SociĂ©tĂ© - Ăclairage Ce groupe chrĂ©tien sâen est violemment pris Ă la communautĂ© LGBTQ+ vendredi dernier, en dĂ©truisant le symbole de lâarc-en-ciel sur un panneau dâaffichage. OLJ / Caroline HAYEK, le 30 juin 2022 Ă 00h01 Une image tirĂ©e de la page Facebook des Jnoud el-Rab. Ils sont musclĂ©s, tatouĂ©s, barbus et souvent habillĂ©s de noir. Devant le siĂšge central de la SGBL Ă Sin el-Fil ou devant lâagence de SaydĂ© Ă Achrafieh, ces chabeb », souvent armĂ©s, sont postĂ©s aux entrĂ©es et surveillent les allers et... Ils sont musclĂ©s, tatouĂ©s, barbus et souvent habillĂ©s de noir. Devant le siĂšge central de la SGBL Ă Sin el-Fil ou devant lâagence de SaydĂ© Ă Achrafieh, ces chabeb », souvent armĂ©s, sont postĂ©s aux entrĂ©es et surveillent les allers et...Who are Ashrafiehâs 'Soldiers of God'?... Sur le mĂȘme sujet
Transcription. Vos deux plus grands ennemis sont dans votre PC
le sort de la France est entre leurs mains, soit on retrouve de la souverainetĂ©, on rĂ©industrialise massivement le pays et on reprend notre indĂ©pendance progressivement et Marine Lepen peut ĂȘtre un marche pied dans ce sensSoit on se fait dĂ©finitivement bouffer par le mondialisme et l'UE, rien ne pourra arrĂȘter Macron sur ce quinquennat Quand je vois tous mes potes insoumis et qui crachent sur Lepen comme des boomers je me dis vraiment qu'on ai foutuon ne pourra jamais redevenir souverain tant que le bloc insoumis et RN ne se parlent pas,les gars on est vraiment dans la merde on ne s'en rend pas compte,la France est foutue Message Ă©ditĂ© le 11 avril 2022 Ă 205527 par Lepourfenderer MĂȘme avec la retraite Ă 65 ans et le rsa Ă 15h ils votent macron. Ils sont fous. Message Ă©ditĂ© le 11 avril 2022 Ă 205425 par CompteSecours8 rien ne pourra bouger si le RN et la FI ne dĂ©cident pas de mettre leurs querelles sociĂ©tales de cotĂ© pour retrouver la souverainetĂ© de la France on est majoritaire mais on se fait cuck,c'est un vrai drame pour le camp souverainiste Message Ă©ditĂ© le 11 avril 2022 Ă 205928 par Lepourfenderer la France est foutueC'est le but des insoumis. Insoumis et je voterai contre Macron. Le 11 avril 2022 Ă 205553 Insoumis et je voterai contre plus part vont s'abstenir C'est le CNR du bloc populaire contre la mixture mondialiste libĂ©rale du bloc beaucoup sont coincĂ©s dans la boucle gauche/droite Ă l'inverse de leurs interĂȘts Le 11 avril 2022 Ă 205643 Tu te fous de la gueule de qui ? C'est ta grosse daronne Le Pen utilisĂ© pour faire gagner l'opposant depuis la nuit des temps et eternellement incapable de gagner qui bloque tout, pas les insoumis Tu crois quoi, qu'on va voter pour ta candidate qui a rien Ă voir avec nos idĂ©es pour te faire plaisir en plus de tout ce bordel ?j'ai votĂ© MĂ©lenchon mon gars car il avait le meilleur projet industriel pour le pays et un vrai retour Ă la planification Le 11 avril 2022 Ă 205238 le sort de la France est entre leurs mains, soit on retrouve de la souverainetĂ©, on rĂ©industrialise massivement le pays et on reprend notre indĂ©pendance progressivement et Marine Lepen peut ĂȘtre un marche pied dans ce sensSoit on se fait dĂ©finitivement bouffer par le mondialisme et l'UE, rien ne pourra arrĂȘter Macron sur ce quinquennat Quand je vois tous mes potes insoumis et qui crachent sur Lepen comme des boomers je me dis vraiment qu'on ai foutuon ne pourra jamais redevenir souverain tant que le bloc insoumis et RN ne se parlent pas,les gars on est vraiment dans la merde on ne s'en rend pas compte,la France est foutueTon blabla est peut ĂȘtre exact mais Marine le Pen veut supprimer le HALAL Amis musulmans, je n'adhĂšre pas Ă votre religion mais avec Macron vous pourrez encore manger de la VIANDE, ne l'oubliez pas Les vieux se foute de tout ça la retraite il l'ont dĂ©jĂ et mĂȘme s'il l'ont pas encore il vont lavoir quand mĂȘme plus le RSA ? Ben oui c'est bien les jeune il vont un peu travailler comme ça... 20h par semaine pour une paye de misĂšre... Bordel c'est incroyable mĂȘme pas un plus 200⏠pour les rsaiste complĂ©ter par les patrons... Le 11 avril 2022 Ă 205916 Le 11 avril 2022 Ă 205238 le sort de la France est entre leurs mains, soit on retrouve de la souverainetĂ©, on rĂ©industrialise massivement le pays et on reprend notre indĂ©pendance progressivement et Marine Lepen peut ĂȘtre un marche pied dans ce sensSoit on se fait dĂ©finitivement bouffer par le mondialisme et l'UE, rien ne pourra arrĂȘter Macron sur ce quinquennat Quand je vois tous mes potes insoumis et qui crachent sur Lepen comme des boomers je me dis vraiment qu'on ai foutuon ne pourra jamais redevenir souverain tant que le bloc insoumis et RN ne se parlent pas,les gars on est vraiment dans la merde on ne s'en rend pas compte,la France est foutueTon blabla est peut ĂȘtre exact mais Marine le Pen veut supprimer le HALAL Amis musulmans, je n'adhĂšre pas Ă votre religion mais avec Macron vous pourrez encore manger de la VIANDE, ne l'oubliez pas Elle pourra rien faire sur le Halal et le voile maais elle pourra drastiquement rĂ©duire l'immigration, non choisie et c'est dĂ©jĂ une grosse victoire Une chose est sĂ»re, je bois les larmes des prolos LFI qui vont goĂ»ter aux joies des chantiers m, du sens des responsabilitĂ©s, du combo Ă©tude travail, etc. Ăa va leur faire tout drĂŽle de devoir trimer comme les vrais ouvriers du qui est jouissifs avec les trolls LFI du forum c'est que tu les sens d'un niveau socio Ă©conomique pourri et profondemment accablĂ©s de continuer Ă ĂȘtre dans la merde malgrĂ© leurs sarcasmes Le 11 avril 2022 Ă 205712 C'est le CNR du bloc populaire contre la mixture mondialiste libĂ©rale du bloc beaucoup sont coincĂ©s dans la boucle gauche/droite Ă l'inverse de leurs interĂȘtsMarine Le Pen va ĂȘtre une Salvini Ă©co+ Ă la solde de l'UE L'alliance du peuple de droite et de gauche pour un nouveau CNR,ça aurait Ă©tĂ© possible avec le RN de Philippot,plus maintenant Je souhaite que MLP soit Ă©lue pour que les petits bras aient une dĂ©sillusion et qu'ensuite on puisse passer aux choses sĂ©rieuses et crĂ©er un vrai parti patriotique regroupant le peuple de droite et de gauche derriĂšre un programme commun patriotique et social Le 11 avril 2022 Ă 205643 Tu te fous de la gueule de qui ? C'est ta grosse daronne Le Pen utilisĂ© pour faire gagner l'opposant depuis la nuit des temps et eternellement incapable de gagner qui bloque tout, pas les insoumis Tu crois quoi, qu'on va voter pour ta candidate qui a rien Ă voir avec nos idĂ©es pour te faire plaisir en plus de tout ce bordel ?C'est de votre faute les idiots gauchistes Vous avez Ă©lu chirac en 2002 en faisant barrage Vous avez Ă©lu macron en 2017 en faisant barrage Vous allez relire Macron en 2022C'est de votre faute car vous ne savez pas branchĂ© vos neurones et vous savez que sortir des arguments erronĂ©s comme combattre l'extrĂȘme droite gneugneu fachism racismCest bien remettez Macron au pouvoir alors quil est contraire Ă toute vos idĂ©es avec la retraite Ă 65 ans les universitĂ©s payantes + de travail etc mais bon vous aurez fait barrage Ă la N au moins hein ?? Le 11 avril 2022 Ă 205643 Tu te fous de la gueule de qui ? C'est ta grosse daronne Le Pen utilisĂ© pour faire gagner l'opposant depuis la nuit des temps et eternellement incapable de gagner qui bloque tout, pas les insoumis Tu crois quoi, qu'on va voter pour ta candidate qui a rien Ă voir avec nos idĂ©es pour te faire plaisir en plus de tout ce bordel ?Ben c la seule a pouvoir faire barrage a macron. Vous vous ne pourrez rien faire au lĂ©gislatives parce que le parlement n'a aucun pouvoirs et est au ordre du president. Car si le parlement n'obeit au prĂ©sident, celui ci peut le dissoudre pour ensuite faire voter ses loi par un parlement godillot Le 11 avril 2022 Ă 210037 Une chose est sĂ»re, je bois les larmes des prolos LFI qui vont goĂ»ter aux joies des chantiers m, du sens des responsabilitĂ©s, du combo Ă©tude travail, etc. Ăa va leur faire tout drĂŽle de devoir trimer comme les vrais ouvriers du qui est jouissifs avec les trolls LFI du forum c'est que tu les sens d'un niveau socio Ă©conomique pourri et profondemment accablĂ©s de continuer Ă ĂȘtre dans la merde malgrĂ© leurs sarcasmes HĂąte de les voir sur le chantar, vous allez voir y'a toute la diversitĂ© que vous aimez tant Hakim et Jean-CĂ©lestin en train de retaper gratos le facing du Auchan pour pas un balle, quel plaisir. Les insoumis voteront blanc et Macron en masse, on se fait pas d'illusionMacron 2022 Edouard Philippe en 2027 Macron le retour en 2032 Victime de harcĂšlement en ligne comment rĂ©agir ?
Pour payer les pensions, c'est vrai que la télé, ça a pu aider, mais ce n'est plus le cas maintenant, sourit FOG. Surtout avec ce genre d'émissions. La télé, ça eut payé, comme on dit
\ eMĂfe; - 5 ^ agi' 'Ht* Ve-jT Vr^-^n- J\x. yj Ă ZZKM 'Ăąai-iùï'-j MML Lâ Ă C O L E DES MĆURS. âĂ2Ăąs= TOME PREMIER. » L Ă C O L E DES MĆURS, O U RĂFLEXIONS MORALES ET HISTORIQUES SUE LES MAXIMES DE LA SAGESSE. Ouvrage utile aux jeunes gens & aux autres personnes , pour se bien conduire dans le monde. NOUVELLE ĂDITION, ReiâI/e cf corrigĂ©e avec soin , augmentĂ©e de piuseur\ nouveaux traits d* Histoire. PAR M. lâAbbĂ© BLANCHARD, Chanoine dâAvenay. T O M E PREMIER. A L Y O N, Chez 8 R U Y S ET FRERES. ' " 1 - " - - * - rS- * .â ~j M. DCC. LXXXVIII. Avec Approlation ÂŁâą? Frivifege du Roii Beatus homo qui invertit sapientiam , & qui .estait pTudentiĂą ! . Pretiofior est cunliis opibus / ÂŁ7* omnia qua dzfiderantur , huic non valent comparant Prov. Z» Heureux lâhomme qui a trouvĂ© la sagesse, & qui eft rempli Je prudence T Elle est plus prĂ©cieuse que toutes les richesses; & tout ce quâon dĂ©sire le plus, lie peut lui ĂȘtre comparĂ©. PRĂFACE.. Le but que nous nous Ă©tions proposĂ© en donnant ce Recueil au public, a Ă©tĂ© rempli, puisquâon a trouvĂ© lâOuvrage utile. Nous avons tĂąchĂ© dans cette derniere Edition de le rendre encore plus digne des suffrages des personnes de goĂ»t. PersuadĂ©s que les retran- chemens ne contribuentpas moins & concourent quelquefois mĂȘme plus que les additions Ă la per-, section dâun Ouvrage ; nous avons supprimĂ© quelques traits dâHilloire moins intĂ©ressans ou trop multipliĂ©s, resserrĂ© plusieurs articles de a iĂŻj vj PREFACE. morale trop Ă©tendus, & retranchĂ© des rĂ©pĂ©titions du Sage , que nous avons mis Ă la fin des RĂ©flexions, a paru auffi trop long Ă quelques personnes, & par-lĂ mĂȘme ne pouvoit produire quâun effet alfez froid & languissant nous lâavons beaucoup abrĂ©gĂ©. Nous nâen avons conservĂ© que les plus grands traits, qui plus rapprochĂ©s & plus vifs nâen frapperont que davantage. On nous a auffi conseillĂ© de changer le titre de Poste des MĆurs , ' que nous avions dâabord donnĂ© Ă notre Ouvrage. Il fernhielt en effet annoncer plutĂŽt un recueil de poĂ©sies destinĂ©es Ă former les mĆurs, que des rĂ©flexions P RE FA C E. vij en prose sur un petit poĂ«me moral, connu sous le nom de Maximes delĂ Sagesse, & communĂ©ment attribuĂ© Ă lâillustre Auteur du TĂ©lĂ©maque. Ceux qui connoistent dĂ©jĂ ces Maximes, s'apercevront facilement que nous y avons fait des changemens & des additions considĂ©rables. Nous avons tĂąchĂ© dây faire entrer tout ce quâil y a de. plus propre Ă former les mĆurs. Comm e ces Maximes font en vers, elles se graveront plus aisĂ©ment dans la mĂ©moire des jeunes gens, & y demeureront toujours. Ils se les rappelleront dans lâoccasion ; & si alors elles les portent Ă la vertu, ou les dĂ©tournent du vice, a iv viij PREFACE. nâauront-ils pas lieu de sâapplaudir de les avoir apprises ? Ces prĂ©ceptes Ă©tant courts, selon le gĂ©nie de la PoĂ©sie, Le selon, le conseil dâHorace i , il Ă©toit nĂ©cesiĂ ire, pour les rendre plus utiles, pour en faire mieux sentir la vĂ©ritĂ© & la sagesse, de les dĂ©velopper. On ne sauroit trop souvent Le en trop de façons rappeler aux hommes leurs devoirs, dit M. de Claville dans son TraitĂ© du vrai mĂ©rite, Ouvrage estimable Ă bien des Ă©gards, & oĂč se trouvent de trĂšs-bonnes choses, mais I Qtiidqnid pracipies , esta brevis , ut cilĂ diĂąla Fercipiant nuimi dociles, tentant que sideles , H O R. PREFACE. ix dont les principes de morale ne font pas toujours assez exacts ni assez Ă©purĂ©s. AulĂźi avons-nous eu foin, dans cette nouvelle Edition, encore plus que dans la premiĂšre, de rectifier les rĂ©flexions que nous avons empruntĂ©es de ceMoraliste. Car, nous ne le dissimulons pas, moins jaloux de la gloire dâĂȘtre Auteurs que de celle dâĂȘtre utiles, & semblables Ă lâabeille qui compose son miel du suc de toutes les fleurs, nous avons souvent fait usage de ce que nous avons trouvĂ© ailleurs de plus sagement pensĂ©, lorsquâil pouvoit nous servir Ă mieux remplir notre objet. Le cĂ©lĂ©brĂ© M. Rollin se permettait dâinsĂ©rer en entier dans ses a v » x PREFACE. Ouvrages, qui font gĂ©nĂ©ralement estimĂ©s,, les plus beaux endroits des Auteurs anciens & modernes. Il se contentoit dâavertir en gĂ©nĂ©ral, dans ses PrĂ©faces, de cette elpece de larcin, qui par lâaveu mĂȘme cestoit dâen ĂȘtre un, & dont le public lui favoit grĂ©, parce que son travail Ă©toit utile 2. Comme ce sage Ecrivain, nous, nâavons pas toujours citĂ© les Moralistes, dont les pensĂ©es & les maximes nous ont paru propres Ă enrichir les nĂŽtres, parce que CO Je ne nie suis sas fait, une peine , dit-il Ă la fin de plusieurs de ses Pre'Faces, de prendre quelquefois dans de bons Ouvrages ce que fai cru convenir Ă celui - ci je eberebois Ă ĂȘtre utile. Ce mot qui suivit fa justification, ' Fait, auflila nĂŽtre. PREFACE. xj nous nous sommes rĂ©servĂ© le droit dây faire tous les changemens, les additions & les corrections mĂȘme, convenables ou nĂ©cessaires. En employant le travail des autres, nous y avons ajoutĂ© le nĂŽtre. Si, selon mĂȘme un des Auteurs les plus originaux quâait produit le dernier siede 3 , le choix des pensĂ©es est invention, quand il est bon, juste, Ă©clairĂ© & judicieux ; si on loue un Architecte qui, avec des matĂ©riaux quâil a su choisir & rassembler, est venu Ă bout dâen composer un Ă©difice rĂ©gulier oĂč lâutile se trouve rĂ©uni avec lâagrĂ©able ; peut - ĂȘtre aussi ne refuser-»- si m 3 La Bruyert. xij P R E F A CE. t-on pas Ă notre Ouvrage quelque elpece de mĂ©rite & de gloire. Mais nous avons portĂ© notre vue plus haut, & nous avons agi pour une fin plus relevĂ©e nous nous sommes proposĂ© de former les mĆurs, de la jeunesse, & de rendre les hommes plus vertueux & plus sages. Nous engager Ă devenir meilleurs, nous Ă©clairer fur nous- mĂȘmes pour nous corriger, fixer nos regards fur les dĂ©fauts des autres pour nous en garantir, nous apprendre Ă connoĂźtte nos devoirs & Ă y conformer notre conduite eâest fans doute de toutes les sciences la plus importante. Sans les connoilfances brillantes, on peut ĂȘtre utile Ă fa famille, Ă ses, PREFACE, xiĂŻf amis, Ă la sociĂ©tĂ©, en un mot ĂȘtre honnĂȘte homme mais le peut-on fans la sagesse ? Câest donc rendre le service le plus grand & le plus essentiel, que de travailler Ă former les mĆurs , quittant lâexact accomplissement des devoirs imposĂ©s Ă lâhomme social , sont le fruit le plus prĂ©cieux de la sagesse, & lâhĂ©roĂŻsme de la vertu. Les mĆurs font le fondement de la sociĂ©tĂ© & la base de lâEtat. 11 nâest point de meilleurs appuis des trĂŽnes & des royaumes. Un Empire qui se gouverne- roit par la vertu, serait en quelque sorte Ă©ternel comme elle. Un peuple qui a des mĆurs, subsiste- roit plutĂŽt sans lois, quâun peuple xiv PREFACE. sans mĆurs avec les lois les plus admirables. La vertu supplĂ©e Ă tout, mais rien ne peut la supplĂ©er. Sans elle, on ne saurait ĂȘtre heureux ni dans la vie prĂ©sente ni dans lâautre. Mais plus les mĆurs font nĂ©cessaires, plus on doit sâappliquer de bonne heure Ă les former. Ce nâest; pas quand lâarbre est durci par le temps & parles annĂ©es, quâil faut le dresserâ, le conduire ; câest lorsquâil est encore tendre & flexible. Quâil nous soit donc permis de recommander ici aux parens & Ă tous ceux qui sont chargĂ©s de lâemploi important dâĂ©lever la jeunesse , de lui inspirer dĂšs les premiĂšres annĂ©es les bonnes mĆurs PREFACE . xv & la vertu. Une toile neuve reçoit mieux & conserve plus long- tempslespremieres couleurs quâon lui donne. Nous avons ouĂŻ raconter quâune Dame de mĂ©rite avoit un neveu, jeune homme de beaucoup dâespĂ©rance, qui venoit souvent la voir. Elle tĂąchoit de lui inspirer la vertu par ses leçons ; mais pour mieux lâinsinuer, elle choisit un livre oĂč les instructions Ă©toient habilement mĂȘlĂ©es dâexemples agrĂ©ables. Elle laisiĂ ce livre seul sur sa table comme sans aucun dessein. Quand son neveu venoit lui rendre visite, elle prĂ©textait quelque occupation, & lui disoit de lire quelque chose en attendant. Les premiĂšres fois il prit ce livre, lâouvrit & le referma presque aussi-tĂŽt. xvj PREFACE. Peu-Ă -peu il y prit goĂ»t, il le lut tout entier & avec tant de fruit, quâayant Ă©tĂ© mis dans les troupes, il devint lâexemple de son rĂ©giment par la rĂ©gularitĂ© de sa conduite ce quâil dev oit, comme il le reconnoifloit lui-mĂȘme, au bon livre de sa tante. PuiSSL cet Ouvrage produire dâaulli heureux fruits dans lâesprit des jeunes gens qui le liront ! ils y trouveront les prĂ©ceptes & les exemples les plus propres Ă former leurs mĆurs. On poura leur en faire rendre compte, & surtout des traits dâhilloire, quâils retiendront encore pĂźusfacilement que la morale. Par-lĂ ils sâaccoutumeront Ă rĂ©flĂ©chir fur leurs lec- P R E F A C E. xvij tures,Ă raconter avecgrace & avec aisance une histoire,une anecdote» un bon mot ce qui fait honneur & plaĂźt infiniment. Nous connoistbns des pĂšres de beaucoup dâesprit qui se sont servis avec succĂšs de ce Recueil, en suivant cette mĂ©thode. Car les parens eux-mĂȘmes peuvent ici fans peine servir dâinstituteurs. Et quelle plus noble fonction, quelle occupation plus louable, que celle dâun pere ou dâune mere de famille, qui ne croyant pas remplir suffisamment le titre si estimable dont la nature les ahonorĂ©s, sâils n e sâappliquent Ă former eux-mĂȘmes le cĆur de lâesprit de leurs en fans, sâen chargent seuls , ou parta- xviij P R E F A C K gent avec des MaĂźtres ce glorieux emploi. Quoique la jeunesse ait Ă©tĂ© le principal objet de cet Ouvrage, il ne fera peut-ĂȘtre pas inutile aux autres personnes, & il leur plaira certainement davantage, parce quâelles ont lâesprit plus formĂ©. _ Lâenfance nâaime guere que lâamusement, la jeunesse ne cherche que le plaisir, lâĂąge mĂ»r prĂ©fĂ©rĂ© le solide & lâutile. Ma i s si lâon veut plaire longtemps & mĂ©riter tousles suffrages, il faut Ă lâutile mĂȘler lâagrĂ©ment. Nous avons donc cru devoir Ă©gayer la sagesse. Nous avons tempĂ©rĂ© fa gravitĂ© austere, pour la P R E F Ă C E. xix rendre plus aimable, pour lui concilier plus de cĆurs. La vertu fans attrait est un hameçon fins appĂąt. Les prĂ©ceptes seuls auroient bientĂŽt ennuyĂ© les exemples frĂ©- quens que nous y avons mĂȘlĂ©s , attacheront. Une morale trop continue fatigue des traits frappans, semĂ©s de distance en distance, dĂ©lassent lâesprit & le raniment. On oublie dâailleurs les plus figes conseils, mais les beaux exemples ne sâeffacent point ils fe gravent profondĂ©ment dans lâesprit, y impriment avec eux les maximes, & les rappellent. Câest ce qui nous avoit engagĂ©s, dans la premiĂšre Edition, XX PREFACE. Ă multiplier les traits d'histoire mais nous nây avions pas toujours mis asiĂšz de recueil de bons mots & dans la conversation, on souffre le mĂ©diocre dans un ouvrage de goĂ»t, on ne doit trouver que lâexcellent. Cette judicieuse rĂ©flexion, que des amis nous ont fait faire, nous a dĂ©terminĂ©s Ă retrancher plusieurs traits, qui nâĂ©toient pas assez ingĂ©nieux ou les avons remplacĂ©s par dâautres, qui rendront lâOuvrage plus piquant. Il est rare quâune premiĂšre Ă©dition soit parfaite ce nâest mĂȘme assez souvent quâune Ă©bauche,Ă laquelle on donne ensuite plus de perfection ; ou, si lâon veut, ce font des tableaux travaillĂ©s avec soin; P R E F A CE. xxj mais qui, exposĂ©s aux yeux des amateurs, leur laissent apperce- voir des dĂ©fauts, quâune touche plus fine & plus lĂ©gĂšre fait bientĂŽt disparoĂźtre. On avoit trouvĂ© aussi que nous avions traitĂ© avec trop peu dâĂ©tendue lâimportante matiĂšre de la Religion, quoiquâelle soit le plus solide fondement des mĆurs. INI ous avons eu foin de rĂ©parer cette faute. Il auroit Ă©tĂ© difficile & dangereux peut-ĂȘtre, de vouloir donner du nouveau fur un sujet qui a tant de fois Ă©tĂ© maniĂ© & approfondi par les plus beaux & les plus grands gĂ©nies que la Religion a la gloire de compter parmi ses apologistes & ses dĂ©fenseurs. Tout ce que nous avons cru devoir faire, câest de choisir les preuves les plus claires, les plus sensibles, & les plus faciles Ă saisir par les jeunes gens mĂȘme. Ce fera pour eux une elpece de ThĂ©ologie aisĂ©e & naturelle, qui les instruira suffisamment & fans Ă©tude, de ce* qui leur est si essentiel de savoir. Sans entrer dans les difcuffions polĂ©miques, qui nâĂ©toient pas de notre ressort, & laissant Ă part tous les vains sophismes des incrĂ©dules , qui ont Ă©tĂ© cent fois victorieusement rĂ©futĂ©s, nous avons feulement voulu Ă©tablir les principes fondamentaux de la Religions prĂ©senter les grands traits qui attestent fa divinitĂ©, afin de PREFACE. xxiij prĂ©venir tous les doutes qui pou- roient dans la fuite sâĂ©lever dans lâesprit, ou que lâimpiĂ©tĂ© cher- cheroit Ă y faire naĂźtre. Puissent ces secours que nous offrons Ă la jeunesse, la prĂ©munir contre les sĂ©ductions de lâincrĂ©dulitĂ©! Et dans quel fiecle furent-ils jamais plus nĂ©cessaires que dans le nĂŽtre, oĂč lâirrĂ©ligion a fait tant de funestes progrĂšs ! Dieu le permettant ainsi, pour rendre le triomphe de la Religion plus glorieux, pour Ă©prouver notre foi A nous en faire mieux sentir le prix par le malheur de ceux qui la perdent, "K&fF xxlv AVIS. IjAUTEUR a, avec M. Restant , retranche'un r dans je pourai, je pourois , parce quâil ne sây prononce pas comme dans je mourrai, je courrai, jâacquerrai. Il a aussi avec lâAcadĂ©mie , supprimĂ© un t dans le verbe jeter, oĂč le premier e est toujours muet , exceptĂ© je jette, tu jettes, il jette, ils jettent, oĂč il est ouvert. Afin dâorner cette quatriĂšme Editions qui fera la derniers Ă laquelle nous ferons des additions & des changent ens considĂ©rables , nous y avons mis un frontispice allĂ©gorique, reprĂ©sentant la Sagesse , qui donne avec douceur &? avec bontĂ© ses leçons Ă un de ses Ă©levĂ©s. RĂFLEXIONS W Ă - ! NI TW "'»S REFLEXIONS PRĂ LIMINAIRES SUR V ĂDUCATION. -ÂŁJ&SS* Ne o u s ne nous proposons pas de donner ici un nouveau plan dâĂ©ducation. Assez dâautres lâont fait dans ce siecle, & ont imaginĂ© de brillans systĂšmes, moins propres peut-ĂȘtre Ă Ă©clairer & Ă instruire quâĂ sĂ©duire & Ă Ă©garer. Plus rĂ©servĂ©s & plus circonspects sur un objet aussi essentiel, nous voulons seulement exposer quelques rĂ©flexions particuliĂšres, que nous tirerons principalement de notre propre expĂ©rience & de celle des autres. Ce que nous avons Ă dire fur cette importante matiĂšre Ă©tant trop Ă©tendu pour entrer dans le corps de. lâOuvrage , nous avons cru plus conve- Leçon 23 ; Oui ne s'obtient que par la foi en JĂ©sus - Christ mettez » qttepar les mĂ©rites de Je jus- Christ. Partie 2 , Leçon 6 Et quand ce plaifir P emporte il faut mettre ici un carton 8c fur tout le reste jusquâaux demandes. Leçon 11 D. Comment fa volontĂ© s'accomplit-elle fur la terres mettez pouĂŻ rĂ©ponse Lorsque nous gardons ses commandemens* Tome 2 , Part. 1, Leçon Z Incapables desaire aucun bien ajoutez, pour le Ciel. Part. 2, Leçon 2 Et quand ce plaifir , fisc, cartonner jusquâĂ la charitĂ© est fondĂ©e. Leçon 37 nous choisissons toujours mettez , souvent le mal , ÂŁT nous n'avons point de libertĂ© peur faire le bien surnaturel. Ibid, mais nous n'avons pas la force de Pacm complir , parce que notre concupiscence mettez , mais notre oncupiscence. Ibid, elles sont toujours mettez presque toujours. Ibid liest impossible mettez, il est difficile. On a donnĂ© Ă Bruxelles n 1778 VUS Ă©dition orthodoxe de ce Catcçhisme. LO RĂFLEXIONS prĂ©liminaires Quâon cultive la mĂ©moire des jeunes gens par lâĂ©tude des langues ; quâon orne leur esprit de belles & dâutiles connois- sauces mais prĂ©fĂ©rablement Ă tout,quâon sâapplique Ă leur donner la science des mĆurs. O vous que trop souvent la paresse ou lâincapacitĂ© des parens appelle pour remplir un devoir qui devoir leur ĂȘtre auffi'cher que sacrĂ©, songez, lorsque- vous exercez cette fonction importante, que vous devez non-seulement des hommes Ă lâEtat & Ă leur famille, mais aussi des chrĂ©tiens Ă la religion. Songez que vous ĂȘtes les plus coupables des hommes, si vous nĂ©gligez les moyens de rendre vos Ă©leves Ă©galement Ă©clairĂ©s & vertueux. Faites-leur donc des leçons courtes mais frĂ©quentes fur la morale & fur la religion. Apprenez-leur le culte quâon doit Ă Dieu, & les priĂšres quâil faut lui adresser. Pour leur donner lâexemple » priez avec eux , & mettez-vous dans la posture oĂč ils doivent ĂȘtre ce nâest quâen parlant Ă leurs yeux , que vous parlerez Ă leur esprit. A commencer du moment que vous les aurez instruits,ne permettez jamais quâils oublient de prier, ni quâils prient dans une posture peu dĂ©cente, Ă moins quâils ne {oient malades alors au lieu de leurs priĂšres ordinaires, quâils en fassent une courte & quâils nây manquent jamais. Il y a peu de personnes, il est vrai, qui SUR Lâ Ă D U e A T I O N. Lk n'inspirent ce devoir aux en sans, par prĂ©fĂ©rence mĂȘme aux besoins de la vie ; mais on ne le leur fait pas toujours remplir avec assez de piĂ©tĂ©, & lâon nâa pas assez foin de leur en donner lâexemple. Convaincu que les principes de la religion,si propres Ă servir de germe Ă toutes les vertus ,ne doivent pas ĂȘtre seulement appris par mĂ©moire ni expliquĂ©s superfi- eiellement, vous aurez foin que vos Ă©leves les comprennent autant que le permettra la capacitĂ© de leur Ăąge , & quâils sâen pĂ©nĂštrent. Câest par la douceur & par lâinsinuation , bien plus que par les reproches & les chĂątimens, que vous rĂ©uisirez Ă leur inspirer la piĂ©tĂ© & la vertu. Les pratiques de la religion, commandĂ©es avec rigueur , exigĂ©es avec sĂ©vĂ©ritĂ©, faites par contrainte & avec ennui, font le premier joug dont un jeune homme fe dĂ©charge en entrant dans le monde; ou sâil en conserve encore quelques-unes, Ă la maniĂ©rĂ© dont il sâen acquitte, on croiroit volontiers quâil ne les regarde que comme une espece de devoir dâusage, quâil rend par habitude Ă la DivinitĂ©. La cĂ©lĂ©brĂ© Madame de Maintenon est; Ăčn exemple bien propre Ă faire voir ce que peut la douceur pour inspirer aux enfans les sentimens de religion. Elle avoit Ă©tĂ© Ă©levĂ©e dans le calvinisme. LL RĂ©flexions prĂ©liminaires Madame de Neuillant fa parente la prit chez elle , dans le de de in de la rendre catholique mais ohstinĂ©e dans ses premiers principes, cette jeune personne ferma son cĆur aux nouvelles instructions. Madame de Neuillant crut la faire changer en la puniilantpar des humiliations, Scelle la rĂ©duisit mĂȘme Ă garder des dindons. Dans cet Ă©tat dâabaiiiement, un jeune paysan Ă©tant devenu amoureux de Mademoiselle dâAubignĂ©, Madame de Neuillant la mit au couvent des U rfulines de Niort,petite ville du Poitou. La jeune pensionnaire eut le bonheur dây trouver une vieille Religieuse, qui lut sâen faire aimer, &. lorsquâils sont devenus grands , on peut juger par leur conduite Ăź leur tĂšte est bien faine. Il est fort dangereux aussi que les enfans quâon a gĂątĂ©s,nâaient dans la fuite point ou presque point de religion. Les pratiques & les sentimens religieux demandent de la contrainte. Des personnes accoutumĂ©es dĂšs lâenfance Ă ne se gĂȘner en rien , ne voudront pas se contraindre mĂȘme pour Dieu, ni pour les devoirs quâil commande. Quâil est Ă craindre, quâaprĂšs avoir Ă©tĂ© malheureuses en cette vie, elles ne le soient encore plus dans lâautre! Parens aveugles, vous vous trompez grossiĂšrement vous vous croyez tendres, vous 11âĂštes que foibles. Ce nâest pas vos enfans que vous aimez , câest vous seuls, câest le plaisir que vous avez Ă les carelser, aies flatter. Le ciel vous les a-t-il donc confiĂ©s pour ĂȘtre les objets dâune passion folle, ou pour vous servir dâamusement? Ignorez-vous que câest un dĂ©pĂŽt dont vous lui rendrez compte , que vous en ĂȘtes responsables Ă la rĂ©publique, Ă la postĂ©ritĂ©, Ă eux-mĂȘmes ? Un jour viendra que vous payerez bien cher les foibles plaisirs que leur enfance vous donne. 