’ĂȘtre estimĂ©s L 6 2?r V É c o l e & considĂ©rĂ©s, la vraie politesse consiste fur-tout Ă  leur tĂ©moigner de la considĂ©ration & de l’estime Ă  mĂ©nager, Ă  flatter mĂȘme finement leur amour- propre. Ce n’est pas qu’il faille jamais employer la flatterie & l’adulation. La flatterie est toujours un vice ; & la vĂ©ritable politesse, ainsi que la parfaite droiture , rougiroit de s’en servir. C’est essentiellement une louange fausse, au lieu qu r on peut flatter par des louanges vĂ©ritables ; & il est souvent mĂȘme Ă  propos de le faire, pour mieux s’insinuer & pour mieux persuader quelques avis salutaires, ou faire recevoir une' correction utile. Mais si l’on ne peut plaire qu’en employant le dĂ©guisement & le mensonge , il faut sacrifier la politesse Ă  la vĂ©ritĂ©. Il n’arrive nĂ©anmoins que trop souvent que la politesse est avilie & corrompue par les artifices de la balle flatterie, ou du vil intĂ©rĂȘt; & combien de fois n’ .4q i. »>‱ Bon epoux. Rien n’est plus commun que d’entendre les hommes se plaindre du petit nombre de bonnes Ă©pouses, & celles-ci du petit nombre de bons maris. Cette plainte est trop gĂ©nĂ©rale pour n’ùtre pas fondĂ©e ; & il seroit peut-ĂȘtre assez difficile de dĂ©cider auquel des deux sexes on doit le plus en attribuer la cause. Mais malgrĂ© le fort gĂ©nĂ©ral, on voit nĂ©anmoins encore quelques heureux mariages , oĂč l’on se prĂ©vient rĂ©ciproquement sur tout ce qui peut & doit faire plaisir. Voulez-vous goĂ»ter & conserver le bonheur dans un Ă©tat oĂč il est si rare , ayez toujours l’un pour l’autre la considĂ©ration, les attentions & les Ă©gards que vous aviez avant le mariage. Redoublez - les mĂȘme , s’il est possible il est plus difficile d’entretenir l’amour que de le faire naĂźtre. des MƓurs. 51s Femmes , qui ĂȘtes jalouses de vous assurer l’affection de votre Ă©poux, ne faites pas comme tant d’autres , qui aprĂšs ĂȘtre mariĂ©es s’attachent aussi peu Ă  plaire Ă  leur mari, qu’elles s'appliquaient auparavant Ă  lui etre agrĂ©able. Prenez les mĂȘmes foins pour conserver son cƓur, que vous avez pris pour le gagner. Vous cherchiez Ă  lui plaire par une grande propretĂ© , par une parure qui fut de son goĂ»t & qui flattĂąt ses yeux continuez Ă  faire de mĂȘme. Habillez - vous selon votre Ă©tat, mais plus pour votre mari que pour les autres. Si une femme ne prend foin de lĂ  parure que lors qu’elle veut se montrer en public j si elle ne se fait voir Ă  son Ă©poux que dans ces nĂ©gligĂ©s outrĂ©s qui dĂ©celent l’indiffĂ©rence de plaire ; rien ne poura l’empĂȘcher de croire que fa femme cherche plus Ă  s’attirer l’attention & les regards des autres hommes que les siens. A la fin il la mĂ©prisera , & s’attachera peut - ĂȘtre Ă  d’autres femmes, qui lui plairont davantage, parce qu’elles s’appliqueront plus Ă  lui plaire. Diane de ChĂąteau. Morand Ă©pousa, dans le seiziĂšme siede , un aine de la Maison d’UrfĂ©. Elle avoit tous les avantages qui peuvent faire rechercher une fille, la richesse , la naissance , la beautĂ©, & elle Ă©tait jeune & sage. Cependant O 2 ?I6 L’ E C O L E son mari excĂ©dĂ© des dĂ©goĂ»ts qu’elle lui causoit par sa mal-propretĂ© , prĂ©fĂ©ra le cĂ©libat perpĂ©tuel Ă  sa compagnie. Il cher- cha des 'prĂ©textes , & en trouva pour faire dissoudre son mariage. Il embrassa l’état ecclĂ©siastique. L’ingĂ©nieux Auteur de YAstrĂ©e, HonorĂ© d’UrfĂ© son frere, aimoit Diane depuis long-temps. Il obtint une dispense , & Ă©pousa sa belle- sƓur. Mais vaincu Ă  son tour par les mĂȘmes rĂ©pugnances , & n’ayant pu obtenir de sa femme qu’elle eĂ»t un peu plus de foin de sa personne, il prit aussi le parti de s’en sĂ©parer. Ainsi l’amour & l’intĂ©rĂȘt, deux mobiles si puissans , n’ont pu l’emporter dans l’esprit de deux frĂšres , sur des dĂ©goĂ»ts qu’une lĂ©gĂšre attention auroit prĂ©venus. Quoiqu’on se marie avec des dĂ©fauts, car quelle 'est la personne qui n’en ait point? on doit tĂącher d’avoir toujours l’un pour l’autre une grande attention Ă  ne se les jamais reprocher , & Ă  ne se rien dire qui puisse dĂ©plaire. Ce seroit donner une trĂšs - mauvaise idĂ©e de soi, que de le faire en public. Une Dame Ă©tant allĂ©e rendre visite , on lui proposa de jouer. Son mari qui l’accom- pagnoit, rĂ©pondit que sa femme ne savoit jouer qu’à la bĂȘte. C’étoit faire le bel- esprit mal-Ă -propos, & vouloir faire rire les autres Ă  ses propres dĂ©pens. L’homme des MƓurs. 317 sensĂ© parle rarement de sa femme, ne la raille jamais, la mĂ©prise encore moins. Le mĂ©pris que nous tĂ©moignons Ă  nos proches, rejaillit fur nous-mĂȘmes. Si nous voulons qu’on les eitime , commençons par les estimer les premiers. D’ailleurs le mĂ©pris n’est propre qu’à faire naĂźtre de l'indiffĂ©rence , & bientĂŽt aprĂšs de la haine. Justifiez-vous plutĂŽt Ă  vous-mĂȘme votre choix, nourrissez votre amour, rĂ©veillez votre tendresse par cette persuasion , que toute autre femme que la vĂŽtre peut avoir des dĂ©fauts secrets , qui vous rendraient moins heureux que vous ne l’ĂȘtes. Soyez plus attentif Ă  connoĂźtre vos fautes que celles de votre femme , & mĂ©ritez, par un redoublement de complaisance , qu’elle les oublie. Accoutumez-vous Ă  penser que chacun a ses imperfections, & que nous devons nous palier bien des choses les uns aux autres , pour vivre en sociĂ©tĂ©. Par-lĂ  vous vous Ă©pargnez la peine que pouroient vous faire quelques dĂ©fauts de votre compagne. Ne ferait-ce pas aussi trop exiger , que de vouloir qu’une femme fĂ»t parfaite ? ce ferait vouloir plus qu’on n’est soi-mĂȘme les bonnes qualitĂ©s doivent faire excuser & supporter celles qui ne le font pas. Anne de Bretagne, Princesse impĂ©rieuse & hautaine, mais, O ? g x 8 L’É-c o l ĂŻ Ă  cela prĂšs , fort rangĂ©e dans ses mƓurs , faisait souffrir quelquefois Louis XII. Ce Prince , qui Ă©tait aussi bon Ă©poux que bon Roi, disait , en lui cedant Il faut tien payer la chafietĂ© des femmes. Si vous avez le malheur d’avoir une mĂ©chante femme , qui vous afflige par fa mauvaise humeur ou par ses dĂ©sordres , gardez-vous bien de vous en plaindre publiquement. C’est, dit l’Auteur des Conseils de la Sagesse , un mal honteux qu’à peine faut-il dĂ©couvrir aux MĂ©decins. Que la femme soit libertine, qu’elle soit fiere & violente le mari se fait tort dĂšs qu’il en parle & qu’il l’accuse. Le dĂ©shonneur de la femme est la honte du mari. Il n’est pas moins de son intĂ©rĂȘt de tenir le mal secret que de le guĂ©rir. LĂ© point est d’y remĂ©dier efficacement , & d’empĂȘcher pourtant que le malade ne crie il faut pour cela beaucoup de force & de prudence. Ne faites des remontrances que quand la rĂ©flexion est de retour, pour n’avoir pas Ă  combattre le fort du caprice. On est rarement en Ă©tat d’entendre la voix de la raison dans la fougue des emportemens, & la femme encore moins que l’homme. Si vous connoiflĂšz par une longue expĂ©rience , qu’il n’est pas en votre pouvoir de porter la vĂŽtre au bien ; prenez garde du moins qu’elle ne vous entraĂźne des MƓurs. au ma!. SĂ©parez-vous plutĂŽt d’avec elle, autant qu’il fera permis. Il vaut mieux la quitter, que de la suivre dans le prĂ©cipice mais dĂ©liez les nƓuds, & ne les arrachez pas. Ce servit mal s’échapper de ce tourment domestique, que de causer du scandale , & de faire bien du bruit en le fuyant. Si votre femme est sage & vertueuse , respectez sa lĂ gesse , & regardez - la comme un Ciel. La femme sainte U pleine de pudeur est une grĂące qui surpasse toute grĂące .- tout le prix de l’or ri est rien en comparaison, a Honorez donc & mĂ©nagez sa vertu. Si par votre humeur fĂącheuse & vos mauvaises façons vous la mettez souvent Ă  de tristes Ă©preuves , vous ne la possĂ©derez pas long- temps ou la mort vous la ravira bientĂŽt ; ou , ce qui est le plus Ă  craindre , fa bontĂ© & son amour mourront avant elle , & vous ne vivrez que pour ĂȘtre puni. Ne dĂ©ployez tout votre pouvoir avec votre femme qu’à la derniere extrĂ©mitĂ©. Le despotisme est toujours odieux , & l’on ne fait jamais bien ce qu’on fait par contrainte. Conduisez - la, soyez - en i Gratta super graĂčam , mutier sanfta S? pudv ‱ rata, 2 ?c, Eçcli. 26. O Z2O L’ É C O L E le gouverneur & non le tyran c’est une compagne, & non pas un esclave, que vous avez choisie. Qui pouroit lire sans indignation ce que Ht M. de Lautun Ă  l’égard 'de Mademoiselle de Montpellier"? Elle Ă©toit fille de Gaston d’OrlĂ©ans, frere de Louis XIII. AprĂšs avoir manquĂ© d’épouser l’Empereur, le Roi d’Angleterre , aprĂšs avoir refusĂ© le Roi de Portugal & plusieurs Princes de l’Eu- rope, cette Princesse, Ă  l’ñge de quarante-cinq ans , voulut Ă©pouser M. de Lauzun, simple Capitaine des Gardes- du - Corps. N’ayant pu obtenir du Roi la permiißßon de le faire , elle se maria secrĂštement avec lui, & eut tout lieu de s’en repentir, comme c’est la destinĂ©e ordinaire de ces sortes de mariages. 11 la traita fort mal ; & l’on dit qu’il poussa avec elle l’insolence jusqu’à lui dire un jour en revenant de la chasse Henriette de Bourbon, tire -moi mes bottes, & que s’étant rĂ©criĂ©e il fit un mouvement du pied pour la frapper. Mais cette Princesse , reprenant l’air & le ton d’autoritĂ© que lui donnoitfa naissmee; dĂ©fendit Ă  Lauzun de paroĂźtre dĂ©sormais devant elle. Je plains celle qui a eu le malheur d’ĂȘtre unie Ă  un sot c’est le plus intraitable des animaux. Il n’est conduit que par ses pallions ou par le caprice, & il des MƓurs. qrr est incapable d’entendre la voix de la raison. Non-seulement l’amour-propre est continuellement mortifiĂ© d’avoir un mari pour lequel on elf toujours dans la crainte , & souvent dans la confusion, dĂšs qu’il ouvre la bouche en compagnie ; mais un inconvĂ©nient plus grand encore, c’est qu’un sot paise sa vie Ă  craindre qu’on ne pense que lĂ  femme le gouverne. Il devient par - lĂ  impossible de le conduire ; & il fait cent choses absurdes & dĂ©sagrĂ©ables pour elle, par la feule envie de montrer qu’il est le maĂźtre de les faire. Conservez votre autoritĂ©, Ă  la bonne heure c’est un des plus beaux droits que vous ayiez reçus de la nature, & l’on mĂ©prise les hommes imbĂ©cilles qui s’en laissent dĂ©pouiller par leurs femmes mais usez-en poliment , n’en abusez jamais. La religion tient le mĂȘme langage , & confirme des sentiment si justes, si raisonnables. Le grand ApĂŽtre recommande aux maris d’aimer leurs femmes, comme Jesus- Christ a aimĂ© l’Eglise son Ă©pouse , & de ne pas les traiter avec aigreur. Saint Pierre , aprĂšs avoir ordonnĂ© aux femmes d’ĂȘtre soumises Ă  leurs maris , ajoute Et vous maris , vivez sagement avec vos femmes , les regardant comme des vases fragiles , ÂŁ jf les traitant avec honneur , puijqu elles font , aussi-bien O s Z LL L’ È C O L E que vous , les hĂ©ritiĂšres de la grĂące es? de la vie. z Qu’on voie toujours bien quel est le elles, mais qu’on ne puisse pas dire qui des deux est le maĂźtre. Il suffit presque toujours qu’une femme sache que l’homme peut l’ĂȘtre; & qu’il l’en salie ressouvenir quelquefois , si elle venoit Ă  l’oublier. Ne souffrez pas nĂ©anmoins qu’elle l’oublie , & qu’elle usurpe sur vous le commandement. La femme quife rend la mai- trcjjc , fe plaĂźt Ă  ĂȘtre en tout contraire d son mari. 4 Elle ne peut avoir d’empire fur lui qu’elle ne le change en tyrannie , ni le voir son sujet qu’elle n’en fasse son esclave les usurpations ne se conservent guere que par la violence, La femme qu’on craint est vĂ©ritablement Ă  craindre. Plaisez-vous, autant qu’il est possible, Ă  tout ce qui plaĂźt Ă  la vĂŽtre mais gouvernez-la si sagement, que rien ne lui plaise que son devoir. Ayez toujours fur elle l’autoritĂ© qui vous appartient mais joignez-y tant d’amour & tant de bontĂ© , qu’elle ait plus de plaisir Ă  obĂ©ir que vous n’en aurez Ă  commander. Que rien ne ressente la domination- Ce respect, cette soumission qu’elle vous doit, 3 Ephes. 5 - Coloss. Z. I. Petr. 3. 4 . Mutier , fi primatum habest , contraria est. viro fuo. Eccli. 25 . des MƓurs. 323 mais qu’elie seroit peut - ĂȘtre disposĂ©e Ă  vous refuser si vous les exigiez, ne lui coĂ»teront rien, parce qu’ils seront volontaires. 11 lui semblera que c’est un prĂ©sent qu’elle vous fait, & l’on est flattĂ© de pouvoir donner. N’employez des voies dures Ă  l’égard de votre femme, que quand il n’y en a plus d’autres, & uniquement pour maintenir le bon ordre & la dĂ©pendance. Ne vous oubliez pourtant jamais jusqu’à la frapper l’infamie seroit pour vous & non pour elle. Malheur Ă  celles qui auroient besoin d’un pareil rfcnede ! Il vaut mieux pour un mari que sa femme devienne incorrigible , que de se dĂ©shonorer par une telle correction. Un Conseiller ayant reçu un soufflet de sa femme, lui dit J'aimerois mieux qiion me coupĂąt la main , que de vous l'avoir rendu. 11 lui fit plus sentir par - lĂ  l’indignitĂ© de son action , que s’il s’étoit vengĂ© en la maltraitant. Une femme sage & prudente n’y rĂ©duira jamais son mari. Elle saura, par sa complaisance & par sa douceur , tout obtenir de lui, & se rendre digne de son amour. La plupart des dissentions qui s’élĂšvent entre le mari & la femme, viennent de ce que celle-ci veut sortir de l’état de dĂ©pendance oĂč la nature l’a mise, Auffl l’ApĂŽtre ne recommande-t-il O 6 Z 24 L’ É C O L E rien plus particuliĂ©rement aux femmes chrĂ©tiennes , que de respecter leur Ă©poux comme leur chef, de lui ĂȘtre soumises en tout comme Ă  Dieu mĂȘme y . Telle Ă©toit la mere de saint Augustin , la vertueuse Monique. Comme elleavoit reçu une excellente Ă©ducation, & qu’elle avoir Ă©tĂ© accoutumĂ©e dĂšs son enfance Ă  vivre dans la soumistion qu’elle devoir Ă  ses parens, elle n’eut pas de peine Ă  se soumettre Ă  celui qu’on lui fit Ă©pouser. Elle lui obĂ©issoit , dit saint Augustin, comme Ă  son seigneur & Ă  son maĂźtre. Quelques'infidĂ©litĂ©s qu’il put lui faire, elle n’eut jamais avec lui la moindre querelle fur ce sujet. Elle n’oublioitrien nĂ©anmoins pour le ramener doucement, & pour le convertir , car il Ă©toit encore paĂŻen ; & elle eut le bonheur d’y rĂ©ufiir, mais par sa douceur & sa patience plus que par ses paroles ce qui la rendoit non-seulement agrĂ©able & aimable Ă  son mari, mais digne mĂȘme de respect & d’admiration. Quoiqu’il l’aimĂąt beaucoup , il avoir souvent Ă  son Ă©gard des vivacitĂ©s & des emportemens mais elle s’étoit fait une loi de ne lui rĂ©sister jamais dans ses promptitudes ; & lors- , Du jour oĂč tu vas te marier, ajoute en finissant cette Dame estimable , mon autoritĂ© cesse. Ne t’afflige point, ma fille tamere ne fera plus que ton amie, mais une amie tendre , consolante, utile peut-ĂȘtre. C’est un bonheur pour toi que je connoisse les bornes de mon pouvoir. $i j’exigeois de toi une chose contraire des MƓurs. 541 Ă  la volontĂ© de ton mari, ne balance point c’eitĂ  lui que tu devrois obĂ©ir, Ă  moins que l’honneur & la vertu ne le dĂ©fendissent. Accoutume-toi, ma fille, Ă  cette idĂ©e d’obĂ©issance elle soutient PĂąme dans les occasions oĂč un mari prendroit un ton impĂ©rieux. Celui que tu as choisi, a trop d’esprit, trop de politesse, trop d’estime & trop d’affection pour toi, pour prendre jamais le ton de maĂźtre ; mais tu devras lui en tenir compte c’est un motif de plus Ă  ta reconnoissance. De la maniĂ©rĂ© de vivre entre le mari & la femme , dĂ©pend le bonheur de leur vie. Quelle plus douce fĂ©licitĂ© que celle de deux Ă©poux dont l’union seroit tous les jours cimentĂ©e de plus en plus par Une estime mutuelle, un amour Ă©gal, une fidĂ©litĂ© inviolable, un accord & une harmonie parfaite. Deux Ă©poux qui vi- vroient ainsi, seroient sans doute parfaitement heureux, si pourtant on peut l’ĂȘtre dans cet Ă©tat. La diversitĂ© des humeurs , des caractĂšres, des sentimens, fera toujours un obstacle Ă  ce parfait bonheur qu’on s’y propose , & qu’on y trouve si rarement ce qui a fait dire Ă  quelqu’un qu’il pouvoir y avoir de bons mariages, mais qu’il n’y en avoir pas de dĂ©licieux ; & Ă  l’Auteur des Conseils de 34* ‱ L’Ecole la Saqtsse , que le mari de la femme la plus sage & la plus vertueuse d’une ville n’étoit pas si heureux ni si sage que celui qui n’en avoit point. Ce n’est pas qu’il ait voulu approuver & autoriser ces cĂ©libataires, qui ne veulent point s’engager, pour vivre plus librement dans de libertinage, ou qui, moins par amour pour la chastetĂ© que par amour pour eux-mĂȘmes & pour leur tranquillitĂ© , renoncent Ă  un Ă©tat dont ils redoutent les embarras & les peines. 11 a seulement voulu faire entendre, consor-' mĂ©ment Ă  la doctrine de l’ApĂŽtre , que ceux qui ont reçu du Ciel la continence, & qui savent se passer du mariage , sont plus heureux que ceux qui savent en jouir n. Mais comme cette vocation ne fera jamais la plus gĂ©nĂ©rale, & que le grand nombre des hommes , au contraire , font appelĂ©s Ă  un Ă©tat qui est destinĂ© Ă  la propagation du genre humain , le point important & capital pour la plupart est donc de s’appliquer seulement Ă  faire un ben choix. Avant que de former des nƓuds qui doivent ĂȘtre sacrĂ©s & inviolables , il faut y penser mĂ»rement, & n’écouter ni il Seatiorautemeritsifieftrmanstrit, I. Cor. 7 des MƓurs. 343 . l’amour qui est toujours aveugle, ni l’iu- tĂ©rĂȘc qui Ă©touffe l’amour fous des chaĂźnes d’or. On n’a jamais vu tant de mauvais mariages , que depuis qu’011 est devenu plus attentif Ă  la dot qu’à l’honneur. Une sociĂ©tĂ© indissoluble n’a souvent pour tout lien que l’intĂ©rĂȘt mais l’ouvrage des pallions ne sauroit ĂȘtre durable , & elles dĂ©sunissent bientĂŽt ce qu’elles ont si mal liĂ©. De lĂ  tant de divorces scandaleux, &, tant de grandes maisons qui pĂ©rissent & s’éteignent par l’état mĂȘme qui Ă©toit destinĂ© Ă  les soutenir & Ă  les perpĂ©tuer. Ne vous mariez pas pour avoir du bien c’est Ă©pouser la dot & non lĂ  personne ; c’est un trafic & non un mariage. PrĂ©fĂ©rez toujours de vous allier avec de parfaitement honnĂȘtes gens , chez qui la probitĂ© fut dans tous les temps hĂ©rĂ©ditaire & fans tache. Quelqu’un demandoit Ă  ThĂ©mistocle , Ă  qui il donnĂšrent plus volontiers sa fille, ou Ă  un homme de probitĂ© mais de peu de bien, ou Ă  un homme qui n’auroit d’autre mĂ©rite que d’ĂȘtre riche J'aime mieux , rĂ©pondit il, un homme sans argent, que de l'argent fans homme. On ne doit pas nĂ©anmoins nĂ©gliger tout-Ă -fait les avantages de la fortune. L’indigence & la mifere font la cause de bien des divisions & de bien des que- P 4 544 L’ É c o l e relies domestiques. Ce qui a fait dire Ă  un ancien kvĂ«te IL Si vous la prenez pauvre ; avec la pauvretĂ© Vous Ă©pousez aussi mainte incommoditĂ© .* La ßharge des enfans , la peine & l’Infortune Le mĂ©pris d’un chacun vous fait baisser les yeux » Le sein vous rend l’esprit chagrin St soucieux Avec la pauvretĂ© toute chose importune» Ne vous mariez point par ambition. Laissez les DĂ©esses aux Dieux; & choisissez une personne qui ne puisse ni enfler votre vanitĂ© ni la mortifier. Ne prenez pas , disoit un Sage de l’antiquitĂ© 15,. une femme extrĂȘmement belle , ni d’une naiss ance trĂšs - dijiinguĂ©e , ou fort riche torgueil que lui infpireroient ces grands avantages , vous donneroit une maĂźtresse non une compagne. Il seroit dangereux d’ailleurs qu’elle aimĂąt le luxe & la dĂ©pense, qui sont la ruine des familles. Une femme qui a beaucoup d’économie est un grand trĂ©sor pour un mari , & vaut la plus riche dot. Qu’011 ne m'en 12 Desportes Ï 1 vivoit fous Henri III, qui lui fit de grands avantages. Les Muses qui conduisent souvent Ă  l'hĂŽpital, l’enrichirent. L'Amiral de Joyeuse lui donna pour un sonnet une Abbaye de dix mille Ă©cus de rente. C13; Chiton , un des sept Sages de la Grece. des MƓurs. 54s parle pas, dit Montaigne selon que l’expĂ©rience m’en a appris, je requiers d’une femme mariĂ©e , au-dessus de toute autre vertu, la vertu Ă©conomique ; c’est sa maĂźtresse qualitĂ©, & qu’on doit chercher avant toute autre chose, comme le seul douaire qui sert Ă  ruiner ou sauver nos maisons. Prenez donc une femme qui aime l’ordre & l’arrangement , & qui soit mĂ©nagĂšre , mais fans avarice ; car une femme avare est ordinairement mĂ©chante & querelleuse. Avec une femme de mĂ©nage la dot grossit tous les jours. Au contraire, avec une folle qui dĂ©daigne le dĂ©tail & ne se refuse rien, toutes les riches successions qu’on attend , font mangĂ©es avec la dot avant qu’elles arrivent , & le vieux patrimoine est bientĂŽt entame. Ne choisissez pas pour Ă©pouse celle qui aura Ă©tĂ© gĂątĂ©e par ses parens. Une fille Ă  qui on aura laissĂ© faire toutes ses volontĂ©s , fera presque toujours une femme trĂšs-indocile, pleine de fantaisies & de caprices qui feront le supplice & le malheur de son mari. Gardez-vous bien aufli de contracter par une paillon trop vive. Ce qui est trop vif ne dure pas avant que l’annĂ©e soit finie la passion est usĂ©e , & il ne P 5 346 L’ É c o l s reste que des regrets ce qui a fait dire avec raison Un hymen qui succĂ©dĂ© Ă  ces folles amours, AprĂšs quelques douceurs a bien de mauvais jours. Cork. Il faut un peu d’amour en Ă©pousant, & beaucoup aprĂšs avoir Ă©pousĂ©. Ce n’est que pour les libertins & les hommes dĂ©raisonnables que le mariage devient le tombeau de l’amour. Vous jurerez Ă  la face du Ciel & de la terre d’aimer toujours votre femme. C’est une pro- ĂŻnelfe sĂ©rieuse Ă  laquelle il est trop tard de ne penser que lorsqu’on est sur le point d’en aller rendre compte au Dieu vengeur du Si vous voulez ĂȘtre plus assurĂ© de la tenir , ne vous mariez pas trop prĂ©cipitamment , & donnez-vous le temps de connoitre la personne Ă  laquelle vous/ voulez vous unir. Souvent deux Ă©poux inconnus l’un Ă  l’autre, vont au pied des autels se jurer un amour aussi durable que la vie, sans savoir s'ils pouront mĂȘme s’accorder de l’estime. Four vous, ne vous attachez jamais qu’à une personne qui mĂ©rite toute la vĂŽtre ; & pour tous les biens du monde n’épousez point celle que vous n’estimez pas. On ne sauroit aimer ce qu’on mĂ©prise. Mais des MƓurs. 547 quand l’amour est fondĂ© sur l’estime, il est le charme de la vie. La beautĂ© est de tous les biens le plus dangereux & le plus fragile. C’est pourtant celui auquel on fait d’ordinaire le plus d’attention quand on fe marie jeune, parce qu’on est jeune. Pensez plus sagement, & passez-vous de la beautĂ© vous n’en aurez que moins de matiĂšre Ă  l’inquiĂ©tude. Dans le choix que vous ferez d’une femme , dit fort bien l’Auteur des Conseils de la Sagesse, ayez plus d’égard Ă  ses mƓurs & Ă  fa vertu, qu’à fa beautĂ© ! & ne mettez pas le bonheur de votre vie Ă  contempler & Ă  possĂ©der une figure formĂ©e fur le fable. Il n’y a rien de plus Ă  craindre dans une femme, que ce qui plaĂźt Ă  la vue. Beau visage , ame orgueilleuse. La beautĂ© passe, la fiertĂ©- demeure elle restera malgrĂ© vous, & vous fera connoitre , mais^ trop tard,. qu’une belle idole , coĂ»te bien de l’encens , bien des foins & bien des larmes. Il entrera chez vous quantitĂ© d’admirateurs ; & celle qui Ă©coute les louanges de tant d’autres , n’est plus gucre d’humeur Ă  vous louer , ni mĂȘme Ă  prendre la peine de le rendre aimable , quand elle ne voit plus que vous. Ajoutez qu’une grande beautĂ© , beaucoup d’esprit & de jugement, se trouvent rarement ensemble la plupart des P L 543 L'École jolies femmes perdent Ă  fe laisser coti- noitre ce qu’elles gagnent Ă  fe laisser voir. Si la vĂŽtre eil moins belle , elle cherchera Ă  vous dĂ©dommager d’ailleurs. Elle aura moins de caprices , plus de complaisances , plus d’attentions pour vous, plus de foin d’embellir son ame & de la rendre agrĂ©able Ă  vos yeux. L’amitiĂ© conjugale est bien plus solide & plus constante , quand elle est appuyĂ©e fur des qualitĂ©s que ni les maladies ni les annĂ©es ne peuvent dĂ©truire. La beautĂ© s’use ou lasse Ă  la fin, quand elle est .stupide ou muette mais on ne le lasse'jamais d’entendre dire de belles choses. On a dit de la ConnĂ©table Colonne , qu’elle avoit tant d’esprit, qu’en l’entendant parler, on oublioit qu’elle Ă©toit laide. TĂąchez nĂ©anmoins , autant qu’il le poura faire, qu’il n’y ait, dans l’extĂ©rieur de la femme que vous choisirez, rien qui vous dĂ©goĂ»te. Un ancien Philosophe disoit que la belle faisoit mal Ă  la tĂȘte , Ê? la laide au cƓur 14. On ne sauroit aimer long-temps la laideur, Ă  moins que ce dĂ©faut ne soit rachetĂ© par de grandes qualitĂ©s. Un cavalier qui avoit Ă©pousĂ© une Demoiselle fort laide, 14 Bion , surnommĂ© le BtrifihĂ©nite il »voit ycnocoup d'ĂŒsprit. des MƓurs. mais trĂšs-mĂ©ritante, disoit qu'ri Vavoit prise au poids , & quil n avait pas achetĂ© la façon. Une folle doit ĂȘtre parfaitementbelle car lĂ ns cette espece de compensation que lui fait assez souvent la nature, comment seroit-elle supportable? Mais pour une femme de mĂ©rite, c’est assez qu’elle ait le nĂ©cessaire de la beautĂ©, une grande propretĂ©, un air noble voilĂ  tous les agrĂ©mens qu’on doit raisonnablement souhaiter dans une femme estimable. Attachez-vous au caractĂšre & Ă  l’éducation. Choisissez, par prĂ©fĂ©rence Ă  la figure, une femme qui ait des qualitĂ©s solides, ornĂ©es de ces agrĂ©mens dont les charmes font bien plus vrais que ceux de la beautĂ©, & subsistent quand elle s’efface; de l’esprit, sans paroĂźtre le savoir; & plus de raison encore que d’esprit. Qu’il y ait dans son caractĂšre un peu de sympathie avec le vĂŽtre, une espece d’assortiment qui produise la convenance des humeurs quand elles font trop diffĂ©rentes, il est difficile qu’on vive long-temps d'accord il en coĂ»te trop pour se contraindre continuellement ; & nous avons vu bien de mauvais mariages , causĂ©s par cette opposition de caractĂšre & d’humeur. Il faut donc s’appliquer Ă  se bien con- noitre l’un l’autre avant de s’épouser j 5so L’E c o l Ê & c’est ce qui est rare. On cherche Ă  se tromper mutuellement, on se compose, on ne se montre que par le beau cĂŽtĂ©. On ne se connoit bien que lorsqu’il n’est plus temps de se connoitre, & le bandeau de l’amour ne tombe que lorsqu’il seroit le plus nĂ©cessaire. Mais puisque d’ordinaire on n’a sur ce point aucun reproche Ă  se faire de part & d’autre, l’unique parti qu’on doit prendre , est de le pardonner rĂ©ciproquement, & de se faire une vertu de la nĂ©cessitĂ©. S’attendre au reste Ă  trouver dans son Ă©pouse toutes les qualitĂ©s Ă  tous les avantages, c’est s’attendre Ă  ce qu’on ne trouvera jamais que dans les romans, ou dans ces jolis couplets qu’on a faits sur le choix d’une femme. Si d’épouser js faifois la folie, Et si j’étois le maĂźtre de mon choix; Connois, Hymen, Gelle qui fous tes lois Pouroit fixer le destin de ma vie. Je la voudrois plus amiable que belle De la santĂ© poste laut les trĂ©sors, Aux dons du cƓur, aux agrĂ©mens du corps? Joignant d’tsput quelque douce Ă©tincelle. Je la voudrois de dix-huit ans parĂ©e Cet Ăąge heureux, si propre au sentiment, Aux charmes purs de l’aimable enjouement.,. D’un fort flatteur prĂ©sage la durĂ©e- des MƓurs. ist Je la. voudrois simple dans fa parure, Dans ses discours, ainsi que dans ses goĂ»ts Le vrai bonheur, les plaisirs les plus doux Doivent Ă  l’art bien moins qu'Ă  la nature. Je la voudrois riche fans opulence Trop de fortune inspire trop d'orgueil, Et pauvretĂ© seroit un autre Ă©cueil. Faut, pour jouir, repos avec aisance. ‱ Je la voudrois qui n'eĂ»t pas d’autre envie D’autre dĂ©sir que celui do m'aimer. Si cet objet, Hymen, peut se trouver, De l’épouser je ferai la folie. Si vous voulez que votre choix ne soit pas une folie , ne le faites jamais que de concert avec vos pareils consultez des personnes prudentes & surtout demandez au Seigneur qu’iklaigtie vous Ă©clairer & vous montrer lui-mĂȘme celle qu’il vous a destinĂ©e. Les femmes vertueuses & sages ne font point si rares- qu’on pense la raretĂ© & la difficultĂ© font de les bien c-onnoitre, & de les distinguer d’avec les autres. Quand vous ĂȘtes en l’ñge d’en chercher une , ne vous fiez pas Ă  votre prudence ; vous n’aurez jamais seul assez de lumiĂšre pour juger de celle qui vous est propre ; l’amour aveugle souvent & Ă©gare les plus sages mais vous pouvez avoir assez de piĂ©tĂ© & de sagesse pour la mĂ©riter, en priant L’ É G O L E Dieu qu’il vous la donne. La femme vertueuse est un excellent partage ; cefi celui de ceux qui craignent Dieu, & elle sera donnĂ©e Ă  une homme pour ses bonnes actions. Qu’ils soient riches ou pauvres, ils auront le cƓur content , b la joie fera en tout temps fur leur visage if. Le mariage, lorsqu’il est fait avec puretĂ© de cƓur, prĂ©serve les jeunes gens d’une multitude d’écueils mais la raison & la religion doivent ĂȘtre encore plus consultĂ©es que l’inclination , pour un Ă©tablissement qui doit durer toute la vie. Si vous ne vous sentez aucun goĂ»t pour le mariage, & fi vous vous croyez mĂȘme appelĂ© Ă  un Ă©tat plus saint; qu’aucun motif d’intĂ©rĂȘt ou de vanitĂ© ne vous faste jamais contracter des engagemens, qui Ăźeroient infailliblement suivis pour vende chagrins ou de remords. Peut-on ĂȘtre long-temps heureux, quand on est dĂ©placĂ© Se qu’on n’est pas ce qu’on doit ĂȘtre? M. de Pcmpone de Bellievre Ă©tant mort fans enfans, on proposa Ă  l’AbbĂ© son frere de quitter le petit- collet & de se marier, afin de ne pas laisser Ă©teindre sa famille. J'aime mieux , rĂ©pondit-il, quelle finisse par un honnĂȘte Part lona , mulitr tona, in parte timentium tJeum, ÂŁTc. Eccli. des MƓurs. zy; homme que de la continuer par un sol que je pourois mettre au monde. - a- . -' gjfta s-= t>- Bon maĂźtre. Regardez-vous comme le pere de vos domestiques, & tenez-leur- en lieu. Vous leur devez trois choses , dit le Sage, la nourriture, le travail » & l’instruction i 6 la nourriture, parce que c’est leur droit ; le travail, parce que c’est leur condition ; l’instruction , parce que c’est votre charge. Si vous n’avez pas foin d’instruire & de reprendre vos domestiques, de les occuper, de les bien payer & de les bien nourrir A qu’il est Ă  craindre que vous ne trouviez ou des impies, ou des impudiques, ou des voleurs, dans ceux qui vous servent 1 Nourrissez-les donc fans profusion & fans Ă©pargne sordide, & payez-les exactement. Que pouriez-vous exiger d’eux avec justice, s’ils Ă©toientmal nourris & mal payĂ©s? D’ailleurs ilsfauroient bien le dĂ©dommager en vous pillant, ou ils ne manqueroient pas de vous quitter dĂšs qu’ils le pouroient. Faites en forte qu’ils soient toujours occupĂ©s l’oisivetĂ© les rendroit paresseux IS PanU disciplina opus savo. Eccli. 33. 3f4 L’Ecole & libertins. Quand on ne fait rien, on apprend Ă  mal faire. Cette clalfe d’hommes qui abandonne les terres, qui fuit la milice pour l’oisivetĂ© des antichambres oĂč -elle fe corrompt tous les jours davantage , ne fait pas mĂȘme obĂ©ir Ă  ceux qui lui donnent du pain. Eh! faut - il s’en Ă©tonner? fin domestique paresseux & libertin peut-il ne pas ĂȘtre insolent? Le travail ajsdu , dit l’Ëfprit-Saint, rend un serviteur humble , lui donne de l’inclination Ă  son devoir. Procurez-lui toujours quelque occupation, N qu’il ne soit jamais Ă  rien faire car l’oisivetĂ© enseiejne beaucoup de malice 17. Plus il aura de libertĂ©, & plus il cherchera Ă  en avoir moins il fera, & moins il voudra faire. Ne prenez donc personne pour vous servir, si vous n’avez de quoi l’occuper Ă  fous les temps de la journĂ©e une heure d’oisivetĂ© jointe Ă  une autre, fera bientĂŽt assez longue pour donner au serviteur qui ne fait rien, la volontĂ© de ne plus rien faire ; & pour vous apprendre que le maĂźtre qui nourrit un paresseux , est bien prĂšs de nourrir un traĂźtre & un ennemi. Ayez encore plus de foin que vos 17 Scrvum inclinant cperaticnes affidvtz ... Mitte ilium in operationem , ne vacet ,* multam enim mali* tiam docuit otioßtas. ÂŁcc!i. des MƓurs. gyy domestiques soient instruits de la religion, & qu’ils en remplissent exactement tous les devoirs vous en ĂȘtes spĂ©cialement chargĂ©, & vous en rĂ©pondrez Ă  Dieu. Cependant, qu’il y ait dans une maison des scandales & de honteux commerces entre les domestiques; qu’ils nĂ©gligent presque entiĂšrement le service de Dieu; si d’ailleurs ils font exactement le service de leurs maĂźtres, on ferme les yeux fur tout le reste. On s’inquiĂšte peu que Dieu soit bien servi, pourvu qu’on le soit bien soi - mĂȘme ; & l’on ne fait pas attention que des domestiques, qui n’ont point de mƓurs, ni la crainte de Dieu, sont capables de tous les crimes. Je crains Dieu, disoit une personne d’esprit, c aprĂšs Dieu, je ne crains que celui qui ne le craint pas. Pour mieux veiller sur vos domestiques & pour votre propre intĂ©rĂȘt, ayez- en le moins que vous pourez. Plus on en a, plus on est mal servi. M. de VendĂŽme trouva un jour Palaprat , son SecrĂ©taire , qui battoir son domestique. Il lui en fit des reproches assez vifs. Comment , Monsieur , vous me blĂąmez, dit. Palaprat, savez-vous bien que, quoique je ri aie quun laquais, je fuis aussi mal servi que vous qui en avez trente. Le grand nombre de domestiques est plus pour l’ostentation que pour le besoin. 3 sfi L’École On nourrit des fainĂ©ans , qui vivent souvent dans le dĂ©sordre ou dans la discorde , & causent quelquefois plus d’embarras & de peines qu’ils ne rendent de services. On raconte que Le Poufjln , cĂ©lĂ©brĂ© Peintre François, Ă©tant Ă Rome, le PrĂ©lat Maffimi, qui fut depuis Cardinal , alla le voir. La conversation ayant durĂ© jusqu’à la nuit, Le Poussin, la lampe Ă  la main, l’éclaira le long de l’escalier, & le conduisit ainsi jusqu’à son carrosse ce qui fit tant de peine au PrĂ©lat, qu’il ne put s’empĂȘcher de dire Je vous plains beaucoup, Monsieur Pouffin, de n’avoir pas feulement un domestique. Et moi , rĂ©pondit Le Pouffin, je vous plains beaucoup plus , Monseigneur , d'en avoir un ß grand nombre. Les bons domestiques d’ailleurs font si rares, qu’on ne sauroit en avoir trop peu, & qu’on doit se contenter du nĂ©cessaire. Dans un grand nombre il peut le trouver plus facilement un mauvais jujet, & un seul suffit pour gĂąter tous les autres. TĂąchez de les bien choisir, ‱afin de n’ĂȘtre pas obligĂ© d’en changer souvent. Il est difficile d’avoir bonne opinion de ces maisons , oĂč il se fait un flux & reflux continuel de domestiques, & oĂč l’on reçoit aujourd'hui pour renvoyer demain. On donne une scene au monde, qui le remarque & qui en parle. des MƓurs.’ On se donne Ă  soi-mĂȘme un air d’inconstance & de lĂ©gĂšretĂ©. Les change- rnens continuels dĂ©crient un service , oĂč les bons domestiques se garderont toujours bien de s’engager ; il n’y entrera guere que de mauvais sujets, ou des serviteurs tout neufs qu’on formera pour les autres. En gĂ©nĂ©ral, avec de la douceur, de la bontĂ©, de la patience, on rend les hommes Ă  peu prĂšs ce que l’on doit dĂ©sirer qu’ils soient. Soyez bon maĂźtre , vous en serez mieux servi. Avec un maĂźtre sĂ©vere & sans bontĂ©, on remplit ses devoirs, mais on les remplit sĂšchement , sans zele & fans affection. Comme on n’y reste que par nĂ©cessitĂ©, & pour en sortir le plutĂŽt qu’on poura , on ne sait rigoureusement que ce qu’on doit; & le maĂźtre y perd toujours, parce qu’il est rare qu’on fasse assez ou qu’on fasse aussi bien. Un maĂźtre querelleur & difficile Ă  servir, prescrivoit Ă  son valet tout ce qu’il devoit faire pendant la journĂ©e Tu ne feras, lui dit-il, prĂ©cisĂ©ment que cela, tu n’en omettras rien ; sinon je t’étrillerai d’importance. Ce maĂźtre entreprit un voyage il avoir un cheval vif qu’il vouloir gourmander comme son domestique, mais qui se jouant de lui le jeta dans un fossĂ© fort profond. Le maĂźtre appela son valet Ă  son secours. ?f8 L’ E c o l e Monsieur , lui dit le valet, vous ne ni avez pas donnĂ© ce matin cet ordre - lĂ  ; ainfi tirez-vous cC affaire. AprĂšs cela il le laide & s’enfuit Ă  toute bride. N’injuriez point & ne maltraitez jamais vos domestiques. Nesoyez pas , dit l’EcclĂ©siastique, comme un lion dans votre maison en vous rendant terrible Ă  vos serviteurs en maltraitant ceux qui vous font soumis iZ. Ne les menacez pas, comme font tant de maĂźtres hautains, de les mettre Ă  la porte. Rien ne les rĂ©volte davantage, & ne leur fait perdre plus sĂ»rement l’affection qu’ils pouvoient avoir pour votre service. S’ils ne vous conviennent pas, ou dĂšs que vous re- connoiisez qu’ils sont incorrigibles, renvoyez-les fans hĂ©siter, & croyez qu’il vaut mieux vous en dĂ©faire un mois plutĂŽt , que d’avoir tout ce mois des impatiences. Mais si vous jugez qu’ils soient susceptibles de correction & d’amendement, c’est charitĂ© de les ramener Ă  leur devoir, & vous le devez. Reprenez-les par des avertissemens sĂ©rieux & fermes, mĂȘlĂ©s pourtant de douceur & de bontĂ© punit sez-les mĂȘme, s’il le faut; mais faites-le i fi Null ejj'e statt ieo in domo tua , evertens do» tuos, L? opprimons fubjettos tibi , ÂŁccli. 4. des MƓurs. 3^9 fans emportement les eicĂšs de votre colere ne les corrigeroient pas , & vpus rendroient plus coupable qu’eux. On ne croit pas ĂȘtre justement condamnĂ© & puni, dit Montaigne, par un juge agitĂ© d’ire & de furie. Distinguez aussi l’ignorance & la fragilitĂ© , de la mauvaise volontĂ© & de la paresse. Dans ce dernier cas, c’est foi- bleiĂźe que de souffiir & de tolĂ©rer dans l’autre , excusez facilement & pardonnez. Le Calife Mafiadi demain doit un jour Ă  un de ses Officiers dont il Ă©toit mĂ©content , quand il cesseroit de faire des fautes. Tant que Dieu vous conservera la vie pour notre bien , lui rĂ©pondit l’Officier, ce sera Ă  nous de faire des fautes , N Ă  vous de nous les pardonner. Il faut passer bien de petites choses aux domestiques qui font fournis , affectionnĂ©s & fidelles car il y en a bien peu aujourd’hui de ce nombre, & dans les grandes maisons encore moins que dans les autres. Si vous avez , dit le Sage, un serviteur attachĂ© Ă  son devoir , faites-en beaucoup de cas qu'il vous soit aussi cher que votre vie ; U traitez - le comme votre frere 19 . La Sagesse Ă©ternelle, qui dit pose de la servitude & de la libertĂ© des 19 Si elt tibi fcrvux fĂźdei'* , fit t'bi quafi anima tua quafi fratnm fie eum tra&a, ÂŁ ccli. ZZ. L’ É C O L 2 hommes, l’a mis entre vos mains comme un prĂ©sent de,fa providence & de son amour. Vous pouvez vous dĂ©charger fur lui de toutes les inquiĂ©tudes & de tous les petits dĂ©tails du mĂ©nage prenez seulement une peine qui vous en Ă©pargnera bien d’autres, c’est de regarder & de savoir tout ce qui se passe. Voyez ce que font vos domestiques, non pour Ă©clairer leur fidĂ©litĂ©, mais pour empĂȘcher qu’ils ne se nĂ©gligent ou qu’ils n’oublient leur condition. Ils l’oublieroient bientĂŽt & vous obligeaient Ă  dĂ©pendre d’eux, si vous leur laisiĂźez prendre trop d’ascendant sur vous ; & de bons serviteurs vous en feriez de mauvais maĂźtres. Ayez foin qu’ils ne prennent pas la coutume de deviner vos volontĂ©s , mais qu’ils les demandent dans toutes les occasions. Conservez avec soin votre autoritĂ© vous ne sauriez perdre davantage que de la perdre. Quelque sagement que l’on commande chez vous , & avec quelque succĂšs qu’on gouverne votre mĂ©nage, il vous est toujours bien honteux de n’ùtre pas obĂ©i dans votre maison ; & c’est bien mal connoĂźtre votre droit & vos vrais intĂ©rĂȘts, que de rĂ©compenser les longs services d’un domestique , en le servant vous - mĂȘme, & en le craignant Ă  votre tour. Mettez -lui, si vous le voulez, votre bien des MƓurs. 361 bien & vos affaires entre les mains, puisqu’il est sage & fidelle mais souvenez-vous qu’il 11e faut communiquer le pouvoir, que comme le soleil communique sa lumiĂšre, en la donnant sans celle , & en retenant celui qui la reçoit, dans une dĂ©pendance perpĂ©tuelle. Faites- vous rendre compte exactement. Un serviteur Ă  qui l’on confie tout sans prendre aucune connoissance de ce qu’il fait, fera bientĂŽt ou fripon ou maĂźtre du logis. Pour empĂȘcher qu’il ne devienne le tyran de vos autres domestiques, permettez au dernier d’entre eux de vous porter ses plaintes, & rendez justice Ă  tous. Car n’ùtes - vous pas en quelque forte bien plus le roi de ceux que vous nourrissez & qui font Ă  vos gages , que le Prince qu’ils ne voient jamais, & dont ils savent Ă  peine qu’ils dĂ©pendent? Que votre gouvernement soit, comme tout bon gouvernement doit ĂȘtre, un heureux mĂ©lange de mĂ©nagement & de fermetĂ©, de douceur & de force. La fermetĂ© sans douceur est duretĂ© ; elle aigrit, elle rĂ©volte , & porte Ă  secouer un joug qu’elle rend intolĂ©rable. La douceur sans fermetĂ© est foiblesse ; elle rend l’autoritĂ© mĂ©prisable, & lui ĂŽte toute la force qu’elle devroit avoir. Ne vous laissez jamais imposer la loi par vos domestiques , quand mĂȘme ils seligueroient Tome I. Q_ ;6r L’ E c o l E tous ensemble; il vaudroit mieux les voir sortir tous dans le mĂȘme jour. L’autoritĂ© une foi perdue ne se recouvre point. Parlez peu Ă  vos serviteurs , disoit saint Louis Ă  son fils, & ne vous rendez pas trop familier avec eux , afin qu'ils vous craignent & quils vous aiment comme leur maĂźtre. Ce conseil Ă©toit bien sage. L’excellent moyen de vous faire respecter dans votre maison & d’y ĂȘtre bien servi, est d’ĂȘtre sĂ©rieux envers vos domestiques & d’avoir avec eux peu de paroles. Ils n’auront de respect pour vous, qu’autant que vous aurez de rĂ©serve Ă  leur egard. Sachez tout ce qu’ils font mas qu’ils ne sachent point ce que vous pensez ni ce que vous ferez. Un maĂźtre qui voit tout dans sa maison & qui ne parle point, est, pour ainsi dire, relpectĂ© comme un Dieu on tremble fans qu’il menace ; & la feule crainte qu’on a qu’il ne park , contient tout le monde dans l’ordre & dans le devoir. TĂąchez de ne faire des rĂ©primandes qu’à propos moins elles font fondĂ©es , plus clic i { ont de peine ; & il n’est permis , fans juste iujet, de faire de la peine Ă  personne. 11 est humiliant d’avoir tort avec qui que ce soit, il est honteux & dangereux de l’avoir avec ses rarement les rĂ©primandes n’en seront que plus efficaces. On s’ac- DES M ƒ U R s. coutume au bruit comme Ă  tout le reste vous altĂ©reriez votre santĂ©, & vous n’y gagneriez pas davantage. Vous dĂ©goĂ»teriez de votre service de bons domestiques, & vous les mettriez quelquefois dans le cas de vous rĂ©pondre des choses dĂ©sagrĂ©ables, comme fit un Auvergnat Ă  son maĂźtre, homme capricieux & d’un petit gĂ©nie, qui le grondoit souvent sans raison. Un jour, entre autres injures qu’il lui dit, l’ayant appelĂ© roi des sots Que ne le fuis-je, Monsieur, repartit l’Auvergnat , car au lieu que vous ĂȘtes mon maĂźtre, je ferois le vĂŽtre! Donnez vos ordres en peu de mots, en termes clairs, & d’un ton qui n’étant ni fier ni mou , tienne nĂ©anmoins plus du premier. MĂȘlez-y un peu de civilitĂ© , pour adoucir Ă  vos domestiques l’humiliation de leur Ă©tat. Si vous Ă©tiez Ă  leur place, comme la chose auroit pu ĂȘtre, comment qu’on vous traitĂąt i . Regardez-]es comme des amis malheureux. Mais combien de maĂźtres ne les regardent au contraire que comme de vils esclaves, destinĂ©s Ă  servir leurs caprices ! Le prĂ©jugĂ© d’une mauvaise Ă©ducation, la fiertĂ© que l’abondance inspire, accoutument la plupart des Grands & des Ri- ches Ă  se considĂ©rer comme les despotes de ceux qui font Ă  leurs gages, & Ă 'les 364 L’ É c o l l traiter Ă  peine comme des hommes. Eh Ăź pouroit- on leur dire, qui ĂȘtes-vous donc, maĂźtres superbes & cruels? Qui font ceux qui vous fervent? Rappelez pour un moment les choses Ă  leur origine. L’esclavage n’est que le fruit de la violence & de l’injustice, ou tout au plus de la misere, dont la cruautĂ© profite. Nous naissons tous libres, & la servitude mĂȘme volontaire ne dĂ©truit point l’égalitĂ© que la nature met entre tous les hommes. Ce font donc vos Ă©gaux qui vous fervent. Quelle rĂ©serve cette pensĂ©e ne doit-elle pas vous inspirer Ă  leur Ă©gard ! Ne vous dit-elle pas qu’un maĂźtre raiionnable doit se faire servir avec la modĂ©ration d’un homme, qui n’use de ses serviteurs que pour la nĂ©cessitĂ© , & parce qu’il ne sauroit lui seul tout faire ; qu’il doit n’exiger d’eux que ce qu’ils peuvent, ne les pas traiter avec hauteur, adoucir leur joug, avoir pour eux une affection sincere, & les regarder mĂȘme comme ses freres ? Ainsi pensoit le Prince de Conti qui » Ă©lu Roi de Pologne, se montra supĂ©rieur aux Ă©vĂ©nemens qui l’empĂšcherent de porter cette couronne. Il avoit pour ses Officiers & pour tous ses domestiques une bontĂ© & une douceur bien rares dans les Grands. Jamais on ne lui vit d’humeur contre eux, jamais un de ces des MƓurs. z6Z fnomens mĂȘme de vivacitĂ©, que tant de maĂźtres se permettent & le justifient. It paroissoit leur ami plutĂŽt que leur maĂźtre ; il les regardent comme les compagnons de sa fortune, & non pas comme les jouets ou les ministres de ses volontĂ©s & de ses paflĂŻons. Auffi lui Ă©toient-ils tous infiniment attachĂ©s, & leur affection prĂ©venoit l’abus qu’ils auroient pu faire de fa bontĂ©. Il avoit de bons serviteurs, parce qu’il Ă©toit bon maĂźtre. On se plaint souvent que les domestiques ne font plus tels qu’ils Ă©toient autrefois. La corruption gĂ©nĂ©rale des mƓurs, le peu de foin qu’on a de veiller fur celles de ses domestiques, y contribuent fans doute. Mais ne peut-on pas en attribuer auiĂźi la cause aux maĂźtres, qui ne font plus eux-mĂȘmes ce qu’ils Ă©toient? Il semble que ce soit aujourd’hui le bel air & le bon ton de se montrer difficile Ă  servir ; & ce sont sur-tout les nouveaux maĂźtres, les gens parvenus & de fraĂźche crĂ©ation, qui aiment Ă  foie donner. Ils paroissent toujours mĂ©contens. Jamais ceux qui les servent ne sont nommĂ©s par leurs noms il ne fort de leur bouche que des termes de mĂ©pris & des injures , qui quelquefois leur conviendroient mieux qu’à ceux Ă  qui ils les adressent. Mais quel moyen, disent - ils, de se contenir ! nous avons affaire Ă  des valets Q-3 3 66 L’ É C O L E insolens qui nous rĂ©pliquent, qui nous rĂ©silient, qui se rĂ©voltent contre nos ordres , qui murmurent & ne font rien que de mauvaise grĂące. MaĂźtres impĂ©rieux, vous figurez-vous donc qu’ils ne sentent point la duretĂ© de votre commandement,& les hauteurs dĂ©daigneuses avec lesquelles vous les traitez? Vous outrez leurs forces , vous ne plaignez point leurs peines; vous croyez avoir tant de droit fur eux, vous les voudriez si parfaits, vous vous rendez si difficiles, que vous n’ùtes jamais contens. Font-ils quelques fautes c’est assez pour vous agiter de mille mouvemens de colere, de dĂ©pit, de fureur vous rebutez, vous frappez, vous chassez de votre prĂ©sence des serviteurs qui font tout ce qu’ils peuvent pour vous satisfaire, & qui vont au devant de vos dĂ©sirs. Eh ! nesoussre-t-on pas dĂ©jĂ  trop pour contenter votre mollesse, votre sensualitĂ©, vos besoins multipliĂ©s , imaginaires & quelquefois si dĂ©- goĂ»tans , sans ĂȘtre obligĂ© d’essuyer vos caprices , vos mauvaises humeurs, vos traitemens indignes ? Si vos domestiques ont des dĂ©fauts, faut-il vous en Ă©tonner, puisque vous, qui devez avoir reçu une bien meilleure Ă©ducation, en avez Ă©galement? 11 n’est permis de vouloir des serviteurs parfaits qu’au maĂźtre qui l’est lui-mĂȘme. des MƓurs. 567 S’ils l’étoient, nous devrions les servir. N’est - ce pas souvent chez vous & Ă  votre Ă©cole qu’ils ont pris les vices que vous leur reprochez? C’est votre exemple peut-ĂȘtre qui les a corrompus ou qui les autorise. TĂ©moins oculaires, tĂ©moins allĂźdus de tout ce que vous faites, de tout ce que vous dites, n’est-il pas naturel qu’ils s’accoutument bientĂŽt Ă  agir & Ă  parler comme vous ? Chez les Romains il y avoit un mois oĂč les esclaves avoient la libertĂ© de tout dire Ă  leurs maĂźtres. Quelles scenes, si cet usage Ă©toit Ă©tabli parmi nous ! Quels portraits les domestiques feroient Ă  ceux qu’ils servent, de leur caractĂšre & de leurs mƓurs ! Mais s’ils n’ont plus aujourd’hui ce privilĂšge, ils ne manquent guere d’en prendre un autre; & le plus doux soulagement d’un domestique, qu’on vient de gronder ou de maltraiter, c’est d’étaler au premier qu’il rencontre, toutes les foiblesses & tous les dĂ©fauts de ses maĂźtres. Le grand Cyrus , fondateur delĂ  Monarchie des Perses, disoit qu’on n’étoit pas digne de commander aux autres, Ă  moins qu’on ne fut meilleur que ceux Ă  qui 011 donnoit la loi. Combien donc de' maĂźtres & de maĂźtresses devroient ĂȘtre dĂ©gradĂ©s! lisse plaignent que leurs domestiques les mĂ©prisent, les dĂ©crient, & 368 L’ É c o l e qu’ils n’ont point de plus dangereux ennemis que ceux qui font dans leur niailon. Mais ne peut-on pas leur dire Par oĂč ceux qui vous servent vous esti- meroient-ils? vous ne leur cachez aucune de vos foiblefTes ; vous les leur dĂ©couvrez avec autant de facilitĂ©' & d’assurance, que s’ils dĂ©voient les respecter. Vous ĂȘtes avec eux lans pudeur, fans rĂ©serve, sans retenue dans vos paroles & dans vos actions. Ils vous voient dans des momens & dans des Ă©tats oĂč vous devriez rougir de vous-mĂȘme. Vous vous montrez enfin tels que vous ĂȘtes, c’est-Ă - dire, souvent trĂšs-mĂ©prisables; & vous vous plaignez d’ĂȘtre mĂ©prisĂ©s ! Les maĂźtres que l’infirmitĂ© rĂ©duit Ă  exiger des services dĂ©goĂ»tans & pĂ©nibles, devroient gĂ©mir de leur Ă©tat, & recevoir les services nĂ©cessaires avec une reconnoissance mĂȘlĂ©e de confusion, du moins avec une bontĂ© qui en adoucisse les dĂ©lagrĂ©mens. Mais souvent ce sont ceux-lĂ  mĂȘme qui sont les plus difficiles Sc les plus fĂącheux. Vous ĂȘtes indigne de vivre, si vos mauvaises humeurs font souffrir, encore plus que vos maladies, ceux qui emploient ce qu’ils ont de forces & de santĂ© pour vous soulager & vous servir. Une Dame Ă©toit d’une telle mollesse, qu’elle ne pouvoir faire un seul pas fans ĂȘtre soutenue par un domestique, des MƓurs. z6Z Au milieu d’un escalier, elle s’avisa de quereller celui qui l’aidoit Ă  descendre , & lui donna un souffler. Le domestique la laissa & s’enfuit. Comme elle le rappeloit Ă  son secours avec de grands cris Madame , lui dit-il, passez-vous de mon brassi vous pouvezpour moi je puis me passer de vos soufflets. Il est Ă©trange que nous ne sentions pas combien il est dĂ©raisonnable d’exiger durement les services les plus nĂ©cessaires. C'est demander l’aumĂŽne, les armes Ă  la main. Louis XIV , qui Ă©coit grand eu tout, Ă©toit bien Ă©loignĂ© d’agir ainsi. Un de ses valets-de-ehambre Ă©toit allĂ© lui chercher des souliers, & tardoit Ă  revenir. Le Duc de Montauzier voulut le gronder. Eh! laissez-le en paix , dit le Roi, il efl assez fĂąchĂ© de n ĂȘtre pas arrivĂ© plutĂŽt. Une autre fois, un Portier du Parc de Versailles, qui avoir Ă©tĂ© averti que le Roi devoir passer par la porte qu’il gar- doit, pour aller Ă  la chasse, ne s’y trouva pas quand ce Prince y arriva. Tous les Courtisans s’empressĂšrent de le chercher. On le trouva enfin. Le pauvre homme qui courut tant qu’il put, arriva tout essoufflĂ© on l’accabloit d’injures & de reproches. Eh ! pourquoi , dit le Prince , le grondez -vous ? croyez-vous quil ne soit pas assez affligĂ© de m avoir fait attendre? 37° L’ É c o l E Tout occupĂ© de vos affaires ou de vos plaisirs , vous vous imaginez que des domestiques font tout Ă  leur aise, qu’ils trouvent fous la main tout ce qu’ils cherchent, & que tout doit leur rĂ©ussir. Vous vous rĂ©criez fur ce que les choses font mal faites ou qu’elles vous manquent, fur ce que vos ordres ont Ă©tĂ© mal exĂ©cutĂ©s , fur ce que le succĂšs ne rĂ©pond pas Ă  vos intentions ; & vous supposez, sans dĂ©libĂ©rer, suis examiner, Î [ue ceux que vous aviez chargĂ©s de ces oins font coupables. Les accidens les plus imprĂ©vus, les contre-temps les plus inĂ©vitables, les maux mĂȘme dont la nature n’est pas exempte, ne font que de foibles excuses auprĂšs de vous. Vous donnez peu, & vous demandez beaucoup. Un domestique, que vous croyez suffisamment payer de toutes lĂšs peines, souvent par des gages allez modiques , doit ĂȘtre invulnĂ©rable, ne jamais sentir ses fatigues ni les injures de l’air & des faisons, ne succomber jamais Ă  l’excĂšs du travail. Vous prĂ©tendez qu’il puisse encore travailler & marcher, quoiqu’il soit dans un abattement, oĂč vous vous croiriez vous-mĂȘme allez mal pour appeler les MĂ©decins. Que ne sentez-vous que ceux qui vous servent sont hommes comme vous, & que l’homme n’est pas de fer & de bronze ? Voulez - vous donc d e i MƓurs. qyĂŻ les rĂ©duire au rang des bĂȘtes de charge? Encore Ă  ce prix-lĂ  trouveroient-ils des mĂ©nagemens dans des maĂźtres raisonnables. L’homme de bien , dit Salomon , Ă©pargne' la vie de ses bĂȘtes il ny a que les entrailles des mĂ©dians qui soient cruelles 20 . Presque toujours la duretĂ© vient d’un excĂšs de mollesse les personnes qui ont le plus de loin d’elles-mĂȘmes, font prĂ©ci» sĂšment celles qui ont le moins de compassion des autres. Vous ĂȘtes homme, & vous oubliez que c’est un homme qui vous sert, un homme sujet aux mĂȘmes infirmitĂ©s que vous, un homme forcĂ© par la nature Ă  manger, Ă  boire, Ă  dormir, Ă  respirer quelquefois ; & tous ces besoins pourtant deviennent souvent des sujets de reproches. On voudroit ĂȘtre servi par des anges, qui n’eussent besoin ni de nourriture ni de repos. C’est fur ce pied lĂ  qu’on traite ceux dont on se croit maĂźtre de disposer souverainement au prix de quelques gages encore trouve- t-on mauvais qu’ils ne les prodiguent pas pour faire honneur Ă  leurs maĂźtres. On veut qu’ils s’entretiennent proprement, qu’ils dĂ©pensent tout ce qu’ils gagnent, c’est-Ă -dire, qu’ils usent gratuitement zo Ncvit jitßus jumentomm suorum animas vif» tira auwn imgiarusn crudĂčia , L’i'ov. \z. 372 L’ É C O L E leur jeunesse, & qu’ils se prĂ©parent Ă  mourir de faim quand ils seront vieux. Et combien n’y a-t-il pas de maĂźtres, qui les renvoient indignement, fous les plus lĂ©gers prĂ©textes, quand la maladie, la vieillesse ou quelque accident les rend moins utiles! C’est l’endroit criant de la duretĂ© des maĂźtres ils n’ont pas quelquefois pour des serviteurs fidelles la compassion, la charitĂ©, qu’ils devroient avoir mĂȘme pour des inconnus. Un domestique affectionnĂ© craint de leur dĂ©plaire en dĂ©couvrant ce qu’il souffre il s’épuise pour eux, il gagne, il augmente ses maux Ă  leur service; & ils l’abandonnent dans son besoin. La guenon d’une Marquise mordit une de ses femmes au bras, & la morsure sut si considĂ©rable, qu’on pensa dans les premiers jours qu’elle feroit mortelle. La Marquise gronda sa guenon d’une façon tout-Ă -fait sĂ©rieuse , & lui dĂ©fendit bien de ne plus mordre si sort Ă  l’avenir. La fille en fut quitte pour un bras. La Marquise ne pouvant plus en tirer les services accoutumĂ©s, la renvoya. Le Marquis lui reprĂ©senta qu’il y avoit de l’inhumanitĂ©, de l’injustice mĂȘme dans ce procĂ©dĂ© mais la Marquise lui rĂ©pondit .Que voulez-vous que je sĂ€ĂŸe de cette fille ? elle na plus de bras. Un Roi d’Espagne pensoit avec bien des MƓurs. plus d’équitĂ©. DomDiegue d’Arias, TrĂ©sorier du Roi Emique IV, reprĂ©sentant un jour Ă  ce Prince l’excĂšs de si libĂ©ralitĂ© & de ses rĂ©compenses, lui dit qu’il Ă©toit nĂ©cessaire de rĂ©former le grand'nombre de ses Officiers & les gages de ceux qui ne faisaient point les fonctions de leurs charges , ou qui n’y Ă©toient plus propres. Mais le Roi lui rĂ©pondit Si j’étois Arias, Jlaurois aussi plus d’égard Ă  l’argent qu’à la libĂ©ralitĂ©. Vous parlez en Particulier, & moi j’agirai en Roi. Le devoir d’un Roi est de donner. Je donne aux uns, parce qu’ils font gens de bien, & aux autres, afin qu’ils ne soient pas mĂ©chans. Et quant Ă  ces Officiers , dont vous voulez que je garde les uns & que je renvoie les autres , je vous dirai que je retiens les premiers, parce que j’ai besoin d’eux, & les derniers, parce qu’ils ont besoin de moi. 11 n’y a peut-ĂȘtre pas, dans aucun pays du monde, un plus bel usage que celui qui est Une partie des revenus de la plupart des Seigneurs est destinĂ©e Ă  payer les pensions des anciens domestiques de la maison. Ceux qui servent fidellement & qui remplissent exactement leurs devoirs, font surs d’avoir de quoi subsister le reste de leurs jours. Un ancien domestique survit-il Ă  son maĂźtre celui-ci en mourant le recom» 374 L’ É c o L E mande Ă  son successeur, qui croiroit in- digne de lui de manquer aux intentions de celui qu’il remplace. Ce qui fait qu’on voit dans bien des maisons un grand nombre d’anciens domestiques vieux, infirmes, qui ne font plus rien que de faire honneur Ă  la bontĂ©, Ă  la gĂ©nĂ©rositĂ© de leurs maĂźtres, & qui font aussi bien traitĂ©s que s’ils Ă©toient encore utiles. Quel plus noble emploi de ses richesses peut-on faire aux yeux de l’humanitĂ© bienfaisante ! „ Ainiez vos domestiques, disoit Madame de Àlaintcnon a la Duchesse de Bourgogne portez-les Ă  Dieu ; faites leur fortune, mais ne leur en faites jamais une grande ne contentez ni leur vanitĂ© ni leur avarice; & que votre sagesse mette Ă  leurs dĂ©lits la modĂ©ration qu’ils devroient y mettre eux- mĂȘmes ct . Il y a beaucoup de maĂźtres qui ne font du bien Ă  leurs domestiques, ou ne se proposent de leur en faire, qu’aprĂšs la mort. C’est attendre Ă  se faire aimer, qu’on ne soit plus en Ă©tat de goĂ»ter le plus doux des plaisirs; c’est rĂ©server le moyen le plus efficace de se faire servir avec zele, pour un temps oĂč l’on n’en aura plus bclom. Un homme riche Ă©tant attaquĂ© d’une maiadie dangereuse, fit Ă  ses domestiques dans son testament des des MƓurs. 375 legs, qui ne feraient payables qu’au cas qu’il revĂźnt en santĂ©, lis le soignĂšrent si bien qu’il guĂ©rit parfaitement. Il leur paya les legs. Laiifer Ă  ses domestiques au cas qu’on vienne Ă  mourir, n’est-ce pas vouloir qu’ils soient d’intelligence avec la mort? Cependant, comme on n’est pas immortel, & qu’il est juste de reconnoĂźtre les peines que les maladies des maĂźtres occalĂźonnent Ă  ceux qui les servent, il convient, quand on le peut, de leur assurer quelque chose, si l’on vient Ă  mourir. Prenez Ă©galement soin d’eux dans leurs maladies, & ils vous serviront avec amour. ImĂ©resiez-vous toujours Ă  ce qui les regarde , Ă  leur Ă©tablissement, Ă  leur petite fortune 5 & ils vous seront affectionnĂ©s. Faites si bien qu’on soit content, quand on entre chez vous; qu’on soit fideile & heureux, quand 011 y est; & qu’on ait de quoi vivre, s’il est poisible, quand on en fort. Rien ne faitplus d’honneur Ă  une maison, & n’attache plus Ă  un service, que des maĂźtres qui lavent rĂ©compenser ceux qui les ont bien servis. En un mot, avec vos domestiques, dont la sagesse & la fidĂ©litĂ© vous font connues, & vous ne devez jamais en avoir d’autres , vivez comme un maĂźtre qui commĂźt les devoirs de l’humanitĂ©, comme un chrĂ©tien qui fait que devant 375 L' É c o l K Dieu nous sommes tous Ă©gaux malgrĂ© l’inĂ©galitĂ© des conditions. Ne leur donnez que de bons exemples, & portez-Ăźes au bien il n’y en a pas de plus fidelles aux hommes que ceux qui le font Ă  Dieu. Veillez fur leurs mƓurs, fans ĂȘtre ni leur tourment ni leur espion, & attachez- vous-les par votre douceur & par vos bienfaits. Y a-t-il rien de plus flatteur que de rendre heureux ceux dont on cil environnĂ© ? Quoiqu’il ne faille jamais avoir trop de foibleife, parce qu’on devient mĂ©prisable ; en gĂ©nĂ©ral, il vaut mieux avoir trop de bontĂ© que trop de sĂ©vĂ©ritĂ©. Mais celui-lĂ  seul mĂ©rite le titre de hon, qui sait s’armer, quand il le faut, de sĂ©vĂ©ritĂ© contre Je vice, sans jamais l’autoriser > autrement la bontĂ© n’est qu’une mollesse coupable. M. le Duc de VendĂŽme portoit la bontĂ© jusqu’à ce dĂ©faut. Un des valets- de-pied vint l’avertir qu’un de ses Officiers le voloit. HĂ© bien , lui dit ce Prince, laijj'e-le faire , U vole-moi comme lui. Le trait suivant du mĂȘme Prince nous paroĂźtbien plus louable. Il Ă©toit dans fa chambre, fort avant dans la nuit, en conversation avec Palaprat. Celui-ci lui reprĂ©senta qu’il devoir se coucher, &il voulut appeler les gens du Prince. Non, lui dit-il, mais voyons s'ils ont prĂ©parĂ© mon bonnet de nuit ? Il le trouva. Il ne DES M E U R S. 37 f faut pas les Ă©veiller , continua-t-il, je ms mettrai bien au lit fans eux. Il tenoit ce caractĂšre de bontĂ© de Henri IV , duquel il descendent. ThĂ©odore Agrippa , Seigneur d’AubignĂ© & aĂŻeul de Madame de Maintenon, Ă©toit couchĂ© Ă  cĂŽtĂ© du lit de ce Prince , & le croyoit endormi, lorsqu’il dit Ă  La Force avec qui il Ă©toit couchĂ© Notre maĂźtre est le plus vilain le plus ingrat qui soit fur la terre. L’autre accablĂ© de sommeil lui demanda Que dis -tu , es AubignĂ© ? Le Roi qui ne dormoit pas & qui avoit tout entendu, cria tout haut La Force, n entends-tu pas ce que dit d’AubignĂ© , que je fuis le plus vilain & le plus ingrat quil y ait fur la terre ? Il n’en parla jamais depuis ni Ă  l’un ni Ă  l’autre. Il auroit dĂ» punir, & l’auroit fait sans doute, s’il n’avoit Ă©tĂ© bien fur que cette plainte imprudente n’empĂȘchoit pas que cet Officier ne lui fĂ»t vĂ©ritablement attachĂ© , comme il l’étoit en effet. Un bon maĂźtre dissimule quelquefois , & pardonne des paroles indiscrĂštes , qui peuvent Ă©chapper Ă  des domestiques affectionnĂ©s , mais plus souvent en particulier que devant des tĂ©moins ou des Ă©trangers. Un maĂźtre qui souffre qu’on lui manque publiquement de respect, n’est guere plus excusable que le domestique qui ose le faire. On juge 578 L’É c o le presque toujours Ă©galement mal de l’un & de l’autre. -. - -T- jSĂż&as L- - Honore ÂŁ vos parais , fur - tout dans leur vieillesse. E H ! qui honoreroit - on ? qui aime- roit-on, si l’on manquoit Ă  ce premier cri de la nature ? Quoique son divin Auteur ait gravĂ© ce devoir au fond de notre ame , en nous Ă©clairant des lumiĂšres de la raison ; il a voulu nous en faire encore un commandement exprĂšs ; & l’on a remarquĂ© que c’est le seul Ă  l’observation duquel il ait attachĂ© une rĂ©compense dĂšs cette vie mĂȘme. Rien suffi n’est plus particuliĂ©rement recommandĂ© dans l’Ecriture-Sainte, & fur-tout dans l’un de ses plus beaux Livres de Morale , /’ EcclĂ©siastique , qui est rempli de prĂ©ceptes admirables , & des plus sages conseils. „ Ecoutez , en- fans , dit cet Auteur sacrĂ©, les avis de votre pere , & suivez-les, asin que vous fuyiez sauvĂ©s car Dieu a rendu le pere vĂ©nĂ©rable aux enfans , & il a affermi fur eux l’autoritĂ© de la mere. Celui qui honore fa mere est comme un homme qui amallĂš un trĂ©sor celui qui honore son pere, recevra lui-mĂȘme de la joie de ses ensuis, & il fera exaucĂ© au jour des MƓurs. 379 de sa priere. Cel 1 ii qui craint le Seigneur , honore son pere & si mere , & il servira comme ses maĂźtres les auteurs de ses jours 21“. Nous devons Ă  nos parens le respect , l’amour , l’obĂ©iflance & les services. A quelque dignitĂ© mĂȘme qu’on soit Ă©levĂ© , on doit toujours avoir du respect pour ceux de qui on a reçu la vie ; & il faut leur en donner des marques extĂ©rieures , en les saluant avec honneur , en leur parlant avec soumis lion, en les visitant avec amitiĂ©, en les prĂ©venant par de certaines attentions, qui les flatteront d’autant plus qu’elles seront des hommages libres & publics. Laurent CcIJe ayant Ă©tĂ© nommĂ© Doge de Venise , & voyant que son pere , qui Ă©toit du nombre des SĂ©nateurs, ne pou- roit se dilpenser de venir comme les autres , selon la coutume, se mettre Ă  genoux devant lui , mit sur sa toque ducale une croix d’or, asm que son pere 21 Oui timet Dominum , honorĂąt parentes , ÂŁ T quasi, dom'ĂŻnis /erriet his qui se genuerunt. Eccli. Z. Jesus . fils Ăźle Siraf'h , docteur Juif & auteur de ykce/Ă©siastique , Ă©toit de JĂ©rusalem ; il vivuit environ 160 ans avant J. C. fous le regne d’^utiochus Epi- phane , dont les persĂ©cutions l’obligerent de se retirer eu EgvptS , oĂč ï’nn croit Qu’il composa soit ouvrage . rempd d’excellentes maximes murales» civiles & politiques. 38° L’ É c o l s pĂ»t rapporter Ă  la croix l’honneur qui Ă©toit d’ufĂ ge. C’est depuis ce temps-lĂ  que les Doges portent une croix iur leur toque ou bonnet. Ce seroit manquer au respect qu’on doit Ă  ses pareils , que de les mĂ©priser mĂȘme intĂ©rieurement. Que sera-ce donc si l’on est assez malheureux pour en venir jusqu’à leur dire des paroles dures , injurieuses, outrageantes ; jusqu’à se moquer d’eux, les reprendre avec orgueil, dĂ©couvrir leurs fautes, ou se railler de leurs dĂ©fauts ? N’est -ce- pas se charger soi- mĂȘme de honte , puisque le fils tire lĂ  gloire de l’honneur du pere , & qu’un pere fans honneur est le dĂ©shonneur du fils 22 ? Menacer ses pareils , lever la main fur eux, ou les frapper mĂȘme lĂ©gĂšrement , est un crime des plus exĂ©crables , une espece d’impiĂ©tĂ© & de lĂ crilege , que Dieu punit toujours, & souvent mĂȘme de la maniĂ©rĂ© la plus terrible & la plus Ă©clatante. On fait quelle fut la fin tragique & malheureuse du rebelle Absalon , dont la mĂ©moire sera Ă©ternellement un objet d’exĂ©cration & d’horreur, Mais comme les traits moins connus frappent encore davantage, en voici un qu’on 22 Gloria hominis ex honore patris fui , & didcciis filii paursine honore, Eccli. 3. s L 8 MƓurs. ;8-r juiroit peine Ă  croire , s’il n’étoit attestĂ© par un des plus grands Docteurs de l’Eglise. 11 en prend Ă  tĂ©moin toute la ville d’Hippone , dont aucun des habi- tans ne pouvoir encore l’avoir oubliĂ© lorsqu’il le leurrappeloit puisqu’il n’y a, leur disoit-il, personne d’entre vous qui ne l’ait ou vu ou appris. Dix enfans assez distinguĂ©s par leur naissance , sept garçons & trois filles', vivoient Ă  CĂ©sarĂ©e en Cappadoce ave leur mere qui Ă©tait veuve. Un jour l’aĂźnĂ© des freres s’échappa jusqu’à la charger de grosses injures » il eut mĂȘme la hardiesse de la frapper. Tous les autres enfans, qui Ă©taient prĂ©sens , souffrirent que leur frere traitĂąt ainsi leur mere, au lieu de le reprendre & de l’arrĂȘter. Cette femme outrĂ©e de l’injure, & du mauvais cƓur de ses enfans, alla dĂšs le grand matin aux fonts batismaux. LĂ , prosternĂ©e contre terre, elle pria Dieu que ses enfans fussent un exemple de terreur Ă  toute la terre, & qu’ils la parcourussent errans & vagabonds, Ă©loignĂ©s de leur patrie. Aussi - tĂŽt cette mere fut exaucĂ©e, & tous ses enfans furent punis de Dieu par un tremblement horrible de tous leurs membres. Honteux & confus de paroĂźtre dans cet Ă©tat effroyable aux yeux de leurs compatriotes, ils le rĂ©pandirent en diffĂ©rens pays. Deux ?8r L’ É c o l e de ces enfans, dit saint Augustin, sont venus Ă  Hippone oĂč nous Ă©tions. Apprenez, ĂŽ enfans , ajoute ce saint Docteur , Ă  rendre Ă  vos peres & meres l’honneur & le respect qui leur sont dus ; car il est Ă©crit que la bĂ©nĂ©diction du pere affermit la maison des enfans, & que la malĂ©diction de la mere la dĂ©truit jus* qu’aux fondemens . ' Attendez-vous Ă  ĂȘtre traitĂ©s comme vous aurez fait Ă  vos patens. Si vous leur avez rendu le respect & l’honneur que vous leur deviez, vous recevrez Ă  votre tour les mĂȘmes hommages, avec l’estime & l’admiration des autres hommes. Mais si vous les avez mĂ©prisĂ©s, outragĂ©s, vous ne recevrez de vos enfans que des mĂ©pris & des outrages. Un pere traĂźnĂ© indignement hors de fa maison par ses propres enfans , s’écria fur le seuil de la porte A'rĂ©tcz , malheureux enfans ! je n’ai traĂźne mon pere que jusqu’ici. Ces punitions temporelles ne font qu’une foible image de celles que l’auteur & le vengeur de l’autoritĂ© paternelle rĂ©serve en l’autre vie Ă  ceux qui la foulent aux pieds ou la mĂ©prisent, Ă€ qui Ă©touffent dans leur cƓur tous sentimens Ă© 2; Bcneditto patrls firmat domosfiliorum male ‱ bes MƓurs. ^ 97 ,» J’étois ce matin dans mon lit, dit-il occupĂ© Ă  lire. J’ai Ă©tĂ© interrompu tout-Ă - coup par un bruit semblable Ă  celui que sont des rats qui grimpent contre une cloiion. J’ai observĂ© attentivement. J’ai vu paroĂźtre un rat sur le bord d'un trou il a regardĂ© de tous cĂŽtĂ©s j & ensuite s’ell retirĂ©. Un moment aprĂšs il a reparu Ăź il conduisait par l’oreille un rat plus gros que lui, & qui paroissoit vieux l’ayant laissĂ© fur le bord d’un trou, un autre jeune rat s’elt joint Ă  lui. Ils ont tous deux parcouru la chambre, ramassant des miettes de biscuit, qui au souper de la veille Ă©toient tombĂ©es de la table ils les ont portĂ©es Ă  celui qui Ă©toit fur le bord du trou. Cette attention dans ces- animaux m’a Ă©tonnĂ© j’ai observĂ© avec encore plus de soin. J’ai jugĂ© que le rat auquel les deux autres portoient Ă  manger, Ă©toit aveugle, parce qu’il ne trouvent qu’en tĂątonnant le biscuit qu’on lui prĂ©sentent. Je n’ai point doutĂ© que les deux jeunes ne su dent ses enfans, & les pourvoyeurs assidus d’un pere aveugle. J’admirois en moi-mĂȘme la siigeiie de la nature , qui a mis dans tous les animaux une intime tendresse, une reconnoiC- sauce, je dirois presque une vertu, proportionnĂ©e Ă  leurs facultĂ©s. Tandis que je faisois ces rĂ©flexions, & que je crai- gaois qu’on n'interrompit ces petits. 398 L’ Ê c o L E animaux, notre Chirurgien - major a ouvert la porte de ma chambre. Les deux jeunes rats ont fait un cri, comme pour avertir l’aveugle ; & malgrĂ© leur frayeur ils n’ont pas voulu se sauver , que le viĂ x 11 e fĂ»t en furetĂ©. Ils font rentrĂ©s dans le trou aprĂšs lui, en servant, pour ainsi dire, d’arriere-garde “. Si ce fait est vrai, & s’il est exact dans toutes les circonstances, comme on ne peut guĂšre en douter, quelle leçon pour l’homme ! Les enfuis aise 2 dĂ©naturĂ©s pour oublier ce qu’ils doivent Ă  leurs parens , font des monstres d’ingratitude mais souvent les peres & les meres ne peuvent l’imputer qu’à eux-mĂȘmes. Si les enfuis Ă©toient mieux Ă©levĂ©s, s’ils avoientreçu une Ă©ducation plus fige & plus chrĂ©tienne , ils seroient plus relpectueux & plus tendres. Mais la faute des peres & des meres n’excuse pas celle des en fans, & l’on ne fauroit entendre fans horreur la maniĂ©rĂ© indigne, dont Mithridate fut traitĂ© par Ion fils Pharnace. On fait qu-e ce Roi, si fameux par les guerres qu’il soutint avec gloire contre les Romains, ternit ses grandes qualitĂ©s par ses cruautĂ©s, & par son ambition , qui le porta Ă  faire mourir ses neveux, fils du Roi de Cappadoce, pour s’emparer de ce royaume. Les peres trouvent ordinairement, dans leur famille mĂȘme , des imitateurs trop fidelles des MƓurs. 999 , des mauvais exemples qu’ils leur ont donnĂ©s. Mithridate fut Ă  son tour dĂ©pouillĂ© des Etats qui lui reltoient, par fou fils Pharnace, qui avoit fait rĂ©volter l’armĂ©e en la saveur. Il demanda qu’il lui fut permis d’aller dans un pays Ă©loignĂ© finir lĂ©s jours. Pharnace, fans daigner le regarder, eut la barbarie de dire Qu’il pĂ©risse. Mithridate pĂ©nĂ©trĂ© de douleur, lui rĂ©pondit Puijjcs-tu un jour ouir de la bouche de tes enfans ce que la tienne vient de prononcer contre moi ! Il paiia ensuite tout furieux dans l’appartement de la Reine , lui fit prendre du poison, en donna Ă  ses filles, & se perça lui-mĂȘme de son Ă©pĂ©e. Pharnace ne jouit pas long - temps de son crime. CĂ©sar marcha contre lui, & le vainquit avec tant de rapiditĂ©, qu’il Ă©crivit au SĂ©nat Je fuis venu t j’ai vu, j'ai vaincu. Il y a des personnes qui, Ă©tant parvenues , rougissent de ceux qui leur ont donnĂ© la naissance. Sourds Ă  la voix du sang & de la nature, ils les dĂ©daignent & les mĂ©connoiflent. Que ne rougissent- ils aussi d’ĂȘtre nĂ©s ! L’orgueil a fascinĂ© leurs yeux & corrompu leur cƓur. Ils ne voient point que la vĂ©ritable grandeur n’elf pas d’ĂȘtre nĂ©G rand ou Riche , mais de s’élever par la gĂ©nĂ©rositĂ© de ses sentimens au-dessus des grandeurs & des richesses. K’oubliez pas , dit le . Sage , 400 U Ê C O L E votre pere U votre mere, parce que vous, ĂȘtes au milieu des Grands ; de peur que Dieu ne vous oublie devant ces Grands mĂȘme , fĂ«? que devenant insensĂ© par la trop grande familiaritĂ© que vous aurez avec eux , vous ne tombiez dans Cinfamie 26. Au contraire le respect & l’honneur que vous leur rendrez alors, rejaillira sur vous. Un brave Officier nommĂ© Duras, du rĂ©giment d’Aubuflon , Ă©toit fils d’un Paysan. Son pere Ă©tant venu le voir, il le prĂ©senta en habits 'de son Ă©tat & en sabots Ă  son Colonel. Louis XIV, instruit de la maniĂ©rĂ© dont il avoit reconnu, reçu & honorĂ© son pere, tandis qu’on le croyoit ilsu de la maison de Duras , le fit venir Ă  la Cour, & lui dit en lui tendant la main Duras , je fuis bien aise de eonnoĂźtre le plus honnĂȘte homme de mon royaume je vous accorde mille Ă©cus de penjion mariez-vous , j’aurai foin de vos enfans , vous mĂ©ritez d'en avoir qui vous reßemblcnt. Si l’on doit honorer & assister ses parens durant leur vie, il ne faut pas non plus les oublier lorsqu’ils ont cessĂ© de vivre. C’est alors peut-ĂȘtre qu’ils ont le plus besoin de vous. Faites - leur des obsĂšques selon votre rang & votre Ă©tat, C 26 Mcmcnto p a tris ÊT matris tua , in tncdiç ZnaiGrum-. Eccli. . des MƓurs. 46g "Vrions quelques traits rĂ©prĂ©hensibles; font-ils moinsuos maĂźtres?sont-ils moins en droit de commander, & leur devons- nous moins l’obĂ©issance , parce qu’ils ne font ni infaillibles ni impeccables? Que toute ame, dit l’ApĂŽtre des nations, soit soumise aux Puissances , parce quelles viennent de Dieu. C’est lui qui Ă©tablit les Rois, qui les choisit pour les lieutenans , qui leur soumet les autres hommes, qui grave fur leur front l’empreinte de la souveraine majestĂ© ; & c’est contre lui qu’on s’élĂšve quand on leur rĂ©siste 29 . Cette lĂ€ge maxime Ă©toit si profondĂ©ment imprimĂ©e dans l’esprit des premiers ChrĂ©tiens , que durant trois cents ans que l’Eglise a eu Ă  souffrir tout ce que la rage des persĂ©cuteurs pouvoir inventer de plus cruel, parmi tant de sĂ©ditions & de guerres civiles , parmi tant de conjurations contre la personne des Empereurs , jamais il ne s’est trouvĂ© un seul ChrĂ©tien qui prit parti contre son lĂ©gitime Souverain. TertulĂŒen , dans son .Apologie, dĂ©fie les plus grands ennemis du Christianisme d’en nommer un seul tant, dit M. Bossuet, la doctrine chrĂ©- s? 6 Omnis anima, poteßatibus fiublimioribus fiubdita fit non cnim yotestas nifi Ă  Dco. Ouie autem fiant , Ă  Dzo ordinata fiant, haejue qui poußiti refijiu , DĂ» ordinationi refijiu. Rom. 1 Z. 4°4 L’ É c o L E tienne inspiroit de vĂ©nĂ©ration pour la Puissance publique ! & tant fut profonde l'impression que fit dans tous les esprits cette parole du Fils de Dieu Rendez Ă  CĂ©sar ce qui esi Ă  CĂ©sar , U Ă  Dieu ce qui est Ă  Dieu. Cette belle distinction porta dans les esprits une lumiĂšre si claire, que jamais les ChrĂ©tiens ne cessĂšrent de respecter l'image de Dieu dans les Princes persĂ©cuteurs de la vĂ©ritĂ©. Si l’on doit honorer & respecter , non- seulement les Princes de la terre, mais aussi leurs Officiers & tous ceux qui les reprĂ©sentent ; Ă  plus forte raison doit-on honorer les Ministres du Roi des Rois , & respecter leur caractĂšre , qui est si auguste, dit saint Chrysostome , qu’il est au - dessus de la pourpre & de la dignitĂ© royale ; parce qu’il donne un pouvoir que les Rois & mĂȘme les Anges n’ont pas. MĂ©diateurs entre Dieu & les hommes ; destinĂ©s Ă  remettre les pĂ©chĂ©s, Ă  offrir le Sacrifice de la Loi nouvelle, Ă  annoncer la parole divine Ă  toutes les crĂ©atures, aux Puissances mĂȘme du monde, ils font les Lieutenans de Dieu, les EnvoyĂ©s du Ciel, & nos peres dans la foi. Le grand saint Athanafe , dans la vie qu’il a Ă©crite de saint Antoine, rapporte que ce Patriarche des CĂ©nobites, qui n’avoit pas mĂȘme la tonsure, vouloir que le moindre Clerc lui fĂ»t des MƓurs. 40s prĂ©fĂ©rĂ©s en toutes choses. Il s’humilioit & baifloit la tĂȘte devant les EvĂȘques & les PrĂȘtres pour leur demander leur bĂ©nĂ©diction. Sulpice Severe , Disciple de saint Martin , rapporte aussi que plusieurs EvĂȘques, qui Ă©toient Ă  Treves, Ă  la Cour de l’Empereur Maxime , cherchant Ă  faire leur cour Ă  ce Prince , avilissoient leur caractĂšre par beaucoup de bassesses & de flatteries ; au lieu que saint Martin conserva toujours une autoritĂ© apostolique; & moins il parut courtisan, plus Maxime conçut d’estime & de vĂ©nĂ©ration pour lui. Cet Empereur l’ayant un jour invitĂ© Ă  sa table, le PrĂȘtre qui accompagnoit saint Martin fut mis Ă  une place honorable , & le saint EvĂȘque fut placĂ© Ă  cĂŽtĂ© de Maxime. Au milieu dn repas, l’Echanson prĂ©senta d’abord, selon la coutume, la coupe Ă  l’Empereur. Ce Prince, plein de respect pour le saint EvĂȘque , voulut qu’on la lui donnĂąt, espĂ©rant la recevoir ensuite de sa main. Mais saint Martin ayant bu, prĂ©senta la coupe Ă  son PrĂȘtre, comme Ă  celui qu’il estimoit le plus digne aprĂšs lui, ne croyant pas devoir prĂ©fĂ©rer l’Empereur mĂȘme Ă  un homme honorĂ© du Sacerdoce de Jesus -Christ. Maxime & toute la Cour admirĂšrent cesffentimens’, & 011 le loua d’avoir fait Ă  la table de l’Em- 4q6 L’ É e o l e pereur mĂȘme ce qu’aucun autre EvĂȘque n’auroit ose taire Ă  la table des moindres Magistrats. L’ImpĂ©ratrice de son cĂŽtĂ© tĂ©moigna encore plus de respect Ă  saint Martin. Car ayant aufĂźi voulu lui donner Ă  manger , elle prĂ©para elle-mĂȘme tout ce qui devoir lui ĂȘtre servi. Elle lui plaça son siege , dressa sa table , y mit son couvert, lui donna Ă  laver , & lui prĂ©senta les viandes qu’elle avait fait cuire elle - mĂȘme tant Ă©toit grande la vĂ©nĂ©ration qu’on avoir alors pour les Ministres du Seigneur. Manquer de respect aux PrĂȘtres, c’est en manquer Ă  Dieu violer leur sacrĂ© caractĂšre en les insultant , ou en les faisant servir de jouets Ă  ses railleries, Ă  ses badinages indĂ©cens, c’est s’exposer Ă  porter la peine de l’impie & du sacrilĂšge , quanS mĂȘme ils auroient la foible & indigne complaisance de le souffrir, d’en rire & d’en badiner eux-mĂȘmes. S’ils oublient ce qu’ils doivent Ă  la dignitĂ© de leur Ă©tat, les autres doivent s’en souvenir. Le mĂ©pris qu’on fait des Oints du Seigneur, retombe fur le Seigneur mĂȘme. C’est s’en prendre Ă  Dieu, c’est mĂ©riter & s’attirer sa juste indignation , ainsi qu’il arriva Ă  ces enfans impies , contre lesquels, dit l’Ecriture, il envoya deux des MƓurs. 407 ours qui en dĂ©vorĂšrent quarante-deux. parce qu’ils avoient oie se moquer du ProphĂšte. MĂ©priser les PrĂȘtres, les Religieux ou les Faiseurs, est ordinairement une marque qu’on n’aime ni Dieu , ni la Religion , ni son devoir. En vain, pour se disculper , allĂ©guera-t-011 que leur conduite n’est pas toujours auffi irrĂ©prochable qu’elle devroit l’ĂȘtre. Leurs fautes ne peuvent excuser ou justifier nos satires non plus que notre conduite, ni rendre la Religion mĂ©prisable , puisqu’elle condamne encore plus sĂ©vĂšrement les dĂ©sordres de ses Ministres que des autres, & qu’elle n’approuve jamais ce qu’elle est quelquefois contrainte de tolĂ©rer. Vouloir qu’ilĂ© soient impeccables & sans dĂ©fauts, c’est vouloir qu’ils ne soient pas hommes. Mais si quelques-uns s’écartent de leur devoir , combien d’autres qui vivent en Saints, en Pasteurs dĂ©sintĂ©ressĂ©s & pleins de zele ! N’y a-t-il pas de l’injustice & de la malignitĂ© Ă  fermer les yeux fur ceux-ci pour ne les ouvrir que fur ceux qui dĂ©shonorent leur caractĂšre par des scandales ? Le monde fait de leurs dĂ©rĂ©glemens ou de leur ignorance le sujet le plus ordinaire & le plus agrĂ©able de ses dĂ©risions & de ses censures. Mais 11’est-ce pas souvent l’ouvrage de son orgueil & de son intĂ©rĂȘt, 4o8 L’ É c o l e qu’il trouve si digne de risĂ©e ? C’est lui. BlĂȘme qui a donnĂ© Ă  l’Eglise ces indignes Ministres, Quel usage veut-on que fassent de ses biens ceux qui n’ont d’autre vocation que le dĂ©sir de les possĂ©der, & peut-ĂȘtre l’achat sacrilege qu’on en a fait pour eux ! Si l’on a des EcclĂ©siastiques scandaleux , de mauvais Pasteurs, c’est qu’on veut les avoir tels, ou qu’on n’en mĂ©rite pas d’autres. Dieu les donne ainsi que les mĂ©chans Princes, dans fa colere, & pour punir les peuples. Il faut les supporter comme des annĂ©es de stĂ©rilitĂ© & de disette, en attendant une meilleure, qui rĂ©pare le malheur & en dĂ©dommage. Enfin les personnes, qui par leur Ăąge font censĂ©es avoir, & ont en effet d’ordinaire , plus de raison, d’expĂ©rience & de sagesse que les jeunes gens, mĂ©ritent suffi leur considĂ©ration & leur respect, Ivl’imitez donc jamais cette impudente jeunesse, qui croyanttout counoĂźtre sans avoir encore rien vu , & tout savoir sans avoir rien appris, prend un air suffisant & vain, un ton tranchant & dĂ©cisif en prĂ©sence des vieillards mĂȘme, ou se plaĂźt Ă  les tourner en ridicule, Ă  les mĂ©priser, Ă  les traiter de sots & de radoteurs. IndĂ©pendamment du mĂ©rite personnel, ayez toujours pour une tĂȘte chenue & des bes Moeurs. 40s des cheveux blancs tous les Ă©gards qui leur font dus, & que vous dĂ©sirerez qu’on ait pour vous, si vous parvenez Ă  cet Ăąge. Ceux mĂȘme qui agissent autrement ne pouront s’empĂȘcher de vous en louer. -Un Vieillard d’AthĂšnes cherchait place au spectacle, & n’en-trou voit point. De jeunes gens le voyant en peine, lui firent signe de loin ; il vint mais ils le ferrĂšrent & fe moquĂšrent de lui. Le bon homme fit ainsi le tour du théùtre, fort embarrassĂ© de fa personne, & toujours huĂ© de la belle jeunesse. Les Ambassadeurs de la ville de LacĂ©dĂ©mone, qui Ă©toient au spectacle , s'en apperqurent » & se levant aussi-tĂŽt, placĂšrent honorablement le Vieillard au milieu d’eux. Cette action fut remarquĂ©e de toute l’as semblĂ©e, & applaudie d’un battement de mains universel. Ce qui fit dire au Vieillard d’un ton de douleur Les AthĂ©niens savent ce qui efl bien , mais les L&ce'de'* moniens le pratiquent . 4io L’ Ê C O L E VIII. Du bien qu'on vous a fait soy*{ reconnaissant. H/A reconnoissance est un devoir, non- seulement Ă  l’égard de nos parens qui font nos premiers & nos plus grands bienfaicteurs aprĂšs Dieu, mais auffi Ă  l’égard de tous ceux qui nous ont fait du bien. On se couvre d’ignominie quand on y manque. Il n’y a point de loi pour punir l’ingratitude les Anciens la met- toient au nombre de ces crimes horribles, dont il falloit laisser la vengeance aux Dieux ils croyoient que les remords qui la. suivent, & la honte qui l’accompagne , en Ă©toient dĂšs cette vie mĂȘme la juste punition. Un Philosophe, que son Ă©colier vouloir rendre ridicule, en lui disant qu’il relsembloit Ă  un vilain animal , qu’il lui nomma, repartit Ă  cet insolent Je ne fais pas ß je ressemble 4L l'animal que vous me nommez j mais je fais bien , If tout le monde en conviendra , que vous ressemblez Ă  un ingrat , qui eß le plus mĂ©prisable & le plus haĂŻssable de tous les animaux. . Cependant l’ingratitude est un vice auffi commun qu’il est dĂ©shonorant. Combien ne voit-on pa$ mĂȘme de ces des MƓurs. 411 serpens odieux qui, aprĂšs avoir reçu les secours & les services les plus signalĂ©s, cherchent Ă  percer le sein qui les a rĂ©chauffĂ©s ! Monstres d’horreur, dignes de toutes les vengeances du Ciel & de toute l’exĂ©cration de la terre ! Aussi leur crime, quand il est connu, ne manque-t-il pas de les leur attirer. L’Empereur Michel Calaphate ayant Ă©tĂ© adoptĂ© & placĂ© fur le trĂŽne par l’ImpĂ©ratrice ZoĂ©, exila cette Princesse quatre mois aprĂšs. Le Peuple irritĂ© d’une fl noire ingratitude, se souleva contre lui on lui creva les yeux, & on le renferma dans un monastĂšre. Le malheur , dit l’Ecriture , ne sortira jamais de la maison de celui qui rend le mal pour le bien i . Il est rapportĂ© dans XHistoire gĂ©nĂ©rale des Voyages , qu’un Roi de Mandoa , ville de l’Indoustan , Ă©tant tombĂ© dans une riviere, il en fut heureusement retirĂ© par un esclave qui s’étoit jetĂ© Ă  la nage & l’avoir saisi par les cheveux. Son premier foin, en revenant Ă  lui, fut de demander le nom de celui qui l’avoir retirĂ© de l’eau. On lui apprit aussi-tĂŽt l’obligation qu’il avoit Ă  l’esclave , dont 011 ne doutoitpas que la t Oui reddit ma 7 i le dĂ©sir de vous obliger paraĂźt avoir Ă©tĂ© le principal motif qui ait portĂ© Ă  vous faire du bien, ne vous bornez pas Ă  une simple reconnoissance. Imitez, si vous le pouvez, ces terres fertiles,qui rendent beaucoup .plus qu’elles n’ont reçu. Faites pour vos hienfaicteurs tout ce qu’ils doivent attendre de l’homme le plus reconnoissant. S’ils viennent Ă  se trouver dans le besoin, profitez des mo- mens, signalez votre zele, & multipliez les marques de votre reconnoissance. Le Cardinal V/olscy , Ministre & des MƓurs. 4x9 favori de Henri VIII Roi d’Angleterre, Ă©tant tombĂ© dans la disgrĂące de son mai- tre, se vit tout d’un coup, comme il arrive d’ordinaire, mĂ©prisĂ© des Grands Si haĂŻ du peuple. Fits Williams, un de ses protĂ©gĂ©s, fut le seul qui osa dĂ©fendre sa cause Si faire l’éloge des talens & des grandes qualitĂ©s du Ministre disgraciĂ©. Il fit plus , il offrit sa maison de campagne Ă  Wolsey, & le conjura d’y venir du moins palier un jour. Le Cardinal, sensible Ă  ce zele, alla chez Fies Williams, qui reçut son maĂźtre avec les marques les plus distinguĂ©es de respect & de re- connoiffance. Le Roi instruit de l’accueil que ce Particulier n’avoit pas craint de faire Ă  un homme qui avoit encouru fa disgrĂące, fit venir Williams. Il lui demanda d’un air & d’un ton irritĂ©, par quels motifs il avoit eu l’audace de recevoir chez lui le Cardinal accusĂ© ,& dĂ©clarĂ© coupable de haute trahison. Sire, rĂ©pondit Williams, je fuis pĂ©nĂ©trĂ© pour Votre MajestĂ© de la fourmilion la plus respectueuse. Je ne suis ni mauvais citoyen ni sujet infidelle. Ce n’est ni le Ministre disgraciĂ© ni le criminel d’Etat que j’ai reçu chez moi, c’est mon ancien & respectable maĂźtre, mon protecteur, celui qui m’a donnĂ© du pain, & de qui je tiens la fortune & la tranquillitĂ© dont je jouis. Et je l’aurois abandonnĂ© dans 420 L’É C O L Ăź son malheur, ce maĂźtre gĂ©nĂ©reux, ce magnifique bienfaicteur ! Ah ! Sire, j’euiĂźe Ă©tĂ© le plus ingrat des hommes. Surpris & plein d’admiration, le Roi conçut dĂšs cet instant la plus haute estime pour le gĂ©nĂ©reux 'Williams. Il le fĂźt Chevalier fur le champ, & peu de temps aprĂšs il le nomma son Conseiller-PrivĂ©. Pour le Cardinal Wolsey, le Roi ordonna qu’il fĂ»t amenĂ© dans la Tour de Londres. Il mourut en chemin Ă  l’ñge de soixante ans. Il dit, un peu avant fa mort, ces belles paroles HĂ©las ! ß savais servi le Roi du Ciel avec la mĂȘme fidĂ©litĂ© que j ai servi le Roi mon maĂźtre sur la terre , il ne m’abandonnerait point ne me traitcroit pas dans ma vieillesse comme mon Prince le sait aujourd’hui. Quelque honteuse que soit l’ingratitude, elle semble ĂȘtre un vice attachĂ© Ă  la condition & Ă  la fortune des Grands , parce qu’ils croient que tout leur est dĂ». La reconnoissance se trouve encore plus rarement dans ces cƓurs vils, dont le principal mobile est l’intĂ©rĂȘt. Mais dans les Ăąmes nobles & gĂ©nĂ©reuses, elle fait Ă©clater les sentimens les plus sublimes & produit les actions les plus hĂ©roĂŻques. Le Chevalier de Forbin, cĂ©lĂ©brĂ© Capitaine de mer fous le regne de Louis XIV, & qui nous a laissĂ© des MĂ©moires trĂšs- curieux, rapporte que Louis XIV ayant des MƓurs. 421 chargĂ© DuquĂšne de bombarder la ville d’Alger, ces Corsaires dĂ©sespĂ©rĂ©s de ne pouvoir Ă©loigner de leurs cĂŽtes la flotte ennemie qui les foudroyoit, prirent, pour s’en venger, l’horrible rĂ©solution d’attacher Ă  la bouche de leurs canons des esclaves François, dont les membres Ă©toient portĂ©s fur les vaisseaux des assiĂ©- geans. Un Capitaine AlgĂ©rien, qui avoir Ă©tĂ© pris dans ses courses, & trĂšs-bien traitĂ© par les François tout le temps qu’il avoir Ă©tĂ© prisonnier, reconnut, parmi ceux qui ail oient subir le sort affreux que la rage avoir inventĂ©, un Officier dont il avoir Ă©prouvĂ© les attentions les plus marquĂ©es. A l’instant il prie, il sollicite, il presse pour obtenir la conservation de son biensaideur. Tout fut inutile. On alloit mettre le feu au canon oĂč l’Officier François Ă©toit attachĂ©. L’AlgĂ©rien se jette auffi-tĂŽt sur lui, l’embrasse Ă©troitement, & adressant la parole au Canonnier , lui dit Tire. Puisque je ne puis sauver mon hienfaiĂącur, j'aurai du moins la consolation de mourir avec lui. Le Dey qui Ă©toit prĂ©sent Ă  cette scene touchante, en fut si frappĂ©, qu’il accorda la grĂące de l’Officier. L’ É C O L E 42L z7z* faisant. Qui doute que le premier devoir de l’homme en sociĂ©tĂ© ne soit d’avoir de la gĂ©nĂ©rositĂ©, de l’humanitĂ© , de la bienfaisance? Ces trois vertus font sƓurs, & nous portent Ă©galement Ă  faire du bien Ă  nos semblables. Mais il est Ă  propos de les considĂ©rer ici chacune en particulier, & de rĂ©veiller par des exemples frap- pans cette sensibilitĂ© pour les autres hommes, que la nature a mise en nous. La vue ou le rĂ©cit des actions vertueuses conduit Ă  la vertu par le chemin le plus court elles enflamment le courage, & excitent Ă  les imiter. Puissent les beaux traits que nous mĂȘlerons Ă  nos rĂ©flexions, produire cet heureux effet, & engager ceux qui les liront Ă  en ĂȘtre les imitateurs ! Le plaisir qu’ils goĂ»teront Ă  bien faste, augmentera & fortifiera en eux le dĂ©sir de faire encore mieux. La douce satisfaction que Dieu a attachĂ©e Ă  la pratique de la vertu, & qui en est dĂ©jĂ , dĂšs cette vie mĂȘme, la rĂ©compense, sans rien diminuer de celle qui est rĂ©servĂ©e dans l’autre, en rendra l’exercice plus agrĂ©able & plus facile. Aufli l’homme bienfaisant est-il ordinairement gai, parce que les sentimens de gĂ©nĂ©rositĂ© & de des MƓurs. 425 bienveillance Ă©chauffent famĂ©, & la remplissent d’une joie pure, qui est bien au-deisus de fivrelfe des passions. GĂ©nĂ©reux. La gĂ©nĂ©rositĂ© Ă©leve en quelque forte l’homme au- dessus de lui-mĂȘme, puisqu’elle lui fait prĂ©fĂ©rer les intĂ©rĂȘts des autres Ă  son propre avantage. DanĂšs , EvĂȘque de La vaut en Languedoc, fut dĂ©putĂ© Ă  Paris par le ClergĂ© de fa Province. On voulut lui assigner pour les frais de ce voyage mille livres, somme allez considĂ©rable en ce temps-lĂ . Il les refusa. Le revenu dĂ©mon EvĂȘchĂ© , dit-il, me suffit. La moindre chose que je puisse faire pour mon Esse U pour les Eglises voisines , c est dĂ© entreprendre quelques voyages pour leur rendre service. Elles soufrent assez par les malheurs des temps & par la vexation des HĂ©rĂ©tiques . Rien n’égaloit la gĂ©nĂ©rositĂ© de Sixte- Quint , lorsqu’il s’agilfoit de soulager la misere du peuple mais s’élevant au- dessus du faite, & sacrifiant l’appareil de la grandeur personnelle aux intĂ©rĂȘts des malheureux , ilĂ©toitsi mĂ©nager pour fa personne , qu’il portoit des chemises usĂ©es, & l’on Ă©toit souvent obligĂ© d’y mettre des piĂšces. Camille lui ayant un jour reprĂ©sentĂ© qu’il Ă©toit honteux Ă  un Souverain Pontife de porter de mĂ©chant linge, il lui rĂ©pondit en riant ; Notrs 424 L’ É C O L E Ă©lĂ©vation , ma sƓur , ne doit pas nous faire oublier le lieu d'oĂč nous sommes sortis / ex p/eccj ĂȘ? les lambeaux font les premiĂšres armes de notre maison. La libĂ©ralitĂ© consiste moins Ă  donner beaucoup, qu’à donnera propos. Celle qui a pour objet de soulager ceux qui sont dans le besoin, est sans doute la plus louable, quoiqu’elle ne soit pas toujours la plus Ă©clatante. Sous le regne de Henri III Roi de France, un Juif trĂšs-riche Ă©tant mort fans laitier d’hĂ©ritiers, ce Prince fit prĂ©sent de vingt-cinq mille Ă©cus de cette aubaine Ă  Geofioi Camus de PontcarrĂ©. Ce gĂ©nĂ©reux Citoyen les distribua austĂź-tĂŽt Ă  trois NĂ©gociais associĂ©s, qu’un incendievenoit de ruiner. Ce qu’on nomme libĂ©ralitĂ©, n’est souvent que la vanitĂ© de donner, que nous aimons mieux que ce que nous donnons, Une personne vraiment gĂ©nĂ©reuse ne l’est point par ostentation, mais par grandeur d’aine. Le Cardinal Ă 'Est avoit un jour invitĂ© le Cardinal de xMĂ©dicis Ă  souper chez lui. AprĂšs le repas, ils se mirent Ă  jouer. Il s’agissoit Ă  la fin d’une somme de dix mille Ă©cus. Le Cardinal d’Est eut les cartes favorables, mais il les jeta comme s’il avoit eu mauvais jeu, La partie finie, un gentilhomme de fa fuite lui reprĂ©senta que le Cardinal Ă  des MƓurs. ' 42s Medicis avoit perdu. Je le savois bien , rĂ©pondit-il; mais je ne l’avois pas invitĂ© chez moi pour lui gagner son argent. Aimer Ă  donner, c’est la marque d’un bon cƓur & d’une ame noble. Un grand, cƓur, disoit un Roi de Perse, reçoit de petits prĂ©sens d'une main , ĂŒ? en fait de grands de l'autre. M. de Turenne aimoit Ă  donner. Cette vertu qui n’est pas celle de la vieillesse, Ă©toit en lui si naturelle, que dans les dernieres annĂ©es de sa vie il rĂ©pandoit l’argent avec plus de facilitĂ© qu’il n’avoir jamais fait. Un jour quelqu’un de ses amis s’entretenant avec lui fur les richesses, M. de Turenne lui dit Je n’ai jamais pu comprendre le plaisir qu’on peut avoir Ă  garder des cotises plein d’or & d’argent. Pour moi, si Ă  la fin de l’annĂ©e il me restoit des sommes considĂ©rables, je croirais que cela me ferait mal au cƓur, comme si sortant d’un festin, on mefervoit encore un grand repas. On doit aimer Ă  donner, mais il faut le faire avec prudence & consulter ses moyens. Une personne qu’il faudrait renfermer de bonne heure, c’est celle qui a le cƓur d’un Roi & la fortune d’un particulier. Il est beau d’ùtre gĂ©nĂ©reux, mais il n’est pas permis d’ùtre prodigue on ne doit employer Ă  la gĂ©nĂ©ralitĂ© que ce dont on peut raisonnablement se passer. Quand 416 L’ É C O L E on a tout donnĂ©, il ne reste que la honte d’avoir manquĂ© de sagesse , & d’avoir souvent fait bien des ingrats. C’est ce que fit sentir un jour un ami fidelle Ă  un homme de condition & trĂšs - riche, qui avoit le dĂ©faut d’ouvrir sa bourse indiffĂ©remment Ă  tous ceux qui prenoient auprĂšs de lui le nom d’amis. On peut juger que son argent comptant s’évanouit bientĂŽt. Pour le dĂ©sabuser & prĂ©venir la ruine qui le menaçoit, son ami supposa qu’il avoit un besoin extrĂȘme de deux cents pistoles. Le Gentilhomme gĂ©nĂ©reux offrit aufii-tĂŽtses services pour lui procurer cette somme. 11 fit sa ronde ‱chez tous ses amis de cour, Ă  qui il avoit ‱ouvert fa bourse. AprĂšs avoir couru toute une matinĂ©e, il ne rapporta que quatre pistoles. Il travailla le soir sur nouveaux frais, mais sa course fut encore plus ingrate. En vain il s’épuisa tout le lendemain , il n’eut pour toute rĂ©colte de ces deux journĂ©es que neuf ou dix pistoles. Ses amis aussi glacĂ©s que fertiles en dĂ©faites, le rĂ©duisirent Ă  la honte de ne pouvoir tenir parole. Il vint l’annoncer Ă  l’ami pour lequel il s’étoit employĂ©, & lui exprima obligeamment sa douleur. Mais cet ami lui dit Bannissez votre inquiĂ©tude. Je ne suis point en dĂ©faut d'argent , & je n’en ai aucun besoin. J'ai eu recours Ă  cette feinte , pour des MƓurs. 427 vous dejßlhr les yeux U vous convaincre par votre propre expĂ©rience , que vous ne ~ devez pas donner fi facilement votre argent ‱à tout le monde. Ce dĂ©faut n’étoit pas celui de Chapelain , fameux Auteur du poĂ«me de la Pucelle. Du Perrier , Gentilhomme Provençal, connu par ses excellentes poĂ©sies latines, se trouvant un jour dans le besoin , s’adressa Ă  Chapelain. Celui-ci crut lui faire une grande libĂ©ralitĂ©, en lui donnant un Ă©cu. AprĂšs avoir fait cet effort de gĂ©nĂ©rositĂ© , il disoit Nous devons secourir nos amis dans leurs nĂ© ces fitĂ©s , nous ne devons pas contribuer Ă  leur luxe. L’avare qui craint un Ă©cueil, se jette contre un autre il ne donne rien, de peur de s’appauvrir ou d’ĂȘtre payĂ© d’ingratitude , & il ne faut pas s’en Ă©tonner comment pouroit ĂȘtre bon pour les autres celui qui ne l’est pas pour lui-mĂȘme 2 ? S’il lui arrive quelquefois d’ĂȘtre forcĂ© par les circonstances Ă  ĂȘtre libĂ©ral, que de regrets ne lui coĂ»te pas fa fausse gĂ©nĂ©rositĂ© ! combien de fois ne se la reproche- t-il pas en secret ! Souvent mĂȘme son avarice ne peut se dĂ©guiser; elle se dĂ©cele par quelques traits de mesquinerie , qui I Quifibincquamest , cuialii bonus crit? N~-'- 428 L’ÉcolĂš lui Ă©chappent, & qui lui ĂŽtent tout Ăźe mĂ©rite de sa libĂ©ralitĂ©. Sa rĂ©putation mĂȘme dĂ©pose contre lui. L’AbbĂ© Regnier, SecrĂ©taire de l’AcadĂ©mie Françoise , y faisoit un jour dans son chapeau la collecte d’une pistole, qu’on avoit invitĂ© chaque membre Ă  fournir pour quelque dĂ©pense commune. Cet AbbĂ© ne s’étant pas apperçu que le PrĂ©sident Roses, qui passoit pour ĂȘtre fort avare, eĂ»t mis dans le chapeau, il le lui prĂ©senta une seconds fois. Celui-ci, comme on s’y attend bien, assura qu’il avoit donnĂ©. Je le crois, dit l’AbbĂ© Regnier , mais je ne l’ai point vu. Et moi, ajouta JVI. de Fontenelle, qui Ă©toit Ă  cĂŽtĂ© ,je l’ai vu , mais je ne le crois pas , Ne vous donnez jamais une rĂ©putation si ridicule vingt traits de libĂ©ralitĂ© n’ef- faceroient pas la tache d’un seul trait d’avarice. Soyez gĂ©nĂ©reux dans toutes les occasions oĂč il convient de l’ĂȘtre. Mais souvenez - vous que ce ne doit jamais ĂȘtre au prĂ©judice de qui que ce soit. La gĂ©nĂ©rositĂ© cesse d’ĂȘtre vertu , dĂšs qu’elle n’a pas la justice pour compagne. La rĂ©ponse que fit un jour le Roi de PrĂŒfe actuellement rĂ©gnant, est digne de tous les Ă©loges. Lorsqu’il n’étoit encore que Prince-Royal, il avoit comblĂ© de prĂ©sens une Actrice cĂ©lĂ©brĂ©. Etant devenu Roi, il la rĂ©compensa beaucoup des MƓurs. 42s Moins. Cette Actrice ayant ofĂ© s’en plaindre Ă  lui- mĂȘme, il lui rĂ©pondit Autrefois Je dcnnois mon argent , aujoui d’hui je donne celui de mes sujets. La gĂ©nĂ©rositĂ© , ainsi que toutes les autres vertus, a ses rĂ©glĂ©s, que nous devons observer avec soin. Celles que donne CicĂ©ron, dans son beau TraitĂ© des Offices ou des Devoirs, font pleines de sagesse. Rien n’est plus conforme Ă  la nature de l’homme, nous dit-il, qu’une inclination bienfaisante & libĂ©rale mais elle demande beaucoup de prĂ©cautions. Elle ne doit ĂȘtre nuisible ni Ă  ceux auxquels nous voulons faire du bien, parce que ce seroit plutĂŽt leur faire du mal, ni aux autres, parce qu’elle seroit injuste & qu’il n’y a point de vraie gĂ©nĂ©rositĂ© sans justice. Elle doit ausix ĂȘtre proportionnĂ©e Ă  nos moyens. Ceux qui veulent ĂȘtre plus gĂ©nĂ©reux que leur bien ne le permet, ou font cruels Ă  eux-mĂȘmes, en s’îtant ce qui est nĂ©cessaire Ă  l’entretien de la vie, OU se rendent coupables d’injustice Ă  l’égard de leur famille, en faisant passer Ă  des Ă©trangers ce qu’il 'seroit plus Ă©quitable de donner ou de laisser Ă  leurs proches. Enfin, continue le judicieux Moraliste que nous abrĂ©geons, notre gĂ©nĂ©rositĂ© 4p L’ É e o l e doit ĂȘtre rĂ©glĂ©e sur le mĂ©rite. Ainsi dans ses bienfaits il faut prĂ©fĂ©rer les gens de bien, & en exclure les mĂ©dians, car ceux-ci en font indignes. Pour entretenir parfaitement la sociĂ©tĂ© qui unit les hommes , on doit aussi donner la prĂ©fĂ©rence Ă  ses parens, Ă  ses amis, Ă  ses concitoyens, & fur-tout Ă  ses bienfaicteurs, car il n’y a point de devoir plus indispensable que la reconnoiisance. Mais soit qu’il s’agisse de prĂ©venir quelqu’un ou de rendre un bienfait, nous devons, si tout est Ă©gal d’ailleurs, prĂ©fĂ©rer celui dont le besoin est le plus grand. Donnez volontiers, & recevez difficilement, si vous pouvez vous en passer il vaut mieux engager les autres Ă  la reconnoissance, que de leur en devoir. Il y a des gens qui donnent peu, & qui attendent beaucoup. Si votre reconnoissance ne rĂ©pond pas Ă  l’idĂ©e qu’ils ont conque des obligations que vous leur avez , ils s’en plaignent hautement, parlent Ă  tout le monde de votre ingratitude, vous en font souvent des reproches Ă  vous-mĂȘme, A font quelquefois acheter bien cher ce qu’ils ont donnĂ©. Ne recevez que le moins que vous pouvez de ces sortes de personnes, & jamais de celles qui n’offrent que par cĂ©rĂ©monie ou par politesse. Un Gentilhomme Napolitain faisoit voir une belle montre Ă  un des MƓurs. 431 Gentilhomme François. Celui-ci la trou, ve admirable. Aussi-tĂŽt le Napolitain, en homme poli, la lui offre par honnĂȘtetĂ©. Le François l’accepte. L’autre qui ne s’y attendoit pas , lui dit, Ah! que faites- vous , Monsieur ? vous allez bannir du monde la politesse. _ —p. Humain. L’humanitĂ© nous porte Ă  regarder tous les hommes comme nos freres , & Ă  leur faire le plus de bien que nous pouvons, quand ils ont besoin de nous. Cette aimable vertu est fondĂ©e fur la nature, qui nous incline Ă  nous intĂ©resser en faveur de nos semblables. 11 suffit qu’une personne paroisse Ă©mue & affligĂ©e, pour noiis Ă©mouvoir & nous attendrir en fa faveur. Les larmes d’un inconnu nous touchent, avant mĂȘme que nous en sachions la cause ; & les cris d’un homme qui ne tient Ă  nous que par l’humanitĂ©, nous font courir Ă  son secours par un mouvement naturel qui prĂ©cĂ©dĂ© toute dĂ©libĂ©ration. Un cƓur humain est en quelque forte plus touchĂ© du mal d’autrui que du sien propre. AprĂšs la bataille de Dettingen, un Mousquetaire François dangereusement blessĂ©, avoit Ă©tĂ© portĂ© prĂšs de la tente du Duc de Cumberland fils du Roi d’Angleterre. On manquent de Chirur- 4?Ăź L’ É c o l Ăź giens dans ce moment , parce qu’ils Ă©taient fort occupĂ©s ailleurs ; & l’on alloit panser le Prince, Ă  qui une balle avoit percĂ© les chairs de la jambe. Commencez , dit-il , par soulager cet Officier François, U eji plus blejjĂ© que moi il manquerait de secours , je rien manquerai pas,, Cette belle action ne fit pas moins d’honneur Ă  ce jeune Prince , que la victoire qu’il venoit de remporter. Cette sensibilitĂ© , cette pitiĂ© que nous Ă©prouvons Ă  la vue des malheureux, n’est pas une honteuse foiblesse ,, comme l’a prĂ©tendu la farouche Ecole du Portique ; . C’est au contraire un sentiment qui fait honneur Ă  l’humanitĂ© il est l’apanage des cƓurs bien faits, & une des plus fortes preuves que le monde est gouvernĂ© par une Sagesse souveraine, qui sait conduire tout Ă  ses fins. Ayant destinĂ© les hommes Ă  vivre dans une sociĂ©tĂ© , oĂč il y auroit nĂ©cessairement des affligĂ©s & des misĂ©rables , le CrĂ©ateur, toujours attentif aux besoins de ses en- faits, a imprimĂ© dans nous le sentiment de 3 Les StoĂŻciens regardoient la pitiĂ© comme vire fbiblcfle mais il faut avouer que cette doctrine elle- mĂȘme fait pitiĂ©, & que cĂŽtoient fur ce point de pauvres Philosophes, quoiqu’ils fusseut d’ailleurs les plus sensĂ©s, ou, li l’on veut, les moins dĂ©raison» suçbdcs des anciens Puilosophes, des MƓurs. 4;; de la pitiĂ©, qui nous fait Ă©prouver une vive douleur Ă  la vue du malheur d’autrui, & qui nous engage Ă  le soulager pour nous soulager nous-mĂȘmes. En voici un bel exemple. Peu de temps aprĂšs la bataille de F011- tenoy, gagnĂ©e par les François en 174s, le MinistĂšre Anglois rĂ©solut d’envoyer Ă  l’armĂ©e des AlliĂ©s un renfort considĂ©rable de troupes tirĂ©es de celles qui Ă©toient restĂ©es en Angleterre. Il y eut un corps de celle-ci, qui eut ordre de se rendre dans le parc de Saint-James ; pour que les Officiers fissent le choix des meilleurs sujets qui le composoient. Parmi les spectateurs , il se trouva une jeune personne de seize ans, qui, vĂȘtue en paysanne, intĂ©ressoit tout le monde par l’air triste & inquiet qu’on remarquoit en elle. C’étoit la femme d’un des soldats dont on alloit dĂ©cider le fort. Il Ă©toit le fils d’un riche Fermier. Son pere avoir fait tout son poffible pour obtenir son dĂ©gagement mais comme il Ă©toit bien fait » fort & vigoureux, son Capitaine avoit refusĂ© toutes les offres qu’on lui avoit faites. Auffi-tĂŽt qu’il fut nommĂ© pour ĂȘtre un de ceux qui dĂ©voient passer la mer, la jeune femme fondit en larmes, se trouva mal, & dĂšs qu’elle fut revenue, elle alla se jeter aux genoux du Caph taine de son mari. Tout le monde pleu- Tome I. T 4?4 L’École roit le Capitaine seul Ă©toit ferme. HĂ© bien, dit la malheureuse femme, je le suivrai, je partagerai avec lui tous les pĂ©rils auxquels il fera exposĂ©. En disant cela, elle embrafloit son mari, & cou- vroit son visage de ses larmes. Tout-Ă - coup un jeune homme se prĂ©sente Ă  l’Officier Monsieur , lui dit-il, ces jeunes gens s'aiment , ils font heureux , la femme ejl enceinte moi je nai ni femme, ni pere , ni enfans , recevez - moi en la place de cet infortunĂ© jeune homme. Je fuis fort b vigoureux , £‱? en Ă©tat de supporter comme lui les fatigues de la guerre. Avez- vous du goĂ»t pour le service, lui demanda l’Officier ? Aucun , rĂ©pondit le jeune homme; U la plus grande rĂ©compense ne pouroit mĂȘme pas me dĂ©terminer Ă  prendre le parti des armes. Je nai d’autre motif que de rendre service Ă  ce malheureux soldat. L’Officier Ă©tonnĂ© & attendri lui accorda sa demande, fit son engagement, & Ă©crivit le congĂ© du soldat qui Ă  son tour refusa de le recevoir. Il ne fallut pas moins, pour le dĂ©terminer Ă  ce qu’on exigeoitde lui, que l’assu- rance positive que lui donna l’Officier qu’il n’étoit plus soldat, & l’ordre qu’il lui intima de quitter Ă  l’heure mĂȘme son habit & ses armes, & de les remettre Ă  celui qui avoit pris fa place. Alphonse - le - Grand , Roi d’Aragon » bes MƓurs. 