28 RĂ©flexions prĂ©liminaires Quelle sera votre douleur, quand vous verrez lâobjet de toutes vos affections devenu celui du mĂ©pris public ; quand ce fils, rendu dĂ©naturĂ© par lâexcĂšs de vos tendresses, fera le premier Ă vous reprocher tous ses vices, comme Ă©tant votre ouvrage; quand ses mauvaises façons Ă votre Ă©gard deviendront le salaire de vos molles complaisances ! Alors vous rĂ©pandrez des larmes de fing; vous accuserez la gouvernante , le prĂ©cepteur, tout lâunivers. Parens injustes, vous nâaurez Ă vous plaindre que de vous. Nâauriez-vous pas dĂ» savoir , & uneinfinitĂ©[dâexemples'ne vous avoient- ils pas assez instruits, que les enfans gĂątĂ©s font toujours ingrats , & que celui qui nĂ©glige la correction de son fils nourrit son ennemi ? La verge es 1 la correction , dit lâEcriture, donnent la fagefj'emais F enfant qui efl abandonnĂ© Ă fa volontĂ©, couvrira fa mere de confusion i . Marie de MĂ©dicis lâ avez pleurĂ©, lui disoit Henri IV, de ce que je fouettois votre fils avec un peu de sĂ©vĂ©ritĂ© mais quelque jour vous pleurerez beaucoup plus du mal quâil aura, ou de celui que vous aurez vous-mĂȘme. Câest t T'ĂŻrga atque correftlo tribuit fapientiam puer tutcm qui dimittitur valuntati sua, confundie matrctn ÂŁuam, Prov. 2S. sur lâĂdĂŒcatios. 29 en effet ce qui arriva aprĂšs la mort de ce Prince. Louis XIII, devenu majeur, ĂŽta Ă la Reine fa mere les personnes qui avoient fa confiance. On lui dĂ©fendit de sortir de son appartement , dont on fit murer les portes, Ă lâexception dâune feule, & lâon inlulta cette Princesse jusquâĂ venir fouiller dans lĂ chambre & dans son cabinet. Un traitement autfi dur dĂ©termina Marie de MĂ©dicis Ă demander elle-mĂȘme son Ă©loignement. On ne lui laissa pas le choix du lieu de fa retraite, qui fut fixĂ© Ă Blois. On lui accorda seulement la consolation devoir son fils avant de partir , mais on avoir rĂ©glĂ© julquâaux termes 'dont elle de voit se servir pour faire ses adieux au Roi. Ils furent fort tendres de la part de la Reine, qui fondoit en larmes. Pour son fils, dĂšs quâil fut que fa mere alĂźoit monter en carrosse, il alla fur son balcon pour la voir partir ; & lorsquâelle fut sortie du Louvre, il courut Ă sa galerie pour la voir passer encore sur le Pont- neuf. Il sembloit que°ce Prince se lit un plaisir barbare de repaĂźtre ses yeux dâun spectacle qui auroit du dĂ©chirer son cĆur. Cette infortunĂ©e Princesse , ayant trouvĂ© le moyen de sâĂ©chapper de lâespece de prison oĂč on la tenoit renfermĂ©e, erra de pays en pays, & se vit enfin obligĂ©e de se retirer Ă Cologne. B ? ZO RĂ©flexions prĂ©liminaires Les chagrins multipliĂ©s & les humiliations en tout genre quâavoit reçu cette Princesse, avoient tellement flĂ©tri son ame, quâelle en Ă©toit devenue stupide. Elle mourut comme une bourgeoise obscure,iĂ ns ĂȘtre plainte dans son infortune, Ă laquelle il faut convenir quâelle avoit donnĂ© lieu, & quâelle auroit mĂ©ritĂ©e de la part de tout autre que dâun fils. Quelquâun a fort bien dit Peres, nâĂ©coutez pas une aveugle tendresiĂ« Corrigez vos enfans, lorsque dans leurjeuneslĂš Sans peine vers le bien vous pouvez les plier. Câest bien aimer, dit-on, que de bien chĂątier. Fables d'Esoee. On sâimagine quâil ne faut point con- traindreles enfans dans leurs premiĂšres annĂ©es. On ne fait pas attention que les contradictions quâon apprĂ©hende ne font rien, & que celles quâon leur prĂ©pare seront terribles. Car ils ne trouve- rontpas toujours des personnes disposĂ©es Ă faire toutes leurs volontĂ©s ils trouveront souvent au contraire des concur- rens ou des ennemis qui leur feront Ă©prouver des chagrins dâautant plus sensibles & plus amers, quâils auront Ă©tĂ© plu-s flattĂ©s dans leur enfance. Câest ce qui arriva Ă un jeune homme dont parle lâauteur du Comte de Valmont. sur lâĂducation. 51 Il avoir Ă©tĂ© Ă©levĂ© , ainsi que sa sĆur, le plus mal du monde, par une mere idolĂątre de ses enfans , & qui toujours en opposition avec le pere dans le peu quâil oldit leur dire, Ă©toit souvent en contradiction avec elle-mĂȘme. TantĂŽt elle les grondoit, les maltraitoit dans des accĂšs dâimpatience ; le moment dâaprĂšs elle les appaisoit, les careflĂŽit, & par tout ce manege leur apprenoit tout Ă la fois, & Ă se rĂ©volter contre les chĂątimens, & Ă dĂ©daigner les caresses , ne gagnant auprĂšs dâeux dâun cĂŽtĂ© que pour perdre encore plus de lâautre , ne les portant Ă cĂ©der pour le moment que de maniĂšre Ă les rendre bien plus opiniĂątres & plus volontaires par la lâĂ©toient-ils devenus au point que rien ne pouvoit plus les appaiser ni les satisfaire. La mere, toujours aux expĂ©dions pour les faire obĂ©ir, ne savoir les animer, les rĂ©compenser ou les punir que par tout ce qui pouvoir intĂ©resser en eux la vanitĂ©, la gourmandise , lâamour du luxe & de la parure; ce qui avoitdonriĂ© au fils beaucoup de suffisance, & Ă la fille un amour excessif des ajustemsns , qui fut bientĂŽt suivi dâune envie dĂ©mesurĂ©e de plaire. Une si mauvaise Ă©ducation eut lâeffet quâon devoir en attendre. La fille dĂ©shonora iĂą famille, & alla cacher fa honte dans un couvent. Le fils trouva dans le B 4. ;L RĂ©flexions prĂ©liminaires sionde bien des contradictions & des peines au sein mĂȘme de ses plaisirs il mangea en peu de temps tout son bien, & nâeut dâautre ressource pour subsister que la compassion dâun de ses proches , aprĂšs avoir vil mourir samere de chagrin & de douleur. Parais foibles,aveugles & insensĂ©s, quâil est juste que vous payiez cher un jour des Ă©carts que vous ne pouvez imputer quâĂ vous-mĂȘmes ! On se propose de plier lors, quâil seLa grand ; pourquoi ne veut-on pas voir quâil seroit plus facile dây rĂ©ussir lorsquâil estfoible? Ne fiit-on pas quâun jeune arbre se plie comme on veut? quand il est fort % on le romproit plutĂŽt que de le redresser. Un cheval quâon nĂ©glige A quâon ne dornte pas de bonne heure, devient intraitable il en est de mĂȘme, dit le Sage, du fils quâon abandonne Ă sa libertĂ©; il deviendra incorrigible , & se prĂ©cipitera dans les plus grands dĂ©sordres. Ne le rendez point maĂźtre de lui-mĂȘme dans sa jeunesse, ajoute-t-il, & ne nĂ©gligez point ce quâil fait ni ce quâil penle. Courbez-lui le cou pendant quâil est jeune i , de peur quâil ne sâendurcisse, quâil ne veuille plus vous Xi Equus Indomitus evudit du us , filius remijsus evadit prxceps , iCccii. 30. sur- lâEducation. 33 âąbĂ©ir , & que votre arae ne soit percĂ©e de douleur. Nâattendez donc pas que le vĂŽtre commette de grands crimes, pour le corriger. La malice croĂźt avec lâĂąge, & elle arrive enfin Ă un terme & Ă un excĂšs oĂč le chĂątiment eft non-feulement trĂšs- inutile,mais aulĂźi trĂšs-dangereux. LâHistoire ancienne nous en a conservĂ© un exemple qui doit faire trembler tous les parens. Denis le Tyran ayant en son pouvoir le fils de Dion son ennemi, imagina contre le pere une vengeance singuliĂšre, & dâautant plus cruelle quâelle paroissoit plus douce. Au lieu desaire mourir cet enfant ou de le mettre dans une dure prison, il se proposa de corrompre en lui toutes les bonnes qualitĂ©s de lâarne. Dans ce dessein, il lui permit tout, lâabandonna entiĂšrement Ă ses fantaisies, & ordonna quâon lui laissĂąt faire toutes ses volontĂ©s. Le jeune homme, emportĂ© par lâamour des plaisirs, donna dans la plus affreuse dĂ©bauche. Personne nâa voit lâĆil sur sa conduite, ni nâarrĂȘtoit le torrent de ses passions. On contentoifc tous ses dĂ©sirs, on louoit toutes ses fautes; ce qui acheva de le corrompre & de le prĂ©cipiter dans toutes forces de crimes. Lorsque le Tyran le vit tel quâil dĂ©siroit, il le rendit Ă son pere. On b r 54 RĂ©flexions prĂ©liminaires Je mit entre les mains de Gouverneurs, qui nâoublierent rien pour le faire changer ; mais tout fut inutile car plutĂŽt que de fe corriger , il fe jeta du haut de la maifpn & fe cassa la tĂȘte i . Câest donc une erreur bien aveugle & bien funeste, que de croire quâil faut attendre quâun enfantait cesse de lâĂȘtre pour travailler Ă former son caractĂšre & Ă le rendre docile.. Si dĂšs la premiĂšre enfance on ne lâaccoutume point Ă suivre la raison dâautrui, on peut ĂȘtre fur quâil ne suivra pas la sienne quand il fera plus avancĂ© en Ăąge. Tant que lâenfant fe portera bien, q-uâon ne lui passe ni volontĂ© ni impatience ; quand mĂȘme il serait indisposĂ©, il ne faudroit pas sâĂ©carter de cette regle. Un mois de maladie , durant lequel on nâauroit cherchĂ© quâĂ le flatter & Ă lui obĂ©ir,nuiroit plusĂ fon Ă©ducation quâune annĂ©e de foins nâauroit pu lâavancer. Ce nâest pas la maladie qui rend impatient, câest lâhabitude dâĂȘtre impatient qui fait quâon lâest davantage quand onfoulfre; & câest la foible & timide complaisance des parens, qui fait quâalors un enfant le devient Ă lâexcĂšs. Les premiĂšres volontĂ©s dâun enfant i Cor, Nep, dans la Vie de Ilion. sur lâĂducation. z>- sont toujours foibies ; câest un germe qui se dĂ©veloppe , mais que la moindre rĂ©sistance arrĂȘte. Elles resteront foibies tant quâelles lui rĂ©usiiront mal. Sâil demande quelque chose avec impatience, on lui dira avec beaucoup de douceur quâon est bien fĂąchĂ© de le refuser, mais quâon nâaccorde point aux enfans ce quâils demandent avec impatience. Peut- ĂȘtre il nâentendra pas ce discours, mais il remarquera lâair & le ton ; il verra quâon ne lui donne point ce quâil a demandĂ© surpris de ne rien obtenir, ou las de crier inutilement , il suspendra ses larmes quâon profite de cet intervalle pour le satisfaire. Mais ne lui accordez jamais ce quâil demande en pleurant. Il sâapper- cevroit bientĂŽt que les larmes font le moyen dâobtenir, & il ne manqueroit pas de lâemployer, souvent mĂȘme pour avoir des choses quâon ne pouroit lu donner. Comme nous sommes convaincus que câest dans les pleurs dâun enfant, bien ou mal compris , bien ou mal dirigĂ©s par la tend reife des mer es, que consiste presque tout lâart & toute la difficultĂ© dĂ©fia premiĂšre Ă©ducation, nous ajouterons ici quelques rĂ©flexions judicieuses que fait Ă ce sujet M. Rousseau dans son 'Emile , oĂč parmi un grand nombre dâerreurs trĂšs-pernicieuses se trouvent des vĂ©ritĂ©s B 6 RĂ©flexions prĂ©liminaires utiles. â Les premiĂšres pleurs I clĂ©s enfans, dit-il, font des priĂšres si lâon nây prend garde,elles deviennent bientĂŽt des ordres. Ils commencent par fe faire assister, ils finissent par se faire servir. â Si lâenfant ne pleure que quand il souffre, câest un trĂšs-grand avantage car alors on fait quand il a besoin de secours , & lâon ne doit pas tarder un moment Ă le lui donner, sâil est possible il importe mĂȘme quâon le prĂ©vienne , & quâon ne fe laisse pas avertir de ses besoins par ses cris. Mais si vous ne pouvez le soulager, restez tranquille sans le flatter pour lâap- paiser vos caresses ne guĂ©riront pas fa colique; cependant il fe souviendra de ce quâil faut faire pour ĂȘtre flattĂ©, & sâil sait une fois vous occuper de lui Ă fa volontĂ©, le voilĂ devenu votre maĂźtre, tout est perdu. â Les longs pleurs dâun enfant qui nâest ni liĂ© ni malade, & quâon ne laisse manquer de rien, ne font que des pleurs dâhabitude & dâobstination ils ne font point lâouvr .ge de la nature , mais de la nourrice qui , pour nâen savoir endurer lâimportunitĂ©, la multiplie, sans songer quâen faisant taire lâenfant au jourdâhui, on lâex- xite Ă pleurer demain davantage. Le seul moyen de guĂ©rir ou de prĂ©venir cette X j, Il falloir dire Le-! frtmkn plsuu, sur lâEducation; 37 habitude, est de nây faire aucune attention personne nâaime Ă prendre une peine inutile , pas mĂȘme les enfans. Ils font obstinĂ©s dans leurs tentatives mais fl vous avez plus de constance quâeux dâopiniĂątretĂ©, ils se rebutent, & nây reviennent plus. Câest ainsi quâon leur Ă©pargne des pleurs, & quâon les accoutume Ă nâen verser que quand ladouleus les y force. â Au reste, quand ils pleurent par fantaisie ou par obstination , un moyen sĂ»r pour les empĂȘcher de continuer est de les distraire par quelque objet agrĂ©able & frappant qui leur fasse oublier quâils vou- loient pleurer. La plupart des nourrices excellent dans cet art; bien mĂ©nagĂ© , il est trĂšs-utile mais il est de la derniere importance que lâenfant nâapperçoive pas lâintention dele distraire,& quâil sâamuse sans croire quâon songe Ă lui or voilĂ sur quoi toutes les nourrices font maladroites. line faut quelquefois aux en- fans, pour pleurer tout un jour, que sâappercevoir quâon ne veut pas quâils pleurent. Le pis est que lâobstination quâsis contractent tire Ă consĂ©quence dans un Ăąge avancĂ©. La mĂȘme cause qui les rend criards Ă trois ans , les rend mutin Ă douze, querelleurs Ă vingt, impĂ©rieux Ă trente, & insupportables toute leur vie " HZ RĂ©flexions prĂ©liminaires DĂšs quâun enfant donne les premiers signes de connoiisonce , il est donc essentiel de prĂ©venir en lui toute obstination & toute indocilitĂ©. LâopiniĂątretĂ© est le dĂ©faut de la plupart des enfans ; mais on peut dire quâils le doivent en grande partie Ă la premiĂšre Ă©ducation. On dĂ©fĂ©rĂ© Ă toutes leurs fantaisies. Ce quâon a refusĂ© Ă leurs priĂšres, on lâaccorde Ă leur importunitĂ©, Ă leurs pleurs , Ă leurs violences. On les porte mĂȘme Ă iĂš venger, Ă frapper. â Jâai vu, dit encore lâauteur d 'Emile ; dâimprudentes gouvernantes animer la mutinerie dâun enfant, lâexciter Ă battre, sâen laisser battre elles-mĂȘmes, & rire de ses foibles coups , fans songer quâils Ă©toient autant de meurtres dans lâintention du petit furieux, & que celui qui veut battre Ă©tant jeune, voudra, tuer Ă©tant grand â. Comment un enfant craindra-t-il ses parens, quand ils ne lui seront pas reconnoĂźtre leur autoritĂ© , & quâils ne feront quelquefois que ses premiers fer-? viteurs ? AbandonnĂ© au dĂ©rĂšglement de ses goĂ»ts & au dĂ©sordre de ses idĂ©es, il sâĂ©lĂšvera lui-mĂȘme le plus doucement & le plus mal quâil lui fera possible. Devenu absolu & volontaire , il prendra lâhabitude de ne plus Ă©couter que son caprice & so volontĂ©. Voulez-vous que cela nâarrive pas sur lâĂducation. 59 prenez une dâagir toute diffĂ©rente. Observez de ne Je caresser que lorsquâil sera tranquille , & de cesser les caresses ou mĂȘme de prendre un air plus sĂ©rieux dĂšs quâil fera opiniĂątre ou impatient. Cette conduite nâa rien de dur ni de cruel. Lâenfant remarquera bientĂŽt quâil nâest caressĂ© & quâil nâobtient ce quâil veut s que quand il est doux ; & il aimera mieux le devenir. DĂšs que vous lâaurez rendu tel, comptez que vous aurez tout gagnĂ©i il fera entre vos mains de mĂȘme quâune cire molle , que vous pĂ©trirez comme il vous plaira. Mais qui que vous soyez, pere ou mere, prĂ©cepteur ou gouvernante ; si vous voulez former le caractĂšre de votre Ă©leve , tĂąchez de rĂ©gler & de soutenir le vĂŽtre. Car nĂ© croyez pas quâon forme un enfant avec de beaux discours & de belles phrases vos discours poliront Ă©clairer son ame, mais câest votre caractĂšre qui fera le sien. Avec beaucoup de rĂ©gularitĂ© dans la conduite , ayez beaucoup dâĂ©galitĂ© dans lâhumeur , de gaietĂ© dans vos leqons, de douceur dans vos paroles. PrĂȘchez dâexemple rien nâest plus puis, suit sur les eufans comme fur les hommes faits. Ne vous permettez pas, sâil est possible, une parole qui ne soit une leçon , une dĂ©marche quiâ ne soit un modele. De quelque tempĂ©rament que soit 4° RĂ©flexions prĂ©liminaires votre Ă©leve, vous verrez quâinsensible- ment la vertu , la douceur & la sĂ©rĂ©nitĂ© de votre aine passeront dans la sienne. 11 ne faut donc jamais confier -un enfant Ă des personnes tracĂ ffieres , grondeuses, acariĂątres ou pleines dâhumeur bientĂŽt il leur ressemblerait ou devien- droit pire encore. Veillez avec foin fur les personnes qui approcheront vos en- fans. Ne les laissez jamais entre les mains des domestiquĂ©s , ou dâautres gens im- prudens & sans Ă©ducation, qui se plaisent souvent Ă les agacer, les irriter, les impatienter , ou ne leur apprennent que de gross ers badinages. Cette frĂ©quentation leur seroit cent fois plus dangereuse Ăą plus funeste que les plus douloureuses maladies. Que lâentrĂ©e de leur chambre ne soit permise quâĂ des personnes prudentes & polies qui, quand elles joueront avec eux, sachent conserver de la dĂ©cence, & qui,lorsquâelles les entretiendront , ne leur parlent jamais que raison, & ne leur inspirent que des sentimens louables. Faites en forte quâils ne parodient point ou quâils ne parodient quâun moment, lorsque vous aurez beaucoup de monde. Ils nây trouveroient que des complaisans qui les flatteroient, ou des personnes qui en feroient leur jouet ni lâun ni lâautre ne doivent plaire Ă des sur lâEducation. 41 parens sensĂ©s. Les exemples quâils verdoient , ne seraient pas toujours ailĂ©s dons; les conversations quâils entendraient, ne feraient pas ailĂ©s discrĂštes. Beaucoup dâactions fans consĂ©quence , ne Je sont point pour un enfant beaucoup de discours qui ne signifient rien pour des gens faits, pouroient nuire Ă fa raison ou Ă ses mĆurs. IV. Les MĆurs. O N ne saurait ĂȘtre trop circonspect devant les enfans ils voient, ils Ă©coutent, ils remarquent tout, & souvent mieux quâon ne croit. Mais comme peu de personnes , Ă moins quâelles nâen fassent leur unique affaire, font capables de se contraindre ou de vouloir se gĂȘner au point'de ne jamais rien laisser Ă©chapper qui ne soit entiĂšrement conforme aux rĂ©glĂ©s de la vĂ©ritĂ© & de la sagesse ; que vos enfans voient peu dâĂ©trangers, & par votre exemple apprenez Ă ceux quâils seront forcĂ©s de voir, Ă respecter leur enfance. Lar vous ne devez jamais oublier vous-mĂȘme quâune des plus belles maximes de lâĂ©ducation est celle que la raison- a dictĂ©e Ă un ancien 1 , & aprĂšs lui Ă un moderne C I ; Maxhna dtlstur pttcro rercrentia. J uv. 42 RĂ©flexions prĂ©liminaires On imite aisĂ©ment le mal que lâon voit faire, St le mauvais exemple aux humains tstfatal. Je rĂ©pĂ©tĂ© aprĂšs Juvenal Cette maxime salutaire A vos en/ans , dit-il, vous dcve\ des Ă©gards s Si vous ave\ quelque foĂŻblefsc a t' , fuye\ leurs regards , Rcspcfte\leur tendre jeuncjse . Rien zk. Bien des parens aiment assez Ăą donner Ă leurs enfans des leçons de vertu & de probitĂ© ; on se fait honneur mĂȘme de leur rĂ©pĂ©ter les maximes les plus exactes & les plus sĂ©veres de la sagesse mais souvent la conduite domestique soutient mal ces belles instructions. Auffi, bien loin de leur inspirer des sentimens de vertu par ces leçons que des mĆurs opposĂ©es dĂ©mentent, on les accoutume Ă croire que la vertu nâest quâun nom, & que les maximes quâon en dĂ©bite ne lont quâun langage dont on est le maĂźtre dĂ©penser tout ce quâon veut. Il est donc plus essentiel encore de leur donner de beaux exemples que de belles leçons lâun & lâautre font un devoir pour les parens, dont lâexemple, ainsi que lâautoritĂ©, est toujours plus puis ant.. Mais gardez-vous fur-tout dâadopter jamais pour regle cette maxime pernicieuse , que nous avons souvent entendu rĂ©pĂ©ter Ă des personnes du monde peu s u R lâĂducation. 4 % rĂ©flĂ©chies Quâil faut tout dire aux enfam , U 1rs injĂŻruire du mal mĂȘme , afin quils sachent T Ă©viter U fe tenir fur leurs gardes. Parler ainsi, ce nâest pas connoitre la nature humaine, ni la prompte & presque invincible disposition des enfans Ă faire tout ce qui les frappe & les attire. La raison croissant avec la connoissancesucceflive du mal, sert dans la fuite de rempart contre les impresi. fions du vice mais elle est trop foible encore dans les enfans pour les dĂ©fendre contre les attraits sĂ©ducteurs du mal, & contre les sollicitations pressantes de cette curiositĂ© expĂ©rimentale qui fait le caractĂšre de leur Ăąge. Quâon les laisse donc ignorer le mal, & mĂȘme les vĂ©ritĂ©s physiques ou morales dont ils pouroient abuser. Ils les connoĂź- tront bien allez dans la fuite par la lecture & par lâusage de la ils feront alors armĂ©s & fortifiĂ©s contre les premiĂšres impressions du vice, par le sentiment de la vertu & par les grands motifs de la religion , si l'on a eu la prĂ©caution de les graver bien avant dans leur esprit Faites-leur seulement des leçons gĂ©nĂ©rales fur la dĂ©cence & la pudeur donnez- leur des avis sĂ©rieux lorsquâils sâĂ©chappent le plus lĂ©gĂšrement du monde, ne fĂ»t-ce quâen sepermettantun mot peu honnĂȘte eu peu dĂ©cent. Par cette conduite , en 44 RĂ©flexions prĂ©liminaires ies Ă©loignant de lâapparence mĂȘme du mal, on les Ă©loignera encore plus de la rĂ©alitĂ© ; & en les tenant en garde contre les paroles, ils le seront encore davantage contre les faits. A mesure quâun instituteur attentif sâappercevra que Ta connoissance du mal se dĂ©veloppe dans son Ă©leve, il redoublera dâactivitĂ© & de prudence, pour le prĂ©munir par desleqons , des motifs, des exemples propres Ă le tenir attachĂ© Ă la vertu. Il lui tracera avec discrĂ©tion des tableaux nuancĂ©s & comme de profil des vices les plus dangereux qui rĂ©gnent dans le commerce de la sociĂ©tĂ©. Par-lĂ , en entrant dans le monde, le jeune homme ne fera plus frappĂ© de rien, parce quâil est averti suffisamment, & quâen voyant le mal, il est parfaitement instruit de la maniĂ©rĂ© dont il saut lâenvisager. Cette eonnoistance gĂ©nĂ©rale & nĂ©cessaire suffira pour le prĂ©server de Pimpreffion subite & profonde, si voisine du vice, quâil recevroit infailliblement, sâil venoit Ă se produire dans les sociĂ©tĂ©s avec une ame pour ainsi dire toute neuve , & ne con- noiisant encore que lâinnocence. Comme les enfans font enclins Ă imiter tout ce quâils voient,ils font fur-tout, par leurenjouement naturel, portĂ©s Ă contrefaire les personnes dont le ton de voix ou les façons leur paroissent ridicules. sur lâĂducation. 4^ Au lieu dâen rire, comme font tant dâautres , il faut les en reprendre sĂ©vĂšrement. Outre que ces maniĂ©rĂ©s mimiques ont quelque chose de bas & de contraire aux fentimens honnĂȘtes, il elf Ă craindre quâils nâen contractent lâhabitude , & quâils ne deviennent eux-mĂȘmes auffi ridicules que ceux quâils ont ridiculisĂ©s. Il faut bien plutĂŽt profiter de cette pente quâils ont Ă ĂȘtre imitateurs, pour les porter Ă ce qui est vertueux & louable. Câest-lĂ le grand art & la magie de lâĂ©ducation. Quâils nâaient fous les yeux que des modĂšles de vertu , ils ne seront jamais vicieux. Mais comme il nâest pas pofllble quâils ne voient, malgrĂ© les prĂ©cautions quâ011 prend, beaucoup de choses qui font mal; il faut leur faire remarquer de bonne heure lâimpertinence de certaines gens vicieux & dĂ©raisonnables , fur la rĂ©putation desquels il nây a rien Ă mĂ©nager. Il faut leur montrer combien on est mĂ©prisĂ© & digne de lâĂȘtre, combien on est malheureux, quand on sâabandonne Ă ses pallions & quâon ne fuit point fa raison. Il ne faut pas mĂȘme, dit M. de FĂ©nelon, sâabstenir de le prĂ©venir en gĂ©nĂ©ral fur certains dĂ©fauts, quoiquâon puiiTe craindre de leur ouvrir par-lĂ les yeux fur les foibleifes des personnes quâils 46 RĂ©flexions prĂ©liminaires doivent respecter car on ne doit pas espĂ©rer quâils les ignoreront toujours & ils ne l'es remarqueront que trop vite. Mais quoiquâon doive leur donner les vrais principes, & les prĂ©server dâimiter le mal quâils ont nĂ©celsairement devant les yeux , il faut pourtant rĂ©server de telles instructions pour lâextrĂ©mitĂ©, & les instruire en mĂȘme temps quâils font obligĂ©s de diffimuler, dâexcuser, de supporter, les dĂ©fauts des autres , & fur-tout de leurs parens ; quâils doivent les couvrir eu quelque forte, comme les vertueux fils de NoĂ© , du manteau du respect, & nâarrĂȘter leurs regards que fur leurs bonnes qualitĂ©s. On seroit bien rarement dans la triste nĂ©cessitĂ© de prendre toutes ces prĂ©cautions Ă lâĂ©gard des parens mĂȘmes, sâils avoient un peu plus de prudence & de discrĂ©tion. Mais au lieu de cacher avec foin Ă leurs enfans tous leurs dĂ©fauts, il semble que la plupart affectent de les leur montrer, & quelquefois de les leur ne se contente pas dâĂȘtre vicieux ou libertin on fait de ses enfans par ses leçons & par ses exemples, une lucceffion & une gĂ©nĂ©ration de libertins. On nâest leur pere que pour leur transmettre ses vices, que pour leur faire sucer avec le lait ses maximes impies ou scandaleuses. Semblable Ă ces parens LâĂdUCATIOĂŻT. 4 f cruels, quâune superstition barbare por- toit Ă immoler leurs propres enfans au dĂ©mon de lâidolĂątrie, 011 les sacrifie dĂ©jĂ en quelque forte au dĂ©mon de lâorgueil, de lâambition, de la vengeance, de lâamour impur, dont on leur inspire, souvent pour toute leur vie, les premiers & pernicieux fentimens. Si lâEvangile prononce 1 e pl us terrible anathĂšme contre celui qui scandalise & porte au mal les petits & les foibles , sâil dĂ©clare quâil vaudrait mieux pour lui quâon lui attachĂąt une meule au cou, & quâon le prĂ©cipitĂąt dans la mer ; combien un pere nâcst-il pas criminel ! & combien ne doit-il pas redouter les effets de la vengeance divine, lorsquâil cause la perte Ă©ternelle de ses enfans en corrompant leur cĆur ! U11 autre mal ausiĂź grand, & dont nous nâavons Ă©tĂ© nous-mĂȘmes que trop souvent tĂ©moins, câest que des parens, nâĂ©tant plus dans le cas ou dans lâĂąge de donner certains mauvais exemples , les renouvellent souvent & les perpĂ©tuent, pour ainii dire, en regrettant les plaisirs de leur jeunesse, en racontant avec une forte de complaisance & de satisfaction la vieille histoire de leurs inclinations, de leurs foiblesses, de leurs vices, de mille choses dont ils ne devraient fa souvenir que pour en gĂ©mir & en rougir. Ils croient suffisamment rĂ©parer le tout. 48 RĂ©flexions prĂ©liminaires & prĂ©venir le mal, en recommandant de ne pas faire comme eux. Mais quelle force peuvent avoir de telles leçons, que lâexemple a dĂ©jĂ dĂ©truites par avance. V. LâautoritĂ© & ie rejpeĂą. Des parens veulent que leurs enfans aient de P estime & du respect pour eux, & ils ont raison ; car ces deux sentimens fi justes , & si honorables pour les uns & pour les autres , font en mĂȘme temps si nĂ©cessaires & si essentiels , que fans cela il ne fera jamais faire aucun bien. Mais ils ne devroient pas du moins ĂȘtre les premiers Ă les veulent-ils que leurs enfans les estiment & les refpectent , sâils se montrent Ă leurs yeux ridicules ou mĂ©prisables ? Pour vous, que des parens trop occupĂ©s ou trop indolens chargent de les remplacer,tĂąchez de vous faire toujours estimer & respecter T de vos Ă©leves, en veillant fur vous-mĂȘmes pour ne leur rien laisser voir qui ne soit estimable. Leur relpect Ă©tant le premier sentiment que vous devez exiger dâeux, ne souffrez jamais quâils le perdent impunĂ©ment. Mais pour cela il faut que les parens vous appuient ; & nâest-il pas de leur plus grand intĂ©rĂȘt de le faire, puisque vous tenez leur place , & que sâils laissent affoiblir votre autoritĂ©, ils perdront infailliblement sur uâĂ ducation. 49 infailliblement beaucoup de la leur? Il ne peuvent se faire respecter eux-mĂȘmes, quâen imprimant Ă votre emploi toute la considĂ©ration & toute la dignitĂ© convenables. LâEmpereur Thcodofc le Grand ayant fait venir de Kome Ă Constantinople un homme de mĂ©rite, nommĂ© ArsĂšne, pour le charger de lâinstruction du jeune Arcadius, quâil venoit de dĂ©clarer Auguste , il lui donna toute lâautoritĂ© quâil avoit fur son fils , & lui dit ces belles paroles Vous ferez dĂ©formais son pere plus que je ne le fuis moi-mĂȘme. Etant un jour entrĂ© dans la chambre oĂč ArsĂšne instruisoit Arcadius, il vit le maĂźtre debout, tandis que le disciple Ă©toit assis. 11 en tĂ©moigna de l'indignation , & fit mĂȘme des reproches au maĂźtre de ce quâil ne confier voit pas assez sa supĂ©rioritĂ©. ArsĂšne sâexcusa sur ce quâil nâĂ©toit pas de la biensĂ©ance quâun Prince revĂȘtu de la pourpre, restĂąt debout devant lui. ThĂ©odose qui vouloit inspirer Ă son fils un grand respect pour son maĂźtre, lui fit quitter aussi-tĂŽt les marques impĂ©riales, & lui ordonna de se tenir debout, la tĂȘte dĂ©couverte, devant son prĂ©cepteur assis. Quelque chose qui puisse arriver de 3a part des parens ou du prĂ©cepteur, ĂŒ faut quâil paroisse y. avoir toujours Tome I. C fo RĂ©flexions PRĂLIMINAIRES une parfaite harmonie entre eux & lui. Ils doivent le soutenir de toute leur autoritĂ©, & sur-tout prendre garde Ă ne jamais lui faire perdre la sienne, eu parlant de ses dĂ©fauts en prĂ©sence de son Ă©leve , ou en blĂąmant la conduite. Un maĂźtre peut manquer, & des parens doivent quelquefois lâen avertir, mais avec honnĂȘtetĂ© & politesse , & toujours en particulier. Lâinstituteur de son cĂŽtĂ© ne doit jamais parler Ă son Ă©leve de scs parens quâavet estime & respect. Il doit lui apprendre & lui rĂ©pĂ©ter souvent, que son bonheur ou son malheur est dans leurs mains ; quâil tient de leur bontĂ© tout ce quâil a ; quâils font pour lui lâimage de la DivinitĂ© ; que Dieu leur a donnĂ©, par rapport Ă lui, une partie de sa puissance, de sa bontĂ©, de fa justice ; quâil ordonne de les aimer & de les respecter; & que le bonheur de cette vie & de lâautre nâest promis quâaux enfans qui honorent leur pere & leur mere. Que les parens cachent Ă leurs enfans toute la tendresse quâils ont pour eux ils en abuseraient. Le premier foin dâun enfant est de trouver lâendroit foible de ses maĂźtres & de tous ceux Ă qui il est soumis. DĂšs quâil a pu les entamer , il prend fur eux un ascendant quâil ne perd plus. Etes-vous jaloux de conserver lâautoritĂ© sur l'Education. fs âąS; le respect, qui vous sont II nĂ©cessaires pour le bien mĂȘme de vos enfans ne badinez jamais-avec eux dâune maniĂ©rĂ© indĂ©cente, comme avec un perroquet ou une poupĂ©e. Quand on estpere, peut-on ne pas sentir le respect quâon doit Ă son fsts & quâon se doit Ă soi-mĂȘme Flattez votre fils , dit lâEcclĂ©siastique, & il vous causera de grandes frayeurs jouez avec lui , N il vous donnera beaucoup de chagrins. Ne vous amusez pas Ă rire avec lui , de peur que vous n'en ayiez de la douleur , ÂŁ quĂ la fin vous n'en recueilliez des fruits amers qui vous feront grincer les dents si. LâĂąge le plus tendre, il est vrai, a besoin de quelque indulgence & de quelques caressĂ©s mais auln-tĂŽt que lâesprit dâun enfant commence Ă se former , le pere ne doit plus sâamuser Ă rire & Ă jouer avec lui, parce que cette familiaritĂ© le porteroit bientĂŽt Ă traiter dâĂ©gal celui Ă qui il doit toujours ĂȘtre soumis avec le plus grand respect, & dont il doit craindre les moindres paroles. Si vous continuez' Ă jouer avec lui, vous perdrez beaucoup Ă ce jeu-lĂ . Votre familiaritĂ© fera rĂ©compensĂ©e dâun mĂ©pris qui remplira votre vie de chagrins & dâamertumes. I La afili um , par entern teficlet ludecumeo , ccntriftahit te. Non corridcas ils â, ne dolcas ; & in noviffimo tbflupefant dentĂ©s tui, Eccli. 30, C L f 2 RĂ©flexions prĂ©liminaires ,, Trois choses, dit lâAuteur des Con seils de la Sagesse , vous feront perdre nĂ©cessairement lâautoritĂ© fur votre fils rire avec lui & vous rendre trop familier , souffrir & dissimuler ses fautes, lui donner de mauvais exemples & faire paroitre devant lui vos foiblesses & vos sont-lĂ les trois indiscrĂ©tions qui lui ĂŽtent le respect, & qui lâaccoutument Ă vous mĂ©priser. Evitez-les soigneusement car dĂšs que vous verrez votre autoritĂ© perdue, assurez-vous que votre fils est perdu lui-mĂȘme. â Les en fans viennent en un Ăąge, oĂč il ne leur faut plus ni de lait, ni de caresses, ni de ris, ni de familiaritĂ©. Il faut toujours de lâamour ; mais en cet Ăąge, câest Ă votre fils de deviner que vous lâaimez ; ce nâest pas Ă vous de le lui dire. Ayez une retenue & un silence qui fassent tout, qui le louent quand il fait bien, & qui le corrigent quand il manque. Ne lui Ă©pargnez pas les louanges ni les corrections mais faites en forte, sâil est possible, que les unes & les autres ne se donnent que par les yeux. Quand il a bienfait, quâil soit ravi de vous voir, & quâil prenne cela pour fa rĂ©compense. Quand il a mal fait, que votre prĂ©sence & votre tristesse soient tout son supplice â. SUR iâĂDUCAT ON. g? VI. Les Punitions. Votre Ă©leve fera des fautes ; il est de ' lâenfance,de lâhumanitĂ© mĂȘme dâen faire mais si vous ĂȘtes attentif, il en fera peu. Les enfans ne font presque jamais punissables , quâil nây ait plus de la faute de ceux qui les conduisent que de la leur. Plus votre conduite fera Ă©gale & soutenue , moins il olĂšra sâĂ©carter de ce que vous lui prescrirez. Plus vous mettrez de douceur, dâaffection & de bontĂ© dans vos leçons & dans vos remontrances, plus il lui fera facile de sây conformer. Plus vous lâavertirez de ses devoirs , moins il fera en danger dây manquer. Soyez doux, mais ferme. Ne faites point de menaces inutiles ou infructueuses lâenfant sây accoutumeroit, & les fausses menaces lui feroient mĂ©priser les vĂ©ritables. Une punition oubliĂ©e ou nĂ©gligĂ©e le rendroit plus hardi par lâel- poir de lâimpunitĂ©. Soyez donc exact Ă lui tenir parole lorsquâil a osĂ© faire ce que vous lui aviez dĂ©fendu sous peine dâĂȘtre puni mais ne le soyez pas moins Ă lui donner les rĂ©compenses que vous lui avez promises, & ne lui promettez jamais que ce que vous voulez lui donner. On perd toute confiance,dans lâelprifc des enfans, quand on leur manque de parole ; & câest leur apprendre par fou j?4 RĂ©flexions prĂ©liminaires exemple Ă faire ce qui nâest permis a lâĂ©gard de personne. Ils font naturellement sincĂšres & vrais. Si lâon ne veut pas leur faire perdre cette qualitĂ© prĂ©cieuse ; toutes les paroles quâon leur dit, doivent servir Ă leur faire aimer la vĂ©ritĂ©. U ne faut donc jamais , quelque petits quâils loient, employer aucune feinte pour les appaiser, ou pour leur persuader ce quâon dĂ©sire. Les enfans font plus pĂ©nĂ©trais quâon ne croit; & dĂšs quâils ont apperçu quelque duplicitĂ© dans ceux qui les gouvernent , non-feulement ils perdent la simplicitĂ© & la confiance qui leur font naturelles , mais il apprennent lâartifice quâils nâoublieront jamais. Le mensonge bientĂŽt oifrira son secours Ă la dissimulation il leur aura malheureusement rĂ©ussi une fois , ce fera pour eux un motif dâen continuer & dâen multiplier lâ des enfans devenus cachĂ©s , dissimulĂ©s, menteurs; & tout cela est lâouvrage dâune- imprudence. Ne punilĂŻ'ez jamais un enfant des fautes quâil nâa point faites, ou sĂ©vĂšrement de celles qui font lĂ©gĂšres. Les enfans savent ausiĂź-bien que personne ce quâils mĂ©ritent ; ils connoilsent si câest Ă tort ou avec raison quâon les chĂątie, & ne se gĂątent pas moins par des peines injustes que par lâimpunitĂ©. Lans vos rĂ©primandes & dans vos sur lâEducation. ss punitions possĂ©dez-vous toujours , & tĂąchez dâĂȘtre assez maĂźtre de vous-mĂȘme pour ne laisser paroĂźtre aucune passion , aucune humeur. âFouetter les enfans & les chĂątier Ă©tant en colere , dit Mon. tagne, ce nâest plus correction; câest vengeance. Les chĂątimens qui. se font avec poids & discrĂ©tion, se reçoivent bien mieux, & avec plus de fruit de celui qui les souffre. Nous ne devrions jamais mettre la main fur ceux qui doivent nous obĂ©ir, tandis que la colere dure. Pendant que le pouls nous bat, & que nous sentons lâĂ©motion, remettons la partie car câest la passion qui commande alors , ce nâest pas nous. " La colere jointe Ă la correction, est un poison mĂȘlĂ© dans une excellente mĂ©decine. Si vous donnez lâun avec lâautre, vous perdrez votre fils , en croyant re r mĂ©dier Ă son mal & le guĂ©rir. Soyez sĂ©vere en paroles & en actions quand il faut lâĂȘtre; tĂ©moignez de lâindignation, quand les fautes le mĂ©ritent La trisiejjc du visage corrige le coupable l . Mais sachez ĂȘtre redoutable sans ĂȘtre en fureur , ferme & inflexible fans ĂȘtre dur & violent ayez Pair dâun juge, & le cĆur 1 J Per tristiiiam yultĂ»s çorrigituranĂŻmus Jclin7un- sis, Eccli, 7 . C 4 56 RĂ©flexions prĂ©liminaires dâun pere que lâamour dicte vos paroles & conduise votre main. Si vous voulez que votre correction soit utile, observez aussi de ne jamais punir lorsque Pensant est dans quelque fougue ou dans le fort de lâentĂȘtement attendez que lâagitation de son ame soit calmĂ©e. Les en sa ns font des especes de fous, aux caprices desquels il faut quelquefois fe prĂȘter si lâon sâobstinoit Ă fe roidir contre eux,ils sâobstineroient peut- ĂȘtre de leur cĂŽtĂ©, fe rĂ©volteroient ou sâendurciroientaux chĂątimens, & fcrme- xoient ainsi toutes les voies de les corriger. La prĂ©cipitation Ă les punir paroĂźt avoir un air de vengeance, qui produit en eux des fentimens tout contraires Ă ceux quâon veut leur inspirer. Ne punissez donc jamais un enfant ni dans son premier mouvement ni dans le vĂŽtre. Si vous le faites dans le vĂŽtre, il sâapperçoit que vous agissez par humeur & par promptitude, & non par raison & par amitiĂ© vous perdez'fans ressource votre autoritĂ©. Si vous le corrigez dans son premier mouvement, il nâa pas lâest prit assez libre pour avouer lĂ faute, pour vaincre fa passion & pour sentir lâimportance de vos avis câest mĂȘme lâexposer Ă perdre le respect quâil vous doit, Ă dire ou faire de nouvelles sottises. Le Duc de Berry, petit-fils de Louis XIV» SUR lâ Ă I> U CA T I 6 S. ff ©tant encore fort jeune, faisoit souvent de petites fredaines, & le Roi lui ordon- noit les arrĂȘts dans fa chambre. Un jour son sous-gouverneur fit fermer les fenĂȘtres , disant que les prisonniers ne dĂ©voient pas voir le jour. Vous me faites lien saisir , lui dit le jeune Prince, puisque vous me garantissez par-lĂ dâime vision au fi dĂ©sagrĂ©able que la vĂŽtre. AprĂšs cela, il le mit Ă battre du tambour avec les doigts fur une table. Le fous-gouverneur trouva encore cela mauvais, & pria le Prince de ne point*toucher Ă cette table, puisqu'elle ne lui appartenoitpas, & que tous les meublas Ă©toient au Roi. Oh ! pour le coup , repartit le petit Prince dĂ©pitĂ© , vous ne me disputerez pas que ceci ne soit Ă moi. En mĂȘme temps il se mit Ă battre sur ses fesses. Le fous-gouverneur prit sagement le parti dâen rester lĂ . Il faut, pour punir les enfans avec fruit, beaucoup de modĂ©ration, de prudence & dâadresse. La maniĂ©rĂ© dont M. de FĂ©nelon corrigeoit le jeune Duc de Bourgogne, Ă©toit excellente. Lorsque ce Prince tomboit dans un de ces em- portemens ordinaires Ă lâenfance , fou sage instituteur laissoit passer ce moment dâorage oĂč la raison nâauroit pas Ă©tĂ© entendue. Mais dĂšs ce moment tout ce qui lâapprochoit, avoit ordre de le servir n filence » & de lui montrer im visage f§ RĂFLEXIONS PRĂLIMINAIRES morne. Ses exercices mĂȘme Ă©toient suspendus. Il scmbĂźoit que personne nâosĂąt plus communiquer avec lui, & quâon ne le crut plus digne de parler avec les hommes. BientĂŽt le jeune Prince Ă©pouvantĂ© de fa solitude, troublĂ© de lâeflfoi quâil infpiroit, ne pouvant plus vivre ni avec lui ni avec les autres, venoit'demander grĂące. Lâhabile maĂźtre alors profitant de ses avantages , faisoit sentir au Prince toute la honte de ses Fureurs sa voix paternelle pĂ©nĂ©troit dans un cĆur ouvert Ă la vĂ©ritĂ© &au repentir , & les larmes de son Ă©Jeve arrosaient ses mains. On ne peutrWn lire dĂ©plus sage ni de plus judicieux, que ce quâil dit lui-mĂȘme dans son TraitĂ© de lâEducation des filles, sur la maniĂ©rĂ© de conduire & de corriger les en sans. Les rĂ©flexions qu'il fait Ă ce sujet, ainsi que la plupart des nĂŽtres, peuvent Ă©gale ment servir aux deux sexes. â Ne prenez jamais, dit-il , fans une extrĂȘme nĂ©cessitĂ©, un air austere & impĂ©rieux qui les fait trembler. Vous leur fermeriez le cĆur & leur ĂŽteriez la confiance , fans laquelle il nây a nul fruit Ă espĂ©rer de lâĂ©ducation, faites-vous aimer dâeux. Quâils soient libres avec vous, & quâils ne craignent pas de vous laisser voir .leurs dĂ© sauts. Soyez indulgent Ă ceux qui ne se dĂ©guisent point devant vous. Ne paroissez ni Ă©tonnĂ© ni irritĂ© de leurs man- SUR LâEdĂŒCATIOĂ. fg vaises inclinations au contraire,compatissez Ă leurs foiblesses. Quelquefois il eu arrivera cec inconvĂ©nient, quâils seront moins retenus par la crainte mais Ă tout prendre, la confiance & la sincĂ©ritĂ© leur sont plus utiles que lâautoritĂ© rigoureuse. Dâailleurs lâautoritĂ© ne laissera pas de trouver sa place,si la confiance & la persuasion ne sont pas assez fortes. Mais il faut toujours commencer par une conduite ouverte, gaie , & familiĂšre fans bassesse, qui vous donne moyen de voir agir les enfans dans leur Ă©tat naturel, & de les connoĂźtre Ă fond autrement on en fait des hypocrites , & on les dĂ©goĂ»te du bien, dont on doit chercher uniquement Ă leur inspirer lâamour. â Les enfans ont la tĂšte foible, & leur Ăąge ne les rend encore sensibles quâau plaisir. 11 ne faut donc pas demander dâeux une exactitude &un sĂ©rieux, dont souvent ceux qui lâexigent seroient incapables. Outre quâil eit Ă craindre quâon ne fasse par-lĂ une dangereuse Impression de triitesse & dâennui sur leur tempĂ©rament , on obscurcit leur esprit, on abat leur courage. Sâils font vifs, on les irrite sâils font mous, on les rend stupides. La- contrainte trop grande jette un enfant dans la timiditĂ© & dans la crainte,pallions assoiblissantes qui dĂ©truisent les forcesj& la vigueur, 6o RĂ©flexions prĂ©liminaires â Quoiquâon ne puisse guere espĂ©rer de se passer toujours dâemployer la crainte pour le commun des enfansdontle naturel est dur & indocile, il ne faut pour- tanty avoir recours quâaprĂšs avoir Ă©prouvĂ© tous les autres remedes. La crainte est comme les remedes violens, quâon emploie dans les maladies extrĂȘmes ils purgent, mais ils altĂšrent le tempĂ©rament & usent les organes. Une ame menĂ©e par la crainte, en est toujours plus, foible. il ne faut donc en venir lĂ , que quand on ne fĂ uroit faire autrement. â Au reste, quoiquâil ne faille pas toujours menacer fans chĂątier , de peur de rendre les menaces mĂ©prisables , il faut pourtant chĂątier encore moins quâon ne- menace. Pour les chĂątimens, la peine doit ĂȘtre aussi lĂ©gĂšre quâil est possible, mais accompagnĂ©e de toutes les circonstances qui peuvent piquer lâenfant de honte & de remords. Montrez-lui tout ce que vous avez fait pour Ă©viter cette extrĂ©mitĂ©. â Ne dites point Ă lâenfant son dĂ©faut, sans ajouter quelque moyen de le surmonter , qui lâencourage Ă le faire. Car il faut Ă©viter le chagrin & le dĂ©couragement que la correction inspire quand elle est sĂšche â. Il faut passer aux enfans tout ce qui ne menĂ© point an mal,& les en avertir feule- sur lâĂducation, 6 % ment fans les en douceurnâest point perdue. Ils font si aises de trouver de lâindulgence oĂč ils craignoient de la sĂ©vĂ©ritĂ© , quâils en deviennent beaucoup plus dociles, & plus disposĂ©s Ă felaisser conduire dans les choies importantes. La trop grande sĂ©vĂ©ritĂ© fait perdre lâamour» & ce nâest pas conserver son autoritĂ© que de la trop faire sentir au contraire , il saudroit tĂącher de ne la point rendre incommode ni odieuse , afin quâon ne cherchĂąt pas Ă sây soustraire. Votre Ă©leve fera des fautes par ignorance il oubliera ce que vous lui aurez dit, parce quâon lâaura distrait, il brisera ou renversera quelque chose par Ă©tourderie il mĂ©nagera peu ses vĂȘtemens. Ces bagatelles viennent de lâĂąge , & ne tirent point Ă consĂ©quence pour lâavenir. Il faut lâen avertir t mais il ne faut pas lâen punir, Ă moins quâil nây eĂ»t mauvaise intention. Ce sont pourtant ces bagatelles que des pareils intĂ©ressĂ©s puniront plus que ce qui mĂ©riteroit bien davantage de lâĂȘtre. Une dĂ©sobĂ©iisance, un trait dâhumeur » un mensonge, une parole mal-honnĂȘte, un coup donnĂ© par colere , une dilpute avec ses ItĂ©rĂ©s ou sĆurs, tout ce qui peut ĂȘtre le germe dâun vice, tout ce qui annonce de la baiseise dans les sentimens, de la jalousie, de la gourmandise, de 6r RĂ©flexions prĂ©liminaires lâinsensibilitĂ© ; voilĂ des fautes punissables. Ces mĂȘmes fautes deviendront des crimes du premier ordre , quand il y aura intention marquĂ©e, rĂ©cidive ou habitude car il faut considĂ©rer les fautes dâun enfant, moins par ce quâelles font, que par leur principe & par les suites quâelles peuvent avoir. La punition des fautes lĂ©gĂšres, ce fera de le mettre quelque temps aux arrĂȘts, avec la menace , sâil y retombe , de les lui reprocher devant tout le monde. Il vous priera de nâen rien faire. AprĂšs lui avoir pardonnĂ© une fois ou deux, soyez inexorable. Bien-loin de dissimilier les fautes ou de les excuser, il faut en parier avec force , afin de frapper lâenfant & de lâhumilier davantage. La punition des grandes fautes fera la privation de toute caresse, de toute amitiĂ© de la part de ses pareil s ; on y joindra , suivant lâĂ©normitĂ© de la faute, toutes les autres privations, fur-tout des choses quâil aime le plus. En ne les lui accordant que lorsquâon a lieu dâĂȘtre content de lui, il les estimera davantage, les recevra avec plus de plaisir, & nâen abusera jamais ; il sâefforcera mĂȘme de les mĂ©riter de plus en plus. Si au contraire on les lui prodigue fans mesure, fans discernement, fans Ă©gard Ă fa bonne ou Ă fa mauvaise enduite j bientĂŽt il nâen fera plus de cas, sur lâĂducation. 6 % croira quâelles lui font dues , & nâen deviendra que plus difficile ou plus, vicieux. Vous le laisserez, durant tout le temps de fa punition, dans un extĂ©rieur nĂ©gligĂ©. Vous ne lui accorderez dâamufemens, quâautant quâil en faut pour lâempĂȘcher de tomber dans la langueur & dans, lâabattement.. Vous ferez froid avec lui, mais fans cesser dâĂȘtre doux. Il aura beau promettre dâĂȘtre plus raisonnable, ses promesses ne seront point Ă©coutĂ©es. Pour obtenir fa grĂące, il faudra quâil la mĂ©rite; & elle ne fera jamais accordĂ©e quâĂ lâexcĂšs- de fi douleur & Ă fa bonne conduite. Quand il en aura donnĂ© des marques certaines quelques jours de fuite ; alors vous lui rendrez ses habits ordinaires, ses amulĂšmens, votre amitiĂ© & celle de ses parens, en lui faisant sentir toute la diffĂ©rence de ce nouvel Ă©tat. Si lâenfant, est bien Ă©levĂ©, cette grande punition ne peut avoir lieu que rarement. Si lâon a Ă©tĂ© attentif Ă le punir des petites fautes * il ne sâexposera pas souvent Ă en faire de grandes. A lâĂ©gard des verges, il ne doit pas en ĂȘtre question dans une Ă©ducation bien âąconduite, si ce nâest peut-ĂȘtre dans lâĂąge oĂč la douleur est le seul langage que lâenfant puisse entendre ; ou bien lors quâayant Ă©tĂ© prĂ©cĂ©demment gĂątĂ©, soit 44 RĂ©flexions prĂ©liminaires parce quâil a Ă©tĂ© malade , soit par nĂ©gligence , il est parvenu Ă ce point d'opiniĂątretĂ© de dire positivement non. Alors comme il est de la plus grande importance de ne lui pas cĂ©der , câest avec la verge quâil faut lui rĂ©pondre. Dans tout autre cas, & dĂšs que lâenfant est capable dâun sentiment honnĂȘte , les verges doivent ĂȘtre bannies. Il faut le rendre sensible Ă la honte , si vous voulez quâil le devienne Ă lâhonneur. On ne fait usage du fouet si souvent, que par humeur ou par incapacitĂ©. On rend ce chĂątiment inutile, en le rendant trop frĂ©quent ; & par la maniĂ©rĂ© dont on lâemploie , on nây attache pas assez de honte. Il fand toit quâil fĂ»t lâannonce & le prĂ©lude de toutes les autres punitions possibles , & que ces punitions lui suis eut imposĂ©es, parce quâil sâest fait traiter comme un enfant fans ame & fans honneur. Alors ce chĂątiment deviendroit pour lui un Ă©vĂ©nement unique, dont la feule idĂ©e le feroit frĂ©mir au lieu que de la façon dont on sây prend,il sâaccoutume Ă cette punition comme Ă toute autre, & nây gagne quâun dĂ©faut de plus. Les coups font des chĂ timens serviles qui avilissent lâame, lors mĂȘme quâils corrigent des dĂ©fauts, si toutefois ils en corrigent , car leur effet ordinaire est dâendurcir Ă force de frapper. sur lâĂducation. 6 s Vil. Les Sentimcns. La meilleure Ă©ducation est celle oĂč lâon nâinspire rien que par le canal de la raison & de lâhonneur. MĂ©nagez la sensibilitĂ© de votre Ă©le've, & vous aurez mille moyens de le rĂ©compenser ou de le punir. Quâil craigne plus que tout le reste de perdre votre amitiĂ© faites-la lui valoir. Jâai vu des enfans fort jeunes, plus charmĂ©s dâĂȘtre les amis de leur maĂźtre que de toutes les autres choses câest quâon les Ă©levoit ainsi. Accoutumez le vĂŽtre Ă penser noblement ; cela nâest pas si difficile quâon le croit le principe de lâhonneur est dans les enfans comme dans les hommes faits, puisque lâamour de soi - mĂȘme & de lâestime des autres y est ; il nâest question que de le bien diriger, & de lâattacher invariablement Ă ce qui est honnĂȘte & vraiment digne dâĂ©loge. Les enfans ne jugent des choses que par le prix quâon y met. Mettez Ă un haut prix celles que vous voudrez que le vĂŽtre estime, & vous verrez quâil les estimera. Faites-lui faire une chose louable , pour mĂ©riter dâen faire une autre câest une excellente pratique , qui tournera toute entiĂšre au profit de la vertu. Accordez-lui les choses de son Ăąge, parce quâelles sont nĂ©celĂŻĂ ires Ă sis 66 RĂ©flexions prĂ©liminaires foiblesse & quâelles lâamusent ; mais ne les lui proposez point comme des rĂ©compenses dignes de lui. Cherchez ces recompenses dans des objets quâil doive aimer, & dont il doive faire cas toute fa vie placez-les dans les caresses & dans lâamitiĂ© de sesparens, dans quelque devoir de religion quâil nâait point encore rempli , dans quelque acte de bienfaisance envers des malheureux, danslâac- quilĂźtion de quelques beaux livres, de quelque? cartes utiles quâon lui aura fait dĂ©lirer, dans le plaisir dâapprendre quelque chose quâil ignore. Quâil ait une noble envie de faire mieux que les autres, & de mĂ©riter dâĂȘtre louĂ©. On nâest guere sensible au blĂąme, quand on ne lâest pas Ă lâĂ©loge. Câest ainsi quâon peut Ă©lever Ion ame au-dessus des sentimens de son Ăąge. EchauffĂ©e par lâĂ©mulation & par lâamour de la gloire, elle sâouvrira dâelle-mĂȘme Ă toutes les semences de raison & de vertu que vous voudrez y rĂ©pandre. Toute lâactivitĂ© qui lâauroit entraĂźnĂ©e vers le mal, le portera vers le. bien. A mesure que vous y verrez croĂźtre ces semences prĂ©cieuses que vous y aurez versĂ©es, cultivez-les par les mĂȘmes moyens que vous les aurez fait naĂźtre. Caressez, louez, applaudissez. DĂšs que de son propre mouvement il aura fait sur lâEducation. 