4?f donna auiĂźl un exemple, bien admirable dans un Prince, delĂ  sensibilitĂ© compatissante qu’excite la vue des malheureux. Une galere chargĂ©e de soldats & de matelots alloit pĂ©rir. Il commanda qu’on les secourĂ»t. Mais voyant que le pĂ©ril em- pĂȘchoit qu’on n’exĂ©cutĂąt ses ordres, il se mit lui-mĂȘme dans une chaloupe pour voler Ă  leur secours. Il dit Ă  ceux qui lui reprĂ©sentoientle danger auquel il s’exposait J'aime mieux ĂȘtre le compagnon que le speĂąateur de leur mort. On demande quelquefois fi c’est un bonheur d’ĂȘtre nĂ© sensible il vaudroit autant demander si c’en est un d’ĂȘtre nĂ© homme. La sensibilitĂ© naturelle, il est vrai, si elle se porte vers des objets dĂ©rĂ©glĂ©s, si elle se change en amour-propre ou en fol amour , peut devenir pour les autres & pour nous-mĂȘmes un grand mal & la source du malheur ; mais elle peut auffi devenir un grand bien & contribuer Ă  notre bonheur, si nous la rendons l’organe de l’amitiĂ©, de la recon- noissance, de la bienveillance, de l’humanitĂ© ; & c’est Ă  quoi il faut particuliĂ©rement s’appliquer dans l’éducation, en Ă©levant l’enfant de maniĂšre qu’il s’occupe plus des autres que de lui-mĂȘme. Si au contraire on paroĂźt trop s’occuper de lui, si on l’accoutume Ă  s’occuper plus de lui-mĂȘme que des autres, il fera dur ; 4? 468 L’ É c o l E railleries arriĂ©rĂ©s ou de mauvaises façons; c’est vouloir se faire des ennemis & ^s’exposer Ă  entendre quelquefois des vĂ©ritĂ©s dĂ©sagrĂ©ables. AprĂšs la mort du Pensionnaire Barnevelt , ses enfans firent une conspiration contre le Prince d’Orange, pour venger leur pere qu’il avoir fait mourir 'injustement. L’aĂźnĂ© fut pris & convaincu. Madame Barnevelt demande audience Ă  ce Prince, & le prie de lui accorder la grĂące de son fils. Il la lui refusa d’une maniĂ©rĂ© assez insultante , en lui disant qu’il Ă©toit surpris de la voir demander grĂące pour son fils, elle qui ne l’a voit point demandĂ©e pour son mari. Cette Dame piquĂ©e de ce reproche, lui rĂ©pondit avec beaucoup de noblesse & de fiertĂ© Je n'ai pas demandĂ© la grĂące de mon Ă©poux, parce qu'il Ă©toit innocent mais je demande celle de mon fils , parce qu'il esi coupable. Et elle se retira. Ceux qui sont dans le cas d’accorder beaucoup, se trouvent aussi dans la nĂ©cessitĂ© de refuser souvent. Mais une parole honnĂȘte & polie est une grĂące , dont ils ne doivent pas ĂȘtre si avares, puisqu’ils font toujours les maĂźtres de l’accorder. Louis XIV y manquoit rarement; & si ses refus avoient eu quelque chose de dĂ©sagrĂ©able , il savoir mieux que personne le rĂ©parer , comme il fit Ă  l’egard de Madame de Maintenon. On des MƓurs. 46H fait que cette Dame, dont le mĂ©rite Ă©toit Ă©gal Ă  la beautĂ©, se trouvant pauvre & sans ressource, fut mariĂ©e au PoĂ«te Scarron , si cĂ©lĂ©brĂ© dans le dernier siede par son esprit aussi grotesque que sa figure. AprĂšs la mort de ce PoĂ«te , dont le principal bien Ă©toit une pension de deux mille livres qu’il tiroit de la Cour, elle employa tous ses amis & toutes ses protections pour obtenir que la pension lui fĂ»t continuĂ©e ; mais ce fut inutilement. Le Roi fut mĂȘme si rebutĂ© du grand nombre de placets qu’on lui prĂ©senta Ă  ce sujet, qu’il dit Entendrai-je toujours parler de la veuve Scarron ? Quelque temps aprĂšs , elle plut Ă  Madame de Montespan , par un compliment flatteur qu’elle lui fit, lorsque sur le point de partir pour le Portugal, elle lui dit qu’elle n’avoit pas voulu quitter la France sans en avoir vu la merveille. Madame de Montespan l’engagea Ă  rester ; & ayant appris d’elle le triste Ă©tat de ses affaires , elle lui demanda un nouveau placer, qu’elle se chargea de prĂ©senter au Roi. Lorsqu’elle prĂ©senta ce placer Qiioi , s’écria le Roi, encore la veuve Scarron ! Sire, lui dit Madame de Montespan, il y a long-temps que vous ne devriez plus en entendre parler il est Ă©tonnant que Votre MajestĂ© n>’ait pas encore Ă©coutĂ© une femme, dont les an- 470 L’École des MƓurs. cĂȘtres se sont ruinĂ©s au service des vĂŽtres. La pension fut accordĂ©e. Madame Scarron alla remercier fa bienfaictrice, qui fut si charmĂ©e des grĂąces de sa conversation , qu’elle la prĂ©senta au Roi. Ce Monarque , qui Ă  beaucoup d’esprit joignoit beaucoup de politesse , & qui, comme on l’a dĂ©jĂ  vu , savoit tourner un compliment gracieux , lui dit Madame , je vous ai fait attendre longtemps j mais vous avez tant d'amis , que j’ai voulu avoir seul ce mĂ©rite auprĂšs de vous. Fin du premier Volume. 47i table DES MAXIMES Contenues dans le premier Volu me. IrrĂ©flexions prĂ©liminaires fur l’Edu- . cation , pag. i De s Education physique , % ~ ' io I. La Raison, La Religion , ibid. IL 14 III. Le C,araciere , 22 IV. Les MƓurs , 41 V. V AutoritĂ© & lerefpecf, 48 VI. Les Punitions , 5? VII. Les Sentimens , 65 VIII. Les temps E-? la maniĂ©rĂ© d'instruire, 74 IX. Modele d’Education, 89 Du PrĂ©cepteur ou Gouverneur , 98 Des Exercices propres Ă  perfectionner V Education , 112 Les Maximes de ĂŻhonntte-homme ou de la Sagesse , IL! I. Craignez un Dieu vengeur U tout ce qui le hieße , . 12/ II. Ne plaisantez jamais ni de Dieu ni des Saints, isj III. Qiie votre piĂ©tĂ© soit sincere Es? solide , 172 TABLE. Et qu’à tous vos discours la vĂ©ritĂ© prĂ©side, IV. Tenez votre parole inviolablemcnt , Mais ne la donnez pas inconsidĂ©- rĂ©ment , 21? V. Soyez officieux, 216. Complai- feint, 22/. Doux, 250. affable, 244. Poli, 2/1. D'humeur Ă©gale, 274. Et vous ferez aimable , 278 VI. Du pauvre qui vous doit , ri augmentez point les maux, 288 Payez Ă  l'ouvrier le prix de ses travaux , 29L VII. Bon pere , 501. Bon epoux, 514 Bon maĂźtre, fans faiblesse, ? /? Honorez’vos parens, fur-tout dans leur vieillesse, 578 VIII. Du bien qu’on vous a fait , soyez reconnaissant, 410 Montrez-vous gĂ©nĂ©reux , 422. Humain, 451. Et biensaifant, 448 IX. Donnez de bonne grĂące une belle maniĂšre ajoute un nouveau prix au prĂ©sent qu'on veut faire, 46; Fin de la Table du premier Volume. MM O wagt l\- >';* * wi &.&‱ , v- . A>'. — Aa* ' ECOLE DES ƒ r R S ->>-Ăź S G » fv , "’Æÿ ..T ‱*' , J ‱ ;' .O, L É C O L E DES M&URS. » = - jq &i g. -y . TOME SECOND. _ i L'ÉCO I E DES. MƒURS , O U RÉFLEXIONS MORALES ET HISTORIHUES SUR LES MAXIMES DE LA SAGESSE. Ouvrage utile aux jeunes gens & aux autres personnes, pour se bien conduire dans le monde. NOUVELLE ÉDITION, Revue & corrigĂ©e avecfoin , gf augmentĂ©e de plusieurs nouveaux traits dHistoire. Par M. l’AbbĂ© BLANCHARD, Chanoine d’Avenay. TOME SECOND. mmiii'l MM A L Y O 2V, Chez BRUYSET FRERES, M. DCC LXXXVIII. Avec Approbation es? PrivilĂšge du Roi. / iBiUMLE^SlS DES ME UR S , O U RÉFLEXIONS MORALES ET HISTORIQUES suu LES MAXIMES DE L’HONNÊTE HOMME. X. Rappelz rarement un service rendu. Le bienfait qu'on reproche est un bienfait perdu. ÉJne ame gĂ©nĂ©reuse ne perd jamais la mĂ©moire des biens qu’elle a reçus , mais elle oublie ceux qu’elle a faits. Ce qu’elle se croit sur-tout interdit, c’est d’y penser pour en faire des reproches, Tome IL A 2 L’ É C O L E ou pour ies rappeler mĂȘme Ă  la personne qu’elle a obligĂ©e, Elle croiroit en perdre le mĂ©rite & la gloire , li elle les temet- ‱ toit fous les yeux d’un ami ce souvenir n’est honorable L ne convient qu’à lui. S’il est plus doux de faire du bien Ă  ceux qui en auront de la reconnoiifance, il y a plus de vertu & de grandeur d’atne Ă  en faire Ă  ceux de qui l’on n’attend rien. La rĂ©compense de l’homme bienfaisant est dans son cƓur. Il n’est jamais la dupe d’un ingrat, parce qu’il lerem! toujours le tĂ©moignage d’avoir fait son devoir, d’avoir pratiquĂ© une vertu. D’ailleurs, s’il a obligĂ© fans espoir de retour de la part des hommes, il n’a pas renoncĂ© au prix que le Ciel a bien voulu attacher Ă  la bienfaisance i. LĂ©opold , Duc de Lorraine, avoir comblĂ© de bienfaits une personne qui fut ingrate. On en parla au Prince, qui rĂ©pondit Je ne dois pas me plaindre de son ingratitude, puisque je ne l'ai obligĂ©e que pour moi. En secourant les malheureux, que ce {bit le dĂ©sir de soulager nos semblables Ci Le dĂ©sintĂ©ressement prĂ©tendu n^ble 8c hĂ©roĂŻque que vantent nos Phjlofophes , & qui exclut la vue mĂȘme des rĂ©compenses divines pour prix de nos bienfaits, servit une pitoyable ÂŁ lie. La raison ne peut approuver qu'on oblige Ă  pure perte ; & le regret d'avoir perdu un bienfait seroit juste, s’il Ă©coit vraiment perdu pour l’autre vie autant que pour celIe*cL des MƓurs- 5 qui nous y engage, & d’autres vues plus grandes encore qu’inspire la religion. Citie le vil motif de l’intĂ©rĂȘt ni l’espĂ©rance mĂȘme de la gratitude , ne soient pas ce qui nous dĂ©termine nous ferions Ăźouvent trompĂ©s dans notre attente. Songeons Ă  bien frire, plaçons nos bienfaits le mieux qu’il nous fera passible, & lais, sons Ă  ceux que nous avons obligĂ©s le foin de la reconnoÜfance. Ne comptons pas mĂȘme beaucoup lĂ -deifus le monde est plein d’ingrats. Mais, comme dit fort bien LaBruyere, il vaut mieux s’exposer Ă  Pin . gratitude , que de manquer aux misĂ©rables.. La crainte de faire des ingrats ne doit donc pas nous empĂȘcher d’ouvrir, en faveur des indigens, la main de la bienfaisance. Devons-nous nous attendre h ĂȘtre mieux traites que Dieu mĂȘme ? Ses plus grands bienfaits ne font ils pas les plus grands ingrats ? Ceux qu’il a comblĂ©s de biens ne font-ils pas souvent ceux qui en abusent le plus, & qui le fervent le plus mal ? L’ingratitude que les hommes auront pour nous, pour» nous devenir plus avantageuse que leur reconnoilfmce, en Ă©purant notre vertu » en nous rendant plus agrĂ©ables & plus semblables Ă  Dieu 2. 4 - t ! 2 Eritit filii yAltiJJĂźmi , quia bsnĂŻgnm est fuser ingr&- ÂŁ? malos. Lac. 6. A % 4 L’ É C O L E Quoique l'ingratitude soit un mon lire qui naifle comme, de lui-mĂȘme dans le cƓur de l’homme, & y produise les fen- timens les plus odieux, il faut avouer aulli que si l’on vouloir pĂ©nĂ©trer les intentions de la plupart de ceux qui font du bien, on dĂ©couvrirait souvent que les reproches d’ingratitude qu’ils font, font autli mal fondĂ©s que leurs droits Ă  la reconnoissance. Combien de personnes font les premiers auteurs de l’ingratitude dont elles se plaignent! La bienfaisance pure eil presque aulli rare que la vraie reconnoiflance. Ce n’est pas que nous prĂ©tendions exculĂȘr aucun ingrat quel que soit le motif qui nous ait engagĂ©s Ă  faire du bien, nous devons toujours le recon- noitre. Mais voulez-vous qu’on en ait de la reconnoiflance obligez avec zele, avec aflsection, & dans la vue de faire plaisir. TĂ©moignez de la joie, de l’estime, de l’empressement; & l’on vous tĂ©moignera de la gratitude. Ayez foin fur-tout de ne point perdre le fruit ni le mĂ©rite du bien que vous faites, par de mauvaises maniĂ©rĂ©s qui le precedent, qui l’accompagnent, ou qui le suivent. Les plaintes & les reproches ne guĂ©rissent de rien , & ne servent ordinairement qu’à faire mĂ©priser ceux qui les font. Celui qui reproche ses bienfaits & D E S M ƒ U R S. f ses services, montre qu’il n’a obligĂ© que par vanitĂ© ou par intĂ©rĂȘt. 11 y a des gens qui vous rĂ©pĂštent Ă©ternellement qu’ils vous ont fait ce que vous ĂȘtes. Est-il rien de plus cruel? & ne leur auroit-on. pas plus d’obligation de ne leur en point avoir? Quelqu’un reprochant Ă  une personne qu’elle lui devoir tout ce qu’elle Ă©toit ? Cela Ă©tait vrai il n’y a qu’un moment , reprit l’autre ; mais Ă  prĂ©sent cela ne l’est plus. S’il y a souvent de la duretĂ© & peu d’honneur Ă  reprocher le bien que nous avons fait, il est quelquefois permis de le rappeler , pour engager Ă  la reccn- noiffance qu’on doit avoir & qui nous est devenue nĂ©cessaire. Un Soldat Romain al!oit ĂȘtre jugĂ© par l’Empereur Prince, lui dit-il, reconnoitriez-vousle Soldat qui, pour Ă©teindre l’ardeur de votre sois, vous apporta de l’eau d’une fontaine? Oui, rĂ©pondit l’Empereur, mais ce n’est pas toi. Vous avez raison de ne pas me reconnaĂźtre , rĂ©pliqua le Soldat, car fai perdu depuis ce temps-lĂ  un mil en combattant pour vous. . L’Empereur l’ayant envisagĂ© avec plus d’attention, reconnut ses traits, & le rccompen/Ii. A ; Ne publiez jamais aucun bien que voit ' faites II faut le mettre au rang des affaires sĂ©crĂ©tĂ©s. Ï-/E grand Corneille dit de mĂȘme dans une de ses PiĂšces Un bienfait perd fa grĂące Ă  le trop publier Qui veut ju’on s’en souvienne, il le doit oublier. La vraie bienfaisance aime le secret. Elle ressemble Ă  ces grands fleuves, qui se retirent en silence des terres fur les. quelles ils ont portĂ© la fertilitĂ© & les richesses. Que celui que vous avez secouru l’ignore, s’il se peut. N’imitez pas ces bienfaicteurs orgueilleux,qui publient par-tout quelques actes de gĂ©nĂ©rositĂ© que l’olfentation leur a fait faire, & qui sonnent de la trompette , afin que toute la terre sache le bien qu’ils ont fait Ă  des malheureux. Que leur orgueil rend leurs bienfaits redoutables & quelquefois hu- milians ! Qu’ils apprennent du beau trait suivant, la maniĂ©rĂ© dont les Ăąmes vraiment gĂ©nĂ©reuses aiment Ă  faire le bien. Grimaldi , cĂ©lĂ©brĂ© Peintre 5c Graveur Italien, aulii distinguĂ© par la nobleflĂš des MƓurs.* 7 de ses scntimens & par fa gĂ©nĂ©rositĂ©, bienfaisante que par ses taĂźens , apprit l’état misĂ©rable d’un Gentilhomme Sicilien, qui Ă©toit logĂ© prĂšs de lui. Il alla plusieurs fois jeter en secret de l’argent dans sa chambre. Mais le Gentilhomme ayant guettĂ© son bienfaicteur, & l’ayant surpris, se jeta Ă  ses pieds plein de recon- noillance. Grimaldi lui dit en le relevant saur ois goĂ»tĂ© doublement le plaisir devons avoir obligĂ© , fi favois pu vous Ă©pargner la peine de m’en ĂȘtre redevable. Ce n’est pas qu’il faille toujours couvrir des voiles du secret les fruits de sa bienfaisance. On doit, pour l’édification, pour l’exemple, les laitier quelquefois , pour ainsi dire, percer d’eux-mĂȘmes & paroĂźtre au grand jour. Mais ce qu’on doit fur-tout Ă©viter, c’est l’ostentation qui veut tout faire avec Ă©clat, lĂ ns dis. cerner les circonstances oĂč la libĂ©ralitĂ© elle-mĂȘme demande Ă  ĂȘtre connue, de celles oĂč elle veut qu’on Ă©pargne aux malheureux la honte de recevoir. Voulez-vous savoir comment il faut donner mettez-vous Ă  la place de celui qui reçoit. Le fameux MĂ©decin Du Moulin , ayant Ă©tĂ© appelĂ© dans un Couvent pour une jeune Demoiselle d’une trĂšs-grande naissance, mais fort pauvre, on lui en fit l’aveu en tremblant, dans la crainte que »'Ă©tant pas payĂ© il ne revint plus. 11 A 4 8 L’ É C O L E revint cependant, & il Initia un rouleau de dix louis d’or, afin que d’une partie de cet argent on pĂ»t le payer , & que les allistans ne s’apperçuffent pas de l’insuffisance des moyens de la malade. 11 est beau, il est grand de ne pas vouloir ĂȘtre louĂ© du bien qu’on a fait, de ne pas mĂȘme en souffrir les justes remer- cimens, quelque dĂ©licat que soit ce plaisir , qui semble ĂȘtre la plus innocente rĂ©compense du bienfait. Henri II, Roi de France, ayant offert la place d’Avocat- gĂ©nĂ©ral Ă  M. de Mesme, ce Magistrat prit la libertĂ© de reprĂ©senter Ă  Sa MaiestĂ© que cette place n’étoit pas vacante. Elle l’est, rĂ©pliqua le Roi, parce que je fuis mĂ©content de celui qui la remplit. Pardonnez-moi, Sire, rĂ©pondit modestement JM. de Mesme, aprĂšs avoir fait l’apologie de l’accusĂ© J'aimerais mieux gratter la terre avec mes ongles , que d'entrer dans cette charge par une telle porte. Le Roi eut Ă©gard Ă  sa remontrance, & laiißà l’Avocat-gĂ©nĂ©ral dans sa place. Celui-ci Ă©tant venu le lendemain pour remercier sonbienfaicteur, M. de Mesme eut beaucoup de peine Ă  souffrir qu’il lui fĂźt des remercimens pour une action qui Ă©toĂŻt, disoit-il, d’un devoir indispensable, & auquel il n’a ut oit pu manquer sans se dĂ©shonorer lui-mĂȘme pour toujours. La plupart des personnes bienfaisantes D E S M ƒ U R ft 9 s’attendent du moins Ă  ce lĂ©ger tribut de la reconnoissance, & elles ont quelquefois la foibleife de S’en plaindre , lors, qu’on ne le paye point Ă  leur amour- propre. C’est que la vanitĂ© , cette ennemie cachĂ©e de la vertu, se mĂȘle souvent, mĂȘme Ă  notre insçu,dans le bien que nous faisons, pour l’altĂ©rer ou le corrompre. Elle se glisse mĂȘme dans les libĂ©ralitĂ©s les plus saintes on n’est pas fĂąchĂ© que les hommes sachent ce que l’on fait pour Dieu ; & l’on regarde presque pour perdues les aumĂŽnes ignorĂ©es. MĂȘlante, l’une des plus riches & des plus vertueuses Dames Romaines, ayant oui parler d’un saint AbbĂ©, alla le voir & lui porta trois cents livres de vaisselle d’argent, qu’elle le pria de vouloir bien recevoir, comme une part des richesses que Dieu lui avoit donnĂ©es. Le saint AbbĂ© se contenta de lui rĂ©pondre Dieu veuille rĂ©compenser votre charitĂ© ! & se tournant vers son Econome, il lui dit Prenez ceci, , U dis- tribnez-le aux Mouajleres les plus pauvres . MĂ©lanie, voyant qu’il ne lui'disoit pas une feule parole pour , lui tĂ©moigner l’estime qu’il faisoit d’un prĂ©sent si considĂ©rable, lui dit MonPere, je ne fais pas fi vous faites attention que ce que je vous ai donnĂ© je monte Ă  trois cents livres d'argent. Ma Elle, lui rĂ©pondit le saint AbbĂ©, celui Ă  qui vous avez fait ce pri- A f JO V É C O L E sent, n’a pas besoin de savoir combien il pese, puisque pesant mĂȘme les montagnes & les forĂȘts dans ses divines balances, il ne peut ignorer quel elt le poids de votre argent. Sainte MĂ©ianie rougit du petit sentiment de vanitĂ© qu’elle avoir eu elle remercia celui qui le lui avoir fait remarquer, & profita de cette leçon pour la suite. La bienfaisance ressemble Ă  ces parfums prĂ©cieux, qui s’évaporent dĂšs qu’on les dĂ©couvre. Vous faites bien voulez- vous faire mieux Ü Que je ne lĂąche pas que vous faites bien, ou que je ne vous soupçonne pas du moins de me l’avoir appris. Pourquoi appeler en confidence un tiers entre le Ciel & vous ? LĂ©opold, ce Prince bienfaisant dont nous avons dĂ©jĂ  souvent parlĂ©, ainioit Ă  faire du bien sans qu’on le sut. Un Gentilhomme qui ne lui avoit jamais rien demandĂ©, quoiqu’il FĂ»t dans le besoin , jouoit avec lui & gagnoit beaucoup. Vous jouez bien malheureusement, dit-il au Prince, & ne seroit-ce pas un effet de votre bontĂ© ? Jamais, rĂ©pondit LĂ©opold , la fortune ne m’a mieux servi , mais je devais seul m'en La fĂȘte que la Ville de Paris donna en 1770, dans la Place de Louis XV, au sujet du mariage du Dauphin Louis- rfugujĂŻe, avec Antoinette d’Autriche- dĂ«s MƓurs. ii Lorraine, fut terminĂ©e, comme on fait» par un dĂ©faltre affreux, oĂč cent trente- deux personnes pĂ©rirent, & un grand nombre furent blessĂ©es. Dans le moment mĂȘme qu’on faifoit au jeune Dauphin le rĂ©cit de ce funelle accident, on lui apporta les six mille livres que le Roi lui donnoit tous les mois pour ses menus plaisirs. Un de ses Valets-de-'chambre alloit serrer cet argent. Le Prince lui ordonna de le mettre dans une boite, & d’appeler un Page. 11 Ă©crivit enfuit quelques lignes; & aprĂšs avoir cachetĂ© son billet, il le donna, avec la boĂźte, Ă  un Page, pour le porter en diligence Ă  M. de Sartine , Lieutenant-gĂ©nĂ©ral de Police ; avec ordre de garder fur cette commission le plus grand secret, & de rapporter Ă  lui seul la rĂ©ponse du Magistrat. 11 lui Ă© cri voit qu’il avoit appris le malheur arrivĂ© Ă  son occasion, qu’il en Ă©toit pĂ©nĂ©trĂ©, & qu’il lui envoyoit, pour secourir les plus malheureux, ce que le Roi lui donnoit tous les mois pour ses menus plaisirs; ne pouvant disposer que de cela. Quand le Page fut revenu avec la rĂ©ponse de M. de Sartine, le Dauphin, aprĂšs l’avoir lue, la dĂ©chira, en jeta les morceaux au feu, & rentra dans son cabinet. Heureux les Princes qui pensent si noblement! Plus heureux encore les peuples qui ont de tels Princes ! XII. PrĂȘtez avec piaißr , mais avec jugement. Tl faut prĂȘter volontiers & gratuitement Ă  ceux qui fait dans le besoin -, c’est un acte de charitĂ© chrĂ©tienne mais il taut le faire avec prudence. C’ett un dĂ©faut de prĂȘter trop facilement & Ă  toutes sortes de personnes, parce qu’on en eit souvent la dupe.,, Plusieurs, dit le Sage, ont regardĂ© ce qu’ils empruntoient comme s’ils i’avoierit trouvĂ©, & ont tait de la peine Ă  ceux qui les avoient secourus. Ils baitent la main de celui qui leur prĂȘte son argent, jusqu’à ce qu’ils l’aient requ, se ils lui font des promelses avec des paroles humbles & soumises. Mais quand il tĂ ut rendre, ils demandent du temps, ils tiennent des discours pleins dĂ© chagrins & de murmures CO- Quelqu’un, dont la prĂ©sence & les assiduitĂ©s vous ennuient & vous fatiguent, vous demande-1 il Ă  emprunter profitez de l’occasion ; prĂȘtez-lui bien vite, & soyez sĂ»r que vous ne le verrez plus de loue-temps. / ‱ ‱ ‱ ‱ Ăą foqHttur virba itoHi .CCH. 2 % DES M ƒ U R S. 1$ L’ingratitude & l’injustice de quelques- uns ne doivent pas nĂ©anmoins nous rendre durs, & nous exposer Ă  ĂȘtre injustes nous-mĂȘmes, en refusant gĂ©nĂ©ralement de prĂȘter. 11 y a des cas oĂč la charitĂ© oblige Ă  le faire quand on le peut c’est une vĂ©ritable aumĂŽne que de secourir ainsi ceux qui sont dans la nĂ©cellitĂ©.,, Plusieurs , dit l’Auteur sacrĂ© de l’ EcclĂ©fiafli- qne, Ă©vitent de prĂȘter, non par duretĂ©, mais par la crainte qu’ils ont qu’on ne les trompe. Pour vous, usez de bontĂ© envers le misĂ©rable, & ne diffĂ©rez pas Ă  lui accorder la grĂące qu’il vous demande. Asiistez le pauvre , parce que Dieu l’ordonne ; & ne le renvoyez pas les mains vides, parce qu’il est dans la misere. Perdez votre argent pour votre frere & pour votre ami, & ne le renfermez pas dans vos coffres, oĂč il fĂ©roit bien plus perdu pour vous. Employez votre trĂ©sor Ă  accomplir les commande- mens du TrĂšs-Haut, & il vaudra mieux .que tout l’or du monde a. „ PrĂȘtez, gratuitement & fuis aucune vue d’intĂ©rĂȘt. C’est le beau & noble prĂ©cepte de 1 ’ 5. Ceux qui agissent 2 . ... Fone thesaiirum tmm in prtceptis foderti Ubi magij .j uĂ tn aurum. Eccii. 29. Z BĂŻĂŒefaciis & muiithw date , nihil indc fier finies , Lus. 0- i4 L’ É c o i e autrement, n’ont ni honneur ni religion. Leur cƓur insensible Ă  la ruine des malheureux, que la nĂ©cessitĂ© ou la dĂ©bauche engage Ă  courir Ă  leur perte, l’est encore plus aux cris de leur conscience. Dans le temps de la vendange, un Vigneron se trouva sans argent, pour avoir des tonneaux. 1! lui en falloir Ă  quelque prix que ce fĂ»t. Il prend le parti d’en aller chercher chez un usurier. Morbleu, mon ami , lui dit celui-ci, vous prenez bien mal votre temps ; voilĂ  les derniers coups du sermon qui sonnent , je ni y en vais , car je le per dr ois. Ils y vont de compagnie. Le prĂ©dicateur par hasard prĂȘcha ce jour-lĂ  si fortement contre l’usure, que le Vigneron perdit toute espĂ©rance d’avoir de l’argent. Le sermon fini, Monsieur, lui dit-il, je vous souhaite le bon jour. HĂ©! oĂč allez-vous , reprit le saint homme? vous ne voulez donc pas d’argent. Pardonnez-moi, Monsieur, rĂ©pliqua le Vigneron, mais aprĂšs le sermon que vous venez d’entendre, je ne crois pas que vous vouliez m’en donner. Abus, dit l’usurier! le prĂ©dicateur fait son mĂ©tier , U moi je fais le mien. Quel mĂ©tier que celui qu’on ne peut exercer, sans fouler aux pieds les lois naturelles, divines & humaines ! Pour vous, pensez mieux , & regardez comme un gain honteux & infĂąme, celui que vous des MƓurs. i ? retireriez d’un tel service, Ă  moins que vous ne vous trouviez dans le cas d’en souffrir ou d’en craindre raisonnablement pour vous-mĂȘme quelque perte. Il y a aussi deux rĂšgles Ă  observer, pour prĂȘter avec prudence autant qu’avec charitĂ©. La premiĂšre est de ne prĂȘter que de votre superflu, de votre abondance ; ou si dans quelques cas particuliers vous prenez fur votre mĂ©diocritĂ©, que ce ne soit que de petites sommes, asm que vous ne vous mettiez pas dans la nĂ©cessitĂ© d’emprunter vous-mĂȘme, & que la perte qui pouroit en arriver, ne puilfe occasionner votre ruine. La seconde regle que prescrit la prudence , est de prendre vos sĂ»retĂ©s par des billets, des contrats, des gages & des cautions. Ainsi en usa le sage & vertueux 7obis Ă  l’égard de Gabelus, & cela doit nous servir d’exemple. Quelque convaincu qu’on soit de la probitĂ© d’une personne ou cette probitĂ© peut se dĂ©mentir dans la faite , ou la mort peut changer l’état des choses & nous mettre dans le cas d’avoir affaire Ă  des hĂ©ritiers difficuĂźtiieux ; & il est toujours dĂ©sagrĂ©able de s’exposer, en obligeant, Ă  des peines qu’on auroit pu Ă©viter par de sages prĂ©cautions. PrĂȘter ainsi son argent Ă  des freres malheureux qui font dans le besoin ĂŻ6 V E C G L E quand mĂȘme on courroie quelquefois le risque de ne le ravoir jamais, ce n’est pas le perdre. C’est prĂȘter Ă  intĂ©rĂȘt, parce que Dieu, dit Salomon, le rendra avec usure. J’ai Ă©tĂ© jeune, dit aulli le Roi- Prophete, U je suis maintenant vieux ; je n’ai jamais vu le jufle abandonnĂ© , ni ses enfans dans l’indigence. Il eji toujours prĂȘt Ă  soulager les bej'oins de ses freres par ses prĂȘts U ses aumĂŽnes ; N e’efl ce qui perpĂ©tue les bĂ©nĂ©di&ions du Ciel fur fa 'pojiĂ©ritĂ© 4. C’est donc employer son bien si avantageusement, qu’il n’y a point de gain sur la terre qui puisse Ă©galer celui-ci quoi qu’il arrive , on s’est rendu agrĂ©able au Seigneur, on a exercĂ© la bienfaisance, on a pratiquĂ© la charitĂ©. La vertu qu’accompagne la douce satisfaction d’avoir fait du bien , n’est-elle pas prĂ©fĂ©rable aux richesses ? Cette belle maxime n’est pas fans doute celle de ces hommes intĂ©ressĂ©s, qui profitent avidement de la misĂšre des autres pour s’enrichir de leurs dĂ©pouilles ; & les exemples n’en font que trop communs. Oppolbns-y , pour les confondre, le beau trait du Cardinal d’Amboije. Il avoit fait bĂątir un magnifique chĂąteau Ă  4 Faner ntur Domino , qui miftniur , U fiumi U, S soi, 19. Jtaivfyi , Cv. des MƓurs. 17 la campagne. Comme cette superbe maison Ă©toit trop resserrĂ©e, ik enveloppĂ©e de tous cĂŽtĂ©s par des possĂ©dions Ă©trangĂšres ; un Gentilhomme du Cardinal crut faire fa cour Ă  son maĂźtre, en dĂ©terminant un de ses amis Ă  lui vendre une terre titrĂ©e, qui enclavoit le plus le chĂąteau. Le Seigneur fut invitĂ© Ă  dĂźner. AprĂšs le repas, le Cardinal l’ayant conduit dans un cabinet, lui demanda par quel motif il vouloir vendre fa terre. Monseigneur, rĂ©pondit le Gentilhomme, c’est par le plaisir de vous accommoder d’un bien qui est si fort Ă  votre biensĂ©ance. Gardez votre terre , rĂ©pliqua le Cardinal deß l'hĂ©ritage de vos peres , le premier titre d'un nom illustre qu'ils vous ont transmis , U que vous devez conserver Ă  vos descendons. Je prĂ©fĂ©rĂ© d'ailleurs un voisin tel que vous Ă  toutes les commoditĂ©s de mon chĂąteau. Monseigneur, reprit le Gentilhomme, je fuis trĂšs-attachĂ© Ă  ma terre , & ce qu’il vous a plu de me faire observer me la rend infiniment plus prĂ©cieuse. Mais j’ai une fille un Gentilhomme du voisinage voudroit l’épouser le nom, la fortune, le caractĂšre , tout me convient; mais il demande une doc que je ne puis absolument lui donner. J’ai considĂ©rĂ© qu’en vendant ma terre, je pourois faire le bonheur de ma fille, Si placer avantageusement le restant de Ig L’ É C O L E la somme pour moi. Ce projet n’a rien que dĂ©raisonnable, rĂ©pondit le Cardinal ; mais n’y auroit-il pas quelque moyen de marier votre fille comme vous le dĂ©firez, U de conserver votre terre ? Nepouriez-vous pas, par exemple, empninter de quelqu’un de vos. amis la somme dont vous avez besoin,fans intĂ©rĂȘt , U remboursable Ă  des termes fort Ă©loignĂ©s , Ă©conomiser tous les ans quelque choj'e fur votre dĂ©pense, & vous trouver quitte sans presque vous en appercevair ? Ah! Monseigneur, s’écria le Gentilhomme , oĂč son", aujourd’hui les amis qui prĂȘtent une pareille somme, fans intĂ©rĂȘt, & remboursable Ă  des termes fort Ă©loignĂ©s ? Ayez meilleure opinion de vos amis, rĂ©pliqua le Cardinal en lui tendant la main, mettez-rnoi du nombre , N recevez la somme dont vous avez besoin, aux conditions que je viens de vous expliquer. Le Gentilhomme tombant aux genoux de son bienfaicteur, ne put rĂ©pondre que par des larmes Ă  un procĂ©dĂ© si noble j & le Cardinal ne parut jamais si content, que d’avoir acquis un ami au lieu d’une terre. 11 y a des per sonnes, de qui il est quelquefois si difficile de ravoir ce qu’on leur a prĂȘtĂ©, qu’on gagnerait souvent beaucoup Ă  agir avec elles, comme le fit un jour laint François de Sales Ă  l’égard d’un homme qu’il connoissoit pour un mau- des MƓurs. 19 vais payeur , & qui Ă©toit venu lui demander Ă  emprunter vingt Ă©cus. Tenez, lui dit-il, en voilĂ  dix au lieu de vous les prĂȘter, je vous les donne ; vous y gagnez > U moi aujjl. il ne faut pas ĂȘtre moins prudent Ă  le rendre caution qu'Ă  prĂȘter. Si le Sage dit que l'homme de bien rĂ©pond pour son prochain, & que celui qui n’a point de sentiment abandonne son ami, en ne voulant pas se rendre caution pour lui dans son extrĂȘme nĂ©cessitĂ©, il ajoute aussi que l’engagement Ă  rĂ©pondre mal-Ă -pro- pos, en a perdu plusieurs qui rcuiĂŻis- soient dans leurs affaires ; & que nous ne devons jamais oublier le service que nous rend celui qui rĂ©pond pour nous, parce qu’il s’est exposĂ© Ă  un grand pĂ©ril p . Ce seroit en effet une noire ingratitude, que de mĂ©connoĂźtre un tel service; & il n’y a que des monstres qui soient capables de laisser dans la peine celui qui a eu la bontĂ© de s’engager pour eux. Ils ne retrouveront plus de pareils amis. Celui qui tiendra parole & agira ffdelle- ment avec ceux qui l’ont obligĂ© de quelque maniĂ©rĂ© que ce soit, trouvera toujours ce qui lui fera nĂ©cessaire mais si nous trompons ceux qui ont cru pouvoir ' 5 fi UĂźujfbris ne eblivifiarii dĂ©dit enim fre- te fuam. Kcqli. 2K. 20 V É C O L E se fier Ă  nous , ils rfy seront pas pris uns seconde fois, & nous mĂ©riterons d’essuyer des refus honteux & humilians. Le Comte Louis de Canojse, EvĂȘque Italien , avoit Ă  Rome une belle argenterie on y voyoit plusieurs piĂšces d’un ouvrage exquis. 11 y avoit entr’autres un gobelet dont l’anse Ă©toit faite en forme de tigre, & dont le travail Ă©toit admirable. Un Gentilhomme connu du PrĂ©lat , envoya un jour le prier de lui prĂȘter pour peu de temps une piece si rare, fous prĂ©texte d’en vouloir faire faire une pareille. Mais comme il la garda plus de trois mois, le PrĂ©lat l’envoya demander. Peu aprĂšs, le mĂȘme Gentilhomme envoya encore pour emprunter une faliere, qui avoit’ la forme d’une Ă©crevisse. Le Comte Louis rĂ©pondit avec un sourire railleur au Page que le Gentilhomme avoit envoyĂ© Allez, & rapportez Ă  votre maĂźtre , que fi le tigre, de tous les animaux le plus agile , a Ă©tĂ© trois mois Ă  revenir, je crains que P Ă©crevisse, qui efi le plus lent , r?ait besoin d'autant d'annĂ©es. Qii'il m'en dispense donc, s'il lui plaĂźt. S'il faut rĂ©compenser , faites-le dignement. En frit de rĂ©compense , celui qui craint d’ĂȘtre gĂ©nĂ©reux, eil bien prĂšs d’ĂȘtre injulte. Un Soldat s’étoit signalĂ© des MƓurs. ' tu dans une bataille sanglante, oĂč il a voit eu les deux bras emportĂ©s. Ou le prĂ©senta Ă  son Colonel , qui ne lui offrit qu’une piece de vingt-quatre sous. Croyez-vous, mon Colonel , lui dit avec franchise le Soldat, que je n’aie perdu qu’une paire de gants ? Les rĂ©compenses doivent ĂȘtre dispensĂ©es par les mains de la justice, &, autant qu’il est possible , proportionnĂ©es aux services ; elles en font le prix lĂ©gitime. Cependant combien n’y en a-t-il pas , fur-tout parmi les Grands, qui ne rĂ©compensent point, ou qui rĂ©compensent mal ceux qui les ont servis, persuadĂ©s qu’on leur doit tout, & qu’on est trop honorĂ© de les servir. ,, Il est vieux. U usĂ©, dit un Grand , il. s’est Ă©puisĂ© Ă  me servir qu’en faire? Un autre plus jeune enleve ses espĂ©rances, & obtient le poste qu’on ne refuse Ă  ce malheureux, que parce qu’il l’a trop mĂ©ritĂ© ". Cette rĂ©flexion de La Bruyere ne fait pas beaucoup d’honneur aux Grands, mais elle n’est que trop confirmĂ©e par l’expĂ©rience. On demandent Ă  un grand Seigneur, s’il ne songeoit pas Ă  faire quelque chose pour un homme de mĂ©rite, qui avoit tout sacrifiĂ© en s’attachant Ă  lui. Comment donc! rĂ©pondit-il , je le vois tous les jqurs , çf je lui fais accueil. Cette forte de rĂ©compense, aussi fin- rr L’ É c o l e guliere qu’elle est'peu solide, ressemble Ă  celle que fit Henri IP'. Ce Prince n’étant encore que Roi de Navarre , se contenta de donner son portrait Ă  d’Au- bignĂ© , qui lui avait rendu des services importans. Ce Seigneur, qui Ă©toit aulĂźi bei-elprit que grand Capitaine, mit au bas du portrait ces quatre vers Ce Prince eli d'Ă©trange mture , Je ne fis qui, diable! l’a fait Car il rĂ©-ompense en peinture Ceux qui le ferveur en effet. Lorsque montĂ© sur le trĂŽne, Henri IV fut plus en Ă©tat de suivre les mouvemens justes & gĂ©nĂ©reux de fou cƓur, il rĂ©compensa mieux. Si le grand nombre des sollicitations put quelquefois lui faire oublier pour un moment la justice due aux services, il iavoit avouer son tort & le rĂ©parer, dĂšs qu’on le lui faisoit cou- noĂźtre. En voici une preuve qui ne sait pas moins d’honneur Ă  la droiture qu’à la gĂ©nĂ©rositĂ© de son ame. Un Officier borgne , boiteux & manchot, qui s’ëtoit distinguĂ© au service de ce Prince , lui prĂ©senta un placer oĂč il demandoit quelques rĂ©compenses il y exposoit le nombre des blessures qu’il avoir reçues. Henri IV , aprĂšs avoir lu le places, dit Mous verrons. Sire, rĂ©pondit l’Officier, des MƓurs. 23 quand j’ai etc commandĂ© pour le service de Votre MajestĂ© , il j’avois dit, Nous verrons , je n’aurois pas un Ɠi!, une main & un pied de moins. Le Roi fut d’abord indignĂ© de ce manque de respect ; mais sa bontĂ© l’eut bientĂŽt dĂ©sarmĂ© en saveur d’un Officier mutilĂ© pour son service il jugea qu’un homme, qui lui avoit sacriflĂ© des membres si chers & si prĂ©cieux , avoir expiĂ© cette faute par avance, & il lui accorda la rĂ©compense qui lui Ă©toit duc. Louis XI , qui 11’eut guĂšre que de mauvaises qualitĂ©s, rĂ©compensa nĂ©anmoins noblement auilĂŻ la valeur de Raoul de Lannoi. Ce Capitaine Ă©tant montĂ© Ă  l'allant Ă  travers le fer & la flamme au siege duQuelhoi, Louis XL qui avoit Ă©tĂ© tĂ©moin de son ardeur, lui passt au cou une chaĂźne d’or, en lui disant Par la pĂ»que - Dieu , mon ami , c’étoit son jurement ordinaire , vous ĂȘtes trop furieux en un combat , il faut vous enchaĂźnercar je ne veux pas vous perdre , dĂ©sirant me servir de vous plus d’une fois. AprĂšs les services, c’est fur-tout le mĂ©rite que les Princes & les Grands de- vroient s’attacher Ă  rĂ©compenser, puisque c’est lĂ  le plus noble usage qu’ils puissent faire de leur pouvoir & de leurs richesses. Il n’y a pas de plus fur moyen 24 L’ É C O L E pour eux de transmettre Ă  la postĂ©ritĂ© leur nom comblĂ© de gloire & d’éloges. Sans parler des Augufle, des AsĂ©cene, des LĂ©on X , des MĂšdicis, & de tant d’autres, qui ont aimĂ© Ă  rĂ©compenser le mĂ©rite, parce qu’ils en avaient eux-mĂȘmes & qu’ils Ă©taient Grands; c’est par-lĂ  que Louis XIV a rendu son regne si cĂ©lĂ©brĂ© & si fertile en grands hommes dans tous les genres. Il se plaisait Ă  encourager par ses rĂ©compenses le mĂ©rite & les taie ns. 11 eut le bonheur d’ĂȘtre secondĂ© en cela par un des plus grands Ministres qu’ait eus la France, l’illustre Colbert. En voici un exemple, que nous choisissons entre mille. Charles II, Roi d’Angleterre, avait envoyĂ© Ă  Louis XIV deux montres Ă  rĂ©pĂ©tition c’étaient les premiĂšres qu’on eĂ»t vues en France. Elles ne pouvaient s’ouvrir que par un secret prĂ©caution des ouvriers Anglais, pour cacher la nouvelle construction, & s’en assurer la gloire & le profit. Les montres se dĂ©rangĂšrent. On les remit entre les mains de Marti not, Horloger du Roi, qui ne put les ouvrir ni y travailler. Il dit Ă  M. Colbert , qu’il ne connaissait qu’un jeune Carme, qui fĂ»t capable d’ouvrir les montres ; que s’il n’y rĂ©ussissoit pas, il falloir se relbudre Ă  les renvoyer en Angleterre. Le Carme, dont Martinot faisait un DES M ƒ O R S. 2s un Ă©loge si glorieux pour lui-mĂȘme, éßoit le Pere Sebastien , qui avoit un talent rare pour les mĂ©caniques. Il ouvrit les montres assez promptement & les raccommoda, fans savoir combien Ă©toit important par les circonstances l’ouvrage dont on l’avoit chargĂ©. Quelques jours aprĂšs, il vint de la part de M. Colbert un ordre au Pere SĂ©bastien de le venir trouver on ne lui dit rien de plus. 11 se prĂ©senta interdit & tremblant. Le Ministre accompagnĂ© de deux Membres de l’AcadĂ©mie des Sciences, le loua sur les montres , & lui apprit pour qui il avoit travaillĂ© il l’exhorta Ă  cultiver son talent , lui recommanda de travailler sous les yeux de ces deux AcadĂ©miciens qui le dirigeroient ; & pour l’animer davantage & parler plus dignement en Ministre , il lui donna six cents livres de pension , dont la premiĂšre annĂ©e lui fut payĂ©e le mĂȘme jour. Il n’avoit alors que dix-neuf ans & de quel dĂ©sir de bien 4 faire dut-il ĂȘtre animĂ©! Il devint le plus habile mĂ©canicien de son siede. LĂ©on X , dont nous venons de parler, rĂ©compensa d’une autre maniĂ©rĂ© un Chimiste, qui se stattest d’avoir part Ă  ses bienfaits, pour avoir trouvĂ©, disoit il, la pierre philosophale. Le Souverain Pontife lui fit donner une grande bourse vide, ajoutant que puisqu'’ilsavoit faire de Vor , Tome IL B y V É C O L E il ji' avait besoin que d'une bourse pour It mettre. Ce g-and Pape, qui fut le protecteur zĂ©lĂ© des Arts & des Sciences, & le restaurateur des Lettres en Italie, Ă©tait trop sage & trop Ă©clairĂ© pour honorer de ses rĂ©compenses des charlatans ou des visionnaires il croyoit avec raison devoir les rĂ©server au vrai mĂ©rite. Quoique de plus grandes & de plus dignes rĂ©compenses que celles de la terre soient destinĂ©es Ă  la vertu , il elf glorieux nĂ©anmoins de lui accorder celles qui dĂ©pendent de nous. Le Prince de la Tour U ;Taxis , Directeur gĂ©nĂ©ral des postes de l’Empire & des Pays-Bas , Ă©tant Ă  Nivelles , alla s’y promener Ă  la foire avec une Dame Chanoinesse. Ils s’approchent d’une boutique, & le Prince demande les plus beaux Ă©ventails. On les lui montre, en disent que le prix Ă©toit de deux louis. Ce n'efl pas ce que je veux , dit-il. Il va auprĂšs d’un autre Marchand, qui en prĂ©sente de cinq louis. Le Prince fit la mĂȘme rĂ©ponse. Ce Marchand comprit la pensĂ©e du Prince, & lui dit qu’il avoit encore d’autres Ă©ventails, mais beaucoup plus chers il les montra, & dit qu’ils n’étoient pas moins de vingt-cinq louis. Le Prince , dans le nombre, en trouva un qui lui plut & Ă  la Dame. Il dit au MaĂźtre de la poste, qui l’accompagnoit, de compter les vingt-cinq louis, Ce/ui-ci des MƓurs. 27 ne les ayant pas fur lui, dit au Marchand de venir Ă  la polie les chercher quand il voudroit. Le Marchand y Ă©tant allĂ©, dĂ©clara Ă u MaĂźtre de la'poste que l’éventail n’étoit que de cinq louis comme les autres , & qu’il ne l’avoit surfait si considĂ©rablement que parce qu’il avoit jugĂ© que le Prince Ă©toit bien aise de faire un don qui fut de plus grand prix ; mais que fa conscience ne lui permettent pas de prendre pour l’éventail au-delĂ  de la juste valeur. Le Prince instruit du procĂ©dĂ© de cet honnĂȘte Marchand, le fit venir, & lui dit Si votre Ă©ventail ne vaut que cinq louis , votre probitĂ© en vaut vingt. recevez les vingt-cinq louis , vous les mĂ©ritez. KMG B L L’ É c o l ĂŻ 28 XIII. Au bonheur du -prochain 7ie portez pas envie. 8l c’est un homme de bien Si un honnĂȘte homme, il est digne de son bonheur, & vous devez y applaudir. Si c’est un mĂ©chant & un mal-honnĂȘte homme, l’Ecriture vous avertit de ne pas envier la gloire ni les richesses du pĂ©cheur i . Sa prospĂ©ritĂ© s’évanouira comme un songe, & sĂ©chera comme un torrent; ou si son bonheur, ce fiai est rare, dure auisi longtemps que sa vie, cette fĂ©licitĂ© ne lui rendra la mort que plus amere & plus t»r~ rible. D’ailleurs, ce qu’il possĂ©dĂ© lui a souvent coĂ»tĂ© trop cher il a sacrifiĂ© son repos & sa rĂ©putation, foulĂ© aux pieds la probitĂ© & la conscience. Voudriez- vous l’acheter Ă  ce prix ? N’enviez donc pas le bonheur des mĂ©dians , Si ne vous laissez point Ă©blouir par la prospĂ©ritĂ© passagĂšre du riche orgueilleux. 11 vit dans l’abondance il semble ne point participer aux miseres humaines enflĂ© de sa grandeur Sa de sa puissance, il ne songe qu’à jouir^des ' l Noh awulari in malignantibtis, fmttm ve heiter arefeent. Ps. 36. qnyiutm tanquam des MƓurs. 29 biens d’ici-bas. Il a des entrailles de far pour le pauvre qui gĂ©mit fous le poids de ses maux, & il ne lui donnerait pas mĂȘme les miettes qui tombent de fa table splendide & dĂ©licate. Mais attendez un moment tout va changer de face. Sa gloire disparaĂźt comme un Ă©clair, & Ă  ses plaisirs succĂšdent les plus affreux tourmens. Le pauvre, au contraire, le juste malheureux qu’il a mĂ©prisĂ© , est placĂ© dans le sein de la gloire, & boit Ă  longs traits dans un torrent de dĂ©lices qui coule du trĂŽne de Dieu. On a dit avec autant de vĂ©ritĂ© que de noblesse , de l’honnĂȘte homme moins favorisĂ© de la fortune que tant de scĂ©lĂ©rats comblĂ©s de ses faveurs II garde fans remords ce qu’il gagna fans crime ; Sa fortune est durable autant que lĂ©gitime; Elle passe aux du fortunĂ© vieillard Tandis que les enfuns du crime & du hasard , Ces hommes fans pitiĂ© que les pleurs endurcissent, Et que les maux publics en un jour enrichistĂšns, DĂ©pouillĂ©s tout Ă -ccup d’un Ă©clat passager, Ne sortent du que pour s’y replonger Semblables aux torrens, dont la fange & les ondes Ravageoient avec bruit des campagnes fĂ©condes , Et qui f-rmĂ©s soudain, mais plus vite Ă©coulĂ©s. Se perdent dans les champs qu’ils avaient dĂ©solĂ©s. Les richesses, la gloire & les honneurs des autres, font nĂ©anmoins un des plus B 3 30 U É C O L E ordinaires alimens de l’envie ; & les Grands eux-mĂȘmes ne font pas toujours exempts de cette basse palfion. On cherche Ă  iĂš dĂ©truire aux dĂ©pens de l’Etat; & combien de fois les malheurs publics Ăźi’ont-ils pas pris leur source dans les jalousies particuliĂšres ! Il n’est plus rien de iĂ crĂ© pour un cƓur que l’envie aigrit & infecte. Elle a portĂ© le jaloux CaĂŻn Ă  tremper ses mains dans le lĂ ng de son frere elle a excitĂ© la haine homicide de Sait! contre le HĂ©ros d’IsraĂ«l, Ă  qui ce Prince ne pouvoir reprocher que d’avoir trop bien servi la patrie A d’avoir obtenu des Ă©loges trop justement mĂ©ritĂ©s ; elle a fait commettre le plus grand de tous les crimes, le DĂ©icide. On est capable de tout, dĂšs qu’on peut ĂȘtre ennemi du mĂ©rite & de l’innocence. On peut quelquefois imposer silence Ă  l’envie par des maniĂ©rĂ©s honnĂȘtes & par ses bienfaits , mais on ne la changera point. Elle vivra autant que subsistera le mĂ©rite qui l’a sait naĂźtre. Il semble que l’élĂ©vation des autres humilie l’envieux, qu’on le prive des louanges qu’on leur donne , & que les honneurs qu’ils reçoivent font des injures qu’on lui fait Aussi n’y a-t-il rien qu’il ne faste, pour rĂ©pandre lĂčr les bonnes qualitĂ©s d’autrui des couleurs qui les altĂšrent & s’il ne des MƓurs. peut venir Ă  bout de les obscurcir entiĂšrement, il s’efforcera du moins d’en diminuer l’éclat. Lorsque ce cĂ©lĂ©brĂ© Navigateur, Ă  qui nous devons la dĂ©couverte de l’AmĂ©rique, annonçoit un nouvel hĂ©misphĂšre, on lui foutenoit qu’il ne pouvoit exister ; & quand il l’eut dĂ©couvert , on prĂ©tendit qu’il i’avoit Ă©tĂ© long-temps avant lui. Ceux qui ne lui contestoient point cette dĂ©couverte , cherchĂšrent Ă  en diminuer le mĂ©rite, en la reprĂ©sentant comme facile. Colomb le trouvant un jour Ă  table avec line grande compagnie , on eut l’impolitesse de le dire Ă  lui-mĂȘme. Il proposa Ă  ses envieux , pour les confondre, de faire tenir un Ɠuf tout droit fur une assiette. Aucun d’eux n’ayant rĂ©uffi, il cassa le bout de l’Ɠuf & le fit tenir. Cela Ă©toit bien aisĂ©, dirent les affistans. Je n'en doute pas, reprit-il, mais aucun . de vous ne s'en ejl avisĂ©. La jalousie elf ordinairement le triste partage de ceux qui n’ont rien dont on puisse ĂȘtre jaloux. Incapable de tout mĂ©rite, l’envie ne peut le souffrir dans les autres; & austi aveugle qu’injuste dans les jugemens , plutĂŽt que de le reconnoi- tre & de lui attribuer ses heureux succĂšs, elle en donnera tout l’honneur aux causes les plus pitoyables & les plus ridicules. Un Officier d’un gĂ©nie trĂšs-mĂ©diocre , B 4 ?2 L’École envieux de la gloire d’un Capitaine qui avoir fait une belle action , Ă©crivit Ă  M. de Louvois que ce Capitaine Ă©toit sortier. Le Ministre rĂ©pondit „ Monsieur, j’ai Fait part au Roi de l'avis que vous m’avez donnĂ©. Sa MajestĂ© m’a dit lĂ -dessus que, si ce Capitaine Ă©toit sorcier , pour vous , vous ne l’étiez pas “. TĂąchons de faire mieux que ceux qui font bien ; c’elt la plus belle & la plus glorieuse vengeance que nous puissions exercer contre ceux qui pouroient ĂȘtre l’objet de notre jalousie. La noble Ă©mulation fut toujours permise & louable ; l’envie ne le fut jamais. La premiĂšre est lin sentiment courageux, qui rend Tarne fĂ©conde , qui l’enflamme Ă  la vue des grands exemples, & l’éleve souvent au- dessus de ce qu’elle admire. L’autre est une passion basse, qui ne pouvant atteindre Ă  la hauteur des autres, cherche Ă  la rabaisser. On dĂ©prime ce qu’on est incapable de faire, parce qu’il est plus facile de mĂ©priser que de surpasser ou d’égaler. Aussi y a-t-il dans l’envie, je ne fais quoi de honteux, qui fait qu’on se la cache Ă  soi-mĂȘme. On tire souvent vanitĂ© des passions les plus criminelles , de ses excĂšs, de ses dĂ©bauches ; on s’en flut mĂȘme gloire, parce qu’on est assez aveugle pour se couronner de sa propre honte. des MƓurs. qj Mais l’envie est une pastion qu’on n’ose jamais avouer. On rougit de l’avoir , & encore plus de la montrer, parce que tĂ©moigner de l’envie , c’est reconnoĂźtre son infĂ©rioritĂ©, ou faire voir la crainte qu’on a d’ĂȘtre effacĂ©. C’est un aveu du bonheur ou du mĂ©rite des autres, & un hommage secret qu’on leur rend. L’envie sait honneur Ă  celui qui en est l’objet sous un mĂ©pris apparent elle cache une estime rĂ©elle. Si l’on doit plaindre quelquefois ceux qui excitent la jalousie, parce qu’ils peuvent en devenir les victimes ; on doit souvent plaindre encore plus ceux qu’elle Ă©pargne , parce qu’elle ne pardonne qu’au vice & Ă  l’obscuritĂ©. ThĂ©mistocle disoit qu'il n'enviait pas le fort de qui ne fait point d'envieux. Quoiqu’il n’y ait guere de pasilon qu’on veuille cacher avec plus de soin, il n’y en a pas qu’on cache moins l’air & les yeux la dĂ©celent. 11 y en a qui, ne pouvant s’empĂȘcher de parler contre ceux auxquels ils portent envie, croient que leur jalousie est bien cachĂ©e, quand ils disent que ce n’est point l’envie qui les fait parler mais ils n’en imposent Ă  personne. Il faut avouer, disoit un jour une Dame, qu’une telle est une sotte femme je n’en parle pas par envie , ajouta-t-elle , car elle n’a rien qu’on B y z4 L’ É C O L E puisse lui envier. Si cela Ă©toit, reprit quelqu’un , vous rien parleriez pas. Et en effet, on dit peu de mal d’une personne qui ne mĂ©rite point d’ùtre louĂ©e on n’a pas Ă  se venger de sa supĂ©rioritĂ©. Jaloux de primer & de l’emporter sur les autres, tous ceux qui nous effacent ou qui brillent trop Ă  nos cĂŽtĂ©s, ont le malheur de nous dĂ©plaire, & nous ne trouvons aimables que ceux qui n’ont rien Ă  nous disputer. Celui qui a dit que deux femmes ne sauroient se regarder sans qu'au moins l’une des deux ne soit mĂ©contente de l’autre , les connoiiĂźoit assez bien. On ne sauroit louer plus sĂ»rement ni plus dĂ©licatement quelques femmes, quĂš de leur dire du mal de leurs rivales en beautĂ© ou en esprit. C’étoit auili la louange la plus flatteuse qu’on pĂ»t donner Ă  M. de Voltaire , dont la vanitĂ© jalouse ne pouvoir souffrir qu’on louĂąt en sa prĂ©sence quelqu’autre PoĂšte ou Auteur que lui. M. de FĂ©nelon pensoit bien plus noblement. Il parloit toujours avec es. time & avec Ă©loge de ses adversaires. „ Un jour, dit Al. deRamsay 2 , que 2 M. de Ramfity , Auteur de plusieurs Ouvrages, & en particulier des Vies de M. tie FĂ©nelon & de 3M. de Turenne , Ă©toit Eooffnis. AprĂšs avoir Ă©tĂ© tour- Ă -tour Anglican, , TolĂ©rant, ians ĂȘtre ĂŽlistait , il eut enfin le bonheur de trouver Irr vĂ©ritĂ© qu’il therchoĂč rvec droiture & de bonne foi, Ht. de Fcneiou le fixa dans la Religion Catholique. B E S M ƒ U R 8. gf je causois avec lui des Auteurs Ang’ois, il me demanda quel Ă©toit le caractĂšre de Locke. Je dĂ©finis ce Philosophe , & je conclus par ce trait En un mot, dĂ©toit un komme comme AI. de Meaux la pĂ©nĂ©tration de son esprit h ’égalait pas dĂ©tendue de fa science; il avait une grande superficie, mais peu de profondeur. M. de FĂ©nelon me reprit avec une sĂ©vĂ©ritĂ© paternelle, me fit l’éloge de M. de Meaux, & tĂącha de me persuader que ce PrĂ©lat a voit non- seulement une Ă©rudition immense, mais un esprit capable de tout approfondir & d’atteindre Ă  tout La plus vĂ©ritable marque qu'on a soi- mĂȘme de grandes qualitĂ©s & du mĂ©rite, c’est de voir le bonheur des autres fans envie. Le Duc de Guise, qui sut SurnommĂ© le BalafrĂ© Ă  cause d’une blessure au visage qu’il avoit reçue dans une bataille, avoit gagnĂ© au jeu cent mille livres- Ă  M. d’O, Surintendant des Finances. Celui-ci le lendemain lui envoya soixante & dix mille livres en argent, & trente mille en or. Cette derniers somme Ă©toit dans un sac de cuir. Le Duc croyant que ce sac, qui Ă©toit assez petit, ne contenoit que de l’argent blanc, le donna par gratification au Commis qui lui avoit apportĂ© la somme. Le Commis, qui ignoroit lui-mĂȘme ce que contenoit ce sac, l’ayant ouvert Ă  Ion retour, B 6 ?5 L’ É C 0 L E jugea la libĂ©ralitĂ© li extraordinaire, qu'il ne douta point que le Duc ne se fut mĂ©pris. Il lui reporta la somme fur le champ. Mais le Duc la refusa, en lui disant Puisque la fortune vous a Ă©tĂ© fi favorable, cherchez un autre que le Duc de Guise , four vous envier votre bonheur. L’envie n’est pas seulement une des plus honteuses pallions , c’est encore une des plus cruelles. Elle est elle-mĂȘme son supplice. Les talens, la rĂ©putation, la prospĂ©ritĂ© des autres font autant de vers qui rongent l’homme jaloux & le dĂ©vorent en secret. Plus leur gloire tk leur fortune croissent, plus son aversion se sottise & s’allume elle devient au-dedans de lui comme un poison qui le brĂ»le & qui rĂ©pand l'amertume sur toute si vie. Aulfi tout homme nĂ© envieux, est-il naturellement triste ; & le grand Rousseau a eu raison de dire en parlant de l’envie Jilonscre ennemi des mortels & du jour, Qui de soi-mĂȘme est l'Ă©ternel vautour Et qui traĂźnant une vie abattue , Ne s'entretient que du fiel qui le tue. Ses yeux cnvĂ©s, troublĂ©s &idignotans, ' De feux obscurs font chargĂ©s en tout temps Au lieu de sang , dans ses veines circule , En froid poison qui les gele L Is brĂ»le. Il faut ĂȘtre bien ingĂ©nieux Ă  se tour- D ES M ƒ U R S. 57 inenter soi-mĂȘme pour se faire une peins des avantages d’autrui, & pour tourner contre foi ce qui leur est favorable. C’est cependant ce que fait l’envieux il s’afflige de ce qui rĂ©jouit les autres, & fe rĂ©jouit de ce qui les afflige. Combien n’en voit-on pas qui, fĂąchĂ©s mĂȘme de la bonne opinion que certaines personnes ont d’elles-mĂȘmes , & jaloux de la satisfaction qu’elles goĂ»tent, ont un plaisir malin Ă  les dĂ©tromper & Ă  leur faire perdre cette idĂ©e qui les flatte & qui ne nuit Ă  personne ! Combien ont l’ame aisez mal-faite, pour envier aux autres jusqu’aux plaisirs les plus nĂ©cessaires & les plus innocens ! Le Duc de Lauzun ayant Ă©tĂ© mis en prison par ordre de la Cour, avoir trouvĂ© le secret de s’amuser avec une araignĂ©e, qu’il avoit rendue familiĂšre. Elle venoit manger sur sa main, & s’en retournoit ensuite Ă  un trou oĂč elle avoit tendu sa toile. Elle Ă©toit devenue grasse, rebondie , & faisoit tout le plaisir du Duc de Lauzun. 11 la montroit un jour au Gouverneur de la Citadelle oĂč il Ă©toit dĂ©tenu, & il la laissa aller Ă  terre. Le Gouverneur Ă©crasa l’insecte avec une joie maligne. Le Duc en fut outrĂ©. DĂšs qu’il fut sorti de prison, il se plaignit au Roi de l’action du Gouverneur qu’il appela barbare. Le Roi jugea qu’un homme Z8 L’École^ capable d’envier Ă  un prisonnier un pareil plaisir , devoir ĂȘtre d’un trĂšs-mauvais caractĂšre il lui ĂŽta son emploi. Un Empereur Chinois punit l’envie d’une maniĂ©rĂ© peut-ĂȘtre plus sensible encore & plus efficace. Quatre Lettres, gens de mĂ©rite, mais d’une naissance obscure, avoient Ă©tĂ© Ă©levĂ©s aux honneurs. La jalousie ne put voir leur Ă©lĂ©vation fans dĂ©pit. Elle s’arma de tous ses fer- pens , elle dĂ©chaĂźna la calomnie & la fureur, elle inonda tout PĂ©kin de libelles scandaleux qui parvinrent jusqu’à l’Empereur. Il en fut indignĂ©. 11 ordonna qu’on en recherchĂąt les auteurs, pour eu faire un exemple fĂ©vere. 11 consulta le plus prudent & le plus Ă©clairĂ© de les Mi- nisires, fur le genre de supplice dont il falloit les punir. Prince , lui dit ce Minis tre, je lien cannois qiCun , mais il efl plus terrible pour P envieux que les tortures & la mort mĂȘme c’efi Je le rendre tĂ©moin de la prospĂ©ritĂ© Je ceux cpCii poursuit. L’Empereur combla les- Lettres de dit tinctions & de prĂ©sens. Ces bienfaits irritĂšrent l’envie; elle exhala de nouvelles fureurs, & le Prince fit aux LettrĂ©s da nouveaux dons. Les envieux ne doutĂšrent plus, qu'au lieu de nuire, chacun de leurs traits ne fĂ»t l’occasion d’une nouvelle grĂące ils gardĂšrent enfin un profond silence. BientĂŽt iis tremblĂšrent que des MƓurs. 59 ce silence mal interprĂ©tĂ© ne fĂ»t encore favorable aux objets de leur haine, & ne portĂąt l’Empereur Ă  les rĂ©compenser davantage ils prirent le parti de faire de leurs rivaux les Ă©loges les plus pompeux. ===— ^ 800 »==========»‹ N'allez point divulguer ce que l'on vous » confie. Si quelqu’un vous tĂ©moigne allez de confiance pour dĂ©poser son secret dans votre sein, vous devez en ĂȘtre flattĂ©; & il faut le garder plus scrupuleusement que ce qui vous concernĂšrent & ce qu’il vous importeroit le plus de cacher. Des Courtisans disoient au Favori d’un Prince Qu’y a-t-il de nouveau, & que vous a dit le Roi aujourd’hui? car il ne fe fie qu’à vous. Pourquoi donc , leur rĂ©pondit- il , me le demandez-vous ? De tous les secrets, ceux qu’on doit garder avec le plus de foin, ce lont ceux de l’Etat & des intĂ©rĂȘts publics, ou des familles; parce que leur violation a d’ordinaire de plus grandes suites ; & c’est toujours au moins une imprudence de les demander Ă  ceux qui en font les dĂ©positaires. Anlu-Gelle nous a conservĂ© Ă  cet Ă©gard uti beau trait, qui mĂ©rite d'ĂȘtre connu de tous les jeunes gens. C’étoit autrefois 1’ufage Ă  Rome, dit-il, que les SĂ©nateurs menaflbnt avec eux dans 4o L’ É C O L E le SĂ©nat ceux de leurs enfans qui por- toient encore la prĂ©texte, robe bordĂ©e de pourpre quâ€™ĂŒs ne quittoient qu’à l'Ăąge de quatorze ans. Un jour qu’on y traita une affaire importante , & qu’il fallut la remettre au lendemain, on convint de n’en point parler jusqu’à ce qu’elleJ!ut dĂ©cidĂ©e. Le jeune Fapirius a voit assistĂ© ce jour-lĂ  au SĂ©nat avec son pere. Sa mere lui demanda de quoi il y avoit Ă©tĂ© question. L’enfant rĂ©pondit qu’il avoit Ă©tĂ© dĂ©fendu de le dire. La mere n’en devint que plus curieuse. Plus il inilstoit fur la nĂ©cessitĂ© de fe taire, plus ilirritoit ses dĂ©sirs. Enfin , pouffĂ© Ă  bout, il prit ingĂ©nieusement le parti de lui donner le change. Il a Ă©tĂ© quejiion , dit-il, dans le SĂ©nat , de dĂ©cider s’il Ă©tait plus utile Ă  la RĂ©publique de permettre aux hommes d’épouser deux femmes , ou aux femmes d’épouser deux hommes. Cette nouvelle surprit Ă©trangement la mere, qui sortit aussi-tĂŽt de chez elle, & alla conter la chose Ă  ses amies. Le lendemain le SĂ©nat fut environnĂ© de Dames, qui prioient les larmes aux yeux qu’on ne conclut rien fans les ouĂŻr. Les SĂ©nateurs fort Ă©tonnĂ©s, demandĂšrent ce que c’étoit que la folie de ces femmes & ce qu’elles vouloient. Le jeune Papirius s’avança au milieu de l’assemblĂ©e, & raconta les instances que fa mere lui avoit faites Ă  D E S M ƒ U R S. 41 ce qu’il loi avoit rĂ©pondu. Le SĂ©nat loua la fermetĂ© & son esprit, & rendit un arrĂȘt qui dĂ©fendoit aux SĂ©nateurs d’amener dĂ©sormais leurs enfĂ ns au SĂ©nat, exceptĂ© le seul Papirius. Il eli difficile aux enfans & aux femmes de garder un secret ; & il y a souvent de l’indiscrĂ©tion Ă  confier Ă  celles- ci une chose importante. Quoiqu’on en trouve quelquefois de discrĂštes , la plupart ne font pas assez les maĂźtresses de ce qu’elles disent un secret leur Ă©chappe, en quelque sorte , malgrĂ© elles , sans qu’elles s’en apperqoivent & fans qu’elles aient envie de le dĂ©couvrir. Combien d’hommes en cela qui font femmes ! Ayez plus de fermetĂ© & de prudence ; & que jamais rien au monde ne vous engage Ă  trahir la confiance qu’on a eue en vous. Soyez fidelle Ă  ceux qui ont cru que vous l’étiez. Souvenez-vous que le secret doit ĂȘtre mis au rang des choses les plus sacrĂ©es ; qu’une des premiĂšres lois de la sociĂ©tĂ© est de taire ce qui ne doit pas ĂȘtre rĂ©vĂ©lĂ© , & que nous ne sommes pas en droit de disposer d’un bien dont nous ne sommes que les dĂ©positaires. Gardez aussi inviolablement les secrets de l’amitiĂ©. Celui qui dĂ©couvre les secrets de son ami, dit le Sage, perd sa confiance; & il ne trouvera jamais d’ami 4L -'V Ecole selon son cƓur. Si vous rĂ©vĂ©lez so s secrets , c’tst en vain que vous tĂącherez de le regagner ; vous irez inutilement aprĂšs lui , car il est dĂ©jĂ  bien loin il s’est Ă©chappĂ© comme une chevre qui so fauve du filet, parce que son ame est blessĂ©e. On peut encore so rĂ©concilier aprĂšs des injures , mais loisonVm est assez malheureux pour rĂ©vĂ©ler les secrets de son ami, il ne reste plus aucune espĂ©rance de retour O* Un homme infidelleau secret, ne sera jamais aimĂ© ni estimĂ© de personne ; & ceux mĂȘme qui l’ont fait parler, seront les premiers Ă  le mĂ©priser, ses moindres sautes'en ce genre font, pour ainsi dire s des crimes irrĂ©missibles on les punir de la maniĂ©rĂ© la plus sensible Ă  une personne qui n’a pas perdu tout sentiment, c’est qu’on ne lui donne jamais plus l’occasion d’y retomber. Lorsque vous laissez sortir de vos lĂšvres le secret de votre ami, croyez que l’amitiĂ©, la fidĂ©litĂ©, l’honneur, la sagesse & la justice sortent de votre ame en mĂȘme temps. Soyez donc toujours fur vos gardes, pour ne rien dire & mĂȘme pour ne rien faire, qui puisse le dĂ©couvrir. Car on 3 dĂ©nudĂąt , fidem verdit . ÂŁrV, Eocli. 27 . dĂšs MƓurs. 4.; peut manquer au secret de plusieurs façons. Il y a des gens qui promettent la secret, & qui le rĂ©vĂšlent sans le avoir; ils ne le disent point, & on le lit sur leur front & dans leurs yeux. D’autres ne disent pas expressĂ©ment la chose qu’011 leur a confiĂ©e, mais ils parlent & agissent de maniĂ©rĂ© qu’on la dĂ©couvre de soi- mĂȘme. Souvent aussi c’est manquer au secret, que de faire entendre qu’on en est ou qu’on en a- Ă©tĂ© le dĂ©positaire. Il ne saut pas mĂȘme qu’on sache que nous avons eu une chose Ions le secret, ou que nous l’avons encore. Un secret soupçonnĂ© est plus qu’à demi rĂ©vĂ©lĂ©. Il y en a qui s’imaginent n’avoir pas manquĂ© au secret, parce qu’ils ne l’ont dit qu’à une personne & mĂȘme Ă  un ami. Mais on ne le leur a voit pas confiĂ© avec la permission de le dire Ă  cette personne ; & puis il est rare que ces sortes de confidences ne passent pas encore pins loin. Quelqu'un vint raconter Ă  un autre une chose qu’on lui avoir dite sous le secret, & lui recommanda de n’en point parler. Soyez tranquille , lui dit l’autre, je senti aujji discret que vous. Il y a des momens bien critiques pour le secret on a besoin alors de toutes les rĂ©flexions de sa raison & de toute la force de son esprit, pour le retenir, principa- 44 L’ É c o l e lement quand c’est la colere ou l’amour qui sollicite Ă  le rĂ©vĂ©ler. Cette derniers palJion est la plus dangereuse. On revoie un secret dans la colere, mais il Ă©chappe dans l’amour, st l’on est infiniment fur ses gardes , dans ces momens dont l’ivreste fait oublier toutes les lois de la prudence. M. de Turenne en est un exemple bien frappant. 11 Ă©toit impĂ©nĂ©trable Ă  la tĂȘte des armĂ©es. M. de Louvois, Ministre de la guerre , se plaignoit de ce qu’il n’apprenoit ses desteins que par les gazettes. M. de Turenne ne les con- fioit pas mĂȘme au Roi. Ce Prince dit un jour Ă  un Officier-gĂ©nĂ©ral, qui partoit pour l’armĂ©e d’Allemagne Dites , je vous prie , Ă  M. de Turenne qu'il me fasse pars de ses desseinsj'y fuis pour le moins aussi intĂ©ressĂ© que lui. Cependant ce grand homme eut la foiblesse de dĂ©couvrir Ă  Madame Coaquin qu’il aimoit, un secret que le Roi lui avoit confiĂ©. Cette Dame le rĂ©vĂ©la au Chevalier de Lorraine. Celui-ci apprit le secret Ă  Monsieur 4, Ă  qui on vouloir le cacher. Monsieur le dit au Roi. Ce secret Ă©toit le voyage que Madame devoir faire en Angleterre, pour nĂ©gocier avec le Roi son frere, Jacques II. Louis XIV eut un Ă©clair- 4 Ou appelle ainsi en France le Roi; ere unique d* des MƓurs. 4$- ciflcment avec M. de Turenne, qui lui avoua qu’il avoir eu la faiblesse de rĂ©vĂ©ler le mystĂšre Ă  Madame Coaquin. DĂ©fiez-vous de cette Dame , lui dit le Roi, puisqu'elle a trahi votre secret en faveur du Chevalier de. Lorraine , vous voyez bien que vous, ĂȘtes sacrifiĂ©. Quelle dĂ©fiance ne devons-nous pas avoir de nous-mĂȘmes ! & de quelle foiblesse l’homme n’elt-il pas capable , puisqu’un si grand homme , si religieux sur le secret, n’a pu garder celui d’un Roi ! Il n’y pensoit jamais fans rougir de confusion. Aussi dit-il Ă  un Seigneur qui le mit fur ce chapitre un soir dans sa chambre Eteignons les lumiĂšres , U je vous dirai ensuite cette histoire. Ce n’est pas assez de tenir cachĂ© ce qui nous a Ă©tĂ© confiĂ© fous la condition du secret. La conversation & la sociĂ©tĂ© emportent une convention gĂ©nĂ©rale & tacite, qui oblige Ă  taire tout ce qui peut ĂȘtre prĂ©judiciable en quelque maniĂ©rĂ© Ă  celui qui l’a dit. C’étoit la belle maxime du Comte de Sbaftsbury , qui eut une occasion Ă©clatante de la mettre en pratique. Ce Seigneur, si cĂ©lĂ©brĂ© dans l’histoire d’Angleterre par la grande part qu’il eut aux mouvemens qui agitĂšrent le Regne du Roi Charles II , Ă«toit devenu , de Ministre de ce Prince, son plus dangereux ennemi, & s’étoit jetĂ© 46 L’ É C O L E dans le parti du Parlement, Quelque temps aprĂšs, on y attaqua M. Mollis fur des nĂ©gociations sĂ©crĂ©tĂ©s qu’il avoir eues avec le Roi. Rien ne rnanquoit pour le perdre que des tĂ©moins. On comptoir en trouver un, te! qu’on le dĂ©sirait, dans la personne du Comte, qui avoir Ă©tĂ© dans le cas de tout savoir. 11 y avoir d’autant moins lieu de douter qu’il ne parlĂąt, que c’étoit pour lui une belle occasion, & une occasion qui se prĂ©sentoir d’elle-mĂȘme, de ruiner un ancien ennemi. Mans cette pensĂ©e, on cite le Comte & on l’interroge. Il rĂ©pond qu’il ne peut satisfaire fur ce qu’on lui demande, parce que quand mĂȘme il sauroit quelque chose au dĂ©savantage de M. Mollis , il ne devroit point avoir recours Ă  cette voie infame de se venger d’un ennemi. Ceux qui l’avoient fait comparaĂźtre l’exhortent, le pressent, le menacent. Tout fut inutile. On lui ordonna de le retirer ; & plusieurs Membres du Parlement proposĂšrent avec tant de chaleur de l’envoyer Ă  la Tour, que ses amis effrayĂ©s vinrent le solliciter de cĂ©der aux iuRances de la Chambre. Liais il demeura ferme dans fi rĂ©solution, & il eut le bonheur que mĂ©ritait son action gĂ©nĂ©reuse, celui de trouver assez d’amis pour le tirer d’affaire. M. Mollis alla le remercier en termes pleins de recon- des MƓurs. 47 tioisstnce & d’estime. Le Comte lui dit qu’il ne prĂ©tend oit lui imposer aucune obligation par Ibtction qu’il venoit de faire, qu’il se devoit Ă  lui mĂȘme la conduite qu’il avoit tenue, & qu’il auroit fait la mĂȘme cl;ose pour tout autre ; que cependant il conuoilfoit assez le mĂ©rite de M. Hollis & le prix de son amitiĂ©, pour ĂȘtre prĂȘt Ă  l’accepter comme une insigne faveur, s’il l’en jugeoit digne. M. Hollis charmĂ© de ce discours autant que de ce qui y avoit donnĂ© lieu, assura le Comte d’un attachement sincere & zĂ©lĂ©. Par-lĂ  une ancienne mĂ©sintelligence entre deux hommes gĂ©nĂ©reux, opulens & voisins, fut changĂ©e en une vraie & solide amitiĂ©. Quoique le secret doive ĂȘtre ordinairement inviolable, il y a nĂ©anmoins des cas oĂč l’on peut, oĂč l’on doit mĂȘme le rĂ©vĂ©ler. S’il doit nuire Ă  l’innocence, s’il couvre un dessein criminel, ne craignez point de le dĂ©couvrir Ă  la. personne qui en seroit la victime, ou Ă  ceux qui peuvent y mettre obstacle. Henri llĂź, Roi de France, avoit fait arrĂȘter le Roi de Navarre , qui fut depuis Henri IVL Ce Prince ayant trouvĂ© moyen de s’échapper de fa prison, on soupçonna Fervaques d’avoir eu connoiflance de cette fuite, & de n’en avoir pas donnĂ© avis. Le Roi furieux jura dans fa coiere que Fervaques 43 V É c o L E paierait de sa tĂšte cette trahison, & ajouta que celui qui avertirait ce traĂźtre lui rĂ©pondrait de la fuite. Grillon & plusieurs Courtisans Ă©toient prĂ©sens ; & comme on connoiiibit Henri III capable de faire pĂ©rir un innocent, Crillon frĂ©mit en l’entendant jurer la mort d’un homme de qualitĂ©, bon Officier , & d’une valeur reconnue. 11 rĂ©solut de l’arracher au pĂ©ril pressant oĂč il le voyoit. Il va trouver Fervaques, lui apprend ce qui vient de fe passer, & l’exhorte Ă  s’évader. Henri instruit le matin que Fervaques a disparu, entre dans une colere affreuse. Son imagination est quelques momens errante fur tous ceux qui avoient entendu son serment ; mais bientĂŽt ses soupçons fe fixent fur Crillon son estime pour lui les combat & les appuie en mĂȘme temps. Fervaques, lui dit-il avec un regard furieux, vient d’échapper Ă  ma vengeance , & ne me laisse que l’espoir de l’exercer d’une maniĂ©rĂ© plus Ă©clatante fur celui qui me l’a dĂ©robĂ© le connoissez-vous? Oui, Sire, rĂ©pondit Crillon. HĂ© bien, reprit le Roi vivement , nommez le-moi. Je ne serai jamais dĂ©lateur que de moi-mĂȘme , rĂ©pliqua Crillon mais la jttjle crainte qiCun nnocent ne soit une vĂŻĂŒime immolĂ©e au rejseutiment de Votre MajestĂ© me prescrit de- vous livrer le coupable oui, Sire , »es MƓurs. 49 je suis celui que vous devez punir, celui qui se seroit cru l'ajsajfin de Fervaques, fi j’eufie gardĂ© un secret qui lui eut coĂ»tĂ© la vie. Le Roi Ă©tonnĂ©, resta un moment sans parler, les veux fixĂ©s fur lui; puis rompant le silence, il dit Comme il n’p a qu’unCrillon dans le monde, ma clĂ©mence en far faveur ne fait pas un exemple dangereux. Ci Tome II, 50 L’ É C O L E XIV. Sans ĂȘtre fami ier , ayez un air aisĂ©. Cet air aisĂ©, qui annonce la belle Ă©ducation, s'acquiert, ainsi que la politesse, plus par l'usage du monde & en frĂ©quentant les bonnes compagnies, que par les leçons & les discours. Il y en a qui l’ont naturellement, & qui fans art ont des grĂąces infinies dans tout ce qu’ils font chez eux, tout est aisĂ©, tout coule de source. Il y en a d’autres, aĂŒ contraire, qui font naturellement gĂȘnĂ©s, embarrassĂ©s, timides ils ne savent ni parler ni se taire, ni faire ni recevoir une honnĂȘtetĂ©. Ils ont un air gauche & pelant, qui dĂ©pare tout ce qu’ils font. Il n’est pas facile d’acquĂ©rir l’air aisĂ©, quand la nature ne l’a pas donnĂ© mais il vaut mieux rester ce qu’on est, que d’affecter ce qu’on n’est pas. Souvent en voulant paraĂźtre plus agrĂ©able, on n’en paroĂźt que plus ridicule. Les grĂąces mĂȘme, dĂšs qu’il y entre de l’affectation, cessent de l’ĂȘtre. il n’est pas moins difficile d’îter la timiditĂ©. Elle ne se corrige guere par de simples avis ; on y rĂ©ulfira encore moins par des railleries & des reproches. DES M ƒ U R S. si On ne fĂ uroit s’y prendre trop douce, meut il faut louer, encourager & flatter cet orgueil dĂ©fiant, qui craint de se faire tort dans l’esprit des autres ou de se trahir soi-mĂȘme. Car quoique la timiditĂ© ait toutes les apparences de la modestie, c-lle n’est souvent qu’une vanitĂ© secrete & plus raffinĂ©e. Plusieurs ne font timides que parce qu’ils veulent trop plaire, & qu’ils font trop sensibles aux jugemens qu’on peut faire d’eux. Ils ne parlent qu’en tremblant, parce qu’ils ne savent comment on recevra ce qu’ils disent & s’il est propre Ă  leur faire honneur. Il est dangereux de laisser prendre aux jeunes gens trop de confiance en eux- mĂȘmes ; il y a du danger Ă  ne pas leur .en laisser prendre assez. Une hardiesse & une timiditĂ© excessives font Ă©galement contraires Ă  la vraie politesse, qui veut qu’on parle & qu’on agisse d’un air modeste & d’un air aisĂ©, afin de ne choquer & de ne gĂȘner personne. La prĂ©fomp. tjon produit le mĂ©pris des autres, & parla le manquement aux Ă©gards qui leur font dus. Le dĂ©faut d’une juste confiance en foi-mĂȘme, produit une pudeur niaise & un embarras ridicule. Mais quoique la timiditĂ© soit un dĂ©faut , on la pardonne bien plus volontiers que la prĂ©somption elle flatte l’orgueil des autres, au lieu que la prĂ©somption C 2 yi L’ École l’humilie. 11 vaut donc mieux ĂȘtre un peu timide que trop hardi. Trop de hardiesse dans un jeune homme est le prĂ©liminaire de l’effronterie on est fondĂ© Ă  croire qu’il ira bientĂŽt jusqu’à l’impudence. L’air aisĂ©, s’il devient trop libre, comme il arrive souvent, dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© bientĂŽt en familiaritĂ©, & conduit au mĂ©pris. Les Ă©gards qu’on a les uns pour les autres, aident beaucoup Ă  conserver une estime rĂ©ciproque , qui est un des plus leurs liens de la sociĂ©tĂ©. Les amis mĂȘmes doivent se respecter, s’ils veulent rester long-temps amis. Mais c’est fur-tout avec les Dames, qu’il convient Ă  un jeune homme de ne paroĂźtre jamais familier. Il doit les approcher fans gĂȘne, mais toujours avec une retenue modeste , mĂȘlĂ©e de respect ses maniĂ©rĂ©s, fans rien sentir de la contrainte , ne doivent jamais passer les bornes de la plus exacte pudeur. C’est Ă  elles Ă  en faire ressouvenir ceux qui oseroient y manquer. On ne doit pas ĂȘtre moins rĂ©servĂ© avec les personnes qui font supĂ©rieures , & il n’est jamais permis d’oublier le respect qui leur est dĂ». Charles II, Roi d’Espagne , le jour que mourut Philippe IV admit selon la coutume les Grands Ă  venir lui baiser la iĂźiain. Un d’eux, dans son compliment DES M ƒ U R S. f’ de condolĂ©ance & de fĂ©licitation , s’étant servi du terme Ă 'ami Les Rois, dit ce Monarque avec un ton d’autoritĂ©, n'ont pas leurs vassaux pour amis , mais pour serviteurs. On peut souvent agir sans façons avec ses Ă©gaux, mais il ne faut jamais le faire avec ceux qui font au-deflus de nous ; comme Anguß e le fit un jour entendue finement Ă  un de ses Courtisans. Ce Prince souffroit que ses Ministres le rĂ©galassent l’un aprĂšs l’autre. Un d’eux le traitant fans beaucoup de façons , Auguste lui dit Je ne croyais pas que nous fussions fi familiers ensemble. Il faut avec ceux qui font au-dessus de nous, que notre familiaritĂ© mĂȘme soit respectueuse. On accuse, peut-ĂȘtre avec justice, les François d’y manquer trop facilement. Aussi le Cardinal Ma- zarin, dans les maximes qu’il infpiroit Ă  Louis XIV , lui recommande-t-il ce point. Ne vous familiarisez pas trop avec vos Courtisans, lui disoit-il, de peur qiĂź ils ne vous perdent le refpeB, Le Roi profita de ce conseil; & jamais Prince n’eut l’air plus sĂ©rieux, plus imposant, plus majestueux que ce Monarque, qui savoir nĂ©anmoins, dĂšs les premiĂšres annĂ©es de son regne, le tempĂ©rer par une grande bontĂ©. Un jour qu’il avoir donnĂ© audience aux DĂ©putĂ©s des Etats de Bour* C ; 5*4 L’ É c o l E gogne , le Cardinal Mazarin dit Ă M. de Vilieroi Monsieur le MarĂ©chal , avez- vous pris garde comme le Roi Ă©coute en maĂźtre çfj 1 parle en pere ? 11 Ă©toit le premier Ă  rassurer ceux que sa prĂ©sence avoit intimides. Un PrĂ©lat fort Ă©loquent, malgrĂ© la grande habitude qu’il avoit de parler en public , fut dĂ©concertĂ© dans un discours qu’il fit Ă  ce Monarque, & il hĂ©sita quelque temps. Ce Prince .adoucissant alors cette noble fiertĂ© qui ccla- toit fur son front, dit d’un de ces tons de voix qui entrent dans le cƓur, & qu’il savoir prendre si Ă  propos Nous vous sommes obligĂ©s , Monsieur , de nous donner le loisir d'admirer les belles choses que vous nous dites. Le PrĂ©lat se remit, & continua son discours avec succĂšs» " parce que vous ne pouvez les comprendre. Mais comprenez-vous mieux ceux de la nature ? Combien n’en a-t-elle pas oĂč votre esprit se perd, & qui sont pour vous autant d’abymes impĂ©nĂ©trables ! Tout l’univers est rempli de vĂ©ritĂ©s, qui sont en mĂȘme temps indubitables & incomprĂ©hensibles. Nous connoiisons les effets ; mais souvent les causes font pour nous comme autant de mystĂšres , que la Mture nous cachesous ses voiles augustes, \ ‱fl U E C O L E Et vous ĂȘtes surpris que son divin Auteur en renferme' dans son propre sein, qui passent les bornes de votre intelligence! Vous voulez atteindre jus. qu’à l’Etre suprĂȘme, vous qui ne pouvez connoitre l’essence du grain de fable que vous foulez Ă  vos pieds ! Seroit-il Dieu , seroit-il l’Etre infini, si des ĂȘtres bornĂ©s pou voient connoitre tout ce qu’il elf ? Vous feriez bien petit , Soigneur , disoit dans sa belle simplicitĂ© saint François de Sales, fi vous pouviez ĂȘtre compris par un esprit aussi petit que le nĂŽtre. Ecoutez aussi la sage rĂ©ponse , que fit trois cents ans avant rĂ©tablissement de la religion Catholique, un cĂ©lĂ©brĂ© MathĂ©maticien Ă  un Sophiste, qui lui demanda de quelle nature Ă©toient les Dieux. Tout ce que je sais , rĂ©pondit Euclide, c'efi qiCils baissent bien ceux qui sont curieux de pĂ©nĂ©trer les mystĂšres qiCils leur cachent. Mais ce qui doit surprendre encore plus, c’est que ces prĂ©tendus esprits-forts, qui insultent aux vrais fidelles comme Ă  des automates, Ă  des Ăąmes foibles, Ă  des esprits remplis de prĂ©jugĂ©s, font quelquefois eux-mĂȘmes les plus crĂ©dules & ses plus soumis Ă  l’empire du prĂ©jugĂ©. Combien parmi eux croient par autoritĂ© , qu’il ne faut pas croire Ă  l’autoritĂ©, & prĂ©fĂšrent celle des hommes Ă  celle de Dieu ! Ils nous accusent de ramper sous des MƓurs. 7; le joug & de nous laiffer entraĂźner par les opinions reçues mais ne se laiisent- ils pas eux-mĂȘmes subjuguer presque tous par un plus habile ? Qu’il se trouve parmi eux un de ces gĂ©nies supĂ©rieurs , qui nĂ© avec une imagination forte & dominante, aime Ă  donner dans des opinions nouvelles, dans des paradoxes singuliers , & leur prĂȘte toute la sĂ©duction d’une certaine candeur qui en impose encore plus que son style mĂąle & vigoureux combien aulfi-tĂŽt recevront aveuglĂ©ment ses dĂ©cisions tranchantes, comme des oracles; & adopteront sans examen les systĂšmes inintelligibles qu’il a bĂątis dans son imagination Ă©chauffĂ©e , comme le vrai systĂšme de la nature ! Qp’il se trouve un de ces hommes hardis, qui dĂ©sespĂ©rant, nouvel Eros. trĂ€te , de pouvoir s’immortaliser autrement que par des facrileges, ou aimant mieux, comme CĂ©sar, ĂȘtre le premier dans une bicoque que le second Ă  Rome, leve hautement l’étendard de l’impiĂ©tĂ©, & se mette Ă  la tĂȘte des ennemis de la religion qu’un tel homme, Ă  l’ambition de s’ériger en chef de parti, de se faire un nom par la guerre impie qu’il dĂ©clare Ă  Dieu, joigne un esprit vif & facile, une imagination brillante & pittoresque ; bientĂŽt il deviendra l’oracle de nos beaux- Toms II, D 74 L’ É C O L E esprits, de nos petits-maĂźtres, qui font ou trop lĂ©gers ou trop superficiels pour vouloir rien approfondir, ou trop corrompus & trop vicieux pour aimer Ă  le faire. Quoiqu’il soit historien sans bonne foi i , philosophe sans raisonnement, moraliste sans principe, il fera l’idole de ses admirateurs, qui se laisseront Ă©blouir par le coloris de son pinceau , par la hardiesse de ses dĂ©cisions, par la douceur & la commoditĂ© de sa morale. Une foule de disciples courra dans sa dĂ©licieuse retraite entendre ses leçons d’impiĂ©tĂ©, ou s’empressera de les aller prendre dans ses ouvrages. Son nom , son autoritĂ© , qui leur tiendront lieu de preuves, exerceront fur leurs sentimens un pouvoir despotique qui les pliera Ă  son grĂ© & les subjuguera sans rĂ©sistance. Et ils oseront encore aprĂšs cela nous traiter d’esprits foibles '& serviles , qui croient aveuglĂ©ment les mystĂšres les plus incomprĂ©hensibles, quoique nous ne les croyions que fur le tĂ©moignage infaillible de Dieu mĂȘme ! Car, ce qui mĂ©rite i Il invente ce qu’il ne fait pas , & change ce ✓ qu i! fait. Lorsque le Lord , pere du Vicomte de Bo- lingbrocke, lui dit au sujet d’un fait tronquĂ© & embelli de l’Histoire de Charles II Convenez que les choses ne fe passĂšrent pas ainsi ? Il lui rĂ©pondit Et vous , Milord , convenez que cela efi mieux comme je ls rapporte. Milord sourit, lĂ© regarda & le quitta. - des MƓurs. 75- d’ùtre observĂ© ici, il ne s’agit pas de se rĂ©crier fur ce que nos mystĂšres font inconcevables il n’est question que de savoir si, tout impĂ©nĂ©trables qu’ils font en effet, ils ont pour eux l’autoritĂ© de la rĂ©vĂ©lation divine. C’est lĂ  le point dĂ©cisif de la religion. Si elle peut le prouver, comme elle le prouve invinciblement; dĂšs-lors, quelle que soit la profondeur de ses dogmes, il faut nĂ©cessairement que la fiertĂ© de la raison s’abaisse & plie devant eux il faut qu’elle consente Ă  croire ce qu’elle ne comprend pas, Ă  moins qu’elle ne prĂ©tende que Dieu, qui est la vĂ©ritĂ© par essence,ait voulu autoriser l’erreur & nous tromper lui-mĂȘme; ce qui feroit mettre dans l’idĂ©e que nous devons avoir de Dieu une monstrueuse contradiction. Que faut-il donc penser de l’Auteur de l’infame EpĂźtre Ă  Uranie ? AprĂšs s’y ĂȘtre dĂ©clarĂ© hautement l’ennemi du divin Fondateur de la religion chrĂ©tienne, ne se rĂ©fute & ne fe condamne-t-il pas lui- mĂȘme par ces beaux vers dignes d’un meilleur ouvrage! Ciel, ĂŽ Ciel ! quel objet vient de frapper ma vue ! Je reconnois le Christ puissant & glorieux. AuprĂšs de lui dans une nue , Sa croix se prĂ©sente Ă  mes yeux. Sous ses pieds triomphans la mort est abattue Des portes de l’Enfer il est victorieux. D L 76 L’ É C O L E Son regne est annoncĂ© par la voix des oracles Son trĂŽne est cimentĂ© par le sang des Martyrs. Tous les pas de ses Saints font autant de miracles; Il leur promet des biens plus grands que leurs dĂ©sirs. Ses exemples font fonts, fa morale est divine. Il console en secret les cƓurs qu’il illumine. Dans les plus grands malheurs il leur offre un appui ; Et fi fur l'imposture il fonde fa doctrine, C’est un bonheur encor d’ĂȘtre trompĂ© par lui. VOLTAIRE, Non, fans doute, une doctrine fondĂ©e fur l’imposture ne peut avoir les caractĂšres divins que donne Ă  la religion chrĂ©tienne le PoĂ«te d’Uranie, ausii hardi dans ses pensĂ©es qu’accoutumĂ© Ă  les dĂ©truire & Ă  les combattre.. Auffi ne sommes- nous pas rĂ©duits Ă  des incertitudes ni Ă  de simples vraisemblances fur la vĂ©ritĂ© du Christianisme. Si elle n’étoit pas Ă©tablie fur des preuves solides & convaincantes , on ne seroit pas obligĂ© de la reconnoĂźtre, ni coupable de l’avoir mĂ©connue. Dieu qui, en qualitĂ© d’Etre suprĂȘme, peut & doit exiger un culte de la part des hommes , leur doit donc & se doit Ă  lui-mĂȘme de leur apprendre quelle est la religion qui seule a droit de lui plaire. Il doit la marquer tellement de son sceau divin, que, sans dĂ©raisonner, on ne puisse soupçonner mĂȘme que les hommes seuls en soient les auteurs. Auilt Des MƓurs. 77 n-t-il eu soin de le faire, en imprimant Ă  sa rĂ©vĂ©lation des caractĂšres qui en attellent Ă©videmment la divinitĂ©. Mille belles plumes ont dĂ©veloppĂ© , dans de savans Ouvrages, ces caractĂšres lumi- neux qui portent nĂ©cessairement la conviction dans tout esprit droit & raisonnable. Nous nous bornerons ici Ă  deux, qui, chacun en particulier , suffiroient pour convaincre que la religion chrĂ©tienne ne peut ĂȘtre que l’ouvrage de Dieu. C’elt le miracle auffi Ă©tonnant qu’avĂ©rĂ© de la rĂ©surrection de Jesus- Christ, & les circonstances merveilleuses de l’établissement du Christianisme. Jeune homme que je veux instruire ici , je suppose que vous n’ĂȘtes point de ces esprits frivoles ou corrompus, qui 11e lisent qu’avec rĂ©pugnance ce qui regarde la religion indice trop certain qu’ils ne l’aiment point, si mĂȘme ils ne vont pas jusqu’à la haĂŻr secrĂštement, parce qu’elle les gĂšne ou les condamne. J’aime au contraire Ă  me persuader que la regardant avec raison comme la choie la plus importante qui soit au monde, ,vous lui ĂȘtes sincĂšrement attachĂ© ; & que vous relisez toujours avec plaisir les solides preuves qui vous confirment de plus en plus dans la douce & satisfaisante persuasion , que la religion que vous avez le bonheur de professer est D ? 78 L’ É c o L E vĂ©ritablement divine. Ceux qui pouvant l’étudier, ne veulent pas s’en donner la peine, & aiment mieux, comme ils le disent, s’en tenir Ă  la foi du Charbonnier 2, marquent peu de religion & une secrete disposition a l’incrĂ©dulitĂ© , ou une indiffĂ©rence criminelle pour la plus nĂ©cessaire de toutes les connois. sauces. O vous que les leçons de l’impiĂ©tĂ© ont prĂ©venu contre elle , Ă©tudiez-la avec le dĂ©sir sincere de connoĂźtre la vĂ©ritĂ© ; & bientĂŽt vous ferez convaincu qu’elle eff marquĂ©e au sceau de la DivinitĂ©. C’est ce qui est arrivĂ© Ă  deux favans Anglois, Milord Littletou, & M. Gilbert Werst. AprĂšs avoir long-temps fait pro- feilion de dĂ©isme, ils Ă©tudiĂšrent enfin la religion chrĂ©tienne avec l’application que mĂ©rite une affaire de cette importance. Ils Ă©prouvĂšrent l’un & l’autre ce qu’ils ont souvent rĂ©pĂ©tĂ© depuis, que tout honnĂȘte homme qui l’étudie sĂ©rieusement, ne tarde guere Ă  reconnoitre le foible des objections qu’on fait contre elle, & la soliditĂ© des preuves fur lesquelles elle est Ă©tablie. La lumiĂšre brilla 2 On detrandoit un jour Ă  un Charbonnier Que crois-tu? Il rĂ©pondit Ce que cnit C Eglise.. On lui demanda encore Mais que croit l’Eglise ? Ce que je crois, rĂ©pliquĂąt-il. Une telle profession de foi Ă©toit une ignorance grossiĂšre ou une vraie dĂ©rision. ĂŻ E S M ƒ 13 R S. 7 $s Ă  leurs yeux, les nuages des prĂ©jugĂ©s fe dissipĂšrent j &, ce qui fera toujours le fruit des recherches en cette matiĂšre & de la droiture du cƓur , ils reconnurent & embrassĂšrent enfin la vĂ©ritĂ©. Mais que cette droiture de cƓur est; rare ! On cherche moins Ă  s’instruire , qu’à fe rassurer dans le parti inquiĂ©tant de l’incrĂ©dulitĂ©. Combien de personnes, pour vivre plus tranquillement dans leurs dĂ©sordres, & pour fe livrer plus impunĂ©ment Ă  leurs passions, voudroient que la religion fĂ»t fausse, & cherchent de tous cĂŽtĂ©s des doutes, qu’ils aiment Ă  prendre pour des vĂ©ritĂ©s ! Ils applaudissent Ă  tous les traits qu’on lance contre elle. Ils dĂ©vorent avec une espece de voluptĂ© tous ces poisons rĂ©chauffĂ©s qu’ils trouvent dans ces libelles impies dont le public est inondĂ©; tandis que presque aucun d’eux ne daigne jeter les yeux fur les excellens ouvrages qui ont Ă©tĂ© faits pour dĂ©fendre la religion. Ils y verroient qu’on ne l’attaque que par le mensonge, par la mauvaise foi, par de misĂ©rables sophismes que ses adversaires ne cessent de rĂ©pĂ©ter , quoiqu’on y ait cent fois victorieusement rĂ©pondu. Ils y verroient que les preuves qu’elle donne de fa divinitĂ© , font non-feulement invincibles, mais si claires & si faciles Ă  comprendre* D 4 §0 L’ Ê C 0 L B qu’il n’y a personne qui ne puMe- en sentir la vĂ©ritĂ©. Tel est sur-tout l’éclatant miracle de la RĂ©surre&ion de Jesus-Chrifi. Comme il n’y a que la toute-puillĂ nce divine qui puisse arracher Ă  la mort lĂšs victimes , & rendre la vie Ă  ceux qui l’ont perdue; il n’y a qu’un Dieu feit homme qui puisse se ressusciter lui-mĂȘme. Jamais aucun imposteur n’a eu la folie d’annoncer qu’aprĂšs sa mort il sortiroit vivant du tombeau. Jesus-Christ est le seul envoyĂ© de Dieu, qui ait osĂ© faire une telle prĂ©diction , & la donner comme la marque la plus certaine de l’authenticitĂ© de sa million. ; . Cette prĂ©diction croit devenue si publique & si connue, que le lendemain de sa mort , les Princes des PrĂȘtres & les Pharisiens allĂšrent ensemble chez Pilate, & lui dirent „ Seigneur, nous nous sommes souvenus que ce SĂ©ducteur a dit, lorsqu’il Ă©toit encore en vie Je rejjĂźifciterai trois jours aprĂšs. Commandez que son sĂ©pulcre soit gardĂ© jusqu’au troisiĂšme jour, de peur que ses Disciples, venant dĂ©rober le corps , ne disent au peuple qu’il est ressuscitĂ© ; & qu’ainsi la derniere erreur ne soit pire que la premiĂšre. . 3 Matth, XII. 39 . XXVII. 62 . Joan. II. 19. n e s M Ɠ u r s. gi Si donc la RĂ©surrection de J&sus Christ n’est qu’une fable, li les preuves mĂȘme qu’on en a ne font qu’équivoques ou incertaines; brisons ses statues, renversons ses autels, & ne le regardons plus que comme un misĂ©rable sĂ©ducteur , un imposteur sacrilege, qui a voulu follement abuser de notre crĂ©dulitĂ© & usurper les honneurs divins, allais s’il est vraiment revenu Ă  la vie, ainsi qu’il l’avoit prĂ©dit ; si la preuve que nous en avons est portĂ©e jusqu’au plus haut degrĂ© de certitude que les hommes pussent jamais avoir ; il faut qu’à son nom tout genou flĂ©chisse, & qu’on le reconnusse pour le MaĂźtre souverain du Ciel & de la terre. Or ce prodige unique & inouĂŻ jul- qu’alors , est prouvĂ© par un grand nombre de tĂ©moins oculaires & dignes de foi, par l’aveu de ses ennemis, par le tĂ©moignage de Dieu mĂȘme. U n’y a donc jamais eu d’évĂ©nement mieux attestĂ© ; & la certitude que nous en avons, est la plus grande qu’on puisse jamais avoir. Mais examinons un moment tous ces tĂ©moignages , & pelons-les. Les premiers qui dĂ©posent en faveur de la rĂ©surrection de JĂ©sus-Christ, font tous ses ApĂŽtres & tous ses Disciples tĂ©moins oculaires , & qui mĂ©ritent la plus forte crĂ©ance. L’illusion, la prĂ©vention , le prestige n’ont eu aucune part D 5 8r L’ É c o i e Ă  ce qu’ils voyoient. On ne peut pas les soupçonner d’une crĂ©dulitĂ© simple ou indiscrĂšte. MalgrĂ© les tĂ©moignages les plus prĂ©cis, les plus formels des saintes femmes , ils traitoient tout ce qu’elles leur rapportaient, de folie & de vision. Ce ne fut qu’aprĂȘs qu’il se fut fait voir Ă  eux plusieurs fois, qu’il eut mangĂ© devant eux, & qu’il leur eut fait toucher son corps & ses plaies mĂȘme, que fa rĂ©surrection leur parut un fait conL- tant & indubitable 4 . Ce n’est point un seul, ni quelques- uns des Disciples qui l’ont vu outre les onze ApĂŽtres, plus de cinq cents fidelles, rĂ©unis en un lieu, l’ont vu tous ensemble , comme saint Paul nous l’apprend dans fa lettre aux Corinthiens, oĂč il les renvoie au tĂ©moignage de plusieurs d’entre eux qui vivoient encore Cf- Us ne l’ont pas vu une fois, mais plusieurs fois, ni rapidement & 'par maniĂ©rĂ© d’apparition , mais ils ont conversĂ© & vĂ©cu avec lui. Ce qui donne encore plus de force & de poids Ă  tant de tĂ©moignages rĂ©unis, c’est qu’un fourbe ne dĂ©bitera jamais ses mensonges, s’il n’en espere aucun avan- 4 Luc. XXIV. 3 1 -39. 5 Visas est plat Cjuam quingentis frairihus stmiĂŒ - ex qiubw mutii manant usina atihuc. I. Cor. XV. L. des MƓurs.' 8; tage. Or quel intĂ©rĂȘt les Disciples de Jesus-Christ pouvoient-ils avoir de faire passer pour ressuscitĂ© un homme qui ne l’étoit pas, ou plutĂŽt quel intĂ©rĂȘt n’a- voient-ils pas Ă  cacher mĂȘme cette rĂ©surrection ? Loin d’attendre quelque fĂ©licitĂ© temporelle pour prix de leur courage, ils favoient les dangers auxquels ils s’expo- soient, ils favoient qu’ils alloient allumer de plus en plus contre eux la fureur de la nation. Les insultes, les mauvais trai- temens, les chaĂźnes, les prisons ont payĂ© la constance de leur tĂ©moignage. Sous les grĂȘles de pierres, fous le tranchant d’un fer homicide , dans les ombres & les horreurs de la mort, ils ont persistĂ© dans leur dĂ©position. C’étoit dans le temps mĂȘme qu’on Ă©taloit Ă  leurs yeux le formidable appareil des supplices , dans le temps qu’ils alloient expirer fous la main des bourreaux , qu’ils confei- foient avec le plus d’intrĂ©piditĂ© la vĂ©ritĂ© des faits qu’ils annonqoient Ă  l’univers. Ah! croyons-en, dit trĂšs-bien Pascal f des tĂ©moins qui fe font Ă©gorger. 11s- Ăštoient donc tous bien intimement convaincus de la rĂ©surrection de leur MaĂź tre > & ils n’ont pu ĂȘtre fur ce point essentiel ni trompĂ©s, ni trompeurs. Ce qui ne paroĂźtra pas moins dĂ©cisif, ' c’est que le tĂ©moignage des ennemis D S 84 L’ É c o l e mĂȘme de Jesus-Christ confirme la vĂ©ritĂ© de fa leur propre aveu, le corps de JĂ©sus ne fut plus trouvĂ© dans le tombeau le troisiĂšme jour aprĂšs lĂ  mort ; & il est humainement impoiiible qu’il en ait Ă©tĂ© enlevĂ©. Cas, pour qu’on l’ait pu faire, il faut supposer que tous les soldats de la garde que les chefs de la Synagogue avoient mis eux-mĂȘmes , & l’on peut s’imaginer qu’ils les avoient bien choisis, Ă©toient, fans en excepter un seul, profondĂ©ment endormis. Mais en admettant mĂȘme qu’ils le fus. sent tous livrĂ©s Ă  un sommeil si peu vraisemblable, il faut supposer encore que ces soldats Ă©tant disposĂ©s autour du sĂ©pulcre , aucun n’a Ă©tĂ© Ă©veillĂ© par l’ébranlement d’une pierre aussi pesante qu’étoit celle qui fermoit le sĂ©pulcre taillĂ© dans le roc, & qui dut nĂ©cessairement ĂȘtre renversĂ©e. U faut supposer de plus qu’aucun n’a Ă©tĂ© Ă©veillĂ© par les divers mou- vemens que doivent naturellement se donner des gens qui veulent tirer un cadavre du tombeau. En vĂ©ritĂ©, les tĂȘtes incrĂ©dules font Ă©tranges elles refusent opiniĂątrement de croire ce qu’on leur prouve avec Ă©vidence, & croient fans, peine ce qui n’a pas la moindre ombre, de vraisemblance. Quelle force d’esprit, que celle qu’on ne montre que contre la raison !. n E S M ƒ U R 8. 8f Peut-on sensĂ©ment s'imaginer que les ApĂŽtres, ces gens si timides qui ont tous pris la fuite & abandonnĂ© leur MaĂźtre avant sa mort, aient eu la hardiesse de venir enlever son corps si bien gardĂ© ? Etre forcĂ© d’avoir recours au subterfuge le plus invraisemblable, au conte le plus puĂ©rile, en publiant, comme l’ont fait les ennemis de Jesus-Christ, que ses Disciples avoient fait cet enlĂšvement tandis que tous les gardes dormoient, n’elsce pas un aveu tacite, & une preuve bien forte, qu’ils n’étoient que trop convaincus qu’il Ă©toit sorti vivant du tombeau ? S’il ne s’est pas montrĂ© Ă  ses ennemis aprĂšs sa rĂ©surrection, pour les convaincre & les convertir , c’est qu’ils s’en Ă©toient rendus indignes en mettant le comble Ă  leurs crimes par le plus grand de tous ; c’est que ce prodige n’eĂ»t pas. Ă©tĂ© plus efficace pour leur conversion , que tant d’autres Ă©clatans qu’il avoit. opĂšres fous leurs yeux. Et pour ne parler ici que d’un seul, quel effet avoir produit sur ces cƓurs endurcis par la haine, le miracle incontestable de la rĂ©surrection de Lazare, enseveli depuis quatre jours dans le tombeau, que de leur faire prendre l’étonnante & insensĂ©e rĂ©solution de l’y faire rentrer, pour soustraire Ă  leurs, yeux & Ă  ceux de tout le peuple la vue trop convaincante d’un prodige si grand. 86 L’ É C O L E & si incontestable ? A ces traits on re~ connoit l’aveuglement de l’envie & la marche ordinaire des pallions. Enfin le tĂ©moignage de Dieu mĂȘme achevĂ© de mettre le dernier sceau Ă  la vĂ©ritĂ© de la rĂ©surrection de Jesus-Christ. Il est impossible que Dieu , qui est la sagesse & la vĂ©ritĂ© infinie, puisse jamais autoriser le mensonge & l’erreur. Or il l’auroitsait, si Jesus-Christ n’étoit pas- vraiment ressuscitĂ©, p'uisque les ApĂŽtres ont attestĂ© & soutenu cette rĂ©surrection par une multitude de miracles Ă©clatans, qui ne peuvent ĂȘtre rĂ©voquĂ©s en doute que par ceux qui font absolument dĂ©cidĂ©s Ă  nier tout ce qu’ils ne veulent pas croire. Dieu donc auroit-il aussi Ă©tĂ© de- concert avec des fourbes & des impost teurs, pour nous tromper & nous jeter dans l’erreur ? Il est donc Ă©vident, pour quiconque ne veut pas obstinĂ©ment fermer les yeux aux plus purs rayons de la lumiĂšre, que Jesus-Christ est vraiment ressuscitĂ©, & par consĂ©quent qu’il Ă©toit Dieu ; & que la religion qu’il a fondĂ©e, est divine ; puisqu’il a donnĂ© positivement lĂ  rĂ©surrection suture , comme une preuve authentique de sa divinitĂ© & de celle de la religion qu’il venoit Ă©tablir 6. I sa science & les talens, n’a pu engager une feule contrĂ©e de la Grece Ă  vivre selon les lois de la nouvelle rĂ©publique dont il avoit tracĂ© le plan ; & des hommes obscurs & groiliers rĂ©duisent les Provinces & les Royaumes fous l’obĂ©issance de l’Evangile. Ils persuadent aux Juifs que Dieu vient d’abolir leur religion , & qu’un nouveau culte a remplacĂ© leurs iĂ crifices. Ils leur font reconnoitre comme le Meffie promis par les ProphĂštes avec tant de pompe, celui qui a vĂ©cu parmi eux pauvre & mĂ©prisĂ© ils leur font adorer comme Dieu, celui qu’ils viennent de crucifier comme un impie & un scĂ©lĂ©rat. Ils font recevoir aux IdolĂątres une religion absolument contraire Ă  la leur ; une religion qui proscrit tout ce qu’ils aiment le plus, leurs usages, leurs fĂȘtes, leurs spectacles ; une religion fĂ©vere qui exige, de ceux qui l’embrassent, la plus grande puretĂ© de mƓurs. Us prĂȘchent des mystĂšres inouĂŻs jusqu’alors, des dogmes qui paroissent rĂ©volter la raison humaine ; & on les croit. Ils annoncent une morale absolument opposĂ©e aux inclinations de la nature ; & elle est reque par-tout; & les Grands mĂȘme, les Sages,- les Philosophes embrassent la doctrine de ces pauvres, de ces hommes fans Lettres , & destituĂ©s de tout secours humain, 9Î V É C 0 L E Miracle incroyable, fi les premiers PrĂ©dicateurs du Christianisme n’ont pas confirmĂ© leurs prĂ©dications par les merveilles les plus extraordinaires, par les signes les plus Ă©tonnans, & par des prodiges Ă©videmment marquĂ©s du sceau de Dieu! Que fera donc ici le dĂ©iste? Avouera- t-il ces prodiges, qui font mille fois plus notoires & plus constans que les faits les plus avĂ©rĂ©s de l’histoire profane ? dĂšs-lĂ  il a\oue que la religion chrĂ©tienne a Dieu pour auteur. Prendra-t-il le parti dĂ©sespĂ©rĂ© de contester la vĂ©ritĂ© de ces prodiges ? mais ne feroit-ce pas un miracle plus grand & plus incroyable que ceux qu’on ne veut pas croire, d’avoir converti le monde fans miracles, d’avoir persuadĂ© tant de choses incroyables Ă  des incrĂ©dules , d’avoir soumis tant d’hommes dilfĂ©rens au joug d’une telle religion. Car il est constant que cette religion a Ă©tĂ© embrassĂ©e par un grand nombre de Juifs, par une infinitĂ© d’idolĂątres. Saint JiiJiin , qui vivoit au second siede de l’Eglise, compte une infinitĂ© de nations soumises Ă  l’Évangile. Cent ans aprĂšs, Origene & Aniobe disent que le Christianisme est rĂ©pandu par-tout oĂč le soleil porte fa lumiĂšre. Selon les prophĂ©ties, toutes les nations des MƓurs. 9; ont Ă©tĂ© Ă©branlĂ©es. On les a vues briser , leurs idoles , renverser leurs temples , renoncer Ă  toutes leurs superstitions, & former ce peuple saint, ce peuple nouveau , qui s’est agrandi & Ă©tendu malgrĂ© toutes les puiisances du-sieçle qui s’estbr- çoient de l’exterminer. Rome mĂȘme, la superbe Rome, aprĂšs avoir jurĂ© la ruine du nom ChrĂ©tien, & s’ĂȘtre enivrĂ©e du sang des Martyrs, a enfin subi le joug de cet Homme crucifiĂ©, dont elle per- TĂ©cutoit les Disciples avec tant de fureur. Ces persĂ©cutions ont Ă©tĂ© si universelles & si violentes, que le sang des Martyrs ruisseloit dans les rues , & que les riviĂšres en Ă©toient teintes, filles ont durĂ© plus de trois cents ans, & au bout de ce temps la religion chrĂ©tienne s’est trouvĂ©e rĂ©pandue par toute la terre. Quelle autre religion s’est ainsi accrue, malgrĂ© les plus grands obstacles, fans autres armes, fans autres moyens que les vertus de ses enfans, que le courage & le sang de ses Martyrs ? Plus on le rĂ©pandoit, plus on la rendoit fĂ©conde, semblable Ă  la terre que le soc de la charrue fertilise en la dĂ©chirant. Plus les tyrans s'acharnaient Ă  la dĂ©truire, plus les IdolĂątres eux-mĂȘmes s’emprelsoient Ă  remplacer ceux que le glaive lui enle- yoit. OĂč a-t-on vu ailleurs les bourreaux, 94 L’ É C O L E tout couverts du sang de leurs victimes changer tout-Ă -coup de sentiment , & mĂȘler leur sang Ă  celui qu’ils venoient de verser ? Que l’idolĂątrie, l’athĂ©isme, & d’autres sectes vantent le courage d’un petit nombre de leurs sectateurs qui ont prodiguĂ© leur vie pour elle la religion chrĂ©tienne seule peut compter des millions de personnes de tout Ăąge, de tout sexe, de toute condition, qui ont rĂ©pandu leur sang pour soutenir la religion de Jefus- ChrilE En vain Dodwel, Bayle , & d’autres aprĂšs eux , ont voulu diminuer le nombre de ces gĂ©nĂ©reux athlĂštes qui ont scellĂ© de leur sang la divinitĂ© de la religion que nous faisons gloire de professer. Leur assertion, dĂ©mentie par les tĂ©moignages de Pline , de SuĂ©tone , de tous les PaĂŻens qui ont Ă©crit depuis la naissance du christianifrne, de tous les Auteurs ecclĂ©fialtiques, de toutes les inscriptions , de tous les monumens, ne peut soutenir les regards de la vĂ©ritĂ© ; & la haine feule de la religion peut lui fournir encore des En dĂ©pit de leur audacieuse critique, l’univers Ă©quitable respectera toujours ces monumens authentiques que conserve l’Eglise, & oĂč nous trouvons plus de dix millions de Martyrs qui ont rendu tĂ©moignage Ă  Jefus-Chrilt. Toutes les sectes ensemble , b e s MƓurs. pouroient~ mettre en parallele Ăźiir ce point avec la religion chrĂ©tienne i & quelle preuve convaincante de sa divinitĂ© ! Car il faut nĂ©ceilĂ irĂ©ment, ou que tant de millions de personnes qui ont rĂ©pandu tout leur sang dans les plus cruels supplices pour cette nouvelle religion qu’ils venoient d’embrallĂšr, y aient vu Ă©videmment quelque chose de surnaturel & de divin, ou qu’ils aient tous absolument perdu l’esprit, & qu’ils soient devenus fous jusqu’à la dĂ©mence. Mais supposer que tant d’hommes soient devenus fous & insensĂ©s, n’elf-ce pas, de toutes les suppositions, la plus folle elle- mĂȘme & la plus extravagante i L’impolleur Mahomet, que nos impies osent comparer Ă  Jesus-Christ , a bien pu sĂ©duire les peuples & contrefaire le ProphĂšte , par de prĂ©tendues rĂ©vĂ©lations qui ne cachoient que sa foibleise 7 . Mais il n’a prouvĂ© sa million par aucun signe Ă©clatant & divin , & jamais ses disciples n’ont osĂ© lui en attribuer. Il elf mort fins ressusciter ; & la superstition qui honore son tombeau atteste elle-mĂȘme ce 7 Comme il tomboit souvent du mal caduc, il persuada d’abord Ă  sa femme, & par elle Ă  beaucoup d’autres j que ces actĂ©s u’epileplie Ă©toient des., extales causĂ©es par ses communications sĂ©crĂ©tĂ©s avec sAnge .G-abriçi. 9§ V É C O L E qu’elle en pense. Une ignorance grossiĂšre , un silence politique prescrit par le LĂ©gislateur mĂȘme ensevelissent dans des tĂ©nĂšbres Ă©paisses l’absurditĂ© des dogmes musulmans, & plongent dans une nuit obsenre ses disciples aveugles. Il faut fans doute que cet aveuglement soit bien profond, puisque le tĂ©moignage de leur ProphĂšte devrait suffire pour leur faire ouvrir les yeux. Pouroit-on le croire, si l’erreur Ă©toit moins accoutumĂ©e Ă  se contredire ? Mahomet avoue lui-mĂȘme dans son Alcoran, que Moyse fut d’abord envoyĂ© de Dieu & qu’aprĂšs Moyse vint le Messie, qu’il appelle le V erbe. Le Messe JĂ©sus , fils de Marie , dit-il, est ProphĂšte U ApĂŽtre de Dieu , son Verbe & son Esprit. Mais si Jesus est ProphĂšte Ă  ApĂŽtre, Mahomet ne l’est donc pas, puisqu’il Ă©tablit une religion entiĂšrement opposĂ©e Ă  celle de Jefus- Christ car Dieu ne saurait ĂȘtre en contradiction avec lui-mĂȘme. Mahomet est donc un faux ProphĂšte & un imposteur. La religion musulmane n’a d’ailleurs d’autres preuves de fa rĂ©vĂ©lation que le tĂ©moignage de Mahomet. Elle n’a Ă©tĂ© ni annoncĂ©e par des prophĂ©ties, ni confirmĂ©e par des prodiges. Mahomet disoit lui-mĂȘme qu’il ne faisoit point de miracles , & qu’il Ă©toit venu fonder fa religion par les armes. Crois que notre ProphĂšte. a- des MƓurs. 97 a parlĂ© Ă  i Ânge Gabriel , ok je te tue. VoilĂ , dit un de nos Philosophes z , toute la pveuve du MahomĂ©osine , & k raison de ses progrĂšs, ses Soldats de Mahomet ont Ă©tĂ© ses ApĂŽtres, au lieu que les ApĂŽtres de Jesus-Christ ont Ă©tĂ© des Martyrs. Qui pouroit donc sĂ©rieusement comparer l’établissement de la Religion Ma- ho nĂ©tane Ă  celui de la Religion ChrĂ©tienne? Celle-lĂ  n’a eu Ă  vaincre que des obstacles ordinaires, & elle les a surmontĂ©s par les moyens les plus naturels & les plus propres Ă  assurer l’entreprise c’est un de ces Ă©vĂ©nemens qui n’ont rien de quoi beaucoup nous Ă©tonner. L’établissement du Chriltianisme, au contraire, commencĂ© par des moyens naturellement incapables de le faire rĂ©ussir, continuĂ© malgrĂ© mille obstacles humainement insurmontables, & couronnĂ© du succĂšs le plus Ă©tendu, n’a-t-il pas de quoi jeter dans l’étonnement ? & ne force-t il pas Ă  y reconnoĂźtre le doigt de Dieu? Veut-011 encore une autre preuve non moins sensible & toujours subsistante de la vĂ©ritĂ© de la Religion ChrĂ©tienne nos plus anciens ennemis l’ostrent Ă  nos 8 M. VA'er/iberf. Tome II. E 58 L’Ecole yeux. C’est l’état des Juifs, leur dispersion , leur conservation Ă©tonnante depuis tant de siĂšcles. DĂšs les premiers temps, ils ont vu s’accomplir en eux cette terrible malĂ©diction , qu’ils avoient prononcĂ©e contre eux-mĂȘmes, lorsqu’au tribunal de Pilate ils avoient osĂ© s’écrier , en maudissant Jesus-Christ Que son sang retombe sur nous U sur nos enfans. Ils ont vu, comme il le leur avoit prĂ©dit, renverser, dĂ©truire de fond en comble , & sans qu’il y restĂąt pierre fur pierre, les murs de JĂ©rusalem- & son Temple, cĂ©lĂ©brĂ© , que Julien n’enfreprit avec tant d’éclat de relever, que pour vĂ©rifier plus parfaitement la prĂ©diction de Jesus-Christ, en voulant l’anĂ©antir. Il excita les Juifs Ă  rebĂątir leur Temple, il leur donna des sommes immenses ,\Sc les aida de toutes les forces de l’Empire. Ecoutez, dit l’illustre EvĂȘque de Meaux, qĂŒel en fut l’évĂ©nement, A voyez comme Dieu confond les Princes superbes. Les Saints Peres & les Historiens ecclĂ©siastiques le rapportent unanimement ; mais il falloir que la chose fĂ»t attestĂ©e par les PaĂŻens mĂȘme. „ Tandis qu’Alipius , dit Ammien Marcellin , Officier & zĂ©lĂ© dĂ©fenseur de Julien l’Apostat, aidĂ© du Gouverneur de la province, prefloit l’ouvrage avec le plus d’ardeur, d’affreux tourbillons de flamme des MƓurs. 