67 eu pensĂ© quelque chose digne dâĂ©loge , ne manques pas de lâen fĂ©liciter aufli- tĂŽt que tout le monde vienne lui faire compliment avec un air de considĂ©ration, Nous avons dit que les parens dĂ©voient ĂȘtre mĂ©nagers de leurs caresses ; mais ceci eit un cas Ă part, câest le seul oĂč il leur soit permis de laisser Ă©clater toute leur tendresse. Puisque lâenfant a Ă©tĂ©- capable dâun sentiment vertueux , il faut pour lâinstant le regarder comme un homme fait, & lui rendre lâhommage quâon doit Ă la sagesse & Ă la vertu. La Rochefoucault dit que lâĂ©ducation quâon donne dâordinaire aux enfans, est un second amour-propre quâon leur inspire. Il semble en effet quâon ne sache les louer que fur leur esprit, leur figure leurs habiĂŒemens, Sont-celĂ les objets- quâil faut leur prĂ©senter comme estimables ? veut-on les rendre fats, prĂ©somptueux, frivoles? Câest pourtant tout ce que peuvent produire ces ridicules & mĂ©prisables louanges. Ce quâil faut louer devant eux , ce font les choses vĂ©ritablement louables. Ce quâon doit louer en eux, câest leur douceur , leur obĂ©issance,, leur exactitude Ă remplir leurs devoirs , leur respect & leur attachement pour les personnes quâils doivent respecter & aimer. Dites Ă votre Ă©leve, que lorsquâon loue 6g RĂ©flexions prĂ©liminaires un enfant sur sa figure ou sur ses habits, câest quâon ne voit rien autre chose en lui qui mĂ©rite dâĂȘtre louĂ©. Quâil rĂ©ponde Ă ceux qui le loueront de la sorte, que ce nâest pas lĂ ce qui fait le mĂ©rite de lâhomme, mais la bonne conduite &la sagesse. Si votre fils, & plus encore, fi votre fille est belle, & quâelle ne lâignore pas, rĂ©pĂ©tez-lui souvent que la beautĂ© sans le caractĂšre nâest rien faites-lui fans cesse lâĂ©loge de la vertu & du bon esprit; dites-lui que ce font lĂ les premiers agrĂ©mens & les seuls qui soient durables i . Il faut fans doute quâun enfant ait des sentimens ; mais on doit prendre garde quâils nâaillent trop loin, & quâils ne dĂ©gĂ©nĂšrent en fiertĂ©. Dans lâhomme le vice est si prĂšs de la vertu ! Elevez le vĂŽtre dans la modestie. Si vous lui inspiriez de la hauteur & de lâorgueil, vous en seriez la premiĂšre victime. ĂŒu lieu de nourrir la vanitĂ© dâun enfant de condition, en portant ses regards fur les avantages de fa naissance & de son rang, ou lĂčr les grandes richesses dont il doit ĂȘtre un jour possesseur, dĂ©tournez-les avec foin de ces i On peut fe servir des mĂȘmes moyens, popĂź »liftier celle qui auroit le malheur dâĂȘtre laide. sur lâĂducation. 69 bjets que la flatterie se plaĂźt Ă leur offrir; & Ăąxez-les sur sou Ă©tat prĂ©sent. Faites-lui voir quâil est dĂ©pourvu de tout ce qui mĂ©rite lâestime des hommes ; quâil nâa presque encore niicience, ni raison, ni vertus ; quâil ne peut rien par lui- mĂȘme, quâil a besoin des autres, & que personne nâa besoin de lui. On ne sauroit trop faire sentir aux enfans leur foiblesse & leur dĂ©pendance. Induits dĂšs leur naissance, parla mollesse dans laquelle ils font nourris, par les Ă©gards que tout le monde a pour eux, par la facilitĂ© dâobtenir tout ce quâils dĂ©lirent, Ă penser que tout doit cĂ©der Ă leurs fantaisies, les jeunes gens de qualitĂ© entrent dans le monde avec cet impertinent prĂ©jugĂ© , & souvent ils ne sâen corrigent quâĂ force dâhumiliations, dâaffronts & de dĂ©plaisirs. Epargnez Ă votre Ă©leve cette seconde A mortifiante Ă©ducation, en lui donnant par la premiĂšre une plus juste opinion de lui-mĂȘme & des autres. Apprenez- lui, lorsquâil sera capable de recevoir cette instruction, que lâamour de soi, sage & bien ordonnĂ©, ne cherche Ă nous rendre heureux quâen agissant de maniĂ©rĂ© que tous les autres le soient avec no us au lieu que lâamour-propre, toujours injuste & exclusif, cherche son bonheur aux dĂ©pens des autres & ne le trouve jamais. 70- RĂ©flexions prĂ©liminaires Pour confondre lâorgueil qui vient de la naissance, des titres, du faste & des richesses, Ă©clairez-le au flambeau de la raison sur tous ces objets faites- lui en voir le nĂ©ant & le prĂ©jugĂ©. Instrui- fez-le Ă peser les mĂ©rites plus que les richesses, Ă compter les vertus plus que les titres. Louis Dauphin, pere du Roi Louis XVI, donna une belle instruction Ă ses trois fils contre lâorgueil quâinspire la naissance. Lorsquâon leur eut suppléé les cĂ©rĂ©monies du BaptĂȘme , il leur fit observer que leurs noms Ă©toient inscrits fur les registres de lâEglise avec ceux des autres enfans qui avoient Ă©tĂ© baptisĂ©s avant eux. Vous voyez, leur dit-il, que vos noms font ici mĂȘlĂ©s & confondus avec ceux du peuple. Cela doit vous apprendre que les distinctions dont vous jouissez, ne viennent pas de la nature , qui a fait tous les hommes Ă©gaux il nây a que la vertu qui mette entre eux une vĂ©ritable diffĂ©rence ; & peut - ĂȘtre que lâenfant dâun pauvre, dont le nom prĂ©cĂ©dĂ© le vĂŽtre, fera plus grand aux yeux de Dieu, que vous ne le ferez jamais aux yeux des peuples. Ne donnez point de titres Ă votre Ă©leve, & ne souffrez pas quâon lui en donne sâil en a , il suffira quâil les con- noilfe quand il entrera dans le monde. Mais souvent la vanitĂ© des peres, Ă sur lâEducation; jt des meres encore p!us , aime Ă prĂ©venir ee temps , & on les voit appeler eux- mĂȘmes leur fils , Monsieur le Marquis , le Comte , le Chevalier , ou simplement Monsieur , comme sâil y avoit au monde un titre plus beau, plus honorable & plus doux que celui de la nature. Que votre Ă©leve soit attentif & poli. Quâil reçoive avec reconnoissance les bontĂ©s quâon aura pour lui. Que personne ne soit son complaisant ni son adulateur. Le grand Dauphin, dit Madams de SĂ©vignĂ©, Ă©tant jeune, s'amusait Ă tirer au blanc, & droit fort loin du but. Le Duc de Montausier son gouverneur, se moqua de lui, & dit au Marquis de CrĂ©qui, qui Ă©toit fort adroit, de tirer. Mais ce jeune Seigneur qui cherchoit dĂ©jĂ Ă faire sa cour, tira un pied plus loin que le Dauphin. Ah ! petit corrompu, sâĂ©cria M. de Montausier, il faudroit vous Ă©trangler. Il ne lui permit plus de jouer avec son Ă©leve. Faites de mĂȘme Ă lâĂ©gard du vĂŽtre Ă©loignez de lui tous les flatteurs. Si son rang ne vous permet pas de le garantir de certains respects ; quâil sache que câest Ă ses parens quâils s'adressent , & que ces distinctions font le prix de leurs bienfaits & de leurs vertus , encore plus que de leur naissance ou de leurs dignitĂ©s. 72 REFLEXIONS prĂšlimt AIRES Quâil ne commande Ă personne quâil demande avec douceur quâil remercie avec politesse. Sâil commande ; que tout le monde soit sourd, & que le mot je veux , sâil sort de sa bouche , soit un arrĂȘt de refus prononcĂ© par lui-mĂȘme. Que les domestiques soient avertis de lui refuser tout ce quâil ne demandera pas civilement. S'il reçoit un service ou un prĂ©sent de personnes au-dessous de lui ; quâil leur en tĂ©moigne si reccmnoiffance , quâil les rĂ©compense ou leur rende au-delĂ de ce quâil a reçu. Sâil brise quelque chose quâon lui aura confiĂ©; quâil rĂ©pare le dommage par un prĂ©sent qui y soit supĂ©rieur. Que tout cela se fasse par ses mains & de son argent. Câest ainsi quâon lui en apprendra lâusage, & quâen mĂȘme temps on lui inspirera les premiers sentimens dâhumanitĂ© , de bontĂ©,de gĂ©nĂ©rositĂ©, de justice. Puisquâon donne de lâargent aux enfans, il ne faut pas que ce soit pour lâamasser comme quelques parens le recommandent, ni pour le dĂ©penser en fantaisies comme câest lâintention de beaucoup dâautres ; Ă moins quâon nâait envie de les rendre avares ou dissipateurs. La plupart font avides de recevoir, lents Ă donner. Que le vĂŽtre donne volontiers & de bonne grĂące quâil sâempresse Ă partager avec les frĂ©tĂ©s & sĆurs ou sĂŒu lâ Education. 7; ou avec dâautres ce quâil a reçu pour lui seul ; linon, quâil en soit privĂ©. Dites-lui souvent quâaimer Ă donner est la marque dâun bon cĆur & dâune grande ame. Denis le Tyran voyant dans la chambre de son, fils plusieurs ouvrages dâor & dâargent quâil lui avoit donnĂ©s Tu nâes pas digne de rĂ©gner , lui dit-il, puisque tu ne tâes pas encore fait des amis de ces prcfens que je tâai donnĂ©s. Quâil reçoive difficilement des Ă©trangers ; quâil ne demande jamais. Appre- nez-lui quâil est humiliant de recevoir , quâil est doux de donner, & que câest un devoir pour ceux qui font dans lâabondance, par rapport Ă ceux qui font dans le besoin. Sâil rencontre un pauvre ou un malheureux; quâil lui donne quelque secours. Racontez-lui le beau trait que fit Ă quatorze ans le jeune Duc de Berry petit-fils de Louis XIV. Un pauvre Officier rĂ©formĂ© trouva un moment propre Ă lui exposer ses besoins. Le Duc de Berry rĂ©pondit quâil Ă©toit bien fĂąchĂ© de ne pouvoir pas Paflister fur le champ, mais quâil devoir toucher le lendemain son mois , & quâil pour oit lui donner ce jour - lĂ quelque secours Ă la chasse , oĂč il lui dit de le joindre. LâOfficier fut ponctuel au rendez-vous. DĂšs que le jeune Prince le vit, il lui mit dans la main une bourse oĂč il y avoir trente louis câĂ©toit tout Tome I. D 74 RĂ©flexions prĂ©liminaires ce quâil avoit reçu pour ses menus plaisirs dâun mois. Le soir les Princes firent une partie de Duc de Berry sâexcusa de jouer il allĂ©gua plusieurs raisons dont on ne se paya pas, & il fut obligĂ© de dire la vĂ©ritable. On lui demanda ce quâil avoit fait de son argent. Il avoua quâil lâavoit donnĂ© Ă un pauvre Officier rĂ©formĂ©, & quâil avoit mieux aimĂ© se priver de ses plaisirs, que de laisser mourir de faim un homme qui avoit bien servi le Roi. On vĂ©rifia le fait qui se trouva vĂ©ritable & fut admirĂ©. MĂȘlez souvent Ă vos leçons de pareils exemples une feule action vertueuse est plus persuasive que dix traitĂ©s fur la vertu. Portez votre Ă©leve au bien par des exhortations touchantes,par des exemples srap- pans ; car câest par la persuasion & par des images sensibles , bien plus que par des leçons seches ou des chĂątimens, quâon peut faire naĂźtre dans son jeune cĆur lâamour des vertus dont il aura besoin pour son bonheur & pour celui des autres hommes. VIII. Le temps g? la maniĂ©rĂ© d'inflruirc. Si vous voulez retirer du fruit de vos instructions, choisissez votre temps. Ce nâest pas quand lâenfant est dissipĂ©, que les choses sensĂ©es quâon lui dit peuvent faire impression fur lui; câest dans le sur. lâĂducation. 75 particulier, quand son ame est tranquille &son'esprit recueilli. Ne nĂ©gligez nĂ©anmoins aucune occasion de lâinstruire tout en jouant avec lui, mais en peu de mots & comme en pas faut les sermons trop longs ou trop multipliĂ©s ennuient & rebutent tout le monde, Ă plus forte raison les enfans. Jâai Ă©tĂ© jeune autrefois, dit Salomon, tendrement aimĂ© de mon pere, & gouvernĂ© par ma mere qui me tenoit toujours auprĂšs dâelle pour y recevoir autant dâinstructions que jây recevois de caresses. Je 11ây perdois point le temps, mĂȘme durant le jeu car, tandis que je prenois les divertissemens de mon Ăąge, elle vou- loit que jâeusse toujours l'esprit attentif & le cĆur ouvert pour Ă©couter, parce- quâelle avoir toujours quelque bonne parole Ă me dire. Son discours le plus ordinaire Ă©toit Mon fils, aimez la sagesse & la vertu plus que tous les biens du monde le reste nâest que vanitĂ©. Il nây a de vrai bien que ce qui vous rendra honnĂȘte homme, ni de vraie grandeur que ce que Dieu estimera dans vous. Observez sa loi & obĂ©issez Ă les volontĂ©s. 1 Que la sagesse, ajoute un de seĂą Cl Nam LT' ego filins fui patris mei,teneĂŒus LT' unigenittcs torammatre meĂą ; ÂŁ f docebat me atque dicebat ; Sufcipiat verba mea cortuum ; poĂtde fapientiam , &c. Frov. 4. D - 16 RĂ©flexions prĂ©liminaires meilleurs InterprĂštes i , a de grandes inventions en de petites choses ! quâelle a une politique sublime & relevĂ©e en la conduite dâun enfant qui sort du berceau ! que voici de beaux & dâadmirables conseils dans un illustre exemple ! Aimer un enfant tendrement, fans gĂąter la fleur de son Ăąge ni flĂ©trir la candeur de son innocence & de sa simplicitĂ©; lâarrĂȘter auprĂšs de soi, fans le gĂȘner; le tenir dans la crainte & dans le devoir, sms lui ĂŽter la libertĂ©; faire en forte quâil ne perde ni le respect durant les familiaritĂ©s ,ni lâamour dans les corrections, ni le temps durant le jeu ; quâil apprenne toujours quelque chose qui lâaide Ă devenir fige, & que sur chaque accident qui arrive on lui salle une utile leçon. Quâil est beau de voir une mere faire sucer Ă son fils avec le lait les premiĂšres douceurs de la sagesse, & imprimer de bonne heure en ion ame cette maxime Qu'il n y a point sur la tare dâautre fĂ©licitĂ© que de vivre selon les lois de la raison es de lajuJHce ; lui redire souvent la mĂȘme chose en des façons diffĂ©rentes & avec tant dâadrelle quâil ne sâennuie point de lâĂ©couter; & pour lui dire un ! t t,e P. Boutant, JĂ©suite, auteur des Conseils de la sagesse le premier volume, Ă quelques dĂ©fauts Je sty;e prĂšs, eii exe»lient. sur lâĂducation. 77 beau mot, prendre le temps le plus pro- pre, tandis quâil joue & quâil a le cĆur ouvert par la tendresse, afin que les paroles entrent plus doucement, & quâil ne fente que du plaisir en apprenant ce quâil doit apprendre. Laissez donc jouer un enfant; mais veillez fur lui dans ses heures mĂȘme de rĂ©crĂ©ation. PrĂ©sidez Ă ses jeux toujours comme maĂźtre, & rarement comme Ă©gal, pour ne pas compromettre votre autoritĂ©. Câest dans ces heures de libertĂ© quâun enfant se fait mieux connoĂźtre un maĂźtre habile sait en profiter, & faire tourner le plaisir mĂȘme Ă lâutilitĂ© de son Ă©leve. Câest le moment de lâaccoutumer Ă la douceur, Ă la complaisance, Ă la modĂ©ration , Ă la politesse ; de lui apprendre fur-tout Ă ĂȘtre beau joueur ; ce qui fait honneur dans la sociĂ©tĂ©. MĂȘlez lâinstruction avec le jeu mais quittez les leçons dĂšs quâelles peuvent ennuyer. Que la sagesse ne se montre Ă lui que par intervalles & avec un visage riant, bernez de fleurs lâaurore de fa vie, & cachez toujours les fruits fous les fleurs. Sâil se faisoit une idĂ©e triste & sombre de ses devoirs , vous travailleriez en vain Ă lui en inspirer lâamour. Cette regle de rendre lâinstruction agrĂ©able Ă un enfant doit ĂȘtre sans exception. Il faut meme que dĂšs le premier D ; 78 RĂ©flexions prĂ©liminaires moment oĂč lâon aura jugĂ© convenable de lui apprendre Ă lire , on lui en falle un an usement & un plaisir. On y rĂ©ussira si lâon ne sây prend pas trop tĂŽt, & si l'on a foin dâexciter en lui le dĂ©sir dâapprendre. â On se fait une grande atia-'re, dit M. RonJJeau, de chercher les meilleures mĂ©thodes dâapprendre Ă lire on invente des bureaux , des cartes ; on fait de la chambre dâun enfant un atteĂŒcr dâimpr'mcrie. Locke veut quâil apprenne Ă lire avec des dĂ©s. Ne voilĂ - t- il pas une invention bien trouvĂ©e? Quelle pitiĂ©! un moyen plus sĂ»r que tous ce ux-lĂ , & quâon oublie toujours, est le dĂ©sir dâapprendre. Donnez Ă lâenfant ce dĂ©sir, puis Ăaissez-JĂ vos bureaux & vos dĂ©s, toute mĂ©thode lui fera bonne. LâintĂ©rĂȘt prĂ©sent, voilĂ le grand mobile, le seul qui mette sĂ»rement & loin un enfant â. Cherchez donc tous les moyens de lui faire aimer les choses que vous exigez de lui. En avez-vous quelquâune de difficile ou de dĂ©sagrĂ©able Ă proposer faites-lui entendre que la peine fera bientĂŽt suivie du plaisir. Faites-lui connoĂźtre futilitĂ© des choses que vous lui enseignez fans cela lâĂ©tude lui paroĂźtroit un travail stĂ©rile & Ă©pineux. Rendez-lui raison de tout ce que vous lui enseignez. Montrez-lu toujours un but solide & agrĂ©able qu SUR lâĂdĂŻĂŻcation. 79 lâanime dans le travail. A mesure que fa raison augmentera, vous raisonnerez de plus en plus avec lui fĂŒr le besoin & la nĂ©cessitĂ© de son Ă©ducation. Mais ayez soin de lui faire sentir tout lâavantage quâil peut retirer , pour le moment mĂȘme, de ce quâon lui apprend encou- ragez-le par des rĂ©compenses bien mĂ©nagĂ©es & proportionnĂ©es Ă son Ăąge ; sâil elf un peu lent Ă comprendre, ne le reprenez point rudement, vous le rendriez encore plus stupide. Commencez par les choses les plus aisĂ©es & les plus faciles. Câest pour cela quâune excellente mĂ©thode , & qui nous a rĂ©uili Ă nous- mĂȘnie, est de faire , avant lâĂ©tude de la grammaire latine , prĂ©cĂ©der celle de la grammaire frangoisc. Un des grands avantages de cette pratique est dâĂ©pargner bien des peines & des impatiences aux maĂźtres, bien des rĂ©primandes & des chĂąrimens aux enfans, en leur rendant la tĂąche plus agrĂ©able & moins difficile. Ils apprendront plus volontiers ce quâils comprendront micux% & quand ils sauront bien les rĂ©glĂ©s* de leur propre langue, ils auront beaucoup dâavance & de facilitĂ© pour apprendre celles de la langue des anciens Romains i . ^ I M. Ă e Wailly a fait dans cette vue un AbrĂ©gĂ© de fa Grammaire fiançoiie» il est de beuicou]» prĂ©fĂ©* D 4 8o RĂ©flexions prĂ©liminaires M. Fleury , dans son TraitĂ© furies Ă©tudes , approuve cette mĂ©thode , qui paroit prĂ©fĂ©rable Ă celle de faire apprendre le latin aux enfans dĂšs lâĂąge de cinq ou six ans, comme on le fait souvent en France. Câest forcer leurs fibres tendres & dĂ©licates , câest les exposer Ă concevoir du dĂ©goĂ»t pour lâĂ©tude, qui est la source des plus belles & des plus utiles con- noiflances. Les enfans aiment lâHistoire. Ne seroit-il pas plus Ă propos de commencer par-lĂ ? On les instruiroit en les amusant, on les accoutumeroit insensiblement & agrĂ©ablement au travail, jus. quâĂ lâĂąge de dix ou douze ans que lâon pouroit commencer les premiers principes de la langue latine ils y firoient rable Ă celui de ReĂaut. Quoiqu'on puisse encore le perfectionner, câest ce que nous connoiflons de mieux en ce genre. On pouroit en mĂȘme temps, pour exercer Si cultiver lamĂ©nioire des enfans, leur faireappiendre par cĆur les plus belles fables des meilleurs Fabulistes François, & fur-tout de La Fontaine, dont plusieurs font des chefs-dâĆuvre dâune iimplicisĂ© ingĂ©nieuse. i\lais comme elles ne- font pas toutes, Ă beaucoup prĂšs, de la mĂȘme beautĂ©, & quâil y en a mĂȘme quâil ne feroit pas Ă propos de faire lire aux enfans , il faut fe borner Ă leur faire apprendre Sc dĂ©clamer les plus belles & les plus riantes, vers font excellens pour commencer Ă exercer la mĂ©moire; ils ont fur la prose lâavantage dâentrer plus facilement dans le dĂ©pĂŽt de nos connoifĂźances leur cadence & leur harmonie triomphent de la mĂ©moire la plus dure & la plus obstinĂ©s. sur lâĂducation. gt des progrĂšs beaucoup plus rapides, parce quâils auraient lâesprit plus ouvert & le jugement plus formĂ©. Le pere du cĂ©lĂ©brĂ© Pascal , qui Ă©toit PrĂ©sident Ă la Cour des Aides de Clermont en Auvergne, homme trĂšs-savant, & qui fut lui-mĂȘme le prĂ©cepteur de son fils, ne lui apprit le latin qu'Ă lâĂąge de douze aus, & quâaprĂšs lui avoir rempli lâesprit dâautres connoilsances utiles, telles que celles de la religion, de la gĂ©ographie, de lâhistoire sacrĂ©e & profane , de la mythologie. Mais il ne faut? pas nĂ©anmoins vouloir trop les accumuler; & quand mĂȘme vous pourrez avancer beaucoup lâesprit dâun enfant fans le presser, vous devriez craindre de le faire. Il est dangereux que ces Ă©tudes prĂ©maturĂ©es ne le remplissent de vanitĂ© & de prĂ©somption, & ne soient pas moins funestes au tempĂ©rament. Les mĂ©decins observent que dans un enfant trop appliquĂ© les nerfs agissent trĂšs-peu fur le corps ; & comme leur action est absolument nĂ©cessaire Ă lâaugmentation de ses forces, obliger un enfant dĂ©licat Ă sâappliquer beaucoup, câest achever de dĂ©truire fa santĂ©, jeter chez lui le germe de tous les maux de nerfs, & lui prĂ©parer une vie douloureuse. Un cĂ©lĂšbre MĂ©decin de ce siede avoit depuis long-temps entendu parler avec U y 82 RĂ©flexions prĂ©liminaires admiration des vastes connoissances que possĂ©doit un enfant dans lâĂąge le plus. tendre. Lâoccasion se prĂ©senta de le voir & de lâentretenir il en profita pour lui faire des questions fur lâhistoire , la physique, lâanatomie, la gĂ©omĂ©trie, lâastronomie & les mathĂ©matiques. La justesse des rĂ©ponses que lui fit lâenfant fur toutes ces matiĂšres , & la subtilitĂ© avec laquelle il leva les doutes que le MĂ©decin lui proposa , le remplirent dâĂ©tonnement. Mais ayant jetĂ© un coup dâĆil fur la structure de son corps, fur la longueur de ses cheveux, & fur lâexpression des muscles de son visage, il comprit que lâirritation quâon avoit faite aux fibres du cerveau , avoit dĂ©terminĂ©, les sucs nourriciers Ă se porter vers la tĂȘte, lit comme il est de la derniere importance que ces sucs se distribuent Ă©galement dans toutes les parties du corps pour leur dĂ©veloppement, il crut devoir conseiller au pere de cet enfant de discontinuer au moins pour quelques annĂ©es, une. Ă©ducation si prĂ©coce. Câest, lui dit-il* un grand mal dâappliquer lâesprit Ă des choses abstraites dĂšs quâil commence Ă sâouvrir on desseche les fibres du cerveau , on les met dans un Ă©tat de tension qui les gĂšne, on les empĂȘche de se fortifier. La nature qui ne devroit ĂȘtre occupĂ©e quâĂ prendre des forces, en est sur lâĂducatioS. 8; dĂ©tournĂ©e par la perte des esprits animaux quâon lui fait faire. Il fuit de lĂ que les enfans restent feststes & dĂ©licats pendant toute leur vie. Dâailleurs, ajou- toit-il, ils ne jouissent pas toujours fort long-temps des connoillĂ nces quâon sâest efforcĂ© de leur inculquer ainsi jâen ai vu plusieurs qui aprĂšs avoir fait lâĂ©tonnement des gens dâelprit dans leur jeune Ăąge Ă©toient devenus stupides & hĂ©bĂ©tĂ©s par la fuite. Ă i le cerveau mol & humide des en- fans est propre Ă y graver des images, ce qui fait quâils ont dâordinaire beaucoup de mĂ©moire & dâimagination, il faut convenir que cet Ăąge lâest moins au raisonnement; parce que lâagitation continuelle de leur esprit empĂȘche toute application suivie i . Ainsi il faut mĂ©nager avec soin les organes, jusquâĂ ce quâils fĂ© soient affermis. Faites feulement dans la mĂ©moire un amas de bons matĂ©riaux ; le temps viendra oĂč ces matĂ©riaux sâassembleront dâeux-mĂšmes, & que t La substance du cerveau dans les enfans Ă©tant extrĂȘmement molle & humide, cette mollette & cette humiditĂ© , jointes Ă une grande chaleur, lui donnent un mouvement facile & continuel. Câest comme une hougie allumĂ©e dans un lieu exposĂ© au vent, &dout la lumiĂšre vacille toujours De-lĂ vient cette agitation des enfans, qui ne peuvent arrĂȘter leur eipiil Ă au tua objet, ni leur corps eu aucun lieu- D 6 s 84 RĂ©flexions prĂ©liminaires le jugement les liera ensemble. En atten dant, bornez-vous Ă redresser doucement lâesprit de lâenfant quand il ne raisonnera pas juste. Instruilez-le peu-Ă -peu, & le plus souvent en causant avec lui. Comme les enfans ignorent bien des choses, ils ont beaucoup de questions Ă faire aussi en font-ils beaucoup. Leur curiositĂ© est un penchant de la nature qui va comme au-devant de lâinstruction ce font des ouvertures quâelle offre. Ne manquez pas dâen profiter pour apprendre au vĂŽtre mille choses dont il est bon quâil soit instruit. Ne dĂ©daignez pas de satisfaire Ă ses questions, quelque puĂ©riles quâelles soient, rendez-luiraison de tout ce qui en est susceptible rĂ©pondez-lui prĂ©cisĂ©ment & nettement; & ajoutez quelquefois certaines petites comparaisons , pour rendre plus sensibles les Ă©clairciisemens que vous lui donnez. Ne parodiez jamais importunĂ© de ses demandes au contraire, tĂ©moignez y prendre plaisir. Sâil lui Ă©chappe des absurditĂ©s ou des contradictions, faites-Ăźes lui sentir avec douceur. Ne lui donnez jamais que de bonnes raisons, pour lâaccoutumer Ă la justesse & Ă la vĂ©ritĂ©, oyez toujours vrai & simple avec lui câest lâunique moyen de lâencourager & dâacquĂ©rir fa confiance, Si vous riez dâune objection SUR lâEducatiok. Sf singuliĂšre qu'il vous sera, si vous vous moquez de la simplicitĂ©, ou , ce qui est pis encore , si vous la traitez de bĂȘtise, vous le dĂ©concerterez , vous lâhumilierez ; & pour nâĂȘtre plus exposĂ© Ă cette sorte de mortification, il se gardera dĂ©sormais de vous proposer ses doutes. En vain tĂącherez-vous de le faire revenir fa confiance est Ă©vanouie ; il va apprendre a dissimuler vis-Ă -vis de vous. Vous aurez beau vouloir Ă©clairer son esprit, il vous dira toujours quâil comprend, & la plupart du temps il nâen fera rien. On oblige un enfant Ă se renfermer en lui-mĂȘme , dit M. Formey , on lui ĂŽte toute envie de sâouvrir, dĂšs quâon pesĂ© scrupuleusement toutes les syllabes , & que dâun ton magistral on lui demande les raisons de ce quâil a avancĂ©. Il faut sây prendre avec beaucoup moins dâart, ou plutĂŽt avec un art bien plus dĂ©licat. Sâil demande des explications qui soient au-deisus de son Ăąge, il faut le lui faire observer, & lui dire quâon les lui donnera quand il aura lâesprit plus formĂ©. Car il ne faut pas trop raisonner avec les enfans, de peur de les rendre trop raisonneurs , ni vouloir leur rendre compte de tout. Lorsquâon sâest fait une loi de leur expliquer les choses mĂȘme quâils ne font pas en Ă©tat de comprendre, ils attribuent au caprice la conduite la plus 86 RĂ©flexions prĂ©liminaires prudente, celle de Dieu mĂȘme, si-tĂŽt quâelle est au-dessus de leur portĂ©e. Si le vĂŽtre juge de quelque chose fans le bien savoir, il faut lâembarrasser par quelque question nouvelle, pour lui faire sentir sa faute , sans le confondre rudement. On peut aussi lui faire remarquer Ă cette occasion combien ses jugemens font encore imparfaits , par ceux quâil a portĂ©s de certaines choses il y a un an ou deux. TĂ©moignez-lui que vous lâapprouvez bien plus quand il doute & quâil demande ce quâil ne fait pas , que quand il dĂ©cide le mieux. Câest le vrai moyen de le prĂ©munir contre la prĂ©somption & la prĂ©cipitation dans les jugemens , source ordinaire dâune infinitĂ© dâerreurs ; & de mettre dans son esprit, avec beaucoup de politesse , une modestie vĂ©ritable , qui est presque toujours la compagne & lâannonce du vrai mĂ©rite. Comme les enfans Ă certain Ăąge savent peu , & quâils ne peuvent presque encore rien penser ni dire dâeux-mĂȘmes, ils ne parlent pas beaucoup , Ă moins quâon ne les y accoutume , & câest de quoi il faut bien se garder. Mais souvent pour sâamuser, ou sous prĂ©texte de leur donner de lâassurance , on les excite Ă hasarder tout ce qui leur vient dans lâesprit. Ils prennent dĂšs-lors , & quelquefois pour toute leur vie , lâhabitude de parler fans SUR lâEĂŒUCATIO S. gr rĂ©flexion & de juger de tout sans con- noiflĂąnce. Il y a des personnes qui ont la folie ou lâimprudence dâadmirer tout ce que disent & font les enfans. Les yeux dâune mere fur-tout , ne font pas comme ceux des autres. Elle trouve dans ses enfans des beautĂ©s, des qualitĂ©s, des