99 sortirent des fondemens par des Ă©ruptions frĂ©quentes, & brillĂšrent une partie des travailleurs ; ceux qui recommencĂšrent l’ouvrage , furent Ă©galement consumĂ©s Ă  diverses reprises ; & le lieu devint si inaccessible, qu’il fallut abandonner l’entreprise 9. " Les Juifs ainsi frustrĂ©s de leur derniĂšre espĂ©rance , ont vu continuer Ă  s’exĂ©cuter en eux avec plus de rigueur & moins de ressource que jamais les menaces de leurs ProphĂštes, qui leur avoient annoncĂ© qu’ils ferment longtemps fans chef, sans patrie, fans temple, fans prĂȘtres, fans sacrifice 10. Cette nation malheureuse, errant de peuple en peuple, conservant par-tout une existence prĂ©caire, & continuĂ©e nĂ©anmoins depuis si long-temps, porte dans toutes les parties du Monde, la preuve manifeste de son crime, & dĂ©montre Ă  tout l’univers la divinitĂ© de ce Jesus qu’elle ose blasphĂ©mer. Que sont devenus tous ces peuples 9 Ce fait, rapportĂ© par Ammien Marcellin , lĂźv. 2 Z» est encore attestĂ© par de cĂ©lĂ©brĂ©s Auteurs contemporains , tels que 8. Chryfostome, S. GrĂ©goire Je Na- zianze, S. Ambroise, Le. 10 Dies multos filii Israel ßne rege, tT 1 ßne principe, 5 fins facrifiiio , ÂŁ 7 ßne alt M. de Montazet , ArchevĂȘque de Lyon. Ou trouve dans cette ample Inllrusticn , qui forme im volume de prĂšs de soo pages, toutes les principales preuves de la religion, noblement exposĂ©es. des MƓurs. ioi eenfs ans, ni interrompu leur cours, ni mĂȘlĂ© leurs eaux avec celles de cet immense abyme. Par quel prodige un peuple , sĂ©parĂ© en une infinitĂ© de familles particuliĂšres, s’est-il donc conservĂ© fans avoir aucun des moyens qui tiennent les autres peuples unis ? Comment, n’étant rĂ©pandu parmi les nations que comme une poudre legere, a-t-il pu survivre Ă  leur anĂ©antissement, & continuer de detsus leurs ruines d’ĂȘtre un sujet d’étonnement Ă  l’univers ? il faut s’aveugler volontairement pour ne pas reconnoitre dans l’état des Juifs une main invisible & puilsante, qui les fait subsister pour l’exemple & pour l’instruction du genre humain, pour rendre tĂ©moignage aux prophĂ©ties, dont l’accomplissement indubitable atteste non - seulement que le Messie promis est venu, mais que ce Messie est Jesus-Christ lui-mĂȘme , & pour mettre le comble Ă  la dĂ©monstration de l’Evangile. Si l’on ne saurait, sans renoncer aux plus pures lumiĂšres de la raison, rĂ©voquer en doute l’authenticitĂ© des livres de l’Ancien Testament, parce que nous les avons reçus des Juifs eux-mĂȘmes, nos plus obstinĂ©s ennemis, qui nous les ont transmis avec la plus inviolable fidĂ©litĂ©, & qui les rĂ©vĂšrent encore aujourd’hui comme divins, peut-on douter davantage E ; 102 L’ É C O L E de la certitude des faits consignĂ©s dans les nouvelles Ecritures, fur lesquelles esc Ă©galement appuyĂ©e la vĂ©ritĂ© de la Religion ChrĂ©tienne? Les livres qui composent le Nouveau Testament, sont l’ouvrage de huit Auteurs contemporains , dont les uns Ă©crivent ce qu’ils ont vu de leurs propres yeux , & les autres ce qu’ils ont appris de tĂ©moins oculaires 12 . Quelle autre histoire a eu autant de garans, & des ga- rans austi authentiques ? Une multitude de peuples divers ont reçu ces Ecrits, & les ont traduits ausii- tĂŽt qu’ils ont Ă©tĂ© composĂ©s ; & ils s’accordent tous Ă  leur donner les mĂȘmes auteurs. Ki le fameux philosophe Celse , qui, presque dans l’origine e , a attaquĂ© nos livres sacrĂ©s avec tant d’artifice, ni Julien l’Apostat, quoiqu’il n’ait rien omis de ce qui pouvoit les dĂ©crier, ni aucun autre PaĂŻen ne les ont jamais soupçonnĂ©s d’ĂȘtre supposĂ©s. Pour les croire tels, il faudrait admettre que tous les peuples devenus ChrĂ©tiens, se sont unis pour'les fabriquer & les rĂ©pandre ensuite sous des noms imaginaires ; ou qu’eux-mĂȘmes y aient Ă©tĂ© trompĂ©s. Mais comment des millions il Les quatre EvaiigĂ©iiSes, & S. Paul, S, Pierre, S. Jacques & S. Jucle. des 'MƓurs. ‱. ic? d’hommes auroient-ils pu ĂȘtre abusĂ©s fur un fait on l’erreur Ă©toit si facile-ji'dĂ©couvrir ; ou comment auroient-ils tous conspirĂ© Ă  accrĂ©diter & .Ă  faire-prĂ© valoir l’imposture ? Quoi ! des hommes ernbraf. sent une religion qui abhorre le mensonge -, ils s’exposent pour elle aux plus violentes persĂ©cutions, Ă  la mort mĂȘme la plus cruelle & fans intĂ©rĂȘt comme fans raison, ils se seront accordĂ©s'dans le coupable dessein d’en imposer Ă - tous les siĂšcles ; ils auront donnĂ© , comme des ouvrages divins, leurs propres inventions ou celles de l’imposteur qui ose les appeler en tĂ©moignage de mille faits dont iis connoissoient la faussetĂ© ; & ni les divisions qui se sont Ă©levĂ©es 'entre les Ă©glises particuliĂšres, ni la diversitĂ© des intĂ©rĂȘts , des caractĂšres d’une multitude innombrable de complices, n’auront jamais dĂ©terminĂ© personne Ă  dĂ©voiler la fraude ou Ă  dĂ©sabuser la terre» En vĂ©ritĂ© c’est trop honorer une pareille supposition, que de la combattre sĂ©rieusement. Il n’est pas plus vraisemblable que les Ecrits des ApĂŽtres aient pu ĂȘtre altĂ©rĂ©s ou corrompus. Dans tous les temps l’Eglise Catholique les regarda comme l’ouvrage,de l’Esprit-Saint elle fut toujours persuadĂ©e qu’în ne pouvoir y ajouter ou en retrancher, sans impiĂ©tĂ© & - E 4 104 L’ É C 0 L E sans lacrilege. De lĂ  cette attention religieuse avec laquelle elle ne cessa de veiller sur la puretĂ© de ce dĂ©pĂŽt sacrĂ©. Que d’obstacles d’ailleurs ne se seroient pas opposĂ©s au dessein de corrompre ou d’altĂ©rer l’histoire de l’Evangile ! Les copies en Ă©toient rĂ©pandues dans toute la terre. Elle Ă©toit entre les mains de tous les fidelles on la lisoit sans cesse dans les familles, dans les maisons particuliĂšres, & dans les assemblĂ©es publiques de la religion. Des Ecrits si publics, si chers Ă  tous les ChrĂ©tiens, pouvoient-ils souffrir la moindre altĂ©ration , sans qu’il s’élevĂąt de toutesles extrĂ©mitĂ©s du monde mille voix pour rĂ©clamer? Et ne rĂ©sulte- t-il pis manifestement de la rĂ©union de toutes ces circonstances, que les Ecritures du Nouveau Testament font parvenues jusqu’à nous sans aucune altĂ©ration importante ? Ce n’est pas tout. Comme les-ApĂŽtres n’ont pu ĂȘtre trompĂ©s fur les faits qu’ils nous rapportent, puisque ce font,des Ă©vĂ©ncmens dont ils ont Ă©tĂ© les tĂ©moins oculaires & souvent les principaux ins- trumens, il est Ă©galement certain qu’ils n’ont pas voulu nous tromper. Sans parler ici de plusieurs autres preuves que nous avons de leur sincĂ©ritĂ© & de leur bonne foi; la mort feule qu’ils ont soufferte , imprime Ă  leur tĂ©moignage je sceau des MƓurs. iop irrĂ©fragable de la vĂ©ritĂ©. Car ce qu’il importe sur-tout de bien considĂ©rer ici, ce qui rend invincible la preuve que nous tirons de ces premiers Martyrs, & ce qui les met hors de toute comparaison avec ceux que l’incrĂ©dule se plaĂźt Ă  nous opposer, c’est que, bien diffĂ©rais des enthousiastes de toutes les sectes, les Martyrs du Christianisme naissant sont des Martyrs de faits & non pas d’opinions. Qu’un homme obstinĂ© puisse donner sa vie pour un sentiment faux qu’il croit vrai, la conscience alors, quoique dans les tĂ©nĂšbres, tient lieu de vĂ©ritĂ© & de lumiĂšre. Mais que des sĂ©ducteurs fans- intĂ©rĂȘt & fans motif, ou pour la seule satisfaction de faire prĂ©valoir l’imposture, affrontent tout-Ă -la-fois la rigueur des tourmens, les horreurs du trĂ©pas, le cri de la conscience, les menaces de Dieu ; & cela fans rien espĂ©rer de leur folle obstination, avec la certitude mĂȘme d’en ĂȘtre les victimes ; c’est une espece' de dĂ©lire qui est contre la nature, & dont il n’y a pas d’exemples dans l’histoire. Or les ApĂŽtres ont tous offert ou. sacrifiĂ© leur vie, pour attester des faits- publics ,-Ă©clatait s, qui ne laissoicnt aucun- lieu Ă  la mĂ©prise , tels que la. multiplication miraculeuse des pains dans le dĂ©sert, la rĂ©surrection publique de trois; io E S M E U R 5. 129 droiture & de probitĂ© qu’ils ont encore» ils les doivent souvent Ă  cette religion mĂȘme, dont il relie au-dedans d’eux & malgrĂ© eux, des traces qu’ils ne peuvent effacer» c’est que les principes naturels, plus puiißàns que leurs principes menteurs , les dominent Ă  leur infçu la conscience , le sentiment les preffent, les font agir en dĂ©pit d’eux , & les empĂȘchent d’aller jusqu’oĂč les conduiroit leur tĂ©nĂ©breux systĂšme. Mais la plupart des autres incrĂ©dules, plus consĂ©quens & plus fidel- les Ă  leur doctrine , en font la regle de leur conduite. Les mauvais principes entraĂźnent tĂŽt ou tard au mal. Les saustss maximes font mĂȘme plus dangereuses que les mauvaises actions, parce qu’elles corrompent la raison elle-mĂȘme, & ne laissent presque aucun espoir de retour. L’ É C O L E l?o XVI. DĂ©lestez Ê? l'impie U ses dogmes trompeurs fis sĂ©duisent l’esprit , ils corrompent Iss mƓurs. Pour juger sainement, de la doctrine de nos philolophes incrĂ©dules , il ne Haut pas se lailser Ă©blouir par le vernis brillant d’un style sĂ©ducteur , par quelque» maximes imposantes , par une raillerie maligne , dont les plus habiles d’entre eux ont pris foin de la couvrir, pour mieux sĂ©duire & tromper les esprits lĂ©gers , superficiels & ignorans. 11 faut en pĂ©nĂ©trer le fond , chercher les causes sĂ©crĂ©tĂ©s qui l’inspirent ou la sont adopter Ă  ses partisans, & examiner les effets qu’elle doit naturellement produire. La Religion ChrĂ©tienne, dit l’Auteur de l’Instruction pastorale que nous avons dĂ©jĂ  citĂ©e , est Ă©galement destinĂ©e Ă  soumettre notre esprit & Ă  rĂ©former notre cƓur. Elle ne nous propose pas seulement des. mystĂšres profonds Ă  croire, elle nous prescrit encore des devoirs pĂ©nibles & des vertus sublimes Ă  pratiquer. Si Jesus-Christ est Dieu, fi sa doctrine est vĂ©ritable, il faut nĂ©ceflĂ irement ou obĂ©ir Ă {ses lois, ou s’attendre Ă  subir les des MƓurs. ĂŻ?i peines terribles dont il menace les transi, greiĂźeurs & les rebelles. Et de quel Ɠil une telle alternative peut-elle ĂȘtre envisagĂ©e par des hommes que l’orgueil domine, que la voluptĂ© enchante, qui ne connoissent point de plus grand bonheur que celui des sens ? Quel intĂ©rĂȘt n’ont- ils pas Ă  rejeter une religion qui leur enleve ou qui empoisonne tous leurs plaisirs ? Et dĂšs qu’ils font si intĂ©ressĂ©s Ă  la croire fausse, doit-on s’étonner qu’ils trouvent tant de facilitĂ© Ă  f’e persuader faussement qu’elle l’est ? Qu’on nous vante, tant qu’on voudra, leurs lumiĂšres & leurs talens ils en feront des ennemis plus dangereux , & non des juges plus integres. Dans l’homme passionnĂ©, une plus grande pĂ©nĂ©tration d’esprit devient une source plus fĂ©conde d’égarement, parce qu’elle ne sert qu’à lui fournir plus de moyens de colorer ses erreurs & de se faire illusion Ă  lui-mĂšme. Que les plus habiles de nos impies exagĂšrent au grĂ© de leurs dĂ©sirs les doutes qu’on peut avoir fur les vĂ©ritĂ©s de la Religion ChrĂ©tienne ils ne peuvent au moins s’empĂȘcher de reconnoĂźtre qu’on n’a jamais pu dĂ©montrer qu’elle fĂ»t certainement fauslcj qu’au contraire la vie & la mort admirab’e de son Auteur, la sagesse & la saintetĂ© de fer, prĂ©ceptes , l’autoritĂ© & la sublimitĂ© de nos Ecri- F 6 1/ É c o l e tures , le tĂ©moignage des ApĂŽtres , le lang de tant de Martyrs, l’accomplilse- irieiit de tant de prophĂ©ties, la voix Ă©clatante des miracles, la conversion du monde entier, la perpĂ©tuitĂ© & l’inĂ©branlable fermetĂ© de l’Eglise, A tant d’autres preuves qui dĂ©posent en faveur du Christianisme , sont au moins d’un grand poids aux yeux de la raison. Sur quels fondemens, au contraire, fur quelle autoritĂ© elf appuyĂ©e la religion nouvelle, disons mieux, l’irrĂ©ligion ancienne de nos incrĂ©dules ? Elle a pour auteurs , des hommes qui se piquent Ă  la vĂ©ritĂ© d’ĂȘtre clair-voyans, mais qui prouvent Ă  toute la terre, par la bizarrerie de leurs systĂšmes , par leurs contradictions perpĂ©tuelles, que tout ce qu’ils avancent, n’est que doute, incertitude, erreur, ignorance. CJn des plus cĂ©lĂ©brĂ©s partisans de la philosophie antichrĂ©tienne disoit, il n’y a pas long-temps, Ă  une Dame d’esprit Avouez , Madame, que nous avons abattu bien dubois dans la forĂȘt des prĂ©jugĂ©s. Cejl pour cela , rĂ©pĂŒqua-t-elle , que vous avez dĂ©bitĂ© tant de fagots. Et en effet, nos impies ne s’accordent ni les uns avec les autres , ni avec eux- mĂȘmes Q. L’AthĂ©e, ainsi queleMatĂ©ria- É C 0 L E & toutes les hĂ©rĂ©sies. Les hĂ©rĂ©siarques, avant leur rĂ©volte, ont tous Ă©tĂ© Catholiques & Romains. Simon le Magicien , premier auteur d’hĂ©rĂ©sie, s’étant fait baptiser, Ă©toit de la religion de St. Pierre, premier Pape Ă©tabli par Jesus -Christ; Anus Ă©toit PrĂȘtre de l’Eglise Romaine ; Luther en Ă©toit Moine ; Calvin Chanoine ; Zuingle ArchiprĂȘtre ; & Henri VIH , le fils & le dĂ©fenseur. Quelle million ont-ils donc eue ? ou plutĂŽt en ont-ils eu d’autre que celle qu’ils se sont donnĂ©e Ă  eux-mĂȘmes, & que chacun peut se donner ausii-bien qu’eux ? OĂč sont les miracles que Dieu a opĂ©rĂ©s par leur ministĂšre, pour l’autoriser? N’ont-ils pas au contraire Ă©tabli & Ă©tendu leur secte par les intrigues , les factions , les guerres civiles & la force des armes ? Combien de millions d’hommes la feule secte de Luther n’a- t-elle pas fait Ă©gorger en Europe ! Dans le seul Royaume de France, les secta- teurs de Calvin ont livrĂ© dix-sept batailles rangĂ©es contre leurs lĂ©gitimes Souverains. Quelle religion ! quelle rĂ©forme! quel Ă©vangile! Toutes les sectes qui n’ont pas Ă©tĂ© assez puisantes pour pouvoir prendre les armes, font, tombĂ©es presque dĂšs leur naissance. Mais qui n’admirera la fermetĂ© inĂ©branlable de la Religion Romaine ! Elle des MƓurs. 151 a Ă©tĂ© attaquĂ©e par toutes les puissances de la terre & de l’enfer. Les Empereurs PaĂŻens n’ont rien oubliĂ© pour l’étouffer dans fa naissance. Plusieurs autres Princes ont en diffĂ©rentes fois saccagĂ© Rome, maflĂ crĂ© ou chassĂ© les Papes; plus de deux cents sectes hĂ©rĂ©tiques ont attaquĂ© l’Eglise Romaine. Et Ă  quoi ont servi toutes ces formidables attaques, qu’à la rendre toujours plus ferme & plus invincible ? Nous la voyons survivre Ă  toutes les erreurs, traverser avec assurance tous les siĂšcles, & au milieu de cette agitation universelle des choses humaines, subsilfer toujours, fans que ni la puissance des hommes, ni la malice des dĂ©mons, ni les entreprises des novateurs qui ont voulu la diviser par des schismes, ni les artifices des hĂ©rĂ©tiques qui ont tĂąchĂ© d’altĂ©rer la puretĂ© de fa foi, ni les vices d’un grand nombre de ses enfans, & quelquefois mĂȘme de ses chefs, qui l’ont dĂ©shonorĂ©e par leurs scandales, aient jamais Ă©tĂ© capables de l’abattre ou de l’ébranler. Portez vos regards au contraire fur cette multitude de sectes diffĂ©rentes , qui ont paru succelsivement sur la terre, & qui se vantoient faussement d’ĂȘtre la vĂ©ritable Eglise de Jesus- Christ ; & voyez comment, aprĂšs y avoir fait plus ou moins de bruit, suivant qu’elles ont Ă©tĂ© G 4 ĂŻf% V É C O L E plus ou moins protĂ©gĂ©es, elles font retombĂ©es pour jamais dans l’abyme du nĂ©ant & de l’oubli. Celles qui fo font Ă©levĂ©es dans ces derniers siĂšcles, aprĂšs avoir fait d’abord de grands ravages , ont tari tout d’un coup comme des tor- rens, & n’ont plus fait de progrĂšs. Elles ne se font conservĂ©es que dans quelques pays particuliers , oĂč les Catholiques Romains mĂȘlĂ©s mĂȘme avec elles, ainsi qu’avec presque tous les peuples de l’univers , subsistent malgrĂ© leur haine & leurs persĂ©cutions. On y voit la religion qu’ils prolcilent, garder au milieu d’elles le beau nom de Catholique , ce nom que, pour la distinguer de toute autre Eglise, elles font elles-mĂȘmes forcĂ©es de lui laisser. RĂ©unies toutes contre elle seule, parce qu’elles ne peuvent souffrir une religion dont elles sentent la supĂ©rioritĂ© , leurs efforts conjurĂ©s & toujours infructueux ne servent qu’à confirmer de plus en plus l’oracle de son divin Auteur,* que les portes de l'Enfer ne prĂ©vaudront jamais contre elle i . Quelle consolation pour les vrais fidelles, & quelle conviction de la vĂ©ritĂ© , de voir la Religion ChrĂ©tienne & I mot Ae pertes signifie ici putflaitces, parce q.'-e chez les Juifs on tenait les alscmblĂ©es & l'on rendoit la iuiiice aux pertes des villes. des MƓurs, fs$ Catholique, depuis dix-sept Ăźecles, victorieuse de toutes les erreurs, & demeurant toujours la mĂȘme, se conserver un grand nombre de sectateurs dans les pays qui l’ont abandonnĂ©e , & regagner avec avantage dans" de nouvelles contrĂ©es , ce que dans d’autres l’esprit d’erreur & de chisme lui a fait perdre ! Le malheur est pour ceux qui la quittent bien plus que pour elle. Les branches seches qui tombent d’un grand arbre, ne l’empĂȘchent pas de s’élever avec les autres vers le ciel. Ce caractĂšre de permanence & d’in- deftructibiĂŒtĂ©, unique & propre Ă  notre religion , n’est-il pas un miracle toujours sublistant en faveur de ceux qui n’ont pu ĂȘtre les tĂ©moins des miracles fins nombre que le bras du Tout-puissant a o Ă©rĂ©s aux yeux de l’univers pour la fonder & l’étendre; une dĂ©monstration accablante contre toutes les sectes qui tombent aux pieds de cette Eglise triomphante , dont elles fe font "dĂ©tachĂ©es ? Auili ses adversaires mĂȘme ne peuvent- ils s’empĂȘcher de reconnoĂźtre lĂ  supĂ©rioritĂ©. On a entendu Ă  Strasbourg*deux Ministres LuthĂ©riens qui revenoient d’as, sister un de leurs malades Ă  la mort, se dire l’un Ă  autre VoilĂ  encore mie personne que nom venons d'envoyer en Enfer. Le trait qui luit est peut ĂȘtre encore G f if4 L’ Ê c o i e plus frappant. Un Ministre Calviniste qui ctoit lui-mĂ«meprĂšs de mourir, envoya fa servante chercher un PrĂȘtre Catholique. Elle rencontre dans la rue un Officier qui lui demande comment va le malade. Elle lui rĂ©pond qu’il est Ă  l’article de la mort, & qu’il l’a envoyĂ©e chercher un PrĂȘtre Catholique. 11 la força de rentrer chez son maĂźtre, en disant Puisqu’il a envoyĂ© les autres au Diable , qu’ily aille aussi lui- mĂȘme r. Mais voici un tĂ©moignage bien dĂ©cisif. La Princesse Elifabeth-Chrifline de Wolf- fenbutel Ă©tant furie point d’épouser l’Archiduc Charles d’Autriche , qui fut depuis l’Empereur Charles VI, crut devoir, pour la tranquillitĂ© de sa conscience, consulter les LuthĂ©riens mĂȘme. Les Docteurs Protestans , assemblĂ©s Ă  Helmstad, rĂ©pondirent que les Catholiques ne font point dans l’erreur pour le fond delĂ  doctrine , N qu’on peut fe sauver dans leur religion . La Princesse embrassa la Reit-, gion Catholique-Romaine. Le Duc son pere en fit de mĂȘme, disant que le parti le plus fur , dans une matiĂšre si importante , fer oit toujours le parti le plus sage. a Ce fait arrivĂ© il -n’y a pas bien long temps Ăą ĂŻĂźamur, eit trĂšs certain, & nous le tenons le plusieurs personnes dignes de foi. des MƓurs. ifjf Nous pourions apporter plusieurs autres preuves, qui assurent incontestablement Ă  l’Eglise Romaine le titre glorieux de la vĂ©ritable Eglise de Jesus-Christ ; . Mais nous en avons dit assez pour convaincre tout esprit droit & raisonnable qu’elle est la vraie religion que Dieu a rĂ©vĂ©lĂ©e aux hommes, la feule vĂ©ritable Eglise que Jesus-Christ a fondĂ©e fur la terre. 3 On les'trouvera fur-tout dans un petit Ouvrage intitule MĂ©thode courte facile pour difierner la vĂ©ritable Religion d'avec les faujses. La lecture rĂ©flĂ©chie de ce bon Ouvrage,, qui a ramenĂ© pluiieurs Protestans dans le su in de l’Eglise , ne manquerait jamais de produire le mĂȘme effet , fi la converlion du cƓur Ă©toit toujours le fruit de la conviction de l’esprit. On peut lire auiĂŻi les PensĂ©es ThĂ©ologiques , par Vorn Jarain , Religieux EĂ©nĂ©diĂŒin. La traduction Allemande de ce livre ramena en 1769 le Prince Palatin au sein de l’Eglise Catholique. G 6 L’ É C O L E ls6 X V I I L Aime ç le doux plaisir de faire des heureux. I-/E premier, le plus naturel de nos sentimĂ©ns, celui qui naĂźt & meurt avec nous, elt le dĂ©sir de notre bonheur. Mais l’Auteur de la nature, qui nous destinoit Ă  vivre en sociĂ©tĂ©, a sagement voulu que notre propre bonheur sĂ»t liĂ© Ă  celui des autres. La mĂȘme main qui a mis dans notre ame l’amour de nous- mĂȘmes , y a imprimĂ© un sentiment de bienveillance pour nos semblables. Auffi les cƓurs bien faits & gĂ©nĂ©reux Ă©prouvent-ils la satisfaction la plus pure Ă  faire du bien aux autres hommes. Faites des heureux, vous le ferez. Le plaisir le plus dĂ©licat est de faire celui d’autrui, de rendre un cƓur content, de combler une ame de joie. Je ne fais ici-bas d’autre fĂ©licitĂ© , due dans une flatteuse & douce voluptĂ©; Non dans la voluptĂ© dont le peuple m’entĂȘte , Qu’on Ă©vite avec foin, pour peu qu’on soit honnĂȘte, Et qui, pour des plaisirs peu durables & faux , \ Cause presque toujours d? vĂ©ritables maux. ‱ J’apprIU voluptĂ© proprement ce qu’on mm', ms Ne se reprocher rien & vivre en honnĂȘte homme b e s MƓurs. 1/7 Du mĂ©rite opprimĂ© rĂ©parer l'injustice , Nef du bien cjue pour rendre service» Etre accriĂŻibie Ă  tons par fcVh..»}nitĂ©. Non , rien n’est comparable Ă  cette vt IuptĂ©. Quel plaisir en effet ne doit-on pas sentir Ă  soulager ceux qui souffrent, Ă  rĂ©gner sur les cƓurs, Ă  mĂ©riter le tribut de leurs actions de grĂąces ! Eh ! qu’a de plus dĂ©licieux la majeifĂ©mĂšme du trĂŽne, que le pouvoir de faire des grĂąces ! Quel usage plus doux & plus flatteur, disoit Ă  la Cour la plus brillante de l’Europe l’ingĂ©nieux & Ă©lĂ©gant MujsĂŒhn , les Grands peuvent-ils faire de leur Ă©lĂ©vation & de leur opulence, que de faire des heureux ! Qu’ils emploient tant qu’il leur plaira leurs biens & leur autoritĂ© Ă  tous les usages que l’orgueil & les plaisirs peuvent inventer ; ils feront raiĂźa- liĂ©s, mais iis ne seront pas satisfaits la joie poura se montrer Ă  eux, mais elle ne pĂ©nĂ©trera pas dans leur cƓur. Qu’ils les emploient au contraire Ă  faire des heureux, Ă  rendre la vie plus douce & plus supportab'e Ă  des infortunĂ©s, que l’excĂšs de la mifere a peut-ĂȘtre rĂ©duits mille fois Ă  souhaiter que le jour qui les vit naĂźtre, eĂ»t Ă©tĂ© lui-mĂȘme la nuit Ă©ternelle de leur tombeau ils sentiront alors le plaisir d’ĂȘtre nĂ©s Grands, ils goĂ»teront' la vĂ©ritable douceur de leur if 8 L’Ecole Ă©tat ; c’est le seul privilĂšge qui le rende digne d’envie. L’auguste ImpĂ©ratrice Marie- ThĂ©rĂšse a su le connoĂźtre & en jouir. Parmi une infinitĂ© de beaux traits qui honorent fa vie, on aime Ă  se rappeler celui-ci. Elle Ă©toit Ă  Laxenbourg, maison Royale prĂšs de Vienne. Elle y reçut un message de la part d’une femme ĂągĂ©e de cent huit ans, qui, pendant plusieurs annĂ©es , n’avoit pas manquĂ© de se prĂ©senter le jour du Jeudi-Saint, pour ĂȘtre au nombre des pauvres femmes auxquelles l’ImpĂ©ratrice- Reine lavoit les pieds. Ses infirmitĂ©s l’avoient empĂȘchĂ©e de se rendre au Palais. Elle fit dire Ă  l’ImpĂ©ratrice qu’elle avoit le plus vif regret de n’avoir pu se rendre Ă  la cĂ©rĂ©monie, non Ă  cause de l’honneur qu’elle auroit reçu, mais parce qu’elle avoit Ă©tĂ© privĂ©e du bonheur de vois une Souveraine adorĂ©e. L’ImpĂ©ratrice touchĂ©e dessentimens de cette bonne femme, fe rendit elle- mĂȘme dans le village qu’elle habitoit. Elle ne dĂ©daigna pas d’entrer dans une humble cabane. Elle trouva la personne infirme sur un milĂ«rable grabat. Vous regrettez de ne m'avoir point vue, lui dit avec bontĂ© cette gĂ©nĂ©reuse Princesse ; consolez-vous, ma bonne , je viens vous voir. Qu’on se reprĂ©sente l’effet que produisit sur cette pauvre femme la prĂ©- rs e s MƓurs. is$ sence de son ImpĂ©ratrice & les paroles touchantes qu’elle venoit de prononcer. Ses yeux Ă©toient baignĂ©s de larmes ; fa bouche entr’ouverte ne pouvoir profĂ©rer une parole ; elle tendoit ses mains jointes & tremblantes du cĂŽtĂ© de lĂ  Souveraine elle la regardoit comme un Ange du Ciel, qui venoit pour la consoler dans ses peines. L’impĂ©ratrice attendrie l’entretint long-temps, & lui laissa en se retirant une somme considĂ©rable. Ceux qui s’exercent Ă  la bienfaisance, sentent la vĂ©ritĂ© de cette belle maxime de Jesus-Christ Qu'il efl beaucoup plus heureux de donner que de recevoir Ç i . Oui, quoi qu’en pensent les hommes durs ou intĂ©ressĂ©s, la joie de faire du bien est tout autrement douce que celle de le recevoir. Quel plaisir est comparable Ă  celui de rencontrer les yeux de la personne qu’on vient de rendre heureuse ! Quel son de voix plus touchant, que celui du malheureux qu’on vient de combler de joie, & qui ne fĂ»t comment exprimer Ă  reconnoiflĂ nce ! Si l’on a dit de la louange, qu’elle Ă©toit la plus agrĂ©able de toutes les musiques, pn peut dire auffi que de toutes les louanges la tr Eeaiiui tß magii date quhn astiftrt, Act. - d’ĂȘtre moins le chef que l’ami de ses sujets, & de voir que leurs cƓurs font encore plus Ă  lui que leurs biens & que leurs personnes! Si les hommesfedonnoient des maĂźtres, ce ne feroient ni les plus nobles, ni les plus vaillans qu’ils choisi- roient, ce feroient les plus tendres, les plus humains, des maĂźtres tels que fut liir-tout un des plus illustres Rois de France, Louis XII. Lorsque ce Prince fut montĂ© sur le trĂŽne, il diminua les impĂŽts de plus de moitiĂ©, & ne les rĂ©tablit jamais. 11 aima ses sujets & tĂ©moigna pendant tout son regne un dĂ©sir extrĂȘme de les rendre heureux. Austi tous les François Paimoient-ils comme on aime un bon pere. Par-tout oĂč il passoit on alloit au-devant de lui, onlesuivoit Ă  son dĂ©part jusqu’à trois ou quatre lieues. Un Gentilhomme de la fuite du Roi, demanda un jour Ă  un vieux Laboureur qui couroit de toutes ses forces, oĂč il alloit. DES M CE U RS. 16 - alloit, en lui disant qu’il s’incommodoit Ă  courir si Fort. Le bon vieillard lui rĂ©pondit qu’il couroit pour voir le Roi, qu’il avoit pourtant vu en passant, mais qu'il le voyoit si volontiers , -pour lesbiens qui Ă©taient en lui , qu'il ne s'en pouvait fauler. Ce sont les termes de l’Historien contemporain. A fa mort, chacun crut perdre son pere, & on l’honora Ă  ses funĂ©railles du titre le plus glorieux qu’ait jamais eu aucun Souverain il fut proclamĂ© Ă  son de trompe, Pere du peuple. AprĂšs Louis XII, aucun de ses succĂšs. Leurs ne mĂ©rita mieux ce beau nom que Henri IV. Que n’auroit-il pas fait si une main fĂ crilege n’avoit tranchĂ© les jours d’un Prince qui mĂ©ritoit de ne mourir jamais! Des troupes qu’il envoyoiten Allemagne, ayant fait du dĂ©sordre en Champagne, &. pillĂ© quelques maisons de paysans, il dit aux Capitaines qui Ă©taient demeurĂ©s Ă  Paris Fartez en diligence , donnez vos ordres , vous m'en rĂ©pondrez. Qiioi! fi on ruine mon peii. pie , qui me nourrira? qui soutiendra les charges ? qui payera vos pensions , Messieurs ? Vive Dieu ! s'en prendre Ă  mon peuple , c'est s'en prendre Ă  moi. LĂ©opold , Duc de Lorraine, dont nous aimons autant Ă  rapporter les actions de bontĂ© & de bienfaisance , que ses illustres descendans se plaisent Ă  nous les retracer. Tome IL H X7° L’ E C O L E Ă©tait si persuadĂ© qu’un Prince n’est sur le trĂŽne que pour faire le bonheur de ses peuples, qu’une personne lui faisant un jour le rĂ©cit des avantages qu’un Souverain venoit de faire Ă  ses sujets Il le devoit , rĂ©pondit-il ; je quitterais demain via souverainetĂ©, fi je ne pouvais faire du bien. Une autre fois, un des Ministres reprĂ©sentait Ă  ce Prince, que ses sujets le tui noient. Tant mieux, dit-il, je n’en ferai que plus riche, puisqu’ils feront heureux. On peut bien mettre encore au nombre de ces bons Princes, qui ne se croyoient nĂ©s que pour faire le bonheur de leurs peuples, le vertueux Dauphin , dont nous avons dĂ©jĂ  parlĂ© plusieurs fois, & dont la vie touchante est remplie des plus beaux traits & des plus nobles sentimens C ? ‱ Nous n’en rapporterons qu’un. On lui parloit un jour du splendide festin qu’AlsuĂ©rus donna dans sa capitale. Ces somptueux repas qui ont durĂ© cent vingt-sept jours , rĂ©pondit-il, auront Ă©tĂ© expiĂ©s par quatre mois de jeune solennel dans ses provinces. Pour en faire de semblables , je voudrais pouvoir y inviter toute la nation , ou ĂȘtre aflurĂ© aupa~ 3 Cette Vie, auiĂŻi intĂ©ressante que propre Ă  Ă©difier, a Ă©tĂ© donnĂ©e an public par M. l’AbbĂ© Proy,irt, des MƓurs. 171 r avant qu'aucun de mes sujets n'ira ce jour-lĂ  se coucher sans fouler. ss -— » Ei so’.dagtr sur-tout le pauvre vertueux. Entre les pauvres qui peuvent ĂȘtre l’objet de votre bienfaisance -, vous devez fur-tout prĂ©fĂ©rer ceux qui, ayant de la conduite St de la vertu, ne mĂ©ritent pas leur mauvaise fortune. Il y en a toujours beaucoup de cette espece. Attachez-vous encore par prĂ©fĂ©rence aux vieillards, aux malades, aux pauvres honteux , aux personnes malheureuses que votre charitĂ© poura retiret du dĂ©sordre ou empĂȘcher d’y tomber. Une femme fort pauvre, mais qui avoit la consolation d’avoir une fille aimable dont les grĂąces modestes annonqoient la sagesse, se prĂ©senta avec cette jeune personne Ă  l’audience du Cardinal Farnese, Elle lui exposa qu’elle Ă©toit sur le point d’çtre renvoyĂ©e avec sa fille d’un petit appartement, qu’elles occupoient chez un homme fort riche, parce qu’elle ne pouvoir lui payer cinq Ă©cus qui lui Ă©toient dus. Le ton d’honnĂȘtetĂ© avec lequel elle faisoit connoitreson malheur, fit aisĂ©ment comprendre au Cardinal qu’elle n’y Ă©toit tombĂ©e, que parce que la vertu lui Ă©toit plus chere que les Ha 173 L’ E C O L E irichcsses. Il Ă©crivit un billet, & la char- gea^de le porter Ă  son Intendant. Celui- ci l’ayant ouvert , compta sur le champ cinquante Ă©cus. Monsieur , lui dit cette femme, je ne demandais pas tant Ă  Monseigneur , certainement il s'est trompĂ©. 11 fallut, pour la tranquilliser, que l’Intendant allĂąt lui-mĂȘme parler au Cardinal. Son Eminence reprenant son billet , dit Il est vrai , je m'Ă©tais trompĂ© , le procĂ©dĂ© de Madame le prouve. Et au lieu de cinquante Ă©cusilen Ă©crivit cinq cents, qu’il engagea la vertueuse mere d’accepter pour marier sa fille. Une des charitĂ©s les plus louables est fans doute celle qui a pour objet l’ame encore plus que le corps , ou qui entretient dans l’amour du travail. L’aumĂŽne qui nourrit le vice ou la fainĂ©antise , ne mĂ©rite pas d’en porter le nom. Un jeune Roi de Perse, touchĂ© de compassion , fit donner Ă  un pauvre une somme considĂ©rable. Quelque temps aprĂšs, on lui fit des plaintes du dĂ©sordre dans lequel vi- voit le pauvre qu’il avoir enrichi. Il ne tarda pas Ă  le voir lui-mĂšme Ă  la porte du Palais. Il Ă©toit couvert de lambeaux, & il revenoit demander l’aumĂŽne. Le Roi le montrant Ă  un des Sages de sa Cour Voyez-vous, dit-il, les effets de la bontĂ©? Vous m’avez vu combler cet lĂźomme de richesses ; en voilĂ  le fruit des MƓurs. 175 mes bienfaits ont corrompu ce pauvre, iis ont Ă©tĂ© pour lui une source de nouveaux vices & d’une nouvelle misere. Cela est vrai , lui rĂ©pondit le sage , parce que voue avez donnĂ© Ă  la pauvretĂ© ce que vous ne deviez donner qiĂŒau travail. On rapporte de M. de Launai , cĂ©lĂ©brĂ© Avocat de Paris, qu’il refusoit rarement l’aumĂŽne aux pauvres ; mais en la donnant , il leur recommandoit de travailler pour gagner leur vie Je me leve, leur disoit-il, tous les jours Ă  cinq heures du matin , pour gagner la mienne. Vincentine LomĂ©lin , Dame GĂ©noise, trĂšs-riche, peut ĂȘtre proposĂ©e aux Dames chrĂ©tiennes & charitables , comme un illuitre modele de la sagesse avec laquelle- elles doivent placer leurs aumĂŽnes. TantĂŽt elle faisoit venir chez elle les femmes les plus pauvres & les plus malheureuses de GĂšnes, & leur procurait les secours spirituels & temporels dont elles avoient besoin. TantĂŽt elle engageoit par l’appĂąt des rĂ©compenses, des filles publiques Ă  quitter le genre honteux de vie qu’elles menoient elle leur en facilitoit les moyens , soit en leur procurant de l’ouvrage , soit en les plaçant dans quelque CommunautĂ© oĂč elle payoit leur pension; & si malgrĂ© ses prĂ©cautions sa bienfaisance n’avoit pas Ă  l’égard de toutes un effet durable, c’étoit toujours pour elle H ; 174 L’ É C O L E une satisfaction de les avoir pour quelque temps garanties du dĂ©sordre. Les pauvres orphelines avoient sur-tout une part abondante Ă  sa charitĂ© la crainte qu’elle avoir que ces infortunĂ©es ne lussent un jour abandonnĂ©es Ă  elles-mĂȘmes, les lui rendoit extrĂȘmement cheres elle en mettoit le plus qu’elle pouvoir Ă  l’abri de la sĂ©duction , par ses libĂ©ralitĂ©s ; & dĂšs qu’elles avoient atteint un certain Ăąge, elle marioit honnĂȘtement celles qui se dĂ©terminoient pour cet Ă©tat, & pro- curoit aux autres divers Ă©tabĂźissemens. Mais quoique la charitĂ© & la bienfaisance ne soient jamais mieux placĂ©es que quand elles servent Ă  entretenir dans l’amour du travail, Ă  soutenir les restes d’une vie infirme & languissante, Ă  soulager la vertu malheureuse, ou bien Ă  retirer du dĂ©sordre des personnes que l’indigence ou le libertinage y avoit prĂ©cipitĂ©es ; on ne doit pourtant pas refuser d’étendre vers les autres malheureux une main gĂ©nĂ©reuse & compatissante. Il ne laut pas mĂȘme la fermer entiĂšrement Ă  ceux qui d’ailleurs en seroient indignes, lorsqu’ils se trouvent dans une vraie nĂ©cessitĂ©. On reprochoit Ă  un Philosophe qu’il fai soit l’aumĂŽne Ă  un mĂ©chant Je la fais Ă  la nature , rĂ©pondit-il, U non À la personne. Si le Sage veut qu’on donne Ă  celui DES M ƒ U R S. T75f qui est bon, & qu’on n’aslĂźste point le pĂ©cheur, parce que le TrĂšs-Haut hait lui-mĂȘme les pĂ©cheurs, & qu’il exerce lĂ  vengeance contre les mĂ©chans 4 ; il ne parle pas de ces aumĂŽnes lĂ©gĂšres qu’011 donne Ă  un pauvre, fans devoir examiner scrupuleusement s’il est bon ou mauvais, parce qu’une telle recherche ne serviroit qu’à refroidir la charitĂ© & Ă  priver les indigens des secours les plus nĂ©ceflĂ ires mais il parle des affif. tances plus considĂ©rables , qui ne Ibnt employĂ©es qu’à nourrir les vices ou la fainĂ©antise. 11 suffĂźt de donner peu Ă  ces sortes de personnes , pour les Ă©loigner de foi, pour prĂ©venir leurs malĂ©dictions & leurs murmures, & pour les empĂȘcher de pĂ©rir de faim. Ne dĂ©tournez pas , dit-il ailleurs, vos yeux du pauvre, dt peur qu'il ne se fĂąche , ÂŁ5“ ne donnez point sujet Ă  ceux qui vous demandent , de vous maudire derriĂšre vous. Car celui qui vous maudira dans l'amertume de son ame , sera exaucĂ© par celui qui l'a créé y. Le Sage ne prĂ©tend pas autoriser les malĂ©dictions du pauvre , mais il nous avertit d’en craindre l’effet. Un peu de pain , 4 ' Da bono , non reeePeris p'eccatorem , c*. Eccli. iz. ' > Ab inote m avertes oculos tuos tropter » Ü* c* Eccli. 4. H 4 5 7 6 V É C O L ÂŁ dit-il encore eß la vis des pauvres celui qui les en prive , eß un meurtrier. Les abus insĂ©parables de la mendicitĂ© publique, & les vices dont elle eil souvent accompagnĂ©e , ne sont donc pas une excuse lĂ©gitime pour refuser tout secours aux mendians. Nous n’en serions pas moins coupables devant Dieu de leur mort, s’ils pĂ©riiToient par notre faute, ni moins responsables Ă  la sociĂ©tĂ© des crimes auxquels la faim les porter oit, comme le prouve avec cette Ă©loquence mĂąle & vigoureuse qui le distingue , cet Ecrivain fameux, qui a dĂ» sa premiers cĂ©lĂ©britĂ© Ă  ses paradoxes, & son plus grand nom Ă  ses erreurs ; mais parmi l’amas tĂ©nĂ©breux de ses assertions fausses 6 hardies, il fort de temps en temps des flammes brillantes de vĂ©ritĂ©s souvent nouvelles, toujours exprimĂ©es avec force & portant l’empreinte du gĂ©nie. „ Nourrir les mendians, dit-il, c’est contribuer Ă  multiplier les gueux & les vagabonds , qui fe plaisent Ă  ce lĂąche mĂ©tier, & se rendant Ă  charge Ă  la sociĂ©tĂ©, la privent encore du travail qu’ils y pouroient faire. VoilĂ  les maximes, dont de complaisans raisonneurs aiment Ă  flatter la duretĂ© des riches. On souffre A l’on entretient Ă  grands frais des multitudes de profeflions inutiles, dont plusieursne servent qu’à corrompre & gĂąter DES M ƒ ĂŒ R S. 177 les mƓurs. A ne regarder l’état de mendiant que comme un mĂ©tier , loin qu’on en ait rien de pareil Ă  craindre, on n’v trouve que de quoi nourrir en nous les lĂ©ntimens d’intĂ©rĂȘt & d’humanitĂ© qui devraient unir tous les hommes. Si l’on veut le considĂ©rer par le talent, pourquoi ne rĂ©compenserais-je pas l’éloquence de ce mendiant, qui me remue le cƓur & me porte Ă  le secourir, comme je paye un comĂ©dien qui me fait verser quelques larmes stĂ©riles ? Si l’un me fait aimer les bonnes actions d’autrui, l’autre me porte Ă  en faire moi-mĂȘme tout ce qu’on sent Ă  la TragĂ©die, s’oublie Ă  l’inse tant qu’on en fort ; mais la mĂ©moire des. malheureux qu’on a soulagĂ©s, donne un plaisir qui renaĂźt fans celle. „ Si le grand nombre des mendians est onĂ©reux Ă  l’Etat, de combien d’autres profelßßoiis qu’on encourage , & qu’on tolĂ©rĂ©, n’en peut - 011 pas dire autant ĂŻ C’est au Souverain de faire en forte qu’il n’y ait point de mendians mais pour les rebuter de leur profelsion, faut-il rendre les citoyens inhumains & dĂ©naturĂ©s? Pour moi, fans lavoir ce que les pauvres, font Ă  l’Etat, je fais qu’ils font tous mes frĂšres, & que je ne puis, fans une inexcusable duretĂ© , leur refuser ie foible secours qu’ils me demandent. La plupart font des vagabonds, j’en conviens 3 mais H/ i7g L’École je comtois trop les peines de la vie, pour ignorer par combien de malheurs un honnĂȘte homme peut le trouver rĂ©duit Ă  leur fort; & comment puis-je ĂȘtre sĂ»r que l’inconnu qui vient implorer au nom de Dieu mon assistance & mendier un pauvre morceau de pain, n’est pas peut- ĂȘtre cet honnĂȘte homme prĂȘta pĂ©rir de mifere, & que mon refus va rĂ©duire au dĂ©sespoir ? „ Quand l’aumĂŽne qu’on leur donne, ne servit pas pour eux un secours rĂ©el, c’est au moins un tĂ©moignage qu’on prend part Ă  leur peine , un adouciflĂȘ- ment Ă  la duretĂ© du refus, une forte de salutation qu’on leur rend. Une petite monnoie ou un morceau de pain ne coĂ»tent guere plus Ă  donner, & font une rĂ©ponse plus honnĂȘte qu’un Dieu vous affije. Comme si les dons de Dieu n’étoient pas dans la main des hommes ; qu’il, eĂ»t d’autres greniers fur la terre que les magasins des riches ! Enfin, quoi qu’on puisse penser de ces infortunĂ©s, si l’on ne doit rien au gueux qui mendie , au moins se doit-on Ă  soi-mĂȘme de rendre honneur Ă  l’humanitĂ© souffrante, ou Ă  son image, & de ne point s’endurcir le cƓur Ă  l’aspect de ses miferes- „ Nourrir les mendians, c’est, disent les dĂ©tracteurs de l’aumĂŽne, former des pĂ©piniĂšres de voleurs; & tout au con- des MƓurs. traire, c’est empĂȘcher qu’ils ne le deviennent. Je conviens qu’il ne faut pas encourager les pauvres Ă  fe frire Meridians ; mais quand une fois ils le font, il faut les nourrir, de peur qu’ils ne fs taisent voleurs. Rien n’engage tant Ă  changer de profellion, que de ne pouvoir vivre dans la sienne or, tous ceux qui ont une fois goĂ»tĂ© de ce mĂ©tier oiseux, prennent tellement le travail en. aversion, qu’ils aiment mieux voler & fe faire pendre , que de reprendre l’usage de leurs bras. Un liard est bientĂŽt demandĂ© & refusĂ© ; mais vingt liards au- roientpayĂ©le souper d’un pauvre, que vingt refus peuvent impatienter. Qui est-ce qui voudroit jamais refuser une fi lĂ©gĂšre aumĂŽne, s’il fongeoit qu’elle pĂ»t sauver deux hommes, l’un d’un crime, & l’autre de la mort ? „ J’ai lu quelque part, que les men- dians font une vermine qui s’attache aux riches. Il est naturel que les enfans s’attachent aux peres mais ces peres opu- Veus & durs le mĂ©connoilfent, & laissent aux pauvres le foin de les nourrir 6 Quel est donc le crime de ces hommes, dont les richesses, aussi stĂ©riles pour les autres qu’elles font fĂ©condes en vices H 6 { s PensĂ©es de M. J. J. Kmffeau. 3go L’ É C O L E pour eux-mĂȘmes, ne font employĂ©es qu’aux profusions d’un vain luxe, aux recherches d’une molle dĂ©licatesse, Ă  l’entretien des pallions quelquefois les plus baffes & les plus honteuses ! Quelque innocente d’ailleurs , quelque lĂ©gitime que soit leur fortune, ne deviennent-ils pas de coupables usurpateurs, qui envahissent fur leurs freres l’hĂ©ritage paternel qu’ils dĂ©voient partager avec eux ; de cruels homicides, qui, sans rĂ©pandre le sang du pauvre, ne lui donnent pas moins le coup de la mort, lorsqu’ils lui refusent ce qui lui elt nĂ©cessaire pour le soutien de ses jours ; des especes d’alfas- lins, puisque si le pauvre trouvoit dans la compasiĂźon du riche les secours qu’il est en droit d’en attendre, on ne le verroit pas s’armer du fer contre le citoyen pacifique,& arracher ses dĂ©pouilles sanglantes ! affreuse & trop ordinaire ressource d’une mifere Ă©xcellive , qui succombe sous la multiplicitĂ© de ses besoins » Ane prend plus conseil que du dĂ©sespoir. Quel puissant motif de soulager les malheureux, s’il relie encore quelques sentimens d’humanitĂ© ! A ce nom , l’on devroit sentir ses entrailles s’émouvoir, & son sein s’ouvrir pour recevoir les infortunĂ©s. Pourquoi voit-on tous les jours tant d’hommes durs, chercher Ă  teindre ces beaux sentimens dans les des MƓurs. i8t autres, comme il est depuis long-temps Ă©teint dans eux-mĂ©mes, eu nous reprĂ©sentant les pauvres comme moins Ă  plaindre qu’on ne pense, en les traitant de fainĂ©ans dignes de leur fort, ou de gueux qui en imposent? Mais inutilement entreprendraient-ils d’empĂȘcher nos coeurs de s’attendrir Ă  la vue de tant d’infortunĂ©s , ĂŒ dignes la plupart de pitiĂ© & de secours en vain voudraient - ils leur ĂŽter l’unique ressource qui leur reste Nous croirons toujours qu'il y a moins d’inconvĂ©niens Ă  se la hier quelquefois tromper par des besoins faux & simulĂ©s , qu’à refuser de secourir des besoins trop rĂ©els> & dans l’alternative inĂ©vitable de manquer peut-ĂȘtre de discernement ou d’humanitĂ©, nous aimons mieux qu’on nous reproche une erreur innocente, qu’une insensibilitĂ© criminelle. Ainsi pensoit une des plus libĂ©rales meres des pauvres qui fut jamais, l’ImpĂ©ratrice ElĂ©onore. Toutes les fois qu’elle sortait de son palais, elle trouvoit une troupe importune de mendians qui l’at- tendoient ! & Ă  peine Ă©tait-elle descendue de carrosse, qu’ilsl’environnoient Ă  l’envi. On la vo-yoit tranquille au milieu de cette foule, qui fans nul Ă©gard l’étour- dissoit de ses cris , la pressoir, la heurtait , la tirait par ses habits, & lui arrachent l’aumĂŽne de la main. Pour se r82 V É c o l e dĂ©rober Ă  ces importunitĂ©s, elle alloit quelquefois fuis fuite & fans prendre avec elle ses aumĂŽnes ordinaires. Mais bien souvent les pauvres devinaient fa marche , comme fi fit charitĂ© l’eĂ»t trahie & ne lui eĂ»t pas permis de demeurer longtemps cachĂ©e. FĂąchĂ©e alors de fe voir feule & dĂ©pourvue d’argent, fe sentant d’ailleurs les entrailles dĂ©chirĂ©es par les cris de ces malheureux, elle empruntait du premier venu quelque argent pour le distribuer aussi-tĂŽt de ses propres mains. On ne fera pas surpris que dans un si grand concours de pauvres, il fe glissĂąt souvent des fourbes qui abusaient de fa bontĂ©. Un jour entre autres elle rencontra cinq Soldats qui paraissaient assez misĂ©rables elle leur donna Ă  chacun une piĂšce d’or. Quelques momens aprĂšs, ils eurent l’audace de revenir fous un autre dĂ©guisement elle feignit d’abord de ne pas les reconnaĂźtre, & leur donna pour eux tous une piĂšce d’or, par un excĂšs de bontĂ© qui lui faisait excuser ces sortes de supercheries en faveur des miferes vĂ©ritables qu’elles couvrent quelquefois. Tenez , mes enfans , leur dit-elle , prenez encore celle-ci$ mais souvenez-vous que fai bien des pauvres Ă  nourrir. 11 y en avait qui, pour la tromper , jouaient vingt personnages en un jour. D’autres feignaient d’ùtre nouveaux convertis, des MƓurs. ig? ©u de grande qualitĂ©, ou ruinĂ©s par la guerre} & ce qui Ă©toitpire , ils’entrou- voit qui lailoient servir ses aumĂŽnes d’aliment Ă  leur vie libertine, A qui, aprĂšs les avoir extorquĂ©es, couroient incontinent les porter dans les lieux d’ivresse ou de dĂ©bauches. ElĂ©onore avertie de ces dĂ©sordres , & voyant que les remontrances qu’on lui laisoit Ă  cet Ă©gard ten- doient Ă  lui faire diminuer ses charitĂ©s, disoit en soupirant HĂ©las! je ne puis discerner les vrais pauvres d’avec les autres , dois-je donc les punir tous U n’écarter ceux-ci qu’au prĂ©judice de ceux-lĂ  ? Dieu voit la droiture de mes intentions , il m’en tiendra compte. HĂ© ! ne fait-il pas lui-mĂȘme luire son J'oleil sur les bons U fur les mĂ©cbans ? On n’a jamais tant parlĂ© d’humanitĂ© que dans notre siede mais en substituant le beau mot d’humanitĂ© Ă  celui de charitĂ© , parce que l’humanitĂ© n’est qu’une vertu paĂŻenne & que la charitĂ© est une vertu chrĂ©tienne, nos philosophes ont voulu, Ă  l’exemple des plus habiles sectaires , couvrir de sĂ©duisantes couleurs la noirceur de leur doctrine, & prĂȘter du moins Ă  l’erreur le masque de la vĂ©ritĂ©. Ils ont prĂ©conisĂ©, exaltĂ© l’humanitĂ©, la bienfaisance mais s’ils ont peut-ĂȘtre rĂ©veillĂ© dans quelques cƓurs ces sentimens si naturels , & engagĂ© Ă  faire quelques actes 1 84 L’ É c o l ÂŁ de bienfaisance, dont les malheureux ont profitĂ© ; nous osons !e dire Ă  la gloire de la religion, ces ientimensd’humanitĂ© ne germeront jamais plus sĂ»rement ni avec plus de rapiditĂ© dans ' les coeurs , que quand ils seront vivifiĂ©s par la charitĂ© chrĂ©tienne. Quelle religion a plus fortement recommandĂ© l’amour du prochain, le foin des pauvres, & fur-tout en a donnĂ© de plus hĂ©roĂŻques exemples ! combien ne pourions-nous pas en rapporter ! Les Annales EcclĂ©siaĂźliques & l'ililtoire des Saints en font remplies; & ces grands tableaux de charitĂ© , ou , fi l’on veut , d’humanitĂ© & de bienfaisance , la persuaderont toujours bien mieux que toutes les brillantes & lĂšches maximes de la philosophie. Qui peut en effet ne pas le sentir portĂ© Ă  soulager les pauvres, en y voyant un SĂ©rapion , pauvre lui-mĂȘme, le dĂ©pouiller de tous ses habits pour en revĂȘtir un malheureux qui mouroit de fioid? InterrogĂ© qui l’a voit dĂ©pouillĂ© de la forte, il rĂ©pondit en montrant le livre de l’Evangile Ceß celui-ci. Une autre fois il vendit mĂȘme ce seul livre prĂ©cieux qui lui restoit, pour donner l’aumĂŽne, & dit Ă  son Disciple En vĂ©ritĂ©, mon fils , parce que j’ai lu qu’il m’avoit dit, Vendez tout ce que vous avez , & donnez- k aux pauvres , je l’ai vendu lui-mĂȘme des MƓurs. i8f pour le donner, afin qu’au jour du jugement j’aie sujet d’avoir une plus grande confiance en Dieu. Une autre fois, ajoute l’ Auteur de sa Vie,une Veuve dont lesenfans mouroient de faim , lui ayant demandĂ© l’aumĂŽne , & n’ayant rien du tout Ă  lui donner, il se vendit lui-mĂȘme Ă  des Grecs, qui, touchĂ©s d’une action si gĂ©nĂ©reuse, se convertirent peu de jours aprĂšs au Christianisme. On a vu aussi dans ce siede une auguste & vertueuse Princesse 7, donner les preuves les plus touchantes de fa compassion pour les malheureux. Ayant entendu dire Ă  Compiegtie, oĂč elle Ă©toit", qu’on venoit de rencontrer un pauvre dans l’état le plus dĂ©plorable , elle voulut h voir ; & l’ayant fait entrer dans son cabinet, elle le consola, & lui donna en or une somme considĂ©rable. FrappĂ© de la magnificence de cette aumĂŽne, & plus encore de l’air de bontĂ© de sa bienf'aic- trice , ce pauvre perdit connoissance. La Reine alarmĂ©e s’empressa pour le remettre , le fit asseoir dans son fauteuil, & lui donna elle-mĂȘme les choses nĂ©ceC. faires pour le ranimer moins fiere ou plus courageuse que tant de Grands, qui, si quelquefois ils gratifient les indigens {7 ' Maria Zeckiimia , Reine de France. 186 L’ É C O L E d’une lĂ©gĂšre & courte aumĂŽne, leur Font porter ce secours par des mains Ă©trangĂšres ; parce qu’il leur paroitroit indigne d’eux de permettre au pauvre de les approcher, & que fa personne leur lus- pireroit du dĂ©goĂ»t. L’occupation la plus ordinaire & la plus, agrĂ©able de cette pieuse Reine, Ă©toit de travailler pour les pauvres. Souvent on voyoit sortir de chez elle des personnes chargĂ©es de langes & de vĂȘtemens qu’elle avoit faites pour eux. A Versailles, Ă  Fontainebleau, dans tous les lieux oĂč il y a des maisons royales, elle visitoit ls hĂŽpitaux, s'approchent du lit des femmes malades, les exhortent Ă  la patience, & leur fai soit comprendre que leur Ă©tat, supportĂ© avec fourmilion aux volontĂ©s de Dieu, Ă©toit prĂ©fĂ©rable Ă  celui d’une Reine fur le trĂŽne mais ce qui ne donnent pas moins de poids & de persuasion Ă  ses discours, c’est qu’elle les terminent par des largesses sĂ©crĂ©tĂ©s, qu’elle faisoit si adroitement, que le voile de l’oubli les eĂ»t toujours couvertes, si la bouche du pauvre ne les eĂ»t publiĂ©es. En cela bien diffĂ©rente de nos prĂ©tendus sages, qui ont tant de soin de publier eux-mĂšmes quelques actions d’humanitĂ© & de bienEiilĂ nce que l’ostentation leur fait faire ; parce que n’ayant d’autre motif que la vanitĂ© philosophique » ils font iEs MƓurs. 187 assurĂ©s d’obtenir , par ces marques extĂ©rieures de la bontĂ© de leur cƓur, encore plus que par les qualitĂ©s de leur esprit, l’estime & l’amour des hommes. Carie monde lui-mĂȘme, tout aveugle & tourcorrompu qu’il est dans ses maximes ainsi que dans sa conduite, a toujours attachĂ© un mĂ©rite & une gloire Ă  la charitĂ© pour les malheureux. Ennemi de la vertu dans tout le reste, toujours prĂȘt Ă  s’en faire un sujet de dĂ©rision &. Ă  la tourner en ridicule, parce qu’elle frit sa condamnation, il commence Ă  la res. pecter, ausii-tĂŽt que les malheureux en font l’objet. Loin de refuser son suffrage Ă  la bienfaisance compatiflĂ nte, il est le premier Ă  lui applaudir. Les qualitĂ©s de l’ame les plus brillantes , les plus sublimes, les dons les plus rares de la nature, susciteront contre vous la malignitĂ© de l’envie, qui .osera combattre & dĂ©crier en public ce qu’elle est forcĂ©e de rĂ©vĂ©rer en secret. Il n’en est pas ainsi de la compaflion pour les infortunĂ©s. C’est une qualitĂ© sĂ»re de n’essuver aucune contradiction, aucune jalousie elle n’inspire que de l’estime, elle ne fait naĂźtre que l’amour. Tous les cƓurs volent comme de concert fur les pas d’un riche, dont la main ne s’ouvre que pour donner. Le Grand, le Prince, le Monarque, i88 L’ É c o l e en traĂźnant Ă  leur suite une foule rampante de serviteurs & d’esclaves, ne reçoivent le plus souvent que d’hypocrites hommages , commandĂ©s par l’intĂ©rĂȘt ou par la coutume. L’homme qui ne marche qu’accompagnĂ© d’une foule d’indigens & de malheureux, obtiendra presque des autels. DĂšs qu’on le voit, mille bĂ©nĂ©dictions retentilsent fur son passage, mille bouches demandent au Ciel la conservation de ses jours. Sont-ils en pĂ©ril, ces jours si prĂ©cieux quel trouble! quelle affliction ! On regardent sa vie comme une - faveur du Ciel, on en redoute la perte comme une calamitĂ© publique. La mort enleve-t-elle enfin un mortel si digne de vivre toujours ce ne sont point quelques larmes contrefaites qui coulent fur ion tombeau, comme fur celui du riche qui n’a vĂ©cu que pour lui-mĂȘme. Autour de son corps , un peuple indigent fait entendre les cris de sajuile douleur. Ils redemandent leur pere , leur consolation, leur soutien, ils se croient ensevelis dans le mĂȘme cercueil. Soupirs, gĂ©missent en 8 mille fois plus glorieux que ces superbes monumens, oĂč l’orgueil des vi- vans semble vouloir augmenter le triomphe de la mort. Ces pompes magnifiques , que la mort attache Ă  son char, nous apprennent ce qu’ont posledĂ©, ce qu’ont perdu, & es que laideur aprĂšs eux, DES M ƒ Xf R S. Ig9 eux auxquels on les consacre, & non pas ce qu’ils ont fait de bien. Ces Ă©loges funĂšbres, oĂč l’éloquence la plus ingĂ©nieuse est rĂ©duite Ă  ne louer que ce qu’au- roient dĂ» faire ceux qui en sont le sujet, sont souvent dĂ©mentis par la voix publique; Mais les larmes des malheureux, qui honorent les funĂ©railles du riche charitable, font autant de panĂ©gyristes elo- quens & unanimes de ses vertus. Quel Ă©loge plus touchant que celui que firent de la charitable & vertueuse Tabithe, au Chef des ApĂŽtres, les chrĂ©tiens de JoppĂ©! Elle Ă©toit morte depuis plusieurs heures lorsqu’il arriva. On le mene dans la salle oĂč son corps Ă©toit exposĂ©. EĂ toutes les veuves l’entourent, & lui montrent en pleurant les robes & les habits que Tabithe leur faisoit. Un spectacle si attendrissant demandoit un miracle Ă  celui dont l’ombre mĂȘme guĂ©- rissoit les malades. Il se met Ă  genoux , commande Ă  Tabithe de se lever , la prend par la main , & la rend pleine de vie aux vƓux ardens de tous ceux qui Ă©toient lĂ , & qui virent couler de toutes parts des larmes de joie Ă  la place des larmes de tristesse qu’on venoit de rĂ©pandre g. Mattfc. 25- des MƓurs. Si Dieu'vous a donnĂ© beaucoup de richesses , tĂ©moignez-lui-en votre recon- noiflĂ nce, en les partageant avec les pauvres, & ne craignez que de ne pas donner assez. Si vous n’avez pas beaucoup de bien , soyez encore charitable les moins riches peuvent secourir ceux qui sont dans la nĂ©cessitĂ©. Il ne faut pas de grands trĂ©sors pour ĂȘtre bienfaisant. Tant de personnes ont besoin d’une recommandation, d’une parole consolante, d’un morceau de pain. „ Mon fils, disoit le vertueux Tobie , faites l’aumĂŽne de votre bien, & ne dĂ©tournez jamais vos yeux d’aucun pauvre par-lĂ  vous mĂ©riterez que les yeux de Dieu ne se dĂ©tournent jamais de vous. Soyez misĂ©ricordieux , selon l’étendue de votre pouvoir. Si vous avez beaucoup , donnez beaucoup ; i vous n’avez que peu , donnez peu, & donnez-Ăźe volontiers. Ce fera un trĂ©sor que vous amasserez, & une grande rĂ©compense que vous vous prĂ©parerez pour le jour oĂč vous en aurez besoin. Car l’aumĂŽne expie tous les pĂ©chĂ©s , dĂ©livre de la mort Ă©ternelle, & elle empĂȘchera l’a me de tomber dans les deviendra pour tous ceux qui la font, le sujet d’une grande confiance devant le Dieu souverain 10 elles nous rendront amis de Dieu , & elles contribueront Ă  effacer nos pĂ©chĂ©s. Ne craignez donc point de perdre, Ă  proportion que vous ĂȘtes plus gĂ©nĂ©- B E S M ƒ U R 8. JĂżs reux Ă  l’égard des pauvres. Croyez au contraire qu’il n’y a de perdu pour vous * que ce que vous donnez au monde & Ă  vos passions. Voulez-vous que vos richesses passent en l’autre vie, & vous y devancent remettez-les entre les mains des pauvres ; eux seuls peuvent les y porter. Vous ne conserverez que ce que vous leur aurez confiĂ© ; tout le reste sera perdu pour vous. Donnez leur ce qui doit vous Ă©chapper avec la vie. Au lieu d’amasser des trĂ©sors qui peuvent devenir la proie des voleurs , & qui deviendront certainement celle de la mort, amassez des trĂ©sors infiniment plus nĂ©cessaires , & que rien ne poura jamais vous enlever. Faites du bien aux pauvres pendant que vous vivez, plutĂŽt qu’aprĂšs votre trĂ©pas, parce que Ăźe mĂ©rite en est beaucoup plus grand , & que c’est en quelque forte ĂȘtre libĂ©ral du bien d’autrui, que de ne donner que ce que la mort va contraindre de laisser Ă  d’autres. Le bien qu’on rĂ©pand dans le sein des pauvres, est comme une semence qui souvent produit des fruits abondans, mĂȘme pour cette vie. L’aumĂŽne faite en vue de Dieu & selon les lois de la charitĂ©, n’a jamais vu l’indigence marcher Ă  sa fuite. Combien , au contraire, a’y en a-t-il pas, dont la prospĂ©ritĂ© Iy6 V E C O L E semble avoir Ă©tĂ© en proportion de leurs aumĂŽnes ! ce qu’ils donnoient d’un cĂŽtĂ©, Dieu le leur rendoit de l’autre. C’est qu’on ne perd rien avec un martre qui ne le laisse pas vaincre en libĂ©ralitĂ©. On raconte d’un riche NĂ©gociant, qu’il ne prenoit jamais d’assurances pour les marchandises qui Ă©taient Ă  son compte fur les vaisseaux; mais il donnoitaux pauvres ce que lui auroient coĂ»tĂ© ces assurances il disoit que cette maniĂ©rĂ© d’assurer ne l’avoir jamais trompĂ©. L’illustre & vertueuse Baronne de Chantal, mariĂ©e Ă  un des plus riches Seigneurs de Bourgogne , avoir Ă©puisĂ© dans une famine tout ce qu’elle avoir rnis en rĂ©serve pour les pauvres. Edle se vit rĂ©duite Ă  un seul muid de farine de froment & Ă  un peu de seigle, qui lui Ă©taient nĂ©cessaires pour la subsistance db sa maison. Cependant la famine con- tinuoit, & le nombre des pauvres, au lieu de diminuer, augmentait tous les jours. Combien de personnes , dans une pareille conjoncture, auroient cessĂ© leurs aumĂŽnes! Madame de Chantal, pleine de confiance en Dieu , continua les sennes jusqu’à la rĂ©colte. Le muid de farine de froment & le peu de seigle, pendant six mois ne diminuĂšrent point. Lorsque la moisson fut arrivĂ©e, on alloit voir avec admiration ce peu de blĂ©, oĂč des MƓurs. 197 l’ois n’appercevoit aucune diminution sensible. C’est un fait qui a Ă©tĂ© attestĂ© par tous ceux qui servoient alors Madame de Chantal, & que croiront fans peine ceux qui savent les promettes du Seigneur Ă  cet Ă©gard. Les uns , dit Salomon , font port de ce qui est Ă  eux , U si'en deviennent que plus riches les autres ravisent le bien d'autrui , A- font toujours dasts l'indigence. Celui qui donne au pauvre n'aura besoin de rien mais celui qui le mĂ©prise lorsqu'il le prie , tombera lui-mĂ©me dans la pauvretĂ© 11 . Lorsque Dieu sollicite notre charitĂ© envers les pauvres, c’est moins pour eux que pour nous ; & ce pauvre qui disoit Faites-moi l'aumĂŽne pour l'amour de vous, parloit trĂšs-juste. Renfermez , dit le Sage , votre aumĂŽne dans le sein du pauvre , U elle priera pour vous , afin que vous J oyez dĂ©livrĂ© de tout mal elle fera une arme plus forte pour combattre votre ennemi , que le bouclier & la lance du plus vaillant' homme 12 . Le Duc de Neubomrg , pere de la vertueuse ImpĂ©ratrice ElĂ©onore, l’éprouva a l’occasion que nous allons dire. Ce II xAlit dividunt propria , ditiores fiunt, tfsc» prov. i I. & 28. 12 Concludc eletmoßnam in corde parts cris t ÂŁ?* 1 >ac j>r$ . te ornni malo , &c. Ëccli. 29. I 3 r*?8 L’ É c o L Ă© Prince saifoit des aumĂŽnes frĂ©quentes, ntais lĂ©gĂšres Ă  chaque fois ; persuadĂ© , disoic-il', que l’aumĂŽne doit ressembler Ă  une pluie lente , mais continuelle, & par-lĂ  plus utile Ă  la terre que les tor- rens d’eau subits & passagers. Sur cette maxime , qui Ă©toit aussi celle du savant Cardinal Bellarmin , ce bon Prince ne faisoit pas difficultĂ© de fe charger lui- mĂȘme de menue monnoie, qu’il distri- buoit de ses mains; ce qui lui sauva une fois la vie ; car Ă©tant Ă  la chasse dans les forĂȘts de Vienne, un sanglier qui se jeta sur lui , appliqua heureusement ses dĂ©fenses fur la poche oĂč l’Electeur renfer- moit ses aumĂŽnes. Quels prĂ©textes raisonnables pouroit- il rester encore, pour s’exempter de la loi si juste & si indispensable de l’aumĂŽne, & pour refuser d’exercer envers les pauvres une misĂ©ricorde plus avantageuse pour nous que pour eux-mĂȘmes? On devrait rougir de la plupart de ceux qu’on allĂ©guĂ©. Mais comme c’est dĂ©fendre la cause des malheureux, que de dĂ©truire les obstacles qu’on oppose Ă  leur soulagement , ĂŽtons encore ce qui sert le plus souvent d’excufĂš Ă  la duretĂ© & Ă  l’avarice. Il y a , rĂ©pĂ©tez-vous fans cesse, tant de pauvres qu'on ne fauroit y suffire. Je fais qu’il y eu a beaucoup , & qu’il y eu dus MƓurs. 199 aura toujours ; mais pourquoi en voyons- nous un si grand nombre, & pourquoi font-ils fi malheureux ? N’est-ce pas parce que la plus grande partie des richesses est entre les mains de quelques heureux, qui refusent d’en faire part, comme ils le devroient, Ă  ceux qui n’ont rien? Plus il y a d’indigens, plus on doit multiplier ses aumĂŽnes. Les temps , dites-vous , font mauvais » ou peuvent le devenir. Riches fans humanitĂ© , fi les temps font mauvais, pour qui le font-ils? Est-ce pour vous , qui dans tous les temps ne manques jamais de rien, ou pour le pauvre , qui presque- toujours manque de tout, & qui est d’autant plus Ă  plaindre que les temps font plus malheureux ? Toute la rigueur n’en retombe-t-elle pas fur lui, qui seul en est la victime ? & puisqu’il y a un grand nombre de gens qui font dans le besoin, ne devez-vous pas aussi plus que jamais prodiguer vos largesses ? N’est-ce pas dans les temps de calamitĂ©, que l’obligation du prĂ©cepte Ă©tant plus expresse, vous devez Ă©pargner, mĂ©nager , retrancher mĂȘme, pour ĂȘtre en Ă©tat de donner davantage ? Vous craignez ou paroissez craindre pour l’avenir des rĂ©volutions de fortune. Mais ces craintes excessives, injurieuses Ă  Dieu & Ă  fa providence, dont les foins I 4 aoo L’ É c o l ĂŻ bienfaisans n’oublient pas les oiseaux du ciel ni les animaux de la campagne, ne iont-elles pas d’ordinaire les craintes hypocrites de l’avarice, cachce fous le masque trompeur de la prudence? Elles ne servent qu’à pallier une cupiditĂ© sordide qui fait son dieu de son trĂ©sor, ou _ Ă  satisfaire d’autres passions. On craint l’avenir, quand il s’agit de subvenir aux besoins des pauvres; & on ne le craint pas quand il s’agit du jeu, du luxe ou de la dĂ©bauche , qui renversent si souvent les fortunes les plus brillantes. Mais , ajoutez-vous, ne doit-onpas soutenir son rang ? Et moi, je vous demande Ă  mon tour, quel est votre premier rang & votre plus nĂ©cessaire Ă©tat? n’est-ce pas celui d’homme & de chrĂ©tien ? C’est cette derniere qualitĂ© surtout, bien au-dessus de toutes les autres, que vous devez ĂȘtre le plus jaloux de soutenir ; & la soutiendrez-vous , si vous n’avcz pas une charitĂ© bienfaisante pour des hommes malheureux, qui font vos frĂšres, encore plus selon l’ordre de la religion que de la nature ? Leur vie ne doit-elle pas l’emporter fur toutes les biensĂ©ances, souvent imaginaires,& presque toujours exagĂ©rĂ©es de votre Ă©tat? Mais , continuez-vous , le pauvre n'et droit qu'au superflu du riche , b Ăź e rien des MƓurs. aor ai point. Non, votre aviditĂ© d’acquĂ©rir, votre ambition , votre sensualitĂ© n’en ont pas. Mais mettez un frein Ă  votre fureur d’amaifer, Ă  vos projets ambitieux d’élĂ©vation, Ă  vos dĂ©pensĂ©s excelfives, Ă  vos intempĂ©rances ; & votre bien vous fournira du superflu. Retranchez de vos parures , de ce faste importun, odieux aux autres, & Ă  charge Ă  vous-mĂȘmes » de ce jeu excessif qui vous ruinera bien plus lurement que l’aumĂŽne, & oĂč fur des tables , dirai-je -couvertes d’or ou du sang des pauvres que vous laissez pĂ©rir , vous prodiguez des sommes qui pou- roicnt suffire Ă  nourrir long-temps un grand nombre de familles indigentes. Retranchez de ces repas somptueux que vous donnez souvent par vanitĂ©, & oĂč l’ambition de l’emporter sur les autres vous fait charger vos tables de plats aussi multipliĂ©s qu’inutiles, de mets dont la raretĂ© , la chertĂ© , la nouveautĂ© font tout le prix, de vins Ă©trangers & de liqueurs plus flatteuses au goĂ»t qu’utiles Ă  la santĂ©. Que dirai-je enfui ? comptez vos crimes, vos excĂšs, vos folles dĂ©penses; & vous aurez du superflu. Un Seigneur de la Cour d ’Alexandre IX, Üuc de Savoie, avoir un nombre prodigieux de chiens qu’il nourrissoit uniquement pour les plaisirs de la chĂątiĂ©. Un jour qu'il s’entretenoit avec ce Prince I s 202 L’ É C O L ÂŁ de la grande dĂ©pense que lui causoĂźent ces animaux, le Roi, indignĂ© d’un argent si mal employĂ© , lui dit d’un ton sĂ©vere Apprenez , Monsieur » qu'il ne faut point nourrir d'autres chiens que les pauvres ; du moins il servent pour prendre le Ciel. Sans consulter l'attachement aux ri- chetscs, toujours ingĂ©nieux Ă  Ă©luder la loi de l’aumĂŽne,, ni nosautres pallions qui, ne connoiflĂ nt point de bornes, n’auront jamais de superflu ; consultons la raison & la religion qui, marchant toujours d’un pas Ă©gal entre le trop & le trop peu, iĂ uront nous fournir les lumiĂšres nĂ©cessaires pour difliper l’illusion que nous nous faisons Ă  nous-mĂȘmes. Elles appelleront superflu tout ce qu’on ne doit pas Ă  l’entretien d’une maison lĂ€ge ment rĂ©glĂ©e , Ă  l’éducation de ses enfans, aux biensĂ©ances vĂ©ritables de fa condition. Elles appelleront superflu tout ce qui ne sert qu’à faire naĂźtre ou entretenir la sensualitĂ© , Ă  fournir Ă  des parures dont rougit la modestie chrĂ©tienne , ou Ă  un luxe commandĂ© par la vanitĂ©. Voulez-vous lavoir, riches opulens, ce que vous devez rigoureusement lĂ cri- fier de vos richesses au soulagement des malheureux ; car tel paroĂźt quelquefois donner beaucoup, qui donne peu, parce qu’il devroit donner bien davantage, Ă  des MƓurs. 205 proportion du bien qu’il postĂšde observez la regle que donnoit un ancien Pliilosophe. InterrogĂ© quelles croient la mesure & la regle de la bienfailĂ nce- envers les malheureux Nos besoins satisfaits , rĂ©pondit-il. On fait qu’outre le nĂ©cessaire qui est rĂ©glĂ© par les besoins indispensables de la vie , il y en a un qui est dĂ©terminĂ© par l’état & les circonstances. Les bornes du premier font fort Ă©troites ; un peu de bonne foi avec foi-mĂȘme suffira pour les connoĂźtre. A l’égard du nĂ©cessaire de l’état, la regle la plus sĂ»re pour en juger » est l’opinion publique ; elle apprĂ©cie toujours Ă©quitablement les diffĂ©rens besoins de chaque condition. Lorsque pĂźulieurs citoyens manquent du nĂ©cessaire, & il n’y en a que trop de ce nombre, tous ceux qui ont plus que ce nĂ©cessaire, doivent aux indigens au moins une partie de ce qu’ils possĂšdent au-delĂ . Or quelle est cette partie qu’ils doivent aux malheureux , & qu’ils ne peuvent retenir sans ĂȘtre coupables envers la sociĂ©tĂ© dont ils font membres ? C’est-lĂ  le nƓud embarrassant, qui a toujours arrĂȘtĂ© les plus habiles Moralistes. Quelques-uns plus hardis ont voulu le retrancher, en dĂ©cidant que tout citoyen qui a plus que ce qui est absolument nĂ©cessaire pour vivre» doit en ac4 L’ É c o t e rigueur au pauvre le cinquiĂšme de son reliant. Si cette dĂ©cision sur une matiĂšre oĂč il est difficile de mai quer en gĂ©nĂ©ral les bornes prĂ©cises du devoir, & oĂč il est toujours moins dangereux d’aller au-delĂ  que de ne pas faire assez, paroxt un peu sĂ©vere dans les nĂ©cessitĂ©s ordinaires & communes i ; il est du moins constant, que dans les nĂ©cessitĂ©s extraordinaires du prochain on doit la suivre, & quelquefois mĂȘme pousser le sacrifice encore plus loin , si l’on veut accomplir le prĂ©cepte de la loi naturelle & divine , qui oblige en proportion du besoin des pauvres. Ainsi l’on a vu le cĂ©lĂ©brĂ© CurĂ© de Saint-Sulpice, M. Langues, vendre en un temps de chertĂ©, ses meubles, ses tableaux, & d’autres effets rares & curieux qu’il a voit amassĂ©s avec beaucoup de peine. Il n’eut depuis ce temps-lĂ  que trois couverts d’argent, point de tapisserie , un simple lit de serge , qu’une Dame ne fit que lui prĂȘter , afin qu’il ne le vendit pas pour les pauvres, comme il avoit fait de tous ceux qu’il avoit eus. Il avoit dĂ©jĂ  vendu son patrimoine qui 13 Il y a des personnes riches qui, hors les cas d'une grande calamitĂ© publique, donnent aux pauvres Ă -peu- prĂšs le dixiĂšme de leurs revenus cette regle semble juste L raisonnable. DES M ƒ ĂŒ R S. 20f Ă©toit considĂ©rable , & il en avoir employĂ© le prix en Ɠuvres de charitĂ©. Quel exemple pour ceux qui, par leur Ă©tat, ainsi que par la nature des biens ecclĂ©- sialtiques dont ils jouissent, font encore plus obligĂ©s que les Riches & les Grands du monde , d’ĂȘtre les premiers peres nourriciers des pauvres ! L’Archiduc Ferdinand , aujourd’hui Gouverneur de la Lombardie Autrichienne, donna un jour aux Grands un exemple de sensibilitĂ© pour les malheureux, auilĂŻ digne de leur imitation que de nos Ă©loges. Pendant les diffĂ©rentes fĂȘtes, qui fe firent au sujet de son mariage , on lui montra, en prĂ©sence de l’ImpĂ©ratrice-Reine , les deisins d’une illumination superbe, qu’on a voit rĂ©solu de faire Ă  SchƓnbrun , l’avant-veille de l'on dĂ©part pour son Gouvernement, & qui auroit coĂ»tĂ© beaucoup. Le jeune Prince considĂ©ra ces dĂ©lit ns attentivement , parut rĂȘveur, soupira, & quelques larmes s’échappĂšrent de ses yeux. L’ImpĂ©ratrice Ă©tonnĂ©e & inquiĂ©tĂ© de cet attendrissement, lui en demanda vivement la cause. ManiĂšre , lui-dit-il, voilĂ  njsez de fĂȘles qu'on vie donne encore une illumination ! cela coĂ»tera tant ! & deß un plaisir fi peu durable , fi mĂȘme c'en est un ! la chertĂ© des grains sff les malheurs des temps ont rĂ©duit quantitĂ© de familles 206 L’ É C O L E honnĂȘtes dans la dernier e misere. On pou- roit employer l'argent que cette illumination coĂ»ter oit Ă  soulager les plus indi- gens. L’ImpĂ©ratrice charmĂ©e de trouver dans ses en-fans cette humanitĂ© & cette bienfaisance qui faisaient son caractĂšre , embraii’a tendrement son fils, mĂȘla ses larmes aux siennes & lui fit remettre une somme considĂ©rable. Tout le jour fut employĂ© Ă  la disiribuer dans le plus grand leeret , & le lendemain l’Archiduc parut devant l’ImpĂ©ratrice, la joie peinte fur le visage , l’embrassa , & lui dit avec s’enthousiasme d’une belle ame transportĂ©e du plaisir d’avoir fait une bonne action Ah ! ma mere, quelle fĂȘte ! des MƓurs-. 207 X I X. Soye^ homme d'honneur. que nous entendons par le mot d ’honneur , n’est pas , comme quelques-uns le pensent, une vertu politique, un simple prĂ©jugĂ© c’est une vertu rĂ©elle & morale, dictĂ©e par la nature mĂȘme, dont la fonction, pour ainsi dire, est de veiller sur toutes les autres & de les conserver dans toute leur puretĂ©. L’honneur , comme ce suc prĂ©cieux exprimĂ© des fleurs, se forme de ce qu’il rencontre de plus exquis dans chaque vertu ; & telle est sa dĂ©licatesse, que la plus lĂ©gĂšre tache le ternit. 11 est Ă  l’ame ce que la vie est au corps il vivifie toutes nos actions, dirige tous nos sentimens, anoblit la vertu mĂȘme , flĂ©trit le vice, donne de l’éclat Ă  la prospĂ©ritĂ©, console dans les revers , & soutient l’indigence malheureuse. L’honneur est comme une seconde providence pour l’Etat. Il commande la saintetĂ© aux Pontifes, la valeur aux Guerriers , la justice aux Magistrats » l’émulation aux talens utiles, la pudeur au sexe. U prescrit la bonne foi dans le commerce, & couvre de honte le plus foible 20 8 L’ É C O L B soupçon dans le maniement des deniers publics. Il invite le soldat au combat, & paye le prix de son sang avec de la gloire. Il s’agiiü’oit au siege d’une ville de reconnoĂźtce un point d’attaque. Le pĂ©ril Ă©toit presque inĂ©vitable. Cent louis Ă©toient also rĂ©s Ă  celui qui pouroit en revenir. plusieurs braves y Ă©toient dĂ©jĂ  res. tes. Un jeune homme se prĂ©sente on le voit partir Ă  regret il reste long-temps on le croit tuĂ©; mais il revient, & fait Ă©galement admirer l’exa&itude & le sang- froid de Ibn rĂ©cit. Les cent louis lui font offerts. Vous vous moquez de moi , mon GĂ©nĂ©ral, rĂ©pondit-il, va-t-on lĂ  pour de T argent ? L’éloge & la gloire iont la feule rĂ©compense digne de la valeur. Ce n’est pas avec de l’or qu’il faut payer ce que l’honneur seul peuc & doit acquitter. Un laurier rĂ©compense un hĂ©ros. Plus ce sentiment est beau, plus on doit craindre de le corrompre , de le rendre vicieux & condamnable , en ne se proposant d’autre fin que l’estime des hommes & la gloire mondaine. Ce fantĂŽme brillant fut l’objet des vƓux & des poursuites des plus illustres PaĂŻens, parce que leur religion toute humaine n’of- froit point de motifs plus dignes d’une ame grande. C’est encore aprĂšs lui seul que courent & que nous engagent Ă  coulis nos nouveaux plĂŒiosophes, parce des MƓurs. 209 qu’il renferment bassement toutes leurs espĂ©rances dans les bornes Ă©troites de la vie prĂ©sente. Mais le philoibphe ChrĂ©tien, dont les vues font bien plus grandes & plus Ă©levĂ©es , ne se permet d’aimer & de rechercher l’estime des hommes , qu’autant qu’elle lui est utile ou nĂ©ces. lĂ ire, pour mieux remplir les devoirs de l’état oĂč la Providence l’a placĂ©. L’honneur, l’estime des hommes, Ă©tant un bien rĂ©el, comme les richesses & la santĂ©, & mĂȘme un avantage plus prĂ©cieux encore , on peut donc les dĂ©sirer Ă©galement & les rechercher. L’Esprit-Saint lui-mĂȘme nous le recommande Ayez soin d'avoir une bonne rĂ©putation , ce sera pour vous un bien plus durable quemiils grande trĂ©sors 1 . C’est avec la vertu le seul qui nous reste aprĂšs la vie. Mais vous aurez tout le soin , que l’Esprit-Saint veut que vous ayiez d’acquĂ©rir & de conserver une bonne rĂ©putation , si vous vous appliquez Ă  Ă©difier tous les hommes par la sagesse de votre conduite, & Ă  ne rien faire qui puisse vraiment vous rendre vil & mĂ©prisable. Celui qui par une impudence effrontĂ©e ou par une bassesse de sentimens ne fait nul cas de l’estime des autres, n’est lui- i Curant habe Ă€s rumine » ÂŁ 7 V. EccĂźi. 41. 210 L’ È C O L s mĂȘme guere estimable. Un de ces im- pudens cyniques , dont la secte fut la honte de l’ancienne philosophie, disoit un jour se me ris de tous ceux qui se moquent de moi. Personne , lui rĂ©pondit-on, ne se divertit donc mieux que VOUS. Pour mĂ©riter cette estime publique, qui est comme le plus bel apanage du mĂ©rite & de la vertu , l’homme d’honneur fait profestion d’ĂȘtre attachĂ© invio- lablement Ă  son devoir, d’accomplir toute justice, d’avoir une conduite irrĂ©prochable Ă  l’égard de tout le monde. 11 a pour maxime de ne. point manquer Ă  fa parole, d’ĂȘtre fidelle au secret, de ne trompĂšr personne , de ne jamais rien faire contre la droiture & la probitĂ©. Incapable dĂ©faire tort Ă  qui que ce soit, il rougiroit de s’enrichir par des gains sordides, de sacrifier lĂ  conscience Ă  sa fortune. Darius, Roi de Perse, ayant envoyĂ© de riches prĂ©sens Ă  Epaminondas , ce grand homme rĂ©pondit Ă  ceux qui les luiapportoient Si Darius veut ĂȘtre ami des ThĂ©baius , il n’es pas nĂ©cessaire qu'il achetĂ© mon amitiĂ©ss s'il a d'autres j'en- tirnens , il n'est pas assez riche pour me corrompre. Le Duc de MaĂŻenne Ă©crivit Ă  Matignon ^ Comte de Ihorigny, pour l’engager dans le parti de la Ligue. Celui-ci DES M ÉE U R- S. 211 lui rĂ©pondit ,, Je croyois ĂȘtre le seul en France, qui s’appelĂąt Thorigny. apparemment qu’il y en a un autre , Ă  qui votre lettre s’adresse , & que vous espĂ©rez d’engager Ă  sacrifier son honneur aux brillantes offres que vous lui faites. Je ne crois pas que vous l’ayez prĂ©sumĂ© de moi “. Ce que fit M. d 1 AubignĂ© ,'est auffi trĂšs- beau. Il contoit un jour Ă  M. de Talci la mauvaise fortune & le triste Ă©tat de ses affaires. Celui-ci l’interrompit en lui disant Vous avez des papiers qui intĂ©ressent beaucoup le Chancelier de l’HĂŽpital. DisgraciĂ© de la Cour , il est, comme vous savez, maintenant retirĂ© Ă  sa maison de campagne. Si vous voulez, je me fais fort de vous faire donner dix mille Ă©eus pour ces papiers, soit par lui, soit, s’il le refuse, par ceux qui vou- droient s’en servir contre lui. D’AubignĂ© alla auffi-tĂŽt chercher tous ces papiers , & au lieu de les donner Ă  M. de Talci, il les jeta dans le feu en lĂ  prĂ©sence. Comme celui-ci l’en reprenoit vivement, il rĂ©pondit Je les ai brĂ»lĂ©s de peur qu'ils ne me brĂ»laJJ'ent ; car saurais pu succomber h la tentation. Cette action gĂ©nĂ©reuse toucha M. de Talci. Le lendemain, il alla trouver d’AubignĂ©, le prit par la main, & lui dit Quoique vous ne m’ayez pas ouvert votre cƓur, j'ai de trop bons yeux pour ne m'ĂȘtre pas ap- percu de votre amour pour ma fille. Vous la voyez recherchĂ©e de plusieurs partis , qui ont plus de bien que vous. Mais ces papiers que vous bridĂątes hier, de peur qu’ils ne vous brĂ»lassent, m’ont dĂ©terminĂ© Ă  vous choisir pour mon gendre. Il faut qu’un homme d’honneur aime son devoir, jusqu’à s’exposer aux plus grands dangers , Ă  la mort mĂȘme, pour le remplir. Un Officier Ă©toit commandĂ© pour une action trĂšs-pĂ©rilleuse. On lui ĂźuggĂ©roit des prĂ©textes, pour se dispenser d’exĂ©cuter la commision. Je puis bien sauver ma vie, rĂ©pondit-il; mais mon honneur, qui le sauveras 1 Tous les rangs, tous les Ă©tats font fournils Ă  l’honneur il Ă©tend son empire lire les Grands & fur les Princes mĂȘme il commande Ă  ceux auxquels les autres obĂ©issent ; & plus ils semblent ĂȘtre au- dessus des lois, plus ils se font gloire de respecter celles de l’honneur , & d’ĂȘtre, si l’on peut s’exprimer ainsi, ses premiers su jets. A. la bataille de Nervinde, gagnĂ©e par le MarĂ©chal de Luxembourg fur les AlliĂ©s, on eut de la peine Ă  fĂš taire un paflĂ ge Ă  travers les retranchemens des ennemis. La breche faite , on ne pouvoir y passer sans un extrĂȘme danger de perdre la vie. Le Duc Je Chartres y vol oit. Le MarĂ©chal de Luxembourg voulut l’en desMƓurs. ar? empĂȘcher il dit Ă  M. d’Arci, Gouverneur du jeune Prince , de le retenir , parce que cet endroit Ă©toit trop pĂ©rilleux. Pourquoi retenir le Prince , rĂ©pondit ce brave Gouverneur? Les Grands font nĂ©s pour fe diitinguer par leurs belles actions Ă  la guerre comme ailleurs, & pour montrer par leur exemple aux Troupes Ă  combattre avec courage. Vous y passez bien mon Prince y passera aussi ; & puisqu’il peut acquĂ©rir de la gloire en cette occasion , bien loin de l’en empĂȘcher, je l’y conduis ; & tant que j’aurai l’honneur d’en ĂȘtre Gouverneur, je le mĂšnerai par-tout. Tel est le vrai honneur il ne peut fs trouver que dans des choses honnĂȘtes 8c louables. Mais la plupart des hommes ne connoissent pas bien l’honneur, & l’aiment fans le connoĂźtre. Ils le font consister Ă  ĂȘtre estimĂ© des autres fans distinguer la fausse estime de l’estime vĂ©ritable ; & fur-tout Ă  recevoir avec impatience ou plutĂŽt avec fureur les outrages qu’on leur fait, rĂ©solus d’en tirer vengeance ou de pĂ©rir. On comprend que nous voulons parler des combats singuliers; u lĂ€ge fĂ©roce & extravagant, que le faux point d’honneur a su maintenir jusqu’à prĂ©sent, malgrĂ© tout ce que la sĂ©vĂ©ritĂ© des lois, les lumiĂšres delĂ  rai- ion, les menaces de la religion ont pu ri4 L’ E c o l e faire pour l’abolir. Il est vrai que la fureur des duels est beaucoup diminuĂ©e ; mais il s’en faut bien qu’elle soit entiĂšrement Ă©teinte. Elle souffle encore de temps en temps fa rage dans les cƓurs ; & c’est ce qui nous engage Ă  en parler ici. Heureux, si nous pouvions contribuer Ă  abolir jusqu’aux derniers restes de ce prĂ©jugĂ© barbare, dĂ©tromper ceux qu’il a sĂ©duits , & les convaincre qu’il n’est pas moins opposĂ© au vĂ©ritable honneur qu’à la religion. Non, le duel n’est pas une institution d’honneur, comme le pensent les duellistes ; mais une mode affreuse & sanguinaire, qui doit la naissance’ aux nations fĂ©roces du Nord. C’est dans les sombres forĂȘts, dans les montagnes inaccelsibles de l’ancienne Germanie, au milieu d’un peuple farouche , qu’il faut placer son origine. Une indĂ©pendance excelsive, triste apanage de la grossiĂšretĂ© d’un Gouvernement Ă  peine Ă©bauchĂ©, qui » au dĂ©faut des lois, autorisoit les particuliers Ă  se faire justice par la voie des armes ; un faux point d’honneur, qui faisait regarder l’usage de la force comme le moyen le plus noble de se faire rendre raison & de soutenir ses prĂ©rogatives ; voilĂ  les vraies causes qui firent naĂźtre parmi les anciens Germains le duel. Ces hommes aussi fĂ©roces que les lieux qu’ils habi- des MƓurs. rrf toient, -s’étant prĂ©cipitĂ©s comme un torrent en Italie, en Espagne, & dans les Gaules, leur fureur naturelle les y suivit; ils y apportĂšrent l’usage du duel. Heureux siĂšcles, qui n’avez point connu un usage si meurtrier, vous mĂ©ritez, Ă  bien plus juste titre que le nĂŽtre, le nom de liecle de l’humanitĂ© ! Car n’est-ce pas une horrible barbarie, que les hommes s’égorgent les uns les autres pour un lĂ©ger affront, comme feroient des bĂȘtes fĂ©roces ? Quelle rage, quelle fureur de dĂ©truire son semblable , & de consentir soi-mĂȘme Ă  ĂȘtre dĂ©truit pour un si petit sujet! Nous frĂ©missons, quand nous voyons un homme Ă©gorgĂ© fous nos yeux; & nous faisons consister l’honneur Ă  ĂȘtre nos meurtriers ou les meurtriers d’un autre homme ! On traiteroit de cruel tyran un Roi, qui prononceroit un arrĂȘt de mort contre quiconque laisseroit Ă©chapper une parole qui ne seroit pas assez respectueuse pour lui. Mais n’est-ce pas ce que fait un homme qui appelle en duel un ennemi ? Il le condamne Ă  mort impitoyablement ; & dans la rage & la fureur oĂč il est de ne pouvoir faire exĂ©cuter fa sentence, il consent Ă  s’exposer lui-mĂȘme Ă  la mort, pour pouvoir mettre cette sentence Ă  exĂ©cution, & devient ainsi son propre bourreau. Et l’on appelle cette loi une us L ! É C O L E loi d’honneur ! Dites plutĂŽt que c’est une loi cruelle, une loi inhumaine & tyrannique. N’est-ce pas une chose bien incomprĂ©hensible, qu’un usage qui fait honte Ă  l’humanitĂ©, & que la raison condamne, subsiste encore dans un siede aussi Ă©clairĂ©, avec des mƓurs aussi douces, aussi humaines , aussi policĂ©es que les nĂŽtres ? Croiroic-on qu’il ait pu subsister longtemps avec tant de gloire qu’on a vu les Rois eux-mĂȘmes prĂȘter Ă  ces affreux combats le sceau de leur autoritĂ©, & les honorer de leur prĂ©sence i Avant le regne de Henri II , rien n’étoit plus commun en France que ces duels autorisĂ©s. Celui de Chabot de Jarnac, & de Vivonne de la ChĂątaigneraie, fut le dernier. Ce combat se fit dans la cour du ChĂąteau de Saint-Germain-en-Laie, en 15-47. Jarnac avoit donnĂ© un dĂ©menti Ă  la ChĂątaigneraie. Celui - ci le dĂ©fia au combat. Le Roi le permit, & voulut en ĂȘtre spectateur. Il se stattoit que la ChĂątaigneraie, qu’il aimoit, emporterait l’avantage mais Jarnac, quoique malade, le renversa par terre d’un revers qu’il lui donna fur le jarret, & qu’on a depuis appelĂ© le coup de Jarnac. On sĂ©para les combattans. Le vaincu, inconsolable d’avoir essuyĂ© cette honte Ă  la vue du Roi, ne voulut jamais que les Chirurgiens bandassent des MƓurs. 217 bandassent sa plaie il mourut quelques jours-aprĂšs. Henri II en fut si touchĂ©, qu’il -jura solennellement de ne plus permettre de semblables combats. Mais la fureur du duel n’en subsista pas moins. Depuis l’avĂ©nement de Henri IV Ă  la couronne jusqu’à la vingtiĂšme annĂ©e de son regne , sept mille grĂąces furent donnĂ©es pour des duels oĂč l’un des adversaires avoit perdu la vie. Les duels Ă©toient si frĂ©quens dans les premiĂšres annĂ©es du regne de Louis XIII , que c’étoit la premiĂšre nouvelle qu’on se demandoit, en se rencontrant dans les rues ou dans les promenades. Louis XIV, animĂ© du zele de la religion, Lt persuadĂ© que ces sortes de combats n’étoient pas moins pernicieux Ă  l’Etat qu’aux particuliers , porta contre le duel un Ă©dit foudroyant. A son exemple, & animĂ©e du mĂȘme esprit de religion & du bien public , l’ImpĂ©ratrice-Reine Marie-ThĂ©rĂšse porta aussi les ordonnances les plus sĂ©veres contre le duel. Deux Seigneurs de la premiĂšre distinction, ayant osĂ© se battre peu aprĂšs, on ne put obtenir leur grĂące, & ils eurent tous les deux la tĂšte tranchĂ©e fur le mĂȘme Ă©chafaud. Gustave-Adolphe, ce fameux conquĂ©rant du Nord , qui a rendu son nom si cĂ©lĂ©brĂ© dans le dernier siede, apprennant que la fureur du duel commenqoit Ă  faire Tome II. K 21 8 L’ É C O L 2 .-de cruels ravages dans son armĂ©e, le .dĂ©fendit sous peine de mort. Il arriva, peu de temps aprĂšs, que deux de ses principaux Officiers ayant pris querelle ensemble, vinrent supplier le Roi de leur accorder la permission de se battre. Gustave fut d’abord indignĂ© de la proposition. Il y consentit nĂ©anmoins , mais il ajouta qu’il vouloir ĂȘtre tĂ©moin du combat. Il assigna le lieu & l’iieure. IL s’y rendit avec un petit corps d’infanterie, qu’il plaça autour des deux champions. Allons , ferme , Messieurs , leur dit-il, battez-vous maintenant , jusqu'Ă  ce que l'un de vous deux tombe mort ; & appelant tout de fuite le bourreau de l’armĂ©e, il lui dit A l'instant qu'il y en aura un de tuĂ© , coupe devant moi la tĂȘte Ă  l'autre. A ces mots, les deux GĂ©nĂ©raux restĂšrent quelque temps immobiles mais reconnoifsant bientĂŽt la faute qu’ils avoient faite, ils se jeterent aux pieds du Roi, lui demandĂšrent pardon, & le jurĂšrent l’un & l’autre une sincere amitiĂ©. Depuis ce moment, on n’entendit plus parler de duel dans les armĂ©es SuĂ©doises. Le Prince, en prononçant une peine de mort contre les duellistes, venge l’autoritĂ© de Dieu & la sienne. La loi divine dĂ©fend l’homicide. C’est usurper les droits de Dieu, que d’entreprendre d’îter la vie Ă  celui Ă  qui il l’a donnĂ©e. des MƓurs. 2iz Personne far la terre n’a droit de condamner Ă  mort, que ceux qui exercent les jugemensdu Seigneur, par une autoritĂ© qu’ils ont reçue de lui. Quiconque se sert du glaive sans l’ordre du Souverain, usurpe son autoritĂ©, attente Ă  ses droits, & se rend coupable du crime de lese- majellĂ© il mĂ©rite dĂ©pĂ©rir lui- mĂȘme par l’épĂ©e. C’est donc avec justice que la loi du Prince condamne Ă  mort tous les duellistes. Malheur Ă  ceux q'ui, Ă©tablis pour faire exĂ©cuter une loi si fige , n’y tiennent pas la main ! Dieu leur demandera compte de tout le sang qui aura Ă©tĂ© rĂ©pandu par leur foute. Le duelliste se sait gloire de sacrifier sur l’autel de l’honneur mais y sacrifie- t-il en effet ; & n’est - ce pas plutĂŽt Ă  l’idole sanguinaire qu’il s’est faite ? Il y avoit autrefois Ă  Rome un temple dĂ©diĂ© Ă  VHonneur ; mais on ne pou voit y entrer qu’en passant par celui de la Vertu. Leçon ingĂ©nieuse & faillible , par laquelle les anciens Romains faisoient assez entendre qu’ils ne croyoient pas qu’il pĂ»t y avoir de vrai honneur fans vertu. Mais est-ce lĂ  l’honneur pour lequel combattent les duellistes ? Non, ce n’est point par la vertu qu’on arrive chez eux Ă  l’honneur; & bien-loin de le croire ennemi du vice , ils l’attachent au vice mĂȘme. C’est un honneur qui s’allie ave* 222 I; E C O L E ce qui dĂ©shonore, & les hĂ©ros en ce genre font assez souvent des scĂ©lĂ©rats. Ce font des brutaux, dont il faut Ă©viter la rencontre avec autant de foin que celle des bĂȘtes les plus fĂ©roces. On ne peut les toucher, mĂȘme fans le savoir, qu'on ne les osseuse. Ils prennent pour insultes, des maniĂ©rĂ©s ou des dĂ©fauts d'attention, dont les vrais honnĂȘtes gens ne ,s’apperçoivent pas ou qu’ils mĂ©prisent. Ils se trouvent blessĂ©s d’un mot, d’un geste, d’un silence, dont ils s’imaginent ĂȘtre l’objet, quoique le plus souvent on n’ait point pensĂ© Ă  eux. N’est-ce pas ce qu’on a vu mĂȘme'dans le fameux Grillon ? Sa valeur lui fit mĂ©riter le surnom de Brave sa gĂ©nĂ©rositĂ©, sa bontĂ©, sa droiture , le firent regarder comme le plus honnĂȘte homme de son siede. Mais un mot Ă©quivoque le rĂ©voltait, & d’abord il portait les choses aux derniĂšres extrĂ©mitĂ©s. De cette dĂ©licatesse rĂ©sultaient des combats, des duels , qui le iaisoient passer quelquefois pour pointilleux. Un jour BulĂźi d’Amboise l’ayant rencontrĂ© dans la rue, lui demanda avec un ton & un regard qui dĂ©plurent Ă  Crillon Quelle heure elf- il? L’heure de ta mort , lui rĂ©pondit Crillon en mettant l’épĂ©e Ă  la main. Il en auroit coĂ»tĂ© la vie Ă  l’un ou Ă  l’autre, & peut-ĂȘtre Ă  tous les deux, si on ne les eĂ»t sĂ©parĂ©s. des MƓurs. sut Tels font la plupart des duellistes. Ils ont de l’honneur, & cet honneur, disent- ils , est au bout de leur Ă©pĂ©e, toujours prĂȘte Ă  percer ceux qui voudroient en douter. Laissez-les faire; & pour les sujets les plus frivoles, leur brutalitĂ© va priver les familles de leur appui le plus nĂ©ceißàire, l’Etat de ses meilleurs citoyens , la patrie de ceux qui lui rendent le plus de services. Bretailleurs odieux, qui n’ayant d’autre mĂ©rite que celui de savoir bien manier l’épĂ©e , sont presque toujours Ă  la fin les victimes d’une Ă©pĂ©e moins adroite & plus heureuse ils attaqueront audacieusement les hommes les plus estimables & les plus pacifiques ils disputeront de l’honneur avec eux, & ils auront celui de les tuer & d’en triompher, ou d’ĂȘtre eux-mĂȘmes glorieusement punis de leur audace. Quel honneur, grand Dieu ! quelle gloire, que celle qu’on 11e conserve & qu’on ne rĂ©pare que par le plus fĂ©roce & le plus extravagant de tous les crimes ! Si l’on veut d’ailleurs faire quelque attention Ă  la maniĂ©rĂ© dont souvent cet honneur se rĂ©pare, quelle opinion plus insensĂ©e entra jamais dansl’esprithumainĂź Un homme n’est plus fourbe, fripon, calomniateur , quand il a su se battre. Un affront est toujours bien rĂ©parĂ© par une oup d’épĂ©e, & l’on n’a jamais tort K 3 222 L’ É C O L E avec un homme, pourvu qu’on le tue. Il y a, je l’avoue, une autre sorte d’affaire d’honneur, qui ne paroit pas si fĂ©roce, mais qui au fond ne l’est pas moins ; c’est celle oĂč l’on se bat au premier sang. Au premier sang, grand Dieu ! s’écrie le Philosophe de Geneve, V qiCen veux-tu faire de ce sang , bĂȘte fĂ©roce? le veux-tu boire ? Et d’ailleurs qui nous rĂ©pondra que les coups feront toujours portĂ©s si heureusement qu’aucun ne fera mortel, ou que ta vue de son sang & la honte d’avoir Ă©tĂ© vaincu n’engageront pas le blessĂ© Ă  redoubler ses coups & Ă  porter fa vengeance aussi loin qu’elle pourra aller ? En voici un exemple bien triste & bien frappant. Le Chevalier Bayard ayant, dans une petite rencontre, fait prisonnier un Gentilhomme Espagnol , nommĂ© Dom Alonzo, le relĂącha quelque temps aprĂšs pour le prix de fa ranqon. Alonzo en fĂš louant du Chevalier Bayard, se plaignit que ses gens ne l’avoient pas traitĂ© en Gentilhomme. Bayard informĂ© de ces discours, crut son honneur blessĂ©, &hĂ» envoya un cartel. Le jour pris pour le combat, ils se rendirent sur le champ de bataille, & entrĂšrent en lice. Ils fondent l’un fur l’autre Ă  grands coups d’estoc, & Bayard blesse son homme au visage. Le combat n’en devint que plus vif il des M ce ĂŒ r s. ZLf fut long, & bien balancĂ© par l’adresse & Pc galitĂ© de la force des combattans. Enfin Bayard prend le temps que l’Espagnol leve le bras pour le frapper ; il porte son Ă©pĂ©e avec une vĂźteflĂš & une adresse merveilleuse droit au gorgerin, & avec tant de force * que malgrĂ© la- bontĂ© de cette armure , il la perce, & l’épĂ©e entre de quatre bons doigts dans la gorge d’Alonzo. Celui-ci perdant son fang avec abondance , devint furieux & enragĂ©. 11 fit les plus grands efforts pour joindre son homme & le saisir au corps ils tombĂšrent tous les deux & se dĂ©battirent quelque temps par terre mais Bayard porta un dernier coup de poignard Ă  Dom Alonzo si vigoureusement entre le nez & l’Ɠil gauche', qu’il le fit pĂ©nĂ©trer jusque dans le cerveau, & lui cria Rendez-vous - Dom Alonzo , ou vous ĂȘtes mort. Il l’étoit en efiet. Le Chevalier auroit voulu pour tout ce qu’il avoit au monde, l’avoir vaincu seulement, & non l’avoir tuĂ©. Combien d’autres exemples auiĂźi funestes, & qui ne font que trop srĂ©quens, ne pourions- nous pas rapporter 'i On appelle bravoure, courage, honneur , ce qui n’est souvent qu’orgueil, foiblesse, lĂąchetĂ© mĂȘme. Ainsi le penibit le cĂ©lĂ©brĂ© MarĂ©chal de Turtmie , & qui se connut jamais mieux en vraie bra- K 4 224 L’ É C 0 L E voure ? Ce grand homme renvoya en France, du pays de Hesse-Cassel oĂč Ă©toit son armĂ©e, un Capitaine de cavalerie, qui a voit tuĂ© en duel deux autres Officiers, parce que , dit il, fai remarquĂ© plus d'une fois moi-mĂȘme la triste contenance d'un homicide devant l'ennemi il nous tueroit tous , ß nous le laissions faire , V pas un seul ennemi du Roi. Tous les duellistes, il'estvrai, ne ressemblent pas Ă  ceux que nous venons de dĂ©peindre. Le prĂ©jugĂ© pour ce faux point d’honneur peut subsister, non-seulement avec un fonds de bravoure naturelle,mais auifi avec des maniĂ©rĂ©s polies, avec des sentimens mĂȘme de probitĂ©, je dirais presque de religion ; car la religion n’est pas toujours assez dominante , pour Ă©touffer tous les restes de l’esprit du monde qu’elle condamne. Mais n’est-ce pas un prodige de la foiblesse humaine , & de la force que les prĂ©jugĂ©s les plus insensĂ©s acquiĂšrent fur les esprits , qu’on ne rougisse point de celui-ci dans les familles les plus honorables & les plus distinguĂ©es par leur piĂ©tĂ© mĂȘme ? Les parens l’inspirent quelquefois Ă  leurs en- fans , contre la rĂ©clamation de leur conscience. Ils en sentent Pinjustiee, la folie, le crime, & toutes les suites funestes mais l’opinion du monde, ce tyran qui subjugue avec tant d’empire les esprits, DES M ƒ U R S.' 2Lf est un maĂźtre impĂ©rieux , dont ils n’ont pas la force de secouer le joug ; & par les fausses maximes qu’ils versent dans l’a me de leurs enfans, ils lui forment de nouveaux esclaves, dont les crimes Ă  cet Ă©gard, & peut-ĂȘtre mĂȘme la perte Ă©ternelle , leur seront imputĂ©s. Mais ce qui est plus incomprĂ©hensible encore, c’est qu’on a vu des parens, non- feulement donner des leçons de ce faux honneur, mais, par leurs instances & par leurs reproches, allumer eux-mĂȘmes ces flammes homicides, mettre Ă  la main de leurs enfans l’épĂ©e meurtriĂšre, & leur ordonner de fe venger ou de pĂ©rir. Et c’eft dans le sein du Christianisme qu’on fe porte Ă  de si horribles excĂšs! Et ce font quelquefois des meres elles- mĂȘmes , qui oubliant la douceur de leur sexe & toutes les tendresses de la nature, soufflent dans le cƓur de leurs enfans la fureur de la vengeance, la soif du sang, l’impatience de le rĂ©pandre, & les traĂźnent , pour ainsi dire, Ă  l’autel sanglant oĂč ils feront peut-ĂȘtre Ă©gorgĂ©s, Nous ne parlons pas de ceux qui, par leurs conseils , par leurs rapports , par leurs railleries , engagent Ă  fe battre. Qui ne voit qu’ils font austi homicides que s’ils enfonçoient eux-mĂȘmes le poignard dans le sein ' meurtriers d’autant plus cruels & plus lĂąches, qu’ils le ionfc rrs L* É c o l s de sang-froid & fans avoir Ă©tĂ© personnellement offensĂ©s. Ce qui n’excite pas moins l’indignation, c’est que ce font souvent les personnes du sexe le plus timide, qui font les railleries les plus piquantes, parce qu’elles n’ont rien Ă  craindre colombes foibles & tremblantes dans leur propre pĂ©ril, aigles hardies A intrĂ©pides dans le pĂ©ril des autres. 11 faut, dit-on, qu’un homme d’épĂ©e soit brave , & prĂ©fĂ©rĂ© l’honneur Ă  la vie l’épĂ©e qu’il porte , l’avertit de ne souffrir aucun affront. Et moi, au contraire, je dis que la permission qu’ont les Nobles , les Militaires, de porter l’épĂ©e, les oblige Ă  ĂȘtre doux & modĂ©rĂ©s. Si cela n’étoit pas , la loi seroit-elle sage d’armer des furieux? La patience, qui met l’homme au - dessus de la coiere, est pour eux comme une vertu de profession. Plus ils trouvent de facilitĂ© Ă  fe venger, moins il leur sied de le faire. L’épĂ©e qu’ils portent dans la paix , les avertit qu’elle ne leur fut donnĂ©e que pour le temps de la guerre. Ils ne sont armĂ©s que pour la dĂ©fense de la patrie , sos ennemis font les seuls qu’il leur soit permis de combattre. Dans le temps oĂč presque tous les Gouvernemens de l’Europe autorifoient les combats singuliers, ThĂ©odoric , fondateur du royaume des Ostrogoths en des MƓurs. 217 Italie , Prince bien supĂ©rieur Ă  son siecle par son gĂ©nie & pas ses connoiflances, les dĂ©fendoit dans ses Etats. Il Ă©crivit aux Romains qui habitoient la Pannonie, aujourd’hui la Hongrie „ Tournez vos armes contre l’ennemi, & ne vous en servez pas les uns contre les autres. Que des querelles, souvent peu importantes en elles-mĂȘmes, ne vous conduisent pas Ă  des extrĂ©mitĂ©s aussi condamnables. Soumettez-vous Ă  la justice, qui fait le bonheur de l’univers. Quittez 'e fer, quand l’Etat n’a point d’ennemi c’est un grand crime de lever le bras contre des citoyens, pour la dĂ©fense desquels il seroit glorieux d’exposer fa vie. OĂč habiteroit la paix, si l’oncon- tinuoitĂ  combattre, quand on doit ĂȘtre sous l’empire des lois ? Imitez la nation des Goths, qui font aussi courageux Ă  faire la guerre au-dehors, que modestes & soumis au - dedans ”. La vraie bravoure, ce sentiment sublime , qui Ă©leve l’homme au-dessus de la nature, & mĂ©prise le danger quand le devoir appelle, ne ressemble pas Ă  la fureur, ni Ă  cette dĂ©licatesse pointilleuse que l’ombre d’un outrage enflamme» Elle aime Ă  venger avec Ă©clat les injures de la patrie, & dissimule les offenses personnelles, ou les pardonne. Elle cherche Ă  triompher des ennemis de l’Etat K 6 228 V Ê C O L E par sa valeur, & des siens par la gloire de ses actions. Un Cavalier avoir re- , prochĂ© Ă  PĂ©ris de Vergas au Siege de SĂ©ville , que l’écu onde qu’il portoit, n’étoit pas permis Ă  ceux de sa maison 2. PĂ©rĂšs dissimula ce reproche mais quelque temps aprĂšs , comme on assiĂ©geoit une autre ville, il combattit avec tant de valeur, qu’il retira son Ă©cu tout hĂ©rissĂ© de flĂ©chĂ©s. Se retournant alors vers son rival, qui s’étoit toujours tenu Ă  l’abri des coups Vous avez raison , lui dit-il, de vouloir ĂŽter cet Ă©cu Ă  ceux de ma maison , puisqu’ils l’épargnent fi peu fans doute que vous le mĂ©ritez mieux , vous qui le conservez fi bien. Non , quoi qu’en pense le monde, il ne sauroit y avEÎr de vraie gloire & de vĂ©ritable honneur dans ce qui viole les droits les plus sacrĂ©s de Dieu & du Prince, dans ce qui est contraire au bien de la sociĂ©tĂ© , aux lois de l’humanitĂ©, au bonheur prĂ©sent & au salut Ă©ternel des particuliers. Que n’aurions-nous pas Ă  dire fur ce dernier point ? Si l’on a quelques idĂ©es de religion , s’il en reste quelques sentimens , ne faut-il pas qu’un ui prias refiondei quĂ m awdiat , ftaltum fi cjse demsnjtrai. Prov. 18, bes MƓurs. 299 ment persuadĂ© soi-mĂȘme. Quelquefois auißß on contredit, parce qu’on sent sa propre foiblelĂźe lorsqu’on ne peut montrer ni esprit ni science , on tĂąche de s’opposer Ă  la gloire de ceux qui en font paroĂźtre. Disputez rarement. Gardez-vous surtout de le faire avec ceux qui aiment Ă  parler beaucoup. Ce seroit, Ă iiVEsprit-Saint, mettre encore plus de bois fur leur feu 14. La dispute avec qui que ce soit, si elle n’est tempĂ©rĂ©e par une grande politesse, est presque tou r jours plus dangereuse qu’utile. De ce choc mutuel des opinions , il devroit sortir une lumiĂšre qui servĂźt Ă  dĂ©couvrir le vrai, & il n’en sort le plus souvent que des Ă©tincelles qui allument la colĂšre ou la haine. On cherche moins Ă  s’instruire qu’à l’emporter. Au lieu d’ëtrp modeste, doux, liant, facile Ă  adopter les idĂ©es des autres, Ă  entrer dans leurs pensĂ©es, on devient pointilleux, sophiste, attachĂ© Ă  son sens, incapable de cĂ©der & d’avouer jamais qu’on a tort- quoiqu’on l’ait trĂšs-souvent. On craint moins l’erreur que le silence, & l’on croit qu’il est moins honteux de se tromper toujours que d’avouer qu’on s’est 14' Non litiges cum linguaio , & non ßsUAS in ign&m illius ligna, Eceli. L. N 6 ‱300 L’ E C O L E trompĂ©. Mais que gagne-t-on par-lĂ  ? de convaincre les autres qu’on a un dĂ©faut de plus , & qu’on elf tout-Ă - la-fois entĂȘtĂ© & ignorant. Quoiqu’on ne doive point aimer la dispute , il ne faut pourtant pas, par foiblesse & par une fade adulation, adhĂ©rer aux erreurs & aux faux prĂ©jugĂ©s. Prenez hardiment le parti de la vĂ©ritĂ©. Mais si l’on s’obĂźtine aprĂšs avoir opposĂ© Ă  l’erreur ce que vous savez de mieux, prenez le parti du silence, ou changez de matiĂšre. La chaleur & l’opiniĂątretĂ© de la dispute , dans les contestations que la conversation fait naĂźtre, fur des sujets qui n’intĂ©ressent ni la religion , ni la charitĂ©,. prouvent moins beaucoup de savoir ou d’esprit, qu’un dĂ©faut d’éducation & un grand fonds d’orgueil. On gagne souvent plus Ă  cĂ©der qu’à vaincre. On perd le cƓur & l’es time des personnes fur lesquelles on veut toujours l’emporter. Si vous ne pouvez amener l’adversaire Ă  votre sentiment, faites semblant de vous rapprocher du sien il vous en eli'imera davantage. La bonne opinion que nous avons des autres , croĂźt en proportion de celle qu’ils nous donnent de nous-mĂȘmes. Aimez Ă  donner lieu aux personnes qui s’entretiennent avec vous, de faire valoir leur esprit, en faisant tomber la des MƓurs. 301 conversation sur certains sujets qui soient de leur ressort. Si ces personnes aiment Ă  parler, donnez-leur occasion de le faire fur ce qu’elles possĂšdent le mieux ; ou laissez-les seulement dire, & paroilsez prendre plaisir Ă  les entendre. Elles seront trĂšs - contentes de vous , si elles font trĂšs-satisfaites d’elles-mĂȘmes. On raconte Ă  ce sujet un tour trĂšs-plaisant qu’on joua Ă  une Dame de beaucoup d’elprit, mais grande parleuse & encore plus vaine. On s’avisa un jour de lui prĂ©senter un homme qu’on lui disoit trĂšs- savant. Cette Dame le reçoit Ă  merveille mais pressĂ©e de s’en faire admirer, elle se met Ă  parler, lui fait cent questions diffĂ©rentes, fans s’appercevoir qu’il ne rĂ©pondoit rien. La visite Faite Etes-vous, lui dit-on, contente de votre homme? QiCil ejl charmant ! rĂ©pondit- elle , qu'il a d'esprit ! Ce grand esprit, c’étoit un muet. N’ayez pas l’imprudence de vouloir fur certaines matiĂšres paraĂźtre plus savant que vous ne l’ĂȘtes, & de parler devant les personnes instruites, de choses que vous ne savez pas , ou que vous ne savez que superficiellement. Vous vous exposeriez souvent Ă  la confusion & au ridicule. M. de Voltaire Ă©tant Ă Leyde, fut curieux d’y voir le cĂ©lĂ©brĂ© s'Grave- sçmde, qui y enseignait les MathĂ©mati- ZOL L’ É e o l e ques. Il alla lui rendre visite sans se faire connoĂźtre, & amena la conversation sur les systĂšmes astronomiques de Newton. 11 en parla si mal, que le Prose-fleur voulut plusieurs fois changer l’entretien & parler d’autres choses , mais inutilement , parce que M. de Voltaire y reve- noit s’Gravesande lui dit Je vois bien , Monfieur , que vous ne con- noijfez les systĂšmes de V Astronome Anglais , que par certains ElĂ©mens de Newton ,fort mal faits , ouvrage de M. de Voltaire , qui a montrĂ© qu'il n’y enteJidoit rien. C’est moi, rĂ©pondit modestement le voyageur. J'en fuis fĂąchĂ© , reprit le Docteur Hollandois, mais je n'ai dit que la vĂ©ritĂ© , U je ne me dĂ©dirai pas. Si vous voulez vous faire estimer dans la conversation, ne cherchez pas trop Ă  l’ĂȘtre. Ne soutenez point un sentiment vrai ou probable, quiparoĂźtroit faux Ă  ceux qui n’auroient pas assez de pĂ©nĂ©tration ou de connoissances pour l’approuver. DĂšs que vous avez senti, pour ainsi dire , le bout de l’esprit de ceux avec qui vous parlez, arrĂȘtez-vous tout ce que vous diriez au - delĂ  , passeroit souvent pour ridicule. L’art de plaire dans la conversation , consiste bien moins Ă  dire des choses fines & spirituelles, qu’à ne rien dire qui ne soit du goĂ»t de ceux avec qui on s’entretient. C’est une marque de des MƓurs. beaucoup d’esprit que de savoir ainsi converser. Le cĂ©lĂ©brĂ© Racine disoit souvent Ă  son fils „ Ne croyez pas que ce soient mes vers qui m’attirent toutes les carelses dont quelques grands Seigneurs m’accablent. Corneille fait des vers cent Fois plus beaux que les miens, & cependant personne ne le regarde ; on ne l’aime que dans la bouche de ses Acteurs au lieu que fans fatiguer les gens du rĂ©cit de mes ouvrages dont je ne leur parle jamais, je me contente de leur tenir des propos amusans, & de les entretenir de choses qui leur plaisent. Mon talent avec eux n’est pas de leur faire sentir que j’ai de l’esprit, mais de leur apprendre qu’ils en ont. Ainsi quand vous voyez M. le Duc palier souvent des heures entiĂšres avec moi, vous feriez Ă©tonnĂ©, si vous, Ă©tiez prĂ©sent, de voir que souvent il en sort sans que j’aie dit quatre paroles mais peu-Ă  peu je le mets en humeur de causer, & il me quitte encore plus satisfait de lui que de moi M. deHarlai, ArchevĂȘque de Paris» gagnoit tous les cƓurs, non seulement parce qu’il avoit un air gracieux & prĂ©venant , mais parce qu’il n’avoit Ă  la bouche que des paroles obligeantes. Il Ă©tudioit l’amour-propre de celui qui lui parloit, & cherchok ce qui pouvoit le 3o4 L’ É c o l e flatter le plus. C’eil le grand secret pour se faire aimer de tout le monde. Ne vous chargez jamais de l’odieux emploi d’humilier personne, de dire des choses dĂ©sagrĂ©ables, de faire delĂ  peine Ă  qui que ce soit. Il y a toujours Ă  perdre pour nous, de mortifier l’amour- propre des autres. Il cherche Ă  se venger , il est ingĂ©nieux Ă  en trouver les moyens, & pour l’ordinaire il les trouve sur le champ ; car qui est-ce qui ne prĂȘte par quelque endroit le flanc Ă  son ennemi '{ Montmaur , Professeur royal en Langue Grecque & fameux parasite , payoit son Ă©cot dans les maisons oĂč il se donnoit l’entrĂ©e, en disant de bons mots contre tous les gens de Lettres ce qui les souleva contre lui. Il Ă©toit leur chouette. Un jour qu’il devoit venir dans une compagnie, on convint que pour le dĂ©concerter, quelque chose qu’il dit, on se dĂ©clareroit d’un concert unanime contre lui Un Avocat, fils d’un HuiiĂźier, Ă©toit Ă  la tĂȘte du parti. DĂšs qu’il parut, l’Avocat lui cria, guerre , guerre. Mont- maurlui rĂ©pondit Vous dĂ©gĂ©nĂ©rez bien votre pere s’enrouoit Ă  cncrpaix, paix , & vous criez guerre , guerre. Ce bon mot dĂ©concerta tellement l’Avocat, qu’il perdit la parole. Montmaur parla tant qu’il voulut dans la compagnie, fans ĂȘtre contredit. des MƓurs. qos - - r> Pensez bien. Penser en toutes choses avec jugement, avec sageflĂ© ; c’est ce qu’on appelle penser bien , & ce qui constitue le bon esprit qualitĂ© beaucoup plus rare qu’on ne croit, & bien prĂ©fĂ©rable au bel esprit. Il est vrai que ce dernier a quelque chose de plus brillant, de plus propre Ă  faire naĂźtre l’admiration ; parce que tantĂŽt il a cette vivacitĂ©, cette richesse d’imagination, qui conçoit les choses avec feu, les produit avec facilitĂ© , & prĂ©sente sans cesse des objets nouveaux, des tableaux vils & animĂ©s, des images frappantes tantĂŽt il a cette fĂ©conditĂ©, cette finesse d’esprit, qui ras semble & combine avec dĂ©licatesse les idĂ©es, trouve, apperçoit des rapports justes & heureux entre les choses qui paroissoient le moins en avoir , badine avec lĂ©gĂ©retĂ©, frappe & renvoie avec promptitude, fait Ă©clore d’ingĂ©nieuses saillies, donne lieu aux autres d’exercer leur pĂ©nĂ©tration en cachant une partie de la sienne , & s’enveloppe autant qu’il faut pour qu’on ait le plaisir de la dĂ©couvrir. Quand cette fleur Ă©clatante de l’esprit humain est rĂ©unie dans une mĂȘme personne avec un jugement solide Sans air rnystĂ©ruux dijfimuhi les vĂŽtres , Le sage Pittacus difbic Ne divulguez pas vos desseins , afin que s’ils font renversĂ©s, vous ne soyiez pas exposĂ© Ă  la risĂ©e. La plupart des hommes ne jugent que par l’évĂ©nement l’envie & la malignitĂ© se moquent de ce que le succĂšs n’a pas justifiĂ©. E11 cachant vos affaires, vous les dĂ©roberez Ă  la censure & Ă  la raillerie. Celui qui parle de ses affaires Ă  tout le monde, les verra souvent Ă©chouer. Les obstacles naĂźtront de toutes parts, & des personnes mĂȘme de qui on se dĂ©finit le moins. Un dessein connu ne vaut guere mieux qu’un dessein manquĂ©. Le grand secret pour rĂ©ussir dans ses affaires & dans ses entreprises , est de les tenir secrĂ©tĂ©s. C’est lĂ  austi ce qui fait presque toute la magie de la politique. Le plus habile est celui qui est le plus dillimulĂ© sens le paraĂźtre, qui parle beaucoup, sens rien dire & sens laisser rien soupçonner de ce qui ne doit pas ĂȘtre connu. Il ne faut pourtant pas, comme nous l’avons dit ailleurs ; abuser de la dissimulation, qui dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© souvent en une. mauvaise finesse, ou en une faussetĂ© condamnable , dont elle n’est sĂ©parĂ©e que par un ZL8 L’ É C O L E intervalle assez Ă©troit. La vĂ©ritable finefle n’est autre choie qu’une prudence bien rĂ©glĂ©e , qui sait qu’on est sincere sans ĂȘtre simple, & pĂ©nĂ©trant fans ĂȘtre trompeur. La disiĂźmulation ne doit aller que jus- qu’au silence il n’est pas permis d’y joindre le mensonge & la duplicitĂ©, comme ce Prince i dont la maxime Ă©toit Qiii ne fait pas dijßmuler , ne fait pas rĂ©gner. Maxime odieuse de la maniĂ©rĂ© qu’il l’en- tendoit & qu’il la pratiqua durant tout son regne , qui ne sut qu’une suite de finesses, d intrigues & de traits de mauvaise foi monstres qui naissent de la mĂ©fiance , & de la disiĂźmulation portĂ©e Ă  l’excĂšs. Celle de ce Prince alloit iiloin, qu’il ne s’ouvroit Ă  personne de ses desseins C’est ce que lui reprocha d’une maniĂ©rĂ© fine un de ses Courtisans, qui le voyant montĂ© fur un petit cheval, lui dit Sire , quelque faible que paroisse votre monture , elle eji pourtant lapins forte de votre Royaume. Comment cela, reprit le Roi ? C’eji , rĂ©ponditle Courtisan, qu'elle porte Votre MajejtĂ© U tout son Conjeil. Soyez rĂ©servĂ©, mais ne le soyez pas trop, ni fur toutes choses. Une rĂ©serve outrĂ©e & qui fait mystĂšre de tout, est ridicule, & blesse ceux avec qui l’on vit. 1 Louis XI , Rui de France. des MƓurs. zr§ C’est la marque d’un petit esprit qui veut jouer l’important. Il nous reste, avant de .finir, Ă  vous donner encore un conseil bien utile. Ne confiez point, sans une grande nĂ©ceffitĂ©, des secrets de consĂ©quence Ă  des domestiques, fur-tout Ă  des femmes , qui aisĂ©es Ă  sĂ©duire, peu capables de se taire, faciles Ă -se mĂ©contenter, dĂ©couvrent toujours tĂŽt ou tard ce qu’on a intĂ©rĂȘt de cacher. L’ É C O L H 3 ?° XXII. N'ayeç point de fiertĂ©. L ors q_u E l’on considĂ©rĂ© avec les yeux de la raison ce qui a coutume d’inspirer delĂ  fiertĂ© aux hommes, peut-on s’empĂȘcher de rire ou d’avoir pitiĂ© de leur folie? Car quel juste sujet d’orgueil pouroient-ils trouver en eux? Seroit-ce la distinction de la naissance, l’éclat des dignitĂ©s, les saveurs de la fortune dont ils jouissent? Mais toutes ces choses Ă©trangĂšres Ă  l’homme, n’étant rien moins que l’homme mĂȘme, ne peuvent le rendre plus estimable. N’y a-t-il pas en effet bien de la petitesse Ă  s’enorgueillir de la noblesse de son origine, puisqu’elle n’est ni le fruit de ses travaux , ni la rĂ©compense de son mĂ©rite ? Quand on louoit sur ses ancĂȘtres Alphonse, Roi d’Aragon Je compte pour rien , rĂ©pondoit-il , ce que vous efiimez tant en moi ; c’est la grandeur de mes ancĂȘtres que vous louez , sf? non pas la mienne. La vraie noblejfe n’est pas un bien de fitccejjion , c’est le fruit & la rĂ©compense de la vertu. Il y a sans doute de l’avantage Ă  avoir de la naissance c’est une prĂ©rogative b e s MƓurs. 351 illustre , Ă  laquelle le consentement des nations a de tout temps attachĂ© des dis. tinctions d’honneur & d’hommage. On trouve auffi dans la noblesse plus de fen- timens & de grandeur d’ame, que dans les autres conditions les exemples domestiques Ă©levent PĂąme, & l’enflamment d’émulation. Mais plus la naissance est distinguĂ©e, plus elle impose de grandes charges elle augmente l’obligation d’avoir du mĂ©rite. La noblesse donnĂ©e aux peres parce qu’ils Ă©toient vertueux, a Ă©tĂ© laissĂ©e aux enfans afin qu’ils le devinssent. Si l’équitĂ© demande que l’hĂ©ritier des hĂ©ros le soit de leurs distinctions & de leurs dignitĂ©s, n’a-ton pas droit d’exiger auffi qu’il fasse revivre leurs grandes qualitĂ©s & leurs vertus ? La gloire finit oĂč cesse le mĂ©rite. Heureux celui qui est honorĂ© d’un beau nom , s’il fait bien le porter! mais celui qui le prostitue est Ă  plaindre. La gloire de ses ancĂȘtres le couvre de honte. C’est une lumiĂšre qui fait paroĂźtre davantage ses dĂ©fauts. Plus on a de respect pour son nom, plus on a de mĂ©pris pour fa personne. Ce long amas d'aĂŻeux que vous diffamez tous , Sont autant de tĂ©moins qui parlent centre vous.? Et tout ce grand Ă©clat de leur gloire ternie , Ne sert plus que de Jour ĂŒ. vcu*e ignominie. 3?a L’ E c o l e J’oublierai votre noblesse , si vous ne m’en faites souvenir par vos grandes qualitĂ©s. Je respecterai dans vous celles de vos aĂŻeux que vous me retracerez, & j’en composerai comme une couronne de gloire, que je placerai sur votre tĂȘte. Mais si vous ne me les rappelez que par votre orgueil , si vous ne m’en faites ressouvenir que par le contraste de leurs vertus & de vos vices, En vain tout fier d’un fan; que vous dĂ©shonorez, Vous dormez Ă  l’abri de ces noms rĂ©vĂ©rĂ©s, En vain vous vous couvrez des vertus devosperes; Ce ne font Ă  mes yeux que de vaines chimĂšres. Je ne vois rien en vous qu’un lĂąche, un imposteur, Un traĂźtre , un scĂ©lĂ©rat, un perfide, un menteur, Un fou dont les accĂšs vont jusqu’à la furie, Et d’un tronc fort illustre une branche pourrie. V E S P K, Combien de Nobles portent fur leur front l’orgueil de leur origine, qui de- vroient cent fois en rougir ! Quelle honte de voir un Gentilhomme fans probitĂ© ou fans honneur , qui insulte tout le monde, eil le tyran de ses vassaux, usurpe le bien d’autrui , manque de parole, s’abandonne Ă  la crapule ou Ă  la dĂ©bauche, est parasite effrontĂ©, ou vil complice des pallions des riches ! De tels Gentilshommes ont raison de crier Ă  tout le des MƓurs. 353 monde qu’ils le font. Eh ! qui fins cela auroit pu le soupçon net ? Mais moi j’éleve la voix Ă  mon tour & je leur crie Changez de mƓurs ou changez de nom un magnifique piĂ©destal n’est pas fait pour une figure difforme. Si la noblesse est vertu, elle le perd par tout ce qui n’est pas vertueux ; & fl elle n’est pas vertu, c’est peu de chose. Si vous n’ùtes pas Noble , mĂ©ritez de l’ĂȘtre. Soyez honnĂȘte homme, gĂ©nĂ©reux, ami du vrai, inviolable dans vos paroles, maĂźtre de vos pallions on ne regardera point, pour vous donner son estime , si vous ĂȘtes Gentilhomme. Une feule vertu vaut un siede d’aĂŻeux. Il est bien plus honorable de laisser de beaux exemples Ă  ses descendans, que d’en recevoir de ses ancĂȘtres & de les imiter si mal, comme il n’arrive que trop souvent ; car il est rare que le mĂ©rite des grands hommes passe Ă  leurs enfans, & que leurs successeurs soutiennent dignement toute la gloire dont ils ont hĂ©ritĂ©. Un Gentilhomme se vantoit Ă  un Paystn de l’anciennetĂ© de sa noblesse. Tant pis , Monsieur , lui dit le Manant plus une graine ejl vieille , plus elle s'abĂątardit. La noblesse excite l’émulation dans les ;;4 L’ É c o L E grandes Ăąmes, & l’orgueil dans les petites. Un homme d’honneur cherche Ă  se rendre digne de sa naiflance, & n’en parle jamais un sot croit qu’elle lui tient lieu de tout mĂ©rite, & il en parle toujours. La noblesse orne & embellit le mĂ©rite, quand elle se trouve jointe Ă  la modestie & qu’on paroĂźt l’oublier mais elle dĂ©pare & gĂąte celui qu’on a, lors, qu’on s’en souvient trop. Un trĂšs - galant homme avoir l’unique dĂ©faut d’ĂȘtre entĂȘtĂ© de fa naissance. Un homme d’esprit dit en parlant de lui C ’eß dommage qiC il fbit Gentilhomme. Il y en a qui sont tellement infatuĂ©s de leur noblesse, que cette orgueuilleuse idĂ©e ne les quitte jamais, non pas mĂȘme lorsqu’ils devraient le moins s’en souvenir. Un AbbĂ© de distinction, disant un jour la messe, entendit causer quelques personnes prĂšs de l’autel oĂč il cĂ©lĂ©brait. Il en fut si choquĂ© , qu’en se tournant au Dominas vobifcum , il leur dit En vĂ©ritĂ© , Messieurs, cela efi honteux de causer comme vous faites ,‱ quand ce fer oit un Laquais qui dirait la messe , vous ne vous compor- teriezpas autrement. Un Premier-PrĂ©sident tĂ©moigna, dans une cĂ©rĂ©monie de religion, des senti- mens bien plus humbles & plus chrĂ©tiens. Lcbourreau Ă©toit Ă  la sainte Table pour communier. Le Premier - PrĂ©sident des MƓurs. 53s vint s’y mettre aussi. Le bourreau surpris & confus , voulut fe retirer Restez, lui dit ce President en l’arrĂȘtant par l’habit, nous JouĂźmes ici tous Ă©gaux. O vous qui vous enorgueillissez si ridiculement de la diliinction de votre origine, ne savez-vous donc pas que tous les hommes, Ă©tant sortis delĂ  mĂȘme tige, ils font tous freres, tous Ă©gaux Ă  cet Ă©gard ; & que celui qui a du mĂ©rite fuperbia^ 5/c. Ăź;di. 21. i e s MƓurs. 541 gna dans une occasion le Grand CoudĂ© , ne lui fait pas honneur. Un EvĂȘque qui avoit une grande barbe, Ă©toit avec son neveu Ă  la table de ce Prince. En mangeant sa soupe , il en laissa tomber sur sa barbe. Son neveu l’en avertit, en disant Monseigneur , il y a du pain sur la barbe de Votre Grandeur. Le Prince choquĂ© de ce qu’on donnoit ce titre Ă  un autre en sa prĂ©sence, reprit Dites fur la grandeur de votre barbe. La fiertĂ©, qui d’ordinaire est le vice des Grands, dit trĂšs-bien MqJiUon , ne devroit ĂȘtre que comme la triste ressource de la roture & de l’obscuritĂ©. Il paroitroit bien plus pardonnable Ă  ceux qui naissent, pour ainsi dire, dans la boue, de s’enfler, de se hausier , & de tĂącher de se mettre , par l’enflure secrete de l’orgueil, de niveau avec ceux au- detsous desquels ils se trouvent si fort par le rang & par la naissance. Les Grands, au contraire, placĂ©s si haut par la nature, ne fauroient plus trouver de gloire qu’en s’abaissant; & s’il est encore un orgueil qui puisse leur ĂȘtre permis , c’est celui de se rendre humains & acceifibles. S’il est beau aux petits de se souvenir de ce qu’ils doivent aux Grands , il est encore plus beau Ă  ceux-ci d’oublier quelquefois ce que les petits leur doivent. f ? 342- L’ É C O L E Nous devons, il est vrai, honorer les Grands, parce qu’ils font grands & que nous sommes petits, comme il y en a d’autres plus petits que nous qui nous honorent; & d’ailleurs le bon ordre a toujours imposĂ© la subordination ; la subordination suppose de la supĂ©rioritĂ© , & la supĂ©rioritĂ© demande du respect & de la considĂ©ration. Mais cette distinction & cette pt Ă© 1er en ce, nĂ©cessaires dans la sociĂ©tĂ©, ce respect extĂ©rieur qu’on accorde aux places ou Ă  la naiflĂ nce, ne doivent pas augmenter la vanitĂ© , comme ils n’augmentent pas le mĂ©rite. Devenu plus grand, celui qui pense bien ne s’en croit ni plus grand ni meilleur qu’il n’étoit. Les respects & les hommages des autres hommes nĂ© l’enorgueillissent point, parce qu’il fait que c’est Ă  la place qu’ils s’adressent, bien plus qu’à la personne. Un Lord Anglois venoit d’ĂȘtre Ă©levĂ© Ă  la place de SecrĂ©taire d’Etat. Ayant Ă©tĂ© lui-mĂȘme prendre fa patente dans le cabinet de Sa MajestĂ©, une foule de Courtisans s’assemblĂšrent autour de lui, & chacun s’empressoit d’ĂȘtre le premier Ă  le fĂ©liciter. Ayant apperçu son fils au milieu d’eux , il l’appela , & lui dit Que ce spectacle ne vous abuse point, mon fils je ne fuis devenu ni plus grand ni meilleur que je n’étois, Ce n’est pas des MƓurs. 343 Ă  moi qu’on rend ces honneurs , c’est Ă  ma patente de SecrĂ©taire d’Etat elle les a reçus fous mon prĂ©dĂ©cesseur, elle les aura encore fous mon successeur ils la suivent dans toutes les mains oĂč elle passe ; & quand je ne l’aurai plus, vous verrez toute cette foule dis paroĂźtre. Il y a bien peu d’hommes placĂ©s au- dessus des autres par leur naissance , par leur rang ou par leur fortune, qui sachent penser d’eux-mĂ«mes avec tant de sagesse & se rendre une pareille justice. Au lieu de considĂ©rer tous ces avantages extĂ©rieurs comme entiĂšrement Ă©trangers Ă  leur ĂȘtre , ils unissent en quelque forte Ă  leur propre nature les qualitĂ©s de grand , de noble, de riche, de maĂźtre , de Seigneur & de Prince ils en grossissent leur idĂ©e , & ne se reprĂ©sentent jamais Ă  leur esprit sans tous leurs titres, tout leur attirail & tout leur train. Ils s’accoutument, dĂšs leur enfance, Ă  se regarder comme une espece sĂ©parĂ©e des autres hommes leur imagination ne les mĂȘle jamais dans la foule ils font toujours Comtes ou Ducs Ă  leurs yeux » & jamais simplement hommes. Ne se croyant pas moins au dessus des autres par leur esprit, qu’ils le font par leur condition & par leur fortune, ils prĂ©tendent que leur sentiment doit toujours 344 L’ É c o l e prĂ©valoir sur celui des personnes qui font au-dessous d’eux. Louis XIV ne peu soit pas ainsi. Le MarĂ©chal de la Feuillade ayant montrĂ© Ă  Boileau quelques vers que celui-ci n’approuva pas Vous ĂȘtes bien dĂ©licat , lui dit ce Seigneur , de ne pas approuver une poĂ©sie que le Roi & Madame la Dauphine ont trouvĂ©e excellente. Je ne doute point, reprit Boileau , que le Roi ne soit trĂšs habile Ă  prendre des villes & Ă  gagner des batailles je doute encore suffi peu que madame la Dauphine ne soit une Princeise pleine d’esprit & de lumiĂšres. Mais, avec votre permiffion, Monsieur le MarĂ©chal, je crois me con- noitre en vers suffi bien qu’eux. LĂ - dessus le MarĂ©chal accourt chez le Roi , & lui dit d’un air vif & impĂ©tueux Sire, n’admirez-vous pas l’insolence de Boi- leau, qui dit se connoĂźtre en vers mieux que Votre MajeltĂ© ? Oh ! pour cela , rĂ©pondit le Roi, je fuis fĂąchĂ© d’ĂȘtre obligĂ© de vous dire que Boileau a raison. Les Grands qui n’ont pas eu foin de corriger l’impreffion que l’éclat de leur naissance fait naturellement dans leur esprit, ne peuvent souffrir que des gens, qu’ils regardent avec mĂ©pris, prĂ©tendent avoir autant de jugement qu’eux. Corrompus par la flatterie, qui approuve toutes leurs actions & toutes leurs paroles z des MƓurs. 34p sĂ©duits par la soiblesse des autres hommes , qui se soumettent aveuglĂ©ment Ă  toutes leurs opinions; ils se persuadent sans peine que leur raison est aussi supĂ©rieure que leur rang , & c’est ce qui leur donne tant d’impatience & d’humeur dans les moindres contradictions. Ne devroient-i!s pas au contraire faire attention qu’étant Ă©gaux au reste des hommes pour l’ame & pour le corps, ils peuvent Ă©galement se tromper, & peut-ĂȘtre encore plus, parce qu’ils ont d’oruinaire plus de passions & de prĂ©jugĂ©s ? Mais cette rĂ©flexion si naturelle & si sensĂ©e, il est bien rare qu’ils la falĂźĂȘnt, Ă  moins qu’ils 11e rencontrent quelquefois des hommes d’une trempe d’ame assez forte, pour oser Ă  cet Ă©gard leur dire la vĂ©ritĂ©. Un Grand, dans une dispute oĂč il n’avoit pas l’avantage, ayant voulu rappeler Ă  la personne qui disputoit avec lui, la distance que la naissance & le rang mettaient entre eux Monsieur, lui dit le particulier, s ai plus au - dessus de vous dans ce moment, que vous n’avez au - dejjiis de moi car j’ai raison , U vous avez tort. On raconte aussi que Santeuil disputant avec le Prince de CondĂ© fur quelques ouvrages d’esprit Sais-tu bien, Santeuil, lui dit le Prince de CondĂ© un peu en colere , que je fuis seines du sang'i Oui, Monseigneur, p r ?4 $ L’ É C O L E rĂ©pondit ce cĂ©lĂ©brĂ© PoĂ«te, je le sais bien r mais pour moi, je fuis prince du bon sens ; ce qui est infiniment plus elh- mable. Celui qui est vraiment grand, n’affecte point de le .dire Ă  tout le monde, & ne cherche pas Ă  le paroĂźtre. 11 aime bien plutĂŽt Ă  se dĂ©rober Ă  lui-mĂȘme & Ă  se cacher aux autres ; & il n’en paroit que plus grand, lorsqu’on vient Ă  le dĂ©couvrir. PhilopĂ©men , le plus grand homme de guerre qui de son temps fĂ»t dans toute la Grece, Ă©toit pour l’ordinaire vĂȘtu Fort simplement & marchoit allez souvent sans fuite. Il arriva seul en cet Ă©tat dans la maison d’un citoyen, qui l’avoit invitĂ© Ă  prendre un repas chez lui. La maĂźtresse du logis, qui attendoit le GĂ©nĂ©ral des AchĂ©ens & qui ne le con- noilsoit pas , le prit pour un domestique & le pria de l’aider Ă  faire la cuisine. PhilopĂ©men quitta aussi-tĂŽt son manteau 3 & le mit Ă  faire du bois. Le mari Ă©tant survenu Ă  cet instant, s’écria, dans la surprise que lui causa un tel spectacle Qu’tst-ce donc, Seigneur PhilopĂ©men! & que faites-vous ? Je paye , lui dit-il en riant, les intĂ©rĂȘts de mon extĂ©rieur. La femme Ă©tonnĂ©e & confuse, lui fit mille excuses qu’il reçut avec bontĂ©. On fait que le mĂȘme plaisir de cacher fa grandeur est la noble passion de d 2 s MƓurs. 547 l’Empereur Joseph II, qui n’a jamais reçu des hommages plus vifs de l’enthousiasme du cƓur, des Ă©loges plus vrais & plus sincĂšres que fous les dehors de la simplicitĂ© & de la modestie. Le moyen d’obtenir beaucoup , c’est d’exiger peu on donne Ă  la bontĂ© ce qu’on refuse Ă  la hauteur ; & en prĂ©tendant au- delĂ  de ce qui nous est dĂ» , nous faisons qu’on nous conteste mĂȘme quelquefois ce qu’on devroir nous rendre. C’est donc bien mal entendre les intĂ©rĂȘts de son amour-propre , que de ne marcher jamais qu’environnĂ© de tout le faste de fa grandeur, & d’avoir toujours un air her & superbe, qui obtient si rarement le respect qu’il commande. Un tel air ne hed bien que dans certaines circonstances, oĂč l’on doit, par une reprĂ©sentation imposante, soutenir la dignitĂ© de sa naissance ou de la place qu’on occupe. Mais d’ordinaire, c’est moins par devoir que par orgueil, qu’on est si jaloux des prĂ©rogatives de son rang, qu’on Ă©tudie avec tant de soin ce qui lui est dĂ», qu’on fait des paralleles continuels de foi A des autres ; & qu’on mesure scrupuleusement le plus ou le moins qui se trouvent dans les personnes qu’011 aborde ou avec lesquelles on est en concurrence pour le pas. Les femmes lĂ -dessus portent les prĂ©tentions encore 548 L’ É c ĂŒ l e plus loin que les hommes , parce qu’elles font plus vaines. Elles s’en font un point capital, une affaire importante fur laquelle elles prennent feu. Elles cherchent Ă  fe frire plus considĂ©rer, & elles ne fe font le plus souvent que mĂ©priser davantage. Une de ses contestations ridicules donna lieu Ă  un jugement bien sage de Charles - Quint. Deux Dames de la Cour ayant eu un vif dĂ©mĂȘlĂ© au sujet de la prĂ©sĂ©ance, la chose fut dĂ©fĂ©rĂ©e au jugement de l’Empereur. J'ordonne , dit ce prince, que la plus folle des deux paße la premiĂšre. Ce font sur - tout les richesses qui inf pirent le plus l’orgueil & la fiertĂ©. Cet Ă©clat qui environne l’homme opulent, cette magnificence qu’il Ă©tale , ces honneurs qu’on lui rend , ces respects & ces especes d’adoration qu’on lui pro. digue, tout cela l’éblouit de telle forte qu’il ne fe connoĂźt plus lui - mĂȘme, & qu’il s’évanouit dans ses pensĂ©es. 11 fe Fait un prĂ©tendu mĂ©rite de son abondance il fĂš persuade que tout lui est dĂ» il ne veut dĂ©pendre de personne, & veut que tout le monde dĂ©pende de lui il se glorifie du grand nombre de ses amis, & il ne fait pas que ces Ăąmes basses, que l’intĂ©rĂȘt conduit & qui s’attachent Ă  sa fortune , n’ont souvent qu’un fonds de mĂ©pris & une scerete haine pour la DES M CE ĂŒ R Ü. 549 personne. Mais ce qui me surprend en lui & ce qui m’étonne, c’ell que flattĂ© , comme il paraĂźt l’ĂȘtre, de la multitude de ses courtisans, il ne cherche pas Ă  en augmenter le nombre par des maniĂ©rĂ©s douces & gracieuses, & qu’il soit le plus souvent fĂącheux , de difficile abord, d’humeur inĂ©gale, impatient, colere, rebutant les uns, choquant les autres , insupportable Ă  tous. Tels font principalement les nouveaux favoris de la fortune , qui, nĂ©s dans la boue & dans l’obscuritĂ© , sont parvenus au comble des honneurs & des richesses. Cette pompe odieuse qui les environne, & qui est assez souvent le fruit honteux des vexations & des rapines, ils la rendent encore plus odieuse par leurs dĂ©dains orgueilleux pour les autres hommes. Ils ne parlent que de leurs biens , ils se vantent continuellement de leurs grandes richesses, eux qui devraient peut-ĂȘtre en rougir, & fe reprocher cent fois le jour les bassesses & les crimes auxquels ils en font redevables. Car combien de riches ne doivent qu’au larcin, Ă  l’injustice , Ă  l’infidĂ©litĂ© de leurs peres, ou Ă  leurs propres crimes, ce qui flatte si fort leur vanitĂ© ! il n’y a guere de grandes fortunes subites , qui soient pures & innocentes la probitĂ© feule conduit rarement au temple de la Fortune. g so L’ É e o L B Le fameux Financier la Noue montroit Ă  un Seigneur une magnifique maison qu’il venoit de faire bĂątir. AprĂšs lui avoir fait parcourir plusieurs beaux appartenons Voyez, lui dit-il, cet escalier dĂ©robĂ©. Oui , repartit ce Seigneur, il efl comme tout le reste de lamaison. Nous ne voulons pourtant pas peindre ici de couleurs flĂ©trissantes tous les nouveaux riches, ni blĂąmer cette louable Ă©mulation , qui elf le grand ressort des Etats. Nous voulons encore moins condamner les dons du Prince, & tous les prĂ©sens de la fortune. Les honneurs & les richesses n’excluent point le mĂ©rite, comme ils ne le donnent pas. Ce font des biens r- els pour celui qui lĂ©sa mĂ©ritĂ©s par ses services ou par son industrie. Mais s’ils ne fourniflĂšnr point de nouvelle matiĂšre aux bonnes actions, s’ils ne rendent pas plus bienfaifans, plus gĂ©nĂ©reux , s’ils font inutiles Ă  la vertu, s’ils n’aident pas Ă  prorĂ©ger le mĂ©rite & a le mettre en Ɠuvre , s’ils ne servent qu’au luxe, Ă  la fiertĂ©, Ă  l’orgueil, ils cessent d’ĂȘtre ce que je les croyois, & je ne les regarde plus qu’avec des yeux de mĂ©pris. Les richesses, ainsi que le rang & les dignitĂ©s, ne font estimables que par l’usage qu’on en fait. Si on les emploie Ă  ce que prescrivent le devoir & la vertu, elles deviennent des des MƓurs. gyr sources de gloire si on les consacre au vice , elles ne fervent qu’à couvrir d’infamie si elles enflent le cƓur & le remplissent d’orgueil, elles rendent ridicule & mĂ©prisable. ‱ A quelque haute fortune que vous soyiez parvenu, n’en faites donc jamais l’objet de votre vanitĂ©. Les richesses, par leur Ă©clat & par les commoditĂ©s qu’elles procurent, attirent assez d’elles- mĂȘmes les yeux de l’envie ; ne l’irritez point par votre ostentation elle se plai- roitĂ  lancer sur vous les traits piquans de fa malignitĂ©. Ne vous lailĂŻĂšz pas enivrer des faveurs de la fortune montrez que vous avez la tĂšte assez forte pour les soutenir. Dans votre prospĂ©ritĂ© soyez toujours modeste , & n’oubliez jamais votre premier Ă©tat, imitez le Chancelier Bacon , un des plus grands hommes de l’Angleterre & le plus beau gĂ©nie de son siede. Il avoir autant de modestie que de mĂ©rite. La Reine Elisabeth , faisant la visite de ses provinces , voulut voir Ă  Redgrave la maison de campagne qu’il avoir fait bĂątir avant sa fortune. L’ayant considĂšre e, elle lui dit Votre maison est bien petite,Monsieur le Chancelier. Madame, rĂ©pondit Bacon, ma maison efi assez grande pour moi , mais c’ejt Votre Majejßé qui m’a fait trop grand pour ma maison. On rapporte aullĂŻ une belle rĂ©ponse 5 fl V È C O L E de Sixte-Quint. Tout le monde sait que de simple PĂątre il devint Religieux de Saint-François, GĂ©nĂ©ral de son Ordre , Cardinal, & enfin Pape. Jamais la fortune n’avoit pris un homme si bas pour l’élever si haut- On vit fur le trĂŽne un Souverain habile, un grand Politique, un homme nĂ© pour commander aux autres, & d’autant plus digne de son Ă©lĂ©vation, qu’il n’oublia jamais la bassesse de son premier Ă©tat. Un Cordelier de la PrincipautĂ© deTarente, lui demanda que fa famille eĂ»t l’honneur d’ĂȘtre alliĂ©e Ă  celle de Peretti. J’y consens, dit Sixte- Quint, pourvu que nous observions quelque proportion entre votre famille & la mienne. Dites - moi prend rement quelle elt votre origine '{ Saint Pere , rĂ©pondit le Moine, ma maison eß, grĂąces Ă  Dieu , Pune des plus riches & des plus anciennes du Royaume de Naples. Tant pis pour votre dessein , rĂ©pliqua le Pape car le moyen de faire alliance entre un riche & puissant seigneur comme vous, 6 un malheureux gardeur de pourceaux comme moi Si vous voulez cependant, Ă  quelque prix que ce soit, que je consente Ă  ce que vous me demandez , quittez votre habit de Religieux , donnez Ă  quelque hĂŽpital la grosse pension que vous fait votre famille, & allez garder ces mĂȘmes animaux Ă  la campagne , des MƓurs. ;y; comme je les ai gardĂ©s dans ma jeunesse. Ce n’elt qu’à ces conditions que nous pourons devenir parens, vous & moi. Une personne qui , dans son Ă©lĂ©vation , se rappelle l’obscuritĂ© de son origine, n’en elt que plus estimable. On admire sa modestie, on applaudit Ă  sa fortune dont elle se montre digne. Agatocle , fils d’un Potier, ne s’enorgueillit ni de la dignitĂ© royale oĂč il fut Ă©levĂ©, ni des grandes victoires qu’il remporta fur les Carthaginois. PlacĂ© fur le trĂŽne de Syracuse, il voulut toujours ĂȘtre servi en vaiiselle de terre ; & quand on lui en demandoit la cause Je veux-, rĂ©pondit-il , que le souvenir de mon origine rabatte l'orgueil que le vain appareil de la royautĂ© pouroit m'inspirer. Cet Empereur Romain 3 , qui de simple Berger Ă©tant parvenu Ă  l’Empire , fit mourir tous ceux qui avoient quelque connoissance de la basselßÚ de son extraction, nerĂ©uflit, par ce moyen auisi barbare qu’extravagant , qu’à la faire connoĂźtre davantage , & Ă  la rendre plus odieuse. Il n’y a que de la gloire Ă  parvenir par un vrai mĂ©rite, & de la honte Jn se mĂ©connoĂźtre. Les richesses qui nous J Maximin. 3f4 L’ É c o L E laissent notre modestie , augmentent notre gloire. Si estes nous rendent plus vains, estes nous attirent la haine & le mĂ©pris. La femme d’un riche Financier Ă©toit venue dans une Eglise , pour entendre un cĂ©lĂ©brĂ© PrĂ©dicateur ; mais comme elle Ă©toit arrivĂ©e tard, elle ne trouva point de place. On aurait bien dit, dit-elle tout haut, mettre les chaises Ă  un Ă©cu. Une Dame piquĂ©e , lui repartit en se tournant vers elle 11 parait bien , Madame , que votis avez plus d'eau que d'esprit. Telle est la sottise de notre orgueil, que tout ce qui nous environne , quoiqu’il n’ajoute pas le pltss petit degrĂ© Ă  notre mĂ©rite, agrandit nĂ©anmoins l’idĂ©e que nous avons de nous-mĂȘmes. Une belle maison , un habit plus riche qu’à l’ordinaire, un Ă©quipage de plus, augmentent la bonne opinion qu’on avoit de soi ; & si l’on n’y prend garde, on s’estime davantage Ă  cheval ou en car- rostĂš, qu’à pied. Mais, dit fort bien la Bruyere, tu te trompes, PhilĂ©mon, si avec ce carrosse brillant, ce grand nombre de coquins qui te suivent, & ces six bĂȘtes qui te traĂźnent, tu penses que l’on t’en estime davantage on Ă©carte tout cet. attirail qui t’est Ă©tranger, pour pĂ©nĂ©trer jusqu’à toi, qui n’es qu’un fat. Si la fiertĂ© des airs & des maniĂ©rĂ©s ne des MƓurs. f sauroit convenir qu’à des sots , il n’en elt pas de mĂȘme de la fiertĂ© du cƓur, qui ell inspirĂ©e par la noblesse du sentiment elle est l’attribut des personnes de probitĂ© & d’honneur. C’est elle qui les empĂȘche de rien faire de bas, de honteux, de dĂ©shonorant. Elle venge aussi quelquefois noblement le mĂ©rite r des outrages du riche insolent qui ose l’insulter , ou des mĂ©pris de l’homme heureux qui s’oublie. Denis-le-Tyran demandoit d’un ton railleur Ă  un Sage de sa Cour , pourquoi on vcyoit les Philosophes chez les Grands, & qu’on ne vovoit pas les Grands chez les Philosophes. C'eß, rĂ©pondit-il, parce que les MĂ©decins vont chez les malades. De toutes les fiertĂ©s la plus ridicule est celle qui est couverte des lambeaux de la misere ; & un pauvre superbe est encore plus mĂ©prisable qu’un riche orgueilleux. Tel Ă©toit cet Espagnol dont on raconte le trait suivant. C’est la coutume Ă  Rome de distribuer de la soupe aux pauvres Ă  la porte des monastĂšres. Un Castillan, nouvellement arrivĂ©, & qui ignoroit Ă  quelle heure se lai soit cette distribution , s’adressa Ă  un pauvre François pour en ĂȘtre instruit. La fiertĂ© Espagnole ne pouvoir souffrir qu’il demandĂąt- simplement ce qu’il vouloir savoir. Il demanda au François s’il a voit pris son chocolat. Mon L’ É C O L E chocolat, rĂ©pondit l’autre ! eh, comment voulez-vous que je le paye "{ je vis d’aumĂŽnes , & j’attends qu’on distribue la soupe au Couvent des Franciscains. Je vous prie de m'y conduire , dit le glorieux Espagnol vous y verrez Don Antonio PerĂšsde Valcabro, de Redia, de Montalva, de Vega , çsc. y donnes- Ă  la pojßéritĂ© une marque d'humilitĂ©. Fh! qui sont ces gens- lĂ , demanda le François ? C eß moi, rĂ©pondit le Castillan. Si cela est, rĂ©pliqua le François, dites plurĂŽt un exemple de bon appĂ©tit mais quel rĂ©gal pour un aussi grand Seigneur ! - — . - rss&ga - s> Nt vous loue[ jamais. C’est un grand ridicule de se louer soi-mĂȘme. L’homme sage & judicieux ne donnera point dans cette fatuitĂ©. Celui qui a du mĂ©rite n’en parle pas ; il laisse aux autres le foin de le publier. Qu'un autre vous loue , dit Salomon, R non votre bouche -, que ce soit un Ă©tranger, & non vos propres levres 4. C’est ce que pratiquoit la cĂ©lĂ©brĂ© Madame Dacier. Elle avoir cette estimable modestie , qui pare le savoir & qui des MƓurs. 377 l’accompagne si rarement. Sa rĂ©serve Ă©toit si grande, que jamais elle ne faisoit pa- roĂźtre dans ses conversations l’avantage qu’elle pouvoit avoir de ce cĂŽtĂ©-lĂ  fur la plupart de ceuxavecquielles’entrctenoit., Ceux qui ne la connoissoient point, ne pouvoient dĂ©couvrir en elle qu’une femme ordinaire, & n’avoient garde de soupçonner la profondeur de son Ă©rudition. On rapporte de cette Dame un trait qui lui fait infiniment honneur. Les Savans du Nord qui voyagent, ont grand foin de visiter dans tous les pays les personnes qui se sont distinguĂ©es dans les Lettres, comme pour rendre un hommage glorieux Ă  leur mĂ©rite & Ă  leur rĂ©putation. Ils portent avec eux un livre, oĂč ils les prient de mettre leur nom avec une sentence. Un Savant Asemand, qui con- noiifoit Madame Datier par ses Ouvrages, Ă©tant Ă  Paris, vintlui rendre visite, N lui prĂ©senta son livre pour y mettre son nom & une sentence. Elle vit dans ce livre les noms des plus savans hommes de l’Europe elle en fut effrayĂ©e, & dit qu’elle rougiroit de mettre le sien parmi tant de gens illustres. L’Allemand ne le rebuta pas plus elle se dcfendoit, plus il la preisest il revint plusieurs fois Ă  la charge. Enfin vaincue par ses instances , elle prit la plume , & mit son 110m avec ce mot de Sophocle Le silence eß 5fS L’ Ă© c 0 l g ĂŻ ornement des femmes. L’Etranger surpris de ce trait, qui marquoit si parfaitement son caractĂšre , demeura dans l’admiration. Rien ne fait plus de tort Ă  une personne qui a du mĂ©rite d’ailleurs, que d’ĂȘtre vaine Une once de vanitĂ© GĂąte un quintal de mĂ©rite. Elle nuit Ă  la vertu mĂȘme. Sadi , cĂ©lĂ©brĂ© PoĂšte Persan, que nous avons dĂ©jĂ  citĂ©, raconte qu’étant encore trĂšs-jeune, il lifoit l’Alcoranau milieu de fa famille. Ses freres s’endormirent, & il dit Ă  son pere Regardez-les , ils dorment & je prie. Mon pere, ajoute-1-il, m’embraiTatendrement & me dit 0 mon cher Sadi , ne vaudroit- il pas mieux que tu dormisses aujfi , que d’étre fi ce que tu fais ? Celui qui pense qu’il elf sage, ne le sera pas long-temps s’il ledit, il ne l’est dĂ©jĂ  plus; peut-ĂȘtre mĂȘme ne l’a-t-il jamais Ă©tĂ©. On perd toujours Ă  iĂš louer ; & l’on persuade ordinairement le contraire de ce qu’on se propose. Les personnes qui se vantent, cherchent, si l’on peut s’exprimer ainsi, Ă  semer l’estime, & ne recueillent que le mĂ©pris. Un jeune homme se vantoit d’avoir en peu de temps appris beaucoup de choses , & f- > des MƓurs. d'avoir dĂ©pensĂ© mille Ă©cus pour payer lĂšs maĂźtres. Quelqu’un de ceux qui Ă©toient prĂ©sens, lui rĂ©pondit Si vous trouvez cent Ă©cus de tout ce que vous avez appris , je vous conseille de les prendre sans hĂ©siter. Le plus grand plaisir qu’on puisse faire aux personnes vaines n’est pas de les louer, c’est de les Ă©couter paisiblement le louer elles-mĂȘmes. Mais c’est une complaisance qu’on a rarement leur vanitĂ© choque, & nous nous plaisons Ă  l’humi- lier. Un Journaliste subalterne disoit dans une compagnie, qu’il distribuoit la gloire. Oui , Monsieur , lui rĂ©pondit quelqu’un , vous ladijlribuez fi gĂ©nĂ©reusement, que vous n'en gardez point pour vous. L’AbbĂ© de Marolles, connu par ses mauvaises traductions d’excellens Auteurs anciens, ne traduisoit pas seulement les PoĂštes, il faisoit lui-mĂȘme des vers; & en parlant de l’injustice du siede , il disoit qu’en dĂ©pit du public il avoit publiĂ© de compte fait cent trente-trois mille cent vingt-quatre vers. Comme il se vantoit un jour Ă  Liniere que ses vers lui coĂ»- toient peu Ils vous coĂ»tent ce qu'ils valent , rĂ©pliqua Liniere. Ceux qui se louent, ne sont guere louĂ©s; fussent-ils d’ailleurs dignes de l’ĂȘtre. On rqkule Ă  l’orgueil ce qu’on doit au talent. Du Perrier , Gentilhomme Provençal A ;6s L’ É c o L E trĂšs-bon PoĂ«te latin du dernier siede, mais encore plus vain, disoit un jour Il n’y a que les fous qui n’estiment pas mes vers. Stultomm infinit us est numerus, lui rĂ©pliqua M. d’Herbelot s . Santeuil, disciple de Du Perrier, & Ă©gal ou mĂȘme supĂ©rieur Ă  son maĂźtre en poĂ©sie & en vanitĂ© , se trouvant avec lui dans un repas, on parla de leurs vers latins. Santeuil dit qu’il y avoit autant de diffĂ©rence entre ses vers & ceux de Du Perrier, qu’il y en avoit entre un astre & un mĂ©tĂ©ore. Du Perrier s’offensa de la comparaison, & dit Ă  Santeuil qu’il ne sa voit que ce qu’il lui avoit appris. Santeuil rĂ©pondit qu’il nedevoit fa poĂ©sie au’à lui mĂȘme, qu’à son gĂ©nie; & en supposant , ajouta-t - il, que vous me l’avez apprise , fi en ai appris plus que vous n’en saviez. Pour preuve de cela , je parie dix pijioles que je vais faire des vers mieux que vous. Du Perrier accepta le pari. L’argent sut mis entre les mains de MĂ©nage, qu’ils choisirent pour juge. Au bout de huit jours, ils lui apportĂšrent leurs vers qu’ils avoient faits fur le sujet qu’il leur avoit donnĂ©. MĂ©nage ne voulant point se brouiller ni avec l’un ni avec l’autre , dit que leurs piĂšces Ă©toient Ă©galement * Le nombre dessous efi infini. EccĂŻ. I. des MƓurs. 361 Ă©galement bonnes. Il leur rendit leur argent mais ils rie s’en tinrent pas lĂ . Ils allĂšrent trouver le Pere Rapin, JĂ©suite, qui a fait lui-mĂȘme un si beau PoĂ«me latin sur les Jardins , & ils le priĂšrent de les juger. Ils le rencontrĂšrent Ă  la porte de l’Eglise. AprĂšs avoir lu leurs piĂšces, il leur dit qu’elles ne valoient rien, qu’ils dĂ©voient rougir de faire cet assaut de vanitĂ© , & qu’il faĂźloit apparemment qu’ils eussent trop d’argent pour faire un semblable pari. Les pauvres, ajouta-t-il, profiteront de P inutilitĂ© de votre dispute & du superflu de votre bien c’efl une juste punition de votre orgueil. En disant cela, il entre dans l’Eglise, & lĂąchedans le tronc les dix pistoĂźes que les deux PoĂštes lui avoient consignĂ©es. Pour ĂȘtre applaĂŒdi de ce qu’on fait, il lie faut pas trop s’en applaudir soi-mĂȘme. Le vrai moyen de n’avoir l’approbation de personne , c’est de la mendier par nos paroles ou par nos regards. La vanitĂ© rend toujours odieux ; & si elle n’est pas jointe au mĂ©rite , elle rend de plus ridicule. Un mauvais PrĂ©dicateur disbit Ă  quelqu’un sur la fin du CarĂȘme Je ne sais comment j’ai pu rĂ©sister Ă  la fatigue de prĂȘcher tous les jours , & encore * avant-hier ma Paillon dura deux heures & demie ; cependant je me porte bien n’admirez-vous pas ma force? Oui, lui Tome II. Q_ ;6r V É c o l e rĂ©pondit l’autre, mais f admire encore plus celle de vos auditeurs. Le Pere d’Arruis , JĂ©suite , parloit de lui-mĂȘme & de ses prĂ©dications bien plus modestement. Il disoit Lorsque le Pere Bourdaloue prĂȘcha Ă  Rouen, les Artisans quittoient leurs boutiques pour l’aller entendre, les Marchands leur nĂ©goce , les Avocats le Palais, les MĂ©decins leurs malades. Pour moi, lorsque je prĂȘchai l’annĂ©e d’aprĂšs, je remis toutes choses dans l’ordre personne n’aban- .donnoit plus son emploi. On n’en estime que davantage celui qui sait ainsi se rendre justice. Mais s’il est des occasions oĂč il y a du courage & de la grandeur d’ame Ă  oser dire de soi des vĂ©ritĂ©s peu flatteuses, il en est austi oĂč l’on peut dire modestement du bien, de soi-mĂȘme. La nĂ©cessitĂ© de se justisier ou de se faire connoĂźtre, une grande utilitĂ© pour soi ou pour les autres, l’honneur & la gloire de Dieu permettent de le faire ; pourvu que ce soit le plus briĂšvement qu’il est poisible, & que la vanitĂ© ne paroisse pas s’y mĂȘler. Il est pour l’ordinaire aulsi inutile que dangereux de se donner des louanges on n’est pas cru d’ailleurs fur sa parole, & l’on ne fait que donner plus de matiĂšre Ă  la critique & Ă  la plaisanterie. Deux freres, l’un PoĂšte & l’autre Musicien, parloient aveç b e s MƓurs* Ăąoge de leurs talens. C’est mon frere, dit l’un, qui fait les vers, & je les chante. Et moi, ajouta DesprĂ©aux ennuyĂ© de leurs fades discours ,je les siffle. On fait assez, dit la Rochefoucault, qu’il ne faut guere parler de la femme, mais on ne fait pas assez qu’on devrait encore moins parler de foi. Les personnes qui fe vantent, ne font guere plus aimĂ©es dans les compagnies, que celles qui sentent mauvais. Evitez donc avec foin de parler de vous-mĂȘme; & fl la politesse des autres vous force de rĂ©pĂ©ter quelque Ă©vĂ©nement dont le dĂ©tail vous fait honneur, soyez bien court, & parlez-en avec une pudeur infinie. Une Dame demandoitau Comte Maurice de Nqjsiau , cĂ©lĂ©brĂ© par le grand nombre de victoires qu’il remporta fur les Espagnols, quel Ă©toit le plus grand Capitaine de son siede. La modestie de ce Prince ne lui permit pas de fe nommer j l’amour de la gloire, & cette noble estime de foi-mĂȘme qu’a un grand homme qui ne peut s’ignorer, lu! dĂ©fend oient de cĂ©der ce rang a aucun autre. Il rĂ©pondit Aladame , le marquis de Spinola est le second. C’étoit le GĂ©nĂ©ral des armĂ©es d’Espagne dans les Pays- Bas, & le plus grand homme de guerre de son temps, s’il n’avoit pas eu en tĂȘte le L’ É C O L E Comte Maurice, contre lequel nĂ©anmoins il se soutint avec gloire. Cette maniĂ©rĂ© de se louer, en louant son rival , est sort adroite ; elle blesse beaucoup moins que la vanitĂ© toute nue ou la modestie affectĂ©e de ces faux humbles qui, aimant Ă  se louer & n’osant le faire ouvertement, emploient l’artifice usĂ© de dire du mal d’eux mĂȘmes. La vanitĂ© perce Ă  travers le voile dont ils veulent la couvrir; & ils ne gagnent par cette hypocrisie qu’un redoublement de mĂ©pris. Un fat parloit toujours de lui- mĂȘme , & contoit trĂšs-modestement ses dĂ©fauts; mais ses dĂ©fauts se rĂ©duisoienfe Ă  ĂȘtre trop franc, trop vĂ©ridique, trop libĂ©ral, trop bon, trop courageux. Quelqu'un qui l’entendoit, piquĂ© de cette orgueilleuse confeilion, lui .dit que le dĂ©nombrement des vices dont il s’accu- soit avec tant de franchise & de pudeur, Ă©toit une assez bonne preuve qu’il avoifc les vertus contraires. C’est contre un de ces faux modestes qu’on a faitl’épigramme suivante LorPqne Lubin me dit, pour se Faire encenser, Qu’il n’est qu’un ignorant en l’art le bien Ă©crire, Il me le dit sans le penser » Je le pense sans le lui dire. En gĂ©nĂ©ral, Ă  moins que ce ne soit par le sentiment de l’humilitĂ© chrĂ©tienne, des MƓurs. 5 6 s Ă©vitez autant de vous blĂąmer que de vous louer observez la sage maxime Ă 'Arijiote , qui disoit souvent qu’il ne saut parler de soi ni en bien ni en mal, parce qu’il y a ordinairement de la vanitĂ© Ă  se louer, & de la folie Ă  se blĂąmer. Dire , sans une julle raison, du bien de nous-mĂȘmes, c’est fatuitĂ© en dire du mal, c’est inutilitĂ©; allez d’autres s’en chargeront & s’en acquitteront mieux que nous. - v- Soyez humble modcße au milieu des juccĂšs. Les Hollandois parurent oublier cette belle maxime, dans les heureux succĂšs de la guerre oĂč ils eurent part au sujet de la succession d’Espagne. L’AbbĂ© de Polignac, un des NĂ©gociateurs de la paix, indignĂ© de la hauteur avec laquelle ils le traitoient aux confĂ©rences de Gertruidenberg 6, leur dit Mejßeurs, vous parlez bien comme des gens qui ne foui pas accoutumĂ©s Ă  vaincre. Il le leur lit encore mieux sentir deux ans aprĂšs au CongrĂšs d’Utrecht. Les PlĂ©nipotentiaires Hollandois voyant que la face des affaires Ă©toit 6 Ville du Brabant Hollandois , oĂč se tinrent- les confĂ©rences en 1710» as Z 66 L’ É C O L E changĂ©e par la rĂ©union des Cours de Versailles & de Londres , & s’appercevant qu’on leur cachoit quelques - unes des conditions du traitĂ© de paix, dĂ©clarĂšrent aux MiniĂšres du Roi de France, qu’ils pouvoient se prĂ©parer Ă  sortir de la Hollande. L’AbbĂ© de Poiignac, qui n’avoit pas oubliĂ© la hauteur avec laquelle ils lui avoient parlĂ© aux confĂ©rences de Ger- truidenberg, leur dit Non , Mejßeurs , nous ne sortirons pas d’ici nous traiterons chez vous , nous traiterons de vous,. E-f nous traiterons fans vous. Cet AbbĂ© , qui possĂ©doit au suprĂȘme degrĂ© le talent de la nĂ©gociation , donna lui-mĂȘme un bel exemple de la modestie qu’on doit avoir dans les bons succĂšs. Louis XIV l’ayant nommĂ© Auditeur de Rote, il partit pour Rome en cette qualitĂ©. Le Cardinal de la Tremouille y Ă©toit alors chargĂ© d’une nĂ©gociation importante il manda au Roi qu’il ne pouvoir rĂ©uffir fins le secours de l’AbbĂ© de Poiignac. Le Roi le nomma pour Adjoint, & il obtint tout du Pape. Le Cardinal Ă©crivit au Roi comme la chose s’étoit passĂ©e l’Auditeur de Rote assura le Prince que le succĂšs de la nĂ©gociation Ă©toit uniquement dĂ» au Cardinal. Le Roi .Ă©tonnĂ© & charmĂ© tout ensemble d’un procĂ©dĂ© R noble & si rare de la part de ces deux Minisires, ne diffĂ©ra pas un moment Ă  des MƓurs. 357 en instruire toute la Cour. Ce Prince satisfait des services & du mĂ©rite de l’AbbĂ© de Polignac, lui obtint dans la fuite le chapeau de Cardinal. La modestie de M. de Turenne dans les heureux succĂšs , Ă©toit encore plus admirable , parce qu’elle ail oit jusqu’au sublime. Il n’avoit Ă©tĂ© vaincu que dans un combat , oĂč il ne commandoit mĂȘme qu’en second. Cependant quand il avoir remportĂ© quelque victoire, & qu’on l’eu fĂ©licitoit, en lui disant qu’il Ă©toit toujours victorieux Vous avez fans doute oubliĂ© , rĂ©pondoit-il, que fai Ă©tĂ© battu a Mariendal. Mais personne ne porta peut-ĂȘtre jamais plus loin la simplicitĂ© de la modestie que le cĂ©lĂ©brĂ© M. de Catinat, un des grands GĂ©nĂ©raux de Louis XIV. En envoyant Ă  la Cour la relation de la bataille de Staffarde, qu’il venoit de gagner, tous les Colonels y Ă©toient nommĂ©s, & le Roi, au rapport du GĂ©nĂ©ral, avoir Ă  chacun d’eux une obligation particuliĂšre. La Cour n’apprit les propres exploits de M. de Catinat que par les lettres de dis- fĂ©rens particuliers. On fut que son cheval avoir Ă©tĂ© tuĂ© sous lui, qu’il a voit reçu plusieurs coups dans ses habits St une contusion au bras gauche. Il Ă©toit si peu question du GĂ©nĂ©ral dans sa relation, qu’une personne qui en avoir Ă©coutĂ© la ?68 L’ E c o l E lecture, demanda M. de Catinat ĂȘtoit-il Ă  cette bataille ? Le lendemain Ă©tant allĂ© remercier le RĂ©giment de Grancey, dont la valeur n’avoit pas peu contribuĂ© Ă  la victoire , plusieurs soldats qui jouoient aux quilles Ă  la tĂȘte du camp, quittĂšrent leur jeu pour s’approcher du GĂ©nĂ©ral mais M. de Catinat leur dit avec bontĂ© de retourner Ă  leur partie. Quelques Officiers lui proposĂšrent d’en faire une il l’accepta, & sa mit Ă  jouer aux quilles avec eux. Un OEcier- gĂ©nĂ©ral qui se trouvoit prĂ©sent, Voulut en plaisanter , & dit qu’il Ă©toit bien extraordinaire de voir un GĂ©nĂ©ral d’armĂ©e jouer aux quilles aprĂšs une bataille gagnĂ©e Vous vous trompez-, rĂ©pondit M. de Catinat, cela ne ferait Ă©tonnant que dans le cas ou il l’auroit perdue. Que cette modĂ©ration & cette tranquillitĂ© d’ame, dans un moment qui seroit pour tant d’autres un moment d’ivresse, peignent bien le hĂ©ros & le grand homme! On a vu encore dans le mĂȘme siede, mais dans un autre genre, un rare exemple de cette modeltie de sentimens, qui caractĂ©rise les antes supĂ©iieures. Le Pere SĂ©bajlien , cet excellent MĂ©canicien dont nous avons dĂ©jĂ  parlĂ©, avoit enrichi les manufactures de plusieurs belles dĂ©couvertes, & il avoit inventĂ© ces tableaux mouvans, qui firent l’admiratiotj des MƓurs.' g 69 de ia Cour. Il reçut la visite du Duc de Lorraine, de Pierre le Grand , & de plusieurs autres Piinces. Mais la rĂ©putation dont il jouiiloit & qui Ă©toit rĂ©pandue dans toute l’Europe, ne le changea point ; & le Grand CoudĂ© difoic de lui , qu’il Ă©toit autii simple que ses machines. Tel Ă©toit auiĂźi le P. Mabillon , savant BĂ©nĂ©dictin. Sa modestie Ă©toit encore plus grande que lĂ  science, qui pourtant Ă©toit immense. M. le 'sellier, ArchevĂȘque de Reims, dit Ă  Louis XIV, en le lui prĂ©sentant Sire , s ai P honneur Ae prĂ©senter Ă  Votre le Religieux le plus /avant N le pins humble de votre Royaume. La modestie est toujours insĂ©parable du vrai mĂ©rite, & ne le trouve guĂšre qu’avec lui. Les singes des grands hommes affichent la modestie , parce qu’ils ont ouĂŻ dire qu’elle rehauifoit la gloire. Ils sont humbles & modestes par orgueil. Mais leur vanitĂ© se trahit elle - mĂȘme par la joie qui se rĂ©pand sur leur visage le tĂ©moignage des yeux dĂ©ment celui des levres. La vraie modestie est dans le cƓur encore plus que dans les paroles. Elle doit en quelque forte nous faire ignorer nos avantages , & s’ignorer elle-mĂȘme. Cochin ayant plaidĂ© avec son Ă©loquence ordinaire la cause d’une femme de qualitĂ©, cette Dame ne put as 370 L’ É C 0 L E s’empĂȘcher de lui dire en pleine Grande- Chambre Vous ĂȘtes si supĂ©rieur aux autres hommes que , si c’étoit le temps du Paganisme, je vous adorerois comme le Dieu de l’éloquence. Dans la vĂ©ritĂ©- du Christianisme, rĂ©pondit l’humble Orateur , l’homme n’a Ăź rien dont il puisse s’approprier la gloire. Ce n’est pas seulement la religion qui nous dĂ©fend de nous attribuer la gloire de nos heureux succĂšs, d’en ĂȘtre vains & orgueilleux ; la raison nous tient le mĂȘme langage. Elle nous dit qu’il y a des hĂ©ros de fortune encore plus que de mĂ©rite; qu’il y a peu de grands Ă©vĂ©ne- mens qui soient dus Ă  la prudence ou Ă  l’habiletĂ© des hommes» & que c’est presque toujours le concours des circonstances qui fait le succĂšs ou le dĂ©faut de rĂ©ussite des grandes actions. L’homme modeste, au milieu des plus grands applaudissemens , se dit Ă  lui- mĂȘme ce qu’un hĂ©raut rĂ©pĂ©toit de temps en temps au vainqueur Romain dans la marche de son triomphe Souvenez-vous que vous ĂȘtes homme. Comme s’il eĂ»t dit Souvenez-vous que cette gloire qui vous environne & qui brille Ă  vos yeux avec tant d’éclat, s’évanouira comme un songe. Ces titres magnifiques dont on vous honore, font vains avec eux vous gafferez, & vous dilparoĂźtrez comme eux» des MƓurs.' qji Ces statues qu’on Ă©levĂ© Ă  votre mĂ©moire, feront de peu de durĂ©e, & vous durerez eneore moins. Peut-ĂȘtre le peuple inconstant qui vous prodigue aujourd’hui- fĂšs acclamations & son encens, renversera-t-il demain son idole & la foulera-t-il Ă  ses pieds. Mais , dulĂźiez-vous ĂȘtre plus heureux que tant d’autres , ĂȘt jouir d’une prospĂ©ritĂ© plus constante , souvenez-vous que la mort triomphera de vous plus fiĂšrement que vous ne' triomphez de vos ennemis elle ensevelira dans le mĂȘme tombeau & votre puilsance & vos grandeurs. Quand la fortune seroit auflĂź cons» tante & aulli assurĂ©e qu’elle l’est peu» on devroit encore» mĂȘme pour ses propres intĂ©rĂȘts, ĂȘtre humble & modeste. La gloire est la compagne de la modestie y & l’humiliation l’est de l’orgueil. MĂšne-* erate , MĂ©decin de Syracuse, se saifoit toujours suivre par quelques-uns des malades qu’il avoitguĂ©ris, & se donnoit' orgueilleusement le surnom de Jupiter Il Ă©crivit Ă  Philippe, pere d’Alexandre le Grand, une lettre avec cette adresse i MĂ©nĂȘcrate-Jupiter au Roi Philippesalut* Ce Prince, pour se moquer de sa lotte vanitĂ© , lui rĂ©pondit Philippe Ă  MĂšnĂ©~ trĂ€te santĂ© U bon sens* Il n’y a point de vice qu’il nous soit plus important dans l’usage du monde 375 V È C O L E de tenir au moins cachĂ© , si nous en sommes atteints , que l’orgueil, parce qu’il n’en est point qui nous rende plus odieux. On mĂ©prise ceux qui s’enivrent de leur bonheur & qui s’oublient. La fiert qu’ils prennent les expose au ridicule , & fait croire qu’ils font au-dessous de leur fortune , puisqu’ils savent si peu la soutenir. Leur modĂ©ration au milieu des succĂšs les feroit paroĂźtre plus grands que les choses qui les Ă©levent; Ă  lĂ ns rien perdre de leur gloire, ils auroient encore celle de la modestie. Ainsi l’Histoire loue ĂŒ admire avec raison le beau trait de l’Empereur FrĂ©dĂ©ric IV. Ce Prince ayant Ă©tĂ© couronnĂ© a Rome, alla rendre visite au Roi de Naples & d’Aragon , Alphonse V , surnommĂ© le Sage U le Magnanime. Comme on n’approuvoit pas qu’il eĂ»t fait cette dĂ©marche Il eft vrai , dit-il, que le rang d’Empereur est au-dessus de celui de Roi , mais Alphonse eji plus grand que FrĂ©dĂ©ric. La modestie donne un nouvel Ă©clat Ă  la grandeur. On s’empresse Ă  lui rendre ce qu’elle veut s’îter Ă  elle-mĂȘme. EUe force les autres hommes Ă  voir sans jalousie fa gloire & ses avantages. La hauteur & la SertĂ© ne font au contraire qu’augmenter le nombre des ennemis & des jaloux, qui triomphent avec un mĂ©pris insultant, quand ce colosse de grajçw des MƓurs. 375 Ăąeur vient Ă  tomber, comme il arrive souvent. C’est ce qui a sait dire Ă  un Ancien , que ceux-lĂ  nous donnent un bon conseil, qui nous avertissent que plus nous sommes Ă©levĂ©s au-dessus des autres, plus nous devons ĂȘtre humbles & modestes. Mais qu’il est difficile d’ĂȘtre humble & grand tout ensemble ! Il est si naturel Ă  l’homme d’avoir de l’orgueil & de s’enfler de ses luccĂšs , que cela arrive Ă  ceux mĂȘme qui font les plus convaincus des avantages de la modestie. L’esprit a beau leur conseiller de faire du moins semblant, pour leu - gloire , de se tenir dans une mĂȘme Ă©galitĂ© d’ame le sentiment du cƓur l’emporte sur les lumiĂšres de l’esprit. La gloire Ă©blouit, les heureux succĂšs aveuglent, l’élĂ©vation fait oublier fa ballĂšiiĂš ; on se croit plus grand , parce qu’011 est plus Ă©leve ; & la tete tourne fur les hauteurs. C’est ce qui arriva au Cardinal d'Es- pinojd , premier Ministre de Philippe il, Roi d’Kspagne. Ce Ministre dont on a dit qu’il avoir l’arne ausii vaste que la Monarchie qu’il gouvernoit, ne put soutenir tout le poids de fa fortune elle le remplit d’orgueil, & l’orgueil fut ia cause de sa chute. 11 avoir piis un tel ascendant fur le plus impĂ©rieux de tous les Princes, qu’il usoit avec ce Monarque 374 V É c o l s d’un ton absolu. Le Roi sortoit cĂźe Ăźk chambre pour le recevoir, ĂŽtoit son chapeau pour le saluer, & le faisoit asseoir comme son Ă©gal. Philippe II se lassa enfin d’ĂȘtre en tutelle. Il lui dit un jour .‱ Cardinal , souvenez-vous que je fuis PrĂ©fident de Castille. Il le dĂ©gradoit par-lĂ  de cette premiĂšre dignitĂ© de la Monarchie d’EL pagne. Ce fut pour lui un coup de Foudre. Il en tomba malade ; & la haine qu’on, lui portoit, hĂąta sa mort. Dans une foi- blesse qu’il eut, on se pressa tant de l’ouvrir pour l’embaumer , qu’il porta lĂ  main au rasoir du Chirurgien; & son cƓur palpita encore, aprĂšs qu’on lui eut ouvert l’estomac. Cette opĂ©ration prĂ©cipitĂ©e fut l’eflet de la crainte qu’on eus qu’il ne revĂźnt en santĂ©. des MƓurs. 37s XXIII. Surmonte [ les chagrins oh l'esprit s f 4~ bandonne . X./ES sujets de chagrins font si frĂ©quens dans le cours de la vie, qu’on ne peut guere se flatter de les Ă©viter tous il n’est permis qu’à un fou de croire qu’il n’en aura jamais. Quand on est jeune encore & fans expĂ©rience, on ne marche que fur des fleurs tout rit, tout est beau. On se persuade que ce bonheur durera toujours. Mais une si douce erreur ne sĂ©duit pas long-temps. BientĂŽt on se trouve en butte Ă  la duretĂ©, Ă  la trahison, aux. faux jugemens, Ă  l’iniquitĂ© ou Ă  la bizarrerie des hommes, & Ă  tous les Ă©vĂ©nement fĂącheux dont notre triste vie a tant de peine Ă  se dĂ©fendre. Il est donc Ă  propos de s’y prĂ©parer de bonne heure. Amassez, dĂšs la jeunesse , allez de bon esprit, assez de vertu, pour pouvoir un jour vous familiariser avec la patience. Le temps, viendra que vous en aurez besoin. Si jamais l’injustice renverse vos projets , empoisonne votre conduite, vous prĂ©fĂšre d’indignes concurrent ; si elle vous enleve une partie de vos bieus > si elle attente Ă  voti» 37 & quelquefois au dĂ©sespoir. Ceux Ă  qui ce malheur arrive, sont comme inconsolables. Leur perte est fans cesse devant leurs yeux, finis considĂ©rer que des biens si fragiles ne devraient pas leur ĂȘtre si chers ni les attacher si fort. Sannazar , excellent PoĂšte latin, eut cette foiblesse ; le Comte de Nassau , GĂ©nĂ©ral des troupes de l’Empereur en Italie, ayant pillĂ© fa maison de campagne, il en conçut un tel chagrin , qu’il contracta une maladie dont il mourut. C 2 .. ‱ Namquc -s[>retA exolrftunt-i ß trascare , agnito- niisntwr* 3&0 V É C O L E C’est une grande folie de se laisser mourir pour des biens mille fois moins prĂ©cieux que la vie. Mais la plupart des hommes y font si attachĂ©s, qu’il n’y a qu’un grand fonds de raison ou de religion, qui puisse en faire supporter la perte avec fermetĂ©. M. de Valincourt ayantperdu sabib'io- . theque , dans l’incendie qui consuma sa belle maison de Saint-Cloud, rĂ©pondit Ă  ceux qui cherchoient Ă  le consoler de ce malheur J'aurais bien mal profitĂ© de mes livres , fi je »’avais pas appris Ă  savoir m'en passer. On sait avec quels sentimens hĂ©roĂŻques de la rĂ©signation la plus soumise , le saint homme Job apprit la perte de tous ses biens. Tandis que le bras de Dieu s’ap- pesantissoit sur lui, il bĂ©nilsoit la main qui le frappoit. Plein de reconnoissance pour les biens qu’il avoit reçus, il les rendit fans murmure au MaĂźtre souverain qui les lui redemandent. On put lui enlever ses trĂ©sors, mais il en Ă©toit un plus cher que tous les autres, qu’on ne lui enleva point, le respect & la soumis, sion qu’il devoit Ă  son Dieu. Ne croyez pas ĂȘtre souverainement malheureux , lorsque vous Ă©prouverez comme lui plusieurs revers. Combien dans le monde de millions d’hommes cent fois plus malheureux & plus Ă  plaindre que vous ! Mais tout ce qui nous des MƓurs. zZi ‱regarde , nous le grossissons toujours. Il nous semble que personne n’éprouva jamais une disgrĂące telle que la nĂŽtre. Cette idĂ©e mĂȘme de singularitĂ© dans nos malheurs nous plaĂźt , parce qu’elle autorise nos murmures. Nous voudrions que les hommes ne fussent occupĂ©s que de nos peines, comme si nous Ă©tions les seuls malheureux fur la terre. Nous ne pensons qu’au bonheur dont nous avons joui ou dont nous pourrons jouir nous ne jetons nos regards que fur la fĂ©licitĂ© vraie ou apparente de ceux que nous en croyons moins dignes; au lieu dĂ©considĂ©rer ceux qui font plus infortunĂ©s que nous , ou de faire rĂ©flexion que nous aurions pu ĂȘtre encore plus malheureux. Alors vraiment nous nous trouverions heureux au sein mĂȘme de notre malheur. Un pauvre de la basse ThĂ©baĂŻde en Egypte, n’avoit, dans la plus grande rigueur de l’hiver qu’une petite natte de jonc, dont il mit la moitiĂ© fous lui, & il se couvrit avec l’autre comme il put. Le froid le faisant trembler , il se consoloit lui-mĂȘme en disant Je vous rends grĂąces, mon Dieu car combien y a-t-il de riches qui , Ă  cette heure-ci, font en prison U qui ont les fers aux pieds , fans pouvoir jouir de la moindre libertĂ© , au lieu que je puis du moins aller oĂč bon me semble. Il n’est guere donnĂ© qu’aux pauvres de 5§a L’ Ê c o l b souffrir ainsi avec rĂ©signation. Le partage des riches, des heureux du siede , dans les maladies & dans les autres afflictions qui leur arrivent, est assez souvent l’impatience qui augmente les maux, le chagrin qui les aigrit, le dĂ©sespoir qui y met le comble. Un EcclĂ©siastique de beaucoup de mĂ©rite nous a racontĂ© qu’étant jeune encore , un homme zĂ©lĂ© lui dit Venez avec moi , que je vous fasse voir diffĂ©rentes especes de maladies & la maniĂ©rĂ© dont on les supporte. Il le mena d’abord chez plusieurs pauvres , dont il admira la patience, la tranquillitĂ©, la joie mĂȘme au milieu de leurs maux. Il le conduisit ensuite chez une Dame trĂšs-riche & malade ils ne tardĂšrent pas Ă -ĂȘtre tĂ©moins de toutes ses impatiences dans les douleurs, de ses plaintes ameres contre les MĂ©decins qui ne la soulagement pas, de ses emportemens contre ses domestiques. Ce fut la mĂȘme chose chez d’autres Grands qu’ils visitĂšrent, & qu’ils trouvĂšrent Ă©galement occupĂ©s Ă  s’affliger, Ă  se plaindre, Ă  se rendre encore plus malheureux qu’ils ne l’étoient. Nous voulons ne rien souffrir mais le bonheur parfait est-il donc fait pour des ĂȘtres imparfaits ? Darius , Roi de Perse, ayant perdu la plus chĂ©rie de ses femmes, enĂ©toit inconsolable. DĂ©mocrite lui promit de la rejsusciter. s’il pouvoir trouver des MƓurs. dans ses Etats trois personnes qui n’eussent jamais eu aucun sujet d’affliction. AprĂšs une recherche exacte 5 on reconnut qu’il Ă©toit impossible de trouver ces trois hommes heureux. Cette rĂ©flexion consola le Monarque. Nous ne devons pas nous attendre en eette vie Ă  une fĂ©licitĂ© fixe & complĂ©tĂ©. Ce monde n’est le paradis terrestre que pour un trĂšs-petit nombre de personnes, qui payeront peut- ĂȘtre bien cher un jour les dĂ©lices d’un bonheur dont iis ont si peu de temps Ă  jouir. C’est un grand malheur de n’ĂȘtre jamais malheureux une prospĂ©ritĂ© constante corrompt,amollit , remplit d’orgueil. Philippe , Roi de MacĂ©doine, ayant reçu trois bonnes nouvelles en un jour, s’écria O Fortune , envoie-moi quelque petit malheur, pour interrompre un bonheur fi continu ! Il est rare qu’on soit obligĂ© de former de pareils souhaits ; & telle est la vicisiitude des choses humaines , que les biens font presque toujours prĂ©cĂ©dĂ©s ou suivis de quelques maux. Le plus heureux des hommes est celui qui a le moins de malheurs. Attendez-vous donc Ă  en avoir , & lorsqu’ils arrivent, soutenez- les avec courage. Si la perte qui fait le sujet de votre chagrin , vient de quelque accident que votre prudence n’a pu ni prĂ©venir ni 584 L’École parer, supportez-la avec rĂ©signation. Le chagrin ne remĂ©die Ă  rien, & fait souvent beaucoup de mal il deffeche, il mine, il consume, il dĂ©range la tĂšte & prĂ©cipite au tombeau. Un homme ayant perdu la vue par un accident, n’en parut pas plus triste ; il disoit au contraire plaisamment pour se consoler Auparavant y allais seul , çf? maintenants irai toujours en compagnie. Si l’accident peut se rĂ©parer , & qu’il reste encore quelque lieu Ă  l’espĂ©rance, fortifiez-la par la pensĂ©e d’un avenir plus heureux. Souvent les affaires qui parois! sent prendre un tour peu favorable, avec le temps deviennent fort avantageuses. Un mal peut amener un bien. Fais tĂȘte au malheur qui t’opprime* Qu'une espĂ©rance lĂ©gitime Te munisse contre le sort. L’air fifiie , une horrible tempĂȘte Aujourd'hui gronde sur ta tĂšte, Demain tu seras dans le port. R O US SE A IA EspĂ©rez donc que l’orage dont vous ĂȘtes surpris pall’era vite ; & pendant qu’il dure, enveloppez-vous de votre vertu. „ Ne renonçons jamais au bonheur, dit le PoĂšte Sadi les sources du bien & du mal sont cachĂ©es, & nous ignorons laquelle doit s’ouvrir pour arroser l’espace de des MƓurs. Ăąela vie. O homme, dans le malheur fois patient, & efpere CÂŁ . L’espĂ©rance est la plus grande consolation des malheureux. Elle tarit les larmes, elle donne du courage, de la patience, de la joie. Saine Charles BorromĂ©e , qui n’étoit pas encore bien rĂ©tabli d’une -longue maladie, fut obligĂ© d’aller Ă  Rome pour l’élection d’un Pape. Il partit en litiere avec toutes les provisions deremedes que ses MĂ©decins lui avoient prescrits. Lorsqu’il fut prĂšs de Bologne, le mulet qui Ă©toit chargĂ© de ces drogues, se laissa tomber en passant une riviere. Tous les pots furent cassĂ©s , & le reste des remedes fut emportĂ© parle courant de l’eau. Le saint Cardinal, loin de s’en fĂącher, n’en fit que rire ; & fans permettre qu’on retournĂąt en chercher d’autres, il dit en riant, que cet accident Ă©toit un heureux prĂ©sage qu’il n’en auroit plus besoin. Avant qu’un malheur arrive, dĂ©tour- nez-le, s’il est possible ; usez de prudence & de prĂ©caution. Mais quand il est arrivĂ©, il faut s’en faire une raison, & l’oublier le plutĂŽt qu’on peut. Quand on craint qu’un malheur ne nous fuisse arriver, C’est alors qu’il y faut rĂȘver. Y penser aprĂšs, c’est folie Maxime sage & peu suivie. RICHEAk Tonte IL R 33 6 V É C O L E C’étoit la maxime de l’Empereur Frir- dsric IV surnommĂ© le Pacifique, dont bous avons dĂ©jĂ  parlĂ©. Jamais l’Allemagne ne fut plus cruellement dĂ©chirĂ©e par les guerres civiles que fous son regne. Il tĂącha de dissiper les factions mais n’ayant pu y rĂ©ussir, ni empĂȘcher le Roi de Hongrie de prendre sa Capitale, il s’en consola en voyageant. Il Ă©crivoit fur les murailles des endroits oĂč il lo- geoit Herum irrecuperandaruni oblivio summa fĂ©licitas, c’elt-Ă -dire Les choses» mes amis, qu’on ne peut recouvrer, Le souverain bonheur est de les oublier. Philippe II, Roi d’Espagne, Ă©toitde mĂȘme. Ayant mis en mer une flotte de soixante vaisseaux & de dix mille hommes contre l’Angleterre, elle fut entiĂšrement dĂ©truite par la tempĂȘte & par l’habiletĂ© des Anglois. Toute l’Espagne en fut dans la plus grande consternation. Le Roi seul apprit cette perte sans changer de visage. II. Ă©crivoit quelques lettres , lorsque le Courier entra pour lui apprendre ces tristes nouvelles. Je n'avais point cru, rĂ©pondit-il., ma flotte capable de vaincre la violence des vents V la fureur de la mer j mais je remercie Dieu de m'avoir donnĂ© assez de pouvoir U de force , pour remettre en mer une flotte aussi puissante e s MƓurs. 403 que des ingrats ; & ceux Ă  qui il donne le plus, font pour l’ordinaire ceux qui pensent le moins Ă  lui. Mais mĂ©nage-t il quelque malheur, quelque disgrĂące on tourne ses regards & ses pensĂ©es vers le Ciel, on revient Ă  ses devoirs, & l’on rentre dans le sentier de la vertu qu’on avoir quittĂ©. L’adversitĂ© eltun des plus sĂ»rs moyens que Dieu ait pour nous rappeler de nos Ă©garemens. Parlez Ă  la plupart des hommes de renoncer Ă  des pallions qu’ils chĂ©rissent ils vous regarderont comme un censeur importun. Les remontrances les plus touchantes, les menaces les plus terribles des jugemens de Dieu ne feront qu’une foible impression. Mais vient-on Ă  ĂȘtre atteint des traits de l’adversitĂ© Ăźs charme disparoĂźt, & l’on voit les objets d’un tout autre Ɠil. ConsumĂ© par une fievre lente, dĂ©chu du rang oĂč l’on Ă©toit montĂ©, trahi par d’infidelles amis, dĂ©pouillĂ© de ses biens, on reconnoĂźt que ce corps parĂ© avec tant de luxe & nourri avec tant de dĂ©licatellĂš, ce teint si brillant dont on avoit Ă©tĂ© si idolĂątre, n’étoit qu’une fleur passagĂšre ; que ses grandeurs humaines dont on avqit Ă©tĂ© si Ă©pris , n’étoient que nĂ©ant ; & que tout ce qui avoit le plus flattĂ© nos espĂ©rances n’étoit que mensonge & vanitĂ©. L’adversitĂ© nous dĂ©trompe A nous inltruit. 4Ö4 L’ É c o i e EclairĂ©s du flambeau delĂ  religion,nous dĂ©couvrons, dans les afflictions qui nous arrivent, la peine du pĂ©chĂ©, l’exĂ©cution des arrĂȘts d’une juilice infiniment sage , de salutaires amertumes rĂ©pandues fur les objets de nos affections , pour en dĂ©tacher notre cƓur, & l’attirer vers des biens plus solides. Elles font encore dans les principes de la Foi, & c’est un second avantage infiniment prĂ©cieux des souffrances, elles font des Ă©preuves passagĂšres qui, aprĂšs avoir Ă©purĂ© nos vertus, augmentĂ© nos mĂ©rites,consommĂ© notre sanctification, doivent ĂȘtre suivies d’une gloire & d’un bonheur Ă©ternel. Aulsi l’Evangile, ce livre divin qui doit ĂȘtre la regle de nos fentirnens ainsi que de notre conduite, appelle -1~ il heureux ceux qui souffrent, ceux qui sont calomniĂ©s & persĂ©cutĂ©s pour la justice. Que n’a pas souffert Jesus-Ümst lui-mĂȘme, notre LĂ©gislateur & notre maĂźtre! Dans le dessein qu’il a eu de nous servir de modele & de guide pour nous rendre heureux, eĂ»t-il choisi les souffrances, & nous eĂ»t-il fait un prĂ©cepte de porter la croix aprĂšs lui, si les souffrances n’étoient pas la vraie route du bonheur. Cependant vous vous croyez le plus malheureux des hommes & le plus Ă  plaindre, vous poussez de honteux fou» DES MƓuhs. 4of pirs, vous Ă©clatez en plaintes, vous rĂ©pandez des torrens de larmes fur votre malheureux fort. Ingrats, arrĂȘtez ces larmes indignes & excessives, elles font; injure Ă  Dieu. En vous plaignant de vos maux , vous vous plaignez de ce qu’il vous donne une des preuves les plus certaines de son amour. Parce que vous Ă©tiez agrĂ©able Ă } Dieu, dit l’Ange Ă  Tobie , il a Ă©tĂ© nĂ©cejfaire que vous fujfiez Ă©prouvĂ© par la tribulation y. Ce n’est pas que je condamne absolument vos soupirs je ne prĂ©tends pas que vous foyiez de bronze , ni que vous ressembliez Ă  ces Philosophes orgueilleux , qui fe faisant gloire d’ĂȘtre insensibles, vouloient fonder leur farouche vertu fur les ruines de l’humanitĂ©. Je fais que vous ĂȘtes homme, que difficilement on fe fait Ă  souffrir, & qu’il y a des momens oĂč l’on sent la nature Ă©branlĂ©e qui frĂ©mit. Versez des larmes , j’y consens, mais versez-les en ChrĂ©tien , versez-les dans le sein de Dieu. Alors elles adouciront vos amertumes, elles calmeront vos aigreurs, & peut-ĂȘtre, ainsi qu’on l’a vu dans les ApĂŽtres & dans plusieurs autres Saints, viendront- ? X&ia accĂšs tus iras DcĂ» t nccejsc suit tcntatit çrcbarette. Job. LL. § L’ Ê c o l Ăź elles mĂȘme jusqu’à vous rendre heureux dans vos peines. Il faudroit pour cela souffrir avec patience & avec fbumilfion mais que faites- vous '{ Au lieu d’acquiescer humblement, de vous courber avec respect sous la main qui vous trappe, de recevoir avec rĂ©signation ce qu’il faudra toujours malgrĂ© vous que vous receviez ; vous souffrez souvent avec une opiniĂątre opposition aux ordres du Ciel, avec un orgueil qui, tout abattu qu’il est fous la main de Dieu, fait effort pour se soulever contre lui. Vous souffrez sans aucun repentir, fans entrer dans les vues de misĂ©ricorde & de salut que Dieu se propose en vous chĂątiant. Combien n’en voit-on pas mĂȘme qui souffrent, & qui en mĂȘme temps s’abandonnent auxmouvemens de la vengeance, dans le dĂ©sir de perdre celui qu’ils croient la cause de leur malheur ; aux transports de la fureur, pour exhaler l’humeur chagrine & dĂ©vorante dont ils font la proie ; quelquefois aux excĂšs du blasphĂšme & du desespoir , parce que leurs maux, loin de finir* croissent & redoublent! O mon frere, ĂŽ mon ami! car plus vous ĂȘtes malheureux , plus vous m’ĂȘtes cher & plus je m’intĂ©resse Ă  vos maux j dires-moi, que gagnez-vous Ă  vous impatienter, Ă  vous rĂ©volter contre Dieu? des MƓurs. 427 RĂ©tablissez-vous par-lĂ  votre santĂ©, votre fortune, votre crĂ©dit, votre honneur? Par vos emportemens furieux remĂ©diez- vous Ă  quelque chose ? non. Tout ce que vous gagnez au contraire, c’est d’enfoncer plus avant le trait qui vous dĂ©chire, c’est de changer en poison le remcde salutaire que la Providence vous offroit, c’est de vous creuser dĂšs-Ă -prĂ©sent un enfer, en attendant cet enfer encore plus affreux oĂč vous vous prĂ©cipitez. Plus je pense Ă  votre fort, plus il m’attendrit & me pĂ©nĂ©trĂ©. Car enfin qu’un coupable fortunĂ© , qu’un homme de plaisir & de bonne chere se perde ; Ă  perte m’est sensible, & je le plains, mais du moins il a goĂ»tĂ© quelques douceurs, douceurs fauflĂšs & trompeuses, douceurs pailĂ geres & fugitives, je le lais ; douceurs cependant qui l’ont amule, & qui lui ont fait couler quelques jours dans une agrĂ©able iyresse. Mais vous, aprĂšs une vie traversĂ©e par de funestes acci- dens, dĂ©clarĂ©e par les peines, & passĂ©e dans les pleurs, si vous venez Ă  vous perdre, si vos maux deviennent par votre faute une anticipation des flammes Ă©ternelles , si du prix dont vous pouviez acheter le. Ciel vous vous creusez un affreux abyme ; est-il un fort plus dĂ©plorable que le vĂŽtre , & ne peut-on pas vous nommer tout Ă  la fois le plus 4og V É C 0 L s insensĂ© & le plus infortunĂ© des hommes ? En souffrant comme un dĂ©sespĂ©rĂ© & malgrĂ© vous, ne vous faites-vous pas mille fois plus de mal que la malignitĂ© des hommes ou toute la vivacitĂ© de la douleur ne peut vous en faire ? Quelle tranquillitĂ© , quel repos pouvez-vous avoir parmi les agitations , les convulsions qui vous dĂ©chirent ? Certes, vous Ă©coutez bien peu votre raison & votre religion. Puisque c’est une nĂ©ceflitĂ©de souffrir, que ne mettez-vous Ă  prosit vos souffrances & vos peines? que n'amassez-vous des trĂ©sors pour le Ciel ? que ne vous assurez - vous un bien que les hommes ni la fortune ne vous enlĂšveront pas, & qui est infiniment plus grand que celui dont la perte est peut- ĂȘtre aujourd’hui ce qui vous afflige si fort ? BientĂŽt viendra le moment oĂč vous ferez charmĂ© de n’avoir pas Ă©tĂ© plus heureux. Cette Providence que vous ĂȘtes tentĂ© de condamner fur la terre, lorsque les voiles seront levĂ©s, vous la bĂ©nirez Ă©ternellement. L’Empereur Maurice ayant refusĂ© par avarice de racheter douze mille de ses sujets , qu’un Roi Arabe a voit fait prisonniers, quoiqu’il n’ëxigeĂąt pour leur rançon que quatre oboles 6 par 6> LYbole Ă©tnit la sixiĂšme partie du denier Romain', 40Î valoit environ 10 Ă  IĂź C. de France, selon M. Roilin, des MƓurs. 40 s par tĂšte , ils furent tous passĂ©s au fil de l’épĂ©e. Maurice, touchĂ© de fa sauce, demanda au Seigneur d’en ĂȘtre puni en ce monde ; instruit par la religion, que les plus grandes souffrances de cette vie ne sont rien, comparĂ©es Ă  celles que la Justice divine rĂ©serve en l’autre. Phocas, qui de .simple Centurion Ă©toit parvenu aux premiĂšres dignitĂ©s de l’armĂ©e, se fit proclamer Empereur, massacra la femme & les enfans de Maurice en sa prĂ©sence, & le fit ensuite Ă©gorger lui-mĂȘme. Ce Prince, pendant ces tristes exĂ©cutions » ne se plaignit point il prononqoit souvent ces paroles de David, en levant les yeux au Ciel Vous ĂȘtes jufle , Seigneur , ÂŁ*? votre jugement est Ă©quitable C 7 . Que des accidens ou l’injustice des hommes viennent donc renverser votre fortune, que des traits calomnieux attaquent votre rĂ©putation, que des maladies longues & violentes vous fassent ressentir leurs atteintes, que la mort impitoyable vienne moillonner vos plus cheres espĂ©rances ou vous tn’ever votre plus solide appui victime des misĂ©ricordieuses rigueurs du Ciel, ranimer 7 Julius es , Domine , St rclium est judisium tuusVr Ăź'k. 118. Tome H 8 41© L' É C O L E votre courage, & fortifiez-le par les motifs de la religion que nous venons de vous exposer ; motifs infiniment supĂ©rieurs Ă  tous ceux que la raison & la sagesse humaine pour oient donner. Cel- les-ci ne font le plus souvent que sus. pendre pour quelques momens la douleur , fans la guĂ©rir elles adoucissent les petits chagrins, & laissent aux grandes peines toute leur amertume. La religion feule peut nous consoler vĂ©ritablement dans tous nos chagrins , quelque grands qu’ils soient. Elle peut calmer toutes nos peines, adoucir toutes nos afHictions, & rendre Ă  notre courage Ă©branlĂ© par les malheurs les plus accablans toute fa force. L’histoire d ’EiĂ©onor, cette pieuse ImpĂ©ratrice dont nous avons dĂ©jĂ  parlĂ© plusieurs fois, nous en offre un Ă©difiant & noble exemple. En i6g?, annĂ©e fatale qui remplit d’épouvante toute l’Europe , une formidable armĂ©e de Turcs laissant de fortes places derriĂšre elle, pat une 4e ces heureuses tĂ©mĂ©ritĂ©s qui rĂ©ussissent quelquefois contre toutes les rĂ©glĂ©s de la guerre, s’avança Ă  grandes journĂ©es pourfondre furVienne. A cette nouvelle, toute la Cour fut dans la consi ternation on tint conseil, & il fut arrĂȘtĂ© d’abord que l’Empereur & l’ImpĂ©ratrice se retireroient au plutĂŽt, pour ne pas exposer dans leurs augustes personnes je DES M E 0 Ăź 8. 4M salut & la majestĂ© de l’Empire. Le 7 de Juillet, sur le soir, LĂ©opold avec toute se maison sortit de Vienne du cĂŽtĂ© que le Danube mettoit Ă  couvert des Turcs, Les ennemis se prĂ©sentĂšrent devant la place , tandis que l’Empereur en sortent du cĂŽtĂ© opposĂ©. On peut juger quels durent ĂȘtre dans cette suite prĂ©cipitĂ©e les sentimens de PinfortunĂ©eElĂ©onor, quand elle vit Ă  travers les ombres de la nuit au-delĂ  du Danube les villages en feu, les armes Ă©tincelantes de l’ennemi, les campagnes inondĂ©es d’une armĂ©e innombrable de Turcs & de Tartaros , la ville impĂ©riale exposĂ©e Ă  un assaut prochain, l’Empire Ă  deux doigts de fa perte , & elle-mĂȘme contrainte de fuir malgrĂ© une grossesse avancĂ©e, fans appui, fans secours, avec un Ă©poux tendrement aimĂ©, dont elle ressentoit vivement l’infortune , & avec des enfans qui n’étoienfe- pas encore en Ăąge de sentir leur malheur. La premiĂšre nuit, ils arrivĂšrent Ă  un petit village, oĂč ils essuyĂšrent tout ce que l’indigence a de plus affreux. Ils surent obligĂ©s de le retirer dans une chaumiĂšre dĂ©serte & dĂ©pourvue de toutes choses on n’y trouva ni lits , ni chambres , ni vivres. C’étoit un spectacle capable d’attendrir, que de voir ces augustes personnes qui commandoient un fi 4u L’ Ê c o t e vaste Empire, exilĂ©es dans leurs propres Etats, & rĂ©duites dans une misĂ©rable cabane aux horreurs de la pauvretĂ©. Un courage moins terme enauroit Ă©tĂ© abattu ; mais au milieu de l’épouvante universelle & de la consternation oĂč Ă©toit toute la Cour, on voyoit LlĂ©onor intrĂ©pide, & le vertueux LĂ©opold avec une majestĂ© aussi sereine & ausii paisible que s’ils eussent Ă©tĂ© dans leur palais au sein de l’abondance & en pleine furetĂ© ils songeoient, dit l’Auteur de la Vie de cette Princesse, Ă  l’état encore plus malheureux oĂč leur Dieu & le Roi des Rois s’étoit rĂ©duit lui-mĂȘme en naissant. Dans cette extrĂ©mitĂ© des affaires de l’Etat, la feule chose qui Ă©branla un peu l’invincible constance d’ElĂ©onor, fut le parti que prit l’Empereur d’aller malgrĂ© tous les pĂ©rils joindre l’armĂ©e, qu’on ĂŻassembloit contre les Turcs. Le jour mĂȘme de son dĂ©part, l’ImpĂ©ratrice avoit accouchĂ© d’une Princesse. Ses couches furent trĂšs-heureuses, malgrĂ© tant de voyages , d’inquiĂ©tudes, de frayeurs & de calamitĂ©s, qui faisaient craindre pour elle ; mais elle en dut le succĂšs moins encore Ă  la bontĂ© de son tempĂ©rament qu’à la fermetĂ© de son esprit incapable d'ĂȘtre abattu par la continuitĂ© des malheurs, auxquels toute autre femme dans l'a situation auroit infailliblement suc- des MƓurs. 413 combĂ©- Le Ciel rĂ©compensa enfin tant de courage & de vertu par une victoire signalĂ©e, qu’on remporta sur l’armĂ©e Ottomane , & qui fut suivie de la levĂ©e du siege de Vienne. Quelle consolation plus douce que celle de la religion , pour une personne malheureuse, en proie aux douleurs & aux miseres de l’humanitĂ© Ăź Et qui pou- roit ne pas applaudir aux beaux senti- mens d’un Philosophe StoĂŻcien.' 1 ,, C’est Dieu qui m’a formĂ©, disoit EpiBete puiißé-je Ă  mes derniers momens lui dire O mon MaĂźtre, ĂŽ mon Pere, tu as voulu que je souffrisse, j’ai souffert avec rĂ©signation tu as voulu que je fusse pauvre, j’ai embrassĂ© la pauvretĂ© tu m’as mis dans la bassesse, & je n’ai point voulu ki grandeur tu veux que je meure, je t’adore en mourant CÂŁ . Ce hĂ©ros de la patience paĂŻenne Ă©toit esclave d’Epaphrodite , Capitaine des Gardes de NĂ©ron. Il prit un jour fantaisie Ă  ce maĂźtre barbare de s’amuser Ă  tordre la jambe de son esclave. Epictete s’appereevant qu’il recommençoit avec plus de force, lui dit en souriant & fans s’émouvoir Si vous continuez, vous me causerez infailliblement la jambe. Ce qui Ă©tant arrivĂ© en effet Ne vous l’avois-je pas bien dit , reprit tranquillement Epictete ? Cesse le Philosophe ayant opposĂ© 4*4 V E c o l 2 ce trait de modĂ©ration aux ChrĂ©tiens ? en disant Votre Christ a-t-il rien fait de plus beau Ă  fa mort ? Oui , dit lĂ infc Augustin , il s’’ ist tu. La religion feule nous fait recevoir tout ce qui peut nous arriver de plus fĂącheux, avec une patience, une rĂ©signation, une joie mĂȘme, que ne connut & ne donna jamais le superbe stoiffsme, / lui qui se ro'dissant contre le sentiment intĂ©rieur par la honte de paroĂźtre foiĂŒe, cachoit un dĂ©sespoir rĂ©e isous une apparente tranquillitĂ©. Eh ! comment enesict les infortunĂ©s auroient-ils trouvĂ© des consolations dans un systĂšme qui acca- bloit l’homme souffrant sous le joug insurmontable du Destin, & ajoutait Ă  ses afflictions la nĂ©ceisitĂ© plus affreuse encore de cacher ses larmes ? La religion ChrĂ©tienne, bien diffĂ©rente de cette orgueilleuse philosophie, ne travestit pas la vertu fous de belles, mais chimĂ©riques idĂ©es. Elle ne se fait pas une fĂąusse gloire de rendre insensible. Mais elle soutient, elle anime par les plus grands exemples, par les plus consolantes promesses ; & ce que le monde & la philosophie n’ont jamais vu, elle montre dans un ChrĂ©tien affligĂ© un homme heureux dans ses peines & dans ses souffrances. Toutes mes tribu - ht ions , disoit l’ApĂŽtre, me remstlijfetiS dbs M ƒ u X s; 41s S’iitie jĂ€he que je ne puis ni exprimer ni tontenir S. Qui que vous soyez qui souffrez, qui ĂȘtes en proie Ă  l’afRiction, Ă  la douleur, au chagrin jetez-vous de mĂȘme dans les bras de la religion, & vous Ă©prouverez les mĂȘmes sentimens, la mĂȘme consolation. Mais, que puisse ĂȘtre votre Ă©tat, gardez-vous fur-tout de fatiguer le public du dĂ©tail" de vos peines. , 11 n’y a que de l’orgueil ou de la puĂ©rilitĂ© Ă  seplaindre continuellement de ses malheurs. N’en parlez qu’à vos amis les plus intimes & les plus capables de vous consoler encore le feront-ils bien moins que Dieu, Si vous avez assez de force, ne confiez vos peines qu’à lui seul. Les hommes, pour l’ordinaire, mĂ©prisent les malheureux ou en font peu touchĂ©s. On n’est guere sensible qu’à ses propres maux. Souvent la sensibilitĂ© qu’on nous tĂ©moigne n’est que fur les lĂšvres, ou n’est, comme celle des amis de Job, qu’une pitiĂ© orgueilleuse, plus cruelle' mĂȘme Ă  supporter que les plus grands malheurs. Un Marchand qui venoit de faire une perte considĂ©rable, recommanda Ă  son fils de garder le secret. Le 1 8 Super/tbuntlo giudi» in emni tribulations -nijßmj IX. CutiiiUi. r. § 4 * 4iS L’ I e o i e fils promit d’obĂ©ir, mais il pria son pere de lui dire le motif de cette recommandation. C’ejlafn, mon fils, lui rĂ©pondit le pere, qu'au lieu d'un malheur nous rien ayions pas dĂ©ux Ă  supporter, celui d’avoir fait cette perte , l’autre de nous voir consoler par des gens qui n’ accordent' leur eßime qu’à ceux qui rĂ©ujjisfent. Si ce sont des dĂ©sordres & des chagrins domestiques, il est encore moins a propos de s’en plaindre. Ceux qui les souffrent doivent rougir d’en parler, autant que ceux qui les font. On a toujours tort d’en instruire le public. Un mari qui essuyoit souvent la mauvaise humeur de sa femme, ne lui opposoit d’autres armes que le silence. Un de ses amis lui dit On voit bien que vous craignez votre femme. Ce n’ejlpoint elle que je crains, reprit le mari, c’efl l’éclat , qui fer oit son dĂ©shonneur U le mien. ‱===^iui!f==’==tc Ne faites rejaillir vos peins s fur personne. Ds quelque source que viennent vos chagrins , ce ferait une grande injustice de les faire retomber fur les autres. Ce ferait imiter ces animaux furieux qui se jettent sur tous ceux qui ont le malheur de les rencontrer. Ne confondez pas les innocens avec lĂšs coupables, & n’affligez b e s MƓurs. 417- pas les autres parce que vous avez du chagrin. Quelle triste consolation, que de rendre malheureux ceux qui vivent avec vous ! Voyez cet homme qu’un revers imprĂ©vu accable ou que la bile suffoque. Il ne rentre dans fĂ  maison qu’avec toutes les marques de la fureur. L’Ɠil en feu, l’air menaçant, les paroles foudroyantes Ă  la bouche, il dĂ©charge son courroux sur tout ce qui se prĂ©sente. Ce spectacle vous rĂ©volte & vous indigne gardez-vous donc de le donner jamais. Evitez aufli de ressembler Ă  ces grondeurs Ă©ternels, espece d’hommes inquiets & turbulens , qui exhalent fans celle, & contre tout le monde, leur mauvaise humeur. Quoique ce dĂ©faut semble appartenir aux vieillards, comme un effet de la faiblesse ou des infirmitĂ©s dont la nature est alors assaillie, & comme un reste d’autoritĂ© qui expire avec un long murmure ; il est pourtant de tous les Ăąges, sur tout dans les personnes nĂ©es avec une bile prompte Ă  fermenter & Ă  s’enflammer. Ceux qui ont ce dĂ©faut, le fĂąchent fans sujet, crient pour une faute lĂ©gĂšre, & s’emportent quand on leur rĂ©pond il n’est pas mĂȘme permis d’avoir raison avec eux. Ont-ils reçu quelque sujet de mĂ©contentement de la part de certaines personnes Ă  qui ils 4*8 L’ È c o l s doivent des Ă©gards dĂšs qu’ils se trouvent en libertĂ© au milieu de leur famille , ce sont des cris , des plaintes, des injures, des menaces, une tempĂȘte d’autant plus violente, qu’elle a Ă©tĂ© resserrĂ©e & grossie par la contrainte. Leur bile qui fort Ă  grands flots , se rĂ©pand sur leurs amis mĂȘme que pouroient-ils faire de pis Ă  leurs plus grands ennemis ? Aussi tous fuient dĂšs qu’ils le peuvent, & les laissent seuls. Ils n’ont pas mĂȘme la consolation qui reste souvent aux malheureux, celle d’ĂȘtre plaints le mal qu’ils font empĂȘche de compatir au leur. Ceux qui font souffrir les autres de leurs chagrins, font d’autant plus injustes , que souvent ils ne doivent les imputer & les attribuer qu’à eux-mĂȘmes. Ils se sont attirĂ© par leur faute les maux qui leur arrivent, ils font les premiers artisans de leurs peines. On les a insultĂ©s d’une maniĂ©rĂ© atroce, parce que peut- ĂȘtre ils ont pour tout le monde des fiertĂ©s & des hauteurs' qui rĂ©voltent. Ils viennent de perdre un procĂšs qui les ruine 5 c’est qu’ils l’ont eux-mĂȘmes intentĂ©, & que par une cupiditĂ© aveugle ou par une' haine obstinĂ©e, ils n’ont voulu fe prĂȘter Ă  aucun accommodement. Ils ressentent dans tous leurs/-membres des douleurs aiguĂ«s & cruelles, parce que, dĂ©terminĂ©s Ă  & livrer fans mĂ©nagement Ă  tous leurs > BBS MƓurs. 415? $Iaisifs, ils ont fait des excĂšs capables de ruiner le tempĂ©rament le plus fort. Puisqu'ils ne font malheureux que par leur faute, n’y a-t-il donc pas autant de folie que d’injustice Ă  s’en prendre aux autres & Ă  vomir contre eux, comme il arrive souvent, tout le venin de leur mauvaise humeur? Ne dites pas que votre mal est un ds ceux dont 011 ne peut ĂȘtre guĂ©ri qu’en changeant de tempĂ©rament & de corps. Ce prĂ©jugĂ© naĂźt du dĂ©couragement auquel on se livre, lorsqu’on a Ă©prouvĂ© la difficultĂ© qu’il y- a de contredire son amour-propre & ses pallions. Mais il est faux qu’on ne parvienne pas Ă  fĂš corriger du dĂ©faut dont nous parlons ici * lorsque, sans se rebuter, on s’applique sincĂšrement Ă  le faire. L'impossibilitĂ© qu’on prĂ©texte n’ell qu’un manque de courage, une lĂąche foibleise, qui nous fait cĂ©der Ă  l’humeur, parce qu’il en coĂč- teroit d’abord un peu pour se rcidir' contre elle & la vaincre. Mais en voulant s’éviter une courte peine qui feroit bientĂŽt triompher , on nourrit & l’on entretient des ennemis domestiques, qu» renaiisent sans cesse & se multiplient 9 parce qu’on n’a pas voulu les dompter. On s’abandonne Ă  son naturel vicieux ? ©n n’oppose rien au penchant , on le Iaido' .maĂźtriser par l’humeur, & on lui cedĂŽ 410 L’ É C 0 L Ăź honteusement le domaine que devoir avoir la raison. Mais qu’en arrive-t-il ? Cette mauvaise humeur qu’on a flattĂ©e , mĂ©nagĂ©e, devient pour l’homme qui s’ÿ livre son plus cruel tyran. Quel trouble ne cause- t-elle pas dans l’esprit! quelle tempĂȘte n’excite-t-elle point dans le cƓur! Ses moindres effets font d’obscurcir les jours les plus sereins , d’empoisonner tous les plaisirs de la vie , & de nous rendre mĂȘme Duc de Milan, aiĂźiĂ©gĂ© dans un chĂąteau par les Florentins qui le pressoient vivement, ne trouvoit aucun mets Ă  son goĂ»t lorsqu’il Ă©tĂ«it Ă  table. Il en querelloit souvent son Cuisinier,qui,aprĂšs plusieurs autres excuses, lui dit enfin Voulez-vous, Monseigneur, que je vous parle nettement ? Les viandes font bonnes N bien prĂ©parĂ©es , mais ce font les Florentins qui vous dĂ©goĂ»tent . des MƓurs. 4%i XXIV. Supporte ÂŁ les humeurs ÂŁ j 9 les dĂ©fauts d’autrui. O N est obligĂ© de vivre avec toute* sortes de caractĂšres & d’humeurs il fera plus aisĂ© de nous conformer aux humeurs des autres, que de conformer les autres Ă  la nĂŽtre; & d’ailleurs, c’est un fort, mauvais caractĂšre que de ne pouvoir supporter celui des autres. Heureux ceux qui font nĂ©s avec le moins d’imperfections! car nous en avons tous, & celui qui croit ĂȘtre fans folie n’est guere sage. Puisque chacun de nous a ses foibleflĂšs & ses dĂ©fauts, pourquoi refuserons - nous aux autres la mĂȘme indulgence que nous attendons d’eux, & dont nous avons Ă©galement besoin ? Mais l’amour - propre qui nous donne tant de complaisance pour nos dĂ©fauts^ nous rend ceux des autres insupportables. envers nos pareils, & taupes envers nous* Xous nous pardonnons tout, & rien aux autres hommes.. Un Philosophe PaĂŻen rĂ©pĂ©toit souvent Ă  ses disciples cette belle maxime ; Pardonnez, tout aux autres , & ne vou? tzrr L’ È c o l 3 pardonnez rien Ă  vous-mĂȘmes. Quand oft s’étudie bien & qu’on s’applique Ă  se connoitre , on se trouve ii rempli de dĂ©fauts, qu’on n’a pas de peine Ă  excuser dans aut> ui ceux qui paroiĂŒfent les moins excusables Ă  moins que par devoir on ne soit obligĂ© de les corriger & de les punir Encore l’homme sage & compa- tilßànt aux foibleflcs de l’humanitĂ© , le fait-il avec beaucoup de modĂ©ration & de douceur > & il pardonne d’autant plus facilement, qu’il n’ignore pas qu’il a souvent lui-mĂšme besoin de pardon. Mais que cette bontĂ© indulgente est rare, & qu’il est difficile Ă  la plupart des hommes d’ĂȘtre comens de quelqu’un Ăź Ils font si remplis d’amour propre, qu’ils ne font guere satisfaits que d’eux-memes ; & telle est leur injustice, que ceux qui font le plus souffrir, sont presque toujours ceux qui veulent le moins souffrir des autres. La iagesse doit nous dĂ©couvrir nos dĂ©fauts, & la charitĂ© doit couviir Ă  nos yeux ceux du prochain. Si nous ne pouvons nous empĂȘcher de voir des dĂ©fauts marquĂ©s, parce que ce fer oit manquer d’esprit, ne les voyons que pour ne pas en avoir de pareils ; & jetons auffi-tĂŽt les yeux fur nos propres f’oiblt liĂ©s, afin d’apprendre Ă  supporter les leurs. Lorsque vous rencontrez des per- des MƓurs. 423 sonnes qui vous dĂ©plaisent, cachez soigneusement votre aversion la faire sentir, ce seroit manquer de bontĂ© & de politeflĂš. Aimez les gens d’esprit, les sages & les personnes aimables mais sousi'rez lĂ©s sots, les fous & les fĂącheux, puitqu’ils font si communs. C’elt une grande foibleilĂ© » que de souffrir impatiemment celles des autres. Rire de ceux qui ont quelque difformitĂ© dans la figure, c’est une petitesse qu’on ne pardonne pas aux enf’ans. Ne devroit-il pas en ĂȘtre de mĂȘme des dĂ©fauts du caractĂšre '{ Est-on moins Ă  plaindre d’avoir le cƓur gauche, l’esprit tortu, l’humeur raboteuse, que d’ĂȘtre boiteux ou bossu ĂŻ 11 est vrai qu’on ne peut ni s’alonger la jambe ni se redresser la taille, & qu’on peut corriger les dĂ©fauts du caractĂšre. Mais on doit convenir que la chose est difficile; & la peine que les hommes ont Ă  se corriger, n’est-elle pas un accroissement Ă  leurs dĂ©fauts , qui demande de nous un redoublement d’in- ‱dulgence ? Il regne dans la sociĂ©tĂ© une si grande contrariĂ©tĂ© d’humeurs , que c’est une nĂ©cessitĂ© , un devoir de charitĂ© & de justice de se supporter mutuellement; & puisque dans ce conflit d’humeurs & de ca. racteres si diffĂ©reras , il est impossible de s’accorder parfaitement > fĂąchons, da 424 V E C O L E moins nous rapprocher & nous unir pair les liens universels de la charitĂ© & de l’indulgence. Cette vertu est absolument nĂ©cessaire quand on veut vivre avec les hommes mais elle est d’un usage bien plus indispensable & plus frĂ©quent entre les proches & les personnes qui demeurent ensemble. Socrate , dont on a dĂ©jĂ  vu l’étonnante modĂ©ration Ă  l’égard de ses ennemis, peut encore servir ici de modele. Sans sortir de chez lui, il trouva de quoi exercer sa patience. Il avoir une femme d’une humeur bizarre, emportĂ©e, violente. Il laconnoissoittelle, & il disoit qu’ill’avoit choisie exprĂšs , parce que s’il venoit Ă  bout de supporter ses brusqueries , il n’y auroit personne avec qui il ne pĂ»t vivre. S’il l’avoir prise dans cette vue, il dut certainement en ĂȘtre content. Elle lui faisoit toutes sortes d’outrages & d’avanies. Dans la colereelle lui arra- choit son manteau en pleine rue , & mĂȘme un jour, aprĂšs lui avoir dit toutes les injures que la fureur peut suggĂ©rer Ă  une femme de ce caractĂšre, elle lui jeta un pot d’eau sur la tĂȘte. Il ne s’en Ă©mut pas, & dit seulement qu'il fallait bien que la pluie tombĂąt aprĂšs un fi grand tonnerre. La douceur, la patience, l’indulgence pour les dĂ©fauts de leur Ă©poux n’est pas des MƓurs. moins nĂ©cessaire aux femmes, & peut- ĂȘtre mĂȘme Pest-elle encore plus. Elles doivent avoir le courage de soutenir le dĂ©goĂ»t, la colere, les mauvaises façons, les mĂ©pris mĂȘme de leurs maris. Une femme tendre, vertueuse & raisonnable, qui, malgrĂ© tous ses efforts, se voit en butte Ă  la mauvaise humeur d’un Ă©poux ; une femme qui n’a jamais la satisfaction de s’entendre applaudir fur les meilleures actions ; qui mĂȘme est obligĂ©e de les cacher & de paroitre quelquefois avoir tort ; qui dĂ©robant son malheur Ă  tous les yeux Ă©trangers, tĂąche de sauver les dehors & de cacher au public tout ce qui peut l’ĂȘtre; qui souffre sans se plaindre , & qui excuse ce qu’elle n’a pu prĂ©venir ni empĂȘcher d’éclater que cette femme est grande ! qu’elle est estimable ! & quel est le mari assez dĂ©pourvu de sentiment & de raison, pour ne pas cĂ©der enfin Ă  tant de vertu ! Ce triomphe , le plus glorieux pour une femme, fut celui de Vincentine Lo~ melin , cette illustre GĂ©noise, Fondatrice des Annonciades-CĂ©lestes , dont nous avons dĂ©jĂ  louĂ© ailleurs la charitĂ© bienfaisante. MariĂ©e avec Etienne Centurion, Gentilhomme de GĂšnes, elle trouva, dit l’Historien de fa vie, au commencement de son mariage plus d’épines que de roses. Quoique son mari eĂ»t beaucoup 426 L’ É C O t S d’estime & d’affection pour elle, il la fĂźt extrĂȘmement souffrir, parce qu’il Ă©toit naturellement prompt & colere, difficile Ă  contenter, trouvant Ă  redire Ă  tout ce qu’elle disoit ou faisoit, & souvent sans avoir aucun sujet, ainsi qu’il l’avouoit lui-mĂȘme. Elle ne lui opposa que la patience, la douceur, la complaisance, qui le firent enfin rougir de ses humeurs & de ses brusqueries ; il reconnut que fa femme, toujours Ă©gale, toujours prĂ©venante , ne 'mĂ©ritoit que l'a tendresse. BientĂŽt le calme & la paix succĂ©dĂšrent aux tempĂȘtes & aux querelles. ChĂ©rie & respectĂ©e de son Ă©poux, elle eut encore le bonheur de le voir, comme elle, le donner tout entier Ă  Dieu , & partager ses bonnes Ɠuvres & ses pieux exercices. Si les Ă©poux doivent supporter mutuellement leurs dĂ©fauts & leurs mauvaises humeurs, Ă  combien plus forte raison les enfans doivent-ils supporter ceux de leurs parens, & avoir en quelque forte un respect aveugle pour eux, lors mĂȘme qu’ils en ont le plus Ă  souffrir. Un Grec maltraitait son fils j parce que, difoit-ily il n’avoit rien appris Ă  l’école de Zenon. Le fils, qui soulfroit ce mauvais traitement lĂ ns murmurer, lui rĂ©pondit Mon pere , ’ ai-je pas beaucoup profitĂ©, puisque j'ai appris Ă  souffrir avec patience ? Le trait suivant n’est pas moins beau* des MƓurs.’ 427 Une Dame vieille & laide Ă©toic venue dans une afĂŻĂšmblĂ©e, coiffĂ©e comme une folle. Un Ă©tranger qui Ă©toit au parterre rioit en la voyant. Le fils de cette Dame fe trouva par hasard auprĂšs de lui. Cet Ă©tranger lui demanda fans le connoffre Ne trouvez-vous pas cette vieille bien ridicule dans fa coiffure ? Je penser oi \ lĂ - iejsus comme vous > rĂ©pondit le fils, fi elle 11 Ă©toit pas ma nitre. Ce que les enfans doivent faire pour leurs parens, nous devons avec quelque proportion le faire les uns pour les autres. C’est le moyen de rendre le commerce de la vie plus agrĂ©able & plus doux. Notre mĂ©nagement pour les autres nous en attirera de leur part. Notre indulgence Ă  supporter les dĂ©fauts d’autrui nous rendra nous-mĂȘmes plus supportables ; elle rendra nos liaisons plus constantes, & l’accomplissement de nos devoirs plus gracieux & plus facile. Nous devons travailler tous, pour le bonheur de la sociĂ©tĂ© & pour notre propre bonheur, Ă  nous rendre tellement maĂźtres de nous- mĂȘmes , que nous sacrifiions volontiers nos inclinations & nos pallions Ă  celles des autres. Si nous voulons suivre les nĂŽtres en tout & ne rien souffrir de personne , outre qu’il nous fera impossible d’y rĂ©uHir,^! est encore plus impossible çue nous ns mĂ©contentions les autres, 428 L’ É C O L E & que tĂŽt ou tard le contre-coup ne retombe sur nous. Il faut donc par nĂ©cessitĂ© nous attendre Ă  souffrir des autres, & travailler fans cesse a nous en faire uns douce A salutaire habitude. La patience, cette vertu si nĂ©cessaire, & que nous perdons si souvent pour rien , s’acquerra par l’exercice , & nous procurera les plus doux fruits. Non-feulement elle nous fera aimer des autres, niais aussi elle Ă©moussera le sentiment des peines au lieu que l’impatience les multiplie , les rend plus sensibles, & fait qu’on ne souffre jamais tant, que lorsqu’on ne veut rien souffrir. Dans la sociĂ©tĂ© , c’est la raison qui doit se plier la premiĂšre ; & puisque les fous font le plus grand nombre, les sages doivent leur cĂ©der dans les choses indiffĂ©rentes & permises c’est quelquefois le meilleur moyen de leur faire sentir- & reconnoitre leur folie. Le MarĂ©chal de la FertĂ© voulant donner du chagrin Ă  M. de Turemie , roua de coups un de ses Gardes, qui ne manqua pas d’en porter ses plaintes Ă  son maĂźtre. Vous ĂȘtes un fripon V un coquin , lui dit M. de su-, renne M. de la FertĂ© ne vous eut pas frappĂ© , fi vous ne Paviez mĂ©ritĂ©. Il le fit mener ensuite Ă  M. de la FertĂ©, pour s’en faire telle justice qu’il souhaiterait. Le MarĂ©chal qui par cette action ne des MƓurs. 42s Put s’empĂȘcher de reconnoĂźtre la prudence de M. de Turenne, dit dans une espece de dĂ©pit contre lui-mĂȘme Morbleu? cet homme sera-t-il toujours sage, b ni0! toujours fou ? C’eitque Turenne avoit encore, dans une autre occasion, sait Ă©clater lĂ  modĂ©ration & lĂ  stgeise, Ă  l’égard du mĂȘme MarĂ©chal. Un jour qu’il se prĂ©parĂąt a attaquer les lignes d’une place assiĂ©gĂ©e, il trouva qu’il lui manquoit quelques outils; & se souvenant que jĂżi. de ia TerrĂ©, qui commandoit avec lui, en avoir de superflus, il lui en envoya demander par un de ses Gardes. Celui-ci revint fort troublĂ©, rapportant plusieurs choses dĂ©sagrĂ©ables que ce MarĂ©chal lui avoir dites en refusant de donner des outils M. de Turenne se tournant vers les Officiers qui Ă©toient auprĂšs de lui Puisqu'il ejl en colere Çf? de mauvaise humeur , dit-il , il faudra nous en passer & faire comme fi nous les avions. 11 attaqua les lignes, les força, & eut-toute la gloire du succĂšs , qui ne le vengea pas moins du MarĂ©chal jaloux, que la mĂŽdĂ©-5 ration qu’il avoit fiait paraĂźtre. Hke-Zk 4;s L’Éco le ^r » Soyt{ des malheureux le plus solide appui. Les Grands doivent aux petits &aux foibles l’appui de leur autoritĂ© & de leur puissance les riches doivent aux pauvres & aux malheureux l’appui de leur crĂ©dit & de leurs richesses. Nous avons dĂ©jĂ  eu lieu de parler ailleurs de cette double obligation que la loi divine & naturelle leur impose mais on ne sauroit trop remettre sous les yeux les devoirs, qu’on se plaĂźt si souvent Ă  oublier ou Ă  mĂ©con- noĂźtre. Puisse le nouveau jour sous lequel nous allons tĂącher de les prĂ©senter, faire encore plus d’impresiion,& achever de gagner Ă  l’humanitĂ© des cƓurs qu’elle rĂ©clame ! Le souverain MaĂźtre des hommes a voulu qu’il y eĂ»t des Grands & des petits, des hommes qui commandassent & des hommes qui obĂ©issent ; parce que la subordination est nĂ©cessaire au maintien de la sociĂ©tĂ© , & qu’une indĂ©pendance totale seroitune source continuelle d’usurpations & de meurtres. Mais il a tempĂ©rĂ© cette inĂ©galitĂ© si grande qui se trouve entre les conditions, en voulant que l’avantage que l’on a d’ĂȘtre au-dessus du commun des hommes, ne fĂ»t qu’un engagement Ă  ĂȘtre tout entier pour eux, a e s MƓurs. 4^1 Les Grands, ainsi que ne craignoitpas 4 e le leur dire le cĂ©lĂ©brĂ© EvĂȘque de Clermont , ne doivent leur Ă©lĂ©vation qu’aux besoins publics ; & loin que les peuples soient faits pour eux, ils ne font eux- mĂȘmes tout ce qu’ils font que pour les peuples. La Providence se dĂ©charge sur euxdusoindesfoibles & des petits. Ils ne font que les ministres de fa bontĂ© & de fa Providence ; & ils perdent le droit & le titre qui les fait Grands,dĂšs qu’ils ne veulent l’ĂȘtre que pour eux-mĂȘmes 9 . Dieu u’éleve les Grands au-deifus des autres , que comme il a Ă©levĂ© le soleil au- dessus des hommes , pour ĂȘtre leur bien- faicteur universel. Dans ses desseins le Grand doit ĂȘtre le consolateur des affligĂ©s, letuteur desfoibles , l’homme destinĂ© Ă  faire des heureux parmi les autres hommes. Tel a Ă©tĂ© dans ce siĂšcle le vertueux Duc d'OrlĂ©ans, fils du cĂ©lĂ©brĂ© RĂ©gent delĂ  France, fous la minoritĂ© de Louis XV. Il fut vraiment le pere de tous les pauvres & de tous ceux qui Ă©toientdans le quelque Ăąge, de quelque sexe, de quelque condition que fussent les malheureux, ils Ă©toienfc assurĂ©s de trouver de la compassion dans le coeur de ce Prince, & une ressource 'y Petit CarĂȘme de Maffillon* 4?r L’ É c o l e dans ses libĂ©ralitĂ©s. Presque tous les jours il leur donnoit audience ; & tous y Ă©taient admis. 11 les Ă©coutoit avec bontĂ© fk ans chagrin, il leur rĂ©pondit avec douceur, il s’attendrissoit fur leurs misĂšres ; & lorsqu’il ne pouvoir les renvoyer tous satisfaits, on voyoit que son cƓur leur accordoit ce que la nĂ©cessitĂ© l’obligeoit de refuser. On ne sauroit croire, dit un auteur qui l’avoit connu particuliĂ©rement, les sommes qu’il employa Ă  faire Ă©lever des enfans, Ă  marier des filles, Ă  doter des Religieuses, Ă  faire apprendre des mĂ©tiers, Ă  rĂ©tablir des Marchands ou Ă  prĂ©venir leur ruine, Ă  faire guĂ©rir les malades dont il examinoit fui-mĂȘme les plaies, & qu’il alloit souvent , suivi d’un seul domestique, chercher jusque dans les greniers. Ce qui fit dire , lorsqu’il mourut, Ă  une auguste & pieuse Princesse Que ùétait un bienheureux, qui laisser oit aprĂšs lui beaucoup de malheureux . i o . Comme lui, li vous ĂȘtes nĂ© Grand, que io. Les Auteurs infidelles d’un nouveau Diction» aire Historique, ont faussement soupçonnĂ© ce Prince d’avoir Ă©tĂ© ans des femimens contraires aux dĂ©cisions de l’Eglise. On p*ut voir sa justification complĂ©tĂ©, nans l’Avertissnjcnt qu’a mi' M Lauvocat Ă  la. tĂȘte de la seconde Ă©dition de son DiĂ©imntire litjtQTViHt » p. KXij» / des MƓurs. 