perfections que personne'nây dĂ©couvre. Faites tout ce qui dĂ©pend de vous pour que vos enfans ibient digues de louanges , mais laiisez aux autres le foin de les louer encore devez - vous rarement souffrir quâon le faite en leur prĂ©sence, Ă moins que ce ne soit sur leur sagesse & leur vertu, comme nous lâavons dit ailleurs- Quand ils sâapperçoivent quâon les regarde avec complaisance , quâon observe tout ce quâils font, quâon les Ă©coute avec plaisir; ils sâimaginent nâavoir rien que dâextraordinaire & dâadmirable ; ce qui les rend fats & prĂ©somptueux. â Que peut penser un enfant de lui- mĂȘme , dit Ă ce sujet M. RouJJcau , quand il voit autour de lui tout un cercle de gens sensĂ©s lâĂ©couter, lâagacer, lâadmirer , attendre avec un lĂąche emprĂ©sentent les oracles qui sortent de sa bouche, & se rĂ©crier avec des retentissemens de joie Ă chaque impertinence quâil dit ? La tĂšte dâun homme auroit bien de lu peine Ă tenir Ă tous ces faux applaudisse- 88 RĂ©flexions ĂŻrĂliminairĂšs mens jugez de ce que deviendra la sienne. Il en est du babil des enfans comme des prĂ©dictions des almanachs. Ce seroit un prodige , si sur tant de vaines paroles le hasard ne fournilsoit jamais une rencontre heureuse. Imaginez ce que font alors les exclamations de la flatterie fur une pauvre mere dĂ©jĂ trop abusĂ©e par son propre cĆur, & sur un enfant qui ne sait ce quâil dit & se voit cĂ©lĂ©brer. â La mere de son Emile nâavoit pas cette foiblesse, ou plutĂŽt elle avoir lâesprit & lâadresse de la mieux cacher. â Ne pensez pas, lui fait-il dire Ă elle-mĂȘme, que pour dĂ©mĂȘler lâerreur je mâen garantisse. Non , je vois la faute & jây tombe. Mais si jâadmire les reparties de mon fils, au moins je les admire en secret. Il-nâapprend point, en me voyant les applaudir , Ă devenir babillard & vain ; & les flatteurs , en me les faisant rĂ©pĂ©ter * nâont pas le plaisir de rire de ma foi- blesse. â Un jour quâil nous Ă©toit venu du monde, Ă©tant allĂ©e donner quelques ordres , je vis, en rentrant, quatre ou cinq grands nigauds occupĂ©s Ă jouer avec lui, & sâapprĂȘtant Ă me 'raconter dâun air dâemphase je ne lais combien de gentil leises quâils vendent dâentendre, & dont ils semblaient tout Ă©merveillĂ©s sur lâ Education. $9 MeĂt tun , leur dis -je allez froidement., je ne doute pas que vous ne sachiez faire dire Ă des marionnettes de fort jolies choses mais jâespere quâun jour mes enfans seront hommes qu ils agiront & parleront dâeux - mĂȘmes U alors jâapprendrai toujours dans la joie de mon cĆur tout ce quâils auront dit & fait de bien. Depuis quâon a vu que cette maniĂ©rĂ© de faire fa cour ne prenoit pas , il ne leur vient plus de compere ; & ils en valent sensiblement mieux. â Prenez donc foin de vos enfans, fans leur laisser voir que vous pensez beaucoup Ă eux. Faites-leur entendre que câest par amitiĂ© & par le besoin oĂč ils font dâĂȘtre redressĂ©s, que vous ĂȘtes attentif Ă leurs discours & Ă leurs actions, & non point par lâadmiration de leur esprit. Ne permettez pas non plus quâon leur fasse, & ne leur faites pas vous-mĂȘme, dans la vue de les faire briller, trop de questions de fuite au bout de quelques minutes , lâattention des enfans fs lasse -, ils nâĂ©coutent plus ce quâun obstinĂ© questionneur leur demande , & ne rĂ©pondent plus quâau hasard. IX. Modele dâMducation. Pour finir ce qui concerne la premiĂšre Ă©ducation, câest-Ă -dire , celle qui 5o RĂ©flexions prĂ©liminaires doit ĂȘtre encore plus lâobjet des foin dâun pere on dâune mere que dâun prĂ©cepteur ou dâun gouverneur, nous allons rapporter ici la maniĂ©rĂ© dont Madame de Veymur Ă©leva son fils & fa fille. Ce fera comme une rĂ©capitulation de tout ce que nous avons dit jusquâĂ prĂ©sent sur cet important sujet, un supplĂ©ment instructif Ă ce que nous avons omis, & un parfait modele de la plus excellente Ă©ducation. Il y a fur cette matiĂšre des choses si essentielles , quâon ne sau- roit trop les remettre fous les yeux & en trop de façons. PersuadĂ©e que des premiĂšres impressions que reçoit un enfant, dĂ©pendent ses premiers penchans, ses premiĂšres habitudes , & de - lĂ souvent pour la suite les qualitĂ©s ou les dĂ©fauts de son esprit, & presque toujours les vertus ou les vices de son cĆur , Madame de Veymur se fit une loi de nâoffrir aux premiers regards de ses enfans rien qui pĂ»t leur faire prendre une inclination vicieuse. Leurs jouets Ă©toient simples ; leurs vĂȘtĂšmens propres, mais fans ĂȘtre recherchĂ©s ; leurs moindres meubles tout ordinaires. Si quelquefois , toujours en sa prĂ©sence, ils se'trouvoient mĂȘlĂ©s avec dâautres en- fans , elle vouloit que , fans distinction, fans choix , ils fissent tous usage des mĂȘmes choses , pour leur inspirer les sur LâEducation. $> i premiers sentimens de lâhumanitĂ© & dâune bienveillance universelle. De tous les foins qui concernoient ses enfans, elle ne lailfoit aux autres que ceux quâelle ne pouvoit prendre elle- mĂȘme. Quelques domestiques, ceux seulement dont elle ne pouvoit se passer, sembloient les aider plutĂŽt que les servir ils leur donnoient, comme en les obligeant & par bontĂ©, le nĂ©cessaire , & avoient ordre de se refuser Ă leurs caprices. Ce petit nombre de domestiques qui les environnoient, pleins de vĂ©nĂ©ration pour leur maĂźtresse, prenoient fans effort le ton de la sagesse & de la raison quâelle leur infpiroit; & il nây en avoit aucun parmi eux, dont elle ne voulut ĂȘtre Ihre comme dâelle-mĂȘme. Madame de Veymur avoit bien raison. Corrompus & en mĂȘme temps corrupteurs , la plupart des domestiques communiquent la contagion dont ils font infectĂ©s, aux enfans qui les frĂ©quentent. Par leurs discours, par leurs lĂąches flatteries , & par leurs pernicieux exemples, ils gĂątent ces esprits flexibles, pervertissent ces Ăąmes pures & innocentes, & leur apprennent souvent ce quâil faudroit toujours ignorer. Sans cesse Madame de V eymur obser- voit ceux quâelle avoit mis auprĂšs de 92 RĂ©flexions prĂ©liminaires ses enfans ; fans cesse elle sâobfervoit' elle-mĂȘme. Elle nâignoroit pas combien lâĆil de lâenfant est attachĂ© fur ceux qui le gouvernent ; combien, naturellement imitateur, il observe leurs moindres actions pour agir dâaprĂšs le modele quâon lui prĂ©sente , avec quel soin il Ă©tudie leurs affections & leur langage, pour se passionner dâaprĂšs eux, pour aimer 6cpour haĂŻr Ă leur exemple mais fur-tout elle' savoit avec quelle finesse il Ă©pie leurs moindres dĂ©fauts, avec quelle sagacitĂ©, quelle justesse il saisit leur foible pour sâen faire une excufĂš Ă lui-mĂȘme, ou une dispense de respect & de confiance envers ceux qui le lui laissent appercevoir. Aussi, dâaprĂšs ces lumiĂšres, elle portoit jusquâau scrupule lâattention quâelle prenoit Ă surmonter devant ses enfans ses moindres foiblesses, afin de ne rien perdre fur leur esprit de tout le crĂ©dit quâelle vouloit y conserver. Naturellement vive, elle se contraignent jusquâĂ ne laisser paroĂźtre aucun ligne dâaltĂ©ration sur son visage, & dâimpatience dans ses discours. Elle avoir pour principe de ne jamais les reprendre dans le moment oĂč elle fĂš sentoit trop affectĂ©e de ce quâils avoient fait de mal & elle aimoit mieux mettre quelque in tervalle entre la faute & la rĂ©primande SUR Lâ Ă D U C A T I O N. 9; que de sâexposer, par trop dâempressement , Ă leur donner lieu de croire quâelle ne les reprenoit que par paision ou par humeur. Souvent elle leur faisait faire le reproche par dâautres que par elle, afin de les accoutumer Ă aimer la vĂ©ritĂ© , de quelque part quâelle leur vint ; & elle a voit foin alors de leur faire regarder comme un service important lâavis quâon vouloir bien leur donner. Mais autant elle sâintĂ©ressoit Ă ce quâon les reprit avec bontĂ©, & Ă ce que lâon mortifiĂąt leurs fantaisies ; autant sâoppo- soit-elle en secret Ă ce quâon les contrariĂąt dans ce qui Ă©toit raisonnable , pour ne pas leur donner lâexemple contagieux des fantaisies des autres, & ne pas altĂ©rer, le caractĂšre de douceur & de bontĂ© quâelle vouloir former en eux. Le mĂȘme esprit de raison & de sagesse prĂ©sident Ă toutes les lois quâelle leur prescrivent. Avant que de rien commander , elle observoit si elle ne pou voit pas le suggĂ©rer. Elle se conduisoit de maniĂ©rĂ© quâils paroissoient sây porter comme dâeux-mĂšmes. Elle faisoit si bien, que ce qui lui plassoit leur plaifoit aulsi. Si cependant la chose devoir ĂȘtre pĂ©nible, si elle avoir besoin dâĂȘtre commandĂ©e ; elle commet çoit par essayer leurs forces, pour ne pas compromettre son autoritĂ©. 94 RĂ©flexions prĂ©liminaires Aussi ne fit-elle jamais un commandement inutile ; & lorsquâensin elle venoit Ă donner un ordre, ou Ă faire une dĂ©fense, elle ne les rĂ©voquoit fous aucun prĂ©texte , tant que les circonstances Ă©toient les mĂȘmes, pour ne pas fe montrer foible ou ne pas paroĂźtre dĂ©raisonnable. Ce ton de fermetĂ© lui assuroit leur respect & leur obĂ©issance. Elle avoit Ă©galement rĂ©uisi Ă gagner leur amour par celui quâelle leur tĂ©moignent, leur confiance par la persuasion oĂč elle les avoit mis , quâelle ne faisoit & nâexi- geoit rien dâeux qui ne fĂ»t pour leur bonheur par - lĂ mĂȘme elle les avoit amenĂ©s au point de lui confier leurs secrets, de lui exposer leurs dĂ©sirs, de lui rĂ©vĂ©ler leurs fautes , & de les faire convenir intĂ©rieurement quâils rempor- toient toujours quelque avantage de leur sincĂ©ritĂ©. Leur crainte de lui dĂ©plaire Ă©toit si grande, quâun air froid de fa part les glaqoit. Mais elle cherchent encore plus Ă leur leur devoir & Ă le leur rendre agrĂ©able. Jamais elle nâemployoit, pour y rĂ©ussir, les ressorts dangereux de la vanitĂ©, de lâenvie, delĂ gourmandise, & de toutes ces passons funestes dont on ne corrige lâune quâen nourrissant lâautre , & qui ne prĂ©viennent un petit sur lâĂducation, 9f dĂ©faut que pour nous donner un grand vice. Elle nâignoroit pas que toutes les pallions font sĆurs , quâune feule suffit pour en exciter mille , & que les combattre lâune par lâautre , nâelt quâun moyen de rendre le cĆur plus sensible Ă toutes. Câest donc une trĂšs-mauvaise mĂ©thode quâont la plupart de ceux qui gouvernent les enfans. Ils semblent nâavoir dâautre moyen de les porter au bien quâen leur inspirant des pallions qui font la source de toutes les autres. Ils flattent & augmentent leur orgueil, leur avarice , leur gourmandise , leur amour des plaisirs , leur paresse , en leur promettant de beaux habits , de lâargent , des friandises , des divertissemens , lâexemption du travail. Il faudrait leur faire estimer les choses quâon leur promet ou quâon leur accorde , moins par ce quâelles valent ou ce quâelles font en elles - mĂȘmes, que par ce qui les leur a mĂ©ritĂ©es , & comme Ă©tant la rĂ©compense de leur sagesse & de leur conduite. Revenons Ă Madame de Veymur. Elle animoit, elle vivifloit toutes ses instructions par lâesprit de cette religion sainte, quâelle se plaisoit Ă faire connoitre Ă ses enfans. Elle les accoutumoit Ă tirer de ses dogmes les plus grandes leqons pour les mĆurs. Elle les environnent fans cesse de la majestĂ© de lâEtre SuprĂȘme, & leur D6 RĂ©flexions prĂ©liminaires faisoit voir Dieu par-tout, plus soigneusement que les nourrices & la plupart des meres ne font voir par-tout Ă leurs enfans des spectres & des lutins i . Madame de Veymur ne nĂ©gligeoit pas les autres moyens de dĂ©tourner ses en- fans du mal, dont elle cherchoit Ă leur inspirer la honte par lâidĂ©e du mal mĂȘme. Elle avoir mis dans leur ame une trĂšs- grande dĂ©licatesse fur tout ce qui sâof- froit Ă eux fous cette idĂ©e, quâelle leur montrait toujours accompagnĂ©e de confusion &dâhoĂźreur. Elle leur apprenoit Ă haĂŻr le pĂ©chĂ© plus que la mort, & elle leur avoir tout dit quand elle avoir dit, cela cĂ mal. TantĂŽt elle les prenoit par les seit- timens honnĂȘtes & par la raison Etre nĂ© raisonnable , leur disoit-elle quelquefois , Ă? agir ainsi! TantĂŽt elle les en- courageoit, en les comparant Ă eux- mĂȘmes. Je suis contente , mes enfans , leur rĂ©pĂ©toit-elle souvent, voilĂ le point oĂč vous Ă©tiez il y a tel temps , voilĂ celui oĂč vous ĂȘtes arrivĂ©s vous avez a ĂŒ de tant i La pratique si commune d'Ă©pouvanter les enfans , pour les empĂȘcher de pleurer ou de faire quelque autre chose , est trĂšs pernicieuse par les impudsious de frayeur qu'elle laisse souvent pour toute Ăźa vie. Ou devroir au contraire s'appliquer plutĂŽt i les enhardir, en les familiarisant peu-Ă -peu avec les objets qui les ont effrayes. sur lâĂducation - . tant de degrĂ©s en mĂ©rite U en sagesse. Je compte que vous ferez dans un an encore une fois plus grands que vous nĂštes. Son gouvernement & sa conduite Ă leur Ă©gard Ă©toient une sĂ©vere douceur. TrĂšs- itidulgente fur ce qui ne provenoit que de lâĂąge, elle ne punifloit dans eux que la mauvaise volontĂ© & lâentĂȘtement. Une faute avouĂ©e Ă©toit presque toujours une faute pardonnĂ©e ; & si lâaveu nâĂ©toit pas suivi toutes les fois dâun pardon entier , parce quâil seroit devenu un jeu, il ne manquoit jamais de diminuer la punition. Elle alloit Ă la source du mal elle l'arrĂȘtait dans son commencement, pour en empĂȘcher les progrĂšs elle punissoit dâabord, pour ne pas avoir un jour Ă punir avec trop de rigueur. Si un air de mĂ©contentement de sa part, si de la leur le sentiment ne iuffisoit pas , elle les traitait alors comme des malades dans lâaccĂšs de la fievre & du dĂ©lire elle les Ă©loignoit de sa table, elle les envoyoit coucher, elle venoit ensuite les veiller elle-mĂȘme, & les rĂ©duisent Ă lâennui de ne pouvoir rien faire , & au dĂ©plaisir dâĂȘtre traitĂ©s comme quelquâun qui a perdu la santĂ© ou la raison. Une fois elle punit son fils pour un mensonge , mais cĂźâune autre maniĂ©rĂ©. Elle regardent cette faute comme capitale. Tome I. E 98 RĂ©flexions prĂ©liminaires persuadĂ©e que ce vice tient Ă tous les autres, & que la mĂȘme balsefle dâame qui porte Ă celui-lĂ rend aisĂ©ment capable des plus grands. Elle voulut donc que tout se rĂ©unit pour lui en faire honte & pour lâen punir. Elle lui montra une dĂ©fiance quâelle nâavoit jamais eue tout le monde Ă son exemple sembloit se dĂ©fier de lui onrĂ©voquoit en doute ses sentimens les plus naturels. Tandis quâun mot dans la bouche de sa sĆur avoit tout le poids de la vĂ©ritĂ© , des assurances rĂ©itĂ©rĂ©es de lĂ part ne paroiffoient encore aux autres quâun mensonge. Ce chĂątiment, pris dans la natufe mĂȘme de la chose, & qui de la maniĂ©rĂ© dont il fut conduit, lui parut un supplice , le corrigea pour toujours. DU PRĂCEPTEUR ou Gouverneur. Si vous ĂȘtes assez habile pour servir vous-mĂȘme de maĂźtre Ă votre fils, faites- vous-en un plaisir & un devoir. La nĂ©gligence des uns & les affaires des autres , ont introduit la coutume de confier Ă des Ă©trangers Tinllruclion de ses enfans. Ce nâeif pas ce que prĂ©tendoit la nature. Lorsquâelle donnoit du lait & des tendreises Ă la mere, de iâintel- sur lâEducation. 99 & de la prudence au pere, son dessein Ă©toit de remplir la gloire de leur fĂ©conditĂ©, & de les rendre pere & mere dâun fils qui fĂ»t entiĂšrement leur fils, & qui ne dĂ»t fa nourriture & sa sagesse quâĂ leur peine & quâĂ leur infiruction. Nul homme nâeit parfaitement heureux dâavoir un fils, & ne peut se glorifier de ses belles actions, que celui qui lui a donnĂ© la vie, la science & la vertu. Que votre fils, sâil eit poffible, reçoive tout cela de vous. Formez-le vous-mĂȘme Ă la politesse, Ă la douceur, Ă la bontĂ©, Ă lâamour de lâĂ©tude & du travail. Dirigez ses premiers sentimens vers le bien » rĂ©primez ses paillons naissantes; pliez son caractĂšre ; apprenez-lui Ă dĂ©tester le vice & le mensonge, Ă aimer son devoir, Ă avoir beaucoup de religion & une probitĂ© Ă toute Ă©preuve. Instruisez votre fils , dit Salomon , il vous consolera , Ă? il deviendra les dĂ©lices de voire ame 1 . Si vous ne vous sentez pas la capacitĂ© convenable pour Ă©lever vous-mĂȘme vos enfans , comme vous dĂ©lirez quâils le soient; ou si vos affaires & vos occupations ne vous permettent pas de donner tous vos foins Ă une chose qui exige dâĂȘtre suivie de si pris nâĂ©pargnez ' T ; Erudifi'.imn tuum. Lff resrigtrabit te , dabit dtlicias animai tuez. L'iov. 29. E z ICO RĂ©flexions prĂ©liminaires rien pour y supplĂ©er, & pour confier en des mains sĂ»res un dĂ©pĂŽt si prĂ©cieux. Pline ne connoissoit rien de plus important quâun tel choix. Philippe, roi de MacĂ©doine , Ă©crivit le jour mĂȘme de la naissance dâAlexandre au plus grand gĂ©nie quâil eĂ»t dans ses Ă©tats. â Il vient de me naĂźtre un fils. Je remercie les Dieux de ce quâils me lâont donnĂ©, mais beaucoup plus de ce quâil est nĂ© de votre temps. ElevĂ© par un homme tel que vous , il fera digne de nous & de lâempire qui lui est destinĂ© Cette lettre , aussi honorable au prince quâau philosophe, montre le cas que Philippe saisoit dâun bon maĂźtre. Mais il y a les gens de mĂ©rite ne reçoivent plus de pareilles lettres. Le plus souvent on confie lâĂ©ducation de ce quâon a de plus cher Ă un homme qui est lui-mĂȘme fans Ă©ducation, A qui, dĂ©pourvu de talens & dâexpĂ©rience, stâa aucune Ă©lĂ©vation dans les sentimens, ni aucune politesse dans les maniĂ©rĂ©s. Le bon marchĂ© fait tout prendre. Un pere vouĂźoit mettre son fils entre les mains d 'Arisiippc. EtonnĂ© du prix que kii demandent ce philosophe, il sâĂ©cria quâavec cet argent il pouroit avoir un esclave HĂ© bien, achcte-le, reprit le philosophe, U tu en auras deux. On ne saurait acheter trop cher le sur lâĂducation. loi bonheur de ses enfans, & ils ne peuvent trouver ce bonheur que dans la science & dans la vertu, fruits prĂ©cieux dâune lĂ€ge Ă©ducation. Il est vrai quâune personne allez habile pour la donner, seroit en droit dâattendre des Ă©gards particuliers. Mais pourquoi les marques de considĂ©ration feroient-elles refusĂ©es Ă un homme qui les mĂ©riteroit par de belles qualitĂ©s ? Sercit-ce sa condition qui em- pĂšcheroit de les lui donner ? Mais autant quâelle est utile au public , autant est-elle honorable quand on sây conduit par des principes dâhonneur & de religion. La profession dâinstruire la jeunesse nâa Ă©tĂ© avilie & dĂ©gradĂ©e, que par la faute de ceux qui lâont exercĂ©e, par leur ignorance, par leur bassesse, par la corruption de leurs mĆurs. Mettez Ă leur place un homme de mĂ©rite, seul digne quâeu lui confie lâĂ©ducation. Comme il sentira la noblesse de son emploi, il le respectera le premier A le rendra respectable. Mais quand un instituteur nâauroitpas absolument tout le mĂ©rite quâil seroit Ă dĂ©sirer quâil eĂ»t, on devroit toujours des Ă©gards & des distinctions au service essentiel quâil rend & au poste mĂȘme quâil occupe. On vent que des enfans respectent ceux qui les instruisent, & on les traite soi-mĂȘme dâune maniĂ©rĂ© qui nâinspire pour eux que du mĂ©pris. ,ic2, RĂ©flexions prĂ©liminaires On compte pour rien quâils dĂ©chargent les pareils dâun pĂ©nible fardeau. On ne pefe que lâargent quâon leur donne ; on nâestime ni leur gĂšne ni leurs dĂ©sagrĂ©- mens ; & au lieu de chercher Ă les adoucir, par des marques de considĂ©ration & de confiance, on les augmente souventsoi- xnĂšme. Madame de Veymur Ă©toit bien Ă©loignĂ©e, de penser & dâagir ainsi. AprĂšs avoir donnĂ© par elle-mĂȘme Ă son fils la premiĂšre & belle Ă©ducation que nous avons vue, elle sentit quâelle avoit besoin dâune personne sur qui elle pĂ»t se reposer de ce quâelle ne pouvoir plus faire par ses propres foins. Il lui falloir quelquâun qui pĂ»t veiller fur lui, & le guider dans les exercices convenables Ă son sexe, Ă son Ăąge, aux difsĂ©rens devoirs quâil auroit Ă remplir; qui pĂ»t le produire dans le monde , le familiariser avec lui sans danger, lâaider Ă le connoitre sans lâexposer au risque dâen ĂȘtre sĂ©duit; & qui fĂ»t pour lui un guide, un ami, le supplĂ©ment dâun pere, si toutefois urr pere peut se supplĂ©er; un homme enfin qui mĂ©ritĂąt assez son estime pour lui confier le dĂ©pĂŽt le plus cher, celui de son fils, & qui eĂ»t toutes les qualitĂ©s quâelle dĂ©siroit trouver un jour dans son Ă©leve. Elle nâignoroit pas quâun tel homme sur lâĂducation. io; ne se paye point mais elle savoit aussi quâil y a des hommes qui, avec beaucoup de mĂ©rite & de sentimens , nâont pas de bien, & nâen font quelquefois que plus propres Ă conduire dâautres hommes. Elle croyoit quâen partageant avec lâun dâeux sa propre fortune,- elle faisait celle de son fils. Elle se propose it de lui procurer tous les agrĂ©mens dâune sociĂ©tĂ© honnĂȘte, & de lâhonorer assez pour quâil fĂ»t digne lui-mĂȘme de lui faire honneur & Ă son fils. Elle eut le bonheur de rencontrer un ami tel quâelle le dĂ©siroit & quâelle le mĂ©ritoit. fille mit en lui toute sa confiance.. Leurs principes furent toujours les mĂȘmes, leur concert Ă©toit parfait. Jamais aucune parole, aucune action de lâun ne contredisait les discours ni la conduite de lâautre ; & ils sâobfervoient tous deux au point de ne rien dire & de ne rien faire, qui ne fĂ»t pour leur Ă©leve une leçon & un modele de lĂ gesse & de vertu. Elle laissoit fur son fils au gouverneur une autoritĂ© souveraine, & ne se rĂ©servoir que le droit de la soutenir de toute la sienne, sâil en Ă©toit besoin. Le jeune homme ne sâapperçut quâil avoir un maĂźtre de plus , quâaux nouvelles douceurs que sa sociĂ©tĂ© lui procures , & aux connoissances plus Ă©tendues dont il lui donnoit le goĂ»t en mĂȘme E 4 > r o4 RĂ©flexions prĂ©liminaires temps quâil les lui faisoit acquĂ©rir conjointement avec des maĂźtres car on nâen Ă©pargna aucun peur son Ă©ducation, & l'on nâavoit pas imaginĂ© que son instituteur dĂ»t ĂȘtre un homme universel. Au reste, la maniĂ©rĂ© dont il sây prit pour achever de former & de perfectionner ion Ă©leve, mĂ©rite dâĂȘtre connue de tous ceux qui ont Ă remplir la mĂȘme fonction. On peut en voir tout le dĂ©tail dans le Comte de Valmont, Nous dirons seulement, en faveur de ceux qui sont bien-ailes de trouver ici tout ce quâil y a de plus nĂ©cessaire Ă savoir pour une parfaite Ă©ducation, que cet ami fidele nâabandonnoit pas un instant le jeune homme dont il Ă©toit chargĂ©. Il Ă©toit de toutes ses Ă©tudes, pour les Ă©clairer, pour les aplanir , pour Ă©tudier en quelque forte avec lui. Il Ă©toit de tous ses plaisirs , pour les rĂ©gler, pour les Ă©purer, pour les lui rendre plus agrĂ©ables encore .par lâassaisonnement qu'il y savoit mettre. Il Ă©toit de toutes ses sociĂ©tĂ©s, pour lui apprendre Ă les choisir, pour en Ă©carter les pĂ©rils, pour lâĂ©loigner adroitement de celles qui ne lui conve- noient pas. Il Ă©toit fur toutes choses de ses pratiques de religion & de vertu, pour les diriger, pour les lui faire aimer, pour les lui persuader par son exemple bien plus que par ses discours. sur lâĂducation, ros Ils assoient ensemble sâattendrir fur les miseres humaines , pleurer fur les malheureux, & les consoler en leur procurant tous les secours dont ils avoient besoin. De la maniĂ©rĂ© dont il sây pre- noit, câĂ©toitune des plus grandes rĂ©compenses de son Ă©leve que de pouvoir faire du bien ; & son gouverneur lâa voit sĂ©vĂšrement puni, toutes les fois que mĂ©content de lui, il ne lui a voit pas laissĂ© la libertĂ© dâen faire. Pour quâil pĂ»t satisfaire aisĂ©ment cette passion si belle quâil avoit excitĂ©e en lui, il le rendoit figement Ă©conome dans tous les achats quâils faisoient ensemble des choses qui lui Ă©toient nĂ©cessaires. Il lui en offroit ordinairement de plusieurs qualitĂ©s & de disse rens prix Ceci, lui diioit-il, fuĂt Ă vos besoins , Ă la biensĂ©ance, ÂŁ s? nest point au-defj'ons de votre Ă©tat ceci lui convient encore , nefl point au-dessus , mais il coĂ»te davantage, U vous laissera moins de bien Ă faire. Lâexamen Ă©toit court, & le choix bientĂŽt fait. Il ne sâappliquoit pas seulement Ă rendre son Ă©leve plus humain, plus bienfaisant, mais aussi plus Ă©clairĂ©, plus juste apprĂ©ciateur des choses. Il Pins truisoit Ă ne mettre dans la poursuite de ce quâon appelle des biens quâun degrĂ© de chaleur proportionnĂ© Ă leur prix ce qui en prĂ©venoit la passion, se ioS RĂ©flexions prĂ©liminaires souvent mĂȘme en Ă©teignoit le dĂ©sir. Il lut enseignoit Ă ne pas confondre le bonheur avec lâopulence, la grandeur avec les dignitĂ©s & les titres, la vertu avec son masque, & lâhomme avec son habit. Mais pour ne pas lui former un esprit caustique & un caractĂšre mĂ©chant, les leçons Ă©toient gĂ©nĂ©rales, & lâon nefaisoit aucune application sur personne en particulier , Ă moins que les vices ne' fuflent manifestes ; encore lui faisoit-on de leur spectacle une Ă©cole de vertu. On lui apprenoit Ă sĂ©parer toujours lâhomme de ses dĂ©fauts, Ă respecter sa nature, Ă gĂ©mir de les erreurs en mĂȘme temps quâon dĂ©testoit ses vices. Telles Ă©toient les leçons que lui don- noit son guide; mais elles ne sulFilbient point Ă lĂ sagesse. Il vouloit encore former en lui une ame forte, & la remplir de courage , non-seulement Ă lâĂ©gard des Ă©vĂ©uemens & des revers, mais surtout Ă lâĂ©gard des hommes & de leurs juge mens, il lâinstruisoit Ă braver le ridicule en faveur du devoir, Ă mĂ©priser les plaiiĂ nteries des gens fans mĆurs, & Ă triompher, par le sentiment du vĂ©ritable honneur, de la lĂąchetĂ© du respect humain. Ce nâest pas quâil prĂ©tendĂźt par-lĂ lui faire contracter le caractĂšre dâune vettu rude & farouche il vouloit au contraire S r R lâĂ DUCATION. lo? quâil se pliĂąt Ă tout ce qui nâĂ©toit point un mal & qui ne pou voit pas le devenir; & que fans gĂšne , fans grimaces , fans feinte, il fĂ»t, sâil Ă©toit possible, le plus poli de tous les hommes. Câest ainsi que le fils de Madame de Veymur Ă©toit instruit & formĂ© par son sage Mentor. Heureux les parens qui peuvent avoir de tels instituteurs , de tels peres en second pour leurs enfans ! Si vous avez eu le bonheur dâen trouver un semblable, vous pouvez vous dĂ©charger fur lui de lâĂ©ducation des vĂŽtres, ou plutĂŽt y travailler de concert avec lui car rien ne peut vous dispenser, autant que vous le pourez, dây travailler aussi vous-mĂȘme. Quelques leçons donnĂ©es Ă propos dans vos nromens libres , seront beaucoup dâimpression, si vous savez vous faire aimer & respecter. Avez - vous eu le malheur de donner, fans le savoir, un mauvais maĂźtre Ă vos enfans hĂątez-vous de le renvoyer. En le gardant, vous vous rendriez, coupable de tout le mal quâil ne manquerait pas de faire Ă ses Ă©lĂšves. On raconte que fous le regne du cĂ©lĂ©brĂ© Kang-Hi, Empereur de la Chine, un riche Inspecteur des manufactures de ce vaste empire , Ă©tant fur le point de faire une longue tournĂ©e , donna un gouverneur Ă ses deux fils. Tous deux annonçoient E 6 io8 RĂ©flexions prĂ©liminaires dâheureuses dispositions. Le pere fut k peine parti , que le gouverneur, abusant de lâautoritĂ© quâon lui avoir confiĂ©e , devint le tyran de la maison. Il Ă©loigna les honnĂȘtes gens quipouvoient Ă©clairer ses dĂ©marches, & fit chasser ceux dâentre les domestiques qui avoient le Il us Ă cĆur les intĂ©rĂȘts dĂ« leur maĂźtre absent. On eut beau instruire le pere de ce dĂ©sordre, il nâen voulut rien croire, parce quâayant une belle a me , il nâirna- ginoit pas quâon pĂ»t jamais en agir ainsi. Ce mal nâauroit pas Ă©tĂ© fans remede, ii ce mĂ©chant pĂ©dagogue eĂ»t pu donner Ă ses Ă©levĂ©s quelques vertus & des talens. Mais comme il en manquoit lui-mĂȘme, Il nâen fit que des enfans groiliers, impĂ©rieux, faux , libertins, ignorans. AprĂšs cinq annĂ©es de courses, lâInspecteur de retour vit enfin la vĂ©ritĂ© , mais trop tard ; & fans autrement punir celui qui avoit abusĂ© de sa confiance, il se contenta de le renvoyer. Ce mauvais gouverneur eut lâimprudence de citer lâInspecteur au tribunal dâun Mandarin, pour quâon eĂ»t Ă lui payer la pension quâon lui avoit promise. Je la payerois trĂšs- volontiers , ĂȘf mĂȘme double , rĂ©pondit le pere en prĂ©sence du juge, Ă ce malheureux m avoit rendu mes enfans tels que je devais naturellement lâespĂ©rer. Les voici poursuivit-il en sâadrefiant Ă lâhomme de sur lâĂducation. 