435 que votre tendresse gĂ©nĂ©reuse [& bienfaisante soit l’asile de tous les malheureux. Loin de fuir ceux qui implorent votre secours, prĂ©venez leurs vƓux & leurs priĂšres, hue ce plaisir si noble, si vertueux, soit le plus doux charme de votre cƓur. Ecoutez les soupirs de l’humble & modeste indigence. N’imitez pas ces Grands & ces Riches , toujours fĂ -» cheux & chagrins, ou fiers & dĂ©daigneux , qui n’opposent Ă  leurs priĂšres que des rebuts dĂ©selpĂ©rans, quelquefois des reproches amers, comme si c’étoit un des privilĂšges de la fortune & de la grandeur de pouvoir impunĂ©ment insulter aux petits & aux malheureux. N’est- ce donc pas dĂ©jĂ  pour eux un aflĂšz grand fardeau , de vivre dans la mifere & dans la dĂ©pendance? faut-il encore leur appesantir le joug par une duretĂ© inexorable & par une fiertĂ© mĂ©prisante ? Ne croyez pas que ce soit vous avilir, que de regarder les affligĂ©s & de permettre qu’ils viennent pleurer devant vous. Pensez au contraire que les regards des Grands fur les malheureux augmentent leur gloire ; & que s’ils ont de la compassion & de la misĂ©ricorde , ils n’en seront que plus grands devant les hommes , & sur-tout aux yeux de celui dont ils ont fur la terre l’honneur de tenir la place. Servez de pere aux orphelins , dit le Tome II. T 454 L’ É c o l Ă« Sage, & d'Ă©poux Ă  leur mere; U vous ferez comme le fils chĂ©ri du TrĂšs-Haut , qui aura pour vous plus de tendrejje quĂŒnc mere n'en a pour son fils. il. L’honnĂȘte homme que vous sauvez de la milere; l’orphelin dont vous accommodez le procĂšs qui alloit le ruiner ; le dĂ©biteur indigent Ă  qui vous avancez de ouoi satisfaire un crĂ©ancier dur & impitoyable qui le presse; ce serviteur que vous traitez avec bontĂ©, dont vous preC nez foin dans sa maladie, que vous rĂ©compensez, que vous Ă©tablissez ; les affligĂ©s dont vous essuyez les larmes ; les indigens dont vous soulagez la misere voilĂ  des panĂ©gyristes zĂ©lĂ©s , y qui publieront par-tout vos vertus. Pere des pauvres, des orphelins, des malheureux que ce titre est beau ! Vous ĂȘtes tout ensemble le maĂźtre, le pere & l’ami de tous Chacun s’intĂ©resse Ă  vos peines, Ă  vos disgrĂąces , Ă  vos maladies chacun prend part Ă  vos joies, Ă  vos plaisirs, Ă  vos succĂšs. Vous lisez sur tous les visages l’amour qu’on a pour vous. C’est lĂ  ce qui a conciliĂ© les cƓurs des François Ă  une auguste Princesse, que son inclination bienfaisante, encore plus que les charmes de fa personne, rend si digne Il Estapupillis mifiriccrs ut pater, CV, Eccli. 4- des MƓurs. 45s de partager avec Louis XVI l’amour de la nation. Parmi plusieurs beaux traits qui font tant d’honneur Ă  son humanitĂ©, nous distinguons celui-ci. Elle traversoit un village prĂšs de Paris , lorsqu’elle appelant une vieille femme infirme, qu’en- touroient plusieurs petits en fans. Ce tableau qui ostroit Ă  l’a me compatissante de cette Princesse, ce que la nature humaine dans ses deux extrĂ©mitĂ©s a de plus touchant, l’émut auflĂź-tĂŽt, & lui fit suspendre fa marche. La Reine s’approcha de la vieille, l’interrogea avec autant de douceur que de bontĂ©, & apprit que cette femme, grand’mere des enfans qui l’en- vironnoient, Ă©toit, dans fa caducitĂ© & malgrĂ© fa mifere, Punique appui de ces orphelins de pere & de mere. Ce ne fut point assez pour cette Souveraine gĂ©nĂ©reuse, de lui faire distribuer fur le champ des secours d’argent Elle jeta des yeux attendris fur le plus jeune de ces orphelins , ĂągĂ© de trois ans, & dĂ©clara qu’elle se chargeoit de lui & qu’elle en feroit prendre soin. Si vous 11’avez pas le cƓur assez tendre , assez sensible pour aimer Ă  servir de consolation & d’appui aux infortunĂ©s, ne l’ayez pas du moins assez dur & assez cruel pour ĂȘtre de ces hommes inhumains, qui aggravent des maux qu’ils devroient soulager, & font couler des pleurs, au 4; 6 L’ É c o l e lieu de les tarir. Barbares, craignez les plaintes des malheureux, elles pĂ©nĂštrent les deux, & en font descendre la vengeance. Le Seigneur , dit l’Ecriture , ne fera acception de personne , U il exaucera la priere de celui qui souffre l'injure . Il ne mĂ©prisera point l’orphelin qui prie , ni la veuve qui rĂ©pand ses gĂ©missement devant lui. Les larmes de la veuve ne coulent-elles pas de ses joues, & ne crient-elles pas vengeance coudre celui qui les tire de Jes yeux 12 ? L’opprcilion du pauvre est un de ces grands crimes qui sollicitent la vengeance divine & l’attirent. Une chute soudaine, l’écroulement fatal & imprĂ©vu de la plus brillante fortune, apprennent aux hommes qu’il y a au-deilĂŒs de nous un Etre suprĂȘme, qui en abattant ces tĂštes altiĂšres qui abusaient de leur puis, sauce, lait craindre au mĂ©chant effrayĂ© que la foudre qui gronde encore ne vienne le frapper Ă  ion tour. Ainsi l’on a vu dans ce siede le fameux Gouverneur de Pondycheri, aprĂšs s’ĂȘtre engraiilĂ© du rang des malheureux Indiens, expier honteusement sur un Ă©chafaud les larmes qu’il avoir fait rĂ©pandre, comme pour il Non accipitt Dominus personam in pauperem, &c. Eccli. 35. des MƓurs. 437 vĂ©rifier ce que dit l’Esprit-Saint T que le Seigneur je rendra le dĂ©fenseur de la cause du pauvre , U qu’il percera ceux qui auront percĂ© son ame j $ . Vous crĂ©dit que vous donne votre rang ou vos richesses, vous persuade que vous n’avez rien Ă  redouter des lois humaines} & la Justice divine armĂ©e de toutes ses menaces, ne vous effraye point, parce que l’opulence n’enfante que trop souvent l’incrĂ©dulitĂ© qui refuse de les croire, ou l’indiffĂ©rence qui refuse d’y penser. Mais votre cƓur fera- t-il Ă©galement sourd Ă  la voix de la nature, qui vous crie que les pauvres font vos frĂ©tĂ©s & vos semblables ? Dans l’intervalle immense qui vous sĂ©pare des malheureux, vous les regardez comme des ĂȘtres d’une espece, pour ainsi dire, & d’une nature toute diffĂ©rente de la Ă  quelque distance de vous qu’ils paroissent, fous ces dehors mĂ©pri- iĂ ns oĂč ils se montrent, l’humanitĂ© vous dit que ce font vos semblables. Ils n’ont, il est vrai, aucune de ces distinctions arbitraires, de ces titres fastueux, jeux du hasard ou de l’opinion , amusemens de la vanitĂ©, & dont on ne fait si fou vent 13 > Et configet soa e s MƓurs. 4 41 de donner, & la gloire d’imiter sa bontĂ© par vos bienfaits. Il a prĂ©tendu que vous auriez foin de vos frĂ©tĂ©s malheureux comme il a eu foin de vous, que vous tiendriez fa place Ă  leur Ă©gard , & que vous leur serviriez de peres & d’appuis» Lorsqu’ils implorent votre secours, c’est donc moins une grĂące qu’une dette qu’ils sollicitent; les refuser, c’est se rendre coupable d’injustice & d’inhumanitĂ©. On doit, disoitM. deFontenelle, Je refuser le superflu , pour procurer aux autres le nĂ©cessaire} & il rĂ©pondoit Ă  ceux qui le louchent d’une action de charitĂ© Cela se doit. Quel qu’un tĂ©moignoit un jour Ă  Eveil- Ion, Chanoine & Grand-Archidiacre d’Angers, lĂ  surprise de ce qu’il n’avoit aucune de ses chambres tapĂŒĂŻees. Quand en hiver j entre dans ma maison, rĂ©pondit-il , mes murailles ne me disent point, quelles ont froid} mais les pauvres qui font Ă  ma porte tout tremhlans, me crient quils ont besoin de vctemcns. Si nous sommes obligĂ©s d’ĂȘtre les soutiens & les appuis de tous les malheureux , qui nous font unis par les liens communs de la nature ; Ă  combien plus forte raison devons-nous l’ùcre de ceux qu’elle a joints avec nous par des liens encore plus Ă©troits, par ceux du mĂȘme sang. Vous donc qui aspirez Ă  la qualitĂ© Tome IL V 442 L* Ê C O L B d’honnĂȘte-homme,& qui voulez remplir toute l’étendue des obligations que ce titre fi honorable & si beau vous impose, secourez en tout temps, en toute occasion & de toute façon, ceux de vos pareils qui ont quelque droit de compter fur vous. Courez au-devant de leurs besoins. Que toutes leurs affaires soient les vĂŽtres. RĂ©pondez Ă  la bonne opinion qu’ils ont de vous,quand ils vous croient moins dur que le commun des hommes car il est rare qu’un malheureux ait des amis,plus rare encore qu’il ait des pareils. Le pauvre , dit Salomon, fera odieux Ă  ses proches mĂȘme , mais les riches ont beau = coup d’amis 16 . Nous avons dans notre cƓur des ennemis de nos parens qui se trouvent dans le cas d’avoir besoin de nous notre duretĂ© & notre duretĂ©, nous abandonnons un parent malheureux Ă  fa mauvaise fortune ; mais nous ne tardons pas Ă  en ĂȘtre punis. Ce parent dĂ©laissĂ© nous dĂ©shonore, ou s’il fait fortune par l’entremise d’une main Ă©trangĂšre, il laissera ses biens Ă  des Ă©trangers & ne reconnoĂźtra ni nous ni les nĂŽtres. Dans l’état florissant de notre prospĂ©ritĂ©, nous ‱ Ci 6 EtĂźam proximo sue pauper odiosus, erii i amicl vero divitum multi 9 Froy. L 4 - des MƓurs. 445 refusons par orgueil d’avouer un parent honnĂȘte qui nous rĂ©clame, & nous craignons de lui tendre la main ; mais nous tomberons Ă  notre tour , & nous ne serons relevĂ©s ni secourus par personne. Nous resterons ensevelis fous notre ruine, A ceux qui auront Ă©tĂ© tĂ©moins de notre conduite orgueilleuse, applaudiront Ă  la vengeance divine. Homme droit, obligez vos parens par justice & par bontĂ© de cƓur c’est votre sang. Homme prudent, secourez-les par prĂ©caution vous pouvez un jour avoir besoin d’eux. Homme dur, aidez-les par politique, de crainte qu’ils ne vous dĂ©shonorent par leur conduite, ou qu’ils ne vous couvrent de confusion par leurs plaintes & par leurs reproches. Nous supposons ici que ceux qui vous rĂ©clament ont une conduite sage & rĂ©- si ce sont d’indignes sujets,dont la vie est une espece de dĂ©shonneur pour votre famille , refusez-leur, Ă  moins qu’ils ne se trouvent dans une extrĂȘme nĂ©cessitĂ© , tout secours , tout service ; n’ayez plus avec eux ni commerce ni liaison , qui ne soient absolument indispensables. Mais s’ils ne font que pauvres ou malheureux , ne rougissez pas de les secourir , hĂątez-vous de le faire, ne souffrez pas qu’un autre vous prĂ©vienne & vous enleve cette gloire. Imitez le riche 444 L’ É c o l E & vertueux Booz , en qui la sage Ruth trouva un consolateur charitable, un protecteur dĂ©clarĂ©, un digne & puissant Ă©poux. L’histoire de Portugal nous fournit auffiun trait bien hĂ©roĂŻque de l’amour qu’on doit avoir pour ses proches. En ip86, des troupes Portugaises qui pas soient dans les Indes, firent naufrage. Une partie aborda dans le pays des Castes, & l’autre se mit Ă  la mer siir une barque construite des dĂ©bris du vaisseau. Le pilote s’appercevant que le bĂątiment Ă©toit trop chargĂ©,avertit leChef,Edouard de Mello , qu’on alloit couler Ă  fond, si Tonne jetoit dans l’eau une douzaine de victimes. Le fort tomba entr’autres fur un soldat, qui avoit aussi son frere dans la mĂȘme barque. Celui qui avoit Ă©chappĂ© au sort Ă©toit le plus jeune. Il tombe aux genoux de Mello, & demande avec instance de prendre la place de son aĂźnĂ©. Mon frere , dit-il, est plus capable que moi il nourrit monpere , ma mere , mes sƓurs s'ils le perdent , ils mourront tous de mifere. Conservez leur vie en conservant la sienne , & faites-moi pĂ©rir, moi qui ne puis leur ĂȘtre d’aucun secours. Mello y consent, & le fait jeter Ă  la mer. Le jeune homme suit la barque pendant six heures enfin il la rejoint. On le menace de le tuer, s’il tente de s’y introduire des MƓurs. 44 f niais i’amour de Ta conservation l’em- po rte sur la menace, & il s’accroche au bĂątiment. On voulut le frapper avec une Ă©pĂ©e il la saisit A la retint jusqu’à ce qu’il fĂ»t entrĂ©. Sa constance toucha tout le monde on lui permit enfin de rester avec les autres, & il parvint ainsi Ă  sauver sa vie & celle de son frere. Le vĂ©ritable ami, dit l’Ecriture, aime en tout temps , s-f le frere se connaĂźt dans Ăźaficlion 17. Soyez le frere & l’ami de tous les malheureux, qui ont besoin de votre secours & qui l’implorent. TĂąchez de leur faire par les autres le bien que vous ne pouvez faire par vous - mĂȘme. C’est ĂȘtre bienfaisant & charitable que d’engager les personnes riches Ă  l’ĂȘtre on participe Ă  leur mĂ©rite & Ă  leur gloire, on partage leur bonheur. La ville de Verdun ayant Ă©tĂ© ruinĂ©e par les guerres, & ses habitans rĂ©duits Ă  la pauvretĂ© la plus extrĂȘme, Didier, qui en Ă©toit EvĂȘque , demanda des secours Ă  ThĂ©odebert Roi d’Austrasie, fous la domination duquel Ă©toit cette ville. Ce Prince lui envoya sept mille sous , somme considĂ©rable pour ce temps-lĂ  elle fut distribuĂ©e commerce se ranima, 77 Omni tempore Ăąiligit quiamicus est 9 & /rater en angujUis Prev. 17. 44 y Ă  -A» f4 *ar. &i&4 2 * ;- - O .M . U . ' A ‱J*'-J -> - , ^ - -I T .-0 . ‱ "' V wsa SI! LÉ C O L E DES MƒURS. 4 — - —- TOME TROISIEME. » / L’ÉCOLE DES M Ă  le mortifier. Aussi , loin de lui savoir mauvais grĂ©, on l’estime , on le remercie , & on ne l’en aime que davantage. Vous savez sans doute ce beau trait de M. de Turenne , qui a Ă©tĂ© souvent citĂ© & qui mĂ©rite toujours de l’ĂȘtre. Un jour d’étĂ© , il Ă©toit en petite veste blanche & en bonnet Ă  une fenĂȘtre de son antichambre. Un de ses gens survient, & trompĂ© par l’habillement, le prend pour l’aide de cuisine. Il s’approche- doucement par derriĂšre , & lui applique un grand coup fur les fesses. L’homme frappĂ© le retourne Ă  l’instant. Le valet voit en tremblant le visage de son maĂźtre il se jette Ă  ses genoux tout Ă©perdu Monseigneur , lui dit-il, j’ai cru que c’étoit Georges. Et quand c'eut Ă©tĂ© Georges , reprit M. de Turenne en se frottant le derriĂšre, il ne fallait pas frapper si fort. C’est toute la rĂ©primande qu’il fit Ă  ce domestique , & c’est ainsi qu’il enufoit Ă  l’égard des autres. Aussi Ă©toit-il Ă©galement adorĂ© de ceux qui le servoient & de tous ceux qui servoient sous lui. Le ton grondeur , les paroles aigres, une dure & inflexible sĂ©vĂ©ritĂ© rĂ©voltent, aigrissent & attirent la haine mais aussi trop de douceur autorise le mal & fait mĂ©priser. Soyez doux, mais soyez ferme quand il le faut & que vous le devez. C’est ĂȘtre vicieux que de ne pas rĂ©primer A s io L’ÉgoiĂŻ le vice , lorsqu’on est obligĂ© de le faire. C’est se rendre complice du mal, que de ne pas le reprendre fermement & l’arrĂȘter quand on en a le droit & le pouvoir. C’est-lĂ  ce qui rend si criminelle la malheureuse & pitoyable foibiesse de ces parens, qui, dans la folle tendresse qu’ils ont pour leurs enfans, dissimulent, dĂ©tournent la vue pour ne pas appercevoir les fautes les plus grandes , se retirent mĂȘme & disparoissent, pour avoir un prĂ©texte de ne rien voir & de ne rien dire. Si quelquefois ils se croient obligĂ©s de les reprendre de leurs dĂ©sordres devenus trop grands ou trop publics , c’est avec une foibiesse qui ne remĂ©die Ă  rien» qui augmente mĂȘme le mal, & rend les enfans plus effrontĂ©ment libertins ou vicieux. Parens mous & aveugles , votre tendresse cruelle leur est bien plus funeste, que si vous vous armiez, lorsqu’il est nĂ©cessaire , d’une juste sĂ©vĂ©ritĂ©. Quand les rĂ©primandes ne produisent rien, quand vous voyez des sautes sĂ©rieuses & rĂ©itĂ©rĂ©es, faites parler le devoir , faites-le parler en maĂźtre & en vengeur. En corrigeant vos enfans, ils ne vous en aimeront pas moins, mais ils vous respecteront davantage. Leurs larmes eiiuyp^s » ils vous rendront justice, vous remer- des MƓurs. xi Lieront peut-ĂȘtre, & sĂ»rement vous loueront un jour. Ce n’est pas qu’il faille employer fans cesse les rĂ©primandes & les corrections. On ne doit au contraire reprendre & punir que le plus rarement qu’il est possible ce qui est trop frĂ©quent ne frappe plus. C’est de la fermetĂ© qu’il faut, & non de la rigueur. Si l’on savoir mieux conserver son autoritĂ©, sans la compromettre mal-Ă -propos , ou fans laisser prendre Ă  un enfant fur foi un ascendant qu’on ne pcura plus lui faire perdre ; si on l’accoutumoit de bonne heure au res. pect & Ă  l’obĂ©issance, fans lui permettre d’y manquer jamais ; si l’on corrigeoit dans les commencemens les petites fautes , fans leur donner le temps de se changer en habitudes ; on n’auroit pas si souvent besoin dans la fuite d’employer les rĂ©primandes dures qui coĂ»tent beaucoup Ă  l’amour, ni de prendre la voie quelquefois inutile & toujours fĂącheuse des chĂątiment fĂ«veres. Ce que nous venons de dire pour les parens , convient aussi Ă  beaucoup d’égards aux personnes en place. La sĂ©vĂ©ritĂ© qui maintient le bon ordre,, est la gardienne des Etats. Elle est fur-tout absolument nĂ©cessaire, quand il faut contenir une multitude qui ne peut ĂȘtre arrĂȘtĂ©e que par la crainte, quand il faut rĂ©primer A 6 r r V É c o i, e le vice devenu Top hardi par l’impunitĂ©, ou qu’on doit humilier l’orgueil ^d’insolence. C’est cette louable fermetĂ© qui a rendu si cĂ©lĂ©brĂ© le nom de M. de Hurlai. Ce grand Magistrat, dont l’austere intĂ©gritĂ© ne dĂ©ridoit pas mĂȘme le front pour sourire Ă  la vertu & Ă  l’innocence Ă  qui elle rend oit justice , Ă©toit pour le vice d’une sĂ©vĂ©ritĂ© inflexible qui ne faisoit acception de personne. Il Ă©toit le flĂ©au de la chicane & de l’injustice. Il rĂ©pondit au Corps des Procureurs qui vinrent le fĂ©liciter , lorsqu’il sut fait Procureur- GĂ©nĂ©ral , & lui demander sa protection. Ma pi ctecfion , leur dit-il! les fripons ne l’auront pas , les gens de bien n’en ont pas besoin. Mais ce qu’il fit en qualitĂ© de Premier PrĂ©sident , prouve encore mieux fa sĂ©vĂšre fermetĂ©. Un riche Partisan enlevoit des blĂ©s dans une annĂ©e de disette, pour les revendre plus cher. M. de Har'ai l’envoya chercher. Le Fermier-GĂ©nĂ©ral vint dans un carrosse dorĂ© & chargĂ© de laquais. Les coursiers sringans, qui fai- soient retentir le pavĂ© , en entrant dans la cour firent un fracas qui imitoit le bruit du tonnerre. Il avoir un habit superbe , relevĂ© d’une broderie d’un goĂ»t exquis. M. de Harlai affecta de le laisser se morfondre dans son antichambre. Il le fit enfin entrer. Quand je vqus ai fait des MƓurs. ĂŻ? attendre, lui dit-il, j’ai consultĂ© ma vanitĂ© ; votre carrosse ornoit ma cour, & votre personne mon antichambre. Son visage serein devint ensuite sombre tout- Ă -coup. Monsieur, poursuivit-il d’un ton Ă  glacer le coupable d’essroi, je vous ai mandĂ© pour vous dire que j’ai appris que vous prĂ©valant de la chertĂ© des b'Ă©s, vous en faisiez de grands amas. Vous prĂ©tendez vous enrichir par la misĂšre du peuple & vous engraisser de fa substance, j’arrĂȘterai le cours de vos projets. Si'tous ces blĂ©s que vous avez amassĂ©s ne font pas vendus dans un mois, je vous ferai pendre. L’or & la faveur ne vous dĂ©roberont point Ă  la Justice. Le Fermier-GĂ©nĂ©ral interdit se retira. II osa porter ses plaintes au Roi fur le discours du Magistrat. Je vous conseille , lui dit le Roi, d’exĂ©cuter les ordres-qu’il vous a prescrits ; car s’il vous a menacĂ© de vous faire pendre , il le fera comme il le dit. Lorsque la nĂ©cessitĂ© de rĂ©parer le scandale , ou l’inutilitĂ© des rĂ©primandes sĂ©crĂ©tĂ©s ne vous oblige pas Ă  reprendre en public, faites-le toujours en particulier. On est mieux disposĂ© Ă  recevoir des avis humilians , quand la vanitĂ© en souffre moins. Observez la loi que la charitĂ© exige, & que prescrit l’Evangile. Epargnez au coupable une confusion qu’il ne i4 L’Êcou mĂ©rite pas; elle servirait plus souvent Ă  l’aigrir qu’à le corriger. Les plus sages d’entre les PaĂŻens mĂȘme ont reconnu l’obligation d’avoir les uns pour les autres ce mĂ©nagement. Socrate reprenant un jour en public un de ses amis, Platon lui dit qu’il aurait dĂč faire cette rĂ©primande en particulier Fous avez raison , lui rĂ©pondit Socrate , mais vous aujji vous auriez dĂ» me donner cet avis en particulier. Au reste, si vous n’ùtes point chargĂ© par Ă©tat de reprendre les autres , ne le Faites pas facilement, & n’imitez pas surtout l’in discrĂšte vivacitĂ© de quelques-uns, qui troublent le repos de tout le monde , parce qu’ils ne font jamais en repos. C’est un mauvais mĂ©tier que celui de censeur on se fait haĂŻr, & l’on ne corrige personne. Un Philosophe rĂ©pondit un jour Ă  un de ces censeurs de profession Comment me corrigerois-je de mes defauts , puisque tu ne te corriges pas toi-mĂȘme de l’envie de corriger ? Il est bien de petites choses qu’on doit se palier mutuellement, &sur lesquelles il n’est ni poli ni mĂȘme Ă  propos de fĂš reprendre. En gĂ©nĂ©ral, la plupart des hommes aiment mieux ĂȘtre applaudis que repris. Nous avons beau protester qu’on ne saurait nous faire plus de plaisir que de nous avertir de nos fautes & des MƓurs. \j dos dĂ©fauts le plus grand plaisir qu’on puilfe nous faire, elf de n’en pas prendre la peine. Relevez les talens, les qualitĂ©s, le mĂ©rite, mettez dans un beau jour les vertus obscures , approuvez les senti- mens, excusez les dĂ©fauts , ne faites pas semblant d’appercevoir les vices vous ferez le meilleur ami. Touchez aux imperfections , -aux penchans favoris , aux fautes qu’on aime Ă  se pardonner ou qu’on craint de reconnoĂźtre vous dĂ©plairez. Cependant un des principaux devoirs de l’amitiĂ©, un des plus grands services qu’on puifl’e rendre , c’est d’avertir son ami des lautes qu’il a commises, afin qu’il Ă©vite d’y retomber ; c’est de l'Ă©clairer fur ses dĂ©fauts qu’il ignore, ou qu’il prend pour des vertus par une illusion allez ordinaire Ă  l’amour-propre. Mais la sincĂ©ritĂ© qui doit ĂȘtre l’ame de l’amitiĂ©, est souvent ce qui la fait pĂ©rir. La plupart des .amis ne veulent pas ĂȘtre repris, ou s’ils permettent quelquefois qu’on le salle , ils exigent tant de mĂ©nagement, d’égard, de circonspection, il est si difficile de ne pas leur faire quelque peine,, ils reçoivent si froidement le second ou troisiĂšme avis , qu’on prend plutĂŽt le parti de se taire, de dilfimuler, de flatter. Cependant, on l’a dit & il est vrai » un ennemi qui nous reprend mĂȘme avec T I§ L’ É C O L ÂŁ aigreur , nous est plus utile qu’un ami flatteur & trop indulgent, parce que le premier nous dit toujours la vĂ©ritĂ©, & que l’autre ne nous la dit presque jamais. Un PoĂ«te du dernier siecle a donc eu raison de dire Oue j’aime d’un ami le langage sĂ©vere ! Que je hais le discours Hattear D’un esclave, d’un imposteur, Qui me trompe en voulant me plaire ! Perfide , loin de m’éclairer , Tu ne cherches qu’à m’égarer. Par tes discours foibies & lĂąches , Tu nu livres la guerre, en m'annonçant la paix/ Les vĂ©ritĂ©s que tu me caches, Sont des larcins que tu me fais. L'AbbĂ© Tes tu. Peu de personnes pensent aussi bien sur ce point que M. HelvĂ©tius, il avoir un vieux SecrĂ©taire, nommĂ© Ban dot, d’un caractĂšre chagrin , caustique & inquiet. Sous prĂ©texte qu’il avoit vu M. HelvĂ©tius dans son enfance, il se permettoit de le traiter toujours comme un prĂ©cepteur brutal traite un enfant. M. HelvĂ©tius l’écoutoit avec patience , & quelquefois en le quittant il disoit Ă  Madame HelvĂ©tius Mais eß -il pojjible que j aie tous les dĂ©fauts U tous les torts quil me trouve ? non , fans doute ; mais» enfin j’en ai un i des MƓurs. 17 peu Hs? qui est -ce qui men parleroit, si je navois pas Baudot ? Aimez de mĂȘme Ă  ĂȘtre repris & corrigĂ©. Si vous aviez au visage une tache qui vous rendĂźt ridicule, ne seriez-vous pas bien aise qu’on vous en avertit ? TĂ©moignez votre reconnoissance Ă  ceux qui .auront eu assez d’amitiĂ© & de confiance pour vous les taches de votre ame. Celui, dit l’Esprit-Saitit, qui cime la correiiion , aime la sciencemais celui qui hait les rĂ©primandes est un insensĂ© l. La honte d’avoir mal-fait devient une vertu , quand c’est le repentir qui la cause. Ne rougissez donc pas d’avouer vos torts. Celui qui a de l’élĂ©vation dans l’ame ne craint point de reconnoitre ses fautes & de les rĂ©parer. Charles IX, Roi de France, Ă©tant Ă  la chasse, vit un Gentilhomme qui couroit devant lui. Il lui cria plusieurs fois de s’arrĂȘter mais celui-ci ne l’entendant point, couroit toujours. Le Roi l’ayant atteint, lui donna quelques coups de houfsine fur les Ă©paules , en lui disant ArrĂȘte-toi donc. Le Gentilhomme sensible Ă  ce traitement se tourna vers le Prince & dit En quoi mĂ©pris i pesonne. Le mĂ©pris Ă©loigne les coeurs, & l’es, time les conciHe. Quoique nous n’aimions pas tou jours ceux que nous admirons & que nous estimons, nous aimons toujours ceux qui nous admirent & qui nous estiment. Mais ,si l’estime ne fait point d’ingrats , le mĂ©pris fait des ennemis & souvent des ennemis irrĂ©conciliables. Les hommes pardonnent quelquefois la haine & jamais le mĂ©pris. Si nous pouvions nous estimer mutuellement , il n’y auroit que de la douceur dans la sociĂ©tĂ©. L’inclination malheureuse que nous avons Ă  tĂ©moigner le peu de cas que nous faisons des personnes quine font pas vraiment dignes de mĂ©pris , est la source de presque tous les dĂ©sordres & des maux qui y rĂ©gnent. De lĂ  naissent les mĂ©disances malignes, les satires mordantes , les manquemens injurieux, qui produisent Ă  leur tour les haines mortelles , les longues inimitiĂ©s, les vengeances funestes. Gardons - nous donc de mĂ©priser les autres car il y a des gens qui n’oublient jamais de l’avoir Ă©tĂ© ; & G c’est une per- \ sonne d’esprit, une rĂ©ponse piquante & ingĂ©nieuse la vengera sur le champ. des MƓurs. L’AbbĂ© Des Fontaines , qui n’étoit, comme tant d’autres AbbĂ©s de Paris, EcclĂ©siastique que de nom, rencontra Piron qui Ă©toit habillĂ© plus magnifiquement qu’à l’ordinaire. Quel habit pour un tel homme , lui dit-il d’un ton mĂ©prisant ! Quel homme pour un tel habit , lui rĂ©pliqua Piron ! C’est , dit La Bruycre , une chose monstrueuse , que le goĂ»t & la facilitĂ© que nous avons de railler , d’improuver & de mĂ©priser les autres,& tout ensemble la colere que nous ressentons contre ceux qui nous raillent, nous improuvent & nous mĂ©prisent. Mettons-nous pour un moment en la place de celui Ă  qui nous voulons taire une offense, & nous ne l’offenserons pas. L’oubli de cette sage maxime , & le dĂ©sir que nous avons de nous Ă©lever au- dessus des autres, nous inspirent le penchant que nous avons Ă  mĂ©priser. Remplis d’ailleurs de la bonne opinion de nous-mĂȘmes, nous aimons Ă  nous comparer, & nous ne nous comparons guere que nous ne nous prĂ©fĂ©rions. C’est de lĂ  que naĂźt ce mĂ©pris , qui se nomme insolence , hauteur , ou fiertĂ©, selon qu’il a pour objetnos supĂ©rieurs,nos inferieurs, ou nos Ă©gaux. Il ne convient Ă  personne d'ĂȘtre fier & mĂ©prisant avec ses semblables c’est sottise , avec les personnes au- dessus c’est folie, & avec celles au-dessous c’est ridicule. R 4 ?L L’ É C O L E Les jeunes gens qui ont de la naiflance & du bien, font presque tous fiers & mĂ©prisa» s, Ă  moins que ce defaut n’ait Ă©tĂ© corrigĂ© par une excellente Ă©ducation ; mais souvent ce sont les Gouverneurs mĂȘme de la plupart de? ensans desGrands, qui fomentent leur orgueil au lieu de le rĂ©primer. On ne les entretient que de la noblesse de leur extraction, de la grandeur de leurs alliances, des prĂ©tentions de leur famille , au lieu de leur apprendre Ă  ĂȘtre modestes, polis, humains & affables Ă  tout le monde. Un Gentilhomme avoit Ă©tĂ© dans la familiaritĂ© d’un grand Prince. Quelque temps aprĂšs la mort de ce Prince , son fils trouvant fur ses terres ce Gentilhomme en Ă©quipage de chaise, fit semblant de ne pas le reconnoitre, & lui dit d’un ton mĂ©prisant Mon ami, qui t’a permis de chasser ici ? Le Gentilhomme piquĂ© de ce ton qu’il ne mĂ©ritoitpas, lui rĂ©pondit J*avois l’honneur d'ĂȘtre l'ami de Monseigneur votre ptre , jignorois que j'eußc L’honneur d’ĂȘtre le vĂŽtre. Le jeune Prince sentit sa faute, & chercha Ă  la rĂ©parer par beaucoup d’honnĂȘtetĂ©s. Il n’est que trop ordinaire de mĂ©priser ceux qui sont pauvres, & d’estimer les gens Ă  proportion de leurs richesses. Quand Louis fit son entrĂ©e Ă  Stras bourg, les Suisses lui envoyĂšrent des DĂ©putĂ©s. Un Courtisan qui Ă©toit auprĂšs du des MƓurs, Roi, ayant vu parmi ces DĂ©putĂ©s l’ËvĂȘ- que de Basle , dans un extĂ©rieur qui n’étoit rien moins que brillant, dit Ă  fort voisin C’est quelque misĂ©rable apparemment que cet EvĂȘque. Comment ! lui rĂ©pondit-on , il a six cents mille livres de rente. Oh , oh , c est donc un honnĂȘte homme. il lui fit mille caresses. Ce si ainsi qu’on pense & qu’on agit tous les jours. Faut-il s’étonner si les riches fur-tout ont tant de mĂ©pris pour ceux qui font dĂ©pourvus .des biens de la fortune ? Les personnes qui font prodigieusement , mais nouvellement enrichies, ne fauroient s’imaginer qu’il puisse y avoir d’autre mĂ©rite , & mĂ©prisent la noblesse , l’esprit, la science, tous les avantages les- plus estimables auxquels les richesses n’ont pas prĂȘtĂ© leur Ă©clat. Eblouis comme eux de cet Ă©clat extĂ©rieur & sĂ©duisant qui environne les grandes richesiĂšs, nous avons de la peine Ă  refuser notre admiration & notre estime Ă  ceux qui les possĂšdent ; tandis que nous ne jetons qu’un Ɠil dĂ©daigneux fur tout ce qui rampe dans l’indigence. C’est souvent nĂ©anmoins dans ces Ă©tats obscurs que nous mĂ©prisons, comme s’il y avoit quel- qu’autre chose de mĂ©prisable que le vice, que brillent les plus sublimes nous avons la plupart fies yeux si imbĂ©- ciiies, que nous ne voyous rien de grand / 54 L’ É c. o l e que sous la dorure. Moliere revenoit de la campagne. Il donna l’aumĂŽne Ă  un pauvre, qui, un instant aprĂšs, fit arrĂȘter le carrofle & lui dit Alonsieur , vous n’avez pas eu dessein de me donner une piece d’or. OĂč la vertu va-t-elle se nicher ! s’écria Moliere. Les conditions baises oĂč le commun des hommes se trouvent placĂ©s par la Providence , les fonctions serviles ou laborieuses qu’ils excercent dans la sociĂ©tĂ© , ne les dĂ©gradent point, & doivent au contraire les rendre prĂ©cieux & estimables, quand ils s’en acquittent bien. Louis XII , lorsqu’il n’étoit encore que Duc d’OrlĂ©ans , apprit qu’un Gentilhomme de sa maison avoir maltraitĂ© un paysan. Il ordonna qu’on ne servit point de pain Ă  ce Gentilhomme , mais seulement de la viande. Ayant su qu’il en murmurent, il le fit appeler, & lui demanda quelle Ă©toit la nourriture la plus nĂ©cessaire. L’Officier lui rĂ©pondit que c’étoit le pain. Eh ! pourquoi donc , reprit le Prince avec sĂ©vĂ©ritĂ©, ĂȘtes-vous assez peu raisonnable pour maltraiter ceux qui vous le mettent Ă  la main ? Un prĂ©jugĂ© encore bien commun, surtout parmi les femmes, & qui montre bien de la petitesse d’esprit, c’est de faire moins de cas d’une personne , parce qu’elle n’a pas la taille a tust belle ou la des MƓurs. jy figure auffi avantageuse qu’une autre. Le mĂ©rite, accompagnĂ© deces qualitĂ©s naturelles , 11e prĂ©vient fiais doute que mieux en fia faveur mais cesse-t-il d'ĂȘtre estimable , parce qu’il en est dĂ©pourvu ? Loin d’y ĂȘtre toujours attachĂ©, 11’arrive-t-il pas mĂȘme qu’il en soit sĂ©parĂ© le plus souvent; comme si la nature, jalouse de ses dons , aimoit Ă  les partager ? Le cĂ©lĂ©brĂ© PĂ©lijjon Ă©foit si difforme, qu’il ab usoit, disoit Madame de SĂ©vignĂ©, de la permiffioii qu’ont les hommes d’ùtre laids. Ce qui donna lieu Ă  une aventure assez plaisante. Une belle Dame qui ne le connoissoit point, le prit par la main, un jour qu’il passn t dans la rue , & le conduisit dans une maison voisine. Elle le prĂ©senta au maĂźtre du logis , en lui disant trait , comme cela. Elle le quitta ensuite brusquement, & s’en alla. PĂ©lisson surpris & peut-ĂȘtre flattĂ© de la distinction que la Dame avoit paru faire de lui, en demanda la cause au maĂźtre du logis. Celui-ci, aprĂšs s’en ĂȘtre dĂ©fendu , lui avoua qu’il Ă©toit Peintre. J’ai, dit- il, entrepris pour cette Dame la reprĂȘ- sensation de la Tentation de JĂ©sus - Christ dans le dĂ©sert. Nous contestions depuis une heure fur la forme qu’il fallait donner au diable, & elle vient de me dire quelle souhaite que je vous prenne pour modele . Cependant cet homme, si dĂ©figurĂ©, Ă©toit 1 * V É C O L E un des plus beaux gĂ©nies du siede de Louis XIV. Le diamant tombĂ© dans la boue, n’en est pas moins prĂ©cieux, & la poussiere que le vent Ă©leve jusqu’au ciel., n’en est- pas moins vile. Ne louez pas un homme pour fa bonne mine , dit le Sage; & ne le mĂ©prisez point , parce que son extĂ©rieur n’a rien qui Le releve. L'abeille esi petite entre les infectes volans , U nĂ©anmoins son fruit l'emporte jur ce qu'il y a de plus doux q . Un Officier d’un mĂ©rite rare par ses vertus & par ses miens militaires , mais d’une figure petite & mal - faite, ayant éé nommĂ© Gouverneur du Canada , les Iroquois lui envoyĂšrent des DĂ©putĂ©s pour renouveler leur alliance avec les François. ArrivĂ© Ă  QuĂ©bec, ils furent introduits chez le Gouverneur. Le Chef de l’Ambassade avoit prĂ©parĂ© un discours, dans lequel il employoit tout ce que sa langue avoit de plus riche & de plus pompeux pour faire l’éloge de la force du corps, de la hauteur de la taille , & de la bonne mine du GĂ©nĂ©ral qualitĂ©s que ces Sauvages estiment de prĂ©fĂ©rence. Surpris de voir toute autre chose que ce 3 Non laudes virum in fpccic sud, neque fpanas hommem in visu sua , ^ c. Eccli. il. des MƓurs. 3* qu’il avoit imaginĂ©, il sentit que sa harangue ne quadroit point au perlonnage. Sans le dĂ©concerter Il faut que tu Ăąges une grande cime , lui dit- il , puisque le grand Roi des François t envoie ici avec un ß petit corps. Le Chancelier Bacon n’avoit pas une idĂ©e aussi avantageuse de ces hommes qui ne {ont au - ded’us des autres que par la grandeur de leur taille. Un Ambassadeur de France auprĂšs du Roi d’Angleterre Jacques I, ayant montrĂ© dans lĂ  premiĂšre audience plus de vivacitĂ© & de lĂ©gĂšretĂ© que de jugement & d’esprit, le Roi demanda aprĂšs l’audience Ă  Bacon ce qu’il peni’oit de l’Ambassadeur. 11 rĂ©pondit que c’étoit un homme grand & bien sait. Mais , reprit le Roi, quelle opinion avez-vous de lĂ  tĂȘte? est-ce un homme qui soit capable de bien remplir sa charge ? Sire , rĂ©pondit Bacon, des gens de grande taille ressemblent quelquefois aux maisons de quatre ou tinq Ă©tages , dont le plus haut appariement est d'ordinaire le plus mal meublĂ©. Les petits vases renferment souvent les choses les plus prĂ©cieuses & les plus estimables. Le Prince de CoudĂ© ayant demandĂ© Ă  un Lieutenant-GĂ©nĂ©ral quelqu’un qui pĂ»t lui rendre un compte exact de la situation des ennemis, celui-ci lui amena un Soldat de fort mauvaise mine. 38 L’ É c o l e Le Prince le rebuta & en demanda un autre. Le Lieutenant-GĂ©nĂ©ral en fit venir sucçeffivement deux de meilleure mine, qui furent acceptĂ©s & s’acquittĂšrent fort mal de leur commiffion. On eut recours au premier, qui rendit un compte si exact, que le Prince satisfait s’engagea de lui accorder la grĂące qu’il dĂ©sireroit. LeSoldat lui demanda aussi-tĂŽt son congĂ©. LĂš Prince Ă©tonnĂ© lui offrit de le faire Capitaine. Monseigneur , lui rĂ©pondit le Soldat, vous m’avez mĂ©prisĂ©, je ne fers plut le Roi. Le grand CoudĂ©, esclave de sa parole , satisfit Ă  la demande du Soldat, en tĂ©moignant Ă  tout le monde le chagrin qu’il en avoir. Cette injuste prĂ©vention , qui fait estimer ou mĂ©priser les personnes fur le tĂ©moignage si Ă©quivoque de la figure, prononce aussi de mĂȘme fur celui des habil- lemens ; car c’est souvent l’habit qui dĂ©cide de l’estime ou du mĂ©pris, comme si la sottise ne se trouvoit jamais fous un habillement riche & de grand prix; ou que le mĂ©rite fĂ»t incompatible avec un habit auisi simple & aulsi modeste que lui. Les gens sensĂ©s n’accordent de la considĂ©ration Ă  l’habit, que jusqu’à ce qu’ils aient connu la personne. C’est ce que les Russes expriment par ce beau proverbe On reçoit l'homme selon l’habit qu'il porte , & on le reconduit selon B E S M ƒ U R S. Vesprit quil a montre. Mais la plupart se Vaillent prĂ©venir par l’extĂ©rieur, & jugent du fond par la surface. Un Savant parut Ă  la Cour avec un habit qui n’annonçoit pas l’opulence. Un jeune Prince qui le vit, dit avec mĂ©pris Qu’est-ce que ce misĂ©rable qu’on laisse entrer ? Prince , lui rĂ©pondit son sage Gouverneur, cest un homme. 11 lui rappela dans un autre moment tout ce que le nom d'homme renferme d’auguste. 11 lui fit voir Ă  combien de titres celui-ci mĂ©ritoit plus de considĂ©ration, que beaucoup d’autres qui fonte magnifiquement vĂȘtus. Le jeune Prince avoir de l’esprit. Il rougit de ce que l’orgueil, lui avoir fait dire. Il fit venir l’honnĂȘte homme qu’il avoir d’abord refusĂ© devoir, & lui fit un accueil gracieux. Si l’on rĂ©flĂ©chit attentivement sur la rĂ©ponse de ce Gouverneur, on en sentira bientĂŽt la justesse & la vĂ©ritĂ©, puis, qu’il n’y a rien dans l’homme de plus grand que sa qualitĂ© d’homme. Nous n’approfondirons pas ici cette question nous dirons seulement que puisque nous portons en notre ame l’image de la DivinitĂ©, il y a une espece de sacrilĂšge Ă  nous mĂ©priser les uns les autres. Nous nous devons rĂ©ciproquement un respect inviolable ; & nous ne pouvons fans crime nous refuser le mĂȘme honneur 4o L’ E c o l e qu’on porte Ă  tout ce qui reprĂ©sente la DivinitĂ© ou les Rois de la terre, puisque nous sommes tous la vive image de Dieu, & aprĂšs lui les Rois de la nature. Si les jugemens d’estime ou de mĂ©pris, qu’on prononce d’aprĂšs l’habillement ou la "figure , font presque toujours auffi faux qu’injurieux ; ceux qu’on porte des diffĂ©rens peuples , ne le font pas moins. Les satires qu’on fait d’une nation , comme celles qu’on fait d’un sexe, sont toujours injustes , parce qu’elles attaquent un nombre infini de personnes Ă  qui elles ne conviennent point. On fĂ»t la belle rĂ©ponse d’un Philosophe Scythe Ă  un AthĂ©nien qui lui reprochoit lĂ  patrie. Je suis, lui dit le Philosophe , la foire de mon pays , ÂŁ tu es la honte du tien. Le -Sage ne se livre point Ă  cette prĂ©vention nationale il estime le mĂ©rite, sous quelque climat qu’il soit nĂ©. Un Ambaisadeur de France, trop prĂ©venu en saveur de sa nation, disoit Ă  un Seigneur de la Grande-Bretagne V Anglois est lien estimable hors de son Isi'e. Il a du moins fur vous , rĂ©pliqua le Lord , l'avantage de l'ĂȘtre quelque part. La repartie Ă©toit piquante , maĂŻs l’Ambassadeur l’a voit mĂ©ritĂ©e. On a long- temps attachĂ© en France avec beaucoup d’injustice un sens odieux au mot Allemand. Le MarĂ©chal de des MƓurs. 41 Schomberg, qui Ă©toit de cette nation, avoit un MaĂźtre-d’hĂŽtel, qui voulant s’excuser d’avoir mal rĂ©uffi dans une Commission , dit Ă  son maĂźtre Je crois que ces gens-lĂ  rri ont pris pour un Allemand. Ils avoient tort , rĂ©pondit le MarĂ©chal avec beaucoup de flegme, ils dĂ©voient vous prendre pour un sot. - C’est quelquefois, parmi les gens malĂ©levĂ©s, uneespecede bel air, de paroitre mĂ©priser les femmes, & d’en dire beaucoup de mal, comme si les vertus, les talens, les belles qualitĂ©s de l’esprit & du cƓur n’étoient pas des deux sexes. C’est d’ailleurs nous dĂ©shonorer nous- mĂȘmes, puilque fans elles nous ne serions point, & que nous leur sommes redevables de tant de foins & d’attentions , qu’on ne peut ĂȘtre qu’ingrat en les mĂ©prisant. Une Dame entendant un jeune Ă©tourdi, qui mĂ©prisent tout le sexe , dit aux personnes qui Ă©toient avec elle Ce jeune hunme n’a-t-il point, de mcre ? Que dirons-nous de ceux qui ne parlent qu’avec mĂ©pris des personnes spĂ©cialement consacrĂ©es Ă  Dieu ? Ce n’est pas seulement indĂ©cence & irrĂ©ligion , c’est n’avoir ni Ă©quitĂ© ni justice. Il y a parmi les EcclĂ©siastiques & les Religieux des hommes d’un mĂ©rite rare, qui les Ă©leve bien au-dessus delĂ  plupart de ceux qui les mĂ©prisent. L’AbbĂ© AlbĂ©roni , 4L L’É c o l s de CurĂ© d’un village d’Italie, Ă©tant devenu, comme nous l’avons dit, AumĂŽnier du Duc de VendĂŽme, mangeoit Ă  la table des Gentilshommes de ce Prince. Leur orgueil s’en crut humiliĂ© , & ils en murmurĂšrent. Le Duc, qui en lut instruit, ordonna un soir qu’on lui prĂ©parĂąt Ă  souper dans lĂ  chambre, & qu’on mĂźt deux couverts. Comme il ne loupait jamais, tous les Officiers de l’armĂ©e qui venaient lui faire la cour, & tous ceux de fa maison furent surpris de cette nouveautĂ©. Ils le furent bien davantage, lorsque le MaĂźtre-d’hĂŽtel ayant servi, le Duc de VendĂŽme dit Ă  l’AbbĂ© AlbĂ©roniqui Ă©tait prĂ©sent, de se mettre Ă  table. Quelques personnes , ajouta- 1 - il , font difficultĂ© de manger avec mon AumĂŽnier ; pour moi , je m’enfuis honneur , Ă  cause de son caraĂȘlere de PrĂȘtre xi de son mĂ©rite personnel. On traite souvent les EcclĂ©siastiques & les Religieux, de gens inutiles ; & ceux qui leur font ce reproche, font quelquefois ceux-lĂ  mĂȘmes Ă  qui il conviendrait mieux. Un libertin disait un jour A quoi fervent au monde tant de PrĂȘtres , tant de Religieux xi de Religieuses ? A quoi y servez-vous, lui rĂ©pondit-on ? Ceux que vous regardez comme les plus inutiles , font fur la terre ce que vous devriez y faire & ce que vous n’y faites pas. Ils acquittent pourrons les hommes ses MƓurs. ssj un devoir, que la plupart des gens du monde nĂ©gligent ou ne veulent pas remplir. Ils font occupĂ©s tous les jours Ă  louer , Ă  remercier le souverain MaĂźtre de l’univers, le suprĂȘme dispensateur de tous les biens. Ils le prient pour la prof, petite des royaumes , des villes & des familles. Cette fonction peut-elle donc paroĂźtre vile & mĂ©prisable ? En vain allĂ©- gueroit-on quelques dĂ©sordres, quelques inconvĂ©niens;quelle institution humaine n’a pas les siens ? Quand la chose est bonne en elle - mĂȘme , & n’a que des abus en petit nombre ou faciles Ă  corriger ; ils peuvent servir de prĂ©texte, & non de raison pour mĂ©priser ou abolir une choie utile 4. Tel est le fonds inĂ©puisable d’orgueil que nous avons dans notre cƓur, que rien n’est Ă  l’abri de nos dĂ©dains injurieux. Les Ordres mĂȘme de l’Etat les plus respectables , qui ne devraient s’accorder que de l’estime , fe prodiguent le mĂ©pris. 4 On peut voir dans le savant CathĂ©chisme Philosophique de M. FlĂ©xier de RĂ©va! , ou plutĂŽt le Al. l’AbbĂ© de Feiler, plusieurs avantages rĂ©els, que la sociĂ©tĂ© civile retire des Maisons Religieu ses avan. tages qui, pjfĂ©s dans la bal-ince d’une raison impartiale » ont fuit regretter Ă  des Protestans mĂȘme qu’on les ait entiĂšrement abolies parmi eux Un uteur Anglois se plaint de la dĂ©population en Angleterre, il l’attribue avec raison au libertinage, qui dĂ©vaste fluslcsEuĂźs que le cĂ©libatEcclĂ©liaitique & Religieux* 44 L’ÉcolĂŻ La grande noblesse mĂ©prise la petite ; celle-ci mĂ©prise les hommes de Robe & d’Eglise, qui ont soin de lui rendre la pareille. Mais que gagnons-nous Ă  nous mĂ©priser les uns les autres ? S’il est vrai que dans un si Ă©tiange commerce, ce qu’on pense gagner d’un cĂŽtĂ©, on le perd de l’autre, ne vaudroit-il pas mieux renoncer Ă  toute hauteur & Ă  toute fiertĂ© qui sied si peu aux soi blĂ©s hommes, & convenir ensemble de se traiter tous avec une mutuelle bontĂ©? ce qui, avec l’avantage de n’ùtre jamais mortifiĂ©s, nous en procureroit un bien plus grand encore, celui de ne mortifier personne. 1 a fiertĂ©, le dĂ©dain, le rengorge ment , si l’on peut s’exprimer ainsi, nous attirent tout le contraire de ce que nous cherchons , si c’est Ă  nous faire estimer. Regardez dans la sociĂ©tĂ© , dit La Bruyere , qui sont ceux que tout le monde mĂ©prise ou dĂ©teste ce sont ceux qui ont le plus de dĂ©dain, de hauteur ou de fiertĂ© pour les autres. Si vous voulez vous y faire aimer, que votre commerce soit doux ne faites point sentir votre supĂ©rioritĂ©. L’esprit, les ta- lens, le mĂ©rite, le rang & la foraine font pour les autres un poids assez pesant, sans l’augmenter de celui de l’ostentation. Ces avantages, si vous les possĂ©dez, vous feront assez d’envieux, fans que vous vous faisiez encore des ennemis ; & le D E S M ƒ U R S. 4s dĂ©dain ne manque jamais d’en attirer, On risque toujours beaucoup Ă  mortifier l’amour-propre des autres, comme on ne perd jamais rien Ă  l’obliger. L’humiliation marche souvent Ă  la fuite de l’orgueil l’Oracle divin l’a prononcĂ©, & nous en-voyons tous les jours l’accomplissement. Le monde rabaisse ceux qui s’enflent 5 . Quiconque veut s’élever au-dessus des autres, ne trouvera que ce qu’il fuit. Mais l’orgueil, cette source fĂ©conde & malheureuse de nos mĂ©pris, est une de ces pallions, dont on ne guĂ©rit que bien difficilement la dĂ©raciner du cƓur, c’est le triomphe de la religion. Les plus excellent remedes , que la raison & la religion nous offrent contre la fiertĂ© mĂ©prilante que l’orgueil nous inspire , c’est de moins penser Ă  nos bonnes qualitĂ©s qu’à nos dĂ©fauts, & plus Ă  ce qui nous manque qu’à ce que nous pollĂ©dons. Souvent nous n’estimons si peu les autres , que parce que nous nous estimons trop. Au lieu de ramener notre attention fur ce que nous valons , portons-la fur les bonnes qualitĂ©s des autres. Pourions-nous encore nous prĂ©valoir de quelque chose , Il nous voulions faire s Omnjs qui se exaltat , kumiliabitur. Luc. 13» $upĂšibum j'cjUitur humUnas. i'rov. 2 A. 46 L’École rĂ©flexion que mille personnes valent mieux que nous ? Si ce sont des qualitĂ©s naturelles, qui vous inspirent tant de complaisance pour vous-mĂȘme & tant de mĂ©pris pour les autres songez que ces avantages ne font pas le prix de votre vertu ni l’ouvrage de vos mains, mais des prĂ©sens de l’Auteur de votre ĂȘtre. Ce que nous avons ne vient pas de nous ; & si nous l’avons reçu, pourquoi nous en glorifier ? pourquoi mĂ©priser ceux qui ont Ă©tĂ© moins bien partagĂ©s que nous 6 ? Il est souvent plus dangereux d’avoir ces avantages , qu’il n’est honteux de ne lĂ©s avoir pas, parce qu’il est facile d’en abuser ; & l’on en rendra un compte si sĂ©vere Ă  celui de qui on les a reçus, qu’on doit plutĂŽt en concevoir de la crainte que de ' la vanitĂ©. Est-ce l’étendue de vos connoifsances ou les lumiĂšres de votre esprit, qui vous rendent si fier & si mĂ©prisant Ă  l’égard de ceux qui en ont, ou que vous croyez en avoir moins que vous? Mais ĂȘtre infatuĂ© de foi, dit La Bruycre , & ĂȘtre fortement persuadĂ© qu’on a beaucoup d’esprit , est un accident qui n’arrive guere /6 Ould habcs quoi non accepißi ? ß aut&m accc ‱ flfli , qiĂŻid gloriaris quasi non acceperis ? J. Cor 4. 1t ui ur les mt lĂźa V lu. >ns >ns ur- ins U. in. air ,& e a ois ye in- ’or- ire deg MƓurs. 47. qu’à celui qui n’en a point, ou qui en a peu. Cet esprit d’ailleurs qui devroit faire notre plus grande gloire , est souvent pour nous un sujet de confuiĂźon par les prĂ©jugĂ©s, les entĂȘtemens, les opinions faulles dont il est rempli, par les absurditĂ©s & les extravagances, dans lesquelles il se surprend lui-mĂȘme, & qui lui Ă©chappent comme malgrĂ© lui. Un rien aulfi peut le dĂ©ranger ; & ce qui doit bien humilier notre orgueil, c’est que les plus grands esprits ont souvent eu des atteintes de folie. Le cĂ©lĂ©brĂ© Pascal, ce gĂ©nie sublime , ce profond MathĂ©maticien , eroyoit toujours voir un abyme Ă  son cĂŽtĂ© gauche , & y faisoit mettre une chaise pour se rassurer. Ses amis avoient beau lui dire qu’il n’y avoit rien Ă  craindre , que ce 11’étoit que les alarmes d’une imagination Ă©puisĂ©e par une Ă©tude abstraite & mĂ©taphysique il convenoit de tout cela avec eux , & un quart-d’heure aprĂšs il se creusoit de nouveau le prĂ©cipice qui l’eisrayoit. C’est louer moins qu’on ne croit, que de dire d’une personne qu’elle a beaucoup d’esprit, si l’on ne peut ajouter qu’elle en fait un bon usage. Combien de gens qui, pour avoir trop d’esprit, n’ont pas le sens commun. A l’égard de nos connoilfances dont nous tirons tant de vanitĂ©, qu’est-ce que 43 L’ É c o l e savent la plupart des hommes , & comment le savent-ils ? souvent d’une maniĂ©rĂ© si trouble & si confuse , que ces prĂ©tendues connoiisances ne servent qu’à les jeter dans l’erreur. Le nombre de leurs connoiisances est bien petit, en comparaison de la masse infinie de ce qui leur resteroic Ă  savoir encore ces con- noissances font - elles comme ensevelies dans un amas encore plus grand d’erreurs. Et cependant on s’enfle de l’acquisition de ce tĂ©nĂ©breux butin, comme s’il importoit plus de savoir beaucoup que de bien savoir. Je conviens qu’il y en a qui fi vent mieux, avec plus de clartĂ© & de distinction ; ce qui fait les vrais favans, puis qu’une foule de connoiflĂ nces entassĂ©es ne fait pas plus un savant, qu’un tas de E ierres rassemblĂ©es au hasard ne fait un el Ă©difice. Mais ceux-mĂšmes qui savent le mieux, ne sont-ils pas les premiers Ă  reconnoitre combien les connoiisances de l’homme font bornĂ©es? Ils se trouvent en bien des matiĂšres environnĂ©s d’abymes impĂ©nĂ©trables, de tĂ©nĂšbres, d’incertitudes ; ils ne saur oient faire un pas fans trouver des difficultĂ©s. Au lieu d’apprendre ce qu’on ignoroit, on ne parvient quelquefois, Ă  force d’étude, qu’à dĂ©lĂ pprendre ce qu’on croyoit savoir. Aulii n’y en a-t-il pas de plus humbles des MƓurs. 49 humbles que ceux qui savent le plus. Les ignorans font vains & hardis, parce qu’ils ne connoissent point leur ignorance le savant ne peut se dissimuler la sienne Ă  bien des Ă©gards, & il en est plus disoit un jour au savant Vojsuis , dont la vaste Ă©rudition brille dans tous ses ouvrages, qu’on ne pen- soit pas qu’il y eĂ»t rien dans les Lettres & dans les Sciences qu’il ignorĂąt. Vous vous trompez fort , rĂ©pondit-il, je nefais pas le quart des choses que bien des jeunes gens croient savoir. Jules Scaliger, moins savant & plus vain, avoit coutume de dire qu’il igno- roit trois choses D’oĂč provient l’intervalle qui se trouve dans la fievre entre les accĂšs Comment on peut rappeler Ă  la mĂ©moire une chose qu’011 a oubliĂ©e Et la cause du flux & du reflux de la mer. Eh, qu’il y avoir de choses qu’il ignoroit, dont il ne se vantoit pas ! Quand on jette de mĂȘme un regard rĂ©flĂ©chi fur les autres choses qui inspirent de la hauteur & de la fiertĂ© au grand nombre des hommes, on ne sauroit n’en ĂȘtre pas Ă©tonnĂ©. N’est-cepas, par exemple, quelque chose de plus ridicuse que tout ce qui nous fait rire, que la broderie & la dorure entrent dans les raisons qu’on a de s’estimer davantage, & qu’on soit en effet pour cela seul plus estimĂ© Tome IIL C f L’ É'C O L E delaplupart? Qu’un homme riche ment vĂȘtu veuille ĂȘtre moins contredit qu’un autre, & rĂ©ellement le soit beaucoup moins? qu’on prĂ©tende Ă  la considĂ©ration par des chevaux plus fins , par des Ă©quipages plus Ă©lĂ©gĂ ns , par des livrĂ©es plus brillantes, par des ameublemens plus prĂ©cieux, & qu’on l’obtienne i Telle est notre vanitĂ©, que nous estimerions peu les richeißés, fi elles ne nous four- nissoient le plaisir d’avoir ce que les autres n’ont pas, & de l’emporter fur eux. Cette vanitĂ© est si grande, que nous la mettons dans les choses mĂȘme qui, par leur premiĂšre destination, dĂ©voient servir Ă  couvrir notre nuditĂ© & notre honte. Une personne trop recherchĂ©e dans ses habiĂźlemens, & qui fait trop d’attention Ă  ses habits ou Ă  ceux des autres, donne lieu de soupçonner qu’elle 11e connoit pas de plus grand mĂ©rite, & qu’elle-mĂȘme n’en a point d’autre. Si elle en est delĂ plusfiere & plus mĂ©prisante , la chose n’est plus douteuse. Les vĂštemens magnifiques, en donnant aux petits gĂ©nies , comme il arrive ordinairement, de la hauteur, de la fiertĂ©, du dĂ©dain, un certain ton de suffisance & d’amour-propre, ĂŽtent au caractĂšre & Ă  l’esprit, ce qu’ils ajoutent au corps & Ă  la figure. Si cela est, ne peut-on des MƓurs. y t pas dire qu’ils font perdre plus qu’ils ne donnent, & qu’ils rendent souvent plus digne de mĂ©pris que d’estime? On doit penser de mĂȘme des autres choses extĂ©rieures, qui ont coutume d’inspirer de la fiertĂ©, & qui pourtant n’ajoutent pas le plus petit poids au mĂ©ritĂ©. Telles font les riciielies. Quoiqu'elles n’aient rien de mĂ©prisable, elles n’ont rien aussi de glorieux en elles- mĂȘmes. Souvent,fi l’on vouloir remonter Ă  la source ou examiner l’usage qu’on en frit, on trouveroit qu’elles font plutĂŽt un sujet de honte que de vanitĂ©. Mais le riche, qui n’a garde d’approfondir ‱Ta chose, reçoit les respects extĂ©rieurs dont on encense sa vanitĂ© , comme un tribut qu’on rend Ă  son excellence. Si les richesses n’augmentent point son mĂ©rite, elles augmentent l’opinion qu’il en a. Il ne manque pas de s’agrandir de ce que les autres lui accordent, tandis qu’ils ne s’enrichissent guere de ce qu’il leur donne. De lĂ  naissent cette hauteur , cette fiertĂ©, ce ton dĂ©daigneux & rnĂ©pri. faut, si ordinaire aux nouveaux riches. Mais ils n’ont pas toujours des flatteurs pour leur applaudir, & ils ont souvent la mĂŽrtification de voir leur orgueil humiliĂ© & confondu. Un ancien Philosophe ayant Ă©tĂ© invitĂ© avec quelques Savans par un affranchi devenu riche p L’École & orgueilleux, cet homme nouveau, pour se moquer des questions que les Philosophes agitent souvent entre eux,lui demanda , d'oĂč vient que d’une feve noire b d’une blanche il sort une farine de mĂȘme couleur. Le Philosophe indignĂ©, pour lui rappeler sa premiĂšre condition dont le fouet Ă©toit le chĂątiment ordinaire, le pria de lui dire auparavant, d’oĂč oient que deux fouets , l’un de laniĂšres blanches l’autre de noires , font les memes marques fur le dos de celui quon chĂątie. Le Chevalier de CaiW. , dans une de ‱ses Ă©pigrammes, dit auflĂź fort bien contre un de ces nouveaux riches fiers & dĂ©daigneux Parce qu'un fort grand bien s'est venu joindre au vĂŽtre , A peine Ă  nos discours rĂ©pondez-vous un mot. Quand on est plus richs qu'un autre, droit d’en ĂȘtre plus sot? Si vous ĂȘtes riche & heureux que votre fĂ©licitĂ© A votre abondance ne vous donnent point de l’orgueil & de la fiertĂ©, mais plutĂŽt de la bontĂ© & de la com- paffion. Les misĂ©rables que vous voyez, dit l’Auteur des Conseils de la Sagesse , font une image affreuse mais naturelle de ce que vous seriez, s’il plaisoit Ă  la frovidenee divine de vous abandonner , si elle celsoit, comme elle pouroit le des MƓurs. §; faire, de rĂ©pandre sur vous ses bĂ©nĂ©dictions & de vous combler de biens. Vous seriez ce qu’ils font, si Dieu n’avoit eu pour vous des foins & des bontĂ©s particuliĂšres. Qui peut mĂȘme le flatter de ne pas devenir malheureux ? & qui oseroit se croire inĂ©branlable dans la prospĂ©ritĂ© ? Celui qui ne craindroit point les revers de la fortune , mĂ©riteroit d’en servir d’exemple. Mais comment peut-on se lailser aller aux Ă©blouiflemens de l’orgueil, quand on rĂ©flĂ©chit sĂ©rieusement fur la fragilitĂ© de ces biens fugitifs ? Rien n’est plus voisin de la pauvretĂ© que les grandes richesses. Il faut mille degrĂ©s pour monter au temple de la Fortune, il n’en faut qu’un pour en descendre. Une prospĂ©ritĂ© qui paroissoit inĂ©branlable, est renversĂ©e en moins de temps qu’on n’est Ă  le dire. Les plus obscures nuits succedentaux plus beaux jours; & l’orage fond quelquefois dans le moment que le ciel Ă©toit le plus calme. Aufli le Sage nous recommande- t-il de penser Ă  la pauvretĂ© dans le temps de l’abondance, parce que du matin au soir le temps change ; U tout cela , dit-il, arrive en un moment sous les ueux de Dieu 7. 7 . ‱. Ex htzç omnia citata in oculis Dei, Eccli. 1 8* c - f4 L’.Ê C O L E ‱q= L Enttndi[ raillent. Quelque chose qu’on vous dise en badinant, ne vous en offensez pas aisĂ©ment. Entendre raillerie est la plus sĂ»re marque d’un bon esprit. Il n’y a que les petits gĂ©nies qui se choquent de tout il n’y a guere que ceux qui font mĂ©prisables , qui craignent d’ĂȘtre mĂ©prisĂ©s. Ne relsemblez pas fur-tout Ă  ces caractĂšres pointilleux, qui s’imaginent toujours que c’est contre eux qu’on dirige tous les traits qu’on lance, ou qui se piquent des plaisanteries les plus innocentes. Il n’est jamais permis de badiner avec eux tout les offense , tout est pour eux entourĂ© d’épines , ils se sentent piquĂ©s de tout ce qui les touche le plus lĂ©gĂšrement. Les politesses mĂȘme les plus honnĂȘtes, mais un peu libres & familiĂšres , choquent ces esprits ombrageux ils y trouvent un certain je ne fais quoi qui les blesse. Vous les voyez soudainement hors d’eux-mĂȘmes entrer en des fougues terribles, parce que vous avez laissĂ© Ă©chapper la plus lĂ©gĂšre raillerie , ou parce que leur imagination blessĂ©e a vu dans vos yeux quelqu’un de ces regards Ă©quivoques qu’ils n’entendoient pas. Ils se persuadent que vous avez des MƓurs. ss voulu les offenser 7 & ils s’offensent. Quoique vous n’ayez nullement pensĂ© Ă  les insulter ou Ă  leur faire de la peine, ils fe croient attaquĂ©s , & ils vous attaquent comme des furieux. Tel Ă©toit Cyrano de Bergerac, auteur du Perlant j'uĂš. Le nez de Cyrano, qui Ă©toit tout dĂ©figurĂ© , lui a fait tuer plus de dix personnes il ne pouvoir souffrir qu’on le regardĂąt fixement, & il faisoit auilĂź-tĂŽt mettre l’épĂ©e Ă  la main. Si son badine de votre figure , riez-en le premier. Le secret d’empĂšcher la raillerie est de la prĂ©venir, & le moyen le plus efficace de l’arrĂȘter est de la bien prendre. C’est ĂŽter Ă  ceux qui veulent rire de nous le plus dĂ©licat du plaisir, que d’en rire nous-mĂȘmes , comme faisoit M. Heidegger. Il Ă©toit nĂ© dans un village de la Susse. Il vint Ă  Londres chercher fortune , & il parvint Ă  ĂȘtre' Directeur des jeux de la nation. Il avoir beaucoup d’esprit & de vivacitĂ© , mais encore plus de laideur. La difformitĂ© de son visage Ă©toit affreuse, & la nature lui avoir donnĂ© de plus une rotonditĂ© excessive ce qui le rendoit monstrueux. Mais il Ă©toit le premier Ă  en plaisanter. 11 fit mĂȘme un jour une gageure singuliĂšre contre Lord Chesterfieid il paria qu’on ne trouveroit point dans tout Londres un visage plus hideux que le s6 V É C O L E sien. Lord Chesterfield, aprĂšs de pĂ©nibles recherches , dĂ©couvrit enfin une vieille d’une laideur horrible. Cette vieille & M. Heidegger se prĂ©sentĂšrent devant les juges du pari, qui, au premier aspect, dĂ©cidĂšrent que la vieille Ă©toit la plus laide, & que Lord Chef- terfield avoit gagnĂ©. M. Heidegger appela de ce jugement, allĂ©guant que pour qu’il y eĂ»t droit Ă©gal, la vieille & lui dĂ©voient paroĂźtre fous le mĂȘme ajustement. il se para de la coiffure, & fous cette nouvelle forme il parut si Ă©pouvantable aux juges, qu’ils furent obligĂ©s de lui adjuger le pari. Il ne convient qu’aux gens fans esprit ou sans Ă©ducation , de se fĂącher contre celui qui les raille , ou de lui rĂ©pondre par des injures. Ce n’est pas qu’il faille se laisser moquer comme un sot, ou ßaroitre insensible aux traits les plus piquans. Mais on doit riposter Ă  propos, & tĂącher de faire retomber fur ceux qui nous badinent les traits qu’ils dĂ©cochent fur nous. Un Courtisan , grand dissipateur , voulant se moquer de M. de Lort, MĂ©decin du Cardinal de Richelieu , le pria de lui dire quelle maladie il pouvoir avoir , & pourquoi ne sentant aucune douleur, buvant bien , mangeant bien , dormant tout de mĂȘme, ses excrtmens Ă©toient toujours verts. Il m des MƓurs. sj faut pas s’étonner de cela, rĂ©pondit le MĂ©decin, c’esi que vous avez mangĂ© tout votre bien en herbe. Quelques Chevaliers de Malte parvient un jour fur le danger dont ils fembloienc ĂȘtre menacĂ©s par les Turcs , qu’on difoic venir fondre fur eux avec cent mille hommes. L’un de ces Chevaliers fe nommoit Samson , mais il Ă©toit de fort petite taille. Quelqu’un de la compagnie dit en riant Messieurs , quelle raison y a-t-il de s’alarmer ? N’avons-nous pas un Samson parmi nous ? il suffira seul pour dĂ©truire toute l’armĂ©e des Turcs. Ce discours excita une grande risĂ©e. Mais le Gentilhomme changea bientĂŽt les rieurs par fa rĂ©ponse. Vous avez raison, Monsieur , lui rĂ©pliqua-t-il aufĂźi-tĂŽt; mais pour faire ce que vous dites , il me faudrait une de vos mĂąchoires , Es? alors je ferais des miracles. Quoique la repartie ne soit gucre permise Ă  l’égard de ceux qui lont au-dellus de nous, le respect dĂ» au rang n’en met pas toujours Ă  couvert. Le badinage qui place en quelque forte l’agrelfeur & l’offensĂ© de niveau, attire quelquefois aux Grands mĂȘme des rĂ©ponses d’autant plus mortifiantes,qu’ils s’y attendoient moins. François Premier fut, comme on fait, vaincu & fait prisonnier par les ImpĂ©riaux Ă  la bataille de Pavie. Quelque C s 58 V É c O L E temps aprĂšs ĂȘtre sorti de si prison de Madrid , il demanda par plaisanterie Ă  une Dame sort laide, depuis quand elle Ă©toit revenue du pays de BeautĂ©. J'en revins , Sire, rĂ©pondit-elle, le mĂȘme jour .que Votre MajesiĂ© revint de Pavic. des MƓurs. 0 XXVI. Fuye{ les libertins, Us fats U Us pĂȘdans. L/ E S libertins scandalisent, les fats ennuient, les pĂ©dans assomment. Mais il pouroit vous arriver encore quelque chose de pire, ceseroit de parvenir Ă  leur relsembĂźer en les frĂ©quentant. Comme ces trois especes d'hommes font un peuple fort grand, & que leur sociĂ©tĂ© est trĂšs-contagieuse, il esta propos d’entrer dans quelque dĂ©tail, pour les faire mieux connoĂźtre & pour en inspirer plus d’éloignement. L’emploi du Sage &du Philosophe est d’observer les hommes , non pour rire de leurs folies , ou pour en pleurer i, mais pour apprendre Ă  ne pas les imiter. L’étude de l’homme, qui est fans doute une des plus belles & des plus utiles , ne doit pas ĂȘtre feite par pure curiositĂ©, & Ci.' On fait que Dcmocritc rioit continuellement des folies des hommes, Sz qu 'Hiracliu pleuroit saas cesse sur leurs extravagances. Si tous deux auoienc raison pour le fond, tous deux Ă©toieut fous de porter la chose Ă  l'exĂšs. On demande quelquefois lequel Ă©toit le plus fou ; Je crois que c’étoit le second, parce que c’éccit le fou le plus malheureux* C 6 6o L’ É C O L E ' bien moins par malignitĂ©. Il faut obier, ver les hommes, pour devenir meilleur & pour aider les autres Ă  l'ĂȘtre. C’est la l’objet important de la morale , & ce qui Ă©leve cette science au-deilus de toutes les autres. Jeune homme, qui aimez Ă  vous former & Ă  vousinltxuire venea donc continuer Ă  les observer avec moi, & apprenez Ă  connoĂźtre ici ceux qu’il vous importe le plus d’éviter-& de fuir. Les libertins. Le danger le plus commun & le plus inĂ©vitable, auquel vous ferez exposĂ© dans le monde , c’elt le mauvais exemple & les liaisons dangereuses. Il n’est rien de plus Ă©loquent que l’exemple. On balance quelques raomens mais bientĂŽt on dit ce qu’on entend dire, on fait ce qu’on voit faire, on marche Ă  grands pas dans les routes larges & battues de l’iniquitĂ©, & souvent mĂȘme on se sait une saillie gloire de surpasser en libertinage ceux dont on avoir d’abord eu horreur. Saint ClĂ©ment d’Alexandrie & Eusebe de CĂ©sarĂ©e, rapportent que l’ApĂŽtre saint Jean faisant la visite des Eglises d’Asie, y trouva un jeune homme qui lui plut; il l’instruisit, & le recommanda particuliĂ©rement Ă  l’EvĂȘque de la ville. Cet EvĂȘque lui promit d’en avoir beaucoup de foin, & il le fit au commencement. des MƓurs. 6s Mais ayant laissĂ© dans la fuite trop de libertĂ© Ă  fonĂ©leve, il fut corrompu par des jeunes gens de son Ăąge, qui ne pen- foie nt qu’à fe divertir, & qui le portĂšrent insensiblement Ă  fe rendre complice, avec eux des plus grands crimes. 11 fit plus encore s’étant mis Ă  leur tĂšte, il forma une troupe de voleurs; & comme il Ă©toit d’un naturel vif & ardent, il devint le plus violent Ă©t le plus cruel de tous. Quelque temps aprĂšs , saint Jean Ă©tant revenu dans la mĂȘme ville , redemanda Ă  l’EvĂšque le dĂ©pĂŽt qu’il lui avoit confiĂ©. Celui-ci lui avoua en rougissant, que le jeune homme Ă©toit devenu un Chef de Brigands, & qu’il s’étoit emparĂ© d’une montagne on il fetenoit avec une troupe de gens semblables Ă  lui. LelĂ int .ApĂŽtre , pĂ©nĂ©trĂ© de douleur, aprĂšs avoir fait de jultes reproches Ă  l’fivĂšque, monte fur un cheval, & court au lieu qu’on lui avoir indiquĂ©. Les sentinelles des voleurs fe saisirent de lui. C’ejl pour cela, leur dit-il, que je suis venu qu’on me conduise Ă  votre Capitaine. Celui-ci ayant apperqu & reconnu son ancien MaĂźtre, la honte l’obligea de s’enfuir. Saint Jean le poursuivit Ă  bride abattue, malgrĂ© la soibleise de son grand Ăąge ; & cri oit apres lui Mon fits , pourquoi me fuyez- vous? pourquoi fuyez-vous voire pc>c , m homme vieux if fans armes ? Ne craignes 6r L’ É c b l e point il y a encore cspctance pour votre Jalut. S’il rß nĂ©cessaire , je Souffrirai trĂšs- volontiers la mors pour vous , comme Jesus- Chrifl l’a soufferte pour nous tous dĂ©meniez , croyez-moi. Le jeune homme, touchĂ© de ces paroles , s’arrĂȘta, tenant les yeux baissĂ©s en terre il rompit ensuite ses armes ; & voyant que le saint Vieillard approchoit, il alla se jeter Ă  ses pieds, & pleura amĂšrement. L’ApĂŽtre le releva, l’embrassa , le ramena , & ne le quitta point qu’il ne l’eĂ»t entiĂšrement fait rentrer dans le chemin de la vertu, que ses compagnons de dĂ©bauche lui avoient fait abandonner. On peut dire des mauvaises sociĂ©tĂ©s ce que l’iicriture dit des mauvais entretiens; elles corrompent les bonnes mƓurs , elles dĂ©truisent le plus beau naturel, les plus heureuses inclinations 2 . Combien de fois n’a-t-on pas vu les fruits prĂ©cieux d’une longue & sage Ă©ducation, dĂ©truits en peu de temps par le fouille em. poifon'nĂ© des compagnies dangereuses! C’est ce qui arriva Ă  ce jeune homme de qualitĂ© , dont parle le cĂ©lĂ©brĂ© Chancelier Gerson. 11 a voit Ă©tĂ© long temps un modele d’innocence & de piĂ©tĂ© mais s’étant r Corrumpunt mgres honos collcquia prayj. X, Cor. 15. D E S M ƒ U R S. 6? malheureusement liĂ© avec un libertin, les discours & les exemples de cet ami corrompu Tinsecterent bientĂŽt , & le pervertirent entiĂšrement, il se livra comme lui aux plus grands dĂ©sordres. Atteint d’une maladie mortelle, le fou- venir de ses crimes le jeta dans le dĂ©sciĂ© poir. Malheur Ă  celui qui m’ajĂ©duit, dit-il au PrĂȘtre qui l’exhortoit ! mes aimesJcmt trop grands , pour que je puĂźjse en espĂ©rer le pat don. Je vois Un ser ouvert pour me recevoir. Eli prononçant ces dernieres & terribles paroles, il expira ;. Parens , qui avez de la vertu, & qui voulez conserver Ă  vos enfans celle que vous avez tĂąchĂ© de leur inspirer, vous ne sauriez trop les prĂ©munir contre Iss funelles effets que produisent les mauvais exemples. Le jeune homme agitĂ© tout Ă  la fois par la sievre qui le dĂ©vore, & tentĂ© par les exemples corrupteurs que le monde offre Ă  ses yeux, aura bien de la peine Ă  se soutenir , si vous ne raffermissez. Fortifiez-le donc; armez-le de bonne heure des plus sages conseils; revenez Ă  la charge, Ă  mesure que le pĂ©ril augmente; ne vous lassez pas de travailler, ? On peut voir ce fait plus dĂ©taillĂ© rtstns Y Ami des Enfans ctt ouvrage, Ă©crit avec tint-'Ă©lĂ©gante simplicitĂ©, est rempli d'exccl-entes leçons rio^uĂ©esĂ  la premiĂšre jeuireĂŒ's par un vĂ©ritable ami. 64 L’ É e o l S jusqu’à ce que le caractĂšre soit tout- Ă -fait formĂ©. Faites-lui sur-tout bien con- noĂźtre ceux dont il doit le plus Ă©viter la compagnie ; & dites-lui avec ce zele que doit vous donner votre tendresse, & ce ton persuasif qui est celui de l’amour O mon fils, j’ai travaillĂ© fans relĂąche jusqu’à prĂ©sent Ă  jeter dans votre aine les prĂ©cieuses semences de toutes les vertus, & Ă  les faire Ă©clore. Je sens mon amour croĂźtre avec vos heureuses inclinations. Mais plus je vous aime , plus je tremble pour vous que vous ne veniez Ă  former des liaisons suspectes & dangereuses. Vous dĂ©sirez savoir quelles font celles dont vous devez principalement vous dĂ©fendre. Ce souhait, qui est pour moi d’un si heureux augure, je me hĂąte de le satisfaire. Evitez fur-tout ces affronteurs de profession , qui vivent aux dĂ©pens du public, qui ne font jamais si contens d’eux- mĂȘmes , que quand ils ont trouvĂ© quelque nouveau moyen de tromper l’Ouvrier & le Marchand, de bien manger, de bien boire, & de ne rien payer , d’emprunter, & de ne point rendre, de duper la bonne foi des simples , & d’excroquer l’argent des enfans de famille. Evitez encore tous ces jeunes gens gĂątĂ©s, fuis mĂ©rite & lĂ nstalens, dont les dĂ©bauches les plus infĂąmes font les paisirs des MƓurs. 65 les plus dĂ©licats , qui se disputent la gloire des excĂšs , & qui se font un jeu de dĂ©shonorer les familles, de sĂ©duire les femmes , & de les dĂ©crier. Evitez avec une Ă©gale horreur tous ces vieux libertins , qui dĂ©jĂ  un pied dans le tombeau , se plaisent Ă  insinuer Ă  la jeunesse leurs senti mens pervers , comme pour perpĂ©tuer aprĂšs eux leur libertinage , le soustraire au tombeau oĂč ils vont ĂȘtre engloutis , & lui donner une affreuse immortalitĂ©. HĂ©las ! verroit-on, mon fils, dans les jeunes gens tant de corruption , s’il ne se trouvent de ces dĂ©testables corrupteurs , qui leur ouvrent malheureusement les yeux fur ce qu’ils devroient toujours ignorer , & les arrachent d’entre les bras de l’innocence, pour les jeter dans ceux de la voluptĂ© ? Si vous faites jamais sociĂ©tĂ© avec eux, vous ĂȘtes perdu, & peut-ĂȘtre pour toujours , comme ce jeune homme, dont je ne puis jamais me rappeler l’histoire fans frĂ©mir. Il menoit la vie la plu^ rĂ©guliĂšre & la plus innocente. Un misĂ©rable libertin l’entraĂźna dans un lieu de dĂ©bauche, & le prĂ©cipita dans le crime. Au sortir de lĂ  les remords l’afsiegent, la fievre le lĂ isit, les transports lui montent au cerveau , & il meurt le mĂȘme jour, fins avoir le temps de se repentir & de pleurer son crime. Son corrupteur crut le. '66 V É C O L E voir une nuit au milieu des flammes, & l’entendre lui reprocher fa perte Ă©ternelle. O mon fils, si les libertins vous invitent Ă  venir avec eux , souvenez vous de ce terrible exemple, refusez fermement, & rĂ©sistez avec courage Ă  leurs indignes ‱sollicitations. Si un malheureux moment vous livre en leur compagnie , & vous jette au milieu d’eux fans le savoir appelez promptement Ă  votre secours toutes les leçons de vertu que vous avez reçues, & fortifiez-vous contre leurs allants, par le souvenir de toute l’horreur que mĂ©rite le vice , & du mĂ©pris profond que s’attire un dĂ©bauchĂ©. Fuyez le plutĂŽt qu’il vous fera polsibic , & fuyez loin. L’hĂŽpital Ă  trente ans , & Ă  la mort l’impĂ©nitence c’cst tout ce qui reste du commerce des libertins. Enfin, mon Fiis, ajoutera ce pere vertueux & chrĂ©tien, vous avez des mƓurs & de la religion craignez la sociĂ©tĂ© de ceux qui peuvent vous les faire perdre. Le libertinage de l’esprit marche a la suite du libertinage du cƓur, & il est encore plus contagieux & plus funeste. Ecoutez-en la preuve dans le trait que je vais vous raconter. G Ă©gorio LĂ©ti , Auteur de plusieurs histoires connues , avoir fait dans fa premiĂšre jeunesse ses Ă©tudes Ă  Cosence chez les JĂ©suites. Il fut D E S M ƒ U R S. 67 appelĂ© Ă  Rome par un oncle qui vouloir le faire EcclĂ©siastique mais il refusa d’en, trer dans ses vues. Il revint Ă  Milan la patrie , & y demeura deux ans. Ce fut lĂ  qu’abandonnĂ© Ă  lui-mĂȘme, il perdit bientĂŽt, par la compagnie des impies qu’il frĂ©quenta , les principes de religion qu’il avoit reçus. Quelque temps aprĂšs il se mit Ă  voyager, & passant par Aqua- pendente, dont son oncle Ă©toit devenu EvĂȘque , il alla le voir. Comme il tenoit des propos fort libres fur la religion, ce PrĂ©lat lui dit Dieu veuille , mon neveu , que vous ne deveniez pas quelque jour un grand hĂ©rĂ©tique mais , pour moi , je ne veux plus vous avoir dans ma maison. Ce que craignoit ce sage PrĂ©lat, ne manqua pas d’arriver. LĂ©ti alla Ă  Geneve fit connoilßànce avec un Calviniste libertin, & de se perdre par ses conversations. Il fit profession publique de la religion Protestante, resta Calviniste toute El vie , se dĂ©shonora par des libelles contre les Princes , vĂ©cut, quoiqu’avec destalens, destituĂ© de biens & de protections, & mourut presque subitement Ă  Amsterdam. Mais qu’ai-je besoin, mon fils , de vous rapporter des exemples anciens, tandis que vous en avez de si tristes fous vos yeux , dans ce siede malheureux d’impiĂ©tĂ© ? L’irrĂ©iigion marche aujour- §8 L’ É C O L E d’hui la tĂšte levĂ©e, & conspire ouvertement contre Dieu. DĂ©corant lĂ  fauste sagesse du nom de philosophie , elle a formĂ© l’horrible complot de renverser ies autels, de dĂ©raciner la foi, de corrompre l’innocence & d’étouffer dans les amcs tout sentiment de vertu. RĂ©solue de porter Ă  la religion les coups les plus funestes, elle exhorte, par mille discours tĂ©mĂ©raires & par une multitude d’écrits scandaleux, Ă  briser ses liens, Ă  secouer son joug. Nos prĂ©tendus figes voient avec complaisance la jeunesse courir en foule Ă  leurs leçons, & boire avec aviditĂ© le poison de l’erreur dans les coupes perfides qu’ils lui prĂ©sentent. Ils ne comprennent pas qu’ils ne font que les exĂ©cuteurs de la vengeance divine , qui se sert d’eux dans la profondeur de ses desseins , pour perdre ceux qui mĂ©ritent de pĂ©rir par l’abus qu’ils font des grĂąces de Dieu. Leurs succĂšs rapides les enhardissent Ă  produire tous les jours de nouveaux blasphĂšmes. Mais attendons les momens du Seigneur il viendra dans lĂ  colere souffler contre cet amas pompeux d’iniquitĂ©, & il le rĂ©duira en pouffiere. Craignez , mon fils , d’ùtre enveloppĂ© dans leur ruine. Fuyez-les avec la mĂȘme horreur qu’on fuit la vue du serpent prĂȘt Ă  lancer son venin. Puisqu’ils veulent se corrompre & vous corrompre avec eux, des MƓurs. 6 $- fendez la presse, retirez-vous Ă  l’écart, ou allez respirer un air plus pur dans la compagnie des gens de bien. Car, ne vous y trompez pas, mon fils, presque tous les impies font des libertins publics ou cachĂ©s. Une expĂ©rience journaliĂšre, bien honteuse pour le parti de l’impiĂ©tĂ©, ne nous apprend elle pas que les doutes, par rapport Ă  la religion, ne surviennent dans l’esprit, que quand les pallions font devenues les maĂźtresses du cƓur ? On n’entre dans les voies de l’irrĂ©ligion qu’aprĂšs avoir abandonnĂ© celles de l’innocence. Pour un homme peut-ĂȘtre irrĂ©prochable dans ses mƓurs, que l’incrĂ©dule produira de son cĂŽtĂ©, on lui en opposera mille, livrĂ©s aux excĂšs delĂ  plus honteuse licence, L qui sont comptĂ©s parmi ses hĂ©ros. Aussi une personne qui en avoit vu beaucoup & qui les connoissoit bien , assuroit-elle qu’elle n’avoit point connu d’homme plus scandaleux dans fa façon de vivre & de penser qu’un impie de profession. En faut-il davantage, mon fils, pour les avoir en horreur, les fuir & les dĂ©tester ? Ainsi parlera un pere sage & vertueux ; & ne doutons pas que de telles leçons, soutenues de toute la force de son exemple , ne fassent de profondes impressions fur un fils bien nĂ© & docile. 70 L’ É c o l ĂŻ — - —— Ăź> Les fats. Le fat ouĂŻe petit-maĂźtre est l'espece d’homme la plus vaine & la plus mĂ©prisable qui vĂ©gĂ©tĂ© fur la surface de la terre. Un Ecrivain moderne 4 a fait du fat une peinture bien reslemblante. iNous allons en rappqrter les traits les plus faillans & les plus propres Ă  faire sentir tout le ridicule de ce caractĂšre. Combien de jeunes sots mal-Ă©levĂ©s poliront s’y reconnoĂźtre ! Un fat elf un homme dont la vanitĂ© feule forme le caractĂšre, qui n’agit que par ostentation, & qui voulant s’élever au-dessus des autres , fait tout ce qu’il faut pour ĂȘtre mĂ©prisĂ© de tous. Familier avec ses supĂ©rieurs, important avec ses Ă©gaux, impertinent avec ses infĂ©rieurs, il tutoie, il protĂ©gĂ©, il mĂ©prisĂ©. Vous le saluez, & il ne vous voit pas; vous lui parlez , & il ne vous Ă©coute pas ; vous parlez Ă  un autre, & il vous interrompt. Il lorgne, il persifHe au milieu de la compagnie la plus respectable & de la conversation la plus sĂ©rieuse. Soit qu’on le souffre , soit qu’on le chaise, il en tire 4 M. de Mafiis y dans le Dictionnaire EncyclopĂ©dique, ouvrage plus pernicieux qu'utile, auquel on pouroit appliquer ces de Martial Sunt bona a unt qutzdam mediocria , suni mata, mulia. des MƓurs. 7s Ă©galement avantage. Il öftre une place dans fa voiture, & il laide prendre la moins commode. Il n’a aucune commis lance , cependant il donne des avis aux Savans & aux Artistes. Il parle Ă  l’oreille de ses gens. Il part vous croyez qu’il vole Ă  un rendez-vous, il va souper seul chez lui. Il se fait rendre mystĂ©rieusement en public des billets vrais ou supposĂ©s. Il fait un long calcul de ses revenus, il n’a que soixante mille livres de rente, il ne peut pas vivre. Il consulte la mode pour ses travers comme pour ses habits, pour ses indispositions comme pour ses voitures , pour son MĂ©decin comme pour son Tailleur. Il n’ose avouer un parent pauvre ou peu connu il se glorifie de l’amitiĂ©,d’un Grand, Ă  qui il n’a jamais parlĂ© ou qui ne lui a jamais rĂ©pondu. Pour peu qu’il fĂ»t fripon, il seroit en tout le contraste de l’homme de mĂ©rite. En un mot, c’est un homme d’esprit pour les lots qui l’admirent, c’est un sot pour les gens sensĂ©s qui le mĂ©prisent. Ajoutons encore Ă  ce portrait quelques couleurs & quelques nuances, afin de rendre la ressemblance plus entiĂšre & plus sensible. La passion favorite du petit- maĂźtre, est de se distinguer par la bizarrerie de ses goĂ»ts , par la vanitĂ© de ses habillemens il lui faut des folies changeantes, des idĂ©es toutes neuves * 7L ' L’ Ê C O L B des plaisirs tout frais. C’est un courtisan des Dames, un agrĂ©able, & en mĂȘme temps un philosophe un esprit tort; & tandis qu’il se raille de la Religion, des PrĂȘtres & des Moines , il pirouette fur un pied ou le regarde dans toutes les glaces. Le fat est enchantĂ© de lui-mĂȘme auffi aime-t-il Ă  fe montrer. 11 croit plaire Ă  tout le monde, & ĂȘtre admirĂ© de ceux mĂȘme qui fe moquent de lui. Quoiqu’on n’apperqoive en lui rien de grand que l’opinion qu’il a de lui-mĂȘme, il est tout rempli de son prĂ©tendu mĂ©rite , & croit que personne ne le vaut. Il a la plus haute idĂ©e de ses talens, & il est le plus content du monde de fa personne. Un fat qui ressembloit Ă  celui dont nous venons de parler, mena un jour chez une Dame de considĂ©ration le jeune Marquis de TierceviUe , dont la physionomie peu spirituelle n’annonçoit pas autant d’esprit qu’il en avoir. Il dit en entrant Madame, je vous prĂ©sente M. le Marquis de TierceviUe, qui n’est pas si sot qu’il le paroĂźt. C'ejl , Madame , reprit aussitĂŽt le jeune Marquis , la diffĂ©rence quily a entre Monjicur U? moi. Le fat est entre l’impertinent & le sot il n’a ni l’insolence du premier, ni la bĂȘtilĂš du second, mais, comme tous les deux, il choque, il rebute, il dĂ©goĂ»te. Le Le sot n’a pas assez d’esprit pour ĂȘtre fat, le fat n’a pas assez de jugement pour ĂȘtre homme d’esprit. Le fat qui a quelque esprit, en abuse, & ne sait pas s’en servir Ă  propos. Il elf affectĂ© dans ses expressions comme dans ses maniĂ©rĂ©s. Un jeune fat disoit devant M. de Montai, que M. de Turennc Ă©toit un joli homme. Et moi , lui dit-il, je vous trouve un joli sot de parler ainfi d’unfi grand homme. Le fat qui a peu d’esprit s’en console, en mĂ©prisant ceux qui en ont c’est un dĂ©dommagement qu’on ne doit pas lui envier. Un fat de cette espece se plai- gnoit dans une compagnie, de la grande dĂ©pense qu’il Ă©toit obligĂ© de frire pour nourrir dix chevaux. Au lieu d’avoir tant de chevaux dans votre Ă©curie, lui disoit- on , que ne rĂ©servez-vous une parcie de votre revenu, pour vous procurer la compagnie des gens d’esprit. Le fat qui ne sentoit pas le bon conseil qu’on lui donnoit, rĂ©pondit Mes chevaux me traĂźnent , mais les gens d’esprit .... Les gens d’esprit, lui repartitauffi-tĂŽt quelqu’un, vous porteront fur Leurs Ă©paules. Un Philosophe Anglois rapporte un trait qui montre bien ce que les gens de la plus basse condition pensent eux-mĂȘmes de l’espece d’hommes dont nous parlons. Il dit que rĂȘvant un jour dans une des promenades publiques de. Tome III. D 74 L’ t C O L E Londres , un laquais vint le distraire de ses rĂ©flexions profondes. Il portoit dans ses bras un petit chien , qu’il posa doucement fur l’herbe prĂ©cisĂ©ment devant notre Philosophe. Il l’invitoit Ă  marcher , mais l’animal capricieux, trop gras d’ailleurs, trop indolent, Ă©toit sourd aux priĂšres, & demeuroit nonchalamment Ă©tendu sur le gazon. Donnez-lui un coup de pied, lui dit le Philosophe, il vous suivra , je vous le garantis. Je le crois, Monsieur, rĂ©pondit le laquais; mais si j’avois l’audace de frapper CĂ©lĂ r, jeserois infailliblement chassĂ© il est le favori de ma maĂźtresse. Votre maĂźtresse nest pas mariĂ©e, je suppose. Elle l’est depuis dix ans. A-t-cÛe des enfans ? Elle n’en a que sept. Et ce vil animal est son favori! je ne lui suppose pas mĂȘme une ame supĂ©rieure Ă  celle de son chien. Une telle condition peut-elle vous plaire? Monsieur, la Providence m’a mis dans la nĂ©cessitĂ© de servir ; je remplis ma destinĂ©e , & je fuis toujours content de l’emploi que me donnent mes maĂźtres. J’avoue qu’il n’est pas agrĂ©able d’ĂȘtre le conducteur d’un chien ma prĂ©cĂ©dente condition Ă©toit cependant pire encore, je fer vois un fat il n’y avoit pas de tourmens que ses caprices & ses hauteurs ridicules ne me fissent endurer j’étois dans la dure nĂ©cessitĂ© de me soumettre Ă  tout. Viens, viens des MƓurs. ici, mon pauvre CĂ©sar; va, je dois l’avouer , ii vaut encore mieux te garder que de servir mon premier maĂźtre. Il se bailla , pritl’animal, & bourdonnant un air, il continua de promener CĂ©sar. La philosophie de cet homme,ajoute l’Auteur , valoir mieux que la mienne. Il est quelquefois nĂ©ceilaire de comparer son Ă©tat avec un Ă©tat plus malheureux ; c’est le moyen d’ĂȘtre toujours content. Mais savoir s’accommoder Ă  une condition servile , Ă  une condition aussi humiliante que celle de conduire un chien ou d’obĂ©ir Ă  un fat en vĂ©ritĂ© c’est l’effort de la sagesse ". Qu’il nous soit permis d’ajouter aussi une rĂ©flexion, que nous fait naĂźtre l’histoire que nous venons de uniquement des animaux, comme font aujourd’hui tant de personnes, les caresser tout le jour, avoir pour eux des foins, des attentions qu’on n’auroit peut- ĂȘtre pas pour des hommes est-ce lĂ  ĂȘtre homme loi-mĂȘme? Leur prodiguer des friandises, des douceurs qui seroient bien plus nĂ©cessaires Ă  de pauvres malades est-ce avoir de l’humanitĂ© & de la religion ? Les femmes fur-tout ont un foible extrĂȘme pour les petits animaux qu’elles ont pris en amitiĂ©. C’est une vraie petitesse , qui ne leur fait pas beaucoup D 2 76 L’ Ê C O L ÂŁ d’honneur dans l’esprit des gens sensĂ©s; mais combien font-elles encore plus inexcusables, lorsqu'elles se portent Ă  de ridicules excĂšs d’affliction ou Ă  de vio- lens transports de colere, si elles viennent Ă  les perdre ! L’envie de les guĂ©rir, s’il est possible, de cette double folie, qui n’est pas moins dĂ©shonorante pour leur sexe que la fatuitĂ© de nos petites- maĂźtresses , & qui souvent est ausix fĂącheuse pour les autres que pour elles- mĂȘmes, nous engage Ă  leur rapporter ici un beau trait, bien digne de leur imitation en pareil cas. La Princesse d’Orange , qui vivoit fur la fin du dernier siecle, avoir un petit perroquet tout blanc avec une huppe & une queue couleur de feu il ne faisoit pas moins de plaisir Ă  l’entendre qu’à le voir. Ausii la Princesse avoir-elle pour lui un attachement inexprimable. Un jour que .rentrant chez elle au retour d’une partie de chasse, elle couroit pour le revoir, elle trouva scs filles baignĂ©es de pleurs & qui se jeterent Ă  ses pieds. OĂč est mon perroquet , dit la Princesse P Ah! rĂ©pondirent- elles , fa cage s’est ouverte, & il s’est envolĂ© ; nous n’avons jamais pu le retrouver , quelque recherche que nous ayons faite. Les pleurs redoubloient pendant ce rĂ©cit. Elles avoient sujet de tout craindre du caractĂšre plein de feu de la V J des MƓurs. 77 Princesse & de son attachement pour l’oiseau. Quel sut leur Ă©tonnement, lorsqu’elles entendirent cette Princesse leur dire avec bontĂ© Vous ĂȘtes bien folles de pleurer pour cet animal..il n y en a point , quelque beau quil soit , qui mĂ©rite nos larmes. Il faut fe consoler de ce petit malheur. Je vous ordonne de ne pas nous en chagriner plus que moi. Je ne vous en veux aucun mal , car fans doute ce nefl pas votre faute. Non assurĂ©ment, Madame, s’écriĂšrent ces filles. HĂ© bien , repartit la Princesse, ne pleurez donc pas. Elle passa ensuite dans son appartement, d’oĂč elle renvoya encore ordonner Ă  scs filles de ne point s’affliger de la perte du perroquet. =======^SÂŁS!ÎS====a=-8.. Et les pĂ©dans. Nous entendons par pĂ©dant un savant grossier, opiniĂątre, qui a plus l’usage des livres que du monde , & plus de lecture que de jugement. Le pĂ©dant aime Ă  faire parade de fa science, il l’étale aux yeux designorans , & sailit. toutes les occasions de la montrer. Il dĂ©bite gravement ses pensĂ©es ou plutĂŽt celles des autres, car il ne pense guere, il se contente de savoir ce que les autres ont pensĂ© ; c’est un mulet chargĂ© du bagage d’autrui. Il cite sans celle quelque Auteur ancien ou moderne. Il parle latin D 1 78 L’ É C O L E devant les femmes , & grec devant ceux qui ne savent que le latin il a raison , car il est souvent de son intĂ©rĂȘt qu’on ne l’entende pas. PĂ©tri d’orgueil & de vanitĂ© , il n’ouvre la bouche que pour contredire , il ne respire que la dispute & la chicane, il dit son sentiment d’un ton dĂ©cisif & magistral. 11 raisonne peu , quoique grand raisonneur. Il est, en un mot, tel que Boiltau le dĂ©peint Un pĂ©dant enivrĂ© de sa vaine science , Tout hĂ©rissĂ© de grec, tout bouffi d'arrogance, Et qui de mille Auteurs retenus mot pour mot, Dans fa tĂȘte entafĂŻes, n’a souvent fait qu’un sot. Un pĂ©dant de cette espece disoit un jour au PoĂ«te ThĂ©ophile Vous avez beaucoup d’esprit, c’est dommage que vous ne soyez pas savant. Vous ĂȘtes fort savant, repartit ThĂ©ophile , c’est dommage que vous n ayez pas d’esprit. Il ne faut pas s’étonner si la science produit d’ordinaire beaucoup de vanitĂ© un Ă©rudit doit naturellement ĂȘtre plus vain qu’un homme d’esprit , de gĂ©nie mĂȘme. Le gĂ©nie inventeur a une sphere d’aisez peu d’étendue. L’esprit qui produit , qui combine, est toujours mĂ©content de lui - mĂȘme, & l’on fait ce beau vers de DejprĂ©aux , si admirĂ© deMoliere Il plaĂźt Ă  tout le monde, & ns saurait se plaire. des MƓurs. 79 Mais l’érudition est inĂ©puisable, c’est un pays immense 011 y voit tous les jours augmenter ses richesses ; & l’on met lĂ . gloire Ă  jouir d’une science , louable sans doute Ă  quelques Ă©gards , mais qui ne vaut pas toujours le temps qu’on emploie Ă  l’acquĂ©rir , & qui rend quelquefois ridicule par l’importance qu’on y attache. Le Comte de GonĂ omar , AmbaflĂ - deur d’Espagne auprĂšs de Jacques I, Roi d’Angleterre, s’entretenoit en latin avec ce Prince, qui parloit fort correctement cette langue. Le Monarque savant se mit Ă  rire de quelques sautes que le Comte faisoit. L’Ambassadeur piquĂ© lui dit Le hitin que je parle est le latin d'un Roi , U celui de votre MajestĂ© est le latin d'un pĂ©dant. C’est sans doute dans les Colleges & parmi les prĂ©cepteurs , qu’il est plus ordinaire de trouver les pĂ©dans dont nous parlons. Ils en portent quelquefois le nom, & il faut convenir qu’il y en a qui le mĂ©ritent. AccoutumĂ©s Ă  parler d’un, ton magistral & absolu , ils prennent insensiblement & sans qu’ils s’en apper- qoivent un certain air de pĂ©dantisme. Mais il faut avouer auisi que la pĂ©danterie y est beaucoup plus rare aujourd’hui qu’autrefois. Parmi ceux qui font chargĂ©s de l’emploi d’instruire la jeunesse. So L’École on en voit souvent qui rĂ©unissent les lumiĂšres de l’esprit & le goĂ»t des biensĂ©ances , les connoissances littĂ©raires & l’usage du monde, la politesse & les. talens & leur exemple fait voir que ce n’est pas la science qui gĂąte l’esprit, mais l’esprit faux ou tournĂ© Ă  la pĂ©danterie qui gĂąte la science. La pĂ©danterie Ă©tant, selon la remarque de la Roches mcault , un vice de l’esprit, encore plus que de la profelfon, il n’est pas rare de trouver , mĂȘme dans les personnes du monde , des pĂ©dans d’une autre espece , & qui ne se doutent peut-ĂȘtre pas qu’ils le soient. Ce sont ceux qui aiment Ă  faire voir qu’ils savent & qu’ils ont lu , qui relevent avec foin une erreur d’histoire ou de gĂ©ographie Ă©chappĂ©e dans la conversation , un mot mal prononcĂ©, un terme peu exact, une expression impropre ou inusitĂ©e comme ce Grammairien pĂ©dant, qui osa reprendre l’Empereur Tibere sur un mot que ce Prince avoitdit. Un de ses Courtisans ayant soutenu par flatterie que le mot de libĂ©rĂ© Ă©toit latin L’Empereur , rĂ©pondit-il , peut bien donner le droit de citoyen aux hommes , mais non pas aux mots. Malherbe Ht beaucoup mieux dans une occasion Ă  peu prĂšs semblable. Henri IV yant .dit un cuiller d’aryent , tous iĂšs des MƓurs, 8i ßourtisans se regardĂšrent. Il consulta Malherbe , & lui demanda si cuiller Ă©toit masculin. Ce mot , rĂ©pondit Malherbe , Jera toujours fĂ©minin , ju squ Ă  ce que Votre MajcjlĂ© ait fait un Edit , qui ordonne fous peine delĂ  vie qu il devienne masculin. Henri IV sourit, & sut bon grĂ© auPoĂ«te de ne lui avoir pas dĂ©guisĂ© la vĂ©ritĂ©. Celui qui montre sa science mal-Ă - propos , ne fait voir que sa vanitĂ©. On doit aimer la science, & travailler Ă  en acquĂ©rir, mais il ne faut pas chercher Ă  en faire parade. Ce dĂ©faut n’est peut- ĂȘtre pas maintenant beaucoup Ă  craindre, fur-tout par rapport Ă  l’érudition profonde. On donne au contraire dans un autre excĂšs. C’est une espece de mĂ©rite aujourd’hui que de faire peu de cas de l’érudition , & c’est mĂȘme un mĂ©rite que bien des gens le contentent d’avoir, Depuis que de beaux esprits se sont plu Ă  jeter un ridicule fur les la va ns & fur la science qu’ils traitent de pĂ©danterie, on a craint une qualification si injurieuse ; & l’on iĂȘ garde bien de se donner la peine d’acquĂ©rir de l’érudition , qui mettroit en butte aux traits des mauvais plaisans. Les hommes pourvus de quelque esprit, mais paresseux, ont saisi avec empressement ce prĂ©texte ; & pour excuser ou justifier leur ignorance, ils n’ont D 5 8r L’ E c o l e pas manquĂ© de dire qu’il valoir mieux travailler Ă  polir l’esprit & Ă  former le jugement, qu’à entaiser dans Ă  mĂ©moire ce que les autres ont dit & pensĂ© ; comme lĂź la meilleure terre pouvoir produire long-temps fans engrais , ou le feu le plus vif subsister fins aliment. Incapables de travailler Ă  s’instruire, ou trop inappliquĂ©s pour le faire, ils ont blĂąmĂ© ou mĂ©prisĂ© les savans qu’ils ne pouvoient imiter ; car le moyen le plus ordinaire de se consoler de son ignorance, est de mĂ©priser ce qu’on ne sait pas. Mais malgrĂ© la critique amere de ces censeurs ignorans , les gens sensĂ©s feront toujours cas du savoir. Celui qui ne sait rien , peut-il ĂȘtre estimĂ© ? Il naĂźt tous les jours des occasions , oĂč l’amour-propre souffre vivement de l’ignorance; on est honteux & comme dĂ©shonorĂ©. La science orne l’esprit, Ă©tend les lumiĂšres., fournit Ă  la conversation. Quelqu’un a fort bien dit que l’homme sage doit employer la premiĂšre partie de fa vie Ă  s’entretenir avec les morts, la seconde avec les vivait s , & la troisiĂšme avec soi-mĂȘme. Quiconque nĂ©glige le commerce des morts, ne fera jamais agrĂ©able aux vivans. Ce n’est pas qu’il faille s’enterrer dans son. cabinet, ni ambitionner une vaste & profonde Ă©rudition. Trop d’étude rend D E S M ƒ U R S. 8? sombre & abstrait , trop de retraite rouille & engourdit. Il faut savoir, mais prĂ©fĂ©rablĂ©ment Ă  tout , il faut savoir un milieu judicieux entre l’ignorance & le profond lavoir. Ayez l’esprit plus ornĂ© que chargĂ©. Cultivez votre mĂ©moire fans l’accabler. Etendez vos connoissances, mais fur-tout ne les prodiguez point, .& n’en faites jamais ostentation ; mĂ©nagez l’amour - propre des autres, & que votre science se. montre comme malgrĂ© vous. Ne donnez pas dans le pĂ©dantisme d’un savantasse , mais encore moins dans l’esprit futile & romanesque de nos petits-maĂźtres. Imitez plutĂŽt la louable modestie de Platon , qui retournant un jour de Sicile en Grece, & passant par la ville d’Olym- pie pour en voir les jeux, s’y trouva logĂ© avec des Ă©trangers de distinction. Il mangea & demeura plusieurs jours avec eux. Les jeux finis , ils allĂšrent ensemble Ă  AthĂšnes , oĂč il les logea. Ils le priĂšrent de les mener voir le grand Platon , disciple de Socrate. H leur dit en souriant que c’étoit lui-mĂȘme. D 6 84 L’ É C 0 L E S r-r,. Choisissei vos amis. Soyez, s’il se peut, aimĂ© cĂźe tout le monde, mais n’ayez qu’un certain nombre d’amis, & choisissez-lesbien. L’impie, le ju. eur, le libertin amis pernicieux. Le joueur de profeflion , l’intrigant amis dangereux. L’homme vain, celui qui veut faire fortune Ă  quelque prix que ce soit ami-, faux. Le mauvais plaisant, celui qui veut fui avoir de l’elpiit, le diseur de riens amis ennuyeux. Le mĂ©dilant, le satirique amis Ă  craindre. Le flatteur, le donneur de mauvais conseils amis funestes. Le caractĂšre fantasque & bizarre celui qui se fĂąche aisĂ©ment & qui s’ciisensesans sujet amis difficiles. L’humeur capricieuse, l’esprit dur, celui qui vous fait trop acheter ses services amis tyranniques , dont la haine seroit moins insupportable que l’amitiĂ©. Ne comptez pas non plus beaucoup sur l’rmitiĂ© des gens flegmatiques ils ont si peu de sentiment, qu’ils n’en ont guere que pour eux-mĂȘmes. En fait d’amis, les gens vifs font ceux qui valent mieux , parce qu’ils ont ordinairement le cƓur bon. Ne mettez pas au nombre de vos amis ces gens de bonne chere, que vous des MƓurs.’ croyez avoir un grand cƓur parte qu’ils ont un grand appĂ©tit, & une vraie amitiĂ© parce qu’ils ont un vaste estomac. Ils vous feront les plus grandes protestations d’amitiĂ© , quand ils seront Ă  table ; ils vous promettront tout, quand ils se divertiront avec vous & Ă  vos dĂ©pens ; mais aprĂšs cela ils ne se souviendront plus de rien. Les festins pour l’ordinaire ne servent Ă  nourrir que des flatteurs & des ingrats. Un parasite de cette espece disoit beaucoup de mal de la personne mĂȘme chez laquelle il venoit de bien dĂźner. Attendez du moins, lui dit quelqu’un , que vous ayez fait la digestion. Admettez encore moins dans votre amitiĂ© ceux qui croient qu’aimer, consiste Ă  aider Ă  rire effrontĂ©ment dans les dĂ©bauches, & Ă  faire le mal avec plus de hardiesse & d’insolence. Ce sont des meurtriers qui le servent de votre propre main , pour vous porter la mort dans le cƓur. De tels amis font plus dangereux que des ennemis dĂ©clarĂ©s. Ils excusent tout, applaudissent Ă  tout, donnent des conseils pernicieux , portent Ă  d’indignes excĂšs. Que pouroit faire davantage un ennemi qui voudroit se venger ? L’amitiĂ©, cette douce union des cƓurs nepeutĂ«tre vĂ©ritable & solide, que quand elle a pour fondemens l’honneur & la 86 L’ É c o t e vertu qui attache, est une chaĂź ne que rien ne peut rompre. Faites-vous donc une maxime inviolable de ne choisir pour amis que des gens de bien , car il n’y a point d’autres vrais amis, & ces amis prĂ©cieux ne font que pour ceux qui leur ressemblent. Attachez-vous Ă  l’homme droit & vrai, qui n’aime ni les dĂ©guisemens, ni les dĂ©tours de la finesse, incompatibles avec la sincĂ©ritĂ© & l’ouverture que demande l’amitiĂ©. Cherchez une humeur douce & facile, qui fait le plus grand agrĂ©ment des liaisons, un caractĂšre complaisant, & qui sympatise avec le vĂŽtre , car il n’y a que la conformitĂ© de caractĂšre qui pu lise rendre les unions durables ; c'est la sympathie qui rapproche les cƓurs & qui resserre les liens de l’amitiĂ©. Si celui dont vous voulez faire votre ami, joint Ă  ces qualitĂ©s un bon cƓur ; quand il auroit quelques petits dĂ©fauts, ne balancez pas, le marchĂ© ne saurait manquer d’ĂȘtre excellent pour vous. De quelle utilitĂ© n’est pas un bon ami ! La fortune peut nous Ă©lever assez, pour nous affranchir d’une infinitĂ© de besoins j mais quelque pouvoir qu’elle ait, elle ne fera jamais qu’on puitse se passer d’un fidelleami. Plus nous serons heureux, plus il nous fera nĂ©cessaire , quand ce ne seroic que pour nous donner de bous DES M E'u R S. 8? conseils, pour nous dire la vĂ©ritĂ© , pour nous avertir de nos dĂ©fauts. La Fortune qui eit aveugle, rend aveugles ses favoris ; & comment nous corrigeroit-elle de nos vices , puisqu’elle commence par nous ĂŽter nos vertus ? Dans un rang supĂ©rieur, oĂč l’on se croit tout permis, queue se permettra- t-on point? dans quelles fautes impardonnables , dans quels vices dĂ©shono- rans ne tombera-t-on pas , Il l’on n’a un ami fideile , qui, nous prĂ©sentant le miroir de la vĂ©ritĂ© , nous la falle con- noĂźtre, nous Ă©claire, nous soutienne par ses conieils, nous arrĂȘte fur le bord du prĂ©cipice oĂč nous allons nous jeter ? Mais on ne sent jamais il bien la nĂ©cessitĂ© d’un te! ami, que lorsqu’on l’a perdu. Augujk le sentit & l’avoua. La Fortune, qui l’avoit comblĂ© de ses faveurs , y ajouta la plus prĂ©cieuse de toutes , celle de deux bons & hdelles amis. Lorsqu’il ne les eut plus, il connut alors tout leur prix & le besoin qu’il en avoir. Ayant fait une dĂ©marche inconsidĂ©rĂ©e, il ne tarda pas Ă  voir sa faute tSt Ă  se repentir de son indiscrĂ©tion Ce malheur , dit-il, ne me seroit pas arrivĂ© , ß MĂ©cĂšne ou Agrippa vĂ©cu. Ayez donc des amis, cherchez-en ; ils font une source d’agrĂ©mens & de bons conseils mais encore une fois, sachez 88 L’ É c o l e les distinguer & les choisir. N’ambitionnez pas d’en avoir un grand nombre. Quoiqu’on ait dit qu’une femme, quelques enfans, moins de serviteurs, beaucoup d’amis , faisoient la fĂ©licitĂ© d’une maison, ne croyez pas la multitude d’amis nĂ©cessaire au bonheur de la vĂŽtre. Celui qui appelle toutes sortes de personnes ses amis, n’en a point. Contentez-vous d’en avoir deux ou trois d’un commerce fur, ailĂ© & agrĂ©able, avec qui vous puis- siez retirer tous les avantages & goĂ»ter toutes les douceurs de l’amitiĂ©. .Bornez- vous mĂȘme Ă  un seul, si vous n’en trouvez qu’un fur lequel vous publiez compter. Un seul bon ami vaut mieux que beaucoup d’amis Ă©quivoques. Il y en a tant de ceux-ci, & les vrais amis font si rares 1 Un jeune homme , Ă  qui son pere de- mandoit d’oĂč il venoit, ayant rĂ©pondu qu’il venoit de voir un de ses amis Vous en avez donc pfißeurs , dit le pere! Ah! que vous ĂȘtes infiniment plus heureux que moi i puf pi en soixante tĂż dix annĂ©es qu’il y a que je fuis au monde , Ă  peine ai-je pu en trouver un ! Il est aussi difficile de trouver de vĂ©ritables amis, qu’il l’est de trouver des personnes qui aiment nos intĂ©rĂȘts autant & plus que les leurs , qui nous fassent connoitre & supporter volontiers nos dĂ©fauts, qui nous prĂ©- yiennent&nous secourent dans le besoin. des MƓurs. 89 On ne parle que d’amitiĂ© dans les sociĂ©tĂ©s, dans les compagnies, chez les Grands & parmi le peuple. On ne voit qu’elle fur les visages & fur les levres. Elle elt par-tout, exceptĂ© dans les cƓurs. Ce que l’Auteur du Portrait de l’AmitiĂ© lui fait dire, elt trĂšs-vrai Mon abord est civil, j’ai la bouche riante, Et mes yeux ont mille douceurs Mais quoique je fois belle , agrĂ©able & charmante» Je regne fur bien peu de cƓurs. Il est vrai qu’on m’exalte & presque tous les hommes Se vantent de suivre mes lois Mais que j'en connois peu dans le siĂšcle oĂč noĂŒ$ sommes, Dont le cƓur rĂ©ponde Ă  la voix! Perrault, Quels font en effet la plupart des amis, tels que nous les voyons aujourd’hui & qu’on les a vus dans presque tous les temps ? Des amis passagers, qui ne le font qu’en la riante saison , & qui difpa- roiifent avec les beaux jours de. la fortune semblables aux hirondelles, qui viennent en foule avec le printemps , & s’envolent quand l’hiver approche. Des amis intĂ©rĂ©ilĂ©s , qui recherchent & cultivent votre amitiĂ© tandis qu’elle leur elt utile ou nĂ©cessaire, & qui la nĂ©gligent lorsqu'ils n’eu ont plus besoin, ou qu’elle 50 L’ É c o 1 E ne peut leur procurer aucun avantage semblables Ă  ces animaux domestiques, qui accourent pour recevoir leur nourriture , & se retirent auifi-tĂŽt qu’ils l'ont prise. Des amis fanfarons, qui vous font mille offres de services dans tous les cas oĂč vous aurez besoin d’eux, & qui ne peuvent ou ne veulent rien faire lorsque le temps est arrivĂ© ; comme ces arbres qu’on voit chargĂ©s de fleurs, & qui ne donnent point de fruits. Que dirai-je enfin ? Des amis orgueilleux , qui se glorifient de votre amitiĂ© tandis qu’elle leur est honorable, & qui en rougissent, fl vous venez Ă  dĂ©cheoir, ou que la fortune les Ă©leve au-defl’us de vous semblables Ă  ces chevaux fiers & superbes, qui s’enorgueillissent sous le cavalier qui- les monte, & s’enfuient lorsqu’il tombe. Un homme alla voir un de ses amis, qui venoit d’ĂȘtre Ă©levĂ© Ă  une grande dignitĂ©. Celui - ci aveuglĂ© par sa nouvelle fortune , mĂ©connut son ami just qu’au point de lui demander qui il Ă©toit. L’ami indignĂ© rĂ©pondit au nouveau parvenu , qu’au lieu de complimens de fĂ©licitation il croyoit devoir lui en faire de condolĂ©ance, fur le malheur qu’il avoit eu de perdre tout d’un coup le jugement & la mĂ©moire , puisqu’il ne recomioiiĂźoit pas ses meilleurs amis & qu’il ne se eonnoiifoit plus lui - mĂȘme. des MƓurs. 91 „ Je connois , dit M. de Claville, un maraud qui a fait fortune il me demandent il y a quarante ans l’honneur de ma protection ; & ma protection Ă©toit assurĂ©ment la plus petite chose du monde dix ans aprĂšs il m’appela son ami aujourd’hui il ne me salue pas. J’ai connu un autre homme pire que le premier, parce qu’il de voit avoir l’ame plus belle; il avoir Ă©tĂ© mon intime ami, mais tout- Ă -coup il devint plus grand seigneur qu’il ne l'avoir espĂ©rĂ©. A la premiĂšre entrevue il ne se souvint plus que de notre connoissance, Ă  la seconde il en rougit & l’oublia “. Nous pourions rapporter beaucoup de traits pareils. Mais Ă  ces exemples trop communs & toujours dĂ©shonorans, opposons-en un autre ; & par l’amour de l’équitĂ© autant que pour la consolation des Ăąmes sensibles aux charmes de l’amitiĂ©, faisons voir que dans ce liecle mĂȘme oĂč l’on ne sacrifie guere que fur l’autel de la Fortune, il s’eit trouvĂ© des cƓurs nobles & gĂ©nĂ©reux, qui se sont fait gloire de sacrifier Ă  l’AmitiĂ© pure & constante. ClĂ©ment XIV , 11’étant encore que simple Religieux, voyoit souvent un Peintre Italien fort mĂ©diocre. Il aimoit son caractĂšre , ses mƓurs, & lui dans la plus grande intimitĂ©. ElevĂ© au Cardinalat, il devint IL L’ É C 0 L E pour le pauvre Artiste un grand Seigneur dont , suivant l’usage ordinaire, l’abord devoir ĂȘtre fort difficile. Auffi le Peintre n’osa-t-il pas aller chez le nouveau Cardinal , ni lui demander sa protection. Son ami pensoit bien diffĂ©remment. EtonnĂ© de ne pas le voir pa- roĂźtre Ă  ses audiences , le Cardinal se rendit chez lui dans toute la pompe de sa dignitĂ©. L’Artiste surpris de cette visite inattendue ,1e fut bien plus encore, lorsqu’il vit Son Eminence se jeter Ă  son cou, le presser dans ses bras , & l’assurer qu’elle n’avoit pas oubliĂ© leur ancienne amitiĂ©. Venez donc me voir , lui ditaftec- tueusement le Cardinal , mon palais vous fera toujours ouvert , je ferai toujours visible pour vous , & je ne cefjerai jamais de vous aimer. Lorsqu’il sut Ă©levĂ© Ă  la Chaire pontificale , on prĂ©senta, selon la coutume, au nouveau Souverain l’état de sa maison, sur lequel le Cardinal-M jor avoir placĂ© l’un des plus fameux Peintres d’Italie. J’approuve l’état, dit le Saint Pere, Ă  l’exception de l’article du Peintre. Celui que vous me proposez est finis doute excellent ; mais ma figure n’est point assez distinguĂ©e , pour que les portraits qu’il en se roi t, puilent ajouter Ă  sa rĂ©putation il est riche d’ailleurs & peut bien se passer de moi, Je comtois un Peintre ĂŽ e s MƓurs. 9; moins cĂ©lĂ©brĂ©, beaucoup moins opulent, qui m’a toujours Ă©tĂ© ami, & que j’aime Ă©galement je le prends pour mon premier Peintre. Imitez un si bel exemple & si jamais la fortune .vous Ă©levĂ©, fadelle au conseil du Sage , consa vez dam votre cƓur le souvenir de votre ami , U ne ĂŻoubliez pas lorsque vous ferez devenu riche.s. Sacrifiez toujours volontiers l’orgueil ou l’intĂ©rĂȘt Ă  la tendre amitiĂ© ; & ne ressemblez jamais Ă  aucun de ces faux amis dont nous venons de parler. Que ce soit le cƓur seul qui vous attache Ă  vos amis, fins aucun Ă©gard Ă  leur bonne ou Ă  leur mauvaise fortune. Quelque chose qui leur arrive, souvenez-vous que se dĂ©clarer l’ami de quelqu’un , c’est s’engager Ă  l’étre dans tous les temps, dans toutes les occasions , dans toutes les situations de la vie. AulĂźi supĂ©rieure aux revers qu’inaccesiible Ă  l’envie, la vraie amitiĂ© partage l’infortune comme la fĂ©licitĂ© c’est mĂȘme dans le malheur qu’elle iĂš montre avec plus d’éclat. La prospĂ©ritĂ© donne des amis , l’adversitĂ©, les Ă©prouve, comme le dit encore l’Au- 5 Non obliviscaris amici lui in animo tuo , & non immemorfis illius in opibus luis. Eccli. ZI. 94 L’Écoie teur du Portrait, que nous avons dĂ©jĂ  citĂ© On m'accuse souvent d'aimer trop Ă  paroĂźtre Ou l’on vĂŽit la prospĂ©ritĂ© ; Cependant il est vrai qu’on ne me peut connaĂźtre Qu'au milieu de l’adversitĂ©. C’est ce que ce PoĂ«te Ă©prouva lui- mĂȘme. Il avoir Ă©tĂ© fait ContrĂŽleur-GĂ©nĂ©ral des BĂątimens par M. Colbert, qui l’honoroit de fa confiance & de fou estime. Trop content de faire valoir les talens & le mĂ©rite des autres , de solliciter & d’obtenir des grĂąces pour eux, il bornoit au seul Ă©tablilfement de leur fortune tout l’avantage de la grande faveur. Elle finit avec la vie du Ministre ; & en perdant son protecteur, il perdit aussi son emploi. Il connut dans cette occasion, ce qui n’est que trop ordinaire, l’ingratitude de plusieurs faux amis. Sa maison si frĂ©quentĂ©e auparavant, devint solitaire. Quoique la fidĂ©litĂ© constante dans les malheurs & les disgrĂąces soit bien rare , il s J Ă©n trouve nĂ©anmoins quelquefois des exemples; & les fastes de fĂąmitiĂ© nous en ont conservĂ©, qui mĂ©ritent de servir de modĂšles. En voici deux qui nous ont le plus frappĂ©. Le Philosophe CaĂŒiflhene ayant suivi Alexandre dans ses conquĂȘtes, fut accusĂ© des MƓurs. 95 de trahison auprĂšs de ce Prince , qui le fit mutiler, & le condamna Ă  ĂȘtre enfermĂ© dans une cage de fer Ă  la fuite de l’armĂ©e. Lysimaque , l’un des Capitaines d’Alexandre, & l’ami fidelle de CallisthĂšne, ne discontinua cependant point de venir le voir. Ce Philosophe , aprĂšs l’avoir remerciĂ© de cette attention courageuse , le pria au nom des Dieux, que ce fĂ»t pour la storniere fois. Lailfez- moi, lui dit-il, soutenir mes malheurs, & n’ayez pas encore la cruautĂ© d’y joindre les vĂŽtres. Je vous verrai tous les jours, rĂ©pondit Lysimaque si le Roi vous favoit abandonne des gens vertueux , il nauroit plus de remords , & comnien- ccroit Ă  vous croire coupable. Oh! j’es- pere qu’il ri aura pas le plaisir de voir que la crainte d’encourir fa disgrĂące , triait fait abandonner un ami malheureux. Le deuxieme trait que nous avons Ă  rapporter, ne fait pas moins d’honneur Ă  l’amitiĂ©. Freind, premier MĂ©decin de la Reine d’Angleterre, s’étoit Ă©levĂ© avec force dans le Parlement contre le Minis- tere. Cette conduite ayant indisposĂ© la Cour , on lui suscita des affaires , & il fut renfermĂ© dans la tour de Londres. Environ six mois aprĂšs,le Ministre tomba malade. Il envoya chercher le cĂ©lĂ©brĂ© MĂ©decin AfĂ©ad. Celui-ci, aprĂšs s’ĂȘtre mis au fait de la maladie,dit au Ministre qu’il lui A6 L’ Ê C 0 L ß rĂ©pondoit de sa guĂ©rison, mais qu’il ne lui donneroit pas seulement un verre d’eau , que Freind son ami ne sĂ»t sorti de la tour. Le Ministre , quelques jours aprĂšs, voyants maladie augmenter, sit 'supplier ie Roi d’accorder la libertĂ© Ă  Freind. L’ordre expĂ©diĂ©, le malade crut que MĂ©ad alloit ordonner ce qui convenait Ă  son Ă©tat ; mais ce .MĂ©decin persista dans sa rĂ©solution, jusqu’à ce que son ami fĂ»t rendu Ă  sa famille. Ce qui ayant Ă©tĂ© fait, MĂ©ad-traita le Ministre, & lui procura en peu de temps une guĂ©rison parfaite. Le soir mĂȘme il porta h Freind environ cinq mille guinĂ©es, qu’ilavoit reçues pour ses honoraires, en traitant les malades de son ami pendant sa dĂ©tention, & l’obligea de recevoir cette somme. Heureux ceux qui trouvent de tels amis! Vous mĂ©riterez d’en avoir, si vous ĂȘtes vous-mĂȘme ami fidelle & constant. Avez-vous fait un choix que ce soit pour toute la vie; vous vous en trouverez mieux. Ne quittez pas un ancien ami , car le nouveau ne lui fera pas semblable 6. Ce n’est pas que s’il s’offre une nouvelle amitiĂ© Ă  faire, on doive toujours 6 , Ne dereVnquas amicum anti & l’on n’aime guere Ă  savoir que pour avoir le plaisir de l’apprendre Ă  d’autres. La lĂ©gĂ©retĂ© naturelle les empĂȘche de faire rĂ©flexion Ă  leurs paroles ; & elles oht mĂ©dit presque avant de s’en appercevoir. L’oisivetĂ© & l’envie de parler font chercher dans la mĂ©disance des sujets d’entretien ; fans la mĂ©disance , combien de personnes n’au- roient rien Ă  dire Ăź Il y en a aufii qui ne parlent si volontiers des dĂ©fauts des autres , que pour faire croire qu’ils ne les ont point ou qu’ils n’en ont pas de si grands. Mais l’amour-propre est souvent ici la dupe; car on ne manque guere de venger sur leurs dĂ©fauts ceux qu’ils ont censurĂ©s dans les autres. N’invitons pas la malignitĂ© Ă  chercher dans nous de quoi nous humilier & nous confondre. Il est bien difficile de ne pas lui donner prise par quelque endroit ; & il n’y a guere d’occasions oĂč l’on fĂźt un mauvais marchĂ© de renoncer au bien qu’on -dit de 1X4 L’ É G O L E nous, Ă  condition de n’en point dire de mal. C’étoit donc une fanfaronnade, ou une dĂ©faite de l’amour-propre, toujours ingĂ©nieux Ă  fe tromper, que la rĂ©ponse de Boileau - Desprc'aux. Lorsqu’on lui reprĂ©senta que s’il s’attachoit Ă  la satire, il se feroit des ennemis qui auroient toujours les yeux fur lui &ne chereheroient qu’à le dĂ©crier HĂ© bien , rĂ©pondit-il, je ferai honnĂȘte homme , &je ne les craindrai point. Mais ignoroit-ildonc qu’il est bien difficile d’ĂȘtre toujours honnĂȘte homme dans le mĂ©tier qu’il faifoit? Le meilleur PoĂ«te satirique ne manque-t-il pas essentiellement Ă  la probitĂ©, lorsqu’il outre les choses, & que sans Ă©gard il immole ses contemporains Ă  la risĂ©e de son siede & de la postĂ©ritĂ©, comme on a reprochĂ©, avec assez de justice, Ă  DesprĂ©aux de l’avoir fait? Aussi ce PoĂ«te, qui s’est immortalisĂ© par son Lutrin , son Art PoĂ©tique & ses Epltres , auroit-il une gloire plus pure , s’il n’eĂ»t pas composĂ© ses Satires. Ce n’est pas qu’il ne soit quelquefois permis, qu’il ne soit utile mĂȘme, de critiquer les mauvais Auteurs,& de prendre en main la dĂ©fense du bon goĂ»t contre ses ennemis , comme on peut dĂ©masquer l’erreur, l’hypocrisie pernicieuse, & faire connoĂźtre les gens dangereux, afin qu’ils des MƓurs. irf ne nuisent Ă  personne. Mais c’est qu’un Satirique ne reste presque jamais dans les justes bornes. La satire, d’abord modĂ©rĂ©e & lĂ©gitime, devient bientĂŽt outrĂ©e, piquante , personnelle & partiale. Sous prĂ©texte de venger le bon goĂ»t, on se venge soi-mĂȘmeon satisfait son ressentiment & sa haine. Pour rĂ©jouir le lecteur, on aiguise les traits de la satire, on mord, on dĂ©chire sans mĂ©nagement. On n’épar gne plus, lorsqu’une fois on se voit applaudi de ses premiers essais , & malheureusement la satire ingĂ©nieuse l’est presque toujours. Elle plaĂźt Ă  notre malignitĂ© , qui aime fur-tout Ă  voir tourner en ridicule , parce qu’il n’y a guere d’abaissement plus grand, ni qui soit plus sans retour; car on a honte d’estimer dans la fuite ceux dont on s’est moquĂ©. C’est pour cela que la rĂ©paration de Qui~ nault a encore aujourd’hui tant de peine Ă  le rĂ©tablir, & que celle de Cotin n’a pu se relever. Qu’on lise nĂ©anmoins l’hiC. toire de l’AcadĂ©mie Françoise, & l’on verra que les Cajjagne , les Cotin , dont les noms remplissent si souvent les mor- dans hĂ©mistiches de ce cruel & trop ingĂ©nieux Satirique, mĂ©ritoient, Ă  plusieurs Ă©gards, l’estime publique qu’il leur a fait perdre. Cajjagne Ă©toit assez bon PoĂ«te , & PrĂ©dicateur estimĂ©. L’Ode qu’il fit Ă  la 1 16 L’ É C O 1 E louange de l’AcadĂ©mie Françoise, l’y St recevoir Ă  l’ñge de vingt-sept ans; A le, PoĂ«me qu’il publia l’annĂ©e suivante, oĂč il introduit Henri IV", donnant des instructions Ă  Louis XIV, lui acquit l’estime de M. Colbert. Il Ă©toit fur le point de prĂȘcher Ă  ta Cour, lorsque Boileau ayant rnis son nom avec celui de Cotin dans sa troisiĂšme satire , ce trait piquant le fit renoncer Ă  la Chaire , & l’interrompit au milieu de sa course. AprĂšs avoir fait les derniers efforts pourregagner l’estime du public par ses ouvrages, il succomba ious le poids de l’étude & du chagrin. Ses pareils avertis que sa tĂšte se dĂ©rangeoit, furent contraints de le mettre Ă  Saint- Lazare , oĂč il mourut ĂągĂ© seulement de quarante-six ans. Triste effet de la satire, & qui devoir bien rendre amer pour l’Auteur lui-mĂȘme le plaisir qu’elle pouvoir d’ailleurs lui donner ! Quant Ă  l’AbbĂ© Cotin, peut-ĂȘtre il auroit eu le tranquille fort de tant d’autres Ecrivains qui ne valoient pas mieux que lui ou qui peut-ĂȘtre valoient moins. Pendant leur vie on les laisse jouir de la bonne opinion qu’ils ont d’eux-mĂȘmes , & aprĂšs leur mort leur mĂ©moire est ensevelie avec leurs cendres dans un mĂȘme tombeau. Au fond, Cotin n’étoit pas si mĂ©prisable que la satire l’a voulu faire croire. Il savoir les langues, Ă©toit des MƓurs-. uy efoĂ©ri dans les plus illuRres compagnies oĂč l’on ne fai soit guere accueil qu’au mĂ©rite , & prĂȘcha seize CarĂȘmes dans les meilleures Chaires de Paris. Qu’on lise ce qu’il a Ă©crit on conviendra non-feulement qu’il Ă©toit versĂ© dans la Philosophie & dans la ThĂ©ologie, mais que fĂ  prose a quelque chose d’aife , de naĂŻf & de noble, & que ses poĂ©sies mĂȘme ont de quoi plaire en bien des endroits aux personnes les plus dĂ©licates. Mais il eut le malheur de se brouiller avec MoĂŒere & Boileau. Il avoit offensĂ© le premier, en publiant Ă  l’HĂŽtel de Rambouillet, que le Duc de Montanster Ă©toit jouĂ© dans le Misanthrope; & ce Seigneur qui le crut ainsi, en fit arrĂȘter la reprĂ©sentation. Il avoit blĂąmĂ© Boileau de son goĂ»t pour la satire, & il Ă©toit intime ami de Gilles Boileau brouillĂ© alors avec le PoĂ«teson cadet. Selon l’Auteur des Anecdotes Litte. . raires , ce fut la fatale nĂ©cessitĂ© de la rime , qui attira fur l’AbbĂ© Cotin les traits du Poste satirique. Celui - ci rĂ©ci- toit Ă  Furniere la satire du Repas, & se trou voit arrĂȘtĂ© par un hĂ©mistiche qui lui manquoit Si l'ou n’est plus Ă  ü’aife ?His en un festia. Qu’aux fermons de Caslagne. Vous voilĂ  bien embarrassĂ©, lui ditFure- tiçre, que n’y mettez-vous l 'AbbĂ© Cotin ? ĂŻig L 5 École Il ne fallut pas le dire deux fois. Quoi qu’il en soit, Moliere & Boileau attaquĂšrent le malheureux Cotin de la maniĂ©rĂ© que tout le monde fait ; & Cotin accablĂ© des traits perçans du Satirique & de la Scene de Trijsotin , ne put s’en relever. Il bailla tellement, que ses pareils agirent pour qu’il fĂ»t mis en curatelle. Boileau avoit donc plus de raison qu’il ne pensoit, de dire lui-mĂȘme au commencement d’une de ses Satires Ăźyiuse, changeons de style, & quittons la satire.; C’est un mĂ©chant mĂ©tier que celui de mĂ©dire. Ce qu’il ajoute n’est pas moins vrai A l'Auteur qui l’embraste il est toujours fatal. I,e mal qu’on dit d’autrui, ne produit que du mal. C’est ce qui est arrivĂ© Ă  une infinitĂ© de Satiriques, & en particulier Ă  Sotade , ancien PoĂ«te Grec. Ses poĂ©sies Ă©toient pleines de mĂ©dilĂ nces & de satires mordantes contre les personnes les plus respectables. PtolĂ©mĂ©e Philadelphe^ Roi d’Egypte , contre lequel il avoit osĂ© Ă©crire , le fit enfermer dans un coffre de plomb , & jeter dans la mer. Si vous ĂȘtes jaloux de votre propre honneur & de l’estime des hommes , ne mĂ©disez point. Il y en a qui croient des MƓurs, HA. plaire ou briller par-lĂ  , mais on les dĂ©teste & on les mĂ©prise. Et qui le mĂ©rite mieux ? Car fi c’est l’envie ou la haine qui fait parler le mĂ©disant, comme il arrive presque toujours ; quelle bassesse ! Si c’est de sang-froid & sans intĂ©rĂȘt, qu’il fait , contre des personnes de qui il n’a reçu aucun mal, tout ce que l’emportement & la vengeance pouroientlui suggĂ©rer de plus cruel contre des ennemis dĂ©clarĂ©s ; quel caractĂšre noir ! De quelque cĂŽtĂ© donc qu’on envisage le mĂ©disant, on ne peut que le mĂ©priser & le haĂŻr. Le mĂ©disant ne plaĂźt qu’à ceux qui ont beaucoup de malignitĂ© ou des raisons particuliĂšres encore aiment-ils toujours plus la mĂ©disance que le mĂ©disant. 11 leur apprend ce qu’il peut faire contre eux par ce qu’il fait contre les autres & qui est-ce qui n’a pas Ă  craindre les traits d’une mauvaise langue ? On la hait donc au fond, de quelque caractĂšre qu’on soit. Les gens malins, ennemis ou jaloux, ne l’écoutent que pour en nourrir leur malignitĂ© , leur haine ou leur envie ; & ils la percent Ă  son tour des mĂȘmes traits dont elle a percĂ© les autres. Les gens de bien qui rĂ©flĂ©chissent fur l’indignitĂ© de ces sortes de discours , se bouchent les oreilles pour ne pas les entendre ils s’indignent contre celui qui leus ĂŻ2 L’É C 0 L ! apprend ce qu’ils ne voudroient p&S' savoir. C’est ce que tout le monde doit faire. Car ce n’est pas assez de ne point mĂ©dire , on doit encore fermer l’oreille Ă  la mĂ©disance. Celui qui l’écoute est presque aussi coupable que celui qui la dit il en est le criminel complice. Aulfi le Sage nous recommande-t-il de ne point prĂȘter l’oreille aux langues mĂ©disantes Faites , dit - il, comme une haie d’épines Ă  l’entrĂ©e de' vos oreilles , Ăš? n’écoutez pas la mĂ©chante langue. Le plus fur moyen de la faire taire est de ne pas l’écouter. Le vent d’aquilon diffipe la pluie , dit Salomon, le visage triste fait taire la langue mĂ©disante i . Une personne voulant dire Ă  une autre quelque chose au dĂ©savantage du prochain, celle - ci lui fit ce compliment qui la surprit & qui ne lui plut guere Il y a dĂ©jĂ  long-temps que je me fuis rnis en pojjejjton de n entendre ja- rÈais parler mal de personne. Si vous avez quelque chose de hon Ă  me dire de la personne en queßion , je ÂŁ Ă©couterai avec plai- sir ; sinon je vous prie de me dispenser d’une audience qui me serait peine. M. de Chanscuil de GrandprĂ© se trouva un T Sept tiares tuas fpĂźnls t lingnan n'equazt nohs- audire . Lseli. r2. PrĂŒfTa*. des MƓurs. xai si jour dans une maison respectable , oĂč un Lieutenant-de-Roi d’une ville de province, fort mĂ©disant, parloit trĂšs- dĂ©savantageusementde son Gouverneur, avec qui il Ă©toit brouillĂ©. Monsieur, lui dit M. de GrandprĂ©, vous dĂ©chirez Ă  tort une personne que j estime Ă©si Ă  qui j’ai mille obligations vous me faites l'honneur d’avoir quelque bontĂ© pour moi si vous avez bien rĂ©solu de briller Ă  ses dĂ©pens , vous m’obligerez beaucoup de ne pas m’en rendre le tĂ©moin. Le Lieutenant-de-Roi, confus & charmĂ© de la maniĂ©rĂ© honnĂȘte de M. de GrandprĂ©, lui dit que puisque le Gouverneur Ă©toit de ses amis, il chan- geroit de ton & d’entretien , & qu’il y avoit tant de plaisir Ă  ĂȘtre dans son amitiĂ© qu’il le prioit de lui accorder cette grĂące. Je vous l'offre , lui rĂ©pondit M. de GrandprĂ© , mais Ă  condition que les abfens pour qui je mintĂ©resfe , ne seront jamais impunĂ©ment dĂ©chirĂ©s en ma prĂ©sence. Ceux qui ont autoritĂ©, font obligĂ©s de fermer la bouche au mĂ©disant. „Ne permettez pas, disoit Saint Louis Ă  son fils, que personne ait la hardiesse de prononcer devant vous aucune parole qui puisse porter qui que ce soit au pĂ©chĂ© , ni d’attaquer par la mĂ©disance la rĂ©putation des autres , soit qu’ils soient prĂ©sens ou abfens”. Louis XIV, qui avoit toutes Tome III. F 122 V É C O L E les qualitĂ©s cü’un grand Roi, ne s’étoit pas feulement interdit la mĂ©disance, toujours indĂ©cente dans la bouche d’un Prince ; mais il la dĂ©sarnioit lorsqu’elle osoit pa- roĂźtre devant lui. Un petit-maĂźtre voulant jeter un ridicule sur l’incapacitĂ© d’un jeune Seigneur, dit Ă  ce Prince qu’on seroit un gros livre de ce que ce Seigneur ne savoir pas. Le Roi prenant un airsĂ©vere, dit Ă  ce railleur Et l’on ertr fcroit un fort petit de ce que vous savez. Si vous avez entendu quelque parole contre la rĂ©putation du prochain, gardez-vous de la rĂ©pĂ©ter, & comme dit P'Espric-Saint, faites-la mourir dans vous- mĂȘme 2 . Le mal que nous apprenons des autres , doit ĂȘtre enseveli chez nous, quand il n’y a pas de preiiante nĂ©cellitĂ©, Ă  le redire. Lorsqu’on disoit Ă  la vertueuse Reine de France, Epouse de Louis XV", quelque chose qui biesĂźoit l’honneur du prochain, elle refusoitd’a- hord de le croire. La chose devenoit- elle publique elle excusoit ou plaignoit la personne, 8c n’en parloir plus. On ne doit pas moins respecter la mĂ©moire des morts que la rĂ©putation des vivans. On parloir en prĂ©sence de Milord l Audifii verbam advenus proxlmum tuum ? com» msnatnr in te, ÂŁ cc!i. 19. des MƓurs. 125 'Bolimjbrohe , de l’avarice dont le Duc de Marlborough avoir Ă©tĂ© acculĂ©, & l’on citoit des traits fur lesquels on appeloit au tĂ©moignage de Bolingbroke, qui avoit Ă©tĂ© l’ennemi dĂ©clarĂ© du Duc. C'Ă©toit un si grand homme , rĂ©pondit Bolingbroke» que fai oubliĂ© ses vices. g - ĂźM - y. Badine^ prudemment les personnes prĂ©sentes. Il es si rare & si difficile de rire des autres fans les choquer, qu’il vaudraic mieuxs’enabsienir entiĂšrement. I/amour- propre est si dĂ©licat, qu’il est presque imposable de le toucher fans le blesser, Ă  moins qu’on ne le fasse avec beaucoup de lĂ©gĂšretĂ© & de prudence. Il faut que le badinage soit mĂȘlĂ© de tant d’égards & d’estime, que la personne qui eu est le sujet, en soit moins offensĂ©e que flattĂ©e. On doit aulsi bien examiner ceux avec qui on badine. Les greffiers, les igno^ rans & les sots font toujours prĂȘts Ă  se fĂącher, & Ă  croire qu’on se moque d’eux ou qu’on les mĂ©prise. Il ne faut jamais, dit la Bruycre , hasarder la plaisanterie mĂȘme la plus douce & la plus permise, qu’avec des gens polis ou qui ont de l’esprit. En gĂ©nĂ©ral, il faut rarement badiner. Il est vrai que le badinage, quand il est- F A 124 L’ É C O L E juste , lĂ©ger & finement renvoyĂ© , est le leide la conversation, qui devient insipide & ennuyeuse , quand on n’y rit pas. Mais trop de ce sel, dit l’Auteur des Conseils de la Sagesse , est bien pis que point du tout, & en ce genre le trop n’est pas loin du peu. Il faut bien de la prudence pour se tenir dans la modĂ©ration & pour ne point passer jusqu’à l’excĂšs ; il faut bien du jugement pour ne rien dire de dĂ©placĂ©, & beaucoup d’attention fur ses paroles pour ne pas laisser Ă©chapper le moindre mot qui puisse blesser. Ne vous mĂȘlez donc pas de rire ni de jouer avec les autres, si vous n’ùtes extrĂȘmement sage, & si vous n’avez l’art de le faire discrĂštement & avec grĂące. Usez d’une grande circonspection. Observez soigneusement l’humeur, le temps, le lieu, les occasions ce qui est bien reçu aujourd’hui ne le fera pas demain. Assaisonnez le badinage avec une louange en mettant de son parti l’amour-propre des autres, on est sĂ»r de ne jamais dĂ©plaire. Mais c’est-lĂ  prĂ©cisĂ©ment ce qu’on ne fait pas. Les badinages les plus doux, les plus modĂ©rĂ©s , les plusinnocens, dĂ©gĂ©nĂšrent presque toujours. Parmi les traits que fait partir une humeur enjouĂ©e, il y en a toujours quelqu’un de plus perçant qui pĂ©nĂ©trĂ© jusqu’au cƓur. des MƓurs. ,ir§ Il en eil de ces jeux d’esprit comme des jeux de main. On gagne souvent beaucoup Ă  supprimer un bon mot, & l’on s’expose toujours Ă  en risquer un dangereux. Ne faites jamais aucun badinage qui puisse dĂ©plaire ; & quel qu’il soit, n’en faites pas souvent, de peur d’en contracter l’habitude. On dit quelquefois bien des sottises, quand on veut faire le rieur & le plaisent. On cherche les rieurs, &'moi je les Évite Cet art veut fur tout autre un suprĂȘme mĂ©rite. Dieu ne crĂ©a que pour les sots Les mĂ©chans liseurs de bons mots.. La Font', Celui qui aime Ă  plaisanter ne fera pas long-temps estimĂ©; & s’il y joint la raillerie , comme il arrive ordinairement, il se rendra mĂ©prisable & odieux. Le plus mauvais de tous les caractĂšres est celui de railleur. Il se fait beaucoup d’ennemis , & n’a aucun ami. Souvent mĂȘme il change .les meilleurs amis en ennemis irrĂ©conciliables. Un Anglois de beaucoup d’esprit, nommĂ© Thomas Fuller , & de ces hommes qui auraient mieux aimĂ© perdre vingt amis qu’un bon mot, fait quelques vers fur une femme grondeuse. Le Docteur Confius , son 3 126 t’É C O l E bienfaicteur, les ayant entendu rĂ©citer, lui en demanda une copie. Rien de plus juste , lui dit Fuller , puisque vous avez 'Foriginal. Le Docteur fut d’autant pius piquĂ© de l’épigramme, que fa femme ne passoit pas pour ĂȘtre douce. Il cessa de protĂ©ger Fuller , & devint son ennemi. On pardonne , ou rend quelquefois son amitiĂ© Ă  ceux qui ont fait quelque injustice ou quelque affront ; mais la raillerie est de toutes les injures celle qui se pardonne le moins , parce qu’elle est ‱le langage le plus certain du mĂ©pris. Elle porte Ă  l’amour - propre le coup le plus sensible , parce qu’elle nous ĂŽte la bonne opinion que nous avons de nous-mĂȘmes, & qu’elle veut nous rendre ridicules aux yeux des autres & Ă  nos propres yeux. C’est une injure dĂ©guisĂ©e ; & ce qui la rend encore plus humiliante, c’est qu'en mĂȘme temps qu’elle nous abaisse , elle semble Ă©lever celui qui nous raille au- dessus de nous ; elle le rend pour ce moment en quelque forte notre supĂ©rieur & notre maĂźtre. C’est pour cela qu’il est si dangereux de railler les Grands. La raillerie qui les attaque devient souvent funeste , & bien des bons mots ont coĂ»tĂ© cher Ă  leurs auteurs. Un certain ThĂ©ocrite avant offensĂ© le Roi Antigonus qui croit borgne, ce Prince promit de lu pardonner, s’il I des MƓurs. 127 venoit lui demander fa grĂące. Ses amis , pour l’y engager, lui disoient Ne craignez rien, votre grĂące est assurĂ©e, dĂšs que vous aurez paru aux yeux du Roi. Ah ! dit - il , ßje ne puis obtenir ma cjrace , fans paraĂźtre Ă  scs yeux , je fuis perdu . "Cette raillerie fut rapportĂ©e au Prince, qui le fit mourir. Le dĂ©iir de la vengeance est toujours le premier fruit, que produit la raillerie dans le cƓur de celui qu’elle oiseuse. Philippe 7, Roi de France, aimoit Ă  se railler de l’embonpoint & du gros ventre de Guillaume le ConquĂ©rant, Duc de Normandie. Il demandoit quelquefois en riant Ă  ceux de sa Cour quand Guillaume accouehcroit. Ce Duc, qui Ă©toit Ă  Rouen,,1e fut. 11 lui fit dire quil n attendait que l'heure de scs couches , & que quand il scroit relevĂ© , il viendrait faire ses remcrcĂźmcns Ă  sainte GĂ©nevieve de Paris avec dix mille lances au lieu de chandelles. En effet, il dĂ©sola quelque temps aprĂšs le Vexin François , força la ville de Mantes, la rĂ©duisit en cendres , & en fit tuer tous les habitans. Si la mort ne l’eĂ»t arrĂȘtĂ© , il aurait pu conquĂ©rir toute la France , comme il avoit dĂ©jĂ  conquis l’Angleterre. La raillerie qui peut offenser, est indigne de tout honnĂȘte homme; mais elle convient encore moins Ă  un Prince qu’à F 4 A 128 L’ É C 0 1 E tout autre, parce qu’elle pique plus vivement. Henri IV voyant un Gentilhomme Provincial, qui considĂ©roit la magnifique galerie de Fontainebleau avec des yeux itupides , s’approcha de lui, & lui demanda Ă  qui il appartenoit. A moi-mĂȘme , rĂ©pondit le Provincial. Vous avez un sot maĂźtre > lui dit le Roi. Louis XIV n’au- roit pas dit ce bon mot, quand il se seroit oisert Ă  lui il ne se permettait pas la moindre raillerie dĂ©sobligeante. Il savoit mettre dans ses paroles & dans ses actions plus de dignitĂ© & de dĂ©cence que Henri IV, qui avoit le cƓur bon , mais l’esprit trop vif. Plus on est Ă©levĂ© au-dessus des autres par son rang , moins on doit se permettre la raillerie, parce qu’elle est plus cruelle. Il y a d’ailleurs peu de gloire Ă  espĂ©rer de ces badinages piquans , & beaucoup de honte Ă  craindre , en s’exposant Ă  une repartie d’autant plus humiliante qu’on devoit moins se mettre dans le cas de la mĂ©riter. Un Courtisan avoit Ă©tĂ© plusieurs fois envoyĂ© en ambassade. Son Prince lui dit un jour en le raillant, qu’il ressembloit Ă  un bƓuf. Je ne sais Ă  qui je ressemble , rĂ©pondit-il, mais je fais bien que j'ai eu l’honneur de vous reprĂ©senter en plusieurs occafĂźons. La raillerie est toujours mal reçue de celui Ă  qui elle s’adresse, & n% fait guere des MƓurs. i*9 d’honneur Ă  celui qui raille. Avec des infĂ©rieurs ou de petits gĂ©nies, c’est uns honte avec un grand ou un supĂ©rieur, il y a du risque Ă  l’égard des Ă©gaux, ils la rendront avec usure, & couvriront souvent le rieur de confusion. Car lors, que celui contre lequel on lance le trait, sait le renvoyer adroitement Ă  celui qui l’a fait partir, il l’expose Ă  la risĂ©e , & le charge lui-mĂȘme du ridicule qu’il vouloit jeter sur un autre. Louis XIII , supportant avec beaucoup de patiehee une harangue ennuyeuse Ă  la porte d’une petite ville, un de ses Courtisans qui s’imaginoit de faire plaisir au Roi en interrompant l’Orateur, lui demanda de quel prix Ă©toient les Ăąnes de son pays. L’Orateur lui dit, aprĂšs l’avoir regardĂ© depuis la tĂšte jusqu’aux pieds Quand ils font de votre poil & de votre taille , ils valent dix Ă©cus. Le ton moqueur & mĂ©prisant est dangereux on s’expose Ă  entendre des paroles fort offensantes. On ad mir oit dans une compagnie l’esprit vif & formĂ© du jeune Pic de la Mirandolc. Un Cardinal dit d’un air de raillerie & de mĂ©pris, que plus les enfans avoient d’esprit dans leur premiĂšre jeunesse, moins ils en avoient dans un Ăąge plus avancĂ©. Si ce que vous dites est vrai , repartit aussi-tĂŽt l’enfant, F s J}0 L’ É C O L E il faut que Votre Eminence en ait eu beaucoup Ă©tant jeune. Il ne faut pas railler ses amis mĂȘme , fi l’on veut les conserver. Racine aimoit Ă  railler, & il Ă©toit alors amer & piquant. Ses meilleurs amis ne trouvoient pas grĂące auprĂšs de lui, quand il leur Ă©chappoit quelque chose qui lui donnoit prise. DesprĂ©aux accablĂ© un jour de ses railleries, lui dit aprĂšs la dispute Avez- vous eu envie de me fĂącher ? Dieu m’en garde, rĂ©pondit son ami. HĂ© bien , reprit DesprĂ©aux , vous avez donc tort , car vous m’ave 2 fĂąchĂ©. Une autre fois DesprĂ©aux ayant avancĂ© Ă  l’AcadĂ©mie quelque choie qui n’étoit pas julte , Racine ne s’en tint pas Ă  une simple plaisanterie, qui part souvent du premier feu de la dispute, mais il la poufia si loin que DesprĂ©aux fut obligĂ© de lui dire Je conviens que j’ai tort , mais j’aime mieux avoir tort que d’avoir raison comme vous t’avez. 11 y a des gens qui ne peuvent parler fins railler, ni railler fans offenser. Leurs mots Ăącres & mordans, leurs railleries mĂȘlĂ©es de fiel & d’absinthe les rendent odieux. Car si l’on rit quelquefois d’un trait satirique & piquant, on dĂ©telle presque toujours ceux qui le disent. Il y a de petits dĂ©fauts qu’on abandonne volontiers Ă  la censure, & dont des MƓurs. J31 nous souffrons facilement qu’on nous raille. Ce font de pareils dĂ©fauts que nous devons choisir pour railler les autres. Encore faut-il bien de l’esprit & de la finesse pour badiner joliment, & beaucoup de supĂ©rioritĂ© sur la personne qu’011 badine, afin qu’elle n’ait pas droit de s’en offenser, ni lieu de croire qu’on 'manque au respect qui lui eil dĂ». Voici deux railleries qui ont les conditions que nous venons d’exiger. Un Historien Romain 5 rapporte qu’un Vieillard demanda un jour une grĂące Ă  l’Empereur, qui ne voulut pas la lui accorder. Ce bon homme croyant qu’on K lui refusoit Ă  cause de sa vieillesse, s’avisa d’u'»e plaisante invention pour tromper le Prince, lise fit peindre les cheveux en noir, & retourna ainsi dĂ©guisĂ© Ă  la Cour. L’Empereur reconnut l’artifice , & lui dit en plaisantant Ce que vous demandez , je P ai dĂ©jĂ  refusĂ© Ă  votre pere. Un Courtisan s’adressa au Roi AL phonsc , surnommĂ© le Courageux, & lui dit j’ai songĂ© cette nuit que Votre MajestĂ© me fnsoit un riche prĂ©sent. Le Roi lui rĂ©pondit Ne savez-vous pas que V» Spanien , de qui nous avons les Vies d'Adrien » de Ciracaila ^ de quatre autres Empereurs. F 6 L’ É C O L E les ChrĂ©tiens ne doivent point ajouter foi eux soupes ? On a dit que la fine raillerie Ă©toit la fleur d’un bel esprit. S’il y a des occasions oĂč elle puisse ĂȘtre permise, c’est principalement lorsqu’elle renferme une satire ingĂ©nieuse & dĂ©licate d’un vice ou d’un ridicule. En voici des exemples. Barnevelt , cĂ©lĂ©brĂ© Pensionnaire de Hollande, ayant embrassĂ© le parti opposĂ© Ă  celui de Maurice, Prince d’Orange , on l’accusa d’avoir voulu livrer le pays aux Espagnols, & il eut la tĂšte tranchĂ©e Ă  l’ñge de soixante & douze ans. Les Juges qui le condamnĂšrent Ă  mort, eurent chacun pour leurs vacations deux mille quatre cents florins. Quelque temps aprĂšs cette injuste exĂ©cution, un cĂ©lĂ©brĂ© Avocat dit Ă  l’un des juges On dit de vous deux choses que je ne saurois croire la premiĂšre, que vous n’-avez guere d’eC. prit ; la deuxieme, que vous ĂȘtes avare. La premiĂšre ne sauroit ĂȘtre vraie , car vous avez su trouver le Pensionnaire coupable d’un crime digne de mort ce que les plus habiles Jurisconsultes n’ont pu faire. La deuxieme n’est pas moins fausse, car vous avez aidĂ©, pour deux mille quatre cents florins, Ă  rendre une sentence que je n’aurois pas voulu rendre pour tous les biens du monde. On demandoit Ă  un Ambassadeur nou- des MƓurs. i?? vcllement arrivĂ© , ce qu’il pensoit de la beautĂ© de plusieurs Dames, qui Ă©toient toutes extrĂȘmement fardĂ©es. Dspcnsez- moi d'en juger , rĂ©pondit-il, je rte me con- nois pas en peinture. Un bon mot, quand mĂȘme ilseroit un peu piquant, n’est jamais mieux employĂ© que lorsqu’on s’en sert pour humilier la vanitĂ© & l’orgueil. Un fanfaron ayant eu avec un Officier une querelle qui ne s’étoit pas terminĂ©e Ă  fa gloire, alla chercher son adversaire dans un cafĂ© oĂč il savoit sans doute qu’il n’étoit pas. Il dit tout haut que, s’il l'avoir trouvĂ© , il lui auroit donnĂ© des coups de canne. Quelqu’un qui savoir son histoire lui rĂ©pondit C'etoit apparemment une restitution que vous vouliez lui faire. On peut rire d’un homme vain & orgueilleux, qui va , pour ainsi dire, au- devant de la raillerie. Mais il y a de la honte Ă  se moquer d’un sot, comme il y a de la puĂ©rilitĂ© & de la sottise Ă  se railler des difformitĂ©s du corps. Celui qui insulte Ă  la nature, mĂ©rite qu’on lui fasse un reproche plus grand & plus sensible , celui de n’avoir ni esprit ni savoir-vivre. Un Seigneur Ă  cordon-bleu, dont le gĂ©nie paffoit pour ĂȘtre fort petit, voyoit briller un gros diamant au doigt d’une Dame qui n’étoit pas belle, & qui avĂŽit lamainassez maigre & dĂ©charnĂ©e. Il dis 13+ L’Écol e en riant Ă  un de ceux qui Ă©toient avec lui J’aimerois mieux la bague la main. Et moi, repartit la-Dame qui l’a'voit entendu ,j aimerais mieux le licou que la bĂȘle. Le vrai usage de la raillerie, lorsqu’on peut l’employer, ne doit ĂȘtre que de montrer le ridicule d’un vice ou d’un dĂ©faut dont on peut se corriger. Quel sujet de railler n’est-ce pas nĂ©anmoins pour certaines gens , qu’une personne dont le corps a quelque difformitĂ©, quelque imperfection! quelle matiĂšre Ă  la plaisanterie! quel champ pour faire briller leur esprit, eu plutĂŽt pour montrer qu’ils n’en ont point ! un sot railloit un homme d’esprit sur la longueur de ses oreilles Il est vrai , lui rĂ©pondit la personne raillĂ©e, fai des oreilles trop grandes pour un homme j mais convenez aussi que vous en avez de trop petites pour un Ăąne. Consulte ÂŁ volontiers. Cette maxime renferme un des conseils les plus prudens que puisse donner la sagesse en le suivant, on Ă©vitera de fuite bien des sottises. Ceux qui font tout , avec conseil , dit le plus sage des Rois , sont conduits pur la sagesse I . A tout Ăąge, en tout Ă©tat, fur toute matiĂšre, on peut tirer un grand fruit des conseils des autres. Quelque habile & quelque Ă©clairĂ© qu’on soit, on est souvent, pour ses propres affaires, comme un mĂ©decin malade qui a besoin d’en consulter d’autres. On voit des gens trĂšs-habiles prendre l’avis des personnes d’un esprit infĂ©rieur, mais capables de rĂ©flexions judicieuses , qui peuvent Ă©chapper aux plus Ă©clairĂ©s. Le moins habile peut quelquefois instruire celui qui l’est le pstts. L’homme d’esprit, qui que ce soit qui parle , Ă©coute ce qu’on lui dit, & en profite. Il sut tirer de chacun quelque Ă©tincelle ou quelque rayon de lumiĂšre ; & de ccs petites lumiĂšres I Oui agiint omnia cum confiho, rcfsuntur sapĂŻen* jia. Frov. 13. 1z6 1/ É C O L E rĂ©unies, il fait naĂźtre autant6e jour qu’il lui en faut pour bien se conduire dans ses entreprises. Ecoutez tout le monde, afiĂźdu consultant Un fat quelquefois ouvre un avis important. V ES PR. Aimez donc Ă  demander conseil, & prenez pour maxime de ne jamais rien faire de consĂ©quence, sms avoir consultĂ©. Plus les intĂ©rĂȘts font grands & les suites importantes, plus le conseil est nĂ©cessaire. Un conseil sage empĂȘche souvent de faire de grandes fautes. Tandis que la pailion tient nos yeux attachĂ©s Ă  regarder notre but, nous ne voyons pas ce qui est autour de nous & ce qui nous fuit un ami fidelle & Ă©clairĂ© nous le fait voir. Henri IF, n’étant encore que Roi de Navarre, vouloir Ă©pouser la Comtesse de Guiche qu’il aimoit. Il demanda Ă  d’AubignĂ© son sentiment sur ce mariage; &‱ contre la sage maxime de ne faire jamais connoĂźtre Ă  ceux que l’on consulte, de quel cĂŽtĂ© on penche, il lui tĂ©moigna la grande envie qu’il avoir de prendre ce parti. Il lui allĂ©gua l’exemple de plusieurs Princes, qui avoient trouvĂ© leur bdnheur en Ă©pousant des femmes qu’ils aimoient, quoiqu’elles fussent au-dessous d’eux par leur condition. Ce Prince en / des MƓurs. i?7 disĂŽit assez pour dĂ©terminer d’AubignĂ© Ă  lui donner un conseil conforme Ă  son inclination. Mais incapable de le flatter & de trahir son devoir , d’AubignĂ© lui rĂ©pondit avec une noble hardiesse. , 3 Sire , ces excuses ne peuvent vous convenir. Ces Princes jouifloicnt tranquillement de leurs Etats , ils n’avoient point d’ennemis qui les inquiĂ©tassent ils n’étoient point, Sire , errans comme vous , qui ne conservez votre vie & ne soutenez votre fortune que par votre vertu & par votre renommĂ©e. Vous devez aux François de grandes actions & de beaux exemples. Les mauvais exemples que vous avez citĂ©s , je ne vous les impute point; je fais que vous n’aimez pas la lecture ils vous ont Ă©tĂ© fournis par des Conseillers infĂźdelles , qui ont voulu flatter votre paillon. U faut que vous soyez ou CĂ©sar ou rien ; que vous vous rendiez afĂźidu dans votre Conseil que vous abhorrez ; que vous consacriez plus de temps aux affaires nĂ©cessaires ; que celles qui font essentielles aient la prĂ©fĂ©rence fur les autres , & particuliĂ©rement fur le plaisir ; que vous surmontiez les foiblesses que vous avez dans votre domestique, & qui font indignes d’un grand Roi. Le Duc d’Alençon est 158 L’ É c o l E mort 2 . Vous n’avez plus qu’un pas Ă  faire pour monter fur le trĂŽne. Si dans le temps que vous ĂȘtes fur le point d’y arriver, vous faites une action qui vous dĂ©shonore , elle vous Ă©loignera pour toujours du trĂŽne oĂč vous deviez ĂȘtre placĂ©. Si vous devenez-l’époux de votre -maĂźtresse , le mĂ©pris que vous ferez rejaillir fur votre personne , vous fermera fans ressource le chemin du trĂŽne. Quand vous aurez subjuguĂ© le cƓur des François par vos grandes actions , & que vous aurez mis votre vie & votre fortune Ă  l’abri, vous pourez imiter alors, fi vous le voulez , les exemples que vous avez allĂ©guĂ©s. “. Henri IV ne s’offensa point de'la libertĂ© avec laquelle d’AubignĂ© lui avĂŽit’ parlĂ©. Y le remercia mĂȘme de son conseil gĂ©nĂ©reux, &, ce qui est encore plus grand, il le suivit. Quel trĂ©sor pour un Koi qu’un Conseiller de ce caractĂšre ! C’est ce mĂȘme d’AubignĂ© , qui fe dĂ©fendit d’écrire l’histoire de Henri III, Ă  laquelle ce Prince vouloir l’engager. Je suis , dit-il, Sire , trop votre serviteur pour Ă©crire votre histoire. n’est pas ainsi , leur dit le MarĂ©chal, que se boit le vin de l’étrier , cest dans la botte. En mĂȘme temps il tira une de ses bottes, & la fit remplir de vin. Il y but Ă  grands traits , & tous les DĂ©putĂ©s aprĂšs lui. On trouve encore quelquefois aujourd’hui, mais plus rarement, de ces hĂ©ros bachiques. Pour boire Ă  leur santĂ©, on est obligĂ© d’altĂ©rer la sienne, &il saut s’enivrer pour leur prouver qu’on les aime. C’est lĂ  sans doute une amitiĂ© bien raisonnable, qui ne se prouve qu’en perdant la raison. Si vous en rencontrez de tels , n’ambitionnez pas d’acheter Ă  ce prix leur amitiĂ© ; & pour quelque chose que ce soit, ne vous enivrez jamais. C’est un principe, dit M. de ClaviĂŒe , dont il ne faut pas s’écarter en aucun cas. Si dans des lieux, si dans des maisons, oĂč la vraie politesse n’est pas encore connue, on veut vous forcer, soyez inĂ©branlable. Echappez aux sollicitations, usez de rules, laissez boire les autres, & si c’est chez vous-mĂȘme, ne mĂ©nagez pas votre vin , mais mĂ©nagez-vous. Soyez Ă  table gai & de bonne humeur, mais soyez prudent. 210 L’£ C O L E Ce n’est pas que , quand un heureux hasard vient alonger le plaisir , quand tous les cƓurs, fe dĂ©veloppent, quand la conversation devient plus, brillante & plus vive sans cesser d’ĂȘtre polie, on ne puisse jouir dĂ« l’occasion & se livrer davantage. Mais les gens d’un goĂ»t fin savent animer un repas , fans le rendre tumultueux & bruyant. Tout y est dĂ©licat. Le feu du vin fait briller le feu de leur imagination & fait Ă©clore d’heureuses faillies. Tant qu’ils savent rĂ©pandre de l’esprit & jouir dĂ©licieusement de celui des autres, ils ne craignent rien pour leur raison. Mais ils cessent de boire , dĂšs qu’ils s’apperçoivent que leur tĂȘte commence Ă  s’embarrasser ; & ils prĂ©viennent le nuage qui obscur droit leur raison. Le vin , dit le Sage, a Ă©tĂ© créé dĂšs h commencement pour rĂ©jouir L'homme & non pour l’enivrer. Le vin pris avec modĂ©ration , est la joie de famĂ© & du cƓur. La tempĂ©rance dans le boire est la santĂ© de l'espt it tS du corps 7 . L’effet de l’intempĂ©rance , au contraire , est de ruiner la fortune & la santĂ© elle dĂ©grade l’homme , aliĂ©nĂ© au C” ... SanĂŻtas efi animez Ce font-lĂ  trois Ă©cueils en naufrages fameux. L A pasiion des femmes, du vin & du jeu, est le funeste Ă©cueil, oĂč la fortune & la vertu de plusieurs font un triste naufrage. Le jeu est un abyme profond, oĂč les plus grandes richesses vont tous les jours s’engloutir & se perdre. Les excĂšs du vin ne font pas moins pernicieux , parce que non-seulement ils troublent la raison & privent l’homme pendant un certain temps du plus bel appanage de notre nature, mais ils altĂšrent la santĂ©, abrutissent l’esprit, dĂ©truisent le plus heureux naturel, & portent, dit l’Esprit-Saint, Ă  la colere, Ă  la violence & Ă  la luxure n , L’amour criminel ne produit pas toujours , il est vrai, des dĂ©sordres si sensibles , mais les consĂ©quences n’en font H Luxuriös* res vinum , Ö* tumultuosa elriftas . Prov. 2o Le vin pris avec!excĂšs, dit un Moraliste, nun Ă  la iHautĂ©, Ă  la santĂ© & Ă  la chastetĂ©. K 2 rro L’ É c o l e pas moins dangereuses ni moins funestes. L’amour est l’ivresse du cƓur , & il est rare que le penchant Ă  ce vice ne conduise pas Ă  la perte de toutes les vertus. La voluptĂ© infecte le corps , empoisonne Tarne, menĂ© Ă  l’irrĂ©ligion, ferne dans les familles les soupçons , les dĂ©fiances , les divorces scandaleux,& quelquefois mĂȘme en cause la ruine entiĂšre. Comme c’est l'Ă©cueil le plus dangereux & le plus commun, le vice de tous les Ăąges, de tous les Ă©tats , de toutes les conditions , on nous permettra bien de revenir encore une fois fur cet objet, un des plus im- portans de la morale. Tandis qu’une infinitĂ© de livres obscĂšnes prĂ©sentent partout Ă  la jeunesse la coupe fatale, oĂč elle va boire avec aviditĂ© le poison impur, n’est - il pas de notre devoir de lui faire entendre ici la voix salutaire de la sagesse , & de la prĂ©munir contre un mal fi contagieux & si funeste, en lui mettant fous les yeux le vrai & trop affreux tableau des dĂ©sordres & des crimes, qu’enfante ce monstre malheureusement fĂ©cond ? Jetez les regards fur la vaste scene du monde. Par-tout oĂč ce vice regne , vous verrez marcher Ă  sa suite les vols domestiques, les noires perfidies, les infidĂ©litĂ©s sacrilĂšges, les Ă©vĂ©nemens tragiques,& les scandales Ă©clatans. Au milieu de ce des MƓurs, rrs triste cortege, vous appercevrez les maladies honteuses, les douleurs aiguĂ«s, l’af- soibiissement des tempĂ©ramens les vigoureux, la corruption du sang, la jeunesse languiĂŒante , la vieillesse prĂ©maturĂ©e , la mort tantĂŽt lente qui frappe de mille coups redoublĂ©s sa victime , tantĂŽt prĂ©cipitĂ©e qui moissonne quelquefois dans leur printemps les plus cheres espĂ©rances des familles. Vois ces spectres dorĂ©s s’avancer Ă  pas lents, TraĂźner d’un corps usĂ© les restes chancelans, Et fur un front jauni qu’a ridĂ© la mollesse» Etaler Ă  trente ans leur prĂ©coce vieillesse. C’est la main du plaisir qui creuse leur tombeau, A quels excĂšs cette malheureuse passion ne porte-t-elle pas ! Pour la satisfaire , il faut de l’argent. C’est au poids de l’or qu’on achetĂ© les criminels plaisirs. Il faut parer l’idole & fournir Ă  toutes ses folles dĂ©penses. Deux Espagnols se diC- putoient la conquĂȘte d’une courtisane,' l’épĂ©e Ă  la main. Messieurs , leur dit-elle, ce neß point avec le fer , c est avec l'çr qu'on se bat chez moi. Plus jalouses des dons de leurs amans que de leur tendresse , ces especes d’animaux voraces persĂ©cutent Ă  toute heure avec une aviditĂ© importune. OĂč trouver de quoi ras. sasier une cupiditĂ© insatiable? OĂč trouver de quoi jeter incessamment dans uji 222 L’ É C O L E gouffre immense, qui absorbe toujours fans se remplir ? Que fera-t-on ? On prendra de toutes mains & par toutes sortes de voies. Un fils dĂ©pouillera secrĂštement la maison paternelle un pere lailscra ses enfans fans entretien , fans Ă©ducation un maĂźtre refusera la nourriture & les gages Ă  ses domestiques on ne payera ni le crĂ©ancier ni l’artisan malheureux, que le besoin rĂ©duit au dĂ©sespoir on sera insensible aux cris des pauvres, Ă  la misere des indigens. Ainsi, pour contenter sa passion, on foulera aux pieds l’humanitĂ© , la jus. tice, l’intĂ©rĂȘt de sa famille , les devoirs de sa condition, les biensĂ©ances de son Ă©tat, le foin mĂȘme de son honneur & de sa rĂ©putation. Ce n’est pas tout. Est-on supplantĂ© ou traversĂ© par un rival Ă  quelle violence de jalousie & de rage ne se laisse-t-on point aller ? La calomnie, le poison , les poignards, les combats singuliers fournissent des armes Ă  la fureur & Ă  la vengeance. Qui pouroit dire tous les meurtres , tous les assassinats , dont cette funeste passion a rempli l’univers ? Mais voici des excĂšs plus affreux encore. Combien de personnes du sexe, pour conserver un reste d’honneur aprĂšs avoir perdu ce que leur honneur avoir de plus prĂ©cieux , ont dĂ©truit le fruit de leur crime par un crime plus grand, & des MƓurs. 22; sont devenues parricides avant que d’ĂȘtre meres ! Combien d’hommes aveuglĂ©ment impies, dans l’ivresse de leur passion , ont fait, de celle qui en Ă©toit l’objet, leur divinitĂ©, lui ont protestĂ© que toute leur vie, & Ă  la mort mĂȘme, ils n’en au- roient point d’autre, & n’ont Ă©tĂ© que trop fidelles Ă  leurs fermons ! Et l’on appellera une telle pasiĂźon , foiblesse, bagatelle, galanterie, amusement ! Car c’est sous ces expressions adoucies que souvent on dĂ©signe un si grand mal. Mais depuis quand donc est- il permis de traiter de foiblesse pardonnable & de bagatelle , ce qui conduit presque toujours aux plus grands crimes , ce qui rend un objet d’horreur aux yeux de Dieu, ce qui, dĂ©pouillant l’homme des traits augustes de sa ressemblance avec la DivinitĂ©, le rĂ©duit Ă  la condition des bĂȘtes, le fait mĂȘme descendre au-dessous d’elles, par les honteux excĂšs auxquels on ne rougit pas de s’abandonner ? Que dans le Paganisme , oĂč cette passion Ă©toit en quelque sorte consacrĂ©e par la religion & divinisĂ©e par l’exemple des Dieux , elle ait trouvĂ© desprotecteurs & des apologistes, on ne doit pas en ĂȘtre surpris. N’est-il pas mĂȘme Ă©tonnant que, malgrĂ© les prĂ©jugĂ©s de leur religion , tant de PaĂŻens aient eu fur ce point des K 4 224 L’ É C O t E idĂ©es si pures , aient donnĂ© des exemples si admirables de continence & de chastetĂ© ? Mais n’est-il pas plus Ă©tonnant encore, que dans une religion aulsi sainte & auffi chaste que la nĂŽtre, des hommes qui se disent ChrĂ©tiens, entreprennent de justifier l’amour criminel, d’alĂŻoiblir les traits odieux qui le caractĂ©risent, & de lui prĂȘter un nom qui le rend presque innocent & permis ? O vous qui, dans le sein du Christianisme , vous faites gloire d’avoir ce que vous appeliez des inclinations , des attache mens, des intrigues, qui mettez votre honneur Ă  ravir Ă  une jeune personne le sien, Ă  dĂ©pouiller une honnĂȘte femme de sa sagesse, & qui vous faites un indigne trophĂ©e de ces honteuses victoires, libertins voluptueux , venez Ă  l’école des PaĂŻens mĂȘme vous instruire ou vous confondre ! Scipion l'Africain , un des plus grands hommes de la RĂ©publique Romaine, ayant Ă©tĂ© envoyĂ© en Espagne, soumit ce pays aux Romains en moins de quatre ans. Au milieu de ses victoires, on lui amena une jeune captive de lĂ  plus rare beautĂ©. Scipion Ă©toit dans l’ñge oĂč les paffions se font sentir avec le plus de force. Mais plus vainqueur encore de lui-mĂȘme que des nations qu’il avoir domptĂ©es, il ne voulut point la retenir. des MƓurs. rrf Il fitvenir celui Ă  qui elle ctoit promise , la lui remit entre les mains , & ordonna qu’on augmentĂąt fa dot de la rançon qu’on Ă©toit venu offrir pour elle. Ce que fit dans une occasion Ă  peu prĂšs semblable Gonsalvc- Ferdinand de Cor- doue, surnommĂ© le grand Capitaine , n’est pas moins beau, ni moins digne de servir de modele Ă  toutes les personnes du mĂȘme Ă©tat. L’honneur dont on y est si jaloux, devroit leur rendre celui des autres Ă©galement cher ; & la grandeur d’ame dont on y fait profession, devroit les faire souvenir qu’il y a bien peu de gloire Ă  triompher du sexe le plus foible. Ceux d’entre eux qui blĂąmeront le beau trait que jious allons rapporter, ou qui liefe sentiront pas le courage de l’admirer , n’ont pas l’ame faite pour les grands sen- timens ni pour la vertu. GonlĂ lvepassoifc souvent devant la maison de deux Demoiselles, filles d’un Ecuyer qui avoit peu de part aux faveurs de la fortune. Leur pere s’étant apperçu qu’il paroifl’oit avoir eu 1 que inclination pour elles Ă  cause de leur grande beautĂ©, crut que c’étoit une occasion favorable de sortir de l’indigence, il alla trouver le grand Capitaine, & le pria de lui donner le soin de quelque affaire hors de la ville. Gon- salve comprit d’abord l’intention du pere, & lui demanda Quelles personnes laissez- LL6 L’ É C 0 L E vous dans votre maison ? Deux jeunes Demoiselles , mes filles , rĂ©pondit l’Ecuyer. Attendez-moi, reprit le Capitaine , je vais vous expedier votre commision. Il alla prendre deux bourses, dans chacune desquelles il mit deux mille ducats, il les donna au pere, en lui disant VoilĂ  les provisions que je vous donne , mariez - en vos filles au plutĂŽt } fĂ«? pour vous , j’aurai foin de vous donner de l’emploi. Nous l’avons dĂ©jĂ  dit, & l’on ne sautoir trop le rĂ©pĂ©ter, ce n’est que dans la pratique de la vertu & dans la fidĂ©litĂ© Ă  les devoirs, qu’on trouvera les vrais plaisirs. Toutes les voluptĂ©s sensuelles ne Talent pas la noblesse des sentimens. Qui de nous en effet, s’il n’a pas eu le malheur de recevoir en naissant une ame vile, ne prĂ©fĂ©rĂšrent aux plaisirs brutaux d’un voluptueux, la douce joie que donne une action vertueuse, telle que celle de Gonsalve, ou de ce jeune homme , dont nous allons rapporter le beau trait. Peu de temps aprĂšs son entrĂ©e dans le monde, il fut tentĂ© d’aller chez une courtisane, qui vendoit Ă  grand prix ses faveurs. PrĂȘt de frapper Ă  Ta porte, il se sent arrĂȘtĂ© par une voix secrete , qui lui crie au fond du cƓur Ton vieux Gouverneur languit dans la mifere. Il retourne sur ses pas , court chez le vieillard , & verse entre ses mains l’or qu’il destinoit Ă  fa passion. des MƓurs. 327 Quelle satisfaction dĂ©licieuse , envoyant des larmes de joie couler des yeux de son MaĂźtre, ne dut-il pas goĂ»ter lui-mĂȘme en ce moment ! satisfaction d’autant plus agrĂ©able & plus douce, qu’elle est plus pure & n’est jamais suivie du remords ni du repentir ; au lieu que les plaisirs criminels le font toujours. On fait ce que rĂ©pondit un PaĂŻen Ă  une courtisane qui lui demandoit dix mille drachmes, c’est- Ă -dire, environ quatre mille livres de France Je n’achetĂ© pas ß cher un repentir. Les plus belles fleurs de l’amour sont entourĂ©es d’épines cruelles, qui piquent & qui dĂ©chirent, comme est forcĂ© de l’avouer lui-mĂȘme leChantre d’Epicure 12. C’est ce quifaisoit dire Ă  un ancien Philosophe, qu’il s’abstenoit des voluptĂ©s par voluptĂ©. En effet, elles font presque toujours empoisonnĂ©es elles trouvent dans elles- mĂȘmes leur supplice & par un secret jugement de Dieu , qui punit dĂšs cette vie mĂȘme par les douleurs les plus aiguĂ«s les plaisirs les plus criminels* souvent elles ne font pas moins funestes au corps qu’à l’ame du voluptueux. Combien de libertins ne voit-on pas aujourd’hui, T2 ... Usque adeo de fonte Ăźeporum Surgit amari aliquid , quod in ipfis fioribvs" awjat ! L U Ç R L T. E 6 228 L’ É e o l e dont les membres infectĂ©s par un mal contagieux, aprĂšs avoir Ă©tĂ© les inilrumens de leurs crimes, le deviennent d’une punition auili juste qu’elle est terrible. Ayez foin, dit Eellegarde 13. De rĂ©primer vos dĂ©sirs Souvent, si l’on n’y prend garde, On pĂ©rit par ses plaisirs. Jeune homme, si jamais vous ĂȘtes sollicitĂ© par des compagnons libertins ou par vos passions, Ă  goĂ»ter les plaisirs de l’impuretĂ©, rappelez-vous alors la leçon frappante qu’un pere donna un jour Ă  son fils. Cet homme de beaucoup de bon sens & plein de religion, voyant le tempĂ©rament naissant de son fils le porter aux femmes,, 11’épargna rien pour le contenir. Mais enfin, malgrĂ© tous ses foins, le sentant prĂȘt Ă  lui Ă©chapper , il s’avisa de le mener dans un hĂŽpital, destinĂ© Ă  la guĂ©rison de ces maladies infames qui font le triste fruit du libertinage. Sans le prĂ©venir de rien, il le fit entrer dans une salle, oĂč une troupe de ces malheureux ex ploient , par la cure la plus douloureuse, leurs crimes & leurs dĂ©bauches. A ce hideux aspect qui rĂ©voltoit Ă  la fois tous les sens , le jeune homme frĂ©mit d’horreur, pĂąlit, A fut prĂšs de tomber. tJ3 Auteur de plusieurs Ouvrages de Moiale., DES'MĆ“ĂŒES; L 29 Va, miserable, dĂ©bauchĂ©, lui dit le pere d’un ton vĂ©hĂ©ment, suis le vil penchant qui t'entraĂźne bientĂŽt tu feras trop heureux d’ĂȘtre admis dans cette salle , oĂč victime des plus infames douleurs , tu forceras ton pere Ă  remercier Dieu de ta mort. Ce peu de paroles , jointes Ă  l’énergique tableau qui frappoit Iff jeune homme, lui firent une impression qui ne s’effaça jamais. DestinĂ© par Ion Ă©tat Ă  passer la jeunesse dans des garnisons, il aima mieux essuyer toutes les railleries de ses camarades , que d’imiter leur libertinage. Use distingua tou jours par ses mƓurs, autant que pat fa bravoure. Lorsqu’il racontoit cette histoire dans fa vieillesse J’ai Ă©tĂ© homme , ajoutoit-il, j’ai fait des fautes ; mais parvenu jusqu’à mon Ăąge, je n’ai jamais pu regarder une fille publique fans horreur. Je fuis ChrĂ©tien, difoit un autre Officier , & je crois un enfer mais n’y eĂ»t-il pas d’enfer pour punir ce crime ,. ce que j'ai vu dans les hĂŽpitaux de Lodi, quand nous Ă©tions en Italie , fuffiroit pour m’est donner une invincible horreur. jeunes gens, lĂź de telles leçons ne vous frappent point, si la crainte d’une si honteuse contagion ne peut servir de frein Ă  votre incontinence, il ne me reste plus rien Ă  vous dire. Car inutilement ouvrir ois-je Ă  vos yeux ces abymes, fpĂ©- 2ZO L’ E c o i ĂŻ cialement destinĂ©s par la vengeance divine Ă  punir les coupables voluptueux. Continue donc, tĂ©mĂ©raire jeunesse, continue de t’applaudir de tes honteuses dĂ©bauches. Tes plaisirs passeront vite, & ils seront suivis d’une Ă©ternitĂ© de tour- mens qui ne passera point. Tes feux cri. minels seront l’aliment & la proie des feux vengeurs, allumĂ©s par le souffle de la colere cĂ©leste. Celui qui rit de ces terribles chĂątimens, n’en est que plus digne , & ses railleries n’éteindront pas les flammes qui lui font prĂ©parĂ©es. Si l’on eipere de les Ă©viter un jour par les larmes du repentir, pourquoi veut-on vivre comme on ne voudroit pas mourir? Ne fait-on pas auffl qu’un des effets les plus ordinaires de l’impuretĂ© , est de conduire Ă  l’irrĂ©ligion, Ă  l’endurcissement , Ă  l’impĂ©nitence ? L’habitude se forme, & l’on traĂźne julqu’à la fin de sa vie des chaĂźnes qu’on n’a plus la force de porter. Je re le lais que trop, dans le cours du bel Ăąge , Quand la nature ardente, Ă©chauffant nos dĂ©sirs , Nous rend C propres aux plaisirs, Il est mal-aisĂ© d’ĂȘtre sage. Cependant malgrĂ© tant d’attraits, On ne peut trop le dire & le faire connoĂźtre , C’est dans ce temps-lĂ  qu’il faut l’ĂȘtre, Ou l’on court grand danger de ne l’ĂȘtre jamais. P av ll o s. des MƓurs. 2;r Je dĂ©plore le malheur d’un jeune homme qui, entraĂźnĂ© par la fougue de ses pallions, se laisse aller Ă  un criminel E enchant. Mais je plains encore plus ces onteux vieillards qui, courbĂ©s fous le poids des annĂ©es, conservent, comme on n’pn voit que trop souvent, dans des membres glacĂ©s, le feu qu’une jeunesse libertine souffla dans leurs veines objets de risĂ©e & de mĂ©pris aux yeux des hommes , objets d’horreur & d’abomination aux yeux de Dieu. C’est une terrible pafĂźion que l’amour si vous le laissez croĂźtre & se fortifier, il se jouera de toutes vos rĂ©solutions ; & dans le temps mĂȘme qu’il vous dĂ©chirera le cƓur ou qu’il vous couvrira de honte, vous ne pourez vous rĂ©soudre Ă  vous en dĂ©tacher. Rompez donc courageusement vos fers, tandis qu’il en est temps encore, & rentrez gĂ©nĂ©reusement dans la voie de la vertu. Mais pour cela, interdisez-vous absolument tout commerce. Tant que vous continuerez de voir cette personne qui a blessĂ© votre cƓur , le poison se glissera de nouveau, & il viendra un moment oĂč votre repentir vous abandonnera. Un feu mal Ă©teint se rallume de lui - mĂȘme. Pour vaincre plus sĂ»rement, implorez Ă  l’exemple de l’Auteur du Livre de la SageJJ'e > le secours de celui qui peut seul L?2 L’ÉCOIE donner la continence 14. Faites dĂ©fi cendre du Ciel , par l’ardeur de vos priĂšres, ces armes puissantes qui vous feront triomphĂšr. Employez souvent les remedes que la religion vous prĂ©sente ; & pourquoi rougirois-je de le dire '{ pourquoi dans ce siede mĂȘme craindrois - je de parler le langage de la religion, puisque je parle Ă  des ChrĂ©tiens? Non, ce 11’est que par l’usage frĂ©quent des Sacre, mens , qu’on poura rĂ©sister Ă  tous les assauts de l’Esprit impur, & remporter la plus difficile de toutes les victoires. Si l’on nĂ©glige ces sources abondantes de grĂąces, si l’on s’en Ă©loigne > exposĂ© fans force & sans dĂ©fense Ă  de continuelles attaques, & abandonnĂ© Ă  fa propre foi- biesse, on ne se soutiendra pas longtemps, & l’on retombera bientĂŽt dans les mĂȘmes dĂ©sordres dont on avoit eu tant de peine Ă  sortir. Celui qui a fait plusieurs fois la triste expĂ©rience de fa fragilitĂ©, ne saur oit ĂȘtre trop rĂ©servĂ© & trop prudent il y auroit plus que de la tĂ©mĂ©ritĂ© Ă  compter encore fur ses forces. Les plus sages mĂȘme se sont perdus , parce qu’ils ne se sont pas assez dĂ©fiĂ©s de leur soiblesse. Pour vaincre 14 Ut scivi quoniam aliter non pojsem eße Conti- Tiens j nifi Dtus dit , ÖV. Sap. 8, des MƓurs. rqz dans ces> sortes de combats, il Laut craindre & fuir nous ne sommes forts que loin du danger. Quelque solide, quelque inĂ©branlable qu’ait Ă©tĂ© jusqu’à prĂ©sent votre vertu, fi vous comptez fur elle» vous pĂ©rirez. Il y a, pour la chastetĂ© des femmes surtout, des tentations bien fortes & desmo- mens bien critiques. La fuite des occasions leur est peut-ĂȘtre encore plus nĂ«ceC faire qu’aux hommes, parce qu’elles font plus sensibles & plus foibles. Aussi une Dame cĂ©lĂ©brĂ© par la dĂ©licatesse de Ion esprit , la leur recommande-t-elle dans une petite Piece de vers , que nous les exhortons Ă  relire souvent. Contre l’amour voulez-vous vous dĂ©fendre? EmpĂȘchez-vous & de voir & d’entendre Gens dont le cƓur s'explique avec esprit Il en est peu de ce genre maudit-, JVIais trop encor pour mettre un cƓur en cendres Quand une fois il leur plaĂźt de nous rendre D’amoureux foins, qu’ils prennent un air tendrĂ«i On lit en vain tout ce qu'Ovide Ă©crit Contre l’amour. De la raison il n’en faut rien attendre Trop de malheurs n’ont su que trop apprendre Qu’elle n’est rien, dĂšs que le cƓur agit, La feule fuite. Iris, nous garantit C’est te parti le plus utile Ă  prendre Contre l’amĂŽur, VÂŁS Rpuz - 554 L’ É c o l e Si /’'on faisait avec moi, disoit une autre Dame trĂšs - sage, un pas de trop en avant , j en ferais deux en arriĂ©rĂ©. C’est la froideur, ajouta-t-elle, qui est la sauvegarde delĂ  vertu il n’y a point de meilleur retranchement contre les attaques du vice, elle Ă©teindra les flammes de l’amour , comme l’eau Ă©teint le feu. Quelque dangereux que soit pour les femmes le commerce des hommes trop frĂ©quent & trop familier, celui des femmes l’est encore plus pour les hommes. Ce sexe Ă  qui les grĂąces & la douceur font Ă©chues en partage, & dont le dĂ©lir est, dans tous les pays, de plaire aux hommes , est d’autant plus sĂ©duisant & plus Ă  craindre pour eux, qu’il les enchaĂźne en se jouant, & les maĂźtrise en parodiant les flatter. Henri IV, voyant dans une fĂȘte un bel escadron de Dames, habillĂ©es en amazones , & parĂ©es de tous leurs charmes , avouoit qu’il n’avoit jamais trouvĂ© d’escadron plus redoutable. Qui que vous soyez , si vous voulez conserver votre vertu, craignez le pĂ©ril, & fuyez avec soin toutes les occasions dangereuses. Puissiez-vous n’éprouver jamais de quel courage il faut ĂȘtre, armĂ© pour ne pas cĂ©der alors ! Evitez de vous trouver seul avec la personne dont vous avez touchĂ© le cƓur , ou qui a gagnĂ© le vĂŽtre. Voyez-la le plus rarement qu’il des MƓurs. agf est possible. Ne craignez pas de manquer Ă  la politesse, ne craignez que de manquer Ă  votre devoir. Si l’on veut vous solliciter au crime, dĂ©robez-vous par la fuite, & laissez plutĂŽt votre manteau que votre innocence. Imitez le vertueux OrĂ©gius. NĂ© Ă  Florence de parens pauvres , il alla faire ses Ă©tudes Ă  Rome. Il demeuroit dans une petite pension bourgeoise. Il y Ă©prouva les mĂȘmes sollicitations que le chaste Joseph. 11 s’enfuit de la maison de son hĂŽtesse, & il aima mieux passer une nuit d’hiver dans la rue fans habits , que d’y rentrer. Le Cardinal Bellarmin, instruit de la vertu de ce jeune homme, conçut de l’affection pour lui, & le fit Ă©lever dans un college avec des pensionnaires de la premiĂšre qualitĂ©. Il devint dans la fuite Cardinal & ArchevĂȘque de BĂ©nĂ©vent. Juste rĂ©compense de son amour hĂ©roĂŻque pour la chastetĂ© ! Plus l’attaque est violente, plus il faut s’armer de courage pour dĂ©fendre ce qui est plus prĂ©cieux que tout l’or du monde. Mais si vous voulez le conserver encore plus sĂ»rement, Ă©vitez le plus que vous pourez les assauts d’un ennemi, qui n’est que trop d’intelligence avec les penchans de votre cƓur; & ne nĂ©gligez aucune des prĂ©cautions , qui font comme les gardiennes de l’innocence. L;6 L’ È c o L E Veillez sur vos sens, & particuliĂ©rement fur vos yeux. Ne Iss arrĂȘtez point , dit le Sage , fur une plie , ds peur que fa beautĂ© ne devienne pour vous une occafon de chute. DĂ©tournez vos regards d’une femme parĂ©e , U ne considĂ©rez pas curieusement une beautĂ© Ă©trangĂšre. Plusieurs se sont perdus par la beautĂ© de la femme , Ă©si en la regardant , la passion s’allume comme un feurig. Faites, ainsi que Job, un pacte avec vos yeux, afin qu’ils ne iĂš portent fur aucun objet qui excite dans votre cƓur des dĂ©sirs criminels. Ce n’est pas qu’il faille avoir toujours les yeux baissĂ©s ; mais regardez, ne fixez pas, contemplez encore moins. Saint François de Sales a voit Ă©tĂ© en conversation avec une belle Dame. On lui demanda ce qu’il pensoit de sa beautĂ©. Je fai vue, rĂ©pondit-il, mais je ne l’ai pas regardĂ©e. Interdisez-vous aussi la lecture de ces ouvrages licencieux, qui, dĂ©chirant le voile de la pudeur, Ă©talent avec uns libertĂ© cynique les images de la voluptĂ©. Ils salissent l’imagination par des portraits voluptueux, qui s’y impriment d’autant plus facilement qu’elle est plus pure ou plus vive ; & ils laissent dans la » SV. KscĂŻi. s. 15 Virpnçm ne confeiciai des MƓurs. L;/ mĂ©moire des traces importunes qui ne s’effacent jamais. Malheureux ceux qui aiment Ă  lire de ces sortes d’ouvrages ! mais plus malheureux encore ces Au leurs lascifs, qui se plaisent Ă  exhaler toute la corruption de leur cƓur, pour la communiquer aux autres, ou pour se faire goĂ»ter des lecteurs aussi corrompus qu’eux ! C’est en vain qu’ils se flattent d’arriver Ă  la gloire par la voie de l’infamie.. Le public, en admirant lestalens & le gĂ©nie de quelques-uns d’entre eux, en condamne l’abus, en plaint la prostitution ; & les sages qui seroient bien fĂąchĂ©s de lire leurs ouvrages les plus vantĂ©s en ce genre, seroient encore plus fĂąchĂ©s de les avoir faits. Ne vous laissez pas attirer par les charmes du style. Ce font des appĂąts brillans, qui n’en font que plus propres Ă  faire tomber dans le siege. Quand ces ouvrages seroient encore mieux Ă©crits qu’ils ne le font, il y a, Pour celui qui les lit, beaucoup moins Ă  gagner qu’à perdre. Ils opĂšrent insensiblement sur l’ame , & la corrompent, comme ces poisons doux & lents, qui donnent peu-Ă -peu la mort. Faites-vous donc une loi de n’en lire jamais. Evitez encore ces divertillemens nocturnes , ces assemblĂ©es bruyantes, oĂč se rĂ©unissent un grand nombre de personnes de l’un & de l’autre sexe pour se divertir, L?F L’ÉCOLÏ oĂč le moindre crime est de passer les nuits au milieu des plaisirs & des pompes du monde , & d'oĂč l’on fort presque toujours moins pur qu’on n’y Ă©toit entrĂ©. Le prĂ©jugĂ© pour les danses & les bah, ainsi que pour les spctfacks , est si universel & si fort, que ce seroit sans doute trop nous flatter, que d’elpĂ©rer pouvoir faire revenir de leur prĂ©vention la plupart de ceux que le prestige a sĂ©duits. Mais il est de notre devoir & du but de cet Ouvrage, de faire connoitre & de combattre tout ce qui peut corrompre les mƓurs. Si beaucoup de personnes regardent comme purs &innocens, ou du moins comme indiffĂ©rais, les plaisirs dont nous parlons ; il en est un grand nombre d’autres dont la dĂ©cision doit paroĂźtre bien moins suspecte,, qui les regardent avec fondement comme une des principales sources de la corruption gĂ©nĂ©rale. Par une multitude de tĂ©moignages que nous pourions rapporter ici, bornons-nous Ă  quelques-uns, qu’on ne puisse rĂ©cuser. L’autoritĂ© de personnes mĂȘme du monde connues & estimĂ©es, fera d’un plus grand poids que la nĂŽtre. Poura-t-on, si l’on n’est point obstinĂ©ment dĂ©cidĂ© Ă  se justifier & Ă  se permettre tout ce qu’on aime, ne pas se rendre Ă  ce que dit sur les dangers des bals un des MƓurs. rz- homme qui vivoit au milieu du monde, qm en tous les plaisirs, qui en avoir vu par lui-mĂȘme tous les dangers , en un mot, un Militaire & un Courtisan, qui, par caractĂšre autant que par Ă©tat, Ă©toit bien Ă©loignĂ© de condamner les divertissemens permis ? Nous parlons du Comte de Bujsi - Eabutin , si cĂ©lĂ©brĂ© par ion esprit & par ses disgra* ces. Dans la rĂ©ponse qu’il fit Ă  M. de NoaiĂźles, alors EvĂȘque de ChĂąlons, qui savoir consultĂ© avant que de donner Ă  son peuple une instruction sur cette matiĂšre , il lui dit „ J’ai toujours cru les bals dangereux. Ce n’a pas Ă©tĂ© seulement ma raison qui me l’a fait croire, q’a encore Ă©tĂ© mon expĂ©rience ; & quoique le tĂ©moignage des Peres de l’Eglise soit bien fort, je tiens que fur ce chapitre celui d’un Courtisan doit ĂȘtre de plus grand poids. Je fais bien qu’il y a des gens qui courent moins de hasard en ces lieux-lĂ  que d’autres cependant les tempĂ©ramens les plus froids s’y Ă©chauffent. Ce ne font d’ordinaire que de jeunes gens qui composent ces sortes d’assemblĂ©es , lesquels ont assez de peine Ă  rĂ©sister aux tentations dans la solitude , Ă  plus forte raison dans ces lieux-lĂ , oĂč les objets, les flambeaux, les violons & l’agitation de la danse Ă©chauf- feroient des AnachorĂštes, Les vieilles 54 L'Éc o LĂŻ gens qui pouroient aller au bal fans intĂ©resser leur conscience , seroient ridicules d’y aller, & les jeunes gens Ă  qui la biensĂ©ance le permettroit, ne le peuvent sans s’exposer Ă  de trop grands pĂ©rils. Ainsi je tiens qu’il ne faut point aller au bal, quand on est ChrĂ©tien, & je crois que les Directeurs seroient leur devoir, s’ils exigeoient de ceux dont ils gouvernent la conscience , qu’ils n’y allassent jamais cc . M. de Claville , tout portĂ© qu’il est Ă  permettre aux jeunes gens les plaisirs , convient lui-mĂȘme qu’une mere qui mene sa fille au Bal, fans songer Ă  tous l,es pĂ©rils qui l’environnent, prouve bien qu’elle aime plus ses propres plaisirs que la vertu dans ses enfans. Quelle envie de plaire, ajoute-t-il, toujours dangereuse dans une personne libre, & souvent criminelle dans celle qui ne l’est plus, inspirent ces sortes d’assemblĂ©es ! Un autre Auteur , quia Ă©crit avec le plus grand succĂšs pour l’éducation de la jeunesse , Madame le Prince de Beaumont, en permettant la danse entre personnes du mĂȘme sexe , condamne le bal sans exception ; & ses raisons paroissent bien fortes. „Ecoutez, dit-elle aux jeunes Demoiselles qu’elle instruisoit, & parlons franchement. Nous naissons toutes subies, & portĂ©es au mal. Parmi les penchans des MƓurs. ajt penchans corrompus qui dominent dang notre cƓur , celui de plaire est fans doute le plus violent. C’est lui chez les femmes l’amour de la parure, la jalousie , la vanitĂ©. Or le lieu oĂč ce dĂ©sir dĂ©plaire prend une nouvelle force, c’est le bal. On n’y va guere que pour cela , si l’on s’examine Ă  tond. Croyez-vous de bonne foi que , parmi ce grand nombre d’hommes auxquels vous tĂącherez de plaire , il ne s’en trouvera pas quelques- uns qui vous plairont Ă  leur tour, & peut-ĂȘtre qui vous plairont trop ? „ Ce n’est pas tout. Vous vous accoutumerez Ă  aimer le bal vous aurez un violent dĂ©sir d’y aller le plus souvent que vous pourez. Qu’en arrivera-t-il ? vous vous Ă©chaufferez le sang, vous dĂ©truirez votre santĂ© eu changeant les heures du sommeil. Pendant que vous dormirez » vos enfans, si vous en avez, vos dornest tiques auront toute libertĂ© vous ne pourez veiller au bon ordre de votre maison il faudra l’abandonner Ă  un autre ; & vous deviendrez coupables de toutes les fautes qui se commettront chez vous Enfin , & ceci est de la derniere importance , au bal, oĂč souvent avec une plus grande multitude entre plus de licence , & oĂč les visages ne se masquent que pour montrer les cƓurs plus Ă  dĂ©couvert , les hommes se permettent des Tome III. L ll% L’ É C O L 2 discours, qu’ils n’oseroient tenir ailleurs c’est un lieu de plaisir, de libertĂ©. Votre imagination Ă©chauffĂ©e par le tumulte du bal, par l’action de la danse, ne vous permettra pas de vous appercevoir fur le champ de l’indĂ©cence des discours qu’on vous y tiendra ; & qui poura vous rĂ©pondre que vous ne tomberez pas alors dans quelqu’un des piĂ©gĂ©s, que tend en ces lieux le dĂ©mon de l’impuretĂ© ? Celui qui aime le pĂ©ril , y pĂ©rira. Il ne faut pourtant pas porter les choses Ă  l’excĂšs ; & en condamnant, avec les Auteurs que nous venons de citer, la plupart des bals, qui, comme le disoit saint François de Sales dans son style simple & naĂŻf, ressemblent aux champignons dont les meilleurs ne valent rien, nous ne voulons, pas proscrire gĂ©nĂ©ralement la danse. C’est un exercice salutaire, agrĂ©able, propre Ă  la vivacitĂ© des jeunes gens, & qui leur apprend Ă  se prĂ©senter les uns aux autres avec grĂące. La morale la plus austere ne peut dĂ©fendre de s’égayer en commun par une honnĂȘte rĂ©crĂ©ation, pourvu qu’on prĂ©vienne ou qu’on empĂȘche les principaux abus qui pouroient en naĂźtre. Car il ne faut rien dissimuler, les danses mĂȘme publiques , font souvent la cause de bien des pĂ©chĂ©s, & de beaucoup de dĂ©sordres & de scandales. Plus les piaf des MƓurs. 24? sirs font vifs & bruyans , plus il est ordinaire & naturel Ă  l’homme d’en abuser. C’est ce qui faisoit dĂ©sirer Ă  un Auteur cĂ©lĂ©brĂ© 16 , qu’on n’accusera certainement pas d’une doctrine trop, scrupuleuse & trop sĂ©vere, non - seulement que les danses se fissent toujours en public & au grand jour, parce que celui qui veut faire mal, craint la lumiĂšre, & que le vice est ami des tĂ©nĂšbres ; mais il voudrait encore que les peres & meres y asti fiassent, pour veiller fur leurs enfans , pour ĂȘtre tĂ©moins de leur grĂące & de leur dĂ©cence , des applaudissemens qu’ils auraient mĂ©ritĂ©s, & jouir ainsi du plus doux spectacle qui puisse toucher leur cƓur. Il voudrait aussi qu’une personne respectable par son Ăąge ou par son rang ne dĂ©daignĂąt pas d’y prĂ©sider, afin d’imposer par sa prĂ©sence aux acteurs trop enclins Ă  s’échapper , une gravitĂ© convenable & une joie modeste, dont ils n’oseroient sortir un instant. Sans ces prĂ©cautions & d’autres Ă©galement sages, qu’il voudrait qu’on apportĂąt , mais qu’il est rare qu’on apporte, 16 J. J. Roujscau , dans fa Lettre Ă  M. d’AIembert fur les Spectacles. Quoiqu’on y trouve un grand nombre d'excellentes choses, bien vues & supĂ©rieurement dites, nous n’en croyons la lecture utile qu'aux personnes Ă©clairĂ©es & capables de dĂ©mĂȘler le vrai du faux. L A 244 Ă© École toutes les danses, fur - tout si elles font frĂ©quentes & entre les jeunes gens des deux sexes, seront toujours dangereuses , & souvent ausii funestes Ă  l’innocence & Ă  la pudeur que les bals mĂȘme. Madame le Prince de Beaumont, qui les interdit si sĂ©vĂšrement Ă  la jeunesse qu’elle veut Ă©lever & former aux bonnes mƓurs, n’approuve pas davantage la frĂ©quentation des speBacles. ‱ „ Je trouve , dit-elle, qu’à la ComĂ©die on dit bien des sottises. Il est vrai qu’il n’y en a pas dans les tragĂ©dies ; mais dans les meilleures , il y a des sentimens bien opposĂ©s au chriC. tianisine on y approuve la vengeance, on y loue l’ambition ; & puis au commencement de la plus pure tragĂ©die, il y a un prologue qui quelquefois ne l’est guere, & Ă  la fin une petite Piece qui ordinairement est infame. Je soutiens qu’une personne qui aime son salut, ne doit point aller Ă  ces sortes de PiĂšces “. Mais, ajouterons-nous , quand on aime les spectacles, est-on fort, scrupuleux sur le choix des PiĂšces qu’on doit y reprĂ©senter , & ne va-t-on pas Ă  toutes ? Vous dites que vous n’y faites point de pĂ©chĂ©, & qu’il n’y a de mal Ă  la ComĂ©die qu’autant qu’on veut y en prendre. 11 est moralement impossible que vous n’çn preniez. pas , comme lejprouve des MƓurs. 245 sans rĂ©plique l’Auteur des Lettres fur les Spectacles 17. Le théùtre, de l’aveu mĂȘme de ses plus zĂ©lĂ©s partisans, n’est-il pas destinĂ© Ă  remuer & Ă  enflammer les pallions ! N’y justifie, & n’y anoblit-011 pas souvent l’amour criminel & la voluptĂ© ? N’y dis- pose-t-on pas l’ame Ă  des sentimens trop tendres,qu’on satisfait ensuite aux dĂ©pens de la vertu ? Quand il seroit vrai, comme le disent faussement les partisans du théùtre , qu’on n’y reprĂ©sente qu’un amour lĂ©gitime , ou du moins toujours puni, lorsqu’il est coupable ; s’ensuit-i! de lĂ  , dit le Citoyen de Geneve.i 8 , que les impressions en soient plus foibles, que les effets en soient moins dangereux ĂŻ 17 M. Defyre\ de Roißy , Avocat au parlement de Paris. L’accueil que le public a fait Ă  cet Ou» vrage, dont on vient de faire une Uxieme Edition, & qui a mĂȘme Ă©tĂ© traduit en Italien & en Latin , fait honneur Ă  la vĂ©ritĂ© & Ă  celui qui l’a fi bien, dĂ©fendue. L’UniversitĂ© de Paris en a fait un livre classique, persuadĂ©e que la frĂ©quentation des spectacles est l'Ă©cueil oĂč Ă©chouent souvent les meilleures Ă©ducations. Nous exhortons aussi Ă  lire avec attention l’excellente Lettre qui est fur ce sujet dans le Comte Ăąc Valmont. C’est la vingt-neuvieme Ju tome II. 1 8 i Dans fa Lettre Ă  M. d’Aiembert, que nous avons dĂ©jĂ  citĂ©e il y rĂ©fute victorieusement le Redacteur EncyclopĂ©dique, partisan du théùtre, & y prouve sans .rĂ©plique, que les spectacles , tel» -mĂȘme qu’ils font aujourd’hui, ne peuvent ĂȘtre que trĂšs-dangereux & trĂšs - funestes pour les mƓurs, ‱ L 5 246 L’Ecoit comme si les vires images d’une tendresse innocente Ă©toient moins douces, moins sĂ©duisantes , moins capables d’échauffer* un cƓur sensible, que celles d’un amour criminel, Ă  qui l’horreur du vice sert au moins de contre-poison. Quand le Patricien Manilius fut chassĂ© du SĂ©nat de Rome, pour avoir donnĂ© un baiser Ă  lĂ  femme en prĂ©sence de sa fille ; Ă  ne considĂ©rer cette action qu’en elle-mĂȘme, elle n’avoit sans doute rien de rĂ©prĂ©hensible. Mais les chattes feux de la mere en pou- voient inspirer d’impurs Ă  la fille. Les circonstances qui rendent la chose honnĂȘte . s’effacent de la mĂ©moire , tandis que ï’imprtffion d’une paffion si douce reste gravĂ©e au fond du cƓur. VoilĂ  l’effet des amours, permis du théùtre. En y ad. mirant l’amour honnĂȘte, on se livre Ă  l’amour criminel. Tout le théùtre François ne respire gucre que cette paffion j & qu’on nous peigne l’amour comme on voudra , .il sĂ©duit, ou ce n’est pas lui. C’est lĂ  encore que la jeunesse de l’un & de l’autre sexe s’instruit Ă  fe jouer de la simplicitĂ© ou des volontĂ©s de ses parens,& Ă  suivre, pour un engagement de toute la vie, un aveugle penchant. C’est lĂ  qu’on fait passer une vigilance lĂ©gitime pour une jalousie intolĂ©rable, & une connivence criminelle pour un air de galant homme. N’est-ce pas lĂ  auffi qu’on enseigne aux des MƓurs. 247 domestiques Ă  ne rougir de rien, Ă  servir les passions d’autrui, Ă  entretenir dans de jeunes cƓurs des amours dĂ©fendus, Ă  prĂȘter leur ministĂšre Ă  d’indignes intrigues pour tromper la sagesse ou la'bon- liommie de leurs maĂźtres ; comme si en leur apprennant Ă  dĂ©rober pour les autres , on ne leur apprenoit pas en mĂȘme temps Ă  le faire pour eux - mĂȘmes ? .N’est-ce pas lĂ  enfin qu’on cherche souvent Ă  flatter l’imagination licencieuse des spectateurs par des images voluptueuses , & Ă  exciter les Ă©clats du peuple par de prĂ©tendus bons mots, qui ieroient. rougir la pudeur, si elle n’étoit bannie de ces lieux ? Nous avons connu un Magistrat de Province , plein de probitĂ© & de religion. Etant allĂ© Ă  Paris pour voir les beautĂ©s de cette grande ville , il fut curieux d’assister Ă  quelques reprĂ©sentations des divers théùtres , dont on lui vantoit beaucoup la puretĂ© & la dĂ©cence. Il y remarqua avec surprise que les endroits auxquels on applaudissoit le plus T Ă©toient souvent ceux qui Ă©toient les plus indĂ©cens, ou qui ne cachoient l’obscĂ©nitĂ© que sous le voile transparent & plus dangereux de l’équivoque. Mais peut - ou applaudir au mal, fins se rendre complice & coupable du mal mĂȘme? C’est donc parce qu’on- cherche Ă  se faire- illusion, qu’on voudrait se per, L 4 248 L’ É C O L E suader ou persuader aux autres que le théùtre est aujourd’hui trĂšs-Ă©purĂ©. Le venin n’en est seulement quelquefois que plus enveloppĂ©, prĂ©parĂ© avec plus d’art, & souvent par-lĂ  mĂȘme plus funeste. Le poison le plus fin n’est-il pas le plus mortel ? & les traits les mieux affilĂ©s ou lancĂ©s avec le plus d’adresse , ne font-ils pas les plus perçans ? Les mauvaises leçons , les maximes corrompues qui rĂ©voltent d’abord , perdent insensiblement , & Ă  force d’ĂȘtre rĂ©pĂ©tĂ©es , ce qu’elles avoient de plus rĂ©voltant on les adopte, presque sans qu’on s’en apperçoive l’esprit se gĂąte & le cƓur 4b corrompt peu-Ă -peu , comme le visage se noircit au soleil. Mais quoiqu’on ne fente plus la corruption d’un air infect, parce que l’organe est ViciĂ© ou qu’il y est fait, en est-il moins contagieux & moins funeste Ă  la santĂ© ? En vain nous ferez-vous valoir quelques foibles avantages, qu’on peut retirer des spectacles , & nous direz-vous qu’on peut abuser de tout. Mous vous rĂ©pondrons avec le Philosophe de Geneve Lorsque le bien surpasse le mal, la chose doit ĂȘtre admise malgrĂ© ses inconvĂ©niens mais lorsque le mal surpasse le bien, comme dans les spectacles , il. faut la rejeter mĂȘme avec ses avantages. Quand, ce qui est presque impossible, vous ne des MƓurs. 249 prendriez point de mal Ă  la reprĂ©sentation des PiĂšces j comptez-vous pour rien celui que vous faites , en contribuant avec les autres Ă  entretenir une profession frappĂ©e des anathĂšmes de l’Eglise, & digne de l’ĂȘtre par la vie scandaleuse & libertine de la plupart de ceux qui l’exercent, par tous les dĂ©sordres secrets ou publics dont ils font la cause ? Une personne du monde disoit Ă  un Religieux, recommandable par son esprit & par ses lumiĂšres, qu’elle ne croyoit pas qu’il y eĂ»t du mal Ă  frĂ©quenter la ComĂ©die. Si l'onfaisoit une quĂȘte , lui rĂ©pondit-il, pour entretenir dans le crime & dans le libertinage des courtisanes ou d’autres personnes de mauvaise vie, ne vous croiriez-vous point coupable d'y contribuer ! Je vous entends , reprit l’autre ; mais est, il dĂ©fendu de contribuer Ă  l’amusement du public ? Oui , fans doute , rĂ©pondit le Religieux, lorsque cet amusement est une occaßon de pĂ©chĂ© pour plusieurs. S’il est quelquefois permis de tolĂ©rer un mal pour en empĂȘcher un plus grand , il ne i’est jamais d'y coopĂ©rer , mĂȘme pour faire un bien jy. Cette personne qui avoit beau- 19 Ne fcclamvs mala ut venlant bona. Rom. 3- Loi de l’Esprit Saint, sur laquelle ies tari Iles maximes du monde ne prĂ©vaudront pas. L s 2sO L’ Ê C 0 L E coup de jugement & de droiture, convint qu’il avoir raison. On encourage, par l’attrait du gain & des applaudissemens , les auteurs delĂ  corruption publique. On s’inquiĂšte peu qu’ils se perdent & en perdent une infinitĂ© Lautres avec eux, pourvu qu’ils divertissent & qu’ils amusent. Elt-ce ĂȘtre ChrĂ©tien!' elt-ce mĂȘme ĂȘtre homme? Une de nosPrincesses filles de Louis XV, Madame Henriette de France , disoit un jour aune personne qu’elle honoroit de fit confiance, qu’elle ne concevoir pas comment on pouvoir goĂ»ter quelque plaisir aux reprĂ©sentations du théùtre, & que c’étoit pour elle un vrai supplice. Si-tĂŽt, ajoutoit-elle, que je vois paroĂźtre les premiers acteurs fur la scene , je tombe tout-Ă -coup dans lapins profonde tristesse. VoilĂ , me dis-je Ă  moi-mĂȘme, des hommes qui sc damnent de propos dĂ©libĂ©rĂ©' pour me divertir. Le nombre ni la qualitĂ© des personnes qui vont aux spectales , ne peuvent servir d’excuse ni rassurer. La multitude ou la dignitĂ© des coupables poura-t-elle enchaĂźner le bras puissant de la Justice divine? & que servirontlcsrichesses, les titres & la grandeur, qu’à lui prĂ©parer de plus grandes victimes ? Si des hommes, qui par Ă©tat devroient s’interdire leslpectacles, y aiĂźistent, c’est des MƓurs. 2 fi un scandale de plus, & non une justification. Combien dĂ©shonorent leur Ă©tat par leur conduite , & agissent contre les rĂ©clamations de leur conscience, avec laquelle on ne peut disputer, sans avoir tort ! Nous avons connu une personne en place elle rĂ©pĂ©toit souvent, quelque temps avant sa mort, qu’une des choses qui lui faisoient le plus de peine, Ă©toit d’avoir dans sa jeunesse, Ă  l’exemple des autres, lrĂ©quentĂ© les spectacles. Qu’il est doux aux derniers momens de fi vie de n’avoir rien Ă  se reprocher ! Mais quel jugement terrible n’auront pas alors Ă  craindre les peres & les meres, qui par leurs leçons ou par leur exemple, auront inspirĂ© Ă  leurs enfans le goĂ»t & l’amour du théùtre ! ObligĂ©s encore plus- que les autres Ă  s’interdire la frĂ©quentation des spectacles & des bals, li pernicieuse sur-tout pour la jeunesse, ne le rendent-ils pas coupables devant Dieu de toutes les suites qu’elle peut avoir Ă  l’égard de leurs enfans ? & n’elt-ce pas fur eux principalement que tombe la malĂ©diction lancĂ©e par Jcsus-Christ contre ceux qui font une occasion de chute pour les petits & les foibles? Peres foibles , meres imprudentes, gouverneurs & guides indignes de l’ĂȘtre , en conduisant aux spectacles vos enfans ou vos Ă©leves 3 2zr L’ É c o l e vous leur prĂ©sentez vous-mĂȘmes la coupe empoisonnĂ©e du plaisir & de la voluptĂ©! N’y boiront-ils donc pas assez tĂŽt fans vous? Leurs paillons ne s’éveilleront- elles pas assez d’elles - mĂȘmes? faut-il encore les faire naĂźtre d’avance ou les irriter ? On ne veut, dira-t-on, les y conduire ou y aller soi-mĂȘme qu’une fois, pour satisfaire fa curiositĂ©. Mais si le théùtre est dĂ©fendu Ă  celui qui fait profession d’ĂȘtre ChrĂ©tien, il l’est pour cette fois mĂȘme que vous voudriez en excepter; & oĂč en ferions-nous pour les mƓurs , si fous ce prĂ©texte il fall oit tout connoĂźtre & tout voir? Qui peut d’ailleurs fe rĂ©pondre que ce qui est attrayant de fa nature, ne fera pas naĂźtre en nous le dĂ©sir de le voir plus souvent? A pour-' quoi fe donner un dĂ©sir de plus, pour avoir ensuite tant de peine Ă  le rĂ©primer, ou pour s’exposer au danger d’y succomber encore ? Alipe , cet ami de saint Augustin, dont nous avons dĂ©jĂ  parlĂ©, Ă©tudioit le droit Ă  Rome. Quelques - uns de ses condisciples lui proposĂšrent un jour d’aller avec eux Ă  l’amphithéùtre. Il avoit autrefois aimĂ©^passionnĂ©ment les spectacles , & saint Augustin l’avoit guĂ©ri de cette passion. Alipe rĂ©sista aux invitations & 'aux sollicitations pressantes de DES M ƒ U Tt S. 2fZ ses amis, qui l’entraĂźnerent de force. Il ferma constamment les yeux pendant le spectacle. Mais tout-Ă -coup fur la fin un cri extraordinaire frappa lĂšs oreilles, & excita fa curiositĂ©. 11 ouvrit les yeux. A peinĂ© vit-il le spectacle, qu’il s’y sentit intĂ©reifĂ©. Ravi, transportĂ©, il mĂȘle ses cris & ses applaudisiĂȘmens Ă  ceux des autres spectateurs, & fort enfin plus Ă©pris que jamais de l’amour du théùtre. A la place de ces grands plaisirs, trop dangereux pour n’ùtre pas souvent criminels, & trop vifs pour ĂȘtre longtemps agrĂ©ables, substituez les plaisirs purs & toujours satisfaisans de l’esprit & de l’ame. Ceux-ci sont bien au-deisus de toutes les satisfactions , qu’on cherche & qu’on trouve si rarement dans les divertissemens du monde. Ces divertisse- mens peuvent bien charmer pour un moment nos chagrins, interrompre un peu le cours de nos ennuis, & fixer quelques instans la joie fugitive mais ce n’est que pour rendre nos chagrins plus insupportables, nos ennuis plus ac- cablans, & nos regrets plus amers, ils glifl’ent, pour ainsi dire, fur la superficie de notre ame sans la pĂ©nĂ©trer, & ne font qu’agiter le cƓur fans le remplir. Iis n’offrent qu’une image trompeuse du bonheur, & non le bonheur lui-mĂȘme, qu’on ne trouvera jamais que dans i’exex- 2s4 L’ Ê c o l a cice de la vertu. C’est Ă  elle qu’il appartient de faire goĂ»ter des plaisirs infiniment plus agrĂ©ables & plus flatteurs que tous ceux que peuvent donner les vains amusemens du monde ou la satisfaction brutale des sens. Quelle joie douce & pure naĂźt fur-tout de l’attachement inviolable Ă  son devoir, & du renoncement aux plaisirs dĂ©fendus! Elle est inaltĂ©rable comme la vertu qui la produit, & n’est jamais sujette Ă  de fĂącheux retours. Ăźlrillans amusemens d'un monde corrompu, Valez - vous ces vrais brens que donne la vertu? Non , malgrĂ© vos attraits , les ennuis, les alarmes AssiĂšgent le coupable enivrĂ© de vos charmes MĂȘme au sein des plaisirs, son destin est affreux. La vertu seule a droit de faire des heureux* Sans vouloir interdire les dĂ©laflemens & les plaisirs permis, il faut du moins qu’ils le soient, il faut qu’ils ne nuisent point Ă  la piĂ©tĂ© ni aux mƓurs, qu’ils n’aient rien de contagieux, qu’ils n’inspirent point le goĂ»t de la frivolitĂ© , de la diiĂźipation, & l’oubli de ses devoirs. Une ame belle & sensible , dit l’Auteur du Comte de VaĂŻmont , n’a-t-elle pas au sein de iĂ  famille , dans la sociĂ©tĂ© d’amis vertueux comme elle, dans les tendres Ă©pan. ehemens de la confiance, dans le goĂ»t des MƓurs. mĂȘme des Lettres & des Arts, des plaisirs plus purs qu’elle puisse se permettre ? Si elle est plus belle & plus vertueuse encore, n’a-t-elle pas des spectacles plus intĂ©ressans qu’elle puisse se procurer celui des malheureux qui souffrent & qu’elle va consoler? N’a-t-elle pas des larmes plus douces Ă  verser, celles de la pitiĂ© pour des indigens qu’elle va visiter & soulager ? N’a-t-elle pas un emploi plus noble & plus touchant Ă  faire de ses richesses ,. en les mĂ©nageant pour des Ɠuvres qui honorent l’humanitĂ© & la charitĂ© ? Ah ! ce sont-lĂ  des plaisirs bien plus dignes de nous, que tous ces faux plaisirs des bals & des spectacles, qu’on n’aime & qu’on ne recherche avec tant d’ardeur, que parce qu’ils flattent & nourrissent !e penchant & le goĂ»t qu’on a aux plaisirs criminels de la voluptĂ© 2,0. Pour vous, plus Ă©clairĂ© & plus sage, laissez aux hommes effĂ©minĂ©s ou stupides & grofliers des plaisirs qui leur font communs avec la bĂ«;e, des plaisirs qui les dĂ©gradent & les avilissent, & qui font bien plus une preuve de l’infirmitĂ© 20 Presque toutes nos piĂšces de théùtre sent sondĂ©es fur une intrigue amoureuse, ses femmes qui parenr nos speciacits * dit M. de Voltaire , ne veulent point iouffrir qu*on leur parle d’autre chose que d’amour, parce que c’elslĂ  sans doute ce qu’elles entendent le mieux. Lf6 L’ É C O L E humaine, qu’une marque de la distinction & de l'Ă©lĂ©vation de l’homme. Ne mettez jamais votre gloire dans ce qui fait votre honte, & ne cherchez pas dans la dĂ©fense mĂȘme un nouvel attrait Ă  la voluptĂ©. PlacĂ©s fur la terre, comme dans le jardin destinĂ© au sĂ©jour du premier homme, si l’Auteur de notre ĂȘtre, pour de justes & sages raisons , nous dĂ©fend l’usage d’un fruit, acceptons avec reconnoissance ceux qui ne nous font point interdits. Jouissons de ce qui nous est offert, fans nous croire malheureux par ce qui nous est refusĂ©. Gardons- nous de porter une main tĂ©mĂ©raire Ă  l’arbre qui nous est dĂ©fendu, & d’en cueillir le fruit, qui deviendroit pour nous un fruit de mort. Respectons la loi. Nous devons Ă  la MajestĂ© de Dieu le tribut d’une soumission parfaite Ă  ses ordres nous devons Ă  fa sagesse l’hommage d’une persuasion intime que , s’il daignoit nous dĂ©couvrir les mystĂšres de ses conseils, nous applaudirions aux motifs de fa conduite. Ces fentimens respectueux , un sentiment de plaisir les accompagne, une heureuse tranquillitĂ© les fuit, & en est dĂšs cette vie mĂȘme la rĂ©compense. des MƓurs. 2 S 7 XXXI. Sobre pour le fav-il , le sommeil ÂŁ 5? la table , ĂŻesprit libre ÂŁ sf /s/ & extmplodUici disciplinant, J?rov. 6 & 24. des MƓurs. 267 Profitez-en de mĂȘme, vous qui lisez ceci ; & si jamais il vous arrive de rester au lit trop tard, reprĂ©sentez-vous Salomon qui paroĂźt tout-Ă -coup dans votre chambre, & qui vous tirant par le bras , vous adresse les mĂȘmes paroles qu’il adressoit aux paresseux de tous les siĂšcles Jusqu’à quand, ĂŽ paresseux, dormirez- vous ? Quand vous rĂ©veillerez-vous de votre sommeil ? N’est-ce pas assez frotter vos yeux pour les ouvrir, assez tordre vos bras & les Ă©tendre, vous soulever & puis retomber fur le chevet tandis que la malĂ©diction de Dieu laisse entrer dans votre maison, avec le dĂ©sordre & le libertinage, la pauvretĂ© qui ne vous craint pas, non plus qu’elle n’a pas craint d’autres maisons plus riches que la vĂŽtre. La Paresse va si lentement, que la Pau» vretĂ© l’atteint bientĂŽt. Ce que la Sagesse vous recommande encore, si vous voulez dormir heureusement & paisiblement, c’est d’éviter tout ce qui pouroit ouvrir les portes Ă  l’insomnie les inquiĂ©tudes de l’esprit, les mouvemens tumultueux des passions, les excĂšs de l’intempĂ©rance. C’est bien assez d’ le jour Ă  vos occupations & Ă  vos affaires donnez la nuit Ă  votre repos & Ă  votre tranquillitĂ©. Lorsque l’heure est venue de vous mettre au lit, faites en forte que vos desseins, M 2 1 68 V Ê c o l e vos entreprises, vos espĂ©rances, vos peines mĂȘme, s’il est possible, & vos tris, tesses s’endorment avec vous, & qu’il y ait un grand silence dans votre arae ainsi que dans votre maison. Le savant M. Huet avoit pour maxime de ne lire jamais ses lettres le soir avant de se coucher , ni Ă  midi avant de se mettre Ă  trouve ordinairement dans les lettres, disoit-il, bien plus de mauvaises nouvelles que de bonnes &,en les lisant, on se prĂ©pare Ă  soi-mĂȘme des sujets d’inquiĂ©tudes , qui troublent le repos & le repas. La juste mesure du repos, la rĂ©gularitĂ© & la tranquillitĂ© du sommeil, sont un des plus fermes appuis de la santĂ©. Celui qui ne dort que ce qu’il faut, & dans le temps le plus propre au sommeil, celui dont l’ame n’est agitĂ©e par aucune passion violente, ni le corps surchargĂ© par aucun excĂšs , se couche & s’endort dans le mĂȘme moment. Son sommeii est tranquille & profond il est difficile de l’en tirer. Mais aussi-tĂŽt que la nature est satisfaite & que ses forces sont rĂ©parĂ©es , il se rĂ©veille, il est frais , sain, vigoureux & gai, comme on le voit d’ordinaire dans les artisans & dans les gens de la campagne. Il n’en est pas de mĂȘme des personnes du grand monde, & de ces dĂ©sƓuvrĂ©s qui, pour prendre ou prolonger leur repos, consultent plus la des MƓurs. r§9 mollesse que la nĂ©cessitĂ© , la paresse que le besoin , & le caprice que la nature. C’est en vain qu’ils attendent le sommeil, il fuit loin de leurs yeux ; leur impatience mĂȘme ne sert qu’à l’éloigner davantage. Voyez aussi ces riches, ces voluptueux, ces hommes importans qui , chargĂ©s de veiller au repos des autres, n’en prennent jamais. AgitĂ©s par les foins, les affaires , les projets, les plaisirs, les regrets du jour ; Ă©chauffĂ©s par les alimens & les boissons , ils se couchent avec un esprit inquiet, & un pouls prĂ©cipitĂ©, un estomac chargĂ©. L’inquiĂ©tude, l’embarras , la fievre se couchent avec eux , & les tiennent long-temps Ă©veillĂ©s. S’ils s’endorment, c’est d’un sommeil lĂ©ger, inquiet, troublĂ© par des rĂȘves effrayans & des rĂ©veils brusques. Ils se lĂšvent avec des palpitations, de la lassitude, de l’abattement, de la mauvaise humeur. Chaque nuit ainsi passĂ©e , au lieu de rĂ©parer leurs forces, les Ă©puise; leur sang, loin de se purifier & de se rafraĂźchir, s’épaissit & s’enflamme leur santĂ© s’altere, se mine peu-Ă -peu ; il survient quelque grande maladie, dont le terme est le tombeau. Voulez-vous donc que le sommeil porte dans vos membres la santĂ© & la vie fuyez la multitude des affaires, modĂ©rez M ; a 7 o L’ É C 0 t E vos pallions, Ă©vitez les excĂšs, & usez sobrement du sommeil mĂȘme. Il ressemble aux remedes qui, trop multipliĂ©s ou rĂ©itĂ©rĂ©s trop souvent, ne font plus aucun effet. Une Dame consulta un jour un cĂ©lĂ©brĂ© MĂ©decin, & lui dit qu’elle Ă©toit le soir sans appĂ©tit il lui ordonna de dĂźner peu. Elle ajouta qu’elle Ă©toit sujette Ă  des insomnies ; il lui prescrivit de n’ùtre au lit que pendant la nuit. Elle lui demanda pourquoi elle devenoit pesante, & quel remede il lui falloir prendre il lui rĂ©pondit qu’elle devoir se lever avant midi, & quelquefois se servir de ses jambes pour marcher. A combien d’autres ne pouroit-on pas faire les mĂȘmes rĂ©ponses ? Ăź- 7——J ». La table. Ne ressemblez pas Ă  ceux qui paroissent n’avoir point de plus importantes affaires, que de dĂźner le matin & de souper le soir, & qui ne semblent nĂ©s que pour la digestion. Ne vivez pas pour manger, mais mangez pour vivre. Aimez les bonnes choses plus pour les autres que pour vous, & consultez moins votre goĂ»t que le leur. PrĂ©fĂ©rez le plus sain au plus friand. Le choix & le goĂ»t desalimens, lorsqu’on n’a pour but que d’entretenir la santĂ© & de se mettre en Ă©tat de remplir ses devoirs, ne font des MƓurs. 271 pas interdits par la Sagesse ils entrent mĂȘme dans l’intention bienfaisante du CrĂ©ateur, & l’on sait la rĂ©ponse que fit un jour Descartes Ă  ce sujet. Un Riche, dont les connoissances Ă©coient fort bornĂ©es , lui voyant manger quelques mets dĂ©licats Eh quoi ! dit-il, les Philolophes mangent-ils de ces morceaux? Pourquoi non , rĂ©pondit Descartes ! vous imagines- vous que la nature nait fait les bonnes choses que pour les ignorons ? Gardez-vous pourtant d’ĂȘtre ou de paroitre trop dĂ©licat. Bien des gens font les dĂ©licats par vanitĂ©. Loin de donner dans une telle petitesse , quand vous auriez vraiment le goĂ»t fin , sachez l’oublier Ă  table, ou du moins le cacher. On ne trouve rien de bon, quand on est trop difficile on souffre & on fait souffrir les autres par une dĂ©licatesse trop raffinĂ©e. Si un ragoĂ»t moins bon ou un plat moins bien accommodĂ© vous donne de l’humeur , ceux que vous prĂ©tendez rĂ©galer ne pouront-ils pas dire de vous, comme le PoĂ«te comique C’est un fort mĂ©chant plat q\ie fa sotte personne^ Oui gĂąte Ăą mon avis tous les repas qu’il lionne. M O L I ÂŁ R Er Ce seroit encore pis , si vous portiez ce caractĂšre chez les autres peu de gens voudraient vous recevoir ; & quelque M 4 27» L’ E C O L E foin qu’on prĂźt , quelque bonne chere qu’on vous fit , vous vous croiriez toujours mal rĂ©galĂ©. Le vrai savoir-vivre est de savoir s’accommoder aux temps & aux lieux. Les choies les plus dĂ©licates ne font pas toujours les plus agrĂ©ables ou ne le font pas long-temps , parce qu’il est difficile de les goĂ»ter avec'cette modĂ©ration qui augmente le plaisir en le rĂ©glant. La sage nature, qui nous avertit ordinairement avant de nous punir , a mis dans le plaisir de la table, comme dans tous les autres, le dĂ©goĂ»t Ă  cĂŽtĂ© de l’excĂšs. Ce qui est trop dĂ©licat ou pris fans mesure, ne flatte plus, parce qu’il a trop flattĂ©. Voulez-vous donc goĂ»ter dans toute fa puretĂ© le plaisir de la table ne le prenez que des mains de la Sagesse & dans les vues honnĂȘtes qu’elle permet. Ne donnez jamais fur-tout dans aucune dĂ©s folies qui portent beaucoup de jeunes gens Ă  prodiguer leur santĂ©. Quand ils font fur le retour de l’ñge, ils voudraient bien, autant par plaisir que par religion , racheter les excĂšs de la jeunesse. PrĂ©venez ces regrets inutiles n’attendez pas que l’expĂ©rience vous instruise trop tard, & vous serve plutĂŽt de chĂątiment que de remede. Ne mettez point votre tempĂ©rament Ă  trop d’épreuves usez, mais n’abufez point jouissez, mais ne dissipez pas. des MƓurs. 27z Il est permis, il est louable mĂȘme, fans avoir un foin inquiet & scrupuleux de sa santĂ© , de ne pas la prodiguer. C’est fans contredit le plus prĂ©cieux de tous les biens qui servent Ă  la vie, celui que les hommes estiment le plus , & que souvent ils mĂ©nagent le moins. Sans la santĂ©, la vie est Ă  charge ; & c’est une grande extravagance d’abrĂ©ger sa vie, ou de la rendre plus triste, par tout ce qui n’est fait que pour la conserver ou pour l’égayer. Rien ne ruine plus la santĂ© & n’abrege plus les jours que les excĂšs de la bouche; ils font plus meurtriers que l’épĂ©e. Vous avez fans doute entendu parler de cette jeune Princesse , qui fs livroit Ă  tous les plaisirs de la table elle prenoit avec excĂšs tout ce qui fiat- toit son goĂ»t. Quand on l’avertissoit qu’elle jouoit Ă  abrĂ©ger sa vie, Ăšlle rĂ©- pondoit en riant Courte g? bonne. Elle mourut en effet dans la fleur de son Ăąge. Alexandre , que tant de combats , de travaux, de fatigues , n’avoient pu vaincre , fut vaincu par le vin & par la dĂ©bauche. Il mourut Ă  Babylone au milieu des plaisirs , Ă  trente - deux ans. Ne connoĂźtre & ne goĂ»ter de plus grands plaisirs que ceux de la table, est un vice qui dĂ©grade. Ne sommes-nous donc faits que pour manger & pour boire ? & 11e sommes-nous nĂ©s pour riea M f 274 L’École de plus Ă©levĂ© & de plus noble , que pour les plaisirs animaux ? Quelle gloire honteuse que celle qu’on tire de la capacitĂ© du ventre ou d’un appĂ©tit glouton ! L’Empereur Wenceslaç fit Gentilhomme un fameux buveur ; & la rĂ©compense Ă©toit digne de ce Prince. Henri IV ne fit pas de mĂȘme. Un homme qui man- geoit autant que six, se prĂ©senta un jour Ă  ce Monarque, dans l’espĂ©rance qu’il en obtiendroit de quoi entretenir un si beau talent. Le Roi, qui avoit entendu parler de cet homme , lui demanda s’il Ă©toit vrai, qu’il mangeĂąt autant que six» Oui, Sire, rĂ©pondit-il. Et tu travailles Ă  proportion , ajouta le Roi ? Sire, rĂ©pliqua-t-il , je travaille autant qu’un autre de ma force & de mon Ăąge. Ventre- saint-pris, dit ce Prince, 7* savais beaucoup d'hommes comme toi dans mon Royaume , je les ferais pendre de tels coquins l'auroient bientĂŽt affamĂ©. On reconnoĂźt un gourmand Ă  ses propos de table , Ă  la profonde thĂ©orie de la cuisine qu’il se plaĂźt Ă  dĂ©velopper, Ă  ses transports , au feu qui brille dans ses yeux lorsqu’il parle des diffĂ©rens vins & de leurs qualitĂ©s, des maisons oĂč l’on traite avec le plus de goĂ»t, de dĂ©licatesse & d’abondance. Mais peut-on avoir pour lui d’autres sentimens que dessen- timens de mĂ©pris ? 7 des MƓurs. 27 f C’est en effet un dĂ©faut bas & honteux , qui rapproche l’homme de la bĂȘte ne pcut-on pas mĂȘme dire qu’il le met au-dessous? Les bĂȘtes le plus souvent se bornent au nĂ©cessaire. Si elles trouvent quelque chose qui ne rĂ©pugne pas Ă  leur goĂ»t, elles s’en contentent, n’en prennent qu’autant qu’il leur en faut, & ne cherchent, rien de plus. Elles ne se provoquent pas au vomissement, pour manger de nouveau. Elles n’avalent pas des liqueurs fortes, pour hĂąter la digestion, afin de pouvoir satisfaire encore un appĂ©tit artificiel & plus que brutal. Croiroit- on que des hommes , des femmes mĂȘme, scient capables de pareils excĂšs? & n’est- ce pas lĂ , selon l’expression Ă©nergique de l’Ecriture , faire son dieu de son ventre ? Celui qui a Ă©tĂ© .bien Ă©levĂ©.* n’aura jamais un vice si dĂ©shonorant, & il ne mettra point au nombre de ses plaisirs ce qui le confondroit avec les plus vils animaux. D’ailleurs ces plaisirs grossiers conduisent souvent Ă  de plus grossiers encore. Le vin & la bonne chere font les ali- mens de la voluptĂ©. C’est ce qui a fait dire aux Anciens Sine Baccho b Cerere * Venus friget. Eh! quepouroit VĂ©nus, faits Bacchus & CĂ©rĂšs ?' Le PoĂšte que nous avons dĂ©jĂ  citĂ©-,, M 6 L6 L’ É C O L E dit aufĂŻĂŻ dans le Portrait du Roi de Suede Une sage frugalitĂ© , Dont il donne l’exemple avec autoritĂ© , De son camp bannit la mollesse , Et le dĂ©fend lui - mĂȘme, au feu de la jeunesse* D’un Ă©cueil plus Ă  redouter , Aue tous les ennemis que son bras fut dompter. Ce Prince Ă©toit 'd’une sobriĂ©tĂ© qui ne contribua pas moins que l’exercice Ă  rendre son tempĂ©rament fort & robuste. Jamais il ne se plaignit que ses mets luisent peu dĂ©licats ou mal apprĂȘtĂ©s. AprĂšs un repas frugal, il faisoit Ă  cheval de longues courses , & le soir en campagne il couchoit sur de la paille Ă©tendue par terre , tĂȘte nue, sans draps , couvert seulement d’un manteau. Il avoir acquis par-lĂ  un tempĂ©rament de fer, que les fatigues les plus violentes ne purent abattre. Qui doute en effet que la force & la santĂ© ne soient le partage de la sobriĂ©tĂ© A de l’exercice , comme la foiblesse & la maladie le sont de l’inaction & des excĂšs de la table ? Pourquoi voit-on une si grande diffĂ©rence pour le tempĂ©rament ,, la santĂ© & la force, entre le laboureur ou l’artisim , & le riche, le voluptueux, l’homme de bonne chere ? des MƓurs. 277 N’en doit-on pas chercher la principale cause dans, la diffĂ©rence de leurs alimens & de leurs boĂŒlons ? Le pain le plus gr'olĂŻier , les mets les plus simples, la boisson naturelle , font la nourriture des premiers. Le besoin, qui en fait tout l’agrĂ©ment , en regle aussi la quantitĂ©; & comme ces choses n’ont par elles- mĂȘmes rien d’attrayant, on n’en prend jamais au - delĂ  du nĂ©cessaire la digestion se fait aisĂ©ment & sans douleur; au bout de quelques heures le besoin renaĂźt, & 011 le satisfait avec le mĂȘme plaisir. Il n’en est pas de mĂȘme des riches & des personnes du grand monde. On voit fur ces tables oĂč rĂ©gnent la magnificence , le luxe & la somptuositĂ© , des viandes succulentes, des gibiers de haut goĂ»t, des pĂątisseries dĂ©licates , des mets variĂ©s de diffĂ©rentes façons & rendus plus Ă©chauffans par des aromates prodiguĂ©s. Les vins les plus fumeux & les plus violens, l’eau-de-vie masquĂ©e sous les formes les plus agrĂ©ables & les plus dangereuses , se trouvent Ă  tous leurs repas. L’impression flatteuse de toutes ces choses dĂ©termine souvent Ă  en prendre au-delĂ  du besoin , & le trop en ce genre nuit encore plus que le trop peu; l’effomac surchargĂ© digĂ©rĂ© mai, & toutes les fonctions du corps se dĂ©rangent 2/8 L’ É C O L s Mais ce n’est pas tout encore. Le moment d’un nouveau repas arrive on se met Ă  table , quoique le besoin rĂ©el n’existe pas. On veut manger j l’odeur, la couleur , la saveur des mets y invitent. On paroĂźt dĂ©cidĂ© pour un plat, on en est servi, on le goĂ»te, on le renvoie on en essaie un grand nombre , on mange de quelques-uns l’ensemble fait un volume , & est composĂ© d’une infinitĂ© de choses diffĂ©rentes, dont la rĂ©union offre les plus grands obstacles Ă  la digestion. De - lĂ  un long sĂ©jour sur l’estomac, une corruption plutĂŽt qu’une digestion , une indisposition habituelle qui fait que, sans ĂȘtre malade , on ne se porte jamais bien. La sobriĂ©tĂ© , au contraire , rend le Corps dĂ©gagĂ© & dispos , & l’entretient dans une santĂ© ferme & vigoureuse. Un Roi de Perse envoya , dit - on , au Calife Mustapha un MĂ©decin trĂšs-habile. Celui- ci , en arrivant, demanda comment on vivoit Ă  cette Cour. On ne mange, lui rĂ©pondit-on, que lorsqu’on sent la faim , & on ne la satisfait pas entiĂšrement. Je me retire , dit - il, je liai que faire ici. On a dit d’un goutteux Ta manges des ragoĂ»ts exquis , Tune Lois que du fin Champagne, Et tu joins aux liqueurs d'Espagne ĂźLes vins que le Turc a conquis. 