109 la loi , examinez - les prononcez. E11 effet, aprĂšs les avoir interrogĂ©s, & aprĂšs avoir entendu toutes leurs inepties", le Mandarin porta cette sentence Je condamne cet Ă©ducateur Ă la mort comme homicide de ses Ă©levĂ©s , si leur pere Ă Vamende de trois livres de poudre d'or, non pour lâavoir chois mauvais , car on peut se tromper , mais pour avoir eu la faiblesse de le conserver si long - temps. Il faut quun homme , ajouta-t-il, ait la force dâen perdre un autre , quand il le mĂ©rite, si fur - tout si le bien de plusieurs lâexige. Ă11 sera rarement dans ce cas - lĂ , si lâon apporte toutes les prĂ©cautions quâon doit Ă un clioix de cette importance, ' & si lâon a moins Ă©gard au bon marchĂ© quâau mĂ©rite. Peres de famille , vous mettez dans vos affaires le bon ordre 8 c l'arrangement, vous arrondissez votre fortune & celle de vos enfans mais vous nĂ©gligez lâessentiel. Quelques arpens de terre de plus peuvent-ils compenser une acquisition qui substitueroit le mĂ©rite dans les familles, & pouroit ouvrir les portes des emplois & des honneurs ? Sans Ă©ducation on ne fera jamais estimĂ©. Vous donc qui aspirez Ă lâapprobation des hommes , & qui voulez bien sĂ©rieusement vous perfectionner, recueillez tout. le. fruit que vous pouvez tirer de IĂO RĂ©flexions prĂ©liminaires lâĂ©ducation prĂ©cieuse que vous donne unpere tendre, connoisseur & attentif. La peine est courte, & les avantages durent toujours. Faites valoir au centuple lâargent de votre pere , amassez du mĂ©rite, tntrez courageusement dans le sentier qui mene Ă la. vraie gloire. Songez que rien nâest plus beau ni plus utile pour vous , que de vous rendre estimable. TĂŽt ou tard les qualitĂ©s & les talens ont leur part Ă la distribution des grĂąces ; & lâhonnĂȘte homme ne veut devoit fa fortune quâau mĂ©rite. Un Ministre avoit Ă©levĂ© une personne Ă une place Ă©minente. Celle-ci vint pour l'en remercier , Vous ri avez , lui dit le Ministre , aucunes grĂąces Ă me rendre; je nui eu en vue que lâutilitĂ© pubbque , A? vous n auriez point eu mon choix ,fi f avois trouvĂ© quelquâun qui en fut plus digne que vous. Lorsquâon a nĂ©gligĂ© dans la jeunesse de faire provision de science & de c-on- noissances utiles, on sâen repenttoujours dans la fuite. On se trouve souvent sans Ă©tat, sms fortune & dans la misere, soit parce quâon a manquĂ© de conduite , fruit ordinaire dâune Ă©ducation nĂ©gligĂ©e, ou parce que, faute de capacitĂ©, on ne peut parvenir Ă des emplois qui auroient fourni aux besoins & aux commoditĂ©s de la vie. LâoisivetĂ© a toujours Ă©tĂ© la sur l'Ăducation. m mere de lâindigence , & lâignorance la fille de la paresse. Les momens font bien chers , mettez, les Ă profit. Vous ĂȘtes dans cet Ăąge heureux oĂč lâesprit commence Ă penser , & oĂč le cĆur est pur & tranquille. Câest peut-ĂȘtre Ă prĂ©sent le seul temps que vous pourez employer Ă vous instruire. BientĂŽt le goĂ»t des amusemens , lâamour des plaisirs emportera tous vos momens ; ou le foin des affaires domestiques , les relations nĂ©cessaires Ă un Ă©tat que vous embrasserez , les infirmitĂ©s qui peuvent survenir, ne vous permettront pas dâacquĂ©rir les connoilĂźances qui font honneur. Et quand mĂȘme , convaincu de leur grande utilitĂ© , vous voudriez alors vous y appliquer sincĂšrement, le dĂ©goĂ»t que vous Ă©prouveriez , vous empĂšche- roit dây faire de grands progrĂšs parce que votre esprit nâayant plus alors cette flexibilitĂ© , qui est le partage de la jeunesse , il vous faudrait acheter par un travail pĂ©nible ce que vous pouvez apprendre aujourdâhui avec une grande facilitĂ©. Mettez donc, je vous le rĂ©pĂ©tĂ© , Ă profil lâaurore de votre vie; & tachez de vous garantir de lâignorance qui, indĂ©pendamment de la honte qui lâaccompagne , est toujours un dĂ©faut de plus & un mĂ©rite de moins. On ne recueille point ce quâon nâa pas semĂ©. 2?iĂ RĂ©flexions prĂ©liminaires DES EXERCICES PROPRES A PERFECTIONNER ĂĂDUCATION. Bien des parais bornent lâĂ©ducation Ă lâĂ©tude du latin ; & quand les classes font faites, ils croient que tout est fait. Ceux qui pensent mieux nâont garde de sâen tenir Ă si peu de chose. Ils sâappliquent Ă orner lâesprit des connoif- fances nĂ©cessaires dans la sociĂ©tĂ©, & Ă former le corps par tous les exercices qui conviennent. On ne verrait pas tant de fainĂ©ans , de libertins , dâhommess groifiers & inutiles , qui surchargent la terre du poids de leur existence ou la dĂ©shonorent par leurs vices, si lâon savoir mieux employer cet Ăąge fortunĂ© qui se trouve entre la fin des classes & le choix dâun Ă©tat. Câest le dĂ©faut dâĂ©tudes & dâoccupations , qui prĂ©cipite dâordinaire la jeunesse dans les plus honteux Ă©gare mens. A peine hors du college ou des mains dâun prĂ©cepteur, des jeunes gens souvent ausiĂź remplis de vanitĂ© que vides de science, renoncent Ă toutes les Ă©tudes & se trouvent libres. Tour lâemploi quâils font de leur temps, se rĂ©duit Ă monter Ă cheval, Ă faire des armes, Ă promener en tous lieux un sur lâEducation, i i 3 plumet ou un uniforme, Ă sâassocier Ă une troupe de petits-maĂźtres , & peut- ĂȘtre de jeunes dĂ©bauchĂ©s qui nâont nul respect pour les biensĂ©ances , Ă frĂ©quenter les spectacles , les promenades publiques , les cafĂ©s, les lieux de jeu. Et comment veut-on que des jeunes gens, accoutumĂ©s de li bonne heure Ă ne savoir que faire, Ă ne rien faire, ne fassent pas mal, & ne finissent par se dĂ©grader ? DĂšs quâun jeune homme a fini ses Ă©tudes , câest alors quâun pere judicieux, & curieux de la perfection de son fils, doit redoubler ses soins , son attention & sa dĂ©pense. Le moment est venu de travailler Ă faire concourir tout ce qui peut le perfectionner. Il doit lui donner un peu plus de libertĂ©, sans lui lĂącher les rĂȘnes ; lui confier de lâargent, mais ni trop ni trop peu, & sâen faire rendre compte pour Ă©viter lâabus. Il faut encore le bien persuader que câest assez dâĂȘtre mis proprement , mais modestement ; le convaincre quâil doit Ă©viter l'oisivetĂ© & la dissipation , & partager son temps entre la lecture de livres choisis, les exercices , & les plaisirs innocens de son Ăąge. A lâĂ©gard des exercices, il doit sâappliquer avec un trĂšs - grand foin Ă tous ceux qui , propres Ă son tempĂ©rament ii4 RĂ©flexions prĂ©liminaires & Ă la condition, peuvent le fortifier, le dresser , corriger ce quâil y a de grösster dans ses mouvemens, & leur faire prendre une attitude convenable. Câest en particulier ce que procure un bon maĂźtre d 'armes. Sans vouloir faire le mĂ©tier mĂ©prisable de gladiateur , il est utile de savoir faire des armes. On peut fe trouver dans le cas dâĂȘtre obligĂ© de dĂ©fendre iĂ vie contre un brutal ou des assassins. Je fais quâun jeune homme, fier de bien manier lâĂ©pĂ©e, peut en abuser , ainsi que des meilleures choses mais sâil a Ă©tĂ© bien Ă©levĂ© , il ne le fera jamais. Le manĂšge est absolument nĂ©cellaire mais un an ; câest assez. On ne sâen occupe plus long - temps que par amusement , ou pour remplir le vide du temps quâon ne fait pas mieux employer. Le dejjin est trĂšs-utile il apprend Ă bien juger dâun tableau, Ă dessiner un plan, Ă crayonner un point de vue ; mais on doit en demeurer lĂ , Ă moins quâon ne soit destinĂ© au gĂ©nie & aux fortifications. Pour la peinture, il faut sây appliquer beaucoup moins ; fans quoi lâon contracte un goĂ»t dangereux; onse ruine en originaux, & lâon reste souvent un original. Pour la danse , câest un ornement quâil est bon de se procurer. Car ce seroit sur. lâEducation. uf porter le rigorisme trop loin , que dâinterdire absolument la danse aux personnes du monde , & lâon ne peut en condamner que les abus. Elle est dans la classe des exercices propres aux jeunes gens de lâun & de lâautre sexe. Elle apprend Ă se prĂ©senter de bonne grĂące, Ă marcher de bon air , Ă bien placer la tĂȘte & le corps. Mais Ă trente ans on ne danse plus, & alors câest le plus petit mĂ©rite du monde dâĂȘtre bon danseur , sur-tout quand on nâest guĂšre que cela. Une dame , plus spirituelle que polie, dit Ă un petit homme qui nâavoit pour tout mĂ©rite que de bien chanter & de bien danser Petit homme , chantez petit homme, dansez; petit homme , allez- vous-en. Il nâen est pas de mĂȘme de la musique ; câest une ressource pour toute la vie. Celui qui nâa pas appris la musique, ne sauroit en sentir toute la beautĂ©. Câest le plus honnĂȘte & le plus pur de tous les plaisirs il est de tous les Ăąges, de tous les Ă©tats , de tous les lieux , de presque tous les goĂ»ts. Mille gens , grossiers dâailleurs , aiment la musique ; & lâon ne trouvera pas un homme dĂ©licat qui ne lâaime. On peut en jouir aux dĂ©pens dâautrui, sans ĂȘtre importun , & lâon peut sâen amuser seul elle fournie souvent lâoccasion dâamuser les autres. n6 RĂ©flexions prĂ©liminaires Elle dĂ©lasse lâesprit , prĂ©vient lâennui, dissipe lâhumeur sombre , inspire la joie & les sentimens agrĂ©ables. Elle fauve les mĆurs, & les conserve. Combien de jeunes gens se sont prĂ©servĂ©s de parties de dĂ©bauches par des parties de musique ! Il ne faut pourtant pas en faire sa principale occupation , ni faire dire de foi ce quâon dilbit dâun habile joueur dâinstrument , quâil avoit tant dâesprit au bout des doigts V dans lâoreille , quâil ne lui en restoit que fort peu dans la tĂȘte. DĂšs quâon fait dĂ©chiffrer un air & faire fa partie, c'en est assez. Procurez la plupart de ces ornemens Ă votre fils ils font gracieux, ils font honneur au pere & Ă son Ă©leve. Mais prĂ©fĂ©rablement Ă tout, attachez-vous aux connaissances de lâefpric. Formez- lui une bibliothĂšque des meilleurs dictionnaires, des plus excellons historiens, des plus habiles orateurs, des poĂ«tes les plus renommĂ©s & des principaux ouvrages de religion & de morale. Enrichiriez- la tous les ans, non de ces brochures ephemeres quâon ne lit quâune fois, & quâon est souvent fĂąchĂ© dâavoir lues, mais de ces livres prĂ©cieux qui ont mĂ©ritĂ© une approbation gĂ©nĂ©rale, & quâon ne cesse de relire, infpirez-lui le goĂ»t & lâamour de la bonne lecture ; elle achĂšvera de lui Ă©tendre & de lui perfectionner lâesprit.. sur lâĂducation. 117 Quâil apprenne Y histoire ancienne U moderne ignorer ce oui sâelt passĂ© avant fa naissance , sâest rester toujours enfant. Mais fur-tout quâil sâattache Ă bien savoir lâhistoire de sa patrie , & quâil lâapprenne avec quelque Ă©tendue il suffit de jeter une vue plus gĂ©nĂ©rale fur les autres nations. Quâil sâapplique auffi Ă la puretĂ© & Ă la dĂ©licatesse de fa langue. Tout terme impropre & toute construction vicieuse gĂątent la conversation la plus brillante ; & sâil y a peu de gloire Ă bien parler fa langue, il y a beaucoup de honte Ă la parler mal. Les bons dictionnaires & les meilleures grammaires apprennent lâorthographe , qui fait partie & preuve dâune Ă©ducation cultivĂ©e. Sâil a beaucoup de loisir, quâil Ă©tudie Yhistoire naturelle & la phyfique. Ces connoissances , qui piquent la curiositĂ© & lâamusent, sont dignes de lâhomme. 11 convient de connoĂźtre le sĂ©jour quâon habite. Il est bon auffi dâavoir quelques principes de philosophie ils forment lâelprit & Ă©clairent la raison. Mais il doit principalement sâattacher Ă cette partie de la logique qui a pour but de nous apprendre Ă raisonner juste. On nâest pas obligĂ© de savoir lâhistoire, la gĂ©omĂ©trie , les langues > mais on doit toujours ĂI§ RĂFLEXIONS PRELIMINAIRES juger sainement - & raisonner avec justesse sur tout ce qui regarde la vie civile. 31 y a lĂ -dessus dâexcellentes choses dans la Logique de Fort - Royal. Il lira cet ouvrage avec fruit, sâil a pour guide & pour interprĂ©tĂ© un maĂźtre habile , qui sache en retrancher les inutilitĂ©s & quelques erreurs. Il est si facile dâapprendre les rĂ©glĂ©s de la verĂsication française , quâil est presque inexcusable & honteux de les ignorer. Il est dâailleurs agrĂ©able & utile de les savoir , pour lire les vers avec plus de plaisir, & pour en composer quelques-uns dans lâoccasion mais si lâon est fige, on laissera faire le mĂ©tier de poĂ«te Ă dâautres. Les Espagnols disent en proverbe , quâil faut ĂȘtre sot pour ne pas faire deux vers, & fou pour eu faire quatre. LâAbbĂ© RĂ©gnier , qui a fait quelques jolies piĂšces de vers, a dit aussi Qu'un honnĂȘte homme, une fois en fa vie, Fasse un sonnet, une ode , une Ă©lĂ©gie, Je le crois bien. Mais que lâon ait la tĂȘte bien raflise, Quand on en fait mĂ©tier & marchandise, Je nâen crois rien. Si pour achever lâĂ©ducation dâun jeune homme , on le fait voyager quâil ne ressemble pas Ă ces jeunes fous , qui ont couru tout le monde & nâont rien sur lâĂducation. 119 vu. Quâil examine , Ă©tudie les mĆurs & les caractĂšres , & fur-tout quâil fe compose un mĂ©rite de celui de toutes les autres nations. Ce plan bien exĂ©cutĂ©, nous osons annoncer au pere de famille quâil fera de son fils un sujet excellent, lâhonneur de fa maison , la joie de fa vieillesse, & la consolation de toute sa vie. Car si lâĂ©ducation la plus soignĂ©e nâa pas toujours un heureux succĂšs, câest une exception rare, & qui nâarrive encore le plus souvent que parce quâon a pris trop peu de prĂ©cautions pour en conserver & en assurer les fruits. Quel bonheur & quels avantages pour les enfans, quel honneur & quelle satisfaction ne fe prĂ©parent pas pour eux- mĂ©mes les peres & les meres qui, convaincus que le plus important de leurs devoirs est celui de lâĂ©ducation de leur famille , sâappliquent Ă le remplir dan» toute fou Ă©tendue ! Mais quâils font doux ces devoirs que la nature leur impose ! En prenant foin de fa famille, on substitue des plaisirs vrais & lĂ©gitimes Ă des ^ plaisirs faux & dangereux , des occupa- ' tions honnĂȘtes Ă des amufemens frivoles on rend fa maison vivante & agrĂ©able pour foi-mĂšme. Un vrai pere reçoit avec transport les caresses ingĂ©nues de fe» enfans , les tĂ©moignages respectueux de I2V RĂ©flexions prĂ©liminaires, &c. leur amour , & cultive avec joie ces jeunes plantes une vĂ©ritable mere veille fur leur santĂ©, prĂ©side Ă leurs jeux , Ă leurs plaisirs innocens & sâen amuse. Tous deux resserrant Ă lâenvi les nĆuds quâils ont formĂ©s , & dont ils voient les heureux gages croĂźtre & se perfectionner sous leurs yeux , se tiennent lieu de lâunivers. Cependant le public les loue , les estime ; & si , par une Ă©ducation sage & exempte de foiblesse , ils apprennent Ă leurs enfans Ă les respecter, Ă leur ĂȘtre soumis, Ă leur rendre ce culte filial quâon doit Ă ceux qui nous ont donnĂ© le jour ; sâils leur font aimer par la persuasion & par lâexemple les vertus quâils leur enseignent, que leur manque -t-il pour ĂȘtre heureux? LES MAXIMES DE LâHONNĂTE HOMME O U DE LA SAGESSE. I. Craignez un Dieu vengeur, & tout ce qui le blesse. Câelt-lĂ le premier pas qui mĂšne Ă la sagesse. I I. Ăźle plaisantez jamais ni de Dieu ni des Saints;- Laissez ce vil plaisir aux jeunes libertins. III. Que votre piĂ©tĂ© soit sinCere & solide Et quâĂ tous vos discours la vĂ©ritĂ© prĂ©side. I V. Tenez votre parole inviolablement Mais- ne la donnez pas inconsidĂ©rĂ©ment. Tome I. F % - 122 L e's Maxim e s v. Soyez officieux i complaisant, doux,affable, Poli, dâhumeur Ă©gale &vaiis serez aimable. V I. Du pauvre qui vous doit augmentez point les maux. Payez Ă lâouvrier le prix de ses travaux. V I I. Bon pere, bon Ă©poux , bon maĂźtre fans foi- blesse; Honorez vos parens, fur-tout dans leur vieillesse. VIII. Du bien quâon vous a fait soyez reconnoissant. Montrez-vous gĂ©nĂ©reux, humain & bienfaisant. I X. Donnez de bonne grĂące une belle maniĂ©rĂ© Ajoute un nouveau prix au prĂ©sent quâon veut faire. X. Rappelez rarement up service rendu Le bienfait quâon reproche est un bienfait perdu. X I. Ne publiez jamais les grĂąces que vous faites; Il faut les mettre au rang des affaires fecrete-s. t de lâh oN K kt e Homme. i^Ăź X I I. PrĂȘtez avec plaisir, mais avec jugement. Sâil faut rĂ©compenser, faites-le dignement. XIII. Au bonheur du prochain ne portez pas envie. Nâalltz point divulguer ce que lâon vous confie. X I V. Sans ĂȘtre familier , ayez un air aisĂ©. Ne dĂ©cidez de rien quâaprĂšs lâavoir pesĂ©. X V. A la religion soyez toujours fidelle On ne fera jamais honnĂȘte homme sans elle; XVI. DĂ©testez & lâimpie & ses dogmes trompeurs Ils sĂ©duisent lâesprit, ils corrompent les mĆurs. XVII. Ne rejetez pas moins tout principe hĂ©rĂ©tique Câest peu dâĂȘtre chrĂ©tien si lâon nâest catholique. X V II I. Aimez le doux plaisir de faire des heureux Et soulagez sur-tout le pauvre vertueux. IL4 Les M axĂŻSes X I X. Soyez homme dâhonpeur, & ne trompes personne A tous ses ennemis un cĆur noble pardonne. X X. Aimez Ă vous vengerpar beaucoup de bienfaits , Parlez peu,pensez bien,& gardez vos secrets. XXL Ne vous informez pas des affaires des autres Sans air mystĂ©rieux dissimulez les vĂŽtres. XXII. Nâayez point de fiertĂ©. Ne vous louez jamais. Soyez' humble & modeste au milieu des succĂšs. XXIII. Surmontez les chagrins oĂč lâesprit sâabandonne Ne Faites rejaillir vos peines fur personne. XXIV. Supportez les humeurs & les dĂ©fauts dâau» trui Soyez des malheureux le plus solide appui. XXV. Reprenez sans aigreur louez fans flatterie. Ne mĂ©prisez personne entendez raillerie, D Ă L 1 H O N N Ă T E H 0 M JM E JZs XXVI. FuyeZ les libertins , les fats & les pĂ©dans. Choisissez vos amis , voyez dâhonnĂȘtes gens. XXVII. Jamais ne parlez mal des personnes absentes. Badinezprudemmentlespersonnes prĂ©sentes. XXVIII. Consultez volontiers. Evitez les procĂšs. OĂč la discorde regne , apporte-y la paix. XXIX. Avec les inconnus usez de dĂ©fiance. Avec vos amis mĂȘme ayez de la prudence. XXX. Point de folles amours, ni de vin, ni de jeux Ce font lĂ trois Ă©cueils en naufrages fameux. XXXI. Sobre pour le travail, le sommeil & la table, Vous aurez lâesprit libre & la santĂ© durable. XXXII. Jouez pour le plailir, & perdez noblement, Sans prodigalitĂ© dĂ©pensez prudemment. XXXIII. Ne perdez point le temps Ă des choses frivoles L sage est mĂ©nager du temps & des paroles. F Z 126 Les Maximes, &c. XXXIV. Sachez Ă vos devoirs immoler vos plaisirs Et pour vous rendre heureux modĂ©rez vos dĂ©sirs, XXXV. Ne demandez Ă Dieu ni grandeur ni richesse i Mais pour vous gouverner demandez la fa* gesse. L'ĂCOLE DES MĆURS O u RĂFLEXIONS MORALES ET HISTORIQUES SUR LES MAXIMES DE lâhONNĂTE HOMME. I. C'aignt { un Dieu vengeur , ÂŁ? tout ce qui le blesse C'est-lĂ le premier pas qui mene Ă la sagesse. ; toutes les connoissances nĂ©cessaires Ă lâhomme, la premiĂšre & la plus importante est celle de lâexistence dâun Etre suprĂȘme. La persuasion de cette F 4 i2g LâI e o l Ăš existence est la base fixe & invariable sur laquelle reposent les mĆurs , la vertu, la probitĂ© , & toute la sociĂ©tĂ© humaine. Qtez-la du cĆur des hommes , que deviendra le monde , ou plutĂŽt quel théùtre dâhorreurs ne deviendra-t-il pas ? Oui, il est un Dieu ; & nous ne pouvons le concevoir que fous lâidĂ©e dâun Etre tout-puiiĂźant, souverain protecteur de lâordre » vengeur du crime & rĂ©munĂ©rateur de la vertu. Essentiellement infini dans toutes ses perfections , il cesseroit dâĂ«tre Dieu , sâil 1 assoit la vertu fans rĂ©compense ou le vice impuni. Il nâexerce pas toujours dans cette vie les droits de sa justice , pour des raisons dignes de sa sagesse ; car qui oseroif prĂ©tendre quâil nâen peut avoir? Et quand nous ne les connaĂźtrions pas , qui de nous a lâĆil assez pĂ©nĂ©trant, pour dĂ©couvrir toute la profondeur de sa conduite fur les enfans des hommes., & pour la juger ? Sâil rĂ©compensait toutes les bonnes actions fur le champ , & sâil punissoit le crime auilĂź-tĂŽt quâil est commis , ne gĂšneroit-il pas cette libertĂ© » qui est le principe des vertus , des rĂ©compenses. mĂ©ritĂ©es , en mĂȘme temps, quâelle nous tait rendre Ă Dieu un hommage digne de lui ? Car sâil lui a plu- de nous laisser durant le court espace de cette vie entre les mains de notre des MĆurs. 129 conseil, câest parce quâil lui est plus glorieux dâĂȘtre servi & adorĂ© par des crĂ©atures libres & raisonnables, que par des ĂȘtres qui , ioumis Ă la nĂ©cesiĂŻcĂ© , ne ferment ni plus vertueux ni plus vicieux que le soleil qui mĂ»rit nos moissons, & la grĂȘle qui les dĂ©vaste. Mais si pour un temps il souffre l'abus de la libertĂ© , il sait toujours tirer le bien du mal mĂȘme. Tandis que la vertu gĂ©missante se purifie & sâĂ©prouve, quâelle augmente ses mĂ©rites & ses rĂ©compenses ; le mĂ©chant, qui triomphe & qui prospĂ©rĂ©, a tout le temps , & ne peut imputer quâĂ lui-mĂȘme les horribles malheurs qui lâattendent,'si, en sâobstinant , malgrĂ© les cris de fa conscience , Ă mettre le comble Ă ses crimes , il force enfin la Justice divine Ă les punir. Et ne doutons pas quâelle ne le fasse dâune maniĂ©rĂ© digne dâells, & proportionnĂ©e aux attentats. Eh quoi ! dioit-on Ă un impie qui se raiiloit de lâenfer,/ hommes auront des prisons , des cachots , des roues A? des feux pour punir les crimes de lese-majestĂ© humaine ; Ăf Dieu rte Je sera rien rĂ©servĂ© pour venger sa majestĂ© divine, Ă souvent st indignement outrapĂ©e par de vils mortels , quil avoit comblĂ©s de ses bienfaits ! Que deviendroient lĂ justice & si saintetĂ© suprĂȘme, sâil regardoit du mĂȘme F s â3?ÂŁ> LâĂcole oeil le bien & le mal , & sâil laiiĂźoĂźt le- scĂ©lĂ©rat dormir Ă cĂŽtĂ© de lâhomme de- bien dans la,nuit paisible du tombeau? Heureux dans son iniquitĂ©, environnĂ© de richesses & de plaisirs , il auroit opprimĂ© lâinnocence , Ă©puisĂ© tous les crimes , & terminĂ© en paix ses jours, abominables; pendant que le Julie, , victime de ses violences , auroit passĂ© & fini les siens dans lâinfortune & dans les larmes. Et Dieu, qui en auroit Ă©tĂ© le tĂ©moin, qui se seroit vu lui-mĂȘme infiniment offensĂ© dans les persĂ©cutions faites Ă la vertu , garderoit un Ă©ternel silence ! & il nây aura pas une autre vie oĂč fa justice rĂ©tablira lâordre , changera les destinĂ©es, & rendra Ă chacun selon ses oeuvres! Oui, fans doute, il se lĂšvera- enfin, jugera lui-mĂȘme sa cause , & se vengera en maĂźtre justement irritĂ©, Il nâest si lent Ă punir , il ne laisse Ă©chapper avec tant de peine les traits de fa colere, que parce quâil a une Ă©ternitĂ© toute entiĂšre pour frapper les coupables. En vain lâimpie se flatte-t-il dâĂȘtre anĂ©anti celui qui lâa tirĂ© du nĂ©ant, lâen tireroit une seconde fois, sâil le sali oit, pour exercer fur lui ses vengeances , et lui faire boire jusquâĂ la lie le calice de sa fureur. Dieu ne nous a pas créés , il est vrai, pour nous perdre & nous rendre Ă©ternellement malheureux ; mais aufli il ne DES MĆURS. I â 1 nous a pas créés pour lâoffenser & lâoutrager. Nous le saisons cependant, nous changeons toutes les vues quâil avoit lia nous faut-il nous Ă©tonner quâil change Ă notre Ă©gard tout lâordre de la providence? Si nous abusons de la bontĂ© & de ses bienfaits dans le temps de sa clĂ©mence, ne doit-il pas punir les outrages lans nombre, faits Ă la souveraine majestĂ©, lorique le temps de fa justice fera venu ? Plus ses chĂątimens feront terribles, plus nous devons les redouter, 8c craindre un maĂźtre aussi puissant quâil est juste. Mais, quelque triste quâil soit de le dire , la plupart des hommes nâont jamais fait lĂ -dessus aucune rĂ©flexion profonde, & ils vivent, fur ce quâil y eut jamais de plus important .pour eux , clans une iudissĂ©rence Ă©tonnante quâils nâaufoient pas pour leurs affaires dâune bien moindre consĂ©quence. Tandis que lâimpie, qui dĂ©sire que Dieu ne soit point, sâefforce de se le persuader , & se fait mĂȘme un honneur affreux dâen paroĂźtre convaincu ; beaucoup dâautres , Ă qui une impiĂ©tĂ© ferme & dĂ©clarĂ©e feroit horreur , aiment mieux nây point penser , ou rester dans une indĂ©cision, qui, Ă la bien dĂ©finir, nâest quâune espece dâathĂ©isme , moins rĂ©voltante & plus tranquille. DĂ©chirons le bandeau fatal qui les aveugle & ne les excuse pas. Montrons F 6 LâĂ c o l e aux yeux & Ă lâesprit lâexistence du souverain Etre, imprimĂ©e sur toutes les crĂ©atures en caractĂšres fi ineffaçables & si Ă©clatons , que les hommes mĂȘme les plus simples & les plus greffiers ne sauroient la mĂ©connoĂźtre. Apprenons fur-tout Ă . lâĂ ge qui rĂ©flĂ©chit si peu , Ă faire fur ce quâil voit tous les joups fans attention, des rĂ©flexions aulfi agrĂ©ables & aussi- nouvelles pour lui, quâutiles & satisfaisantes. DĂ©couvrons-lui dans les principales merveilles de la nature lâAuteur de lâunivers & le sien. Trop grand , trop parfait pour tomber fous les sens , peut- on ne pas lâappercevoir & ne pas le reconnoitre dans scs ouvrages ? En effet, quand je vois un bel Ă©difice , je me dis Ă moi-mĂȘme Ce superbe bĂątiment ne sâelt pas formĂ© seul avec tant dâordre & de rĂ©gularitĂ© un architecte habile en a tracĂ© le dessein , & des ouvriers intelligens lâont exĂ©cutĂ©. Je rirois de celui qui viendroit me dire sĂ©rieusement quâil est lâouvrage du hasard ; cause aveugle qui mĂȘme nâen est pas une , puisque ce nâest rien. Ainsi, lorsque je contemple lâadmirable spectacle de lâunivers, ctsglobes lumineux,, qui roulent si majestueusement au-dessus de nos tĂštes, depuis un si grand nombre de siĂšcles , avec des rĂ©volutions si justes & si constantes ; lorsque je considĂ©rĂ© la. des MĆurs. 