279 / des MƓurs. Sous une housse d’écarlate , Tes rideaux fout d’un gros damas La Hollande a filĂ© res draps. Et tes matelas font d’ouate. Dois- tu, GĂ©ronte, t’étonner De voir qu’une Goutte cruelle , Qui traĂźne fa sƓur la Gravelle, Ne veuille point t’abandonner ? Je la trouverais ridicule De quitter tes festins avec ton lit mollet > Pour s’en aller jeĂ»ner avec un Camaldule , Ou coucher fur la dure avec un RĂ©collet* La tempĂ©rance qui est la source delĂ  santĂ© , l’est aussi de la longue vie. L’excĂšs de la bouche , dit le Sage, en a tuĂ© plusieurs mais [homme Jobre vivra plus long-temps 4. On a remarquĂ© qu’on voyoit plus de vieillards en Italie qu’en France ce qu’on n’attribue pas seulement Ă  la salubritĂ© defsair & Ă  la douceur du climat, mais Ă  laTobriĂ©tĂ© des Italiens. Uii PoĂ«te Anglois dit ingĂ©nieusement dans une de sesEpigrammes latines! Si tarde cupis esse senex , utaris oportet Vel modico medisĂ€; vel medico modlet. . Sumpta , ci bus tanquam , ladit falutemt At fimptus pro deß , ut mediĂ na, cibus, Ow Z '4 Propter crapu ’nm multi obierunt qui auum abßi* nens eß , adjiciet vitam , Ecdi. 37- 2go L’ Ê C O L E On a ainsi traduit ou plutĂŽt imitĂ© cette Epigramme Peu de MĂ©decin, Peu de mĂ©decines Point de chagrin, Sobre cuisine. Si tu prĂ©tends Vivre long-temps. La tempĂ©rance & le travail, dit le Philosophe de Geneve , font les deux vrais mĂ©decins de l’homme ; le travail aiguise son appĂ©tit , & la tempĂ©rance l’empĂȘche d’en abuser. Un MĂ©decin ayant demandĂ© au Pere Bourdaloue quel rĂ©gime de vie il observoit. Ce Pere lui rĂ©pondit qu’il ne faisoit qu’un repas par jour. Gardez - vous , lui dit le MĂ©decin , de rendre public votre secret vous nous ĂŽteriez toutes nos pratiques. Saint Charles BorromĂ©e Ă©tant tombĂ© malade Ă  Rome , so vit obligĂ© de consulter les MĂ©decins. Mais comme ils ne convenoient pas entre eux fur sa maladie, il profita de leurs contradictions pour ne pas se mettre entre leurs mains, A pour se faire lui-mĂȘme un rĂ©gime de vie. Il commença par retrancher de sa table tout ce qui tenoit de la dĂ©licatesse, & qui ne servoit qu’à flatter le goĂ»t ; & s’étant accoutumĂ© peu-Ă -peu Ă  une vie jure & sobre, il fut bientĂŽt dĂ©livrĂ© de des MƓurs. agi fa pituite, de fa toux , de ses fievres & de ses autres incommoditĂ©s ordinaires. Il devint mĂȘme si robuste qu’on est surpris de la force avec laquelle il supporta les plus rudes travaux de l’EpiC- copat, auxquels son zele le livroit. La vie humaine, dĂ©jĂ  si courte, semble tous les jours, pour la plupart des gens du monde, le devenir encore plus. On regarde avec raison les Ă©piceries & les aromates, prĂ©sens funestes du Nouveau- Monde , comme une des principales causes de ce raccourcissement, parce que tout ce qui hĂąte les battemens du cƓur, fait qu’il battra moins long-temps & que les organes s’useront plus vite. A ces poisons , que l’art des cuisiniers prĂ©pare & varie en mille maniĂ©rĂ©s, comme s’ils craignoient qu’on n’en prĂźt pas assez, joignez ces boissons fortes & brĂ»lantes , qui achĂšvent de porter le ravage & la flamme dans les entrailles ; & il vous fera facile de juger quels effets pernicieux tout cela doit produire. Doit-on ĂȘtre surpris de tant de morts prĂ©maturĂ©es , de tant de morts subites, dont nous entendons parler maintenant. Si vous aimez votre santĂ© & votre vie, aimez la sobriĂ©tĂ©, n’oubliez jamais le prĂ©cepte que vous donne ici la Sagesse. Les plaisirs de la table pris fans modĂ©ration, ne font agrĂ©ables que pour 282 L’ÈcotĂŒ le moment on les achetĂ© souvent bien cher ; & la nature ne tarde pas Ă  se venger, quand on la force de prendre ce qu’elle ne demande point. La frugalitĂ© au contraire flatte moins dans le moment, mais les suites en font douces & agrĂ©ables. TimothĂ©e, illustre citoyen d’Athenes , avoit fait chez Platon un souper frugal, oĂč il avoit eu beaucoup de plaisir. L’ayant rencontrĂ© le jour suivant Ami , lui dit-il, vos repas me plaisent beaucoup , parce quon s'en trouve bien , mĂȘme encore le lendemain. . L’Auteur de ÂŁ EcclĂ©siastique se sert de la mĂȘme raison, pour nous porter Ă  la sobriĂ©tĂ©. Si vous ĂȘtes astis, dit-il, aune grande table , ne vous laiflez pas aller Ă  l’intempĂ©rance de votre bouche usez, comme un homme tempĂ©rant, de ce qui vous est servi, & ne demandez pas le premier Ă  boire. Un peu de vin n’est- il pas plus que suffisant Ă  un homme rĂ©glĂ©? Ainsi vous n’aurez point d’inquiĂ©tude durant le sommeil, Ă  vous ne sentirez point de douleur. L’insomnie, la colique 8e les tranchĂ©es font le partage de l’homme intempĂ©rant. Celui qui » mange peu, aura un sommeil de santĂ© i il dormira jusqu’au matin , A Ă  son rĂ©-, veil il Te FĂ©licitera lui-mĂȘme du bon Ă©tat oĂč il se trouve. Ne soyez pas , dit-il encore ailleurs , des derniers Ă  vous lever des MƓurs. 283 de table , V bĂ©nisjez le Seigneur qui vous, a créé U qui vous comble de ses biens s ‱ Voudra-t-on nous permettre de faire ici une rĂ©flexion ? On se pique d’ĂȘtre ou de paroĂźtre reconnoiisant envers les hommes , & on oublie de l’ĂȘtre, on rougit de le paroĂźtre envers Dieu ! Pourquoi dans tant de maisons oĂč l’on se dit ChrĂ©tien , a-t-on abandonnĂ© la religieuse coutume de nos peres, d’élever son cƓur & ses pensĂ©es vers le ciel avant & aprĂšs le repas , pour en faire descendre la bĂ©nĂ©diction & y faire monter ses actions de grĂąces , pour sanctifier & anoblir par la religion ce qui nous confond avec les animaux? Faisons-nous toujours gloire de reconnoĂźtre & de remercier la main bienfaisante qui rĂ©pand sur nous ses dons avec tant de bontĂ© & quelquefois avec tant de profusion plus elle est gĂ©nĂ©reuse Ă  notre Ă©gard, plus nous devons ĂȘtre reconnoissans, & moins fur-tout nous devons abuser de ses bienfaits. Nous l’avons dit plus haut, & nous le rĂ©pĂ©tons on se trompe , si l’on croit que les plaisirs de la table consistent dans la quantitĂ© ou dans la dĂ©licatesse. Plus on court aprĂšs les sensations exquises , plus O ... . Dcrmiet ufqut marie , anima illius cum ipso delMabitur. EccĂźi. Z r. Et super his omnibus fane» dicite Dominum , ÂŁ7V. Eccli. 32., 284 L’ É c o l E on s’en Ă©loigne. Les organes deviennent difficiles, Ă  mesure qu’on les flatte. Ce n’est qu’en restant dans une juste simplicitĂ© , qu’on peut s’assurer de goĂ»ter confi tamment ce plaisir agrĂ©able destinĂ© par la nature Ă  nous faire prendre la nourriture convenable & nĂ©cessaire. Celui qui ne mange que du pain bis & ne boit que de l’eau , les trouve toujours bons. L’homme qui veut des mets succulens, des vins exquis , est toujours dans le cas d’en dĂ©sirer de nouveaux. Le sentiment s’émousse tout ce qui n’est pas piquant & extraordinaire, devient indiffĂ©rent ou insipide; & de lĂ  souvent un dĂ©goĂ»t total , dont le meilleur & le plus sĂ»r remede est la dicte & la sobriĂ©tĂ©. ArtaxerxĂšs , Roi de Perse, ayant perdu une bataille, fut contraint dans sa retraite de manger des figues seches & du pain d’orge. 11 trouva excellons ces mets grossiers. O Dieux ! s’écria-t-il, de quel plaisir je m’étois privĂ© jusqu’à prĂ©sent par trop de dĂ©licatesse ! Il y a long-temps qu’on l’a dit, l’appĂ©tit est le meilleur de tous les assaisonne mens ; mais il faut se le procurer par la tempĂ©rance. Pour faire un souper dĂ©licieux , disoit un Philosophe, faites un dĂźner frugal. Socrate Ă  la sobriĂ©tĂ© joi- gnoit l’exercice. Quelqu’un lui demandant pourquoi tous les jours il se pro- menoit Ă  grands pas jusqu’à la nuit Je des MƓurs. 2gf prĂ©pare ainsi, pour mieux souper, report- dit-i!, le meilleur de tous les ragoĂ»ts , un bon appĂ©tit. L’exercice est aprĂšs la sobriĂ©tĂ© un des plus ordinaires & des plus excellens conservateurs de la santĂ©. Une vie trop sĂ©dentaire accumule les humeurs , rend l’estomac paresseux, le corps dĂ©licat & souvent peu propre aux fonctions communes de la vie. L’action, au contraire, & le mouvement entretiennent la vigueur du corps, raniment celle de l'es, prit, & garantissent de beaucoup d’infirmitĂ©s. Mais ce qui vaut peut ĂȘtre encore mieux, c’est la gaietĂ©, cette aimable effusion de l’ame , qui tient souvent lieu d’esprit dans la sociĂ©tĂ©, de compagnie dans la solitude, & de remede dans les maladies. Ce qui est certain , c’est que la MĂ©decine n’a point de plus excellens remedes pour prĂ©venir les maux, que l’exercice, la tempĂ©rance & la joie. On demanda un jour Ă  LĂ©oniccni, cĂ©lĂ©brĂ© MĂ©decin Italien, par quel secret il avoit conservĂ© pendant plus de quatre-vingt- dix ans, sa mĂ©moire , tous ses sens, un corps droit & une santĂ© pleine de force. Il rĂ©pondit qu’il devoit la vigueur de son esprit Ă  la puretĂ© de mƓurs dans laquelle il avoit toujours vĂ©cu, & la santĂ© de son corps Ă  {Ă  sobriĂ©tĂ© & Ă  sa gaietĂ©. Celle- »86 L’ E c o l 2 ci-, pour ĂȘtre pure & constante, doit avoir sa source dans le contentement de l’esprit & dans la tranquillitĂ© de la cous- cience. La bonne conduite est la mere de la gaietĂ©, & la gaietĂ© la mere de la santĂ©. y des MƓurs. L87 XXXII. Joucç pour le plalfĂźr, perdez noblement^ L E jeu est pour bien des personnes uhe des plus amusantes distractions. Il corrige par fa douceur l’amertume des peines, & par son agrĂ©ment il dĂ©lasse de la fatigue des affaires. Il est donc quelquefois permis , il est utile mĂȘme de jouer. Mais on ne doit, selon la belle pensĂ©e d’un saint Pere 1 & l’esprit du Christianisme, prendre le jeu que comme une mĂ©decine, pour le besoin seulement, ou lorsque les circonstances en font comme une espece de devoir Ă  l’égard d’un malade , d’un ami ou d’un Ă©tranger qu’il est de la politesse d’amuser quelques mont eus. Un sage PaĂŻen, dont toutes les maximes de morale semblent avoir Ă©tĂ© dictĂ©es par la plus faine raison, ne permet de jouer qu’aprĂšs une grande application & des occupations importantesz. Qu’eĂ»t-il dit de ces personnes du monde, qui emploient ou plutĂŽt qui perdent tous les jours tant d’heures au jeu, fans qu’au- . Sans prodigalitĂ©, dĂ©pensa prudemment. Que de regrets on se prĂ©pare , quand on ne veut pas apprendre le secret de mesurer sa dĂ©pense sur sa fortune ! La cause la plus ordinaire de la ruine de bien des personnes, c’est qu’elles rĂšglent des MƓurs. 29/ leur dĂ©pense sur leur Ă©tat & non sur leurs moyens , fur leur ambition & non fur leurs richesses. Le luxe , enfant de la mollesse & de la vanitĂ©, conduit Ă  la pauvretĂ© par des chemins brillans & agrĂ©ables; mais il n’y a que les fous qui le suivent. Une elpece de luxe modĂ©rĂ© entre dans les vues de la nature , qui a rĂ©pandu fur la terre comme dans les deux une magnificence Ă©gale Ă  fa grandeur elle n’a pas prodiguĂ© tant de bienfaits aux hommes , pour leur en interdire l’usage. Mais ce que la raison nous dĂ©fend , c’est un luxe excessif ou ruineux, c’est toute jouissance superflue, qui n’est prescrite ni par le rang , ni par l’usage lĂ©gitime de la nation oĂč l’on vit, & dont le retranchement ne peut que mĂ©riter l’approbation des gens sensĂ©s. A quoi bon cette multitude de laquais infolens & pardieux, qui jouent & dorment dans une antichambre ? Que sert aux femmes cet excĂšs ridicule de parures , cette folle passion des modes & des nouveautĂ©s qui coĂ»tent si cher & qui passent si vite ? Je fais que la Sagesse permet' de suivre les modes qui ne font qu’indissĂ©rentes, & qui ne .blessent point les mƓurs ni ne-dĂ©- rangent la fortune. Quoiqu'elles ne naist sent le plus souvent que de l’inconstance & du caprice, les personnes les plus sages \ se trouvent quelquefois obligĂ©es de s’y N 4 296 L 5 É C O L E conformer & de s’y soumettre , pour ne point paroĂźtre ridicules. Xa mode est un tyran dont rien ne nous dĂ©livre A son bizarre goĂ»t il faut s’accommoder Mais fous ses folles lois Ă©tant forcĂ© de vivre» Le sage n'est jamais le premier Ă  les suivre» Ni le dernier Ă  les quitter. Pavillon, S’il est permis Ă  certaines conditions de porter des habits riches & magnifiques , il est plus glorieux & plus estimable de rester un peu au-dessous de son Ă©tat. La modestie & la pudeur seront toujours, pour les femmes mĂȘme , le plus bel ornement & la plus noble parure. C’ctoit celle de la vertueuse Epouse de fleuri III, Louise de Vaudemont. Au milieu du luxe & du faste le plus indĂ©cent, elle ne se distinguoit que par la simplicitĂ© de ses habits. Ce qui donna lieu Ă  une aventure assez singuliĂšre qui lui arriva. Passant un jour par la rue Saint-Denis, elle entra dans la boutique d’un Marchand de soie. Elle y trouva la femme d’un PrĂ©sident, magnifiquement parĂ©e & fort attachĂ©e au choix de quantitĂ© de superbes Ă©toffes. La Reine l’observa quelque temps dans cette occupation ; & voyant qu’elle ne pas seulement garde qu’elle Ă©toit dans la boutique , elle s’approcha de cette Dame , & lui demanda qui elle Ă©toit. La PrĂ©sidente qui se voyoit sans des MƓurs. 297 comparaison beaucoup mieux vĂȘtue que la Reine, & qui avoir tous ses sens occupĂ©s Ă  considĂ©rer la beautĂ© des Ă©toffes qu’elle avoir fous ses yeux, lui rĂ©pondit brusquement, qu’on l’appeloit la PrĂ©sidente une telle. La Reine lui dit alors en riant Madame la PrĂ©sidente , vous ĂȘtes bien brave pour une femme de votre qualitĂ©. La PrĂ©sidente rĂ©pliqua fans dĂ©tourner la vue de dessus les Ă©toffes Ce n'est pas Ă  vos dĂ©pens, Madame. Quelqu’un de la fuite de la Reine avertit la PrĂ©sidente de prendre garde Ă  qui elle parloir. Elle leva les yeux fur le visage de la Reine, & l’ayant reconnue, elle se jeta Ă  ses pieds , en lui demandant pardon. La Princesse l’ayant relevĂ©e, lui fit avec douceur une remontrance fur le luxe de ses habits, & lui donna des tĂ©moignages de sa bienveillance. Les jeunes gens puissamment riches, & ceux qui le font devenus en peu de temps , font ordinairement prodigues, parce qu’ils ignorent le vrai usage des richesses. Ils s’imaginent aussi que la fortune , qui les a traitĂ©s si favorablement , ne les abandonnera jamais ils croient la tenir enchaĂźnĂ©e dans leur maison ; mais dĂ©liĂ©e bientĂŽt par leur main prodigue, elle s’envole & ne revient plus. Nous devons nous ouvenir que, quelque maĂźtres que nous soyons des biens 'n r 289 L’Écols que nous possĂ©dons lĂ©gitimement, nous avons nous-mĂȘmes un MaĂźtre de qui nous les tenons nous lui en rendrons un compte rigoureux, soit que par notre avarice nous les ayons rendus inutiles Ă  nous & aux autres , soit que par notre prodigalitĂ© nous en ayons fait un mauvais usage, & nous nous soyons mis dans l'impuissance de faire du bien aux malheureux. Quoique la dissipation ne soit pas aussi universellement mĂ©prisĂ©e que l’avarice, parce qu’elle a quelque chose d’éclatant, qui frappe les yeux de la multitude & les Ă©blouit ; le prodigue qui a tout dissipĂ© & qui n’a plus rien , est peut-ĂȘtre encore plus mĂ©prisĂ© que l’avare. Dans le temps mĂȘme de son abondance, ses profusions ne le garantissent pas toujours du mĂ©pris qu’il mĂ©rite. EntourĂ© de faux amis & de fourbes, qui feignent de l’estimer & de l’honorer , il reçoit l’encens trompeur —d’une foule de libertins qui se divertissent Ă  ses dĂ©pens , d’adulateurs parasites qui le louent & le dĂ©vorent , de mendians galonnĂ©s qui luisent l’honneur de manger son bien avec lui, & le mĂ©prisent. Il s’attire, par une dĂ©pense excessive & par un faste ridicule , la raillerie de toute une ville qu’il croit Ă©blouir, & il se ruine Ă  se faire moquer de lui. Deux prodigues sembloient disputer entre eux lequel / des MƓurs. 299 seroit de plus folles dĂ©penses. Il me semble , dit une personne d’esprit, que je les vois se faire des complimens Ă  la porte de l'hĂŽpital , pour s'inviter l’un & l'autre Ă  y entrer le premier. Il en est de la prodigalitĂ© comme du feu , qui se consume en dĂ©vorant la matiĂšre qui doit l’entretenir. RĂ©duit Ă  une mendicitĂ© imprĂ©vue, le prodigue est bien* tĂŽt obligĂ© d’avoir recours aux autres. Mais toute ressource lui manque ; car lĂź la libĂ©ralitĂ© fait des amis, la prodigalitĂ© ne fait que des ingrats. Ceux qu’il a nourris , engraissĂ©s , ne le connoissent plus. Des amis p!us nobles qui l’auroient secouru, s’il n’avoit Ă©tĂ© que malheureux, l’abandonnent. LivrĂ© Ă  lui seul &Ă ses rĂ©flexions , le souvenir de sa premiers situation le dĂ©chire Ă  tous momens mille fois plus malheureux que l’avare, parce qu’il sent tout son malheur ; parce qu’il est nĂ©cessairement & malgrĂ© lui, ce que l’autre du moins est librement & par choix ; parce qu’il souffre d’autant plus d’ùtre dĂ©nuĂ© de tout, qu’il a plus agrĂ©ablement joui. Diogene voyant un prodigue qui n’avoit que des olives pour son souper Si tu avois , dit-il, toujours dinĂ© de la forte , tu ne foupcrois pas ß mal. Le prodigue dĂ©pense comme s’il devoir bientĂŽt mourir, & l’avare Ă©pargne comme s’il toujours vivre. Plus N 6 }ĂŒO L’ E C O L E mĂȘme Ü avance vers ce moment fatal oĂč tout doit lui ĂȘtre ĂŽtĂ© , plus il s’y attache. Mais la mort vient enfin l’enlever au milieu de ses trĂ©sors, & le force de les abandonner Ă  des hĂ©ritiers avides , qui les attendoient avec impatience, & qui les dissiperont peut-ĂȘtre aussi facilement & aussi vite qu’il avoit mis de peine & de temps Ă  les amasser. N’auroic-il pas fait bien plus sagement, d’employer pendant sa vie ses richesses Ă  se procurer les choses nĂ©cessaires & utiles, Ă  soulager les indigens, Ă  faire plaisir Ă  ses parens & Ă  ses amis. 11 ie seroit du moins fait honneur de ce qu’il possĂ©doit il auroit mĂ©ritĂ© l’estime & la reconnoissance des hommes, & ses bienfaitsl’auroientrendu heureux , comme le dit unPoĂ«te, qui ajoute aussi trĂšs- bien A quoi bon cet amas frivole? Pourquoi tant de biens superflus ? Tout l’or qu’entraĂźne le Pactole, Ne vous rasiafieroit plus. L’avarice Ă  l’homme fatale, Est ie vrai tableau de Tantale Oui brĂ»le de soif dans les eaux* Toujours esclave insĂ©parable L’un bien qui la rend misĂ©rable, Elle n'aime que ses bourreaux 3 f 3 Î1 semble qu’il eĂ»t fallu mettre son bourreau, a le fdilant rapporter au bien , qui est Je tourment des MƓurs. 301 Äh ! faisons un phis doux usage Des biens qui nous viennent des Lieux. Les richesses aux yeux du sage Sont comme un vin dĂ©licieux Cette liqueurenchanteresse, Prise avec prudence & sagesse , Ranime nos goĂ»ts & nos cƓurs; L’excĂšs dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en ivresse , La privation en tristesse. L’abus de tout fait nos malheurs. Ode Ă  l'Avarice , Par AL de Forces , AbbĂ©deVaĂŻmont , L’homme est si facile & si ingĂ©nieux Ă  se tromper soi-mĂȘme, que le prodigue ne se croit que gĂ©nĂ©reux , & l’avare ne se croit que mĂ©nager. Soyez vraiment, toujours & tout ensemble , ce que tous deux se flattent d’ĂȘtre & ce qu’ils ne font pas ; ne soyez jamais ce qu’ils font. Tenez le milieu entre les deux excĂšs. Soyez mĂ©nager pour l’ordinaire, & gĂ©nĂ©reux dans l’occasion ; vous vous ferez honneur, & vous ferez toujours en Ă©tat de vous le faste. Un Prodigue se plaignoit Ă  Socrate qu’il n’avoit point d’argent. Empruntez-en de vous-mĂȘme, lui rĂ©pondit ce Philosophe , en retranchant de votre dĂ©pense. le l’avarice. Mais on sent aufli l’entendre les trĂ©sats eu monceaux d’or 8c U argent. ZVL V É C O L E Uiie sage Ă©conomie qui sait retrancher , quand il le faut, les dĂ©penses peu nĂ©cessaires ou superflues , soutient les familles & les fait prospĂ©rer. La gloire & les richesses y entrent avec elle. Un fils disoit un jour Ă  son pere qui avoit acquis beaucoup de bien Comment, mon pere, avez-vous fait pour avoir une si grande fortune ? pour moi, j’ai peine Ă  gagner le bout de l’annĂ©e avec tous les revenus du bien que vous m’avez donnĂ© en mariage. Rien nest plus facile , lui rĂ©pondit le pere en Ă©teignant une des deux bougies qui les Ă©clairoicnt cest de se contenter du necessaire , & de ne brĂ»ler qu'une bougie quand elle suffit. Conserver son argent pour n’en faire jamais un bon usage , c’est une avarice criminelle ne le conserver dans un temps que pour s’en servir Ă  propos dans un autre, c’est une Ă©conomie louable. Nous avons dit qu’il falloit ĂȘtre gĂ©nĂ©reux dans l’occasion car ce n’est pas ĂȘtre prodigue que de l’ĂȘtre Ă  propos. Cette noble maxime Ă©toit celle Ă ejean Daens , cĂ©lĂ©brĂ© Marchand d’Anvers. Il Ă©toit extrĂȘmement riche. Ayant prĂȘtĂ© Ă  Charles-Quint deux millions, il invita ce Monarque Ă  un grand repas qu’il lui donna chez lui. Il le rĂ©gala somptueusement mais nul me*s ne lui fut plus agrĂ©able, que celui qu’il lui servit Ă  la des MƓurs. 30? fin. Il se fit apporter sur un grand plat un petit fagot de bois odorifĂ©rant. Il y mit le feu, & y brĂ»la le billet que Charles-Quint lui avoitfĂ it. Grand Prince , lui dit- il , vous m’avez payĂ© en me faisant Vhonneur de venir manger chez mo}i. Une dĂ©pense bien placĂ©e a Ă©tĂ© pour plusieurs la source de leur fortune. C’est toujours la marque d’une personne qui pense bien ; & la gloire qu’on en retire , vaut infiniment mieux que la dĂ©pense qu’on a faite. Mais si l’on excepte quelques occasions rares, la prodigalitĂ© est le dĂ©faut d’un fou, qui dissipe son bien & n’en fait aucun. Le prodigue pour l’ordinaire n’elt pas un homme bienfaisant. On en voit qui font des dĂ©penses en sottises de toute espece, & qui laisser oient pĂ©rir un malheureux pour un Ă©cu. Celui qui aime les bonnes actions, conserve son bien, pour ĂȘtre toujours en Ă©tat d’en faire , pour ne se point manquer Ă  lui-mĂȘme, pour n’ù- tre pas Ă  charge aux autres. Il prĂ©fĂ©rĂ© les actions de justice aux actions d’éclat il aime mieux payer une dette qu’une pension , & s’acquitter que de donner. Mais un prodigue, qui veut passer pour gĂ©nĂ©reux , comble de biens des indignes , donne avec ostentation Ă  qui il ne doit rien, & meurt chargĂ© de dettes car combien de prodigues, qui en mourant ne payent qu’à la nature 1 ?c>4 L’École Si vous voulez ne pas leur ressembler, Ă©vitez la dissipation puĂ©rile qui ne fait rien retenir , la vanitĂ© ridicule qui veut Ă©galer les Grands ou surpasser ses Ă©gaux par le tasse & par la dĂ©pense , les gĂ©nĂ©rositĂ©s excessives & dĂ©placĂ©es , les fantaisies trop tĂŽt satisfaites, dont on se repent ensuite & dont la fortune souffre presque tou jours. Une jolie chose qu’on achetĂ©, en demande quelquefois dix autres , afin' que l’assortiment soit complet. Quand mĂȘme la dĂ©pense de chacune seroit peu de chose, celle de toutes ensemble est considĂ©rable ; & d’ailleurs ce qui coĂ»te peu est toujours payĂ© trop cher, lorsqu’on n’en a pas besoin. Une Dame achetoit tout ce qui lui paroilsoitĂ  bas prix elle fit tant de bons marchĂ©s, qu’elle se ruina. TĂąchez de vous tenir toujours Ă©galement Ă©loignĂ© de la prodigalitĂ© & de l’avarice. A la fuite de celle-ci marchent les inquiĂ©tudes outrĂ©es, les dĂ©fiances injurieuses Ă  la Providence divine, les frayeurs anticipĂ©es, les plaintes ennuyeuses & trop souvent rĂ©pĂ©tĂ©es fur le malheur des temps , fur la facilitĂ© avec laquelle l’argent s’en va & la lenteur avec laquelle il vient, les petites attentions & les idĂ©es mesquines, la rĂ©gularitĂ© servile Ă  se rendre compte de presque rien, les dĂ©tails dĂ©shonorans, & les Ă©pargnes minutieuses qui ne grossissent guĂšre la des MƓurs. 30 f fortune , & causent mille fois plus de peine qu’elles ne valent. Le bien nous a-t-il donc Ă©tĂ© donnĂ©, pour nous rendre malheureux ? Une Dame de notre con- noissance , qui jouit d’une fortune assez honnĂȘte, & qui a encore plus de bon sens , nous disoit Ă  ce sujet J’achetĂ© tous les ans mon repos & ma santĂ© par lesacrifice de quelques centaines de francs , dont j’aime mieux diminuer mon revenu , que de me tourmenter moi ÂŁ j? les autres, par une vigilance inquiĂ©tĂ© Ă  ne rien perdre, Nous avons vu au contraire un Seigneur trĂšs-riche, qui n’étoit pas avare , mais minutieux. Les plus grandes pertes ns l’affectoient presque point ; & les plus petites dans le dĂ©tail du mĂ©nage dont il se mĂȘloit trop, ou dans des journĂ©es d’Ou- vriers , le jetoient dans des vivacitĂ©s & des emportemens qui le rendoient odieux & insupportable , & qui, en lui boule- versantfrĂ©quemment les humeurs , n’ont pas peu contribuĂ© Ă  abrĂ©ger ses jours. On se rend souvent misĂ©rable dans la crainte de le devenir. On s’attire quelquefois de grands maux , en se refusant quelques petites dĂ©penses soit dans des voyages, ou dans des commencemens de maladies , qui ensuite occasionnent des frais bien plus considĂ©rables , & peut- ĂȘtre la mort mĂȘme. Ce fut une de ces Ă©pargnes sordides , qui causa celle de tz oS L’ É C O L E Chapelain ; car Ă  beaucoup de mĂ©rite, il joignoit une extrĂȘme avarice , qui ne le rendit pas moins ridicule que son PoĂ«me de la Puce lie. Quelques AcadĂ©miciens l’appelloient , en riant, le Chtva'ier de P Ordre de l’AraignĂ©e , Ă  cause de l’habit rapiĂ©cĂ© & recousu qu’il portoit. S’étant mis en chemin, un jour d’AcadĂ©mie , pour se rendre Ă  l’assemblĂ©e & gagner deux ou trois jetons, il fut surpris par un orage. Ne voulant pas donner quelques liards , pour palier le torrent formĂ© par la pluie fur une planche qu’on y avoit jetĂ©e, il attendoit que l’eau fĂ»t Ă©coulĂ©e. Mais voyant qu’il Ă©toit prĂšs de trois heures, il passa au travers de l’eau, & en eut jusqu’à mi-jambe. La crainte qu’il eut qu’on ne soupçonnĂąt ce qui Ă©toit arrivĂ©, l’empĂȘcha de s’approcher du feu Ă  l’AcadĂ©mie. 11 s’alsit Ă  un bureau , & cacha ses jambes dessous. Le froid le saisit, & il eut une oppression de poitrine dont il mourut. On trouva chez lui aprĂšs fa mort cinquante mille Ă©cus comptant. L’argent est un bon serviteur & un mĂ©chant maĂźtre. L’or qu’on tient renfermĂ© dans ses coffres , est de nul prix il ne vaut qu’autant qu’on le fait valoir & qu’on s’en sert on l’a comparĂ© au fumier, qui n’est utile que lorsqu’on le rĂ©pand. Denis , Roi de Syracuse, ayant appris qu’un de ses sujets avoit cachĂ© des MƓurs. 107 dans la terre un trĂ©sor, lui commanda de le lui apporter. Le Syraeusain ne lui en donna qu’une partie ,8c s’en alla avec le reste dans un autre pays, oĂč il vĂ©cut plus libĂ©ralement qu’il n’avoit fait. Denis qui en fut instruit , le fit revenir il lui rendit ce qu’il lui avoit pris, & lui dit A prĂ©sent que vous savez bien user de vos richesses , vous mĂ©ritez de les avoir. Ne pas se servir, dans l’occasion, de l’argent ou des commoditĂ©s qu’il a plu Ă  Dieu de nous accorder, & se prodiguer soi-mĂȘme pour mĂ©nager ce qui n’est fait que pour nous, c’est ĂȘtre en mĂȘme temps avare & prodigue , c’est une double folie. Celui qui a un beau cheval , le monts rarement, n’ose le mettre en haleine, craint de le travailler, s’en refuse l’usage, tandis que lui - mĂȘme s’échauffe jusqu’à gagner une pleurĂ©sie. Il nous reste encore Ă  dire un mot fur les dĂ©penses de la table. Il y a des gens qui croient faire bonne chere, quand ils la font grande. Mais exceptĂ© certains repas de cĂ©rĂ©monie, oĂč la qualitĂ© des personnes, la multitude des convives demandent plus d’apparat & d’ostentation, prĂ©fĂ©rez plutĂŽt de suivre ce que dit un PoĂ«te Bonnes façons & peu de plats; Sans somptuositĂ©, de la dĂ©licatesse,. PropretĂ©, ton vin, politesse C'est ce $u’il saut dans ua repas- zc-8 U É c o L E Ayez donc dans les repas que vous donnez Ă  vos amis & il faut rarement en donner Ă  d'autres , beaucoup de propretĂ© fans affectation, beaucoup de libertĂ© sans manquer Ă  la politesse, une table servie selon votre Ă©tat & vos moyens , mais jamais de somptuositĂ©. Socrate ayant un jour quelques personnes Ă  recevoir , rĂ©pondit Ă  un de ses amis , qui paroissoit Ă©tonnĂ© de ce qu’il n’avoit pas fait de plus grands prĂ©paratifs Si ce sont d’honnĂȘtes gens , j'ai afjez pour eux } s’ils ne le font pas, j'en ai trop. Il y a autant de fatuitĂ© Ă  faire le magnifique , quand on ne doit pas l'ĂȘtre, que de petitesse Ă  faire mal les honneurs de chez foi. Un fastueux, qui fait grande chere par orgueil, croit imposer ; mais il se trompe on ne paye que de mĂ©pris une magnificence mal placĂ©e. Rien cependant n’est plus commun aujourd’hui. On charge les tables de mets. Chacun se pique d’émulation & d’honneur. On donne des repas magnifiques, oĂč rien ne manque que la gaietĂ© on mange somptueusement & ennuyeusement. Nos peres Ă©toient bien plus sages que nous. Usmangeoient moins magnifiquement & plus agrĂ©ablement. Ils n’admet- toient de profusion que dans la joie. Ils »voient peu de plats, mais beaucoup de des MƓurs. 30* gaietĂ©, que nous avons remplacĂ©e par une abondance de mets. Il semble qu’on ne s’inyite que pour manger. L’usage a tellement prĂ©valu , que les plus avares mĂȘme se piquent de magnificence, & prĂ©fĂšrent, Ă  la honte de pa- roĂźtre avares , le supplice d’ĂȘtre prodigues. Donnez Ă  manger fans prodigalitĂ©, mais toujours de bon cƓur, & noblement quand il le faut. C’est manquer Ă  ses convives que de les mal rĂ©galer ; on n’invite pas les gens pour leur faire faire mauvaise chere. Un avare donnant un repas fort mesquin , disoit Ă  ses convives Mon repas ne vous causera point d’indigestion. On lui rĂ©pondit Vous vous trompez , car un pareil repas ejljvrt difficile Ă  digĂ©rer. Si vous ĂȘtes surpris par des convives que vous n’attendiez pas, donnez de bon cƓur ce que vous avez. Il vaut mieux leur donner un peu moins , que de leur faire acheter par la faim & l’impatience quelques plats de plus. Dites-leur ce que disoit en pareil cas un homme d’esprit Fuispic vous n avez pas jugĂ© Ă  propos de me faire avertir , ou de venir plutĂŽt , vous Ă»inerez avec moi; mais ff une autre fois j en fuis prĂ©venu , je dinerai avec vous. ÂŁIQ L’É C O LE XXXIII. Ne perdes point le temps Ă  des choses frivoles. D Ăš s qu’on a passĂ© le premier Ăąge de la vie, destinĂ© par la nature presque tout entier pour le corps , & que la raison commence Ă  se dĂ©gager des tĂ©nĂšbres de l’enfance, le temps devient prĂ©cieux. Celui de la jeunesse l’est infiniment. Les peres en seront comptables devant Dieu & devant les hommes, encore plus que leurs enfans, parce que c’est Ă  eux de leur en faire faire un digue usage. Pour vous, jeune homme, qui voulez paroĂźtre un jour avec honneur dans le monde, raccourcissez le temps de la bagatelle ; ce doit ĂȘtre le premier fruit de la rĂ©flexion. PrĂ©parez-vous Ă  remplir dignement les emplois que la Providence vous destine, faites des provisions pour l’ñge mĂ»r & pour la vieillesse. Le temps de la jeunesse est le temps de semer, si l’on veut recueillir. Du bon emploi de ce temps dĂ©pend pour l’ordinaire le bonheur du reste de la vie. Profitez des leçons de vos maĂźtres les momens font chers -, si vous attendiez plus tard, vous n’y reviendriez des MƓurs. Zu point. Qui sait si la fortune ou les honneurs ne vous attendent pas au bout de la carriĂšre , pour couronner votre diligence & rĂ©compenser votre ardeur ? Le cĂ©lĂ©brĂ© M. Rollin a voit un talent singulier pour former des jeunes gens & les animer Ă  l’étude. M. le Premier PrĂ©sident Portail se plaisait quelquefois Ă  lui reprocher qu’il l’avoir excĂ©dĂ© de travail. Il vous si cd bien de vous en plaindre , lui rĂ©pondit M. Rollin , cefl cette habitude au travail qui vous a distinguĂ© dans la place dĂ© Avocat-gĂ©nĂ©ral , N qui vous a Ă©levĂ© Ă  celle de Premier PrĂ©sident vous me devez votre fortune. Appliquez-vous donc Ă  l’étude dans votre jeunesse c’est le seul chemin qui conduise au mĂ©rite & Ă  la gloire. Aimez le travail, & ne soyez pas de ces jeunes dĂ©sƓuvrĂ©s , qui se lĂšvent le matin pour se coucher le soir , & qui, promenant tout le jour leur pĂ©nible existence , ne savent que faire de leur temps ni d’eux- mĂšmes. AprĂšs avoir ainsi commencĂ© leur honteuse & ennuyante carriĂšre , ils la continuent de mĂȘme, & meurent sans avoir vĂ©cu. Imitez encore moins ces jeunes effĂ©minĂ©s qui perdent une grande partie de leur temps Ă  leur toilette & Ă  celle des femmes. L’homme est-il donc fait pour placer une mouche ou nouer des ;i2 L’ É C O L I rubans? L’important & honorable emploi , que celui de se rendre assidĂ»ment chez ces Dames qui n’ont guere d’autre occupation que celle de leur parure, pour s’en occuper des heures entiĂšres avec elles, ou pour fuir l’ennui, qui semble courir aprĂšs les dĂ©sƓuvrĂ©s & les suivre par-tout. Chaque femme de Paris, dit le Philosophe de Geneve, rassemble dans son appartement un sĂ©rail d’hommes plus femmes qu’elle, & lĂąchement dĂ©vouĂ©s aux volontĂ©s du sexe que le nĂŽtre doit protĂ©ger & non servir. Voyez-les dans ces prisons volontaires se lever , se rasseoir, aller & venir sans cesse Ă  la cheminĂ©e, Ă  la fenĂȘtre, prendre & poser cent fois un Ă©cran, feuilleter des livres, parcourir des tableaux, tourner , pirouetter par la chambre, tandis que l’idole, Ă©tendue fans mouvement dans sa chaise longue, n’a d’actif que les yeux & la langue. Imaginez quelle peut ĂȘtre la trempe de l’ame d’un homme uniquement occupĂ© de l’importante affaire d’amuser les femmes , & qui passe sa vie entiĂšre Ă  faire pour elles ce qu’elles devroientfaire pour nous, quand Ă©puisĂ©s de travaux , dont elles font incapables, nos esprits ont besoin de dĂ©lassement. LivrĂ©e Ă  ces puĂ©riles habitudes, Ă  quoi notre effĂ©mince&frivole jeunesse pouroit- elle des MƓurs. 313 die jamais s’élever de grand l Celui qui ne fort qu’aprĂšs avoir passĂ© deux ou trois heures devant un miroir Ă  s’ajuster, Ă fe parfumer, Ă  fe farder, Ă  le donner les airs qu’il croit ĂȘtre Ă  la mode, fait honte aux femmes en les imitant, & fe dĂ©shonore en voulant fe faire admirer. Heureux les jeunes gens qui connoif. sent mieux tout le prix de l’application & du travail, & qui savent mettre Ă  profit tous les momens du plus bel Ăąge de leur vie ! Mais il 7 a pour la jeunesse un temps fur-tout bien critique ; c’est celui oĂč les jeunes gens livrĂ©s Ă  eux-mĂȘmes, fe fĂ©licitent d’avoir secouĂ© le joug de l’éducation , & font consister la libertĂ© Ă  Ă©viter toutes les occupations sĂ©rieuses. Leurs Ă©tudes & leurs exercices finis, quelquefois avant que l’ñge soit arrivĂ© de prendre un Ă©tablissement, ils ne savent quelle occupation fe prescrire, pour remplir le vide que leur laisse le dĂ©, faut d’emplois & d’astaires. Je le leur ai dĂ©jĂ  dit qu’ils faflĂšnt des provisions pour l’avenir. Qu’ils prĂ©parent tout ce qui leur fera nĂ©cessaire pour l’état auquel ils fe destinent ; & s’ils- ont du temps de reste, qu’ils le consacrent Ă  la lecture elle est le plus utile des amufemens. Lorsqu’on proposoit Ă  une Princesse de beaucoup d’esprit le jeu ou quelque autre partie de plaisir S Terne III. O 3 r'4 L’ É e o l b elle refusoit, disant que cela n’apprenoifc rien. Mais que ferez-vous, lui dit - on ? Je lirai, rĂ©pondit-elle , ou je me ferai lire chez moi. Quels heureux effets ne produit pas la lecture ? Elle enrichit la mĂ©moire, embellit l’imagination , rectifie le jugement , forme le goĂ»t, apprend Ă  penser, Ă©leve l’ante & inspire de nobles senti- mens. Les bons livres font des conseillers aimables , qui nous instruisent sans nous ennuyer , nous avertissent de nos dĂ©fauts sans nous offenser, & nous corrigent fans nous dĂ©plaire. Alphonse, Roi d’Aragon , disoit que les livres Ă©toient les conseillers qu’il aimoit le mieux, parce qu’ils ne flattoient point, & qu’ils lui apprenoient ce qu’il devoit faire. Ce font des amis complaisans , qui s’entretiennent avec nous quand il nous plaĂźt, & que nous quittons quand nous voulons. Au milieu d’un peuple rustique & grosser , ils nous font trouver les douceurs de la sociĂ©tĂ© la plus charmante, ils nous offrent les richesses les plus prĂ©cieuses de l’esprit humain, & les dĂ©couvertes de tous les siĂšcles. Ils font une source d’agrĂ©mens dans tous les Ă©tats, dans toutes les situations de la vie ; ils procurent mille plaisirs dans tous les Ăąges, dans celui mĂȘme qui n’en goĂ»te des MƓurs. ?if presque plus plaisirs qui se renouvellent fans cesse , que nous trouvons par-tout, que nous pouvons Ă  tous les instans nous procurer. La lecture suspend le sentiment des peines dont la vie humaine n’est jamais exempte , & fait oublier, au moins pour un temps , les chagrins qui se font sentir dans tous les Ă©tats. Elle est dans bien des occasions une grande ressource contre l’ennui. On n’est pas toujours avec des personnes qui plaisent, & il vaut mieux ĂȘtre seul qu’avec des gens qui ne plaisent pas. Mais la solitude est bientĂŽt Ă  charge, quand on ne sait pas s’y occuper. Qu’elle est douce, au contraire, qu’elle est agrĂ©able , quand on fait tour-Ă -tour l’amuser par le travail & par la lecture ! Livres enchanteurs , que d’heures & de jours vous m’avez dĂ©robĂ©s Ă  l’ennui! que d’heureux momens vous m’avez fait couler dans le sein pur & innocent des plus doux plaisirs ! O vous pour qui j’écris, si j’ai pu faire naĂźtre en vous l’amour delalecture, que d’avantages inestima- blĂ©s ne vous aurai-je pas procurĂ©s! La lecture est pour l’esprit ce que l'aliment est pour le corps. C’est ce que fit entendre ingĂ©nieusement le Duc de Vivonne Ă  Louis XIV, qui lui deman- doit un jour Ă  quoi pouvoir lui servir toutes ses lectures Sire , rĂ©pondit ce 1X6 L’ E C o i E Seigneur qui avoit de belles couleurs & de l’embonpoint, les livres font Ă  mon ejprit ce que vos perdrix font Ă  mes joues. Les bons livres nous font part des lumiĂšres de ceux que la distance des lieux nous empĂȘche de voir & de consulter. Ils nous rendent prĂ©sens les plus grands hommes de l’antiquitĂ©, qui, dans leurs ouvrages immortels, semblent converser avec nous & nous instruire. Ils procurent mille connoissances utiles ou agrĂ©ables , & nous servent comme de flambeau pour nous conduire dans le cours de la vie. Mais pour recueillir plus sĂ»rement ces fruits prĂ©cieux, lisez avec choix. La vie est trop courte pour lire toutes sortes de livres. Il y en a d’ailleurs de si dangereux, de si obscĂšnes , de si impies, fur-tout dans ce siede , qu’il y a beaucoup Ă  craindre pour celui qui lit au hasard. Mais que dis - je ? ne sont-ce pas ces livres-lĂ  mĂȘme qu’on recherche avec le plus d’empressement, qu’on dĂ©vore avec le plus d’aviditĂ©? Que voit-on pour l’ordinaire entre les mains des jeunes gens ? De misĂ©rables romans , dont la lecture, si souvent dangereuse pour les mƓurs par le penchant Ă  l’amour qu’elle inspire , seroit toujoĂčrs un grand mal, quand elle n’auroit d’autres effets que de corrompre le goĂ»t, de nourrir la \ B E S M E U RS. paresse naturelle de Pesprit, & de dĂ©goĂ»ter des lectures plus sĂ©rieuses & plus utiles des brochures frivoles , qui n’ont d’autre mĂ©rite que celui de la nouveautĂ© des livres effrontĂ©ment cyniques, qu’on ne lit que pour apprendre Ă  ne plus rougir de rien , & qui n’apprennent que ce qu’on devroit toujours ignorer des ouvrages impies , qu’on se hĂąte de lire, parce qu’on espere y trouver de quoi calmes ses remords , parce qu’ils font bien Ă©crits , souvent parce qu’ils font rares & dĂ©fendus. N’y a-t - il donc pas d’autres bons livres, oĂč Ton puisse se former l’esprit, se perfectionner le ityle., s’amuser agrĂ©ablement ? ou les a-t-on lu tous "i Un jeune homme , qui avait reçu une excellente Ă©ducation, ayant un jour trouvĂ© un livre obscene, n’en eut pas plutĂŽt lu quelques lignes, qu’il le jeta au feu. Ayez le courage d’imiter cet exemple , & perdez plutĂŽt un mauvais livre que de vous perdre vous-mĂȘme. Mieux il est Ă©crit, plus il est dangereux. Le serpent cachĂ©ssous des fleurs, n’en est que plus Ă  craindre. Ce n’est pas assez de lire avec choix , il faut lire avec rĂ©flexion. Lisez moins de livres, & lisez-les bien. 11 ne reste rien des lectures trop rapides. Il en est des livres comme de la nourriture , qui O ? Zl8 L’ Ê C O L E ne profite que quand elle est prise lentement & bien digĂ©rĂ©e. U-n homme se vantoit Ă  Arittipe d’avoir beaucoup lu Ce ne sont pas , rĂ©pondk ce Philosophe, ceux qui mangent davantage qui font les plus gras & les plus sains , mais ceux qui digĂšrent le mieux. Il ne faut pas, si l'on veut se former l’esprit, lire beaucoup de livres , mais lire beaucoup le mĂȘme livre, quand il est excellent. PrĂ©tendre Ă  une universalitĂ© de connoissan- ces, est une illusion de l’amour-propre, & la folie de notre siede. La manie de tout savoir ou de savoir un peu de tout, ne fait que des esprits superficiels & de prĂ©somptueux ignorans. Lorsqu’on veut trop savoir, on ne peut rien approfondir. JSe lisez pas pour les autres, mais pour vous voyez ce qui vous convient, & ce qui peut vous servir de regle de conduite. Lisez , non pour devenir plus savant, mais pour en ĂȘtre meilleur. C’est ainsi que vous devez lire l’histoire mĂȘme, & non par un simple amusement ou par curiositĂ©. Que vous servira d’ĂȘtre nĂ©aprĂšs tant de grands hommes , si vous ne les prenez pas pour modĂšles ? Que vous servira d’ĂȘtre nĂ© aprĂšs tant de fous & de scĂ©lĂ©rats, si vous n’en devenez pas plus sage & plus vertueux ? Enfin, lisez quelquefois avec un ami judicieux, & communiquez-vous mutuel- des MƓurs. 519 lement vos rĂ©flexions vous en lirez avec plus de plaisir & avec plus de fruit. Èn lisant Ă  haute voix, vous aurez encore l’avantage de vous exercer Ă  bien lire talent rare , que la nature refuse souvent aux hommes mĂȘme qu’elle a comblĂ©s des dons du gĂ©nie. Saint - Evremond disoit qu’il n'a voit pas vu en fa vie trois personnes qui luisent bien lire. Le grand Corneille lifoit tout-Ă -fait mal. Racine, au contraire , lifoit trĂšs - bien auflĂŻ Louis XIV aimoit-il Ă  l’entendre lire, parce qu’il avoir un talent singulier pour faire sentir la beautĂ© des ouvrages qu’il lifoit. On devroit peut-ĂȘtre moins nĂ©gliger cette partie de l’éducation. On peut se trouver souvent dans le cas de lire Ă  haute voix, & il est auili honteux pour foi que dĂ©sagrĂ©able pour les autres de le faire mal. Le sage efl mĂ©nager du temps S? des paroles. On a dit qu’on devoir ĂȘtre mĂ©nager de son bien & de sa confiance on ne doit pas l’ĂȘtre moins de son temps & de ses paroles. La feule avarice qui soit permise est celle du temps. Il ny a rien de si cher que le temps , disoit ThĂ©ophraste, U ceux qui le perdent font les plus condamnables de tous les prodigues . AuiĂŻi *io L’École le Sage est-il toujours occupĂ©. Il aime l’application & le travail, qu’il regarde somme un de nos plus grands besoins, comme l’ami des hommes & leur consolateur aussi il l’aime & s’en occupe. Il se dĂ©laiĂźe d’un travail par un autre, ou par des lectures instructives & agrĂ©ables, qui, en ornant son esprit d’utiles connoissances, Je garantissent de l’ennui insĂ©parable de l’oisivetĂ© ou de ces conversations osseuses plus pernicieuses encore. Il a de bonne heure accoutumĂ© son esprit Ă  penser & Ă  pouvoir se suffire. Il aime mieux pour l’ordinaire s’entretenir avec lui-mĂȘme qu’avec les autres , parce qu’il n’est jamais moins seul, comme le disoit un Ancien , que lors, qu’il est seul ; & que d’ailleurs il a remarquĂ© plus d’une fois avec une personne de beaucoup de piĂ©tĂ©, qu’il n’avoit presque jamais Ă©tĂ© avec les hommes, qu’il n’en fĂ»t revenu moins homme. Comme lui , fuyez les longues conversations, parce qu’elles font presque toujours ou inutiles, ou ennuyeuses, ou criminelles. Les choses indiffĂ©rentes ne plaisent guerre, & celles qui donnent du plaisir ne font pas toujours innocentes. Il faut avoir dans l’esprit bien de la ressource, pour entretenir plusieurs heures de fuite une conversation, sans rĂ©pĂ©titions, fans bĂąil- lemcns, fans mĂ©disances i & l’on rĂ©duĂźroit des MƓurs. ; Li au silence bien de grands parleurs? si on les obligeoit Ă  ne dire que de bonnes choses. Le peuple le plus heureux & le plus sage , fut celui oĂč l'on parloir le moins , & oĂč l’on savoir le mieux employer le temps. Quelle RĂ©publique fut jamais plus florilsantc & plus admirable que celle des LacĂ©dĂ©moniens ? Mais dans quel Eta-t fut-on plus avare du temps & des paroles? Ils Ă©toient si concis dans leurs rĂ©ponses, que leur style est devenu l’expresiion de la Un peuple voisin les ayant fait menacer que s’il entroit dans leur' pays , il mettroit tout Ă  feu & Ă  sang, ils rĂ©pondirent, Si. On voit souvent, dans leur histoire, que pour toute rĂ©ponse aux dĂ©pĂȘches les plus importantes ils n'emp'oyoient qu’un monolyllabe , parce que rien n’approche plus du silence, que Lycurgue leur avoir si souverainement recommandĂ©. Un peuple qui avoir tant de soin de mĂ©nager les paroles , n’a voit pas moins d'exactitude Ă  mĂ©nager je temps. O nie regardoit Ă  Sparte comme le plus prĂ©cieux de tous les biens on le rĂ©vĂ©roit comme une chose sacrĂ©e ; parce qu’il s’enfuit & nous Ă©chappe avec la plus grande rapiditĂ©, parce qu’une fois perd il Lest pour toujours. Mais quelque rapide que soit le temps, combien de perlonnes le trouvent encore O T ZL2 L’ Ê C O L E troh long, parce qu’elles ne savent Ăą quoi le passer ! On le dĂ©chire ! on le perd Ă  ne rien faire ou Ă  faire des choses qui ne valent guere mieux. Voyez tous ces dĂ©sƓuvrĂ©s , espece d’hommes ou de femmes qui font la partie la plus brillante & la moins utile de la sociĂ©tĂ©, quel usage en sont-ils ? A un long repos, que la mollesse aime Ă  prolonger, succĂšdent l’habillement & la parure , dont la vanitĂ© s’occupe des heures entiĂšres. Le reite de la journĂ©e se dissipe , tantĂŽt dans de longues parties de jeux, oĂč l’on cherche Ă  Ă©carter l’ennui qui assiĂ©gĂ© toujours ceux qui n’ont rien Ă  faire, tantĂŽt dans des entretiens stĂ©riles &. dans des visites , oĂč l’on ne cause que pour se dire des riens, que pour s’apprendre rĂ©ciproquement des choses dont on est; Ă©galement instruit , ou dont il importe fort peu qu’on le soit, rtlĂźemblĂ©es, visites , conversations, ajustemens, parties multipliĂ©es de plaisirs ou de jeu , foins profanes, occupations frivoles ; n’est-ce pas lĂ  tout ce qui compose la vie de tant de personnes du grand monde , qui regardent cette vie oisive comme un des privilĂšges de leur condition, & qui la croient fort innocente , parce qu’il leur semble qu’ils ne font pas beaucoup de mal? Il seroit facile de leur faire vois qu’ils sont dans l’erreur, & qu’une telle des MƓurs. 325 vie est souvent beaucoup plus criminelle qu’ils ne pensent, parce que tout y fa*- vorise les pallions , y nourrit la voluptĂ© & la mollesse , y produit la nĂ©gligence & l’oubli de ses devoirs les plus essentiels. Ce qui a fait dire Ă  une personne d’esprit , en parlant du temps que les Dames mettent Ă  leur toilette qu’elles employoient la moitiĂ© du jour pour fĂš prĂ©parer Ă  perdre l’autre & Ă  se perdre elles - mĂȘmes. Et en effet, quand il n’y auroit dans une vie oisive que la perte du temps,, ne seroit - ce pas assez pour la rendre condamnable devant Dieu ? Nos annĂ©es ne s’écoulent pas en vain. Toutes les minutes' de la vie vont frapper Ă  la porte de l’éternitĂ©. Les heures , disoit un Ancien , s’envolent au Ciel, pour y rendre compte de l’uiage que les hommes en ont fait. Dons Ă  peine obtenus qu’ils nous font emportĂ©s' ùßoĂŻnens que nous perdons, St qui nous font comptĂ©s r . 1 Si la vie oisive & inutile est condamnĂ©e par les PaĂŻens mĂȘme , combien plus doit-elle l’ĂȘtre par des ChrĂ©tiens, qui savent qu’une destinĂ©e Ă©ternellement I Et nobis fereuiit ÂŁ 7 impinan’ur. Martial O 6 3*4 L’É C O L E heureuse ou malheureuse , selon l’usage qu’ils auront fait de la vie, les attend Ă  la fin de la courte carriĂšre oĂč ils marchent ! Un Auteur Persan , voulant rendre plus sensible & plus frappante cette importante vĂ©ritĂ©, l’a , suivant le goĂ»t des Orientaux , enveloppĂ©e fous le voile transparent d’une allĂ©gorie ingĂ©nieuse. Un Etranger, dit-il, ayant Ă©tĂ© jetĂ© par la tempĂȘte dans une Isle inconnue, y fut proclamĂ© Roi. EtonnĂ© d’abord de sa brillante fortune, il se familiarisa bientĂŽt avec elle , & il ne songeoit qu’à jouir des plaisirs qu’elle lui offroit, lorsque le Chef de Ăźa religion, qui est revĂȘtu dans cette Isle d’une grande autoritĂ©,vint le trouver, & lui dit Je crois, Prince, devoir vous avertir que rien n’est plus chancelant que le trĂŽne oĂč vous ĂȘtes placĂ©. Au moment que vous y penserez le moins, on vous en fera descendre vous serez dĂ©pouillĂ© des ornemens royaux, & revĂȘtu d’habits greffiers. Des soldats impitoyables vous traĂźneront fur le bord de la mer , & vous jetteront presque nu sur un vaisseau , qui vous conduira dans une autre ĂŻsle fort Ă©loignĂ©e de celle-ci. Telle est la loi immuable de cet Etat, & aucun de vos prĂ©dĂ©cesseurs n’a pu la changer ni s’y soustraire. Mais quoiqu’ils ne l’eussent pas ignorĂ©e. des MƓurs. ?2f la plupart d’entre eux n’ont pas eu le courage de fixer fur un avenir dĂ©sagrĂ©able des yeux Ă©blouis par l’éclat qui environne le trĂŽne ils n’ont pas su prĂ©venir la fin qui les menaçoit, & le jour fatal est toujours venu , fans qu’ils eus sent rien sait pour adoucir leur funeste & inĂ©vitable sort. Les plus sages ont agi autrement. Quont - ils fait , reprit vivement le Roi , & que faut - il que je fasse moi-mĂȘme ? Ils ont fait passer, rĂ©pondit le Ministre de la religion., dans ü’isle qui leur Ă©toit destinĂ©e, toutes sortes de bonnes provisions & de secours, pour y mener une vie agrĂ©able & heureuse. Imitez leur exemple , le temps presse, & l’instant Ă©chappĂ© ne renaĂźtroit plus. Souvenez - vous fur-tout que vous ne trouverez dans cette Isle que ce que vous y aurez sait transporter d’ici dans le peu de jours peut-ĂȘtre qui vous restent. Le Monarque suivit un si sage conseil il envoya dans le nouveau sĂ©jour qui l’at- tendoit, autant de magasins de toute espece qu’il en crut nĂ©cessaires pour se le rendre agrĂ©able. Tout ce qui lui avoit Ă©tĂ© prĂ©dit lui arri va il fut dĂ©pouillĂ© de la couronne, & conduit dans sa nouvelle Isle il y arriva heureusement, & y vĂ©cut plus heureusement encore. Qui doute que les femmes ne soient pas moins obligĂ©es que les hommes Ă , ;r6 L’ÉcoiĂź faire un bon usage de leur temps ? Ne diroit - on pas nĂ©anmoins , Ă  voir & Ă  entendre presque toutes celles du grand monde , qu’elles m’en font que solidement persuadĂ©es ? elles ne savent que faire , ni comment occuper le loisir que leur procurent le bonheur de leur nais sauce & l’agrĂ©ment de leur fortune. Tout leur soin elf de chercher Ă  se dĂ©rober Ă  l’ennui insĂ©parable d’une vie oisive ? & l’on est sĂ»r d'avoir un mĂ©rite de plus auprĂšs d’elles , dĂšs qu’on a le talent d’abrĂ©ger les heures & de les faire cou’cr plus rapidement. Quoiqu’elles aient la plupart une famille Ă  rĂ©gler . des enfans Ă  Ă©lever, un mĂ©nage Ă  conduire , des domestiques Ă  surveiller ; cette occupation si utile, si louable & si digne d’elles , n’est pas ce qui leur plaĂźt ni ce qui les amuse. La toilette, le jeu, les visites, font leurs occupations les plus ordinaires & le cercle uniforme qui environne le vide de leur vie. filles font de tous les plaisirs, elles volent Ă  tous les spectacles , elles aiment Ă  briller, Ă  voir, & encore plus Ă  ĂȘtre vues. L’ill ustre GĂ©noise que nous avons dĂ©jĂ  plusieurs fois proposĂ©e aux Dames pour modele , Vincmtine Lomelin , faisoit de son temps un emploi bien plus lĂ€ge. Son Ă©poux ayant Ă©tĂ© fait Gouverneur de la des MƓurs. 327 PrincipautĂ© da Meise au Royaume de Naples, Vincentine employa les treize annĂ©es qu’elle demeura dans ce pays Ă  soulager les pauvres, Ă  faire rĂ©gner dans sa maison la paix, l’union & la piĂ©tĂ©. Elle voulut Ă©lever ses enfans elle-mĂȘme, & dĂšs que leur Ăąge le permettait, elle leur apprenait les prĂ©ceptes de la religion , & les formait de bonne heure Ă  la vertu. Sa maison Ă©tait une des mieux rĂ©glĂ©es de Naples. Semblable Ă  la Femme forte de l’Ecriture , elle y offrait un modele toujours prĂ©sent de sagesse dans les paroles , de douceur dans la conduite , de vigilance dans les moindres choses ; & tandis que son Ă©poux remplilsoit avec honneur les fondions de st charge & maintenait le bon ordre dans son Gouvernement , elle entretenait dans sa famille l’ordre , l’abondance & la paix elle Ă©tait persuadĂ©e que ce foin important regarde fur-tout la femme , comme celui de bien administrer les affaires du dehors doit ĂȘtre l’emploi de l’homme. Toujours en action, mettait les autres. Chacun savait son ouvrage & le fallait. Elle avait l’Ɠil Ă  tout fans embarras, fans inquiĂ©tude, & il ne le paÂŁ soit rien qu’elle ne le liĂąt. Sa bontĂ© s’étendait sur toute sa famille sans exception , fur ses domestiques mĂȘme. Elle 328 L’ É C O L E n’étoit pas seulement leur maĂźtresse, elle Ă©toit leur mere. Elle avoit soin que rien ne leur manquĂąt & qu’ils ne manquassent Ă  rien elle croyoit que l’exactitude des domestiques saisoit Ă©galement & leur Ă©loge & celui des maĂźtres. Elle ne se bornoit pas Ă  veiller & Ă  commander. Jamais oisive, elle donnent dans fa maison l’exemple du travail. Bien diffĂ©rente de ces femmes , qui regardent le travail comme quelque choie de trop au-dessous d’elles ou de trop pĂ©nible, elle ne dĂ©daignoit pas de prĂȘter ses mains aux ouvrages de son sexe , & de travailler Ă  l’aiguille ; donnant ainsi des leçons & des exemples aux autres Dames, qui venojent l’admirer & s’instruire Ă  son Ă©cole. Quelque rares que soient aujourd’hui de si beaux exemples, on voitnĂ©anmoins encore, malgrĂ© la corruption des mƓurs, de ces femmes vertueuses & vraiment estimables, qui mettent leur bonheur Ă  se passer de ce que le monde appelle les plaisirs. Ellesfont consister leur gloire Ă  vivre ignorĂ©es , convaincues que la femme la plus louable est celle dont on parle le moins. Elles s’applaudissent de leur journĂ©e , non lorsqu’elles se sont bien amusĂ©es , mais lorsqu’elles ont bien rempli tous leurs devoirs. RenfermĂ©es dans ceux de femme & de mere, elles DES M ĂŻ TJ R S. ?2§ consacrent leurs jours Ă  la pratique des vertus obscures. OccupĂ©es du gouvernement de leur famille, elles rĂ©gnent fur leur mari par la complaisance, sur leurs enfans par la douceur, fur leurs domestiques par la bontĂ©. Leur maison est la demeure des fentimens religieux ‱, de la piĂ©tĂ© filiale , de l’amour conjugal ., de la tendresse maternelle, de l’ordre, de la paix intĂ©rieure, du doux sommeil & de la santĂ©. Economes & sĂ©dentaires, elles se plaisent Ă  gouverner leur famille, Ă  en Ă©carter les besoins , & ne goĂ»tent nulle part plus de plaisir que chez elles. jLe grand monde & la compagnie des hommes n’ont aucun attrait pour elles elles savent que d’ordinaire la moindre perte qu’on y fait est celle du temps, que les discours y sont encore plus pernicieux que les exemples , & que ce qu’on appelle sociĂ©tĂ©, n’est souvent qu’un amas de ridicules & de vices colorĂ©s d’un vernis brillant, une scene mĂȘlĂ©e de sĂ©rieux & de comique, oĂč les passions font mouvoir, l’intĂ©rĂȘt fait agir, & l’envie fait parler, oĂč l’on se loue, sans s’estimer, oĂč l’on se dĂ©chire de sang-froid, & oĂč il n’y a presque rien de fincere que la haine & le mĂ©pris rĂ©ciproque. Laissant aux folles, dont elles font entourĂ©es, la coquetterie, la frivolitĂ©, les caprices, les jalousies, toutes ces petites passions, ??° L’Égoie toutes ces bagatelles qui paroissent Ă  quelques-unes si importantes & qui le font si peu elles ont un caractĂšre de sagesse & de vertu quijes fait estimer, de rĂ©serve & de dignitĂ© qui les fait respecter , d’indulgence & de sensibilitĂ© qui les tait aimer. Ce temps, dont les autres Dames de leur condition ne savent que faire , elles en destinent une partie Ă  essuyer les larmes des infortunĂ©s, Ă  visiter les malades , Ă  dĂ©couvrir & Ă  soulager la vertueuse indigence, que la honte condamne Ă  dĂ©vorer ses pleurs en secret. Ce n’est pas ici un portrait d’imagination que nous venons de tracer, pour servir de modele aux meres de famille & aux jeunes personnes destinĂ©es Ă  l’ĂȘtre un jour. Il est peu de villes oĂč il ne se trouve des Dames austi respectables par leur rang que par leur sagesse , qu’on pouroit y reconnoĂźtre & dont la conduite est louĂ©e de celles mĂȘme qui leur ressemblent le moins. Mais pour suivre le conseil du Sage 2 , & ne parler que de celles , dont les vertus, soutenues constamment jusqu’à la fin de leur carriĂšre , ont, si l’on peut s’exprimer ainsi, Ă©tĂ© couronnĂ©es par les mains de la Mort , 2 Ante monem ne laudes hominem qucmquam , Bs-li. il. des MƓurs. telle fut dans le dernier sieele Madame la PrĂ©sidente de Boivault. NĂ©e avec tous les avantages qui dcMnent un rang distinguĂ© dans le monde, son esprit, sa figure, & les grĂąces sĂ©duisantes rĂ©pandues surfa personne, la rendoient l’idole des cercles. Mais Ă  peine eut-elle apperçu les pĂ©nis auxquels ces avantages extĂ©rieurs exposent une jeune personne , qu’elle en fit hommage Ă  celui qui l’eu avoit si libĂ©ralement pourvue. MĂ©prisant le ridicule que le monde attache Ă  la dĂ©votion , elle pratiqua hautement la vertu, & la fit aimer. Devenue veuve par la mort de son mari, qui Ă©toit PrĂ©sident au Parlement de Dijon r elle se livra toute entiĂšre aux bonnes Ɠuvres. Elle Ă©toit la mere des pauvres, l’appui des orphelins, le refuge des malheureux. Tandis qu’elle se contentoit pour elle- mĂȘme d’un simple potage & souvent d’un morceau de pain , elle nourriisoit de pauvres & vertueuses familles des mets qui couvroient fa table. Elle remplit jusqu’à la mort tous ses jours de bonnes Ɠuvres & de mĂ©rites Elle n’en perdit aucun, parce qu’elle lavoit qu’il lui en faudrait rendre compte. Le temps oĂč il vous faudra le rendre, ce compte redoutable , qui que vous soyez, n’est pas fort Ă©loignĂ©. On meurt Ă  tous les instans, Ă  tous les Ăąges, & L’ÉcolĂŻ la plus longue vie est bien courte. Mais prĂ©venus, dans notre jeunesse, de ce prĂ©jugĂ© si faux, que cinquante ou soixante ans de vie font une eipece d’éternitĂ© , semblables aux enfans qui regardent une piece d’or comme une fortune inĂ©puisable, nous ne pensons alors qu’à jouir des dĂ©lices & des agrĂ©mens de la vie prĂ©sente, sans songer Ă  celle qui doit suivre, sans oser penser Ă  la mort, dont la triste & affligeante idĂ©e troubleroit nos plaisirs. Cependant elle arrive au moment que nous l’attendions le moins , elle vient nous surprendre comme un voleur, elle nous dĂ©pouille des titres passagers & des richesses fugitives que nous possĂ©dions. Mais quand tout disparoĂźt & s’anĂ©antit autour de nous, Ă©clat, dignitĂ©s, fortune, amis, famille, sociĂ©tĂ© ; nos Ɠuvres seules ne nous abandonnent pas, elles nous accompagnent dans les rĂ©gions de l’éternitĂ©. VoilĂ  le seul trĂ©sor que nous emporterons dans le monde nouveau qui doit nous recevoir en sortant de celui-ci. De quelle importance n’est-il donc pas pour nous de songer Ă  nous les procurer , ces richesses prĂ©cieuses ? Si l’on considĂ©roit bien que ..chaque moment de cette vie peut nous mĂ©riter une Ă©ternitĂ© de bonheur, pouroit- ©n se rĂ©soudre Ă  le perdre si facilement? des MƓurs. ftos jours passent rapidement; L’heure de notre mort s’avance ; Et malheureux jouets d’une Folle espĂ©rance» Sans prĂ©voir l’avenir» nous perdons le prĂ©sent*, Aeunes, nous nĂ©gligeons le seul lien nĂ©cessaires Le temps, ce trĂ©sor salutaire, S’enfuit, Ă©chappĂ© de nos mains Au sortir des jeux enfantins, Les plaisirs , les honneurs, les richesses FrivĂ©lĂȘĂŒ Agitent tour-Ă  tout nos dĂ©sirs incertains. Mais , ĂŽ funeste erreur ! tĂȘtes vaines & folles ! Pendant que nous comptons nos trĂ©sors superflus, La mort vient nous abattre au pied de nos idoles ; La mort ! .... que de momerrs perdus ! Combien de personnes du grand monde meurent, aprĂšs avoir passĂ© presque toute leur vie dans une espece de prestige Ă©blouissant & d’enchantement agrĂ©able en apparence, qui les a comme endormies & fait oublier leur vĂ©ritable destinĂ©e ! Mais si elles n’ont Ă  prĂ©senter au tribunal du Dieu de vĂ©ritĂ© que des illusions & des songes, quel jugement doivent- elles en attendre , & quel fer* leur Ă©tonnement Ă  leur rĂ©veil ! 3*4 L’ É c o l s XXXIV. Saches Ă  vos devoirs immoler vos plaisirs. .Avant que de dĂ©velopper cette belle maxime de la Sagesse , il ne sera peut- ĂȘtre pas inutile d’examiner ici une question importante de la morale. On demande quelquefois si son peut aimer les plaisirs , les divertissemens ; & si l’Evangile, qui prononce anathĂšme contre ceux qui vivent dans la joie & dans les ris, en mĂȘme temps qu’il canonise ceux qui souffrent-& qui pleurent, ne semble pas avoir dĂ©cidĂ© le contraire. Nous avouerons, & tout homme qui a de la religion avouera certainement avec nous, que la vie d’un ChrĂ©tien fur la terre doit ĂȘtre une vie de mortification & de pĂ©nitence. 11 faut porter fa croix, renoncer Ă  soi-mĂȘme, se faire une guerre continuelle, & marcher sans cesse dans cette voie Ă©troite qui feule doit conduire au Ciel. Mais craignons de donner dans le rigorisme d’une morale outrĂ©e , d’ĂȘtre plus sages qu’il ne faut. Gardons-nous de reprĂ©senter la religion comme un tyran dur & cruel, qui ne se plaĂźt qu’à entendre des gĂ©missemens A Ă  voir couler des larmes une telle des MƓurs. idĂ©e ne servirent qu’à inspirer de l’aversion pour elle. Si l’Ecriture nous dit qu’il vaut mieux aller dans une maison de deuil & de tristesse, que dans une maison de festins & de divertissemens, parce que dans la premiĂšre on apprend quelle fera la fin de tous les hommes & ce que nous deviendrons nous- mĂȘmes ; elle nous dit aussi que nous pouvons jouer , nous dĂ©lasser & nous rĂ©crĂ©er , pourvu que nous le faisions dans l’innocence i . „ La sagesse , disoit Mentor Ă  son Ă©leve, n’a rien d’austere ni d’affectĂ© c’est elle qui donne les vrais plaisirs ; elle feule fait les assaisonner, pour les rendre purs & durables elle fait mĂȘler les jeux & les ris avec les occupations graves & sĂ©rieuses elle prĂ©pare le plaisir par le travail, & elle dĂ©lasse du travail par le plaisir. La sagesse n’a point de honte de paroĂźtre enjouĂ©e quand il faut “. Il est donc certain, & il est admis dans la morale la plus exacte, que les divertissemens honnĂȘtes ne font pas incompatibles avec la vĂ©ritable sagesse. Mais si nous voulons que nos plaisirs soient dignes d’elle , & qu’elle les approuve, il ne faut pas y placer notre bonheur, ni les goĂ»ter pour eux-mĂȘmes. Nous i Avocare, lĂŒde , U Ăąge conceptions tuas , fis non in delittis. Eccli. ZL. ‱ / L’ É C O L 8 devons les Ă©purer, les anoblir par la puretĂ© de nos motifs , & les rĂ©duire dans les bornes du dĂ©lassement ou du remede. Ne les proscrivons pas tous fans rĂ©serve,mais suffi ne les admettons pas tous fans distinction ne les rejetons pas entiĂšrement, mais ne nous y livrons pas fans mesure. Dans la morale, c’est entre les deux extrĂ©mitĂ©s qu’est le chemin de la sagesse. Laissons donc les sectateurs d’une Philosophie sombre & mĂ©lancolique s’élever contre les plaisirs mĂȘme les plus conformes Ă  la raison. Je ne prends point pour vertu Les noirs accĂšs de trHlessc D’un loup-garou revĂȘtu Des habits de la sagesse Reu S s E A Ct Philosophes misanthropes, n’enviez pas aux hommes, qui ne font dĂ©jĂ  que trop malheureux > quelques amusemens passagers , qui les aident Ă  supporter les maux de cette triste vie. Eh,quoi! destinĂ©s , comme ils le font, par la nature Ă  travailler & Ă  souffrir, leur arracherez- vous encore ce qu’elle a bien voulu leur laisser pour adoucir l’amertume des peines , pour rendre plus lĂ©ger le fardeau des affaires, & dĂ©lasser des fatigues d’un travail pĂ©nible? Qui est-ce qui n’éprouve jamais, au sein mĂȘme du repos & au des MƓurs 337 milieu eu travail, certains momens de dĂ©goĂ»t & d’ennui, qui accableroient l’eiprit & le jetteroient dans la langueur , s’il n’appeloit Ă  son secours les dĂ©lasse- mens & les distractions ? Ils le tirent de son abattement, ils le rĂ©veillent, le raniment, & lui rendent toute son activitĂ©. Mais si quelques plaisirs sont nĂ©ceso faires , il en est fans doute de dangereux. 11 y en a de si flatteurs , qu’il est bien difficile de ne pas s’y livrer avec excĂšs, & de ne leur jamais rien sacrifier de ce qui est dĂ» Ă  la vertu & au devoir. Il y en a dont le poison est si subtil & si trompeur, qu’on le prend avec aviditĂ© , & que, lors mĂȘme qu’on en Ă©prouve les funestes eftets , on insulte Ă  la simplicitĂ© de ceux qui les redoutent Aies fuient, fl y en a qui par des routes semĂ©es de fleurs, conduisent aux plus horribles prĂ©cipices. II faut donc savoir les choisir avec sagesse & les goĂ»ter avec modĂ©ration. L’abus des plus innocens mĂȘme est aufli funeste que l’ufige modĂ©rĂ© en est gracieux. DĂ©ridez la sagesse, Ă  la bonne heure, & Ă©gayez la vertu, mais consultez - les toujours dans tous vos divertissemens les plaisirs les plus agrĂ©ables font ceux que le rs. mords n’accompagne jamais. PrĂ©fĂ©rez les plaisirs doux & tranquilles on les goĂ»te mieux, quand ils ne Tome III . P q;8 L’ÉCOL! sont pas si vifs d’ailleurs la joie immodĂ©rĂ©e est courte, les sentimens violens ne durent pas , l’ame ne peut y suffire, & le corps s’en ressent. Les plaisirs bruyans ne seront jamais ceux du Sage. On les cherche pour se dĂ©sennuyer , & l’on ne s’ennuie jamais tant qu’aprĂšsles avoir pris. Ils laissent un vide, qu’on croit remplir par de nouveaux plaisirs mais on s’en dĂ©goĂ»te bientĂŽt comme des premiers. On court de plaisirs en plaisirs , parce qu’on ne peut ĂȘtre rendu un moment Ă  soi - mĂȘme , fans Ă©prouver un ennui, mille fois plus insupportable que celui qu’on a voulu Ă©viter. Le malheur est encore que ces grands plaisirs rendent tous les autres insipides ; & l’on devient si Ă  charge Ă  soi-mĂȘme, qu’on ne peut plus s’en passer. Ainsi ce qui ne devroit ĂȘtre qu’amusement, se change en paillon. Ce qui n’étoit destinĂ© qu’à dĂ©lasser & Ă  rĂ©parer les forces, fatigue , Ă©puise, ruine la santĂ© & abrege les jours caria vie s’use autant, & souvent plus, dans les plaisirs que dans les travaux. DĂ©mocrite disoit qu’il Ă©toit parvenu Ă  une extrĂȘme vieillesse en ne donnant rien aux plaisirs du corps. LeSage , qui fait que la nature nous a rendus plus sensibles Ă  la douleur qu’à la joie, renonce aux grands plaisirs, pour Ă©viter les maux qui en font la fuite ordinaire, des MƓurs. Imitez son exemple vous ne vous repentirez jamais de l’avoir suivi. Ne courez pas inconsidĂ©rĂ©ment aprĂšs toutes sortes de plaisirs; & ne prenez pas trop souvent ceux mĂȘme qu’il vous est permis de prendre. Privez-vous-en quelquefois , vous les trouverez plus dĂ©licieux car telle est la triste destinĂ©e de l’homme jusque dans les plaisirs mĂȘme, que plus on les prend, moins on les goĂ»te. Soyez toujours allez maĂźtre de vous-mĂȘme, pour ne pas vous y livrer avec trop d’ardeur. Il vient un temps, oĂč l’on est bien fĂąchĂ© de les avoir sentis avec trop de force A de paflion. Les jeunes gens qui se forment des plaisirs l’idĂ©e la plus riante, croient qu’ils ne les goĂ»teront jamais assez tĂŽt ni assez souvent. Ils ont dans la fuite tout le temps de reconnoĂźtre qu’ils se sont trompĂ©s. Ce n’est pas que nous voulions leur dĂ©fendre les plaisirs de leur Ăąge, & que ‱nous trouvions mauvais qu’ils se divertissent ils doivent avoir cette aimable gaietĂ©, qui convient si bien Ă  la jeunesse. Mais ce que nous leur recommandons, c’est de ne pas employer la premiĂšre partie de leur vie Ă  rendre l’autre misĂ©rable , c’est d’allier toujours la sagesse avec leurs divertissemens. Il faut , disoit un ancien Philosophe, ĂȘtre jeune dans fa vieillesse , £‱? vieux dans fa jeunesse, P 2 54° L’ É c o i e ĂȘtre toujours gai & toujours sage- A quelque Ăąge 8c de quelque Ă©tat qu’on {oit, il faut se prĂȘter aux divertissemens, fans s’y livrer; n’en prendre jamais que de permis, & qui ne puissent nuire ni Ă  soi- mĂȘme ni aux autres. Louis XVI, n’étant encore que Dauphin , en donna un jour un exemple aussi beau que rare dans un Ăąge & dans un rang, oĂč l’on ne commĂźt guere d’autre regle de ses plaisirs que de n’en point avoir. Il n’avoit que quatorze ans, & suivoit le Roi Ă  la chasse avec les Princes ses frĂ©tĂ©s. On entend crier tout-Ă -coup que le cerf Ă©toit aux abois. Les Princes, par cet empressement si naturel Ă  leur Ăąge , veulent ĂȘtre prĂ©sens Ă  la mort du cerf. Le Cocher, pour servir leur impatience , veut traverser un champ de blĂ©. Le Dauphin qui s’en apperçoit, se prĂ©cipite Ă  la portiĂšre, & commande au Cocher de prendre un autre chemin. Ce blĂ©, dit-il, ne nous appartient pas , nous ne devons point ĂŻendommager. On s’écria rempli d’admiration Ah! que la France est heureuse d’avoir un Prince ! Ce que fit dans fa jeunesse, & avant de porter la couronne, Henri V, Roi d’Angleterre , est aussi trĂšs-beau. Ce Prince s’amuloitavec d’autres jeunes gens de son Ăąge Ă  arrĂȘter les passait s, Ă  les voler, & Ă  jouir de la peur qu’il leur des MƓurs. 341 faisait. Un de scs compagnons de dĂ©bauche fut citĂ© en Justice. Le Prince osa l’y accompagner, & frapper le Magistrat qui venoit de condamner le coupable. Le Juge ordonne , d’un air grave & tranquille , de conduire le Prince en prison. Les asiistans frĂ©missoient 011 trembtoit pour le Juge. Mais le Prince, comme s’il eĂ»t Ă©tĂ© tout-Ă -coup terrassĂ© par la majestĂ© des lois, avoue son tort, se soumet Ă  la sentence , & se laisse conduire en prison. Lorsqu’il monta sur le trĂŽne, il congĂ©dia les compagnons de ses plaisirs. Allez , leur dit-il, changez de conduite ; je vais vous en donner l’exemple le temps m’apprendra quand je pourai vous rendre mon amitiĂ© Ă  un titre plus honorable. Quant Ă  prĂ©sent, voici les amis dont j’ai besoin , ajouta- t-il en montrant les Ministres sages & sĂ©veres, qui avoient le plus hautement- condamnĂ© fa vie licencieuse. Le Juge qui l’avoit fait mettre en prison , n’osoit paroitre devant lui. Il le fit venir. Ce seroit Ă  moi, lui dit-il, Ă  redouter votre prĂ©sence pour vous , vous avez acquis des droits Ă©ternels Ă  mon estime, je vais travailler Ă  mĂ©riter la vĂŽtre. Il dit ^ux Grands , qui vouloientlui rendre hommage avant la cĂ©rĂ©monie du couronnement Attendez pour me jurer obĂ©ijjance , la bontĂ© de ce Prince que son amour pour la justice. Un vieux cheval abandonnĂ© de son martre, vint se frotter contre le mur , & fit sonner. Qu’on ouvre , dit le Roi, & faites entrer. Ce n’est que le cheval dĂ» Seigneur Capece , dit le Garde en rentrant. Toute rassemblĂ©e Ă©clata de rire. Vous ries , dit le Prince 5 sachez que l’exacte justice Ă©tend ses foins jusque sur les animaux. Quon appelle Capece. Ce Seigneur Ă©tant arrivĂ© Qu est- ce que c'est que ce cheval que vous Laissez errer , lui demande le Roi ? Ah ! mon Prince, rĂ©pond le Cavalier, ç’a Ă©tĂ© un fier animal dans son temps ; il a fait vingt campagnes fous moi mais enfin il est hors de service , & je ne suis pas d’avis de le nourrir Ă  pure perte. Le Roi mon pere , reprit le Prince , vous a cependant bienrĂ©compenfi. 11 est vrai, j’enfuis comblĂ©. Et vous ne daignez pas nourrir ce gĂ©nĂ©reux animal , qui eut tant de part Ă  vos services ? /liiez de ce pas lui donner une place dans vos Ă©curies qu’il soit tenu Ă  l’égal de vos autres animaux domestiques fans quoi je ne vous tiens plus vous-mĂȘme pour loyal Chevalier , & je vous retire mes bonnes grĂąces. Loin de nous les satires ameres , les censures outrageantes contre ceux que nous devons honorer & que nous res. pectons. Mais le dĂ©fit de rendre cet 3fO L’ Ê C O L B Ouvrage utile Ă  toutes les conditions, oĂč, si l’on veut, Ă  la jeunesse qui doit remplir un jour les diffĂ©rens Ă©tats de la sociĂ©tĂ© , nous invite Ă  vous adresser aussi la parole, ĂŽ vous Ă  qui les Princes ont confiĂ© une des plus importantes & des plus redoutables parties de leur puissance. ChargĂ©s d'ĂȘtre parmi nous les interprĂštes de la loi, les organes de l’équitĂ© , les arbitres de la fortune, de l’honneur & de la vie des citoyens, vous devez approfondir les affaires portĂ©es devant vos tribunaux, Ă©tudier les droits, discuter les preuves, Ă©claircir les nuages que l’artifice & la chicane ont le talent de rĂ©pandre , & peser mĂ»rement toutes les raisons dans la balance de la Justice. Combattez , dĂ©truisez l’hydre de la chicane, Veillez pour l’orphelin, secourez l’innocent, Remlezlur tout au foible une prompte justice Qu’aux yeux de la beautĂ©, qu’à la voix du puissant, Le flambeau de ThĂ©mis jamais ne s’obscurcisse. Aux devoirs d’un Ă» mble emploi Immolez vosplaiflrs, vous-mĂȘme Sachez qu’on ne s’élĂšve Ă  la gloire suprĂȘme Qu’autant qu’on ne vit pas pour soi. VoilĂ , Juges de la terre, vos obligations. Mais si vous vous livrez Ă  vos plailirs , que deviennent ces respectables engagemens ? Pour entrer dans ces discuisions aussi dĂ©sagrĂ©ables qu’elles font dĂšs MƓurs. ? fi Ă©pineuses , il faudroit retrancher Ă  ces plaisirs qui vous flattent, des raomen* qu’ils sollicitent en leur faveur ; on seroit obligĂ© d’abrĂ©ger ce jeu , dont on s’est fait une occupation rĂ©guliĂšre & pĂ©riodique ; il seroit nĂ©cessaire de supprimer ces visites superflues , oĂč l’on n’est conduit que par la crainte de s’ennuyer avec soi-mĂȘme. Mais de pareils sacrifices semblent trop rigoureux on se les Ă©pargne., ou ferme les yeux fur ses obligations, on ne compte pas si scrupuleusement avec le devoir ; & si les plaisirs l’çxigent, on le leur sacrifie. Content de porter Ă  la suite de son nom un titre honorable* qui tient lieu de mĂ©rite & suppose les connoiffances, on se dispense de les acquĂ©rir. On est de l’avis des autres, parce qu’on est incapable de donner le sien. On prononce au hasard, & l’on porte un arrĂȘt injuste , qui dĂ©pouille le maĂźtre lĂ©gitime ou fait gĂ©mir l’innocent. Au lieu d’ĂȘtre le protecteur de l’équitĂ© contre les entreprises de l’intĂ©rĂȘt, de la mauvaise foi, de la calomnie, on Ă©leve de ses propres mains les trophĂ©es de l’injustice qui triomphe avec insolence , & traĂźne enchaĂźnĂ©s Ă  son char le bon droit vaincu & l’innocence opprimĂ©e. Minis. trĂšs infidelles de la Justice, vous ĂȘtes Ă  se* yeux plus injustes tSt plus criminels que ceux dont vous avez servi les injustices ?5r L’Écoi e & les crimes, parce que vous deviez les rĂ©primer & les punir. Et vous , chefs de famille, nous vous l’avons dĂ©jĂ  dit une de vos principales obligations , c’est de procurer Ă  vos en- fans une Ă©ducation qui les empĂȘche, dans un Ăąge plus avancĂ©, de regretter le temps de leur jeunesse, une Ă©ducation non-feu- lerftent polie & conforme Ă  leur Ă©tat, mais vertueuse & devez de bonne heure Ă©loigner de ces Ăąmes pures & innocentes le souffle empoisonnĂ© de la contagion , cultiver avec soin leurs talens naturels , & prĂ©parer Ă  la patrie , dans ces jeunes Ă©leves , des sujets capables de la servir utilement. Mais pouvez- vous les remplir ces obligations, & les remplissez-vous en effet, lorsque, vous livrant Ă  vos plaisirs, vous leur offrez l’exemple trop persuasif d’une vie inutile & dissipĂ©e ; lorsque, pour vous Ă©pargner Ă  vous-mĂȘmes les embarras de la vigilance , vous ne leur donnez d’autres fur- veillans que des domestiques qui est auroient eux-mĂȘmes besoin ? Ne pouroit-on pas Ă©galement demander aux meres , si elles remplissent leurs devoirs Ă  l’égard de leurs enfans, lorsqu’au lieu de veiller assidĂ»ment, comme ilferoit nĂ©cessaire, fur leurs inclinations naissantes , pour les tourner vers le bien ; au heu de leur donner de sages leçons, des MƓurs. telles que la mere de Salomon en don- noir Ă  son fils , leçons qui dictĂ©es par la tendresse & l’amour, passeroient en traits de flamme dans ces jeunes cƓurs ; au lieu de se livrer Ă  des foins fl doux pour une vraie mere qui veut doublement en mĂ©riter le nom , on les voit ne s’occuper que d’elles - mĂȘmes & de leurs plaisirs ? Que font en effet la plupart de ces femmes du monde, dont nous parlons? Au sortir d’un sommeil dont la mollesse seule regle la durĂ©e , elles pensent Ă  l’ajustement , Ă  la parure, y consument les plus belles heures du jour, &, dans ces toilettes oĂč la vanitĂ© prĂ©side , tiennent une Ă©cole quelquefois publique de mondanitĂ© & d’indĂ©cence. AprĂšs avoir parĂ© l’idole de tout ce qu’on croit de plus propre?.Ă  lui attirer des adorateurs, & l’avoir assez dĂ©guisĂ©e pour qu’on ne re- connoisse plus dans les traits du visage la main du CrĂ©ateur, elles se promĂšnent de compagnies en compagnies, d’oĂč elles ne remportent que la vaine satisfaction de s’ùtre montrĂ©es & de croire qu’elles ont plu. Le reste de leurs journĂ©es, absorbĂ© par le jeu ou par les spectacles, leur laisse Ă  peine le temps de penser qu’elles ont une maison Ă  conduire, des enfans Ă  Ă©lever; & peut-on mĂȘme croire qu’elles y pensent ? ?54 L» E c o l e Cet oubli de ses devoirs les plus essentiels , si ordinaire parmi les Dames du grand monde , fera le plus juste sujet de leurs craintes Ă  la mort & de leur condamnation au tribunal de Dieu. Que pouront-elles lui rĂ©pondre, lorsqu’il leur opposera l’exemple non-seulement de plusieurs Dames ChrĂ©tiennes & de Princesses mĂȘme, mais de Dames PaĂŻennes, dont la conduite fut bien diffĂ©rente delĂ  leur ? On lait le beau trait de CornĂ©lie , fille du grand Scipion. Cette illustre Romaine , d’un mĂ©rite aussi distinguĂ© que fa naissance , se trouva dans une compagnie de Dames, qui Ă©taloient leurs pierreries & leurs ajustemens. On lui demanda de voir les siens. Elle fit venir ses enfans, qu’elle avoit Ă©levĂ©s avec foin pour la gloire de la patrie, & dit en les montrant VoilĂ  mes ornement & ma parure. Y a-t-il en effet au monde, s’écrie avec raison le Philosophe de Geneve, un spectacle aussi touchant, aussi respectable , que celui d’une mere de famille entourĂ©e de ses enfans, rĂ©glant les travaux de ses domestiques, procurant Ă  son mari une vie heureuse, & gouvernant sagement sa maison! C’est-lĂ  qu’elle se montre dans toute fa dignitĂ© d’une honnĂȘte femme c’est-lĂ  qu’elle impose vraiment du respect , & que la beautĂ© partage avec honneur les hommages rendus des MƓurs. ? sf Ă  la vertu. Une maison dont la maĂźtresse est absente, est un corps fans ame, qui bientĂŽt tombe en corruption. Une femme hors de fa maison perd son plus grand lustre ; & dĂ©pouillĂ©e de ses vrais orne- mens, elle fe montre avec indĂ©cence. Si elle a un mari, que cherche-t-elle parmi les hommes ? Si elle n’en a pas, comment s’expose-t-elle Ă  rebuter par un maintien peu modeste celui qui serait tentĂ© de le devenir ? Quoi qu’elle puisse faire , on sent qu’elle n’est pas Ă  fa place en public. Par-tout on est persuadĂ© qu’il n’y a point de bonnes mƓurs pour les femmes, hors d’une vie retirĂ©e & domestique ; que les paisibles foins de la famille & du mĂ©nage doivent [faire leurs plus agrĂ©ables occupations & leurs plus doux plaisirs, puisque c’est Ă  cela principalement que la nature les a destinĂ©es. Peut - on douter qu’on ne doive sacrifier ses plaisirs Ă  son devoir, puisqu’on doit mĂȘme , s’il le faut, lui sacrifier son repos, ses-biens, fi vie, tout ce qu’on a de plus cher ? Rotrou , cĂ©lĂ©brĂ© PoĂ«te François , connu par ses PiĂšces dramatiques , Ă©toit revĂȘtu delĂ  premiĂšre MagiC. trature de la petite ville de Dreux, fa patrie , lorsqu’elle fut affligĂ©e d’une maladie Ă©pidĂ©mique. PressĂ© par ses amis de Paris de mettre fa vie en furetĂ©, & de quitter un lieu si dangereux, il Zf6 L’É C O L E rĂ©pondit que sa conscience ne lui perraet- toit pas de suivre ce conseil, parce qu’il n’y avoir que lui qui pĂ»t maintenir le bon ordre dans ces circonstances. „ Ce n’est pas, ajoutoit-il en finissant sa lettre, que le pĂ©ril oĂč je me trouve ne soit fort grand, puisqu’au moment oĂč je vous Ă©cris , les cloches sonnent pour la vingt- deuxieme personne qui est morte aujourd’hui. Ce sera pour moi, quand il plaira Ă  Dieu“. Qu’il est beau, qu’il est grand de penser ainsi ! & quel sort plus digne d’envie, que celui d’une personne qui meurt en faisant son devoir ! ‱g " - L- Etpour vous rendĂźt heureux modĂšre^ vos deß, -s. Voulez- vous vivre heureux sentez le prix des biens que vous possĂ©dez, & sachez en jouir. Mettez des bornes Ă  vos dĂ©sirs & Ă  vos besoins plus on dĂ©sire , plus il manque de choses. Contentez-vous du nĂ©cessaire la modĂ©ration vaut mieux que tous les trĂ©sors de la fortune ; & la possession des richesses ne donne pas le repos, qu’on trouve Ă  n’en point dĂ©sirer. Quelqu’un disoit un jour Ă  MĂ©nĂ©demc , Philosophe Grec C’est un grand bonheur d’avoir ce qu’on dĂ©sire. C’en eß un bien plus grand , rĂ©pondit-il, d’ĂȘtre content de ce qu’on a. On jouit d’une heureuse dss MƓurs. tranquillitĂ©, inconnue Ă  ceux qui sont agitĂ©s d’une foule de dĂ©sirs. Ceux-ci en proie Ă  une ambition aveugle ou Ă  une cupiditĂ© effrĂ©nĂ©e, dĂ©sirent fans cesse & ne font jamais contens. Jouets Ă©ternels d’une trompeuse espĂ©rance, ils empoisonnent le bonheur de leurs jours pat de vains dĂ©sirs, qui les dĂ©goĂ»tent de leur Ă©tat, les empĂȘchent d’en remplir les devoirs & d’en sentir les avantages. bien n’est plus Ă©tonnant que de voir les hommes courir fans cesse aprĂšs le bonheur , fans pouvoir jamais l’atteindre. Au lieu de le chercher dans la modĂ©ration de leurs dĂ©sirs & dans la jouissance de ce qu’ils ont,ils croient toujours l’appercevoir dans des postes, des richesses ou des plaisirs , qu’ils n’ont pas ; & lorsqu’ils les ont obtenus , honteux de ne l’y point trouver & non guĂ©ris de leur folie, ils continuent toute leur vie Ă  l’aller chercher dans d’autres objets, & meurent avec la douleur de ne fe voir pas plus prĂšs du terme, que le jour qu’ils avoient commencĂ© Ă  y tendre. Ces songes d’un homme Ă©veillĂ©, ces souhaits inquiets,qui nous jouent & nous trompent, font bien dĂ©crits par l’Auteur d’une Ode morale, intitulĂ©e les DĂ©firs L’heureux , s’il en Ă©toit au monde, Ce seroit l’homme sans dĂ©sirs Dans le sein d’une paix profonde II goĂąteroit de vrais plaisirs. L’ É c o i ĂŻ Mais la cupiditĂ© fans celle, L’aiguillon Ă  la main , nous presse, Et nous met tous en mouvement. En courant nous quittons la source D’un bonheur qu’au bout 4e la course Nous nous promettons vainement. Pour un souhait que l’on’ contente Quand on est chĂ©ri des destins , On en sent Ă©clore cinquante , Plus irritĂ©s & plus mutins. Le mal s’aigrit parle remede; On compte tout ce qu’on possĂ©dĂ©, Ou pour peu de chose, ou pour rien; Et les mortels toujours avides, Se trouvent toujours les mains vides, Alors qu’ils regorgent de bien. Malheureux , qui lĂąchent la bride A leurs dĂ©sirs immodĂ©rĂ©s, Qui vont Ă  l’aveugle & fans guide, De la droite voie Ă©garĂ©s ? Ah ! qu’il feroit bien plus facile D’empĂȘcher leur foule indocile D’ouvrir la porte & de sortir, Que du milieu de la carriĂšre Les faire tourner en arriĂ©rĂ©, Quand on les a laissĂ© partir ! La raison n’est guere Ă©coutĂ©e Parmi les agitations D’une multitude emportĂ©e D’impĂ©tueuses passions. Quand Eolt- a frappĂ© la grote, A quoi te sert, triste Pilote, des MƓurs. ;59 Et ton gĂ©nie & ton travail ? L’effroyable orage qui gronde, A la violence de l’onde Fait obĂ©ir ton gouvernail. Adieu , seul charme de la vis * SacrifiĂ© mal-Ă -propos ; Adieu, seul bien digne d'envie. Repos » souhaitable repos. En te cherchant, on t’abandonne Par les mouvemens qu’on se donne Pour jouir d’un tranquille sort. Un l’a trouvĂ© , dĂšs qu’on s’arrĂȘte. Pour ne plus craindre de tempĂȘte, Aue ne se tient-on dans le port? Non, un vaisseau battu d’une tempĂȘte affreuse, roulant au grĂ© des flots en fureur au milieu des Ă©clairs , n’est pas plus agitĂ© qu’un esprit inquiet, qui se livre Ă  tous ses dĂ©sirs. Celui, au contraire, qui fait les modĂ©rer & les tenir fous son empire, ressemble Ă  un vaisseau qui , poussĂ© parles doux zĂ©phyrs , vole lĂ©gĂšrement fur les ondes & arrive heureusement au port. L’Auteur des vers que nous venons de rapporter, demande trop fans doute en voulant que nous vivions fans dĂ©sirs. L’inquiĂ©tude naturelle de notre esprit, les besoins qui nous tourmentent, & notre propre foiblesse , ne nous permettent guere d’aspirer Ă  cet Ă©tat de q6s L’ É C O L E tranquillitĂ© parfaite, oĂč l’on nedĂ©sireroit plus rien. Ce qu’on doit donc faire, c’est de tĂącher de rĂ©gler fi bien son cƓur, qu’il ne dĂ©sire rien trop ardemment ; c’est de s’appliquer Ă  se rendre heureux, moins en remplissant qu’en bornant ses dĂ©sirs. Il faut savoir se borner. 11 y a plusieurs annĂ©es que vous dites Quand saurai fini cette affaire , je serai content. Vous en avez fini heureusement plusieurs, & vous ĂȘtes plus inquiets que jamais. Vous vous flattiez que, lorsque vous auriez obtenu cette place, cette dignitĂ©, vous seriez au comble du bonheur. Mais dĂšs que vous l’avez eue, vous en avez dĂ©sirĂ© une autre plus grande, dont vous vous voyiez plus proche. Le dĂ©sir augmente, quand on le croit rempli ; & l’on n’est jamais ni heureux ni content. Tous les hommes cherchent le bonheur , & peu le trouvent, parce que la plupart le mettent dans la possession de ce qu’ils n’ont point ou de ce qui ne peut le donner. Il fuit souvent aulsi ceux qui le poursuivent avec trop d’ardeur. Il en est du bonheur en quelque sorte ainsi que de la santĂ© ceux qui le cherchent trop sont ceux qui le trouvent le moins. ModĂ©rons nos propres vƓux , TĂąchons Ă  nous mieux connoĂźtre DĂ©firescu d’ĂȘtre heureux , DĂ©sire un peu moins de l’ĂȘtre* Voici des MƓurs. z6i Voici commentTai comptĂ©. DĂšs ma plus tendre ĂźeuncflV, La vertu , puis la santĂ© ; La gloire, puis lairichefle» € H A it L ÂŁ V A L* Ainsi, peusoit Charleval qui, quoique koste , avoit beaucoup de religion. Sa complexion Ă©toit si foible & si dĂ©licate, que, dĂšs son enfance mĂȘme, ses hĂ©ritiers regardoient fa succession comme trĂšs- .prochaine. Cependant par son bon rĂ©gime & par sa conduite modĂ©rĂ©e, il trouva le secret de prolonger sa carriĂšre jusqu’à sa quatre-vingtiĂšme annĂ©e. Peres & meres, qui voulez rendre un jour vos enfans heureux au lieu de leur rĂ©pĂ©ter fans cesse les usages & les maximes du monde, les droits de leur nait sauce, les avantages des richesses, for- mez-les fur tout Ă  la vertu, &apprenez- leur cette prĂ©cieuse modĂ©ration dont nous parlons. Iis seront toujours assez polis s’ils font humains, assez nobles s’ils font vertueux, assez riches s’ils ont appris Ă  modĂ©rer leurs dĂ©sirs. Un des plus grands obstacles au bon- heur de la plupart des hommes, c’est le dĂ©sir trop vif des biens de la terre. Plus on a, plus on veut avoir. On est moins content de ce qu’on possĂ©dĂ©, que jaloux de ce qu’ont les autres , & empressĂ© d’en avoir encore davantage. Mais * Tome III. Q_ z 6 r V E c o t b dit Salomon , l’homme qui se hĂąte de s'enrichir , ÂŁ 5? qui porte envie aux autres , ne fait pas qu’il fc trouvera surpris tout d’un coup par la pauvretĂ© 2. On perd souvent tout, en voulant trop avoir. Trois habitans de Balke , grande ville des Tartares, voyageant un jour ensemble, trouvĂšrent un trĂ©sor. Ils le partagĂšrent , & continuĂšrent leur route, en s’entretenant de l’usage qu’ils feroient de leurs nouvelles richesses. Ils manquĂšrent de vivres , & il fallut envoyer Ă  la ville voisine en chercher. Le plus jeune fut chargĂ© de cette commission, & partit. Il se disoit en chemin Me voilĂ  riche; mais je le serois bien davantage , si j’avois Ă©tĂ© seul quand on a trouvĂ© le trĂ©sor mes compagnons de voyage m’ont enlevĂ© deux parts ; ne pourois-je pas les reprendre? Cela me seroit facile je n’aurois qu’à empoisonner les vivres que je vais chercher. A mon retour je dirois que j’ai dĂźnĂ© Ă  la ville mes compagnons mangeroient fans dĂ©fiance , & ils mourroient. Je n’ai que le tiers du trĂ©sor, & j’aurois le tout. Cependant les deux autres Voyageurs Ă©toient assis Ă  l’ombre , & ils se disoient a Vir qui feflinat ditari L" al iis invidtt , ignorĂąt qubd egeflassuperveniet ci. Prov. 28» des MƓurs. Nous avions bien affaire que ce jeune homme vĂźnt s’associer avec nous. Nous avons Ă©tĂ© obligĂ©s de partager le trĂ©sor avec lui sa part auroit dĂ» nous appartenir, & c’est alors que nous serions riches. 11 reviendra bientĂŽt. Nous avons de bons poignards. Le jeune homme revint ; ses compagnons l’assustinerent. Ils mangĂšrent ensuite des vivres empoisonnĂ©s ; ils moururent, & le trĂ©sor n’appartint Ă  personne. Ce qui devroit satisfaire l’avarice, ne fait que l’irriter ; c’est la soif de l’hydro- pique. L’avare, au milieu de ses trĂ©sors, est toujours malheureux, toujours pauvre, parce qu’il ne fait ni se borner ni jouir. Lesage, au contraire, l’homme modĂ©rĂ©, avec peu est toujours riche, toujours noble & libĂ©ral, toujours heureux. Si vous voulez rendre quelqu’un vĂšri . tablcment riche , disoit un ancien Philosophe , il ne faut pas ajoutera ses biens , mais seulement retrancher de ses defrs U de ses cupiditĂ©s. Savoir jouir de ce qu’on a, Ne rien souhaiter au-delĂ , Ne craindre en ses procĂšs l’argent ni la cabale , Un bon livre, un ami voilĂ  le vrai bonheur, La modĂ©ration du cƓur Est la pierre philosophale. Rzcxizr DesuarztsI Z 64 L’ É c o l ĂŻ L’Auteur de ces vers Pavoit trouvĂ©e, & c’est Ă  elle qu’il dut le bonheur de jouir de toute fa santĂ© & de tout son esprit „ au-delĂ  de quatre-vingts ans, comme il le dit lui-mĂȘme Soumis aux lois, libre >1» reste, Je me Cuis proposĂ© toujours De Cuivre le tranquille cours D’une vie Ă©gale St modeste, OĂč m’accommodant Ă  mon sort, Ne comptant pour rien de paraĂźtre. Et de lues dĂ©lits tendu maĂźtre , Je vĂ©cusse Ă  moi mĂȘme , en attendant la mort. Maintenant , grĂąces Ăč mon Ăąge , GrĂąces Ă  la droite raison, Qui ne luit jamais davantage Que dans notre arriere-CaiCon, Exempt de crainte, exempt d’envie, Satisfait d’un modique bien, Je commence Ă  mener la vie D’un homme qui n’aspire Ă  rien. Je ne fais la cour Ăą personne , De la paix de l’esprit je goĂ»te les plaisirs, Et je jouis dans mon automne. De l’indĂ©pendance que donne De retranchement des dĂ©sirs. L’homme heureux n’est pas celui qui n’a besoin de rien, mais celui qui peut vivre fans ce qu’il n’a pas, & que la privation de ce qui lui manque n’alfecte des MƓurs. z6s {joint. Un Solitaire avoit mis fur la porte de fa solitude Dans un lieu , du bruit retirĂ© , OĂč, pour peu qu’on soit modĂ©rĂ©, On peut trouver que tout abonde , Sans amour, fans ambition , Exempt de toute pafĂŻion, Je jouis d’une paix profonde ; Et pour m’assurer le seul bien Que l’on doit estimer au monde, Tout ce que je n’ai pas je le compte pdur rien. Il est plus facile de rĂ©primer un premier dĂ©sir, que de satisfaire tous ceux qui viennent ensuite, comme le disoit le Prince de Conti, il se refusoit Ăąux goĂ»ts, les plus innocens, Ă  la curiositĂ© mĂȘme des peintures , oĂč ses infirmitĂ©s auroient pu trouver un dĂ©lassement. Il rĂ©pondoit aux instances que lui faisoit lĂ -dessus la Princesse son Ă©pouse, qu’en se livrant Ă  un goĂ»t on s’accoutume Ă  se livrer Ă  tous , & qu’il faut savoir ou ne pas tout dĂ©sirer, ou se passer souvent de ce qu’on dĂ©sire. Ce retranchement, ou plutĂŽt cette modĂ©ration de dĂ©sirs, est en esset le seul moyen de nous rendre heureux. Nous ne prĂ©tendons pas nĂ©anmoins qu’elle puisse nous procurer une fĂ©licitĂ© pleine & inaltĂ©rable. Ce bien n’est rĂ©servĂ© que pour l’autre vie ; & la religion seule est a? q6§ L’ÉcolĂź chargĂ© de nous conduire dans la route du bonheur qu’elle nous prĂ©pare au- delĂ  du temps. Cette vie-ci est une vie de tentations & de combats, de peines & de traverses, d’afflictions & de chagrins. La constitution de notre corps, la foi. blesse de notre nature, l’activitĂ© des Ă©lĂ©- mens, la variĂ©tĂ© des saisons, les diffĂ©rentes sortes d’elprits, de caractĂšres & d’humeurs des personnes avec lesquelles nous sommes obligĂ©s de vivre, le choc des passions & des intĂ©rĂȘts, toutes ces choses nous empĂȘcheront toujours d’ĂȘtre ici bas parfaitement heureux. Dieu l’a ainsi voulu, afin que nous ne nous attachions ‱pas trop Ă  la terre, & que nous portions nos vƓux vers celui qui seul peut les remplir. Mais il est vrai aussi que, si quelque chose est capable de diminuer le nombre &la violence des maux que nous avons Ă  souffrir dans notre exil, c’est cette modĂ©ration de dĂ©sirs, que nous recommandons. C’est elle qui peut nous rendre heureux autant qu’on peut l’ĂȘtre fur la terre, fans que le bonheur prĂ©sent ruine les espĂ©rances de l’avenir. Elle est comme les heureuses prĂ©mices & le garant de la fĂ©licitĂ© qui nous est destinĂ©e dans le Ciel, puisque rien n’est plus conforme Ă  l’esprit de la religion, que de mettre des bornes Ă  ses dĂ©sirs, de n’avoir aucune attache au monde ni dbs MƓurs. 5 6 ? Ă  tous les biens du monde, dont la figure passe & s’évanouit comme l’ombre. Lorsqu’on vint apporter le bĂąton de MarĂ©chal de France Ă  M. de Castelnau , six heures avant fa mort, il rĂ©pondit Cela est beau en ce monde , mais je vais dans un pays oĂč cela ne me servira guĂšre. Nous devons penser de mĂȘme. La grandeur, la gloire, les richesses, les honneurs distinguĂ©s , rien de plus, beau ni de plus flatteur en ce monde mais en l’autre tout cela fera comptĂ© pour rien, & ne servira mĂȘme souvent qu’à rendre plus malheureux, parce qu’il aura rendu plus criminel. Que deviendront toutes ces choses frivoles, qui paroissent suc- eelßßvement sur la scene du monde, & aprĂšs lesquelles nous courons avec tant d'ardeur? que deviendront-elles, quand le monde lui-mĂȘme aura disparu ? Il n’en restera plus aucun vestige tout ira s’enfoncer & se perdre dans les espaces immenses de l’éternitĂ©. La vertu, qui pou- roit bien plus finement nous conduire Ă  la vraie fĂ©licitĂ©, que tous ces faux biens - la vertu que nous nĂ©gligeons , survivra seule Ă  la ruine de l’univers, & ne pĂ©rira point. Salomon , qu’aucun Prince n’égalera jamais ni pour la vaste Ă©tendue des con- noissances, ni pour la multitude des rieh elles j & qui a voit accordĂ© Ă  son cƓur gög L’ E c O L fc tous les plaisirs qu’il pouvoir dĂ©sirer , avouoit nĂ©anmoins lui-mĂȘme qu’il n’à- voit trouvĂ© dans toutes ces choses que vanitĂ©, & qu’il n’y avoir de vrai bien & de vrai bonheur que pour celui qui cherchent Ă  servir Dieu & Ă  lui plaire. C’elt ce que fait bien sentir une fiction in. gĂ©nieuse , attribuĂ©e Ă  Mademoiselle Bernard, qui s’est rendue cĂ©lĂ©brĂ© par soqet prit & par son talent pour la poĂ©sie. L’Imagination, amante du Bonheur, Sans cesse le dĂ©lire & fans cesse l’appelle ; Mais fur elle il exerce une extrĂȘme rigueur, Et, fait pour les dĂ©sirs, il est peu fait pour elle. Dans fa tendre jeunesse elle alla le chercher Jusque dans VAmoureux Empire ; Mais lorsque du Bonheur elle crut approcher, Le Soupçon, le jaloux Martyre, La DĂ©licatesse encor pire , Soudain Ă  ses transports le vinrent arracher. Dans un Ăąge plus mĂ»r, du mĂȘme objet charmĂ©e, Au palais de Y Ambition Elle crut satisfaire encor fa passion; Mais elle n’y trouva qu’une ombre, une fumĂ©e , FantĂŽme du Bonheur L pure illusion. Enfin dans le pays qu’habite la Ricbeße, SĂ©jour agrĂ©able & charmant, El'e va demander son fugitif amant. Elle y vit l’Abondance, elle y vit la Mollesse Avec le Plaisir enchanteur; Il n’y manquoit que le Bonheur. des MƓurs. 369 Xi voilĂ  donc encor qui cherche 8c Ce promenĂ©. La fie des grands chemins, elle trouve Ă  l’écart Un sentier peu battu qĂŒâ€™on dĂ©couvrait Ă  peine. Une beautĂ© simple 8c sans art, Du lieu presque dĂ©sert Ă©tait la souveraine. C’étoitla PiĂ©té» LĂ  notre amante en pleurs Lui raconta son aventure. 21 ne tiendra qu’à vous de finir vos malheurs . Vous verres Le Bonheur, c’est moi qui vous l’ajfure 9 Lui dit la fille sainte il faut, pour* Vattirer , Demeurer avec moi , s’Use peut , fans l’attendre , Sans le chercher , au moins fans trop le dĂ©sirer . Il arrive aussitĂŽt qu’on cesse d’y prĂ©tendre, Ou que dans Ja recherche on fait Je modĂ©rer* L'Imagination Ă  l'avis sut se remlre > Le lionheur vint sans diffĂ©rer. 37o L’É c o l Ăź XXXV. Ne demande{ Ă  Dieu ni grandeur ni richesse. C’es/t- lĂ , il est vrai, ce qui fait l’objet des dĂ©sirs & des vƓux empressĂ©s de la plupart des hommes ; mais ils ne dĂ©sire- roient guere avec tant d’ardeur, s’ils connoiflbient parfaitement ce qu’ils dĂ©sirent. Tu demandes aux Dieux ce qui te semble bon , disoit Diogene , eS ils t’exau- eeroient peut - ĂȘtre , s’ils n’revoient pitiĂ© de ton imbĂ©cillitĂ©. Qu’est - ce aprĂšs tout, devons - nous nous dire Ă  nous-mĂȘmes, que cette grandeur qui m’enchante, que ces honneurs qui me transportent , que cette poignĂ©e d’or qui m’éblouit ? Ne suffit - il pas de les examiner attentivement & dans le silence des paffions, pour en ĂȘtre bientĂŽt dĂ©trompĂ© ? Essayons de le faire ; & avant que d’aspirer aux honneurs ou aux richesses , mĂ©ditons un peu fur leur vanitĂ©. Rien de plus brillant que les grandes dignitĂ©s & les emplois honorables on se voit Ă©levĂ© au-dessus des autres hommes , on commande Ă  ses semblables, on reçoit leurs respects & leurs hommages. Mais perçons cette enveloppe Ă©clatante nous serons surpris de trouver que ces des MƓurs. 571 dignitĂ©s & ces emplois ne font le plus souvent que de grands fardeaux & de vraies servitudes, ou , pour se servir de l’expression d’un ancien Philosophe, d'honorables tortures si. On a trĂšs - bien comparĂ© ceux qui occupent les plus hauts rangs, Ă  ces corps cĂ©lestes , qui ont beaucoup d’éclat, & n’ont point de repos. La charge la plus belle , en charges est fĂ©conde ; Et les astres commis au rĂ©glement du Monde, Ecurie mettre en repos n’en Ă©prouvent jamais. Maelzv illz* Un Seigneur disoit Ă  Henri IV, que le bonheur d’ĂȘtre Roi palsoit pour si indubitable , que lorsqu’on vouloit exprimer qu’un homme Ă©toit heureux, on disoit ordinairement Il est heureux comme un Roi. C’est, rĂ©pondit ce grand Prince, qu’on ignore tout le poids d’une couronne qui est portĂ©e dignement. Ornement plus riche U plus noble que tu nĂ©s heureux , difqit Antigonus en considĂ©rant sa couronne , si l'on savoit combien de foins , combien de pĂ©rils ÂŁ 5? de miseres t accompagnent ; lorsque tu ferais par terre , on ne daignerait pas feulement te ramajjĂ©r. C1 Ad speciosa tormenta alligatui sub Ingmti Ăčtulo . Senec. Q_ 6 ?72 L’ E C O L E Ne croyons donc pas, avec le vulgaire imbĂ©cille , que les plus Ă©levĂ©s des hommes soient les plus heureux. Le bonheur est rarement assis fur le trĂŽne, comme l’avoua un jour ThĂ©odose le Jeune. Ce Prince s’étant Ă©loignĂ© de ses gens dans une chasse, arriva fort fatiguĂ© Ă  une cabane. C’étoit la cellule d’un AnachorĂšte. Le Solitaire le prit pour un Officier de la Cour , & le reçut avec honnĂȘtetĂ©. Ils firent la priĂšre & s’assirent. L’Empereur jetant les yeux de toutes parts, ne vit dan? la cellule qu’une corbeille oĂč Ă©toit un morceau de pain , & un vase plein d’eau. Son hĂŽte l’invite Ă  prendre quelque chose le Prince l’accepte. AprĂšs ce repas frugal, s’étant fait connoitre pour ce qu’il Ă©toit, le Solitaire se jette Ă  ses pieds. Mais l’Empereur le releva, en lui disant Que vous ĂȘtes heureux , mon Pere , de vivre loin des affaires du ßecle ! Le vrai bonheur n’habite pas Jbus la pourpre Je n ai jamais trouvĂ© de plies grand plaißr , UjuĂ  manger votre pain Ă  boire votre eau. L’Empereur Charla-Quint fit le mĂȘme aveu. Lorsqu’il fĂš dĂ©pouilla de ses Ltats en faveur de Philippe II son fils, dans une assemblĂ©e composĂ©e des plus grands Seigneurs de ses Royaumes , il lui dit Mon fils y je vous charge d'un fardeau bien pesant . Je vous rnets fur la tĂšte une des MƓurs. 37? couronne , dont les fleurons font entrelacĂ©s d’épines bien piquantes elle n’a qu’un faux brillant. Je n’ai pas goĂ»tĂ© dans la royautĂ© une feule heure de repos je n’y ai eu aucun p'.aifr qui n'ait Ă©tĂ© empoisonnĂ©. L’homme s’ennuie au milieu de lĂ  gloire, de ses titres & de ses envieux. Ces honneurs qui auroientdĂ», ce semble , satisfaire son cƓur, n’y portent que le dĂ©goĂ»t & l’inquiĂ©tude. La fortune peut nous rendre plus puissans , mais non pas plus heureux. „ Que ne puis - je, dit Madame de Maintenon , dans une de ses Lettres , vous peindre l’ennui qui dĂ©vore les Grands , & la peine qu’ils ont Ă  remplir leurs journĂ©es ! Ne voyez-vous pas que je meurs de trilsesse , dans une fortune qu’on auroit eu peine Ă  imaginer? Je fuis venue Ă  la plus haute faveur, & je vous proteste que cet Ă©tat me laisse Un vide affreux “. Quoi de plus capable de dĂ©tromper du bonheur prĂ©tendu des grandeurs humaines, qu’un tel aveu, fait par une personne que la Duchesse de Chaulnes appeloit la plus heureuse des femmes ! Et cette pensĂ©e de Mainard n’est- elle pas aussi vraie qu’elle est ingĂ©nieuse ? Tontes les pompeuses maisons Des Princes les plus adorables, Ne font qihe de belles prisons, Pleines Pillustres misĂ©rables. 374 L’Écol e ^ Madame de Pompadour , qui Ă©toit parvenue , comme ou sait, Ă  la plus haute faveur, dit aussi dans ses Lettres 2 „ Je m’apperqois de plus en plus que la] condition des Rois & des Grands est bien triste. Qu’il faut payer cher la pompe , la gloire & les magnifiques bagatelles, que le peuple ignorant a la bĂȘtise d’envier ! Pour moi , je vous avouerai que je n’ai pas eu six momens agrĂ©ables , depuis que je fuis ici. Tout le monde tĂąche de me plaire, & presque tout le monde me dĂ©plaĂźt. Les plus brillantes conversations me donnent la migraine. Je bĂąille au milieu des fĂȘtes, & j’éprouve fans cesse qu’il n’y a point de bonheur dans la vanitĂ© N’ambitionnez donc pas les distinctions & les honneurs c’est y mettre un trop grand prix que de les rechercher avec empressement. Lorsque les emplois, accordĂ©s par la Providence divine pour vous donner lieu d’exercer les talens qu’elle vous a confiĂ©s, viennent s’offrir Ă  vous, recevez- les avec reconnoissance, & remplissez-les avec honneur. Mais si l’on vous parle de les aller chercher, rĂ©pondez avec autant de ; modestie que 2 Quoiqu’elles ne soient pas d’elle , mais de M- CrĂ©billon le fils » elles n’expriment ici qu’un ien» riment auĂŒi vrai qu’il est ordinaire» des MƓurs. 37s de grandeur d’ame, que les moindres dignitĂ©s, quand elles font offertes comme la rĂ©compense du mĂ©rite , font dignes d'ĂȘtre acceptĂ©es & doivent l’ĂȘtre ; mais que les plus grandes font trop peu de chose pour ĂȘtre briguĂ©es , & que c’est cesser de mĂ©riter les honneurs que de demander ceux qu’on mĂ©rite. Il est vrai que la plupart des Grands, plus occupĂ©s d’eux-mĂȘmes que des autres, ou assiĂ©gĂ©s par des solliciteurs qui leur arrachent les grĂąces , ne pensent guere Ă  prĂ©venir & Ă  placer le mĂ©rite modelte qui ne demande rien Sans cesse l'importun demande, sollicite, On le trouve par-tout, & l’on n’entend que lui. C’elt ainli qu’on obtient les faveurs aujourd’hui, Et l’on va rarement'au-devant du mĂ©rite. R I CH ÂŁ Jt.. Mais il n’est pas moins vrai aussi, qu’il vaut mieux ne pas obtenir les places dont on est digne , que d’avoir celles qu’011 11e mĂ©rite pas. L’éclat des grands postes, qui rejaillit fur ceux qui les occupent, n’éclaire que leur honte, s’ils font incapables de les remplir, fa fortune, ainsi que le soleil, fait briller les insectes, mais elle ne les rend pas moins vils. Un sot dans l’élĂ©vation,est comme un homme placĂ© fur une Ă©minence, du haut de laquelle tout le monde lui paroit petit. 575 L* E c o 1 ĂŻ & d’oĂč il paroĂźt petit Ă  tout le monde. A quelque haut rang qu’il soit, on mĂ©prise celui qui est vraiment digne de mĂ©pris ; & on le mĂ©prise avec d’autant plus de plaisir qu’il est plus Ă©levĂ©. Les dignitĂ©s ne conviennent bien qu’à celui qui est dĂ©jĂ  grand par lui - mĂȘme. Mais un tel homme ne s’empressera pas d’aller, comme tant d’autres, offrir son encens Ă  l’idole de la grandeur. 11 en commĂźt trop la vanitĂ©. Il fait qu’il ne faut qu’un instant pour la faire dispa- roitre, & que bien certainement la mort, ce Ministre de la MajestĂ© & de la Justice divine destinĂ© pour confondre l’orgueil humain,la brisera & la rĂ©duira en poudre. 11 Jaisse donc aux autres briguer les grandes places , aimer Ă  se revĂȘtir de charges & d’honneurs pour se distinguer de leurs Ă©gaux & s’élever au- dessus d’eux. Il aime mieux triompher de lui-mĂȘme que de ses concurrens, & vaincre son ambition que ses rivaux. Il a les beaux sen- timens exprimĂ©s dans ces vers sublimes Loin de nous , vains dĂ©sirs de oes pomper siiprĂ©mes, 11 faut nous Ă©lever, mais c’est contre nous-mĂȘmes . Et triompher du vice Ă  nos pieds abattu. Ne cherchons qu’en nous seuls des conquĂȘtes nouvelles , Et croyons qu’il n’est point de palmes Ă©ternelles, Que celles qu’on reçoit des mains de la vertu. Malievuib. des MƓurs. 