15 j prodigieuse fĂ©conditĂ© de la terre, que le temps nâa point Ă©puisĂ©e, & qui nous paye tous les ans , avec le mĂȘme ordre & une si reguliere exactitude, le tribut prĂ©cieux de tant de fruits & de plantes » dont la variĂ©tĂ© est infinie ; lorsque je promenĂ© mes regards Ă©tonnĂ©s fur lâimmense Ă©tendue de la mer, que je pĂ©nĂ©trĂ© dans ses abymes profonds oĂč le jouent tant de monstres dâune Ă©norme- grandeur, oĂč se reproduisent sms celle tant dâautres poissons , dont plusieurs, ont reçu pour nous une fĂ©conditĂ© inĂ©puisable ; lorsque jâexamine enfin la construction merveilleuse du corps humain,, qui est un chef- dâĆuvre de mĂ©canisme Ă la vue de tant de belles choses , plein dâune religieuse admiration, je mâĂ©crie AlĂźurĂ©ment tous ces prodiges annoncent, un souverain MaĂźtre, qui a créé le monde- par sa toute-puissance,, le conserve pat lĂ bontĂ© , & le gouverne par sa lĂ gesse infinie. Quel autre en effet pour oit les avoir produits ? Si en voyant une belle- machine, personne ne doute quâelle ne forte des mains dâun ouvrier industrieux», en considĂ©rant les beautĂ©s de la nature ,, qui peut douter i quâelles ne loient Ci Je fuis persuadĂ©, dit >*. de Voltabc , quâune- horloee prouve un horloger , & que lâuniveri prouvĂ©, un Dieu. Lettre Ă la suite de sa AiĂ©taçhyfiquc, Ăź 34 LâĂ c o L E lâouvrage dâun Dieu crĂ©ateur & maĂźtre absolu de lâuni vers ? Mais parce que ces grandes & magnifiques preuves de lâexistence dâun Dieu, pour faire des impressions plus profondes & plus durables, doivent ĂȘtre prĂ©sentĂ©es avec quelque Ă©tendue , nous invitons les jeunes gens Ă vouloir bien nous suivre dans le dĂ©veloppement que nous allons en faire pour leur instruction. .Nous ne leur offrirons que des tableaux agrĂ©ables & intĂ©reflans. Non fans doute , nous nâavons pas besoin de recherches pĂ©nibles , pour apprendre quâil existe un Etre suprĂȘme, & pour en concevoir la plus grande idĂ©e ; nous nâavons quâĂ lever les yeux vers le Ciel nous verrons que tout y annonce Ă lâunivers son existence & fa grandeur. Qui a dit au soleil Sortez du nĂ©ant R prĂ©fidezaujour ,âą & Ă la lune Parafez fi-f soyez le flambeau de la nuit ? Qui a donnĂ© lâĂȘtre Ă cette multitude dâĂ©toiles qui dĂ©corent le firmament , & dont le nombre , ainsi que lâĂ©clat, a vraiment de quoi nous Ă©tonner & nous surprendre 12 2 On compte T400 Ă©toiles u la simple vue mais avec le tĂ©lescope on en dĂ©couvre bien davantage. La seule voie Ustéç eĂŒ, selon lâopinion go*n- des MĆurs. jjy Si, suivant la sage rĂ©flexion dâun des plus cĂ©lĂ©brĂ©s Auteurs paĂŻens, quelquâun eĂ»t Ă©tĂ© Ă©levĂ© dĂšs lâenfance dans des lieux fous terre , & quâil en sortĂźt tout dâun coup pendant une de ces. nuits brillantes oĂč mille astres Ă©tincellent de toutes parts ; quel servit son Ă©tonnement ! Ne cher- cheroit-il pas Ă connoĂźtre lâauteur dâune dĂ©coration si magnifique ? & quelle idĂ©e ne se formerait-il pas de sa puissance ? Quelque accoutumĂ©s que soient nos yeux Ă un si beau spectacle , pouvons- nous en jouir nous - mĂȘmes fans en ĂȘtre frappĂ©s, & ne pas nous Ă©crier quelquefois Quelle magnificence & quelle attention , dâavoir Ă©levĂ© si haut de tels luitres dans toute la voĂ»te des deux, pour embellir durant la nuit notre sĂ©jour sans en troubler le repos , pour guider nos pas dans les tĂ©nĂšbres ? & pour diriger au milieu des ondes nos hardis navigateurs ! Tous ces astres qui nous parodient si petits, & qui font autant de soleils immenses , nâont fans doute Ă©tĂ© placĂ©s si loin de nous que pour nous garantir de leurs feux , fans nous priver de la jouissance de leur lumiĂšre. mime des favans , un amas infini d'Ă©toiles, qui ne parcilTun dans U tĂ©lescope mĂȘme, a cause de leur prodignux Ă©loignement, que komme ko? Ăourwiliere 4e points iumineu*. i ^6 Lâ Ă c 0 t E Comme il nây a que celui qui a fait les Ă©toiles qui puiife en compter le nombre , lui seul auliĂź peut en mesurer la grandeur. Elle doit ĂȘtre prodigieuse puisquâon les apperçoit encore , quoiquâelles soient la plupart beaucoup plus- Ă©loignĂ©es de la terre que le soleil lui- mĂȘme dont la distance nous Ă©tonne. Z Sans entrer ici dans les calculs astronomiques , qui ne font pas de notre ressort; ce qui est certain, & ce qui nous intĂ©relle bien davantage, câest que la Sagesse divine a mis , ainsi que les Ă©toiles , lâastre du jour dans la juste distance qui nous convenoit. PlacĂ© plus- loin ou plus prĂšs, il nous eĂ»t Ă©tĂ© inutile ou nuisible il nâaurait pu rendre la terre fĂ©conde par sa douce chaleur , ou. il lâauroit bridĂ©e de ses feux. Si quelques-uns de ces astres innombrables qui brillent au-dessus de nos tĂštes , venoient Ă se dĂ©placer , tout 3 On fait que les plus habiles mathĂ©maticiens aflâurcnt quâil est un million de fois plus gros que la tene . & quâil est Ă©loignĂ© de nous de plus dt 30 millions de lieues Les Ă©toiles fixes font encore inst nhuent plus Ă©loignĂ©es la plus voisine de la terre 3 selon M. Hayons , lâun des plus grands mathĂ©maticiens & des plus cĂ©lĂ©brĂ©s astronomes du ilernur siede» en est 27 mille 604 fois plus Ă©loignĂ©e que ie soleil ainsi eiltest Ă 910 milliards 932 1e lient s de la terre» en supposant, selon lâopinkn commune, ie soleil Ă 33 millions de lkues de nuus. des MĆurs. 137 lâunivers seroit dans la confusion le moindre choc dâune de ces spheres terribles pouroit mettre notre globe en morceaux. Cependant, malgrĂ© leur multitude , nra'grĂ© les effort? & la rapiditĂ© de leurs mouvemens , depuis six mille ans elles se meuvent toujours lâune auprĂšs de lâautre dans le nĂ©me ordre , & fuis aucun embarras le jeu en ef Ă©galement facile ce constant. Elles font donc toutes sorties dâune mĂȘme main, & marchent fous les lois dâun seul .MaĂźtre. Et quâil etc grand, ce MaĂźtre ! quâil elf puissant! Le ciel est rempli de la g'oire on y voit par. tout les traits de fa sagesse & de sa grandeur profondĂ©ment gravĂ©s. Si au spectacle magnifique du ciel nous joignons celui de la Mer, quelle iubhâme idĂ©e nâaurons-nous pas de la puissance de Dieu ! Ne peut-011 pas mĂȘme dire que la mer nous offre, Ă bien des Ă©gards, une image sensible de la DivinitĂ©? son immensitĂ© nous peint en quelque forte celle de Dieu ; sa profondeur quâon ne sauroit atteindre , Ăźâabyme impĂ©nĂ©trable des desseins Ă©ternels. Son calme nous reprĂ©sente la clĂ©mence divine, & son courroux la colere terrible dâun Dieu irritĂ©- Les mugisse- mens affreux de ses flots remplissent dâeffroi les plus intrĂ©pides, & en les r;8 LâĂcole' voyant sâĂ©lever presque jusquâaux nues avec tant de grandeur & de majestĂ©, celui qui pense ne peut sâempĂȘcher de reconnoĂźtre avec le Roi-Prophete , que câest-SĂ vraiment une des choses les plus admirables de'lâunivers , & un des tĂ©moignages les plus convaincans de la toute-puissance divine. 4 On croiroit que ce vaste & fier Ă©lĂ©ment , dans la fureur qui le transporte, va quitter son lit & inonder les terres. Mais la mĂȘme main qui Ă©leve ses vagues comme des montagnes vers la haute mer , lui a proscrit des lois qui les rĂ©priment du cĂŽtĂ© de la terre. Quelque furieuse que soit la mer en approchant de ses bords, elle sâen retire en mugissant , & courbe ses flots respectueux, comme pour adorer lâordre souverain quâelle y trouve Ă©crit. Les lĂ vans de tous les siĂšcles ont cherchĂ© Ă dĂ©couvrir ce qui retenoit ainsi la mer mais quelle autre cause trouvera-t-on jamais que la volontĂ© dâun Dieu tout-puissant, qui seul peut faire tomber lâorgueil de ses dots devant la ligne quâil lui a tracĂ©e. ? p 4 1 MirabĂźles elationes maris , mirabilis in altis Dominas, Ps. 92. 5 Câest ce que le Seigneur exprime lui-mĂȘme fi magnifiquement dans les livres saints. Ouis con - du fit ostiis man , quando erumpebat quajĂź de ~vuĂŻvĂą pro- des MĆurs. Canut, Roi dâAngleterre, Ă lâexemple de ses prĂ©dĂ©cesseurs, qui sâĂ©toient fait appeler les maĂźtres & les dominateurs des mers, rĂ©solut, dit-on, un jour de prendre posseffion de ce titre solennellement , afin quâĂ lâavenir cette qualitĂ© ne pĂ»t lui ĂȘtre contestĂ©e. Se persuadant quâil ne pouvoit rendre cet acte plus authentique , quâen obligeant la mer elle-mĂȘme Ă venir lui rendre hommage comme Ă son Souverain, au temps de la marĂ©e il fit dresser un trĂŽne fur la greve de Southampton 6. LĂ en habit royal, la couronne fur la tĂȘte, il tint ce langage Ă la mer , lorsquâelle commenqoit Ă sâapprocher de lui Sache que tu es ma sujette, que la terre oit je suis eĂ Ă moi , que jusquâici personne ri a Ă©tĂ© rebelle Ă mes volontĂ©s. Je te commande donc de demeurer oĂč tu es, fans passer outre ni ĂȘtre assez hardie que diapprocher de ton Seigneur. A peine achevoit-il ces paroles , quâune vague renversa son trĂŽne, & lâayant mouillĂ©e depuis les pieds jusquâĂ cedens ? CircumdiĂąi iĂźlud urminis mets , posui vcSiem ostia , tT dix't C/sque hue ventes , nĂ n procĂ©dĂ©s ampLiiis , & hic confringes tumentes fluihts tuos. Job. 33* Dans Us plus violentes tempĂȘtes, la mer, dit fil. Placke , ne passe communĂ©ment ses bornes ordinaires que ds sept pieds. 6 Grands ville prĂšs de la mer, Ă 25 lieues de tendres, 140 Lâ Ă C O L E la tĂšte, lui apprit le fond quâil dĂ©voie faire sur lâobĂ©iifance de cet Ă©lĂ©ment. Les- Rois peuvent commander aux hommes mais Ăźa mer 11âobĂ©it quâĂ Dieu 7 . La Terre concourt Ă©galement avec la- mer & les cieux Ă publier la gloire de son Auteur, & Ă nous faire appercevoir' ses perfections invisibles dans les ouvrages de ses mains. Quel lieu de la terre pourions-nous parcourir, oĂč nous ne trouvions par-tout fur nos pas les marques sensibles de lâexistence de Dieu & de quoi admirer fa grandeur & fa magnificence ? La prodigieuse fĂ©conditĂ©â des plantes prouve visiblement le dessein- du CrĂ©ateur, il pourvoit par ce moyen, & Ă la conservation cle lâefpece qui orne notre demeure, & au besoin de tant dâanimaux qui sâen nourrissent. Pour admirer la bontĂ© de Dieu dans lâextrĂȘme variĂ©tĂ© des fruits, dans leur abondance, dans leur dĂ©licatesse , dans leur regne pĂ©riodique & successif, il nâest pas nĂ©cessaire de lâenvisager avec des yeux' chrĂ©tiens, il suffit jle la voir avec des yeux attentifs. Aussi un Sage du paganisme nâa-t-il pu considĂ©rer cette bien- 7 Le traie insensĂ© de Canut, fut, selon quelques Auteurs , un trait de sagesse il vouloir par-lĂ faire voir Ă ses sujets combien Ăźa puissance de Dieu est au-dtssus de celle du plus grands .Rois. des MĆurs. 14t fatsance de lâAuteur de la nature, quâavec des tranlports dâadmiration & de recon- noissauce 8. Laissons donc des esprits, chagrins & querelleurs, se plaindre de quelques dĂ©sordres apparens il serait facile de les justifier; mais la Sagesse divine nâa pas besoin dâapologie on reconnaĂźt partout une Intelligence suprĂȘme. Elle nâĂ©clate pas moins dans la fĂ©conditĂ© des animaux que dans celle des plantes. Et comme il nây a point de grain plus fertile que le blĂ©, parce quâil est le plus nĂ©cessaire Ă lâhomme; les animaux aussi qui servent de nourriture aux autres, font ceux qui multiplient le plus. Si les animaux sauvages multipliaient comme les animaux domestiques, les hommes bientĂŽt ne seraient plus les maĂźtres de la terre. En voyant des troupeaux de cent bĆufs dâune taille monstrueuse, se laisser conduire par un enfant quâon leur a donnĂ© pour gouverneur, peut-on mĂ©connaĂźtre dans cette Ă©tonnante docilitĂ© la puissance secrete qui nous les attache 9. S Sei ilia quanta, henignitas natura , quoi, tant multa advefeendum , tarn varia , tamque jucunda giĂnit , neque ea uno temporc anni , ut Ăemperi? novitau dclecr temurĂf copia! Cic. de nat. Deor. liĂŒ L. 9 C'est U belle rĂ©flexion de lâingĂ©nieux Auteur du Spcftacle de la Nature ouvrage digne de tenir une 142 Lâ Ă C Ă L E Plusieurs animaux , il est vrai, font quelquefois usage de leurs armes meurtriĂšres , contre nos dĂ©sirs ou au-delĂ de nos besoins mais plus doux, plus soumis dans lâĂ©tat dâinnocence, leurs rĂ©voltes contre lâhomme font la fuite & le chĂątiment des rĂ©voltes de lâhomme contre son bienfaicteur. Lâunivers entier nâoffroit Ă lâhomme innocent que des plaisirs ; tout annonçoit les complaisances dâun pere pour des enfans dignes de son amour. Mais aprĂšs la prĂ©varication de lâhomme tout a changĂ©. La terre est devenue pour lui un lieu de pĂ©nitence & dâexil. HĂ©ritiers malheureux i dâun pere criminel, nous avons Ă©tĂ© enveloppĂ©s dans sa disgrĂące , comme les enfans infortunĂ©s dâun pere rebelle font justement privĂ©s des biens & des prĂ©rogatives de leur naissance. De lĂ toutes les miseres attachĂ©es Ă la nature humaine, les flĂ©aux qui dĂ©solent la terre, & les passions qui la ravagent encore plus de lĂ les poisons & les bĂȘtes venimeuses armĂ©es contre nos jours; le feu, la grĂȘle, la famine & la mort, créés, dit l'Ecriture, ainsi que des premiĂšres places dans la bibliothĂšque des jeunes gens. Câell une excellente & agrĂ©able thĂ©ologie naturelle qui nous rend Dieu senlible dans tous ses plus beaux ouvrages. des MĆurs. 145 les dents des bĂȘtes , les scorpions & les serpens, pour exercer la vengeance 1 o. De lĂ enfin tous les autres dĂ©sordres survenus dans la nature, & dont nous souffrons triples apanages de lâhomme nĂ©anmoins ne nous a pas traitĂ©s avec toute la rigueur que nous mĂ©ritions. Aux maux & aux afflictions quâil destinoit Ă nous rappeler Ă lui, il a mĂȘlĂ© des biens & des douceurs qui en temperent lâamertume. 11 nous a chĂątiĂ©s en pere , & câest avec bontĂ© quâil nous punit. Et en effet, pour ne parler ici que des animaux, sâil a permis que la fĂ©rocitĂ© ou la rage en soulevĂąt quelques-uns, contre nous, sâils font quelquefois entre les mains de fa justice les ministres & les instrumens de ses vengeances; il nâa pas oubliĂ©, & il se souvient encore tous les jours que nous avons besoin dâĂȘtre logĂ©s, vĂȘtus , nourris, transportĂ©s il veut quâune foule dâanimaux viennent nous offrir tous ces secours. Lâhomme a besoin de compagnie & de dĂ©lassement aprĂšs le travail il a mis auprĂšs de lui un animal plein dâenjouement, qui, avec les apparences de la raison , a ' i lgnis , grando , famĂ©s & T' mors , cmnia hac ad vind'Ham creata funt j bestiamm dĂ©niĂ©s , ÂŁÂŁ* fcorpii ; S" serpentes. Eccli. Z-. 144 Lâ Ă c o l E pour son maĂźtre une amitiĂ© tendre, une fidĂ©litĂ© Ă lâĂ©preuve il a donnĂ© Ă dâautres des dispositions Ă se laisser apprivoiser, afin quâils puisent nous rĂ©jouir par les charmes de leur familiaritĂ©. La Sageise divine ressemble Ă une mere tendre, Ă qui tous les besoins de ses en sans font chers, qui, fans sâavilir, daigne badiner avec eux, & sâintĂ©resser Ă leurs plaisirs. Si des animaux nous descendons jus. quâaux plus vilsJnsecles , quel amas merveilleux de beautĂ©s sĂ©crĂ©tĂ©s ! & dans ces petits animaux qui lie font rien , quelle perfection inexprimable n. Plus lâobjet est petit & lâouvrage imperceptible, plus brille lâart de lâOuvrier. Tout est grand & admirable dans la nature les. plus petites choses y font marquĂ©es au coin dâun CrĂ©ateur tout-puissant. LâĆil dâun ciron est dâune finesse oĂč notre esprit se perd. Philosophes orgueilleux, produisez , je ne dis pas une de ces riches fleurs qui font lâadmiration de nos yeux & lâornement de nos jardins, mais un de ces vermidĂ©aux que vous foulez aux pieds, que vous mĂ©prisez. Quelle richesse, quel Ă©clat de couleurs fur la tĂȘte dâune mouche , dans anntous les neaux dâune chenille, M ln his arvĂźs arjue tinunullls quam int* TĂŻcabdis ptr/eiiio ! Plin, des MĆurs. 14$- chenille, sur les ailes des papillons ! Quel sujet dâadmiration & de reconnoiflĂ nce ne trouvons - nous pas dans ce ver prĂ©cieux , Ă qui nous devons nos plus doux Sc nos plus superbes vĂštemens ! Lâunivers est rempli de miracles semblables , que nous nâadmirons pas, parce quâils font trop frĂ©quens , mais qui ne prouvent pas moins Ă qui fait penser & sentir, non - seulement lâe xistence dâun Etre infiniment puissant , mais auffi fa sagesse, fi rhaguificence, & sur - tout sa bontĂ© pour nous. â Le monde entier, dit le Philosophe de Geneve, uâossre Ă un cĆur sensible que des sujets dâatten- drissement & de gratitude. Par-tout il apperqoit la bienfaisante main de la Providence. Il recueille ses dons dans les productions de la terre il voit lĂ table couverte par ses foins il sâendort fous fa protection, son paisible rĂ©veil lui vient dâelle. Il sent ses leçons dans les disgrĂąces, & ses faveurs dans les plaisirs J â ia Les athĂ©es, sâil en est, font donc ou des monstres dâingratitude quâon doit regarder avec horreur, ou des fous dignes de pitiĂ© , & qui ne mĂ©ritent pas quâon leur parle. Sâil leur reste encore quelques Ă©tincelles de cette raison quâils s'efforcent dâĂ©teindre, ne les convaincra- âą H PensĂ©es de J. J. Rousseau. Tome I. G I4 Selon dâautres , lâhomme est nĂ© de la mer, dont lâĂ©cume demeurĂ©e fur le rivage, & Ă©chauffĂ©e par les rayons du soleil, sâest tout dâun coup Ă©levĂ©e comme un champignon, sâest trouvĂ©e organisĂ©e , sâest levĂ©e sur ses pieds, & a Ă©tĂ© en Ă©tat de faire toutes fortes de mou- vernens. Nous avons lu dans un livre dâanecdotes, un trait bien honorable Ă cette sublime philosophie. Un Milord Anglois, 16 Les matĂ©rialiste? modernes ne se fervent plus du nom trop dĂ©criĂ© de hasard ; mot vide de sens & qui ne sert quâĂ couvrir notre ignorance ils emploient plus ordinairement celui de nature. Mais, Ă parier exactement, qu'est ce que la nature? CWV dit M. de Buston , tome 12, le systĂšme des loi r Ă©tablies par le CrĂ©ateur pour Lâexistence des choses la succesion des ĂȘtres. Suivant cette juste dĂ©finition, que deviennent toutes Ăźgs belles phrases de nos impies phiiosophiftes ? 150 Lâ Ă C O L E qui avoit fait sa lecture favorite de ces beaux systĂšmes , crut, dâaprĂšs leurs auteurs , que lâhomme pouvoir naĂźtre ds la pourriture Ă©chauffĂ©e par le soleil. Il se voyoit vieux , infirme & caduc. Il fit son testament, oĂč il ordonna quâaprĂšs sa mort on laisseroit dans un coin de son jardin, son cadavre exposĂ© aux rayons du soleil, jusquâĂ ce que par leur chaleur vivifiante ils lâeussent rajeuni & ranimé» Plein de cette flatteuse espĂ©rance, dans les plus beaux jours de lâĂ©tĂ©, il se coupa la gorge. Qui nâadmirera la profondeur de gĂ©nie de ccs hommes rares , qui, par de U heureuses dĂ©couvertes, nous expliquent la formation de lâunivers & de lâhomme ! Parlons sĂ©rieusement si quelque fou aux petites - maisons nous tenoit un- pareil langage , nous en aurions fans- doute pitiĂ©. Mais non , ce font des philosophes qui parlent ainsi ; & lâon applaudit Ă leurs extravagances ! Que les idĂ©es des vrais philosophes, des hommes sensĂ©s & raisonnables-, font bien diffĂ©rentes ! Non, nous ne fournies, pas *lâouvrage du hasird le rien ne fait rien, & une cause aveugle ne peut produire un effet oĂč brillent lâintelligence & la sagesse. Nous sommes créés de Dieu. Notre corps est formĂ© de limon , Ă la vĂ©ritĂ© , mais il a Ă©tĂ© pĂ©tri par la des MĆurs. ifi main du Tout-Puissant. Ce corps ainsi organisĂ© nâĂ©toit encore que matiĂšre. Câest Dieu qui y a rĂ©pandu un souffle de vie , & câest ce souffle de vie qui nous anime. Il nous a faits Ă son image, ,en nous donnant une ame spirituelle & immortelle, capable de cohnoĂźtre son Auteur, dâadmirer ses ouvrages , & de commander Ă toute la nature. , Ces lumiĂšres pures,.que nous donne le flambeau de la rĂ©vĂ©lation fur la noblesse de notre origine, quelque communes quâelles paroissent Ă un esprit frivole, ne font-elles pas bien plus belles & plus satisfaifuites que les puĂ©riles chimĂšres quâon se Ă y substituer, pour nous dĂ©grader en nous confondant avec les plus vils animaux ? Quel animal au contraire a Ă©tĂ© plus favorisĂ© que lâhomme ? Quel autre que lui contemple le firmament , distingue le coloris & la Forme agrĂ©able des corps ? Dans cette multitude dâĂȘtres vivans, dont le monde est rempli, la beautĂ© de lâunivers seroit sans tĂ©moins, si mon ame, qui en jouit, ne lui payoit pas lâhommage de son admiration. Peut-on rĂ©flĂ©chir, & ne pas sentir naĂźtre dans son cĆur mille sentimens de reconnoillance, Ă la vue des biens que Dieu dispense Ă lâhomme dâune maniĂ©rĂ© si libĂ©rale? Peut-on nâĂštre pas sensible Ă lâempire quâil nous a donnĂ© G 4 i;a LâĂcole sur tout ce qui nous environne , Ă la diitinction flatteuse quâil a mise entre les connoifiances si bornĂ©es des animaux brutes, & notre raison qui sâĂ©lĂšve jusque dans le ciel, jusquâĂ lâAuteur de notre ĂȘtre ? 11 faudroitsans doute ĂȘtre bien dĂ©raisonnable & bien aveugle , pour mĂ©con- noĂźtre ce Dieu si bienfaisant, si gĂ©nĂ©reux. Lâimpie a beau se vanter quâil ne le connoĂźt pas ; câest quâil le cherche dans son cĆur dĂ©pravĂ© , plutĂŽt que dans lĂ raison. Mais quâil regarde du moins autour de lui, il retrouvera son Dieu par-tout , toute la terre le lui annoncera. Il verra les traces de fa puissance , de sa sagesse & de sa bontĂ© imprimĂ©es fur toutes les crĂ©atures ; & son cĆur so trouvera seul dans lâunivers qui nâannonce & ne reconnoiise pas lâAuteur de la nature. Qui peut porter des hommes douĂ©s de raison Ă cet excĂšs de folie, que les passions honteuses qui les ont alsorvis, & quâils ne pouroient satisfaire Ă leur grĂ© , sâils admettoient un Dieu, trop juste & trop saint pour nâĂȘtre pas le vengeur du crime ? Un juge que rien ne trompe, un maĂźtre qui peut & qui doit tout punir , est odieux Ă des cĆurs vicieux & corrompus ; on voudrait, sâil irait possible, pouvoir lâanĂ©antir. Four des MĆurs. in nous, plus vertueux & plus sages , ayons du souverain Etre, non cette crainte impie qui s'efforce dâen effacer lâidĂ©e, mais cette crainte religieuse qui engage Ă Ă©viter tout ce qui pouroit lui dĂ©plaire. La crainte du Seigneur , dit lâElprit- Saint, est le principe de la sagesse. 17 Câest en effet le motif le plus propre Ă contenir lâhomme , toujours prĂȘt Ă sâĂ©garer. Si dans l'observance de la loi, lâhomme aveugle , & plus fragile encore, trouve des obstacles frĂ©quens qui le dĂ©tournent du bien, des sĂ©ductions puissantes qui le sollicitent au mal ; la crainte de Dieu le rend supĂ©rieur Ă tout elle le retient sur le bord du prĂ©cipice , & le rappelle Ă la vertu. Les parens & les maĂźtres ne sauraient donc inspirer de trop bonne heure Ă leurs enfuis & Ă leurs Ă©lĂšves la crainte du Seigneur. Quâils leur rĂ©pĂštent souvent ces beaux vers de Racine dans Athalie Soumis avec respect Ă sa volontĂ© sainte, Je crains Uieu, cher Abner, & nâai point dâautre crainte. Quâils leur inculquent ces belles maximes du Sage Les grands , les juges U les puis ans font en honneur mais nul riefi i 17 Timor Domini principium fapientiĂŠ. Prov. I. g r if 4 LâEcole plus grand que celui qui craint Dieu. Celui qui a peu d'esprit U de lumiĂšres , mais qui a la crainte de Dieu , vaut mieux que celui qui a un grand sms , ççf qui viole la loi du Trc^Haut. Celui qui craint le Seigneur , fera heureux , il fera bĂ©ni au jour de fa mort. ig Ces leçons frĂ©quentes, fur-tout fi elles font appuyĂ©es de lâexemple , pĂ©nĂ©treront comme des traits de flamme dans ces jeunes cĆurs , & sây graveront en caractĂšres ineifaqables. Nous en avons un exemple illustre dans la personne de Saint - Louis , Roi de France. La Reine Blanche , lorsquâil Ă©toit -encore enfant, lui disait avec cette tendresse que la nature a donnĂ©e aux meres . & avec cette magnanimitĂ© que la religion donne Ă ses hĂ©ros Mon jĂŒs , je vous aime beaucoup mais jâaimer ois mieux vous voir expirer Ă mes pieds , que de vous voir commettre un seul pĂ©chĂ© mortel. Ces paroles restĂšrent si profondĂ©ment imprimĂ© s dans le cĆur de ce saint Roi, que lâhiltoire attelle quâon ne lui en vit jamais commettre un seul dans toute fa vie. Ce quâil dit Ă .Joinville, comme cet Historien lui-mĂ©mo le rapporte, prouve auiii combien il 13 > Timcrv Doniânum bene erh , ÂŁf ind/ebus con~- fumtmiuonis ii/ius bcntdiatur. ÂŁ lcN. ch. v. . des MĆurs.' iff Ă©toifc pĂ©nĂ©trĂ© de cette grande vĂ©ritĂ©. Ayant dans la conversation demandĂ© un jour Ă ce Seigneur, ce quâil aimeroit le mieux, dâĂȘtre lĂ©preux ou dâavoir commis un pĂ©chĂ© mortel Joinville lui rĂ©pondit avec sa franchise naturelle, quâil aimeroit mieux avoir fait trente pĂ©chĂ©s que dâavoir la lepre. Le saint Koi indignĂ© lui dit dâun ton un peu Ă©mu Il pat oit bien que vous ne savez pas ce que c'est que d'avoir offensĂ© Dieu. Apprentis quâun seul pĂ©chĂ© mortel est un mal plus Ă craindre que tous les maux du monde ensemble. Il eut foin dâinculquer la mĂȘme maxime Ă son fils , dans les sages avis quâil lui donna un peu avant de mourir. â Mon fils , lui dit ce vertueux Prince, la premiĂšre chose que je vous enseigne & que je vous recommande, câest dâaimer Dieu de tout votre cĆur & par - deilus tout car nul homme ne peut ĂȘtre sauvĂ© sans cela. Donnez-vous bien de garde de rien faire qui lui dĂ©plaise vous devez dĂ©sirer de souffrir toutes sortes de tour- mens , plutĂŽt que de lâoffenfir. â Louis VIII son pere nâavoit. pas des sentimens moins chrĂ©tiens, St lâon peut dire quâil les porta jusquâĂ lâhĂ©roĂŻsme. Guillaume de Fuilawens rapporte que ce Prince Ă©tant tombĂ© malade au siege dâAvignon, dans la guerre quâil faiioit contre les Albigeois, ses mĂ©decins, pour G 6 i§6 LâEcole le guĂ©rir, lui proposĂšrent un remede qui Ă©toit dĂ©fendu par la loi de Dieu. II reietta ce conseil avec horreur, & rĂ©pondit quâil valoit mieux mourir, que de sauver sa vie par un pĂ©chĂ© mortel. Il mourut en effet de cette maladie Ă trente-neuf ans. Quels exemples ! & ce font des Princes qui nous les donnent. des MĆurs. is7 I I. He plaisantez jamais ni de Dieu ni des Saints Laissez ce vil plaisir aux jeunes libertins O N doit toujours parler de Dieu avec le plus profond respect. Son nom est saint & terrible il nâest pas mĂȘme permis de lâemployer sans raison ou pour des sujets vains & lĂ©gers, comme il arrive si souvent. Que le nom de Dieu , dit le Sage , ne soit point sans cesse dans votre bouche r parce que vous ne ferez pas en cela exempt de faute t . Quel cfinis nâest-ce donc pas dâoser le blasphĂ©mer, ainsi que lâimpiĂ©tĂ© ne craint point de le faire, en lâappelant cruel, injuste, en raillant des divines. Ecritures, qui font les dĂ©positaires de fa parole, en le reniant par des imprĂ©cations infernales, que les libertins se font quelquefois un jeu de profĂ©rer , & qui ne peuvent quâexciter lâindignation des honnĂȘtes gens ! Ceux qui ont un peu de religion , sâabstiendront mĂȘme de profaner le nom de T Nominatio DĂ» non fit ajfidua in ort iuç t & c. Ecpli. 