377 Ce n’est pas qu’il faille mĂ©priser les honneurs & les emplois distinguĂ©s 011 doit tĂącher mĂȘme de s’en rendre digne. Mais le Sage se console, s’il ne les a pas, lorsque, pour y monter, il lui faudrait suivre ces sentiers obscurs & tortueux , par lesquels l’ambition conduit il souvent aux grands postes, & qui ne furent jamais le chemin de la vertu. Oui , dit-il quelquefois , je renonce sans regret Ă  toutes les dignitĂ©s , ß pour y parvenir je dois , comme tant d'autres , fouler aux pieds honneur , probitĂ© , sentiment , %? fur ces ruines Ă©lever ßédifice de ma grandeur. Combien deserpens , Ă  force de ramper, arrivent enfin Ă  la cime d’un arbre r qui n’étoit fait que pour servir de retraite aux oiseaux du ciel ! Lorsque la fortune nous nĂ©glige, pour Ă©lever aux premiĂšres places des hommes mĂ©prisables & fans mĂ©rite , ce n’est pas nous qui sommes le plus Ă  plaindre ; & c’est peut-ĂȘtre moins une injure qu’elle nous fait, qu’un bon office qu’elle nous rend. Le changement de fortune change d’ordinaire les mƓursj en quittant son ancien Ă©tat, on y laine sa vertu & son mĂ©rite; & l’on ne cesse souvent de pa- roĂźtre digne des emplois honorables, que lorsqu’on les a obtenus. Il y a dans la vie de Timur - Lench , c’cst-Ă -dire , Timur le Boiteux , plus 578 L’ É c o i ĂŻ connu sous le nom de Tamerlan, un trait qui montre bien ce que ce fameux conquĂ©rant pensoit des honneurs & des dignitĂ©s qui paroissent les plus dignes d’envie. AprĂšs avoir dĂ©fait & pris Bajazet, Empereur des Turcs, il le fit venir en fa prĂ©sence. S’étant apperçu qu’il Ă©toit borgne , il se mit Ă  rire. Bajazet indignĂ©, lui dit fiĂšrement Ne te ris point, Timur, de ma fortune apprends que c’est Dieu qui est le distributeur des Royaumes & des Empires, & qu’il peut demain t’en arriver autant qu’il m’en arrive aujourd’hui. Je fais, lui rĂ©pondit Timur, que Dieu est le dispensateur des Couronnes. Je ne ris point de ton malheur, Ă  Dieu ne plaise mais la pensĂ©e qui m’est venue en te regardant, c’est qu’il faut que ces Sceptres & ces Couronnes soient bien peu de chose devant Dieu , puisqu’il les distribue Ă  des gens aufii mal-faits que nous deux, Ă  un borgne tel que tu es, & Ă  un boiteux comme moi. Ne pouroit- on pas dire la mĂȘme chose des richesses, Ă  voir la maniĂ©rĂ© dont le plus souvent elles font distribuĂ©es ? Les plus heureux ou les plus habiles, quelquefois les plus mĂ©chans & les plus indignes les attrapent. Les honnĂȘtes gens n’ont souvent que de belles espĂ©rances ils restent dans l’indigence & dans l’obfi curitĂ©, tandis que d’autres , qui auroient des MƓurs. 37 9 dĂ» n’en sortir jamais , s’élĂšvent & laissent bien loin derriĂšre eux la vertu indignĂ©e. Ainsi l’écume des mers s’élĂšve fur leur surface, tandis que les perles restent au fond. Un Financier qui a voit amassĂ© de grands biens aux dĂ©pens de l’Etat, disoit Ă  un Sage. Il faut, je crois, bien delĂ  force d’esprit pour mĂ©priser les richesses. Vous vous trompez , lui rĂ©pondit le Phi- losophe , il suffit de regarder entre les mains de qui elles passent. Peu de bien avec l’innocence & la probitĂ©, vaut mieux que des tonnes d’or amassĂ©es par les mains de l’injustice. Le grand Turennc Ă©tant dans le ComtĂ© de la Mark en Allemagne, on lui proposa de lui faire gagner , par le moyen des contributions, cent mille Ă©cus , sans que la Cour en eĂ»t aucune connoissance. Il rĂ©pondit en riant AprĂšs avoir eu beaucoup de ces occaßens fans en avoir profitĂ©, je ne fuis pas d'humeur de changer de conduite Ă  mon Ă qe. On ne trouva dans ses coffres Ă  fa mort que cinq cents Ă©cus. A quoi servent les richesses , quand 011 est dĂ©vorĂ© de remords , ou que le trĂ©pas vient enfin les ravir Ă  son injuste possesseur ? Qui ne sait d’ailleurs que le bien mal acquis se dissipe vite , qu'il profite rarement, & passe encore plus rarement Ă  la troisiĂšme gĂ©nĂ©ration ? Et 38° L 1 È c e i e puis combien n’en coute-t-ii pas , lorC. qu’il faut, par la restitution, rĂ©parer ses injustices ! Il est plus aisĂ© de ne point prendre le bien d’autrui, que de le rendre. Ce que nous possĂ©dons semble en quelque sorte s’ĂȘtre identifiĂ© avec nous i & au moment mĂȘme qu’on va en ĂȘtre entiĂšrement dĂ©pouillĂ©, on se rĂ©soud encore avec peine Ă  en faire le sicrifice. Un fameux Usurier se voyant prĂšs de mourir , fit enfin appeler un Confesseur. Celui-ci ayant trouvĂ© que tout son bien Ă©toit acquis par la voie injuste de l’usure, lui dit qu’il falloit absolument tout res. tituer. Mais que deviendront mes enfans , dit le malade ? Le salut fie votre ame, rĂ©pondit le Confesseur , doit vous ĂȘtre plus cher que la fortune de votre famille. Je ne puis me rĂ©soudre Ă  ce que vous exigez , reprit le moribond au dĂ©sespoir, fef j’en courrai les risques. Il se retourne vers la muraille de son lit, & meurt. Il n’est pas dĂ©fendu, fans doute, de dĂ©sirer de devenir riche, fi on le peut; mais il ne faut pas le souhaiter trop ardemment. Le dĂ©sir de faire fortune est souvent un grand Ă©cueil pour la vertu. Celui, dit l’Efprit-Saint, qui se hĂąte de s'enrichir , ne fira pas innocent. L'or , ajoute-1- il, en a prĂ©cipitĂ© plusieurs dans le malheur, U son Ă©clat a causĂ© leur perte. L'or est un sujet de chute Ă  ceux qui lui sacrifient des MƓurs. zZt malheur Ă  ceux qui le recherchent avec ardeur ! il fera pĂ©rir tous la insensĂ©s. 3 „ U11 Philosophe ayant perdu tout son bien dans une sociĂ©tĂ© qui l’avoit trompĂ© Je me repose, dit-il, sur l’argent que s aĂŻ- perdu , du soin de me venger de la mauvaise foi de mes associĂ©s. CratĂšs, qui pourtant auroitpu en faire un meilleur usage, jeta tout son argent dans la mer. J’aime, mieux dit-il, te faire pĂ©rir que de pĂ©rir par toi. Il elt plus facile de le passer des richesses que d’en bien jouir. On dit communĂ©ment , & tout le monde se le persuade , que si l’on Ă©toit riche , on feroit un bon usage de ses richesses. Mais donc une chose si aisĂ©e ? Est-il si facile qu’on le pense, de rĂ©sister continuellement Ă  ses paillons, lorsqu’on a tant de moyens & d’occasions de les satisfaire ? Et ne faut-il pas bien de la sagesse pour ne faire jamais de son opulence qu’un usage permis & lĂ©gitime ? L’emploi que la plupart des riches font de leurs trĂ©sors , devroit consoler de ne les avoir pas. Les richesses sont des biens sans doute, mais, par l’ulĂ ge qu’on en fait, elles 3 QjiifefHnat iitan , nontrit innocent. Prov. 2$. Va i/Ă€s qui se ftantur illud t § 7" omnis imprudent deperiet ‱ n illo, ileeli. Zi. z8r L’ È c o l e deviennent souvent plus nuisibles Ă  l’homme que ce qu’il appelle des maux. On abuse de ces rieb elfes, qui donnent le pouvoir de faire bien des choses qu’il est bon de ne pouvoir faire. Au lieu de les employer Ă  secourir les malheureux, Ă  consoler l’affligĂ©, Ă  rĂ©compenser le mĂ©rite & la vertu ; combien n’y en a-t-il pas qui s’en servent pour opprimer le pauvre, pour Ă©taler un luxe orgueilleux & insultant, pour nourrir une sensuelle dĂ©licatesse, & pour satisfaire toutes leurs pallions ! Il me semble les voir, ces passions , se rassembler en foule autour du riche , crier avec importunitĂ© & s’agiter avec fureur , ou le presser plus puissamment encore par leurs attraits, parce qu’elles lui voient entre les mains de quoi les appaifer. Comment rĂ©sistera-t-il Ă  tant d’ennemis ? Que poura fa foible vertu , quand tous ses sens flattĂ©s se ligueront contre elle, & qu’il lui faudra lutter sons cesse contre ses plus doux penchans. Mais je veux qu’il en triomphe trouvera-t-il dans ces biens tout le bonheur qu’il en attend ? TourmentĂ© par l’inquiĂ©tude ou par la satiĂ©tĂ© mĂȘme de ses dĂ©sirs , fatiguĂ© par les embarras de son Ă©tat, dĂ©vorĂ© par l’ennui, combien de fois ne portera-t-il pas envie aux plaisirs imiocens & Ă  l’heureuse tranquillitĂ© des des MƓurs. conditions moins riches & moins Ă©clatantes ! Henri IV, du faĂźte des grandeurs, qui l’embarrĂąssoient pourtant moins qu’un autre, faisoit l’éloge de la mĂ©diocritĂ©. Il trouvoit heureux le Gentilhomme qui, avec dix mille livres de rente & moins encore, savoir vivre loin de la Cour. Une fortune mĂ©diocre suffit Ă  nos vĂ©ritables besoins le relie n’elt qu’osten- tation & vanitĂ©. Il faut du bien fans doute, mais Ă  quoi sert le superflu ? On ell riche avec peu de bien, quand ou sait se passer des choses inutiles. - ArchĂ©- laiis, Roi de MacĂ©doine, ayant offert de grandes richesses Ă  Socrate , s’il vou- loit venir Ă  fa Cour, ce Philosophe lui rĂ©pondit La mesure de farinese vend peu de chose Ă  AthĂšnes , 0? Peau ny coĂ»te rien. Quand on a le nĂ©cessaire, c’est une folie de souhaiter de grands biens. Si l’on est plus riche, on dĂ©pense Ă  proportion de ce qu’on a, & les fantaisies augmentent comme la facilitĂ© de les satisfaire. Combien de choses qu’on dĂ©sire avec ardeur, parce qu’on les croit nĂ©cessaires , & qui pourtant ne le font pas ! Le trait si connu de Dioyene , quoique fans doute portĂ© trop loin , ne le prouve peut-ĂȘtre que mieux par fa singularitĂ© mĂȘme. Ce Philosophe, qui n’av oit pour y ?84 L’École tout bien qu’un tonneau, une besace, uneĂ©cuelle & une tasse , ayant apperçu un jeune homme qui buvoit dans le creux de fa main , jeta lĂ  tasse comme une chose peu nĂ©cessaire. Vous savez qu’Alexandre vint un jour le voir, & le pressa de lui demander ce qu’il vou- droit. Mais ce Philosophe qui se chauf- foit alors aux rayons du soleil dans son tonneau, rejetant les offres de ce Prince, le pria seulement de ne pas lui ĂŽter par son ombre la chaleur du soleil. Ce dĂ©tachement des biens & des honneurs , qu’Alexandre admira , & qui lui fit dire que s’il n’étoit pas Alexandre il voudroit ĂȘtre Diogene , n’étoit dans cet homme singulier , ainsi que dans la plupart des anciens Philosophes, qu’un orgueil plus raffinĂ©, qui lui faifoit, comme le lui a reprochĂ© Platon, fouler aux pieds le fasse par un autre faste. Ce n’est guĂšre que dans les fixateurs de la Religion ChrĂ©tienne que peut ĂȘtre sincĂšre & vĂ©ritable le mĂ©pris de ces biens, qui sont si chers au cƓur de l’homme. Pour quelques exemples, admirĂ©s parce qu’ils Ă©toient rares, que vante la Philosophie PaĂŻenne , &que la Philosophie de nos jours a mieux aimĂ© louer qu’imiter, combien d’autres, en plus grand nombre & plus parfaits, le Christianisme n'offre-t-il pas! On des MƓurs. ;8s On a vu dans tous les siĂšcles & dans le nĂŽtre mĂȘme , des personnes distinguĂ©es dans le monde par leur rang & par leur naissance -, renoncer Ă  l’agrĂ©ment d’une fortune au moins suffisante, Ă  la certitude d’un avenir encore plus flatteur , pour embrasser la pauvretĂ© Ă©vangĂ©lique. Ils ont quittĂ© avec joie des biens fugitifs & passagers, pour s’assurer des biens Ă©ternels & infinis, promis fur-tout Ă  ceux qui auront fait Ă  Dieu un gĂ©nĂ©reux sacrifice des richesses & des elps- rances de la terre. Parmi une infinitĂ© d’exemples que nous pourions citer, nous rapporterons celui du pieux PrĂȘtre Bernard. NĂ© Ă  Dijon en if 88 , d’une famille distinguĂ©e, il se livra d’abord aux plaisirs & aux amu- semens du monde mais enfin touchĂ© de Dieu, il se dĂ©voua tout entier au soulagement des pauvres, & leur donna tout son bien. Il refusa constamment les BĂ©nĂ©fices que la Cour lui offrit. Ün jour le Cardinal de Richelieu lui dit qu’il vouloit absolument qu’il lui demandĂąt quelque chose, & le laissa seul pour y penser. Le Cardinal Ă©tant revenu une demi-heure aprĂšs, Monseigneur , lui dit le PrĂȘtre Bernard , aprĂšs avoir bien rĂȘvĂ©, j'ai trouvĂ© enfin une grĂące Ă  vous demander. Lorsque je vais conduire les patiens d la potence , pour les ajpster Ă  la mort Tome III. K ;86 L’ É C 0 L E les planches de la charette fur laquelle on nous mette font fi mauvaises que nous courons risque Ă  chaque instant de tomber Ă  terre. Le Cardinal rit beaucoup de cette demande, & ordonna aussi-tĂŽt qu’on mĂźt la charette en bon Ă©tat. Ce saint homme , qui n’avoit rien Ă  demander pour lui - mĂȘme , parce qu’il Ă©toit dĂ©tachĂ© de tout, demandent souvent au contraire pour les malheureux. Ayant un jour prĂ©sentĂ© un placet Ă  une personne en place qui Ă©toit trĂšs-vive, cette personne entra en colere , & dit mille injures contre celui pour lequel M .Bernard s’intĂ©ressoit celui-ci insistant toujours, le Seigneur irritĂ© lui donna un soufflet. Sur le champ M. Bernard se jeta Ă  ses genoux , & lui dit, en lui prĂ©sentant l’autre joue Monseigneur , donnez-moi encore un bon soufflet fur celle -ci , accordez - moi ma demande. Le Seigneur confus de son emportement, & plein d’admiration pour la vertu du PrĂȘtre Bernard, lui accorda tout ce qu’il voulut. La fortune n’est jamais petite, quand on a peu de besoins & de dĂ©sirs. Dubien ! i’en aurois mains, que j’en aurais assez, A qui vit fans dĂ©sirs, en faut-il davantage ? REGNIER DeSMARETS, Heureux celui qui, comme çe Poste, DES M CE U S. Si Z87 sait mĂ©priser l’inutile & jouir du nĂ©cessaire ! Content avec un bien mĂ©diocre , il voit du port, Ă  l’abri de la tempĂȘte, tous les naufrages qui Ce font fur la mer orageuse de la fortune. Grands postes, biens immenses, les hommes vous dĂ©- lireroient-ils si passionnĂ©ment, si l’éclat dont vous brillez , ne les empĂȘchoifc d’appercevoir les Ă©cueils semĂ©s autour de vous ? le bien de la fortune est un bien pĂ©rissableĂź Quand on bĂątit fur elle , on bĂątit fur le fable. Plus on est Ă©levĂ© , plus on court de dangers- Les grands pins font en butte aux coups de la tempĂȘte ; ' Et la rage des vents brise plutĂŽt le faĂźte Des maisons de nos Rois que des toits des bergers.’ O bienheureux celui, qui peut de fa mĂ©moire Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire , Dont l’inutile foin traverse nos plaisirs Et qui, loin retirĂ© de la feule importune, Vivant dans fa maison content de fa fortune, A, selon son pouvoir , mesurĂ© ses dĂ©sirs Ăź Racait Vous voyez bien des gens qui ont beaucoup plus de richesses & d’honneurs que vous u’en souhaitez pour vivre heureux , & qui ne le sont pourtant pas ; pourquoi espĂ©reriez-vous de l’ĂȘtre plus qu’eux ? Celui qui n’a pas assez de ce qu’il possĂ©dĂ©, est auflĂź pauvre que celui ?88 L’Êcoie qui ne possĂ©dĂ© rien. Peu , au contraire, est beaucoup Ă  celui qui se contente de ce qu’il a. Ainsi l’ont pensĂ© les PaĂŻens mĂȘme. Fhocion , cĂ©lĂ©brĂ© AthĂ©nien, avoit dissuadĂ© Alexandre de faire la guerre aux Grecs , parce que c’étoit sa patrie, & lui avoit conseil lĂ© de tourner plutĂŽt ses armes contre les Perses. Alexandre, aprĂšs ses conquĂȘtes, lui envoya, par recon- noissance, un prĂ©sent de cent talens 4 . PhocĂźon demanda Ă  ceux qui les apportaient , pourquoi Alexandre vouloir faire Ă  lui seul une si grande libĂ©ralitĂ©. C’est i rĂ©pondirent-ils, parce que vous ĂȘtes le seul dans AthĂšnes qu’il ait reconnu pour homme de bien. Si Alexandre , reprit Phocion , ma connu tel dans la mĂ©diocritĂ© de ma fortune quil me laisse dans cette mĂ©diocritĂ© , qu’il me permette de refter homme de bien. En disant cela, il s'occupent Ă  tirer lui-mĂȘme de l’eau d’un puits, & fa femme faifoit du pain. Il persista toujours dans la fuite Ă  refuser avec la mĂȘme fermetĂ© les prĂ©sens d’Alexandre , quelque instance que ce Prince lui fĂźt. Il refusa Ă©galement les grandes sommes qu’Antipater, un des successeurs d’Alexandre,lui fit aussi offrir,; & comme on lui reprĂ©sentait que, s’il 4 te talent Atti^ue valoit trois mille livres de France. b e s MƓurs. 3S9 n’en vouloit point pour lui, il devoit du moins les accepter pour les enfans Si mes enfans font sages , rĂ©pondit - il, Us auront assez de ce qui me suffit d moi- mĂȘme U s’ils ne le font pas , ils en auront trop. Heureux , dit le Sage, celui qui na point couru aprĂšs l’or ! Qui efi cet homme ? & nous le louerons f . Le mĂ©pris de ce mĂ©tal si recherchĂ©, si dangereux & si souvent funeste Ă  l’innocence, est un des plus sĂ»rs remparts de la vertu. Il est difficile de corrompre celui qui n’est point avide de richesses , qui a peu de besoins, & qui lait se contenter de ce qu’lia. La Cour d’Angleterre avoir intĂ©rĂȘt d’attirer un Seigneur Anglois dans son parti. M. Walpole va le trouver. Je viens, lui dit-il, de la part du Roi vous assurer de fa protection, vous tĂ©moigner le regret qu’il a de n’avoir encore rien fait pour vous, & vous offrir un emploi plus digne de votre mĂ©rite. Milord, lui rĂ©pliqua ce Seigneur, avant de rĂ©pondre Ă  vos offres, permettez-moi de faire apporter mon souper devant vous. On lui sert au mĂȘme instant un hachis , fait du reste d’un gigot dont il avoir dĂźnĂ©. Se tournant alors vers M, Walpole Milord, ajouta-t-il, pensez. vous qĂč’un homme qui fe contente d’un iO ... Ouis est hic? ÂŁ t Uudabimus eum. Eccli. zl', R ' » 390 L’ É C O L E pareil repas, soit un homme que la Cour puise aisĂ©ment gagnerDites au Roi ce que vous avez vu ceji la feule rĂ©ponse que s ai Ă  lui faire. Que ces exemples de dĂ©sintĂ©ressement & de modĂ©ration font rares ! & combien peu font Ă  l’épreuve de cet aimant puissant & en pour m’instruire de tout ce 400 L’ É C O L E que je dois faire afin d’ĂȘtre agrĂ©able Ă  vos yeux. Salomon eut le bonheur d’obtenir ce qu’il demandoit. Dieu lui accorda la sagesse, & avec elle tous les autres biens qu’il ne demandoit pas. C’est aussi ce qui vous arrivera, si vous ĂȘtes assez heureux pour obtenir la sagesse. Elle vous procurera tout ce qui vous est nĂ©cessaire pour passer heureusement cette vie, & vous tiendra lieu de tout le reste. Que peut-il manquer Ă  celui qui est sage, pour ĂȘtre heureux autant qu’il est permis de l’ĂȘtre fur la terre? N’a-t-il pas cette tranquillitĂ© d’ame, qui est, selon l’expression de l’Ecriture, comme un festin continuel , cette paix de la conscience & cette modĂ©ration de dĂ©sirs , qui font les plus doux fruits delĂ  vertu? VoilĂ  ce qui le rend le plus heureux Ă  s hommes. Tout ce que la fortune peut donner, ne vaut pas ce qu’il possĂ©dĂ©, puisqu’il a la sagesse; & que sont tous les biens du monde au prix d’elle ? Que servent Ă  F insensĂ© tous ses trĂ©sors , suivant la belle pensĂ©e de Salomon , puisqu’il ne peut en acheter la fy'Js* C 7 ‱ Mais ce bien prĂ©cieux, c’est, apres Dieu , aux parens Ă  le procurer Ă  leurs 7 prodeß ßulto habere diyitias , cĂčm sapiens emt,re non pojsit ? I’rov. 17. des MƓurs. 401 enfans par une vertueuse Ă©ducation ; & c’est aux enfans Ă  le mĂ©riter par une grande docilitĂ©. Il y a tout Ă  espĂ©rer de celui qui est docile, & qui reçoit avec attention les sages leçons qu’011 lui donne, Aufli cette qualitĂ© si nĂ©cessaire, qui est en mĂȘme temps le principe & le fruit d’une bonne Ă©ducation, le Dauphin, fils de Louis XV , avoit eu foin de l’inspirer de bonne heure Ă  ses enfans ; & son fils aĂźnĂ© le Duc de Bourgogne, jeune Prince de beaucoup d’esprit & d’une grande espĂ©rance , en donna un jour un bel exemple. Il avoit contredit son Gouverneur , & dans la vivacitĂ© de la dilpute il s’échappa jusqu’à lui dire Nous verrons qui de nous deux aura raison. Mais faisant ausiĂź-tĂŽt rĂ©flexion que cette saillie Ă©toifc contraire Ă  la dĂ©fĂ©rence & Ă  la docilitĂ© qu’il lui devoir, il ajouta sur le champ Ce sera vous sans doute , parce que vous ĂȘtes plus r asonnable que moi. Cette estimable docilitĂ© est un des meilleurs moyens d’acquĂ©rir la sagesse & toutes les vertus. En ouvrant l’oreille aux bonnes instructions , elle les fait descendre jusque dans le cƓur, pour y rĂ©pandre des germes fĂ©conds. Mon fils , dit l’EcclĂ©siastique , aimez dĂšs votre premiĂšre jeunesse Ă  ĂȘtre instruit , & vous acquerrez une sages'e que vous conserverez jusqu’à la vieiĂŒes'e. Approchez-vous de la 4oa L’ É c o l e sagesse de tout votre coeur. Cherchez-la avec soin, U elle vous fera dĂ©couverte ? & quand vous ĂŻaurez une fois embrassĂ©e , ne la quittez point car vous y trouverez Ă  la fin votre repos , sy elle Je changera pour vous en un sujet de joie 8 . Les lumiĂšres de la raison ont dĂ©couvert aux PaĂŻens mĂȘme cette excellente vĂ©ritĂ© & l’on nous a conservĂ© Ă  ce sujet une belle fiction morale de Crantor , Philosophe Platonicien. Il disoit que les DivinitĂ©s qui prĂ©sident Ă  la richesse, Ă  la voluptĂ© , Ă  la santĂ© & Ă  la vertu , se prĂ©sentĂšrent un jour Ă  tous les Grecs rassemblĂ©s auxjeux Olympiques, afin qu’ils leur marquassent leur rang, suivant le degrĂ© de leur influence sur le bonheur de l’homme. La Richesse Ă©tala si magnificence , & commençoit Ă  Ă©blouir les yeux de ses Juges , quand la VoluptĂ© reprĂ©senta que l’unique mĂ©rite des richesses Ă©toit de conduire au plaisir. La SantĂ© dit que fans elle les plus grands plaisirs sont amers , & que la douleur prend bientĂŽt la place de la joie. Mais la Vertu termina la dispute, & fit convenir tous les Grecs que la richesse, le plaisir 8e la santĂ© ne durent pas long-temps fans elle, ou deviennent des maux pour qui ne fait pas 8 ... In , ovijjĂźmis enim inventes requiem in e ^-Ăą-AĂ , r MÉMOIRE S V R LA MENDICITÉ. Si quis non vult operari , nce manducet. 11. T H E S S A Z. 10. Si quelqu'un ne veut point travailler , qu'il ne mange point. AVERTISSEMENT. C E MĂ©moire a Ă©tĂ© composĂ© pour une AcadĂ©mie , & par le zele du bien public. Le mĂȘme motif engage Ă  le faire imprimer Ă  la fin de ce Volume. Il ne doit pas d’ailleurs paroltre dĂ©placĂ© dans un Ouvrage , dont plusieurs Maximes tendent Ă  inspirer la bienfaisance N l'inclination Ă  secourir les indigens. On y trouvera un moyen aussi simple N facile , que juste raisonnable , de soulager la plus nombreuse partie des malheureux , U d’'assurer le bonheur de tous les vrgis pauvres. Un sujets conforme aux vƓux de l'humanitĂ©, pouroit - il ne pas intĂ©resser tous les cƓurs Immaihs N sensibles ? Il convient Ă  tous les pays qu infecte le chancre contagieux de la MendicitĂ© , & combien ny en a-t-il pas ! MEMOIRE SUR LA MENDICITÉ, Qiii a concouru au prix de VAcadĂ©mie des Sciences, Arts & Belles-Lettres de ChĂąlons-sur-Marne , U qui a obtenu Z’acceffit. Le sujet proposĂ© Ă©toit d’indiquer les moyens de dĂ©truire la mendicitĂ© , en rendant les mendians utiles Ă  l’Etat, fans les rendre malheureux* hi=========ĂŠiùßs=======s. D E tous les sujets , qui ont Ă©tĂ© depuis long-temps donnĂ©s par les diffĂ©rentes AcadĂ©mies de l’Europe, il en est peu qui m’aient paru plus beaux , plus utiles, plus intĂ©rclfans que celui que vous avez choisi, Meilleurs, pour en faire cette annĂ©e l’objet du triomphe littĂ©raire dans votre AcadĂ©mie. Quel avantage inestimable ne procurera-1-on pas Ă  la sociĂ©tĂ© , T 3 4$8 MĂ©moire si par des moyens surs & faciles, on peut parvenir Ă  la dĂ©charger d’une multitude avide d’infectes rampans qui, ne parodiant nĂ©s que pour dĂ©vorer les fruits de la terre, fe multiplient tous les jours de plus en plus, malgrĂ© tous les efforts qu’on fait pour s’en dĂ©livrer! Quelle source de riqhesses pour le Royaume, si , en employant Ă  des travaux utiles tant de fainĂ©ans valides, on peut les faire servir Ă  enrichir un Etat qu’ils appau- vriffoient, & restituer Ă  la Patrie des hommes dont l’oisivetĂ© , l’horreur du travail lui dĂ©roboient des bras destinĂ©s Ă  la servir ! .Quel bien infini pour les mƓurs, pour la police , si l’on peut abolir la mendicitĂ©, cet Ă©tat funeste de fainĂ©antise, quelquefois encore plus rempli de vices que de miferes, plus chargĂ© de crimes que d’opprobre, & oĂč , aprĂšs avoir perdu toute honte, on perd souvent toute vertu! Que je m’estimerois heureux, si je pouvois contribuer Ă  une rĂ©forme si avantageuse, qui fait depuis long-temps l’objet des vƓux de tous les bons citoyens! AnimĂ© par l’intĂ©rĂȘt du bien public encore plus que par l’amour de la gloireje vais dans ce MĂ©moire exposer mes idĂ©es , joindre mes pensĂ©es , mes rĂ©flexions Ă  celles que d’autres ont faites avant moi, proposer quelques sur la MendicitĂ©. 419 nouvelles vues pour Ă©claircir, rectifier, perfectionner, & rĂ©duire Ă  une pratique plus facile les moyens qui s’emploient dĂ©jĂ  avec succĂšs dans quelques pays voisins de la France. L’expĂ©rience est la pierre-de-touche de tous les systĂšmes. Tel plan qui pa- roiisoit solide, mis Ă  l’épreuve ne s’est trouvĂ© que creux. C’est donc d’aprĂšs l’expĂ©rience fur-tout que je vais parler. A la lumiĂšre de son flambeau , je ferai voir d’abord 1 inutilitĂ© ou l’insuffisance des divers moyens employĂ©s en France dans les diffĂ©rais temps pour abolir la mendicitĂ©. Je ferai connoĂźtre ensuite celui de tous les moyens qui paroĂźt le plus propre Ă  dĂ©livrer entiĂšrement & pour toujours, la sociĂ©tĂ© de ce mal si ancien & si rĂ©pandu , en rendant les mendians utiles Ă  l’Etat, sans les rendre malheureux. Je dirai peu de chose de neuf. Je prĂ©fĂ©rĂ© Ă  la gloire d’ĂȘtre inventeur celle d’ĂȘtre utile. J’aime mieux exposer sans art un plan avantageux & Ă©prouvĂ©, que de crĂ©er de brillantes chimĂšres, qui s’évanouiroient aux rayons purs & rĂ©flĂ©chis de l’expĂ©rience. PREMIERE PARTIE. Insuffisance des moyens employĂ©s en France jusqu Ă  prĂ©sent , pour dĂ©truire la mendicitĂ©. Si la mendicitĂ© devient quelquefois nĂ©cessaire, pour empĂȘcher les indigens de pĂ©rir; elle est sujette Ă  des incon- vĂ©niens si fĂącheux, Ă  des abus si grands, si multipliĂ©s, si reconnus, que l’Etat doit, s’il est possible , chercher Ă  l’abolir, en pourvoyant d’ailleurs Ă  la subsistance de tous les pauvres. Aussi la plupart des Gouvernemens se souvent occupĂ©s , comme ils le font encore aujourd’hui , de cette partie importante de l’administration. Combien depuis deux siĂšcles , pour ne pas remonter plus haut, combien d’ordonnances, de dĂ©clarations, d’arrĂȘts ont Ă©tĂ© portĂ©s dans la France feule au sujet des mendians ! Tous ces rĂ©glemens sont voir avec quel foin on s’est appliquĂ© depuis long-temps Ă  corriger le mal de la mendicitĂ©. Pourquoi donc , malgrĂ© tant de lois , ce mal s’est, il perpĂ©tuĂ©, s’ett-il accru mĂȘme au point oĂč il est aujourd’hui ? c’est que ces lois ne donnoient que des moyens insuffisans, dont l’effet fut peu durable. C’étoient sur la MendicitĂ©. 441 de ces remedes palliatifs, qui n’arrĂȘtent le mal que pour un temps , & lui laissent ensuite reprendre son cours. Non, quelque justes que puissent ĂȘtre les motifs des lois qu’on portera contre la mendicitĂ©, & quelque vigoureuse qu’en soit l’exĂ©cution, on ne rĂ©ustĂŻra jamais Ă  la proscrire , tandis qu’on n’aura pas fait prĂ©cĂ©der un remede efficace Ă  un mal si gĂ©nĂ©ral & si invĂ©tĂ©rĂ©. On crut l’avoir trouvĂ©, ce remede, dans l’établissement des HĂŽpitaux Generaux. On se hĂąta d’élever dans plusieurs villes des Ă©difices immenses, destinĂ©s Ă  recevoir un grand nombre de malheureux. On y rassembla beaucoup de pauvres valides & invalides. On y Ă©tablit des manufactures on y fabriqua ; & pour avoir le dĂ©bit, on vendit Ă  bon compte. Le plan Ă©toit beau, le projet magnifique, & l’exĂ©cution paroissoit devoir favoriser l’entreprise. Mais a-t-elle Ă©tĂ© aussi avantageuse Ă  l’Etat qu’on l’espĂ©ro-it ? ne lui a -1 - elle pas mĂȘme Ă©tĂ© plutĂŽt nuisible ? On a fait par-lĂ  tomber les fabricans particuliers, & l’on a ruinĂ© plusieurs familles qui lupportoient les charges de la Ville & de l’Etat. C’est ce qu’on n’avoit pas prĂ©vu, lorsque l’on commença en France ces grands asiles de la milere. Louis XIV, qui im- primoit Ă  toutes ses entreprises un air Ts 444 MĂ©moire de grandeur & de majestĂ© donna la premiĂšre idĂ©e de ces magnifiques HĂŽtels- Dieu , qui ont Ă©tĂ© construits dans plusieurs villes du Royaume, Ă  l’imitation de celui de la Capitale. Tel est l’ascendant qu’obtiennent sur l’esprit des autres hommes les gĂ©nies d’un ordre supĂ©rieur, nĂ©s pour donner le ton Ă  leur siede ils les entraĂźnent, ils les maĂźtrisent, & les forcent en quelque forte Ă  recevoir fans examen toutes leurs idĂ©es particuliĂšres, qui deviennent celles de la nation. Ce n’est qu’aprĂšs une certaine rĂ©volution d’annĂ©es, que l’illusion se disiipe , & qu’on a le courage de revenir de la prĂ©vention qui avoit sĂ©duit tous les esprits. Ainsi commence-t-on aujourd’hui Ă  ouvrir les yeux fur les inconvĂ©niens & fur le luxe dĂ©placĂ© de ces superbes bĂątimens, destinĂ©s Ă  renfermer la pauvretĂ© & l’infortune. On commence Ă  reconnoĂźtre qu’il seroit plus humain & mĂȘme plus noble d’employer au secours des malheureux les sommes que la charitĂ© publique leur consacre, que de parer de dehors brillans l’asile des infirmitĂ©s & de l’indigence. Pour Ă©lever ces somptueux Ă©difices , qui peuvent devenir en un moment la proie des flammes x il a fallu , par ignorance, ou par intĂ©rĂȘt, s’y opposent. C’est ce qui fait souvent Ă©chouer les Ă©tablissemens les plus utiles, lorsqu’ils ne font pas soutenus par des hommes de tĂȘte, dont le gĂ©nie s’élĂšve au-dessus des obstacles, & les mĂ©prise ou les surmonte. A toutes les objections qu’on pouroifr faire , la meilleure & la plus dĂ©cisive rĂ©ponse , c’est fans doute l’expĂ©rience. Que ce projet soit praticable , on ne peut en disconvenir, puisqu’il a lieu & le soutient dans plusieurs villes avec la plus grande satisfaction des habitans, qui en sentent de plus en plus tous les avantages. Cependant la plupart des habitans d’une de ces villes le regarderez d’abord comme impraticable 6. Ils y trouvoient des embarras & des difficultĂ©s fans nombre , & l’on peut dire que eet Ă©tablissement y a Ă©prouvĂ© Ă  fa nais. ' sance toutes les contradictions que les bons projets ont coutume d’essuyer. Si la chose enfin a rĂ©uffi ; si elle y a pris C€> Lts habitant d’Ath, ville da Haiiixut Autrichien. sur la MendicitĂ©, 465 aujourd’hui une confistancĂš solide, on le doit au zele des Magistrats, & fur-tout Ă  l’activitĂ© & Ă  la fermetĂ© du Chef de cette ville. Les grandes difficultĂ©s s’évanouirent bientĂŽt insensiblement les avantages se succĂ©dĂšrent ; & l’on fut Ă  la fin surpris de trouver si facile ce qui au premier coup d’Ɠil avoir paru presque impossible. RĂ©pondons nĂ©anmoins Ă  quelques objections les plus spĂ©cieuses, qui pouroient naĂźtre dans l’esprit des personnes mĂȘme les mieux intentionnĂ©es & les plus zĂ©lĂ©es pour le bien public. Plus on dĂ©sire ardemment , plus on craint pour le succĂšs ; & les vains fantĂŽmes quelquefois n’effraient pas moins que les objets rĂ©els 7 . Vous voulez, dira-t-on, que chaque CommunautĂ© nourrisse scs pauvres mais ce rĂ©glement peut tout au plus s’observer dans les lieux oĂč il y a beaucoup de per-, sonnes riches , comme en Hollande. Le succĂšs de cet Ă©tablissement ne dĂ©pend point de la richesse de l’endroit. Si la Hollande est trĂšs-riche, le pays d’ƾver- dun est trĂšs-pauvre. Ruremonde , oĂč il n’y a point de commerce , n’est certainement pas riche. Cependant on est 7 ' Ves ohjestions suivantes ont rĂ©ellement Ă©tĂ© faites Ă  Ath & ailleurs ; Si l’on y a rĂ©pondu I*rĂš5 €o;iuie nous le faisons ici. v 5 466 MĂ©moire parvenu Ă  y abolir la mendicitĂ© par Ăźe moyen d’une aumĂŽne gĂ©nĂ©rale. On peut ‱donc par le mĂȘme moyen l’empĂȘcher par-tout. Dans quelle ville, dans quel village les pauvres meurent-ils de faim ? Ils vivent par-tout de l’aumĂŽne , quoique souvent faite sans discernement ou Ă  de prĂ©tendus pauvres. La moitiĂ© de ces charitĂ©s, que la plupart des riches font aux mendians importuns, fuffiroit, fi elle Ă©toit distribuĂ©e par des personnes sages & prudentes * pour nourrir, non plus des fainĂ©ans indignes de tout secours, mais devrais indigens dignes d’ĂȘtre aidĂ©s. D’ailleurs fur trente personnes en Ă©tat de donner quelque chose, il n’y a souvent qu’un pauvre Ă  entretenir ; & il est impoflĂźble que ces trente personnes puissent se dĂ©ranger, en fournissant Ă  l’entretien de ce pauvre, Ă  proportion de leurs moyens. On poura donc faire exĂ©cuter ce rĂ©glement Ă  la campagne mĂȘme & dans tous les villages oĂč il y a de la police g. Mais quand il ne pouroit avoir lieu que dans les villes, ceseroit toujours un grand bien , parce que c’est S Une personne m’a dit que dans un gros vil. Ăźage de Flandre, un CurĂ© zĂ©lĂ© avoir Ă©tabli cet ordre, aidĂ© seulcimnt de deux des premiers du lieu ; & ils Ă©toieur heureusement parvenus Ă  y abolir entier-' ment sa MendicitĂ©. SUR LA Me N DI CI T i. 4§7 dans les villes fur-tout qu’on a le plus Ă  souffrir des mendians , qui s’y multiplient & s’y rassemblent davantage. Je conviens , ajoutera-1-on , que ce. projet est excellent pour les petites villes mais il eji presque impojsible de P exĂ©cuter dans les grandes , oĂč le nombre des pauvres est trop constdĂ©rable. Si les pauvres font en plus grand nombre dans les grandes villes , les fondations' & les aumĂŽnes y font aussi en proportion. Ces biens & ces aumĂŽnes y suffisent, non- feulement aux vrais pauvres, mais Ă  une multitude de fainĂ©ans, d’autant plus difficiles Ă  distinguer des autres, que la ville est plus grande & le nombre des pauvres plus considĂ©rable. Cet Ă©tablissement feroit donc plus nĂ©cessaire encore dans les grandes villes. Plus elles ont Ă  souffrir des mendians, plus elles font intĂ©ressĂ©es Ă  s’en dĂ©livrer, s’il est possible. Et pourquoi ne le feroit-il pas ? Il ne s’agira que de multiplier les quartiers, & de former plusieurs Bureaux. Si la ville est grande & a beaucoup d’indigens, il s’y trouve en mĂȘme temps beaucoup, de personnes pour faire l’aumĂŽne & pour avoir foin des pauvres. Il y a en Hollande plusieurs villes trĂšs-peuplĂ©es & trĂšs-considĂ©rables. Cependant on n’y mendie point, & tous les pauvres font secourus. C’est que cette V 6 468 M H M O I R E RĂ©publique , qui,malgrĂ© la diversitĂ© des sectes qui la divisent & des membres qui la composent, a su mettre dans fa police le mĂȘme ordre que dans son nĂ©goce, a Ă©tabli Ă  cet Ă©gard une sage discipline. On a soin de la maintenir, parce qu’on la regarde comme essentielle au bon ordre & Ă  la tranquillitĂ© publique. Les crimes en effet font trĂšs-rares en Hollande, parce qu’on n’y nourrit pas aux dĂ©pens des vrais pauvres la fainĂ©antise , qui nourrit tous les vices. Ce rĂ©glement n’y est pas moins avantageux au progrĂšs des fabriques, des arts & des mĂ©tiers , parce que tout le monde travaille ; & c’elt peut-ĂȘtre Ă  cet Ă©tablit fernem, que cette rĂ©publique florissante doit une partie de ses richesses & de l’étendue de son commerce. Combien de. matelots forts & robustes ne lui fournit- il pas ! & combien d’entre euxn’auroient jamais pris cet Ă©tat, fl la douce profeflion de mendianty Ă©toit permise, & auffi lucrative qu’ailleurs! Ne doutons pas que l’abolition de la mendicitĂ©, entre autres avantages, ne procurĂąt auffi en France aux rĂ©gimens provinciaux bien plus de soldats, & dans la fuite un plus grand nombre d’hommes mieux constituĂ©s, que ne le font d’ordinaire aujourd’hui les enfans des rnen- dians. On les voit la plupart contrefaits Sur la Mendiöite. 4S9 a eltropiĂ©s , parce que leurs parens occupĂ©s Ă  mendier, les abandonnent oĂč les nĂ©gligent. Ce qui n'arriveroit pas dans le plan que je propose. Les pauvres relieraient ehe’, 5 eux, & y Ă©leveroient leurs en la ns dans l’habitude du travail, qui les rendroit forts & vigoureux, & les mettrait en Ă©tat de servir le Prince & la Patrie. On ne serait pas obligĂ©., comme on doit le faire dans un HĂŽpital- GĂ©nĂ©ral , de sĂ©parer des personnes que Dieu a jointes ensemble , & d’anĂ©antir un des principaux effets d’un Sacrement qui n’elt pas moins respectable parmi les pauvres que chez les riches. Mais, dira-t-on encore, comment occuper tous les mendiais valides , les obliger au travail ? la plupart nont point appris de mĂ©tier. DĂšs qu’une sois on leur aura interdit le mĂ©tier honteux de mendier, ils seront obligĂ©s la plupart d’en apprendre un autre, qui fera plus honorable pour eux & plus avantageux Ă  la sociĂ©tĂ©. Chacun choisira celui pour lequel il se trouvera le plus propre, ou qui fera le plus conforme Ă  son goĂ»t, fl faudra sans doute dans les commence mens en aider plusieurs de la bourse des pauvres, en attendant qu’ils se soient mis en Ă©tat de gagner leur vie par le travail mais bientĂŽt ils le seront. Les manufactures, les arts , les mĂ©tiers 3 47 o MĂ©moire l’agriculture, les terrains incultes rĂ©clÂŁ ment en plusieurs endroits les bras oisifs. Ceux qui ne voudraient ou ne sauraient apprendre aucun mĂ©tier , ne pouroient- ils pas ĂȘtre employĂ©s utilement aux travaux publics , Ă  l’entretien des chemins, Ă  faire une partie de ces corvĂ©es si onĂ©reuses & si prĂ©judiciables aux habitans de la campagne ? Je ne fais qu’indiquer ici les principaux moyens de procurer du travail aux mendians valides. Chaque pays a ses ressources & ses travaux. Ceux qui font chargĂ©s de i’adminiitration publique les connoissent, & avec du zele ils trouveront facilement Ă  occuper tous leurs pauvres. Je dois leur laisser ce foin, persuadĂ© qu’ils sentiront eux-mĂȘmes tout l’avantage que le pays en doit retirer. L’Etat est comme une grande famille, dont !e Prince est le pere. Si tous ses enfans gagnent, l’Etat s’enrichit. Si un grand nombre ne gagne rien, & doit tirer sasubsistance de ceux qui travaillent, l’Etat devient pauvre & languit. Ainsi voit-on peu de fruits fur ces arbres, dont les branches parasites & gourmandes attirent Ă  elles ce suc prĂ©cieux, qui ne devoir couler que dans les branches fertiles. Il est donc de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, qu’on procure Ă  tous les membres de l’Etat sur la MendicitĂ©. 47r des moyens de travailler, parce qu’on procurera ainsi Ă  tous des moyens donnĂątes de subsister , sans ĂȘtre Ă  charge aux autres. Ce travail utile, en prĂ©servant les pauvres des vices dont l’oisivetĂ© est la source, fournira du moins Ă  une partie de leur subsistance, & sera toujours par consĂ©quent un profit pour l’Etat, qui les iiourriilbit Ă©galement Ă  rien faire. Quand on ne pouroit absolument procurer du travail Ă  tous les mendians valides , le plan que je propose n’en seroit pas moins utile. L’AumĂŽne gĂ©nĂ©rale bien administrĂ©e , seroit encore plus que suffisante Ă  leur entretien ; puisque dans l’état d’oisivetĂ© qu’ils professent, ils vivent tous de l’aumĂŽne , & que plusieurs y trouvent mĂȘme de quoi nourrir l’ivrognerie & la dĂ©bauche. Mais ne craignons pas que les pauvres qui voudront travailler soient souvent dans le cas de rester oisifs , pour peu qu’on ait foin de leur mĂ©nager les res. sources que peut fournir chaque canton Ă  ceux qui veulent travailler. Dans les lieux oĂč la mendicitĂ© a Ă©tĂ© proscrite, on a presque toujours trouvĂ© de quoi occuper & faire travailler tous les pauvres > & ils s’y font la plupart offerts & prĂȘtĂ©s de bonne grĂące. Ce fut, comme nous l'apprend un tĂ©moin oculaire, un spectacle bien satisfit! suit, le lendemain que 472 M Û. M O I R B la dĂ©fense de mendier eut Ă©tĂ© publiĂ©e h Ath, de Voir des pauvres, qui se di- soierft auparavant infirmes ou estropiĂ©s, devenus tout d’un coup ouvriers valides, aller se prĂ©senter au travail. On vit les filles de ces pauvres s’offrir pour apprendre Ă  filer, tricoter, faire de la dentelle. On vit les garçons courir chez les maĂźtres de diffĂ©rais mĂ©tiers , pour y ĂȘtre J reçus apprentis. Ils furent tous placĂ©s 1 en peu de temps, ou occupĂ©s Ă  travailler ' 1 chez eux ; & Ă  la seconde visite gĂ©nĂ©- 2 raie qu’on fit six mois aprĂšs, on n’en ’if trouva que quatre ou cinq qui ne tra- u vailloient point. On vit mĂȘme des vieil- Ă  lards octogĂ©naires , des mendians jubilaires , les uns faire des filets , d’autres Ă  tricoter, ou tourner le rouet pour mettre Ă  plusieurs fils ensemble, en un mot s’oc- ko cuper presque tous Ă  faire quelque petit ho travail proportionnĂ© Ă  leurs forces & Ă  le, leur capacitĂ©. La fainĂ©antise redevint ce to qu’elle devroit toujours ĂȘtre, un sujet nĂ© de honte ; & l’occupation , le seul titre qu lĂ©gitime Ă  la nourriture [ VI ]. toi Tel est l’avantage que cette ville a co, retirĂ© d’abqrd de cet utile Ă©tablissement. ‱ K Elle y gagne tout le travail que font me aujourd’hui ces pauvres & qu’ils ne fai- Ni soient pas. Les pauvres eux-mĂȘmes n’en bri font devenus que plus heureux. Iis font eu.' charmĂ©s d’ùtre assurĂ©s d’avoir toute lew P sur u MenĂ»icitI 47? vie de quoi subsister selon leur Ă©tat, d'ĂȘtre soulagĂ©s dans leurs maladies, & de n’ĂȘtre plus exposĂ©s Ă  tous les mauvais temps pour chercher leur pain de porte en porte. Comme ils avoient quelquefois d'abondantes, quelquefois d’in- suffifĂ ntes aumĂŽnes ; tantĂŽt ils man- geoient avec excĂšs , tantĂŽt ils n'avoient pas de quoi se nourrir ce qui ne pouvoit manquer de leur causer des maladies, dont la plupart Ă©toient les victimes. Aussi a-t-on remarquĂ© Ă  Ath , que fur cent ^pauvres qui mouroient auparavant dans une annĂ©e, il n’en meurt pas dix aujourd’hui. Combien un tel Ă©tablissement n’est - il donc pas avantageux Ă  l’Etat, & digne de l’humanitĂ©. On conserve la vie des hommes on Ă©pargne Ă  ses freies la honte de se mettre aux pieds de leurs semblables on pourvoit aux besoins de tous les indigens aucun n’est oubliĂ© ou nĂ©gligĂ©. Une ville paroĂźt n’ĂȘtre plus qu’une mĂȘme & grande famille, dont tous les membres concourent au bien commun. ReprĂ©sentez-vous cette quantitĂ© d’hommes fainĂ©ans , devenus ouvriers utiles. Non-feulement ils travailleront Ă  vos fabriques & les augmenteront, mais avec eux on en Ă©tablira de nouvelles, parce que la main-d’Ɠuvre fera plus multipliĂ©e 474 MĂ©moire & coĂ»tera moins, dĂšs que tout le monde travaillera. D’une multitude d’ouvriers nouveaux naĂźtra donc une nouvelle source de richesses. Les mƓurs mĂȘme y gagneront. En enlevant Ă  la fainĂ©antise ces nombreux troupeaux de mendians, dont la plupart crou- pissoient dĂšs l’enfance dans une oisivetĂ© infecte & corrompue , combien de vices & de dĂ©sordres le travail aflidu n’extirpera-t-il pas ? Les pauvres, qui ne viendront plus dans nos temples pour y troubler & y importuner la piĂ©tĂ©, mais pour*” y recevoir les instructions de leurs Pat leurs, seront mieux instruits, & plus en Ă©tat d’instruire Ă  leur tour leurs enfans ; au lieu que la plupart de ceux-ci, auparavant fans principes & fans Ă©ducation, renchĂ©rissoient souvent sur les vices de ceux qui leur avoient donnĂ© l’ĂȘtre. Ne craignons pas non plus que les pauvres consument auflifacilement en dĂ©bauches l’argent qu’ils auront reçu pour prix de leur travail. Ce qu’on acquiert fans peine, se dissipe vite mais ce qu’on amasse difficilement , se dĂ©pense de mĂȘme. Les habitans d’Ath, tĂ©moins des heureux effets, que le nouveau rĂ©glement produisent dans leur Ville, en firent si enchantĂ©s , qu’ils consentirent tous Ă  se cotiser volontairement par semaine ou par mois. Ces aumĂŽnes ont suffi, aux sur la MendicitĂ©. 47/ besoins des pauvres , & cependant la plupart des citoyens ont remarquĂ© avec surprise, qu’elles n’alloient pas Ă  la moitiĂ© de ce que leur coĂ»toient autrefois les aumĂŽnes faites aux mendians, parce qu’elles font dispensĂ©es avec plus d’ordre & d’économie [VII]. Dans chacune des principales auberges de la Ville , on a mis un tronc pour y recevoir les aumĂŽnes des Ă©trangers, qui se sont un plaisir de contribuer Ă  un si utile Ă©tablissement. On peut en placer Ă©galement dans les Eglises mais il n’est ni nĂ©cessaire ni peut-ĂȘtre mĂȘme Ă  propos d’y mettre les quĂȘtes pour les pauvres. Outre que ces sollicitations bruyantes interrompent l’Office divin & troublent l’attention des affistans , elles deviendront inutiles dans le systĂšme de l’aumĂŽne gĂ©nĂ©rale les personnes charitables donneront chez elles toute l’aumĂŽne qu’elles ont envie dĂ©faire. D’ailleurs ces quĂȘtes mĂȘme pouroient nuire. Plusieurs, pour se dispenser de donner aux quĂȘteurs de la Ville, prĂ©texteroient qu’ils ont donnĂ© aux quĂȘteurs d’Eglise. Les premiers une fois rĂ©butĂ©s & dĂ©couragĂ©s, les affaires des pauvres iroient bientĂŽt en dĂ©cadence ; & l’on seroit contraint de laisser renaĂźtre la mendicitĂ©, qu’on au. roit eu tant de peine Ă  dĂ©truire. Il faut donc prĂ©venir ce mal par toutes 47 6 MĂ©moire fortes de moyens, & il m’en reste encore un dernier Ă  proposer. S’il arrivoit des temps d’une mi fer e extrĂȘme, des calamitĂ©s publiques, de ces jours malheureux, oĂč les riches ont coutume de diminuer leurs aumĂŽnes, au lieu qu’ilsdevroient alors les augmenter* ou bien si un grand nombre de citoyens aisĂ©s , n’ayant plus fous les yeux les pauvres ni leur miser?, n’en Ă©tant plus importunĂ©s, n’entendant plus leurs cris & leurs plaintes, venoient Ă  en ĂȘtre moins touchĂ©s & Ă  retrancher leurs aumĂŽnes ; en un mot, s’il arrivoit , de quelque maniĂ©rĂ© que ce fĂ»t, que l’aumĂŽne gĂ©nĂ©rale & volontaire ne pĂ»t suffire Ă  l’entretien de tous les indi- gens , il faudroit alors que la CommunautĂ© y suppléùt. Puisque le superflu des riches est dĂ» aux pauvres, & qu’en le leur donnant ils ne font que payer une dette, qu’acquitter une de leurs plus justes & de leurs plus indispensables obligations ; une imposition fur le superflu seroit sans doute le moyen le plus propre & le moins onĂ©reux au peuple , pour supplĂ©er en cas d’insuffisance. Mais comme il seroit souvent assez difficile de dĂ©terminer le superflu , & que plusieurs n’en convien- droient pas, car il y a des personnes qui n’ont jamais assez ; le moyen le plus simple & le plus facile, lorsque la Corn- sur la. MendicitĂ©. 477 munautĂ© n’aura pas de biens qu’elle puisse appliquer Ă  cet usage, seroit peut-ĂȘtre dans ces cas extraordinaires, de mettre, avec la permission & l’autoritĂ© du Souverain , un lĂ©ger impĂŽt fur tous les citoyens. Je dis fur tous les citoyens fans exception lorsque les pauvres font dans une grande nĂ©cessitĂ©, la loi divine & la loi naturelle n’exemptent de l’aumĂŽne que ceux qui ne peuvent absolument la faire. Cette taxe pouroit se lever avec la taille, & mĂȘme Ă  proportion de la taille rĂ©elle ou personnelle. Je ne doute pas que les privilĂ©giĂ©s ne soient les premiers Ă  donner l’exemple, & ne veuillent ĂȘtre Ă  la tĂšte d’un impĂŽt si honorable. Peut-ĂȘtre que dans ces momens de crise , le Roi lui-mĂȘme, instruit & touchĂ© des grands avantages que procure Ă  l’Etat un si bel Ă©tablissement, se prĂȘtera volontiers Ă  le soutenir , en y consacrant quelques portions des revenus de l’Etat ou de l’Eglise. Les pauvres ne font - ils pas aussi les en fans ? Il faut d’une nĂ©cessitĂ© indispensable, que les indigens soient nourris & secourus il faut, Ă  quelque prix que ce soit, dĂ©livrer la sociĂ©tĂ© du flĂ©au funeste de la mendicitĂ©. FallĂ»t - il pour un si grand bien tolĂ©rer une taxe, cette taxe devrait ĂȘtre dĂ©sirĂ©e de tout bon citoyen. Mais elle n’aura lieu tout au plus que dans 4? 8 MĂ©moire quelques cas rares & momentanĂ©s. Les aumĂŽnes libres des personnes bienfaisantes , & une bonne administration de ces aumĂŽnes , jointes au travail des pauvres mĂȘmes , suffiront d’ordinaire pour les nourrir, comme elles ont suffi jus. qu’à prĂ©sent dans plusieurs villes , oĂč l’aumĂŽne gĂ©nĂ©rale est Ă©tablie. On y voit des personnes riches & charitables qui, convaincues que l’aumĂŽne bien faite,loin d’appauvrir , est souvent une nouvelle source de bĂ©nĂ©dictions & de richdsos, donnent tous les ans pour les pauvres le dixiĂšme de leurs revenus , d’autres le quinziĂšme; & ils ne font peut-ĂȘtre en cela que satisfaire Ă  l’obligation oĂč font tous les hommes de faire l’aumĂŽne selon leurs facultĂ©s. Mais quand toutes les personnes capables de contribuer , ne so cotiseroient qu’à une somme modique, cela suffirent presque toujours pour soulager & entretenir tous les indigens. Il seroit bien plus beau, plus noble , plus gĂ©nĂ©reux de se taxer ainsi soi-mĂȘme. Auffi ne proposons-nous l’autre moyen qu’à regret, & comme la derniere ressource dans les cas extrĂȘmes, oĂč le salut du peuple devient la premiĂšre loi [ VIII ]. Loin de redouter cette imposition dans les temps mĂȘme les plus fĂącheux, les personnes qui ont de l’humanitĂ© la dĂ©sire- 1 zont, persuadĂ©es que dans tous les temps '' J sus. la MendicitĂ©. 47- la CommunautĂ© doit nourrir ses pauvres , soit qu’ils mendient ou qu’ils ne mendient pas. Les seuls riches avares & inhumains la craindront ; & en effet elle ne tombera que fur eux; au lieu qu’elle dĂ©chargera les autres qui par charitĂ© & par compassion donnoient au-delĂ  de leurs moyens. N’est-il donc pas juste que tous contribuent Ă  la nĂ©cessitĂ© publique , dans les circonstances oĂč les personnes charitables se trouvent si surchargĂ©es, qu’elles ne peuvent suffire Ă  soulager tous les malheureux ? Et quel inconvĂ©nient y a-t-il en ce cas Ă  rĂ©gler, par la loi du Prince, des cotisations & des taxes, que des Ăąmes dures & des coeurs impitoyables ont rendues nĂ©cef. faires ? Mais faisons plus d’honneur aux riches ; & Ă  la gloire d’un siecle oĂč les personnes de distinction, fur les traces des Souverains, s’empressent Ă  donner tous les jours des marques Ă©clatantes de bienfaisance & d’humanitĂ©, pensons assez bien du plus grand nombre, pour espĂ©rer qu’ils se prĂȘteront avec zele Ă  contribuer de leurs biens Ă  l’établissement le plus avantageux peut-ĂȘtre qu’on puisse faire pour la sociĂ©tĂ©. Etablissement le plus propre , osons le dire, le seul propre Ă  dĂ©truire la mendicitĂ©, sans rendre les mendians malheureux ; puisque de tous 4$o MĂ©moire les moyens qu’on a employĂ©s jusqu’à prĂ©sent , c’est le seul qui ait parfaitement rĂ©uffi, & qui se soit le plus constamment soutenu. Je parle d’aprĂšs l’expĂ©rience, qui dĂ©pose unanimement en faveur de ce systĂšme ; & s’il en falloir encore des exemples aprĂšs tous ceux que j’ai dĂ©jĂ  rapportĂ©s, celui de la ville de Courtrai en Flandres, qui vient de l’adopter, pou- roit venir Ă  l’appui. En trĂšs-peu de temps tout y fut arrangĂ© sans obstacle, Ă  la satisfaction gĂ©nĂ©rale des citoyens , qui ne peuvent trop se louer aujourd’hui du changement prompt & universel, que ce nouveau rĂ©glement a produit dans leur ville , en faveur du commerce, des mƓurs , de l’ordre & de la tranquillitĂ© publique [IX]. Pourquoi ne pouroiton pas exĂ©cuter en France ce qui se pratique dans cette ville & dans plusieurs autres avec tant de succĂšs & d’avantage ? Ne nous faisons point un faux honneur de ne pas vouloir ĂȘtre ici les imitateurs des autres peuples , nous qui les imitons si volontiers en d’autres choses bien moins importantes. Adoptons fans peine ce qu’ils ont de meilleur ; A suivant le gĂ©nie propre Ă  notre nation , perfectionnons-le mĂȘme, s’il est possible. A la place de ces fondations magnifiques , mais insuffisantes & plus brillantes qu’utiles i Ă  la place de tanh sur la. MendicitĂ©. 481 tant d’aumĂŽnes, qu’une foule importune de mendians nous arrachent tous les jours fans reconnoissance comme fans mĂ©rite ; Ă  la place de tant de charitĂ©s mal distribuĂ©es , & plus propres Ă  entretenir ĂŻa fainĂ©antise qu’à soulager l’indigence, substituons une aumĂŽne gĂ©nĂ©rale, une sage distribution, une prudente Ă©conomie , des travaux lucratifs, qui puissent fournir aux besoins rĂ©els de tous les vrais pauvres. Tous les indigens seront nourris , tous les fainĂ©ans occupĂ©s, tous les malheureux secourus , tous les pauvres malades soulagĂ©s. Sans ĂŽter entiĂšrement de dessus la terre la pauvretĂ© , qui dans les desseins de la Providence y est nĂ©cessaire, on abolira pour toujours la mendicitĂ© qui y est au moins inutile. Loin d’en ĂȘtre plus misĂ©rables, les mendians eux-mĂȘmes n’en deviendront que plus heureux, en devenant plus utiles Ă  l’Etat, , Fin du MĂ©moire, Tome III. X 4ga SupplĂ©ment au MĂ©moire g— , = "V!rr!r;. Sa^^5Ăż= !—!- » SUPPLÉMENT A U MÉMOIRE SUR LA MENDICITÉ. [J. ] P ar-todt il a fait'connaĂźtre les vĂ©ritables pauvres , &c. C’est le tĂ©moignage que rend Ă  cet Ă©tablissement avantageux l’Auteur de /’ EncyclopĂ©die Ă©conomique , rustique 'est politique , imprimĂ©e Ă  Yverdun, petite ville assez peuplĂ©e du pays de Vaud en Suisse. Ce pays, situĂ© au nord du lac de Geneve, aLausanepour capitale, & sept ou huit autres petites villes. Le rĂ©glement dont je parle, fut d’abord Ă©tabli Ă  Yverdun oĂčil se pratique depuis 1760, & fut successivement adoptĂ© par les autres villes de ce pays. [ IL ] La maniĂ©rĂ© dont cela se fait dans line petite ville de Flandres , efl aujst ßmple que facile. C’est Ă  Ruremonde , ville des Pays-Bas Autrichiens. La police qui s’y observe Ă  l’égard des pauvres , est digne de servir de modele. Le plan en a Ă©tĂ© donnĂ© par un zĂ©lĂ© citoyen, qui avoit parcouru Ă  ce dessein plusieurs ContrĂ©es de l’Europe, pour y recueillir tout ce qu’il trouveroit de mieux en ce genre, À son retour, il a fait de trĂšs-beaux 6 uR la MendicitĂ©. 48; rĂ©glemens, qui ont dĂ©livrĂ© fa patrie de la mendicitĂ©. Ils s’y observent depuis plus de vingt ans, Ă  l’avantage des pauvres & de tous les habitans. C’est Ă  de tels bienfaicteurs de l’humanitĂ© qu’on devrait Ă©riger des statues. [ III. ] Dans quelques endroits on fait la qucte toutes les semaines , Uc. L’ApĂŽtre recommandoit aux premiers fidelles de mettre de cĂŽtĂ© un des jours de la semaine ce que chacun d’eux avoit intention de donner Ă  la quĂȘte qui se faisoit pour leurs freres iudigens i . On a vu parmi nous des maĂźtres charitables, & entr’autres M. JS * * *, un des meilleurs Imprimeurs & Libraires de Liege , engager tous leurs ouvriers parleurs conseils & par leur exemple , Ă  rĂ©server une petite partie de ce qui leur revenoifc chaque semaine de leur travail, pour la bourse des pauvres. Cette lĂ©gĂšre aumĂŽne dont ils ne s’appercevoient presque pas, ils la faisoient avec joie, non-seulement par charitĂ©, mais parce qu’ils pouvoient eux-mĂȘmes se trouver dans le cas un jour d’avoir besoin de l’aumĂŽne gĂ©nĂ©rale. La plupart des personnes du commun font austiplus en Ă©tat & donneront plus volontiers une petite somme chaque semaine, qu’une plus considĂ©rable tous les mois. i De. coilettĂŻs autem çuet fiunt in san&os j 7c. i. Cor. 16. X 2 434 SupplĂ©ment au MĂ©moire On fait Ă  Sedan la quĂȘte pour les pauvres tous les Dimanches & les plus grandes FĂȘtes de l’annĂ©e. Ce font les Dames qui la font tour Ă  tour. Un des principaux de la ville leur donne la main, & les conduit dans toutes les maisons & les assemblĂ©es. On assure que pendant cette quĂȘte elles font plusieurs fois obligĂ©es de vider leur bourse dans une plus grande , qu’elles font porter par leur domestique qui les fuit. On refuferoit souvent Ă  son Ă©gal, qu’on n’ose le faire Ă  une personne au-dessus de foi, & surtout aux Dames, qui naturellement font plus persuasives & plus engageantes que les hommes , pour les bonnes Ɠuvres auxquels"s elles s’intĂ©ressent. [iV. J On lui associera deux sous-maĂźtres , gjfc. comme on le fait Ă  K lire- monde. Chaque propriĂ©taire de maison y est obligĂ© d’ĂȘtre maĂźtre de quartier Ă  son tour pour un an. Il a pour adjoints ou fous-maĂźtres les deux propriĂ©taires voisins , & l’un d’eux lui succĂ©dĂ© l’annĂ©e suivante. Personne n’est exempt de cette charge; il faut la faire par soi-mĂȘme, ou mettre quelqu’un Ă  sa place. Si l’on trouvoit dans chaque quartier deux ou trois personnes zĂ©lĂ©es, qui voulussent ensemble se charger pour toujours de cet emploi, cela leroit peut-ĂȘtre encore mieux. Cette peine, qui d’ailleurs ne sur la MendicitĂ©. 48s seroit pas fort grande , parce qu’ils se- roient plusieurs pour s’aider ou fe supplĂ©er, tire du sein de la religion & de la charitĂ© un prix insini. [ V. ] Ils faifiront & mĂšneront Ă  la maison de force tous ceux quils trouveront mendier, ÂŁÂŁ c. Je crois qu’on doit mettre quelques modifications Ă  la dĂ©fense gĂ©nĂ©rale de 1 ailier entrer aucun pauvre ou mendiant, & Ă  celle de leur faire l’aumĂŽne. Il peut se trouver des indigens , qui soient obligĂ©s de passer par un pays pour retourner dans le leur. Une calamitĂ© survenue dans une contrĂ©e voisine, ou l’impuillance d’en soulager tous les pauvres, peut forcer ses malheureux ha- bitans Ă  chercher dans les pays voisins de quoi subvenir Ă  leurs pressans besoins. Dans ces cas & quelques autres semblables, leur refusera-t-on inhumainement les secours qui leur font nĂ©cessaires '{ & ne vaut-il pas mieux ĂȘtre trompĂ© quelquefois par de faux certificats, que de s’exposer Ă  violer la loi divine & naturelle , qui ordonne de traiter charitablement les Ă©trangers lorsqu’ils viennent pour demeurer quelque temps ou qu’ils passent, & de prĂȘter une main secoura- ble Ă  tous les pauvres 2 qui se trouvent 2 Frange efurunti pcntm tuum , cgznos va^ofjuc induc in Ă omum tuam , ifsc. II. /S. Frxcipio tibi ut aperias m&num fratrituo egcno O" pauperi. Deuter. 15. X Z 485 SupplĂ©ment au MĂ©moire dans la nĂ©cessitĂ©, puisqu’ils font tous nos semblables & nos freres? Le besoin unit tous les hommes par les liens respectables de l’humanitĂ©, & fait de l’univers entier une sociĂ©tĂ© d’amis qui doivent s’entr’aider rĂ©ciproquement. Mais aprĂšs avoir lu & examinĂ© les certificats des pauvres Ă©trangers, il faut les conduire Ă  l’HĂŽpital ou Ă  la personne chargĂ©e de la bourse des pauvres , afin d’en recevoir une lĂ©gĂšre aumĂŽne, fans leur permettre de mendier dans l’endroit. Pour veiller Ă  la manutention de ces divers rĂ©glemens , & pour parvenir Ă  purger entiĂšrement un pays de vrais bandits & vagabonds, rien ne seroit peut-ĂȘtre mieux que l’établiiĂźement d’une MarĂ©chaussĂ©e , composĂ©e d’un certain nombre d’hommes bien armĂ©s. C’est la plus grande terreur qu’on puisse donner aux voleurs & aux coquins, Ă  qui la couleur feule de l’uniforme impose. PrĂ©tendre dĂ©truire la mendicitĂ© dans l’intĂ©rieur du pays fans en garderies entrĂ©es, ce seroit vouloir Ă©puiser les eaux d’une riviere, fans avoir dĂ©tournĂ© les sources qui les augmentent. La levĂ©e & l’entretien d’un tel corps si nĂ©cetĂźaire Ă  la furetĂ© publique, coĂ»teroit beaucoup moins & ferviroit bien davantage, que ces patrouilles qu’on fait en plusieurs endroits, & qui delĂ  maniĂ©rĂ© sur la MendicitĂ©. 487 dont elles se sont,sont aussi inutiles qu’onĂ©reuses. C’est ce qui avoit engagĂ© quelques villages du ComtĂ© de Namur, Ă  substituer Ă  la place un homme de la MarĂ©chaussĂ©e de Bruxelles, qu’on avoit fait venir. Uveilloit fur quatre ou cinq villages , & il Ă©toit payĂ© par tous ceux qui Ă©toient obligĂ©s de faire la patrouille. Une personne qui a Ă©tĂ© chargĂ©e plusieurs annĂ©es de faire la rĂ©partition de ce que chaque contribuable devoit donner pour sa part, m’a dit que chacun d’eux n’eu Ă©toit par an qu’à neuf ou dix fous du pays , qui font quinze ou seize sous de France ; & qu’on ne voyoit plus aucun coquin ou vagabond. Un si utile Ă©tablis- sentent, qui subsiste encore dans plusieurs endroits de la Flandre, dura trop peu dans ceux dont je parle. L’homme de la MarĂ©chaussĂ©e fut renvoyĂ©, & les patrouilles furent rĂ©tablies par les intrigues d’un Maire qui retiroit quelque profit, lorsqu’elles se faisaient, ou plutĂŽt , lorsqu’elles se faisaient mal. L’intĂ©rĂȘt particulier sera-toujours le plus grand ennemi de l’intĂ©rĂȘt public. [ VI. ] L'occupation , leseiil titre legitim Ă  la nourriture. On doit distinguer les gueux proprement dits, c’est-Ă -dire , ceux qui le font par libertinage & par paresse, de ceux que la foiblesse de l’enfance , la caducitĂ© de la vieillesse, les 488 SupplĂ©ment au MĂ©moire infirmitĂ©s empĂȘchent de gagner leur vie par le travail. C’est un devoir indispensable de la charitĂ© chrĂ©tienne, & de i’hu- manitĂ© mĂȘme, de contribuera la sustentation de ces derniers. Mais c’est aux hommes robustes Ă  se charger de la portion du travail des infirmes , & les gueux n’en font pas exempts ; & c’est d’eux surtout que l’ApĂŽtre a dit que qui ne veut point travailler , ne doit pas manger . lien donnoit lui-mĂȘme l’exemple aux ChrĂ©tiens de la primitive Eglise , en travaillant Ă  des ouvrages de tapisserie, afin de ne pas leur ĂȘtre Ă  charge. Le travail doit ĂȘtre la premiĂšre ressource du pauvre ; A les personnes mĂȘme dĂ©chues, qui prĂ©tendroient, par rapport Ă  leur naissance ou Ă  leur Ă©tat, qu’elles ne doivent rien faire, seroient indignes d’ĂȘtre aidĂ©es de l’aumĂŽne publique. L’homme est nĂ© pour le travail ; & lorsque Dieu lui en imposa la peine, ce fut en la personne du premier & du plus ancien des nobles. Un fainĂ©ant doit ĂȘtre regardĂ© comme un monstre dans la sociĂ©tĂ© dont tous les membres doivent concourir au bien commun , par des travaux de l’eiprit ou du corps, en travaillant soi-mĂȘme ou en dirigeant le travail des autres. Il est des travaux honnĂȘtes, dont les personnes de nalliance & les com- plexions les plus dĂ©licates font capables, sur la MendicitĂ©. 4M Celui qui a pu s’adonner Ă  des exercices & Ă  des plaisirs fatigans, peut bien se prĂȘter Ă  des occupations moins pĂ©nibles, pour avoir du pain , fans que {a p preise lui fasse trouver dans sa naissance un motif d’ĂȘtre Ă  chargĂ© au public. [Vil.] Elles n alloient pas Ă  la moitiĂ© de ce que leur alitaient autrefois les aumĂŽnes faites aux mendians , &c. A peine le dessein fut-il formĂ© en Saxe d’abolir la mendicitĂ©, que tout le monde s’em- preilĂ  de seconder un projet Ci utile , & l’on comprit qu’on ne pouvoir l’exĂ©cuter que par le travail. ,, On employa , dit le Baron de Bielfe'ld , les mains des mendians Ă  filer la laine & le coton, Ă  tailler des bouchons de bouteille, Ă  prĂ©parer le chanvre pour la corderie , & Ă  d’autres travaux faciles Ă  apprendre. L’expĂ©rience m’a fait connonre, ajoute-t-il, qu’au bout de dix ans on n’a plus eu Ă  nourrir que quatre cents pauvres dans une vide capitale , qui contenoit au moins ce'ht mille habitans. L’entretien de ces quatre cenrs personnes coutoit» par annĂ©e commune , environ huit Ă  neul nulle Ă©cus d’Allemagne ce qui revendit Ă  vingt ou vingt-deux Ă©cris par tĂšte. Les memes quatre cents personnes peuvent encore gagner par leur travail quatre nulle Ă©cus par an. Ainsi chacun de ces pauvres coĂ»te Ă  l’Etat dix Ă©cus, Xf 49o SupplĂ©ment au MĂ©moire pour lesquels il peut ĂȘtre honnĂȘtement vĂȘtu, logĂ©, chauffĂ©, nourri ; & cent mille citoyens ne contribuent que quatre mille Ă©cus ou quelques liards par tĂȘte Ă  ce sage Ă©tablissement,. qui les affranchit de toutes les vexations des mendians. “ [ VLII. ] Dans les cas extrĂȘmes , oĂč le salut du peuple devient la premiĂšre loi. Il n’est point de vrai citoyen , qui ne dĂ©sire de voir la mendicitĂ© abolie, au moyen mĂȘme d’une contribution plus forte que la somme qu’il emploie pendant le cours de l’annĂ©e en aumĂŽnes. Dans le cas oĂč la libĂ©ralitĂ© feule ne suffiroit pas, on poĂčroit, comme on le fait dans quelques endroits, mettre en faveur des pauvres des impĂŽts sur les chevaux, fur les chiens 9, fur les cartes, fur les assemblĂ©es de jeux, fur tous les spectacles & divertĂ»fĂȘmens publics. L es plaisirs font toujours ce qui coĂ»te le moins ; & n’est- il pas juste que ceux qui les goĂ»tent, contribuent au soulagement des malheureux qui souffrent? Comme les impĂŽts qui ne tombent pas fur le peuple ne font point destructifs, on pouroit auili taxer les maĂźtres 3 On m’a dit que dans un gros village oĂč l’on avoit mi une taxe fur les chiens, on avoĂźt tuĂ© plus d’une vingtaine rte ces animaux, HU, jnangeoisnt lu jisiu futilement. sur la MendicitĂ©. 491 Ă  proportion de leurs domestiques & de leurs Ă©quipages, faire payer les galons , les dentelles, les broderies, les Ă©toffes prĂ©cieuses. Les personnes qui ont le moyen de les porter , n’en, souffriront pas beaucoup; & celles qui veulent se rstettre au-dessus de leur condition , mĂ©^ ritent bien de payer leur folie, il est bon, sur plus d’un objet, de tourner au profit des pauvres , le ridicule de ceux qui ne le font pas. [ IX. J En faveur du commerce, des mƓurs , de Cordre est de la tranquillitĂ© pu~ blique. Si l’on consulte l’Ecc'Rustique & le SĂ©culier, le Noble & le Roturier, le Citoyen riche & celui qui ne l’est pas; tous se plaignent de la multitude des pauvres & des vexations qu’ils eu Ă©prouvent. Mais ce qui se passe Ă  cet Ă©gard dans les villes, n’est nullement comparable Ă  ce qu’en souffrent les habi. tans de la campagne , oĂč les mendians, moins gĂȘnĂ©s par la Police,' demandent avec un certain empire, exigent mĂȘme avec insolence, & souvent peu contens de la charitĂ©, la reçoivent avec menace. Qu’on se figure le spectacle hideux d’une troupe de mendians, qui se prĂ©sentent sur le soir Ă  l’habitant de la campagne, pour demander l’hospitalitĂ©. Osera-t-il la leur refuser ? il s’exposeroit Ă  leur ret sentiment La leur accordera-t-il? fa X 6 492 SupplĂ©ment au MĂ©moire maison en sera toujours pleine*, & le gueux, qui sent bien qu’il entre plus de crainte que de compaiĂŻion dans cette complaisance, n’en est que plus insolent & plus Ă  craindre. Comme ces troupes aussi redoutable^ que crasseuses de gueux, qu’on voit quelquefois dans les campagnes, n’y ont pour l’ordinaire ni feu ni lieu, elles se retirent dans les bois, dans les cavernes, dans les petits cabarets , y font des mariages crapuleux , & y commettent des horreurs. C’est de ces bandes de mendians, que sortent souvent les voleurs, les incendiaires, & tous les genres de scĂ©lĂ©rats qui infestent les villes & les campagnes. Tant d’abus & de dĂ©sordres ne font que trop sentir la nĂ©cessitĂ© d’établir pour les campagnes, comme nous l’avons dit „ une espece de MarĂ©chaussĂ©e elle les purgera des bandits & vagabonds , & servira Ă  y maintenir une police, au moyen de laquelle, en obligeant chaque CommunautĂ© de nourrir ses pauvres, on poura, ainsi que dans les villes, y abolir entiĂšrement la mendicitĂ©. Dans les malheurs particuliers, ou lorsqu’un vidage ne sauroit absolument nourrir tous ses pauvres , on ordonnĂšrent pour eux des quĂȘtes ailleurs , oĂč , ce qui vaudroit fans doute encore mieux, il faudroit avoir sur la MendicitĂ©. 49; dans les principales villes de chaque canton un fonds public, destinĂ© Ă  fournir des secours prompts aux besoins pressans dans lesquels pouroientse trouver quelquefois les pauvres des villages circon- voistns. Les Seigneurs de ces endroits, & fur-tout ceux qui n’y demeurent point & qui en retirent la principale richesse fans y rien dĂ©penser , ne doivent-ils pas aufli alors signaler leur bienfaisance & leur charitĂ©, comme l’a fait une Dame Lspagnole dans un village du ComtĂ© de Namur ? Instruite par une personne zĂ©lĂ©e & charitable de l’état de ce village qui lui appartient, elle a ordonnĂ© , pour remplir ses justes obligations, qu’on dit tribuĂ t aux pauvres du lieu une certaine quantitĂ© d’argent ou de pain ce qui s’exĂ©cute. Heureux les villages qui ont le bonheur d’avoir des Seigneurs si humains & si disposĂ©s Ă  soulager les malheureux ! Fia du trtffieme & dernier Volume » 494 " 3 * TABLE DES MAXIMES Contenues dans le troisiĂšme Volume. XXV. J^ eprknez J ans aigreur , p. r Louez fansflatterie, 2o Ne mĂ©prisez personne ; 50. Entendez raillerie, 74 XXVI. Fuyez les libertins , f 9. Les fats , 70. gy / pĂ©dans , 7 7 Choifißez vos amis, 84 - Voyez d’honnĂȘtes gens, 104 XXVII. Jamais ne parlez mal des personnes absentes, 110 Badinez prudemment les personne .r prĂ©sentĂ©s, 12? XXVIII. Consultez volontiers, Evitez les procĂšs, If 2 OĂč la discorde regne, apportez- y la paix , 1 sS Avec les inconnus usez de dĂ©fiance, 164 Avec vos amis mĂȘme ayez de la prudence, 170 Point de folles amours, 176. Ni de vin , 205. Ni dejeux , 212 Ce font lĂ  trois Ă©cueils en naufrages fameux, 21 J XXIX. XXX. TABLE. 49s XXX!. Sobre pour le travail, Le sommeil, 263. Et la table, 270 XXXII. Jouez pour le plaisr, & perdez noblement , 287 Sanr prodigalitĂ©, dĂ©pensez prudemment , 294 XXXIII. Ne perdez point de temps Ă  des choses frivoles , 510 Le sage tft mĂ©nager du temps & des paroles, 419 XXXIV. Sachez Ă  vos devoirs immoler vos plaisirs, . Et pour vous rendre heureux modĂ©rez vos dĂ©/ir s, XXXV. AT demandez Ă  Dieu ni grandeur ni richesse, 570 pour vous gouverner , t/c- mandez la sagesse , 593 Portrait de l'honnĂȘte homme es du e ' . MĂ©moire fur la MendicitĂ©, I. PARTIE. Insussance des moyens employĂ©s pour la dĂ©truire, 440 II. PARTIE. Moyens propres Ă  l’abolir , 449 46s 482 RĂ©ponses aux cbjeflionr, Sur? m e nt au MĂ©moire , Fin de la Table da troisiĂšme Volume. 495 TABLE OUE Des traits d’Histoire N des autres pria - , cipales matiĂšres contenues dans les trois Volumes. N. Æ. Le^second & le troisiĂšme Tome sont indiquĂ©s par les chiffres romains II k & III . A. AbBE noble qui dit la messe, II, 334 Qui plaide, TU, 137 Acard 3c un petit-maĂźtre, II, 280 Achat & vente injustes, IL 237 Adrien^ Empereur, ne se venge pas, II, 249 AdultĂ©rĂ© , grand pĂ©chĂ©, III, 182 Affligions , leurs avantages, II, 422 Agatocle , fils d’un Potier, IL 3 S 3 AgĂ©fJns qui a fait une promesse , 21 2-2 r 3 AlbcronĂź officieux, 219 Alexandre-h- Grand 3c les Scythes, 448 Et un Pirate , 449 Et un Historien flatteur., III, 25 Sa mort, 27Z Il se bouche une oreille, 4t6 Alexandre IX. Duc de Savoie, & un chasseur, II, 201 Alexis Comnene prisonnier, IL 394 AlgĂ©rien reconnoiffmt , 421 AĂźipe , Magistrat incorruptible, II, mç Aux spectacles , III, '.HZ Allemand % terme de mĂ©pris, III, 40 Alphonse - h - Grand , humain , 434 Chez un Joaillier, III, lit 1 Aljhonfe louĂ© de sa noblesse, II,'330 Alphonse le Courageux , sa ALPHABETIQUE.. 497 rĂ©ponse sur un songe* III, 131 Alphonse IX ne vend p?8 la ßà, II, 312 Alphonse , sa soumisĂŻĂŻni Ă  son pere, 385 Aman orgueilleux, II, 340 Ambassadeur Turc & une Dame, 262 de France malade, II, 149 Et un Lord , III, 40 Et des Dames fardĂ©es , 132 Amboise Cardinal , prĂȘte gĂ©nĂ©reusement, II, 1 6 Ami parvenu qui mĂ©con- noĂźc, III, 90 Qu? demande une chose injuste, 99 Qui trompe son ami , 172 , 173, Ls suiv. Ami des enfans, III, 63 v Amour criminel, s'S peines, III, 175 Sa honte , 1S4 , 190 Ses effets funestes, 220 Ses punitions , 227 Ses remcdĂŻS & prĂ©servatifs , 23 L Amwt & Charles IX, III, 395 Anaxirnenes , grand parleur , Il, 29? oindre, Marquis de Saint- & Mrde Louvois, III , 18 ^Anglois qui fe coupe la gorge, 149 Qui ne paye pas ses ouvriers, 296 Humain & sensible, 434 Devenu SecrĂ©taire d’Etat, II, 342 Animaux sauvages ou do. mestfques, 142 ExcĂšs blĂąmable , III, 74 Anne de Bretagne & Louis XII, 318 Anne d'Autriche ne s 1 afflige pas , II, 262 Anne de Bolden , fa fin malheureuse, III, 1S4 Antoine , 'S. son respect pour les EcclĂ©siastiques, 40Ç Apeiles , Peintre cĂ©lĂ©brĂ©, III, 139 Argent , son usage » JTT . 326 Arißtype & un pere, 100 Et Eschines, II, 264 Sa rĂ©ponse Ă  un grand Lecteur, III, 318 ArnavdU rĂ©vĂ©lĂ© son secret, II, 322 Arruis & BourdaĂźoue Il, 302 Artaxerxes fait un repas groffisr, III, 2S4 AubignĂ© jette au feu des papiers, II, 211 Conseille Henri IV, III, 1Z6 Augufie traitĂ© familier», ment, II, 53 Ce que lui dit un accuse, 58 Regrette deux amis , III, 87 AumĂŽne* Ă  qui il faut U faire, II, 171 Elle n’ p s, 195 TABLE 498 1faux prĂ©texte de ne la pas faire , ] 90 & 198 Combien on doit donner,* 193 Obligation de safte l’aumĂŽne , 441 plutĂŽt pendant fa vie , III* 413 Aux pauvres Ă©trangers* IJT, 485 Dumont , EvĂȘque h. main , II. 339 xAurengzeb , Empereur du Mogol, HI, 347 ^Avare y faux gĂ©nĂ©reux, 427 ComparĂ© avec le prodigue, 111,299 Avre qui donne un repas, 5c 9 Avare misĂ©rables 391 ^Aveugle qui se c'nfoĂźe II, 384 Avocat fĂąchĂ© d’avoir menti, 2C 1 B. BaBIIXARD eft Însup. portable, II, 289 Eli difficile Ă  corriger, 290 Bacon , fa rĂ©ponse fur fa maison de campagne * II. 351 Sur un homme grand, III, 37 Bals, III, 253 Barnevelt , Dame , fa rĂ©ponse , 463 Les juges de son mari, HI , 132 B+ijsoƓiierrc , MurĂ©vh’! , fe dit plus jeune , II, 323 Boit dans fa botte , III, 209 Bautru , son bon mot fur la justice, III, 153 Bayard , II, 165, 222 Bayle, ses doutes, II, IZL BĂ©nĂ©dicitĂ© 8c les grĂąces, III, 28Z Benoit XII , fa belle rĂ©ponse, III, 414 Benoit , Dame, fe ^end aimable, 282 Bernard , PrĂȘtre pieux , NI, 3SÇ Bernards Demoiselle, PoĂšte , III, Z68 Berry, Duc de & son Sous-Gouverneur, 56 Et un Officier rĂ©formĂ© , 73 Biefsdd , son tĂ©moignage, . III , 489 Blanche & S. Louis, 154 Boivault , Dame , son Ă©loge, III, 33C , sa mort, II, 12Î Son beau trait, III, 123 Boqz , Ă©poux de Ruth , II, 444 Boucicaut salue des Courtisanes, 273 Boulanger impie converti, II, 144 Bourgeoise jolie 8c vertueuse, III, 194 Bourgogne, Duc, pe it-fils ce Louis XIV, & un vieux Offi-ier, 262 Petit Ă  de Louis XV, ALPHABETIQUE. 499 & son Gouverneur , III, 401 Brtbevf , ce qu’il dit d’un grand parleur, II, 237 C. CaUFE avare, II, 16Z CallisthĂšne , ami , III, 94 Cambise louĂ© par CrĂ©fus, III, 23 Canut & la mer, 139 Leben, II, T6S Capucins traitĂ©s Inhumainement, 441 Cardinal & son chapeau , II, 319 Cajsagne satirisĂ© , III , i i 5 CaJJien , ses mouvemens de colĂšre, > Castelnau , ses seutimens Ă  Ja mort, III, Z67 Catechißse historique, 19 Philosophique, III, 43 Catherine de MĂ©dicis pardonne , II, 247 Catinat modeste aprĂšs une victoire, II, Z67 Caton se repeutoit de trois choses, II, 320 CĂ©lius & lin complaisant, 223 Chantal , II, 196 Chapelain , ami peu gĂ©nĂ©reux, 427 Sa mort, III, 306 Chapelle ivre, III, 205 Charbonnier , sa foi , II, 78 Charlesll , Rci d’Espagne, 11; 52 Charles I V , Empereur » & un traĂźtre , 45 5 Charles-Quint . Si un criminel d’Etat, 440 Et deux Dames, Il, 348 Il abdique la couronne , III, 372 Charles VII\ Roi de France , III, 343 Charles VIII , est secret, II, 317 Charles IX St un Gentilhomme, III, 17 Charles XII, Roi de SuĂšde , St un domestique , 43L Et la Reine sa mere, III, Il dort peu, 265 Vit frugalement, 27Ç Charles , Roi de Naples, Si un vieux cheval, III, 348 Charles BorrotnĂ©e S . malade, II, 385 II renvoie les mĂ©decins, III, 2S0 Charkval , PoĂ«te, meurt vieux , III , 36ÂŁ Chinois Si un mauvais PrĂ©cepteur, ICS Et son pers, 383 Et des envieux, II, Z8 Choix u’un Ă©tat » ZOZ D’une femme, 344 Claude , Empereur imbĂ©- cille , III, 96 Claville , Auteur » la morale, III, 179, 429 ClĂ©ment XIV , Si un petit* maure, 264 Et un Peintre, NI, 92- TABLE foo Cockin , Avocat modeste, II, 369 Cf lere , passion odieuse , &c. 233 €oĂźere des femmes, 239 & ses envieux , II, Zi Colonne , la ConnĂ©table, laide , 548 ComĂ©die HJ, 244 Complimens peu sincĂšres, M, 23 Comte de Valmont , par M. GĂ©rard, 2 , z 8 , III, 245 CondĂ© & un parleur, II, 283 MĂ©prise un soldat, III, 37 Confesseur brutal, III, 3 Conseiller qui reçoit un soufflet, 323 Conseils de la Sagesse , par Boutaut, 13,76 Conseils Ă  une amie, III, 217 Consolation de la calomnie, II, 37 7 De la perte des biens, 379 D'un accident, 38Z De la mort d’un proche, 388 Des maux futurs, 397 De la mauvaise humeur, 398 Conteur qui se rĂ©pĂ©tĂ©, II, 289 Conti , bon maĂźtre, 364 ModĂ©rĂ© dans ses dĂ©sirs , III, 365 Conversation , rĂ©glĂ©s qu'on doit y observer, II, 294 Longues conversations, III, 320 CornĂ©lie , Dame Romaine, III, 354 Corps humain , admirable, 146 Cotin satirisĂ© , III , 7 15 Courtisan devenu riche , II, 256 Qui ressemble Ă  un bƓuf, III, j28 Courtisane & un jeune Seigneur, III, rtz2 Et deux Espagnols, 22 l Et un Raren , 227 Couvreurs de toit tuĂ©s, 441 Crainte de Dieu, IS3, 21ÂŁ Crantor , fa belle fiction, III, 402 CrĂ©j%s 8 c fa boulangĂšre, II, 314 Crillon avertit Fervaques, II, 48 Est duelliste, 220 Pardonne par religion , 260 Cumberland , Duc de humain, 431 CurĂ© chargĂ© de commis-, fions, 224' Qui accommode des procĂšs, III, 158 InterrogĂ© sur les revenus de fa cure , 398 Curioßte dĂ©placĂ©e d’un jeune homme, II, 326 Curius , fa rĂ©ponse aux Samnites , II, 312 V ALPHABÉTIQUE. for CnfUer , avare Anglois, ni, 391 Cyrano & son nez, JTÎI, 55 Cyrus 8c des hommes ivres , III, 204 D, D ACIER, Dame peu polie, 260 Charitable, II, 194 Savante & modeste , 357 Daens , Marchand d’Anvers . III, 303 Dame 8c deux ministres, 163 Allemand fiere, 251 Qui ne joue qu’ñ la bĂȘte, ZI 6 Epouse complaisante , 3-6 Qui donne un soufflet Ă  son domestique, 368 Qui parle par envie , n, 33 Grande parleuse, 301 Impatiente dans fa maladie , 3S2 Dame L un jeune Ă©tourdi, III, 41 Et un Cordon ‱ bien , III, 133 Qui va au marchĂ©, 166 SollicitĂ©e au crime, 18Z Qui fait deux pas en arriĂ©rĂ© , 234 Qui consulte un mĂ©decin, 270 Qui fait de bons, marchĂ©s, 304 Qui achetĂ© son repos „ 305 Espagnole charitable , III , 493 Dana , EvĂȘque gĂ©nĂ©reux , 423 Danse , L autres exercices, U 4 Darius , consolĂ© d’une perte, II, 3Sa David pardonne avec gloire, II, 25 7 Devient criminel, III » 26L DĂ©isme rĂ©futĂ© p*r lui- mĂȘme, II, izr DĂ©mĂ©trius refuse des offres, II, 313 Dtmoerite Sc ' IlĂ©raclius , III. 59 Devenu vieux, 338 Demoiselle laide & mĂ©ritante, 34S Qui cache son Ăąge, II, 323 DĂ©morax 8 c tin LacĂ©, Ă©- monien, 237 Denis ‱ le - Tyran 8 c le fils v tie Dion, 33 Reprend son fils, 73 Fait une question Ă - isti Philosophe, II, 3s 5 Prend un trĂ©sor, III, 306 Ce que lut rĂ©pond un Phiiosophc, 397 Defiartss supĂ©rieur aux injures, II, 244 Mange de friands morceaux , III, 27 t Des Fontaines 8 c un Magistrat, II» 57 Et Piran, III» 33 s T A B L E fC2 Des Houliercs, joue peu, III, 217 Desportes , PoĂ«te riche, 344 DefprĂ©aux fidclle Ă  sa parole , 206 Et Patru, 4 SI Et Boursault, II, 272 Il fait prier Dieu pour Furetiere, 278 Se moque de deux fre- res, 362 Est satirique injuste, III, 114 DĂ©votion & dĂ©vots, 169 173 Dialogue de DĂ€mon , III, 200 Diane , Ă©pouse mal - propre , 316 ' DiBiennaire encyclopĂ©dique, III, 70 Didier , EvĂȘque de Verdun, II, 446 Diogene sur un niedere , II, 337 Ce qu’il dit de CallisthĂšne, III, 109 A un prodigue, 299 A Alexandre, '384 Disputes sur la religion, 163 Dans la conversation, II, 299 Dissimulation permise, 200 Demeftiptes Espagnols , 373 Comment on doit reprendre les domestiques, III, 8 Domestiques Anglois & un petit chien, 74 Domitien qui tue des mouches , II, 293 Duel Se duellistes, II, 2IZ Dugas Se des boulangers, II, 316 Dumoulin , MĂ©decin bienfaisant , 11,7 Duras louĂ© par Louis XIV, 400 E. Ecclesiastiques do,. vent ĂȘtre honorĂ©s, 404 Ecriture-Suivie , XI, 102 Edouard , fils du PrĂ©tendant, II, 310 Eglises peu respectĂ©es, 186 ElĂ©onore , ImpĂ©ratrice, Z26 Charitable, II, ISI Courageuse, 410 Elie de Beaumont , ses conseils aux femmes, ZZ6 Elisabeth pardonne Ă  Marie Lamhruii, II, 244 Eloi S. sa probitĂ©, II, 122 Enfant interrogĂ© vu est Dieu, 17 Qui veut avoir la lune, 24 Qui est trop avancĂ©, 81 Enfer , s’il existe, 129 , II, Epaminondas refuse des prĂ©sens, II, 21s EpifĂźete a la jambe cassĂ©e, H, 413 Epicuriens , leur systĂšme » 14S Espagnol pauvre & orgueilleux, II, 35 Ăź ALPHABETIQUE. Qui tue le fils d’un Maure, 395 Efpinosa , Cardinal, fa fin tragique, II, 373 Esprit , ce que c’est, II, 70 Bel esprit & bon esprit, 305 Sujet d’orgueil, III, 47 Est & son cuisinier, II, 420 Minist*' bienfaisant, 455 Qui place un homme de mĂ©rite, 110 Trop louĂ© par un PoĂ«te, III, 22 Ministre Protestans , II, 153 Miracle , s’il y en a de vrais, II, 66 Mithridate Sc son fils, 398 Et un Officier Romain , II, 393 Mode qu’on doit suivre , III, 295 Meliere & un pauvre, III, 34 Monique Ste. & son mati, 324 Montaigne, poli avec des Soldats, 265 Montanster Sc le Dauphin son Ă©leve, 71 LouĂ© dĂ©licatement, III, 24 McntĂ©cucuHi pardonne Ă  un soldat, II, 249 Montesquieu , ce qu’il dit de la religion chrĂ©tienne, 451 Mentmaur parasite , II, 304 Montraorenci Duc de bienfaisant, II, 164 MerĂ©ri meurt jeune, III, 260 Mort, rĂ©flexions Ă  ce sujet, 111,332 Morue renvoie deux flacons, 11,315 Muncer , Anabaptiste , II, 134 Mustque, son utilitĂ©, 115 N. Napolitain qui offre parpolitesle, 430 Nature , sa dĂ©finition , 149 NĂ©ron , son beau mot, 440 HaĂŻ, 111,143 Neubourg 47 Meurt jeune, 259 Pauvre de la ThĂ©baĂŻde, II, 381 Pauvres, hĂ©ritiers d’un fils unique, 390 Peintre & un amateur , 292 PĂ©lijson menĂ© chez un Peintre, III, 3 5 PensĂ©es thĂ©ologiques, II, 155 Pere traĂźnĂ© par ses en- fans, 382 SuĂ©dois & son fils Ă  Alger, 384 Anglais & ses douze enfans, 391 PesĂ© qui conduit son fils dans un HĂŽpital, III, 228 Pere Ă©conome, 302 Pires de Vergas , fa noble vengeance, II, 228 PĂ©riclh & Anaxagore, 460 Perrault & ses faux amis, III, 94 Terrier, PoĂšte vain , II, 359 Perroquet perdu, III, 65 Persan , fa fistion ingĂ©nieuse , III, 324 Petit - MaĂźtre , son portrait, III, 71 Peur , la corriger dans les enfans, 96 PhilĂ©mon , sot riche , II, 292 Philippe de MacĂ©doine, sa lettre Ă  Aristote, 100 Averti par un esclave, 204 Il pardonne un outrage, II, 248 Fait du bien Ă  son ennemi , 277 Souhaite un malheur, 383 Reprend un Musicien, III, 342 Est repris par une femme , 347 Philippe 1 , Roi de France, III, 127 Philippe-le-Bel & un EvĂȘque, II, 251 Philippe , Duc d’OrlĂ©ans , humain , 4 4 Philippe II , Roi d’Espagne , sa piĂ©tĂ©, 188 Son humeur Ă©gale, 278 Sa rĂ©ponse sur la perte de sa flotte, II, 386 Il achetĂ© une perle, III, 29 PhilopĂ©men , GĂ©nĂ©ral Grec, II, 34S philosophe qui censure le Gouvernement, ,4°2 TABLE fia Qui rĂ©pond Ă  son Ă©colier ingrat, 410 Qui est tout visage, 5 Qui fait l’aumĂŽne , Il, 374 Qui se rt de ceux qui se moquent de lui, 210 Philosophes sensibles aux injures, 281 RĂ©ponse d’un Philosophe Ă  un Censeur, III, 14 A un AthĂ©nien, 40 A un riche affranchi, 51 A un rapporteur, 3 63 Philosophe trompĂ© par ses associes, 381 Philosophes mal-nommĂ©s, II, 60 Phocion , refuse des prĂ©sens-, III, 388 Pic de la Mirandole , & un Cardinal, III, 129 Pitaval, & le Noble, 269 Plaisirs vains, plaisirs purs, III, 253 Si on peut aimer les plaisirs, 335 Platon , son beau mot Ă  ses amis , II, 279 Avec des Ă©trangers , III, 83 A un faiseur de rapports, 162 A un de ses disciples fur le jeu, 214 Est frugal, 282 Pleurs des enfans, 3 6 Pline le jeune & fa mere, 388 PoĂšte 8c Philosophe qui s’injurient, 244 Polignac complaisant, 225 Sa rĂ©ponse Ă  la Duchesse du Maine, 258 Aux Holhndois, II, Z6Z Pompadour , ses lettres , III , 374 PompĂ©e le jeune tient fa parole, 206 Pompone refuse de se ma. rier, 352 Portes de l’enfer , II, 152 Poujjin , Peintre, & un Cardinal , 356 Tradm sifflĂ© & battu , III, 149 Praslin bienfaif?nt , H. 161 PrĂ©cepteur doit ĂȘtre res- pectĂ© , lot HonorĂ©, ibid. PleurĂ© par un Prince, II, 38,8 PrĂ©dicateur vain, humiliĂ©, II, Z6l PrĂ©diction fur le Duc de Montmouth , II, 62 Prince qui fait des sotti- ses, III, 141 Princejse qui abrege sa vie, III, 273 Qui aime la lecture, 314 Prodigue , ce qu’on a dit de deux , III, 299 Proverbe Italien , 307 , II, 279 t Proverbe Russe, III, 35 Provincial trop poli, 272 Qui attrape trois joueurs, II , 2Z6 Qui rĂ©pond Ă  un Parisien , 29? ALPHABÉTIQUE. P3 Jfy tbagore loue la bienfaisance, 448 Recommande le silence» II, 286 R -R A C A N, ruinĂ© par des procĂšs, III, iss Racine parle peu , II, 303 Raille DefprĂ©aux, III, 130 Rit bien, 319 Raillerie & plaisanterie , III, 54 Railleur confondu,' III, 129 Ramsai&M. de FĂ©nelon , II, 34 Rapports souvent funestes, III, 160 Rats & leur pere vieux, 397 Reigner - Defmarets modere ses dĂ©sirs, III, 386 Reine de France, Epouse de Louis XV, III, 122 Reine d'Espagne inconsolable , II, 389 Religieux Sc de jeunes "Officiers, 164 Religieux tenje, III, 261 Religieux mĂ©prisĂ©s injustement, 42 mondaine, 175 Laufes ordinaires de l'irrĂ©ligion , 167 > II » 61 Dangers de l’irrĂ©ligion , 79 ils, Son Ă©tablissement merveilleux, 89 Ses martyrs, 93 Foiblesse des objections, ibid. Sa supĂ©rioritĂ© reconnue, 101 Console dans les afflic- lions, 399, 407 RenĂ© U , Prince bienfaisant, 45 3 RĂ©putation , on doit en avoir soin , II, 209 111,414 RĂ©surrection de Jefus- Christ, II, 80 Retz C Cardinal de & ses crĂ©anciers, 299 Richesses , sujet de fiertĂ©., II, 350, III, 51 Peu propres au bonheur , 392 , 393 On en rendra compte Ă  Dieu, 297 Rigorisme outrĂ©, 1 7 S Roboam Sc ses Conseillers, III, 148 Rodolphe de Hapsbourg, lS9 Rohan Françoise de ' trompĂ©e, III, 182 Catherine de vertueuse, 198 Roi de Prusse Se une Actrice , 428 Ve Fers Sc un pauvre, H, 172 Rois doivent ĂȘtre honorĂ©s , 401 Rolland , Prince de Sicile, II, 240 Kolli n Sc un PrĂ©sident, III, 3ĂŒ f ĂŻ4 TABLE Remains , jugent pour eux, II, 239 JUtrou sacrifie sa vie, III, 355 RĂ»ujfeau de Geneve , son Emile, 15, 35 Ce qu’il dit des Livres saints, 450 Ses sectateurs, II, 64. s S ADI, Po'Ă©te Persan , 4S5 Kepris par son pere , II, 358 Saint-Pierre AbbĂ© de & Fontenelle, III, 141 1 Sallo, Conseiller, secourt un Cordonnier, 444 Se ruine au jeu, III, 2 x 5 Salomon , son aveu sur la vanitĂ©, III, 367 Il demande la mĂ©diocritĂ©, 394 La sagesse, ZSS Samfon , Chevalier de Malte, III, 57 Sannazar , PoĂšte , sa mort, II. 379 Santeuil Si le Prince de CoudĂ©, II, 346 Et du Perrier, 360 Saprice Si NicĂ©phore, II, 26S Sarasin , PoĂšte, sa mort, II, 326 Satin est dangereuse, III, 118 Savant , devenu tel en Ă©coutant, II, 283 MĂ©prisĂ© par un jeune Prince, III, 39 Scaliger ignore trois tho. ses, III, 49 Starren , Si M. NublĂ©, II, -34 Science, sujet de vanitĂ©, III, 46, 77 Aujourd’hui peu esti- mĂ©e, 1 81 Scipion aĂŻn , sa con- tinence > m, -24 SĂ©bastien , Carme, rĂ©com- pensĂ©, II, 25 Modeste, 368 Secret des autres, II, 41 Le Lea, 317 Sedan , quĂȘte qu’on y fait, III, 48» SĂ©guier 8 i une mĂ©chante femme, 239 Scnault , Auteur Oratorien , III, 179 SensibilitĂ© louable, 277, 435 , 437 SĂ©rapion charitable, II, 441 Shafuburi Si M. Hollis, II, 45 Sibitle , Ă©pouse gĂ©nĂ©reuse, 33- Sigisimnd , bienfaisant pour ses ennemis , II, 277 Sixte - Quint reconnois- sant, 4x3 GĂ©nĂ©reux Si mĂ©nager, 3-3 Se souvenant de sa premiĂšre condition, II, 45- SobriĂ©tĂ©, ses bons effets, III, 27 ALPHABÉTIQUE. frf Socrate insultĂ©, II, 28 r. 378 Supporte les tumeurs clĂ© sa femme, 424 Est repris par Platon, III, 14 MĂ©prise un brutal, 156 Se promene avant ses repas, 284 Son conseil Ă  un prodigue, 301 Sa rĂ©ponse sur sa table, 308 A ArchĂ©laĂŒs, Z 3 Z Soijjons Comte de & son dĂ©biteur, 289 Soldats Romains , parjures, 210 SoldĂąt qui rappelle un service , II » S Qui a perdu ses deux bras , 21 Qui refuse cent louis, 208 Soliman II t & un traĂźtre, 211 Repris par une femme, III, 19 Solitaire modĂ©rĂ© dans ses dĂ©sirs, III, Z 65 Soiade , satirique puni, III, 118 SpeÜlack de la Nature » par Pluche, 141 Stanislas le Bienfaisant, 452 Sterling , monnoie » sa valeur , 464 SuĂ©dois , & le Gouverneur du Prince,» 436 T. TaBITHE ressuscitĂ©e , II, 1S9 Table , ses plaisirs, III, 270, 42s Ses dĂ©penses, 307 Taste, qui garde le silence, II, 291 Temps souvent perdu, III, 321 ThĂ©mifiocle & sa fille, 343 ThĂ©ocrite raille un Roi, III, 12S ThĂ©oderic dĂ©fend le duel, II, 226 ThĂ©odose - le - Grand & S. Amphiloque, 160 Et le PrĂ©cepteur de son fils, 49 Sa lettre Ă  Rufin , II, 250 ThĂ©odose - le - Jeune , bon envers ses ennemis, II, 2 >il Son aveu Ă  un AnachorĂšte, III, 372 ThĂ©ophile & un pĂ©dant, III, 78 ThĂ©ophraste 8c un taciturne, II, 28Z Thomas 8 . 8c un Religieux menteur, 196 Thompson 8c Quiii, 464 Tibere 8c un Grammairien , III, So TimiditĂ©, comment on doitl’îter, II, 5 Tirmr - lench 8c Bajazet, III. 377 Tort, avouer ses torts, III, 17 ri 6 TABLE Jour S? Taxis , & lin Marchand , II, 26 Trajan , Empereur affa- fole, 249 Turenne qui paye ses dettes , 298 GĂ©nĂ©reux, 42? ' Pere des soldats, 443 - RĂ©vĂ©lĂ© un secret, Il, 44 Renvoie un duelliste , 224 Refuse cent mille Ă©cus, 235 Rappelle su dĂ©faite, Z67 Supporte M. de la Perte, 428 Regoit un coup sur le derriĂšre, III, 9 Est louĂ© par un soldat, 24 Refuse de prendre des contributions, 379 u. UsURIER au Sermon, II, 14 A la mort, III, Z8o Y air refuse des EvĂȘchĂ©s, III, 396 Valentinien I , fa mort , 238 Valincourt perd fa biblio. theque, II, 3So VanitĂ© nuit au mĂ©rite , If, 358 Venceslas rĂ©compense un buveur, III, 274 VendĂŽme Duc de trop bon maĂźtre, 376 Respecte l’AbbĂ© AlbĂ©- Ăźoni, III, 4i Vengeance todte eher -, II, 263 N’appartient qu’à Dieu, 265 Se venger par fa bonne conduite, 279 Par le mĂ©pris , 280 Ventimille , son beau mot III, 156 Verßficatim Françoise , II8 Vejmur , Dame & ses en. fans, 90 Vie cherche les honnĂȘtes gens, III, 104 Vie des Saints, 183 Vieillard AthĂ©nien , 409 Singulier, 11,324 Uni noircit ses cheveux, III, IZl Vieillejse respectable, 258 Villageois de VĂ©rone , 22Z Vtllars louĂ© par un Gascon , III, 24 Vincentine Lomelin , Dame charitable, II, 173 Douce & patiente pour son mari, 425 RĂ©glant bien sa maison, III, 326 Vivenne lit utilement , III, 316 Voiture emprunte Ă  Cos- tar, 458 Voltaire , sa vanitĂ© jalousĂ©, II, 34 Ses disciples & son histoire de Charles XII, 74 Son aveu fur Jesus. Christ, 7 Ç Sa mort, 14e ALPHABÉTIQUE. fxy Su conversation avec s’Gravesande, 301 VoJJtus , son aveu modeste , III, 49 Voyageurs avides, punis, III, Z 6 L Walitr loue Cromwell, III, 22 Walpole & un Seigneur Anglois , III, 389 Williams Gooels salue un NĂšgre, 27Z Wirtemberg Duc de sauvĂ© par son Ă©pouse 38 s Humain, 49 W&lßy Cardinal, & Fitz- Williams, 41Ï X. XeNOCRATE, qui se tait, lĂŻ, 290 XirnenĂšs , Cardinal , ou. tragĂ©, II, 263 Z. 'E\ T ON, son beau mot sur les injures , II, 280 Fin de la Table AlphabĂ©tique. APPROBATION. J’AI lu , par ordre de Monseigneur le Garde des fcceaux , un manuscrit intitulĂ© L’Ecole des MƓurs, far M. l’AbbĂ© Blanchard. Dans cet Ouvrage qui rĂ©unit l'instruction Ă  l’agrĂ©ment, l’exemple est toujours joint au prĂ©cepte. Je le crois aussi propre Ă  former le cƓur qu’à Ă©clairer l’esprit. A Paris , c, lĂź Juillet 1782. SignĂ©, GUIDE EaaB i aiwMw»» i »u. r PRIVILEGE GÉNÉRAL. J^OUIS, PAR LA GRACE DE DlEU , Roi DE France et de Navarre a nos AmĂ©s & fĂ©aux Conseillers , les Gens tenant nos Cours de Parlement, MaĂźtres des RequĂȘtes ordinaires de notre HĂŽtel, Grand-Conseil , PrĂ©vĂŽt de Paris , Baillis, SĂ©nĂ©chaux , leurs Lieutenans Civils, & autres nos Justiciers qu’il appartiendra SALUT. Notre amĂ© le sieur AbbĂ© Blanchard , nous a fait exposer qu’il dĂ©si- reroit faire imprimer & donner au Public l’Ecole des MƓurs , de sa composition, s’il nous plaisait lui accorder nos Lettres de PrivilĂšge Ă  ce nĂ©cessaires. A CES CAUSES, voulant favorablement traiter l’Exposant, nous lui avons permis & permettons de faire imprimer ledit Ouvrage autant de fois que bon lui semblera , & de le vendre , faire vendre par tout notre Royaume. Voulons qu’il jouisse de l’effet du prĂ©sent PrivilĂšge, pour lui & ses hoirs Ă  perpĂ©tuitĂ©, pourvu qu’il ne le rĂ©trocĂ©dĂ© Ă  personne; & si cependant il jugeoit Ă  propos d’en faire une CeflĂźon , l’Acte qui la contiendra fera enregistrĂ© en la Chambre Syndicale de Paris, Ă  peine de nullitĂ©, tant du PrivilĂšge que de la Cession ; & alors par le fait seul de la Cession enregistrĂ©e, la durĂ©e du prĂ©sent PrivilĂšge fera rĂ©duite Ă  celle de la vie de l’Exposant , ou Ă  selle de dix annĂ©es Ă  compter de ce jour, si l’Exposant dĂ©cĂ©dĂ© avant l’expiration desdites dix annĂ©es. le tout conformĂ©ment aux articles IV & V de l’ArrĂȘt du Conseil du zo AoĂ»t 1777 . portant RĂ©glement sur la durĂ©e des PrivilĂšges en Librairie. FAISONS dĂ©fenses Ă  tous Imprimeurs, Libraires et autres- personnes de quelque qualitĂ© et condition qu’elles soient, d’en introduire d’impression Ă©trangĂšre dans aucun lieu de notre obĂ©issance ; comme aussi d’imprimer ou faire imprimer , vendre, faire vendre, dĂ©biter ni contrefaire lefdits Ouvrages fous quelque prĂ©texte que ce puisse ĂȘtre, fans la permission expresse et par Ă©crit dudit Exposant ou de celui qui le reprĂ©sentera, Ă  peine de saisie et de confiscation des exemplaires contrefaits, de six mille livres d’amende qui 11e poura ĂȘtre modĂ©rĂ©e , pour la premiĂšre fois ; dĂ©pareille amende et de dĂ©chĂ©ance d'Ă©tat en cas de rĂ©cidive , et de tous dĂ©pens, dommages et intĂ©rĂȘts, conformĂ©ment Ă  l’ArrĂȘt du Conseil du 30 AoĂ»t 1777 , concernant les contrefaçons. A la charge, etc.... Le tout Ă  peine de nullitĂ© des PrĂ©sentes; du contenu desquelles vous mandons et enjoignons de faire jouir ledit Exposant et ses hoirs pleinement et paisiblement , fans souffrir qu'il leur soit fait aucun trouble ou empĂȘchement. VOULONS que la copie des PrĂ©sentes , qui fera imprimĂ©e tout au long au commencement ou Ă  la fin dudit Ouvrage, soit tenue pour duementsignifiĂ©e , et qu’aux capies collationnĂ©es par l’un de nos amĂ©s et fĂ©aux Conseillers-SecrĂ©taires, foi soit ajoutĂ©e comme Ă  l’original. COMMANDONS au premier notre Huissier ou Sergent sur ce requis, de faire pour l’exĂ©cution d’icelles, tous Actes requis et nĂ©cessaires , fans demander autre permission , et nonobstant clameur de Haro, Charte Normande, et Lettres Ă , ce contraires. Car tel est notre plaisir DONNE Ă  Paris, le vingt-unieme jour d'AoĂ»t, l'an de grĂące mil sept cent quatre vingt-deux , et de notre Regiie le neuviĂšme. Par le Roi en son Conseil. SignĂ© , LE BEGUE. RĂ©gifirĂ© fur le Registre XXI de la Chambre Royale ÂŁ?* Syndicale des Libraires ÂŁ7 Imprimeurs de Paris , N 0 2702 , fol. 748 . conformĂ©ment aux dispositions Ă©noncĂ©es dans le prĂ©sent PrivilĂšge ; 5^ Ă  la charge de remettre Ă  ladite Chambre les huit Exemplaires prescrits par l'Art. CVlll du RĂ©glement de 172Z. A Paris , et il AoĂ»t 1782. SignĂ© , LE CLERC, Syndic . CESSION DU PRIVILEGE. J E , soussignĂ© , cede et transporte Ă  Messieurs Jean- Marie Bruyset pere et fils, Libraires Ă  Lyon, tous mes droits au PrivilĂšge que Sa MajestĂ© m'r accordĂ© le 21 AoĂ»t 1782 , pour l’Ouvrage de nu composition , intitulĂ© l’Ecole des MƓurs , ou RĂ©flexions morales & historiques fur les Maximes de la 'Sagesse, pour en jouir- eux et leurs ayans cause , conformĂ© ment au traitĂ© fait entre nous* A Avenay, le 2 Janvier» 1783. SignĂ© , L’AbbĂ© BLANCHARD, Chanoine. Registre la prĂ©sente cesston sur le Registre XXI de la Chambre royale U syndicale des Libraires ÂŁ7 Imprimeurs de Paris , iV.° 1/Z4 , jol. Siç , conformĂ©ment aux anciens RĂ©glemens » confirmĂ©s par celui du z 8 FĂ©vrier >-2y. A Paris , ce zi Janvier SignĂ© y LE CLERC, Syndic. &-tt s s- sqgwg 'i 4-^ ‱ s ‱‱ WĂ L ». !£‱‱ ", ECOLE *% \Û »
Conclusion: Quelqu’un a dit : « rendre le mal pour le bien est diabolique ; rendre le bien pour le bien c’est humain ; rendre le bien pour le mal c’est divin ». La demande de JĂ©sus est folle aux yeux du monde ! Son commandement requiert une vĂ©ritable conversion. Mais en aimant nos ennemis imaginez ce que nous Nous achevons aujourd’hui la lecture du sermon sur la montagne », dont l’ampleur se dĂ©ploie depuis trois semaines et qui nous emmĂšne, dans un ultime mouvement Ă  la contemplation de la splendeur du PĂšre. JĂ©sus continue de rĂ©vĂ©ler l’essence de la vie chrĂ©tienne en confrontant son enseignement aux certitudes et aux pratiques en vigueur. Vous avez appris
 eh bien moi je vous dis ».Le premier adage Ă©tablit une loi d’équivalence. Il s’agit d’une prescription biblique visant Ă  Ă©tablir un Ă©quilibre, Ă  introduire une pondĂ©ration du dĂ©sir de vengeance dans les relations humaines. Le chant de Lamek — Oui, j’ai tuĂ© un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. Oui, CaĂŻn sera vengĂ© 7 fois, mais Lamek 77 fois » Gn 4,23-24 — est Ă©touffĂ© par la loi du talion — Ɠil pour Ɠil, dent pour dent » Ex 21,24. Cependant, cette loi ne peut reprĂ©senter qu’une Ă©tape vers la sagesse. Elle Ă©vite Ă  l’homme de tomber dans l’excĂšs, mais elle le cantonne Ă  l’équivalence des objets, sans tenir compte du sujet. JĂ©sus nous invite Ă  prendre le risque d’ĂȘtre humain. L’équilibre de la loi du talion consiste en un effet de miroir, imposant des mutilations rĂ©ciproques qui tiennent les hommes Ă  distance. La loi de l’amour, au contraire, renonce Ă  l’identique du miroir de nos haines pour affirmer la libertĂ© du sujet Eh bien moi, je vous dis de ne pas riposter au mĂ©chant ».Affirmer sa libertĂ© pour s’affranchir du cercle vicieux du mal n’est cependant pas la seule exigence de l’amour. Il faut encore venir au secours du frĂšre qui a cĂ©dĂ© Ă  la violence et l’inviter Ă  communion fraternelle. JĂ©sus appelle cela tendre l’autre joue ». Par ce geste, JĂ©sus ne nous invite pas Ă  rĂ©clamer une nouvelle manifestation de violence ; il attend de nous que nous reconstruisions la fraternitĂ©. Tendre l’autre joue consiste Ă  exposer une vulnĂ©rabilitĂ© volontaire, Ă  dĂ©couvrir la confiance nĂ©e de l’amour, Ă  montrer que rien ne pourra affecter la charitĂ©. Tendre l’autre joue consiste Ă  dire au mĂ©chant qu’il est reçu comme un frĂšre parce qu’il l’est. L’acte de violence est dĂ©samorcĂ© de l’intĂ©rieur par un geste d’abandon confiant. Seule la confiance peut conduire Ă  l’ mĂȘme, celui qui use du pouvoir. Le procĂšs reprĂ©sente la puissance implacable de la justice des hommes, qui quantifie le mal. En cela, elle peut ĂȘtre rapprochĂ©e de la loi du talion. Or JĂ©sus veut sauver l’homme. Sa rĂ©ponse est celle d’un surcroĂźt de l’amour, d’une surenchĂšre du don. Combien faut-il donner Ă  celui qui veut prendre ? Davantage ! ComblĂ© au-delĂ  de sa convoitise, le voleur rĂ©alise d’abord que le chemin de l’amour est plus profitable que celui de la puissance, puis il se rapproche de celui qui, en donnant, l’introduit dans la en donnant son manteau en plus de sa tunique, en offrant deux mille pas Ă  celui qui en impose mille, l’amour montre qu’il a toujours l’initiative. Tel est l’exercice de la libertĂ© qui plaĂźt au Seigneur renoncer Ă  la rĂ©action primaire qui engendre la rĂ©ciprocitĂ© et qui se mesure en Ă©quivalences, pour choisir l’initiative du don et la crĂ©ativitĂ© de l’amour construisant la communion. Donne Ă  qui te demande ; ne te dĂ©tourne pas de celui qui veut t’emprunter. »L’initiative de l’amour doit alors ĂȘtre menĂ©e Ă  son terme Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persĂ©cutent ». JĂ©sus ne se contente pas de dĂ©noncer notre systĂšme d’équivalence dans la vengeance et dans la violence, il entend que nous renoncions aussi Ă  notre systĂšme d’équivalence dans le bien. L’amour ne s’établit pas sur la reconnaissance des similitudes, il ne grandit pas par rĂ©ciprocitĂ© — le frĂšre aimant celui qui est un frĂšre pour lui, l’ami aimant celui qui est un ami pour lui. L’amour procĂšde d’un don gratuit reposant sur une altĂ©ritĂ© irrĂ©ductible. Celui qui est Ă  aimer n’est pas le mĂȘme, il est l’autre ; il n’est pas celui qui est proche, mais celui dont on se rend proche. Ailleurs, JĂ©sus dira celui dont on se fait le autant, JĂ©sus ne renonce pas Ă  nos distinctions. L’autre n’est pas toujours un ami ; il peut ĂȘtre un ennemi. Il est important de le souligner et de ne pas considĂ©rer, au nom de notre christianisme, que tous les hommes sont nos amis. L’objectivitĂ© de la Parole de Dieu l’emporte sur les bons sentiments. Nous avons des ennemis ; c’est un fait. Reste Ă  bien comprendre qui sont-ils et que nous veulent-ils. Malheureusement, la saintetĂ© de la plupart d’entre nous n’est pas telle que nous reprĂ©sentions une menace pour l’esprit du monde. Ainsi, nos ennemis visent plus loin, plus grand que nous. Plus exactement plus profond. Le sceau baptismal. Le lien filial. L’Ennemi cherche Ă  atteindre et Ă  dĂ©figurer le Christ en nous ! Priez pour ceux qui vous persĂ©cutent, afin d’ĂȘtre vraiment les fils de votre PĂšre qui est dans les cieux ». Affirmer et affermir notre identitĂ© filiale est la seule rĂ©ponse appropriĂ©e. Le commandement de l’amour que JĂ©sus nous laisse ne va pas sans la rĂ©vĂ©lation du don de l’amour l’ĂȘtre filial. Ainsi se dĂ©ploie la pĂ©dagogie de JĂ©sus donner Ă  qui demande, dans l’initiative de l’amour, et devenir des fils en aimant sans condition, en aimant les ennemis qui voudraient mutiler l’ĂȘtre filial. La logique de l’équivalence est dĂ©passĂ©e, la riposte n’existe plus. Seul le don transfigure la haine et manifeste la filiation divine. L’amour fait devenir atteignons-nous le sommet du discours de JĂ©sus. Car le fils fait les Ɠuvres du PĂšre. En dĂ©veloppant ces antithĂšses, JĂ©sus ne tente pas d’édifier un nouveau code moral ; il nous introduit dans la contemplation de la splendeur du PĂšre. Vous donc, soyez parfaits comme votre PĂšre cĂ©leste est parfait. » Tous les comportements que JĂ©sus demande et que ses disciples vivent, par grĂące, manifestent la grandeur du PĂšre. Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir », disait JĂ©sus la semaine derniĂšre. Nous mesurons mieux Ă  prĂ©sent la nouveautĂ© de cet accomplissement. JĂ©sus ne rejette pas la Loi, il ne renonce Ă  aucune catĂ©gorie morale, puisqu’il nomme clairement les justes et les injustes, les bons et les mĂ©chants. Mais JĂ©sus rĂ©vĂšle que le PĂšre agit autrement que nous qui rejetons les uns et choisissons les autres. Le PĂšre fait lever le soleil et tomber la pluie sur les uns comme sur les autres. Le PĂšre s’occupe autant des justes que des injustes, des bons que des mĂ©chants ; il ne donne pas Ă  chacun selon ce qu’il paraĂźt mais selon ce qu’il est destinĂ© Ă  ĂȘtre un fils dans le Fils. Tel est l’accomplissement que rĂ©alise le Fils et qui rĂ©vĂšle l’agir du PĂšre. Tel est l’Ɠuvre des fils de Dieu ils ne cherchent pas la perfection de la Loi mais la perfection de la vie filiale, se rappelant que la Loi est faite pour le fils. Vous donc, soyez parfaits comme votre PĂšre cĂ©leste est parfait. » Le fils doit rechercher la perfection du PĂšre, qui est amour. Ainsi, parce que la justice des disciples du Christ trouve sa source dans la fĂ©conditĂ© de l’amour du PĂšre, elle est Ă  leur portĂ©e. Bonne Nouvelle ! PĂšre Saint, que ton Nom soit sanctifiĂ© ! FrĂšre Dominique

Vousfinancez vous mĂȘme l'islamisation galopante avec vos impots et avec la viande hallal que vous mangez sans le savoir. Donc oui les musulmans sont les ennemis de la chrĂ©tientĂ© et les ennemis de la France. Mais ce sont les amis de la rĂ©publique, les "amis" des dĂ©mocrates et des naĂŻfs

Accueil Sujets Citation du jour Meilleures citations ApprĂ©ciation Inconnu 6personnes ont vu cette citation Plus de citations de cet auteur 0L’une des choses les plus difficiles dans la vie est de savoir qui vous ĂȘtes censĂ© ĂȘtre. Si vous ĂȘtes dĂ©jĂ  en train de devenir qui vous ĂȘtes, vous ĂȘtes dĂ©jĂ  un succĂšs parce que c’est plus loin que la plupart des gens. Inconnu - March 16, 2022 0Ce n’est pas qui vous ĂȘtes qui vous retient, c’est qui vous pensez que vous n’ĂȘtes pas. Inconnu - March 16, 2022 0Je ne pourrai peut-ĂȘtre pas te voir aussi longtemps que je le souhaite, je ne pourrai peut-ĂȘtre pas te tenir la nuit, mais au fond de mon cƓur, je sais que c’est vrai, quoi qu’il arrive
 je t’aimerai toujours. Inconnu - March 10, 2022 0Certaines personnes ne peuvent pas et ne finiront jamais ensemble, mĂȘme si elles s’aiment. C’est une triste vĂ©ritĂ©, mais une vĂ©ritĂ© quand mĂȘme. Inconnu - March 16, 2022 0Sachez que chaque respiration est un miracle et chaque instant une bĂ©nĂ©diction et vous rĂ©aliserez vos rĂȘves. Inconnu - March 11, 2022 0La meilleure chose Ă  propos du PASSÉ est qu’il vous montre ce qu’il ne faut pas apporter dans votre avenir. Inconnu - March 15, 2022 Plus de citations sur ce sujet 0MĂȘme si nous ne pouvons pas ĂȘtre ensemble Ă  la fin, je suis toujours reconnaissant que vous ayez fait partie de ma vie Ă  un moment donnĂ©. Inconnu - March 10, 2022 0Quelque part au cours de la vie, vous apprenez Ă  vous connaĂźtre et rĂ©alisez qu’il ne devrait jamais y avoir de regrets, seulement une apprĂ©ciation Ă  vie des choix que vous avez faits. Inconnu - March 11, 2022 0Ne gaspillez pas votre prĂ©cieuse Ă©nergie Ă  courir aprĂšs les gens. Laissez-les partir pour faire place Ă  ceux qui vous apprĂ©cient. Robert Tew - March 11, 2022 0Dieu nous donne de la peine pour que nous apprenions Ă  pardonner. Dieu nous donne de la joie Ă  partager avec les autres. Dieu nous donne de l’amour pour que nous soyons humbles. Dieu est grand dans tout ce qu’il fait. Analiza Garcia - March 11, 2022 0Ne vous habillez jamais pour les pauvres. Ils ne vous respecteront pas pour cela. Ils veulent que leur PremiĂšre Dame ressemble Ă  un million de dollars. Imelda Marcos - March 10, 2022 0Parfois, je lĂšve simplement les yeux, souris et dis, je sais que c’était toi mon Dieu ! Merci. Marie Princesse Uy - March 10, 2022 Autres SujectsApprĂ©cie la vie3468Leçon de vie2340mariage2227Tout ce que je veux c'est toi1908ApprĂ©ciation1728LĂącher prise1478medical1375Conseils relationnels1205positif1116Vie incroyable1060 À PROPOS DE NOUSCitations Sages fournit des citations inspirantes depuis 2021 Ă  notre communautĂ© française. © Citation Sages - 2022 SORe. 219 395 0 236 151 182 53 308 74

aimez vos ennemis ça les rendra fous