23. 158 Lâ Ă c o l E Dieu, en le mĂȘlant Ă des plaisanteries indĂ©centes ne blĂąmeroit-on pas celui qui oferoit se le permettre Ă lâĂ©gard des Princes de la terre ? - Les choses saintes, & tout ce qui est spĂ©cialement consacrĂ© Ă Dieu , ne mĂ©ritent pas moins de respect. En badiner, les tourner en ridicule, câest se rendre soi-mĂȘme infiniment ridicule & mĂ©prisable. Les railleries ou le mĂ©pris quâon en feroit, scroient des impiĂ©tĂ©s & des facrileges, parce quâils rejailliroient fur la DivinitĂ©. Câest manquer au maĂźtre ,. que dâinsulter ou de mĂ©priser ce qui lui appartient. Rien pourtant nâest plus commun aujourdâhui. Non-feulement les Ministres ou Seigneur & les personnes religieuses, mais les Saints, les reliques, les miracles, 'les mystĂšres & les cĂ©rĂ©monies sacrĂ©es de la religion , font pour bien des gens du monde des sujets de fades plaisanteries. On croit acquĂ©rir par-lĂ le titre de bel-esprit & de philosophe ; mais ne voit-on pas quâon ne mĂ©rite que celui dâimpie & de libertin? on montre moins le brillant de Ion esprit que la corruption, de son cĆur. 11 est fi aisĂ© de sure rire les lots, quand ou ne veut que faire rire, & quâon ne respecte rien ! La raillerie est lâarme favorite du des MĆurs. 759 vice. Câest par - lĂ que les audacieux contempteurs de la piĂ©tĂ© se plaisent Ă lâattaquer. Ils insultent Ă la iimplicitĂ© du juste mais que leur triomphe fera court! Le temps viendra, & il est plus proche quâils ne pensent, oĂč ils dĂ©testeront leur aveuglement & leur folie, en voyant la distĂ©rence terrible & dĂ©sespĂ©rante de leur sort Ă©ternel & de celui du juste qui Ă©toit lâobjet de leur dĂ©rision 2. Laiisons-leur donc ce funeste plaisir , & gardons-nous bien dây prendre part., Se faire un amusement de leurs plaisanteries , câest se rendre aulsi coupable quâeux. Comme ils ne raillent guere que pour ĂȘtre applaudis, trompons leur attente en leur opposant un froid & dĂ©daigneux silence, qui les oblige eux- mĂȘmes Ă se taire. Celui quâune mauvaise honte empĂȘche de tĂ©moigner sa juste horreur, trahit lĂąchement les intĂ©rĂȘts de Dieu. Devons-nous ĂȘtre moins zĂ©lĂ©s pour sa gloire, que chacun de nous ne le scroit pour venger la sienne propre ou celle de la famille quâon verrait attaquĂ©e ? Câest ce que fit un jour adroitement sentir Ă l'Empereur ThĂ©odoiĂš saint { 2 iVĂŒt inscnsatĂŻ vitam illorum ĆjĂŻ'mabamus insa* nium , ÂŁjc. 5-> l6o Lâ Ă C 0 L E Amphiloquc , EvĂȘque dâĂŻcone & grand dĂ©fenseur de la foi contre les Ariens. Il voyoit avec peine que lâempereur fnvo- risoit ces ennemis delĂ divinitĂ© de Jefus- Chrilt. ThĂ©odose ayant aflociĂ© son fils Arcadius Ă lâempire, il profita de cette occasion pour venir au palais le jour que le Prince & son fils recevoient les fĂ©licitations dĂ© toute la cour. AprĂšs avoir saluĂ© profondĂ©ment lâEmpereur, il sâapprocha du jeune Arcadius, qui Ă©toit affis prĂšs de lui fur son trĂŽne, & lui passant familiĂšrement la main au visage Dieu te conserve , mon fils , lui dit- il. Toute lâassemblĂ©e rougit, & ThĂ©odose piquĂ© comme dâune insulte quâon lui faisoit en la personne de son fils, commanda quâon chassĂąt ce vieillard imprudent. Saint Amphiloque se retourna vers lâEmpereur, & lui dit avec une respectueuse libertĂ© On vous offense , Seigneur, lorsquâon ne rend pas Ă votre Fils le meme honneur quâĂ vous - meme. Croye 2 -vous que le Pere cc'leĂe ne ressente pas aussi vivement lâinjure que lui font ceux qui refusent dâadorer son Fils, gui blasphĂšment contre lui en niant sa divinitĂ© ? ThĂ©odose comprenant alors la sagesse du saint fvĂȘque, le traita avec plus dâhonneur , & publia peu de temps aprĂšs des lois sĂ©veres contre les Ariens. A combien de gens du monde, qui se des MĆurs. 161 disent chrĂ©tiens , ne pouroit - on pas adresser la mĂȘme leçon ! Tranquilles & indiffĂ©rens surtout ce qui regarde Dieu, ils font pleins de feu fur ce qui les touche. Quâun impie raille en leur prĂ©sence de ce quâil y a de plus saint dans la religion une crainte humaine les rend muets, & peut-ĂȘtre mĂȘme vont-ils jusquâĂ sâen divertir. Mais que la raillerie lance fur eux ses traits piquans, quâelle ne fasse mĂȘme que les elHeurer un peu; câest alors que toute leur sensibilitĂ© parent, que leur mĂ©contentement Ă©clate. Sâils aimoient Dieu autant quâils sâaiment eux-mĂȘmes , ne prendroient-ils pas Ă©galement en main ses intĂ©rĂȘts ? Sâils le regardoient comme leur pere , ne dĂ©fen- droient-ils pas sa gloire indignement outragĂ©e, en fermant la bouche Ă ces railleurs sacrilĂšges lorsquâils pouroient le faire, ou du moins en leur marquant de lâhorreur & du mĂ©pris Câest une obligation indispensable pour tout chrĂ©tien , pour les femmes mĂȘme qui nâont pas renoncĂ© entiĂšrement Ă la religion ; & malheur Ă celles qui auraient perdu le meilleur garant, le plus sĂ»r palladium de leur honneur , comme le remarque trĂšs - bien un Auteur Anglois dans les sages conseils quâil adresse Ă ses filles. j, Ne vous permettez jamais, leur l6z Lâ Ă C O L E dit-il, de mĂȘler le ridicule aux discours qui ont la religion pour objet, & nâautorisez pas les autres Ă prendre cette licence, en parodiant vous amuser de ce quâils disent. Votre froideur suffira seule pour arrĂȘter les personnes bien Ă©levĂ©es, & vous,ns devez pas en souffrir dâautres auprĂšs de vous. Les femmes se trompent beaucoup, lorsquâelles sâimaginent de se faire estimer de nous par leur irrĂ©ligion. Les incrĂ©dules eux-mĂȘmes nâaiment pas lâincrĂ©dulitĂ© dans les femmes. Tout homme qui connoit la nature humaine, regarde la douceur ne caractĂšre & la sensibilitĂ© du cĆur, comme liĂ©es dans votre sexe avec les sentimens religieux. Dâailleurs les hommes regardent la religion comme une des principales sĂ»retĂ©s que vous puffst ez leur fournir de la conservation de la chastetĂ©, de cette vertu quâils estiment le plus dans les femmes. Si un homme prĂ©tend vous montrer quelque attachement , & sâefforce dâĂ©branler en vous les principes religieux; logez affĂ»tĂ©es que câest un Ă©tourdi , ou qu'il a fur vous des deliâeins quâil nâose avouer } Les femmes honnĂȘtes doivent donc Ă©loigner avec foin toutes les conversations qui tendent Ă Ă©branler leur foi. C3> Legt dâun pere Ă ses filles , Par. M. des MĆurs. i§; Elles doivent rejeter sĂ©vĂšrement tout ce qui a trait Ă lâirrĂ©ligion , rompre brus- xjutment ou dĂ©tourner le discours, & imposer mĂȘme silence, sâil le faut, Ă ceux qui auroient lâindiscrĂ©tion ou lâirn- politeilĂ© dâentamer & de continuer devant elles ces entretiens. Mais fur-tout quâelles nâaient jamais la ridicule vanitĂ© de vouloir disputer sur ces matiĂšres, mĂȘme avec les meilleures intentions. Une rĂ©ponse nette, qui en faisant voir leur attachement inĂ©branlable Ă la religion, oblige le railleur Ă se taire, vaut mieux pour elles, & leur fera infiniment plus dâhonneur. Telle est celle que fit un jour une Dame, comme nous le lui avons ouĂŻ raconter Ă elle-mĂȘme. Elle se trouvoit en voyage avec des Ministres ils le mirent Ă parer contre la re'igion catholique, badinĂšrent beaucoup fur plusieurs de ses usages , & vantĂšrent la rĂ©forme que Luther avoir, faite. La Dame qui jusquâalors avoit gardĂ© le silence, leur dit en riant 7 l faut avouer, Messieurs , que vous avez fait une admirable ref-rme vous avez G'Ă© le carĂ©me , la mes e, la confession , le purgatoire ĂŽtez encore Penser , je serai des vĂŽti es. Ils ne rĂ©p'iquerent pas un mot, & ne parlĂšrent plus de religion. Câest ainsi le plus si uvent quâil faut rĂ©pondre aux mauvais rJlieurs des 16'4 Lâ Ă C O L E choses saintes. On ne doit pas sâengager dans le combat avec eux, si lâon nâest bien armĂ© & assurĂ© du triomphe câest nuire Ă une bonne cause que de la mal dĂ©fendre. Pour confondre lâerreur, pour la suivre dans le labyrinthe oĂč elle aime Ă nous Ă©garer avec elle, pour Ă©carter les nuages dont elle sâenveloppe, & dont elle couvre la vĂ©ritĂ©, il faut plus de connoiflances & de lumiĂšre» que nâen ont la plupart des personnes du monde. Câest lĂ le partage .des docteurs & des thĂ©ologiens les plus habiles; & comme câest Ă eux de faire connoitre toute la beautĂ© , la saintetĂ©, la divinitĂ© de la religion , câest ausiĂź Ă eux sur-tout quâil appartient de la dĂ©fendre en dĂ©tail, de la venger vigoureusement des insultes de ses ennemis. Et souvent il ne leur est pas fort difficile de le faite car la plupart de ceux qui attaquent la religion, ne la connoiiient point, & blasphĂšment ce quâils ignorent. Nous rapporterons Ă ce sujet un trait quâon nous a racontĂ©. Un Religieux Ă©toit avec de jeunes Officiers dans une voiture publique. Ils se mirent Ă parler des choses de religion. Ils en firent le sujet de leurs plaisanteries, & dĂ©bitĂšrent tout ce quâils fĂ voient & ne fĂ voient pas. Le Religieux qui les voit Ă©coutĂ©s fans rien dire, fit tomber des MĆurs. idy Ă son tour la conversation sur les choses de la guerre il en parla dâune maniĂ©rĂ© li ridicule, que ces Officiers ne purent sâempĂȘcher dâĂ©clater de rire; MeĂkurs , leur dit-il, câeft ainfi que vous avez parlĂ© de la religion. Jâai voulu vous faire voir que nous ne nous rendons jamais plus ridicules quâen voulant parler des matiĂšres qui ne font pas de notre ressort , ou raisonner de celles dont nous n'avons quâune connoisj'ance trĂši-J'uperficiclle ,âą parce qu'il eĂ impossible d'en parler bien & avec justesse. En fait de religion plus quâen tout autre , quand on parle de ce quâon ne fait point , on sâexpose Ă dire bien des erreurs & des sottises. Cette petite leçon les confondit, & ils furent plus circonspects le reite du voyage. Avec les impies & les libertins, qui ne parlent de la religion & des choses saintes que pour en railler, nâemployez donc pour lâordinaire quâune rĂ©ponse courte & gĂ©nĂ©rale qui tranche la difficultĂ© , ou une fine ironie qui faite tomber le ridicule sur le mauvais plaisant. Elle prĂ©vient ou 'arrĂȘte de longs combats ; & il elt des occasions oĂč il vaut mieux ne pas entrer en lice , mĂȘme avec des armes supĂ©rieures. En voulant rĂ©pondre Ă toutes les chicanes des impies, on sâexposeroit peut-ĂȘtre Ă scandaliser & Ă Ă©branler dans leur foi des iGS Lâ Ă C O L E personnes foibles, quâil convient quel-, qucfois dĂ©mĂ©nager, quoique la crainte dâun scandale pris mal-Ă -propos ne doive jamais faire abandonner la cause de la vĂ©ritĂ©, quand les circonstances exigent de la dĂ©fendre. Dans une compagnie nombreuse , lâincrĂ©dule vaincu rougiroit dâavouer sa dĂ©faite, & pour mieux la cacher, affecteroit un air de triomphe qui en imposeroit. On peut donc alors dĂ©daigner 11 s attaques , & se contenter de payer son audace dâun juste mĂ©pris, aprĂšs lui avoir fait sentir son tort ou son indiscrĂ©tion. Câest ce que fit dans une de ces rencontres le P. Oudin , JĂ©suite, & lâun des plus fa van s littĂ©rateurs de ce siecle. Un jeune incrĂ©dule Ă©tant allĂ© le voir Ă Dijon , voulut aussi-tĂŽt entrer en dispute avec lui sur la religion. Mais le P. Oudin lâinterrompit en disant, quâil nfaimoitpas Ă disputer avec personne sur les points importuns de notre foi C'cĂ pourquoi , ajouta-t-ii , trouvez bon que nous nen parlions pas. Du moins , mon Pere , ajouta le petit - maĂźtre en pirouettant fur un pied, je fuis bien-aise de vous apprendre que je fuis athĂ©e.,.Alors le P. Oudin gardant un profond silence, se mit Ă le regarder & Ă lâexaminer avec Ă©tonnement & avec dĂ©dain. Quâai-je de si singulier , mon Pere,, rĂ©pliqua le jeune homme, & que regardez - vous donc t e s MĆurs. 167 avec tant de curiositĂ© ? Je regarde , Mans car , dit le P. Oudin, la bĂȘte quan appelle AthĂ©e , es que je navois jamais vue. A ces mots le petit-maitre se retira tout confus. â Les hommes , dit Abadie , ne font incrĂ©dules que parce quâils veulent lâĂštre; & ils veulent lâĂštre, parce que câest lâintĂ©rĂȘt de leurs passions â. La religion ne sauroit sâallier avec une vie diilolue ; ses menaces empoisonnent tous les plaisirs criminels. Il laut , ou abandonner des passions qui font cheres, ou soutenir sans cesse des remords qui troublent; & comme il en coĂ»terait trop pour sicrisier ce quâon aime, & quâon ne saurait se calmer quâen doutant des vĂ©ritĂ©s importunes, on prend le parti de ne rien croire , ou du moins de douter de tout. Mais on a beau chercher Ă se rassurer la rai Ion & la conscience sĂš soulĂšvent toujours contre un si affreux & si insensĂ© systĂšme; & lâincrĂ©dulitĂ© la plus hardie ne peut presque jamais parvenir Ă Ă©touffer tous leurs cris. Aussi nâest - il pas rare devoir les plus impies rĂ©tracter Ă la mort les railleries sacrilĂšges quâils avoient faites pendant quâils se portoient bien. Me'zerai , historiographe de France, avoit affectĂ©, durant tout le cours dosa vie, un pyrrhonisme , qui Ă©toit plus dans fa bouche que dans fou cĆur. Pendant t6t V Ă C O L E sa derniere maladie, il fit venir ceux de ses amis qui avoientĂ©tĂ© les tĂ©moins les plus ordinaires de fa licence Ă parler fur les choses de la religion. Il les pria dâoublier ce qu'il avoit pu dire autrefois » & de lĂ© souvenir que MĂ©zerai mourant Ă©toit plus croyable que Mezerai en santĂ©. Quand lâhomme se voit prĂšs de la mort , disoit un cĂ©lĂ©brĂ© Auteur paĂŻen, eâelt alors quâil se souvient quâil y a des Dieux & quâil elf homme 4. Sâil avoit paru lâoublier dans lâĂ©clat de sa fortune, ou dans la vigueur de sa santĂ©, il ne sent que mieux alors toute sa foiblesse & sa dĂ©pendance. Au premier lignai de la mort, le plus incrĂ©dule leve les yeux vers le ciel il reconnoit le Dieu qui tient en sa main la vie de tous les mot- t;els. il tremble fur un avenir quâil sâĂ©toit vantĂ© de ne pas croire, & dont il avoit peut-ĂȘtre plaisantĂ© souvent il redoute une Ă©ternitĂ©, dont les portes commencent Ă sâouvrir, & lui font dĂ©jĂ entrevoir toutes ses profondeurs il se jette dans le feinde fonPere & de lâAuteur de son ĂȘtre. Heureux sâil y rĂ©pand des larmes qui puilfent effacer ses blasphĂšmes ! Ceux 4 Time Deos , tune homintm cjse se menĂčnit, Plin. Jun. D E S M Ć U R S. J69 Ceux qui dans ce moment terrible, oĂč il va ĂȘtre dĂ©cidĂ© de leur fort Ă©ternel, portent lâirrĂ©ligion jusquâĂ vouloir plai- lauter encore sur les choses les plus res. pectables , mettent le comble Ă leur impiĂ©tĂ© & Ă leur folie. Ils font consister leur honneur dans ce qui achevĂ© de les couvrir dâopprobre. Toute plaisanterie dans un homme mourant, comme le dit lâAuteur des Caratlercs , est hors de sa place si elle roule sur le chapitre de la religion , elle est funeste. Câest uns extrĂȘme misere que de donner Ă ses dĂ©pens, Ă ceux quâon laide, le plaisir dâun bon mot. Câest encore une raillerie bien condamnable , que celle quâon se permet sur la vertu & la dĂ©votion. Il y a, je le sais , une fauste vertu, une dĂ©votion hypocrite, blĂąmable fans doute , mais beaucoup moins que le libertinage scandaleux & lâimpiĂ©tĂ© dĂ©clarĂ©e car lâhypocrisie garde du moins les apparences ; & câest, comme on lâa fort bien dit, un hommage que le vice rend Ă la vertu. Elle est aussi plus rare que bien des gens ne se le persuadent. Ils aiment Ă penser mal de la dĂ©votion, pour se justifier de nâen avoir pas. La censure tacite que la vraie dĂ©votion fait de leur conduite , les indispose contre elle. Ils se plaisent Ă la confondre avec la fauste , Ă la dĂ©figurer Tome, I, H 170 Lâ Ă C O L E par de malignes interprĂ©tations , Ă lui enlever par des soupçons injustes lâestime qui lui est due, Ă la rendre mĂȘme odieuse par la critique la plus amere ; & tandis quâils se permettent tout, ils ne lui pardonnent rien. Ils la regardent comme le partage des petits gĂ©nies & des esprits faibles ils se croient au contraire des esprits forts ; & ils ont sans doute raison, fi la vraie force consiste Ă se laisser maĂźtriser par ses pallions , Ă se laisser aller Ă ses penchans , &, par une fuite toute naturelle, Ă mĂ©priser la religion & ses pratiques. Les personnes dĂ©votes peuvent avoir des dĂ©fauts, A elles en ont, parce quâon est toujours homme. On peut, avec de la dĂ©votion, avoir des foiblesses , des petitesses mĂȘme. Mais gardons-nous pour cela de mĂ©priser la dĂ©votion, & distinguons bien, si nous voulons ĂȘtre Ă©quitables, ce qui vient dâelle & quâelle approuve, dâavec ce qui vient de lâhomme & quâelle sâapplique Ă rĂ©former. Les personnes dĂ©votes qui ont des dĂ©fauts, en auroient souvent de plus grands encore, si elles nâavoient point de dĂ©votion. De combien peut-ĂȘtre de vices scandaleux ne les prĂ©serve-1-elle pas ! Quâon en juge par bien des gens du monde, qui ne se piquent pas de piĂ©tĂ©, & qui font fort Ă©loignĂ©s dâavoir les moeurs ausii des MĆurs.â 171 pures que la plupart des dĂ©vots. Ceux qui aiguisent le plus les traits de la critique contre la dĂ©votion, font souvent ceux qui donnent eux-mĂȘmes le plus de prise Ă la censure. Pour respecter , pour estimer cette vertu , il suffiroit dâĂȘtre juste, & de nâavoir point dâintĂ©rĂȘt honteux Ă la dĂ©primer. Que ce sentiment de M. de Fontenelle nous paroit beau ! Il disoit sur la fin de sa vie sai vĂ©cu cent ens, & je mourrai avec la consolation de rĂ©avoir jamais donnĂ© le plus petit ridi* cule Ă la plus petite vertu â Lâ Ă c o l i I I I. fhit votrt piĂ©tĂ© Jolt sincĂšre & solide , -Alyez une vĂ©ritable piĂ©tĂ© quelque rare quâelle soit peut - ĂȘtre , elle nâen est que plus honorable & plus digne dâestime. Lâimpie, le libertin, dâaprĂšs quelques exemples, aime Ă croire que eeux qui parodient les plus vertueux, ne font que jouer le personnage de la vertu, quâils nâont par-dessus lui que plus dâhabiletĂ© Ă se cacher, & quâau fond ils ont, comme tous les autres, leurs pas- fions & leurs foiblesses. Aussi > malgrĂ© la rĂ©gularitĂ© de bien des personnes pieuses quâil connoĂźt, malgrĂ© lâĂ©clat scandaleux de sa conduite, il se persuade quâil est moins coupable quâelles ; parce quâil est du moins de bonne foi, & quâil nâaffecte point de paroitre ce quâil nâest pas. Laissons les ennemis de la pietĂ© chercher Ă Ă©touffer leurs remords, Ă se justifier dans leurs dĂ©sordres, en tĂąchant de je persuader quâil nây a point de vertu, afin que le vice leur paroisse plus excusable. Laissons-Ăźeur la triste consolation de penser aussi mal des autres quâon pense mal dâeux. Pourions-nous espĂ©rer de faire euĂźendre la voix de la raison Ă dbs MĆurs. »7; ceux qui font profession depuis long* temps de la mĂ©priser dans leur conduite ainsi que dans leurs discours, & qui ne se sont une idĂ©e si affreuse des autres hommes, que pour ĂȘtre moins effrayĂ©s de celle quâils font obligĂ©s dâavoir dâeux- mĂȘmes ? Non, non, quoi quâils en disent, la piĂ©tĂ© nâest pas toujours un masque qui cache lâhypocrite & le scĂ©lĂ©rat. Sâils pourvoient ĂȘtre tĂ©moins de ce qui se passe en certaines Ăąmes solidement pieuses ; sâils voyoient la puretĂ© de leurs intentions, la noblesse de leurs sentimens, la gĂ©nĂ©rositĂ© de leurs sacrifices, ils en seroient quelquefois remplis dâadmiration ; & loin de les mĂ©priser, ils auroient pour elles cette vĂ©nĂ©ration & ce respect qui sont toujours dus Ă la vertu. Si la fausse piĂ©tĂ© est plus connue que la vraie , câest que celle - ci se cache , parce quâelle est humble lâautre , au contraire , aime Ă se montrer , parce quâelle est orgueilleuse. Mais, quoiquâelle ait presque tous les dehors de la piĂ©tĂ© vĂ©ritable , tĂŽt ou tard elle se dĂ©ment & se sait connoĂźtre le voile dont elle se couvre , tombe quelquefois de lui-mĂȘme , & elle rĂ©ussit plus longtemps Ă se faire illusion quâĂ le faire aux autres. Car nous ne parlons pas de ces dĂ©vots scĂ©lĂ©rats, de,ces tartuffes impies, 174 Lâ Ă c o t e qui ne se servent du manteau de la piĂ©tĂ© que pour mieux cacher le jeu de leurs pallions , couvrir leurs vues criminelles & tromper les hommes. Il en est d'autres qui, dĂ©vots de meilleure foi, nâont pas neanmoins une piĂ©tĂ© sincere ni solide , parce quâils veulent allier avec la piĂ©tĂ© ce qui lui est incompatible. En plaignant leur erreur, cherchons Ă les dĂ©tromper peut-ĂȘtre y rĂ©uffirons- nous, en les montrant Ă eux-mĂȘmes tels quâils paroiffent aux yeux des autres. Si quelquefois on craint de se connoitre, de peur dâĂȘtre obligĂ© de le corriger , souvent auffi on ne le corrige point, parce quâon ne se connoĂźt pas. Quoique les femmes aient pour lâordinaire plus de piĂ©tĂ© & de dĂ©votion que les hommes , soit parce quâelles ont le cĆur plus sensible & plus tendre, soit parce que moins occupĂ©es de grandes affaires ou de lâĂ©tude, elles nâont ni Ă remplir les emplois qui dissipent & font souvent nĂ©gliger la plus importante de toutes les affaires , ni Ă cultiver des sciences qui enflent le cĆur & le dessĂšchent ; elles peuvent aussi plus facilement donner dans lâillusion. On en voit qui sont exactes Ă toutes leurs pratiques de piĂ©tĂ© elles se reprocheroient de manquer Ă la plus petite. Mais en mĂȘme temps elles font impĂ©rieuses , aigres des MĆurs.' Si entĂȘtĂ©es elles ne lavent ni plier ni se contraindre il faut que chacun souffre de leur humeur & de leurs caprices. Elles veulent ĂȘtre dĂ©votes , & ne font pas mĂȘme raisonnables. il y en a qui, par un aveuglement aussi Ă©trange, veulent unir tout le luxe Se tous les plaisirs du monde avec la dĂ©votion & la piĂ©tĂ©. On est le matin Ă lâĂ©glise, & le soir aux spectacles. On est de toutes les assemblĂ©es chrĂ©tiennes & de tous les amul'emens mondains. On veut servir tour-Ă -tour Dieu & le monde. Mais comment peut-on se flatter de pouvoir plaire Ă deux maĂźtres, allier lâesprit de Dieu avec celui qui lui est le plus opposĂ©, le goĂ»t des choses saintes avec celui des choses profanes, & malgrĂ© les anathĂšmes que Jesus-Christ a lancĂ©s contre le monde , espĂ©rer dâaccorder le monde & lâEvangile ? 11 en est dâautres qui, par une illusion moins condamnable, mais qui lâest nĂ©anmoins, consacrent Ă la dĂ©votion & Ă la priere une grande partie du temps quâil faudroit donner Ă lâĂ©ducation de sa famille , au foin de son mĂ©nage, Ă la vigilance fur lĂšs domestiques. Mais la vraie piĂ©tĂ© qui nous porte Ă remplir fidellement tous nos devoirs, pour oit- elle approuver quâon les nĂ©gligeĂąt pour elle, & quâon lui conlacrĂąt un temps I?6 Lâ E C 0 L E quâon ne sauroit lui donner sans le dĂ©rober Ă ses plus Ă©troites obligations ? La religion pouroit-elle autorise- ce que la raison condamne ? Ne nous ap prend-elle pas elle-mĂȘme , quâil nây a point de priere plus publiante, plus efficace auprĂšs de Dieu que lâaccomplissement de ses volontĂ©s, & quâon nâest rien Ă ses yeux quand on nâest pas ce quâon doit ĂȘtre. Lorsque le Roi Henri IV travaillĂąt Ă des affaires pressantes, & quâil ne pouvoir affilier au service divin, il en faisoit des especes dâexcuse aux PrĂ©lats qui se trouvoient Ă sa cour , & leur disoit Qiiand je travaille pour le public , il me semble que c est quitter Dieu pour Dieu mĂȘme. Quelque lĂ©gitime que soit cette raison , on ne doit pas nĂ©anmoins en abuser , comme bien des personnes qui prĂ©textent leurs affaires ou leurs foins domestiques pour se dispenser de ce quâils doivent Ă Dieu , & qui les oublient quand il sâagit de leurs plaisirs. Si on le vouloir bien sincĂšrement, ou trouverait presque toujours du temps pour satisfaire avec prudence aux devoirs ordinaires de la piĂ©tĂ© , fans nĂ©gliger ceux de son Ă©tat, & ceux - ci mĂȘme ne sâen feraient que mieux. Il y a tant de morne ns quâon perd en des choses vaines ou moins importantes. Qiii eut jamais 'des MĆurs.' 17p de plus grandes occupations que Saint Louis fur le trĂŽne? Qui fut cependant plus exact , & Ă remplir tous les devoirs de son Ă©tat, & Ă 11âomettre aucune de ses pratiques de piĂ©tĂ©? Lâauteur du TraitĂ© du vrai mĂ©rite , quâon nâaccusera certainement pas dâavoir Ă©tĂ© un bigot, dit quâil a connu de vieux guerriers, qui Ă©toient persuadĂ©s que dans cent dangers dont ils ne penvoient fe tirer fans une espece de miracle, ils avoient du leur salut Ă la rĂ©gularitĂ© avec laquelle ils rĂ©citoient dĂ©votement, depuis leur enfance, des priĂšres dont ils faisaient la nourriture & la force de leur ame. » Je crois , ajoute-t-il, lâaffiduitĂ© Ă entendre la meife, le plus efficace de tous les principes de conduite. Jâai trouvĂ© des Officiers-gĂ©nĂ©raux en voyage, qui forcĂ©s de partir dĂšs quatre heures du matin, ne lâauroient pas perdue pour tous les biens du monde, Ils iĂ voient rendre Ă Dieu & au Prince ce quâils leur dĂ©voient Cela nous montre de quelle importance il est de former de bonne heure les enfans Ă la piĂ©tĂ©, & de les accoutumer Ă en remplir fidellement tous les devoirs. Les premiĂšres impressions font ordinairement les plus durables. Un vase neuf conserve long-temps lâodeur de la premiers liqueur quâon y a versĂ©e. Z 78 tâ Ă c o l s Comme nous voulons faire aimer Ăźa piĂ©tĂ© , nous nous garderons bien de la peindre fous ces traits sombres & rembrunis, dont certaines personnes se plaisent Ă la charger. Une morale trop sĂ©vere produit peu de Saints. Elle fait prĂ©fĂ©rer la facilitĂ© quâon trouve Ă demeurer dans le vice, aux difficultĂ©s quâil y a dâen sortir, & de pratiquer la vertu. Un rigorisme outrĂ© ne sert communĂ©ment quâĂ rendre la piĂ©tĂ© & la religion mĂȘme odieuses. Câest un sujet de raillerie pour les libertins , & de scandale pour les foibles. Les libertins font bien aises quâon leur exagere les choses, pour avoir droit de nâen rien croire, & surtout de nâen rien faire, & quâon leur en demande trop, pour avoir un prĂ©texte de refuser tout. Les foibles, fur ces principes trop sĂ©vĂšres, se sont souvent formĂ© de fausses consciences, qui leur ont fait commettre de vĂ©ritables crimes. Pour se dĂ©tromper les uns & les autres, quâils lisent le beau livre que saint François de Sales a composĂ© sur ce sujet f . Ils y verront que la vraie piĂ©tĂ© nâest ni aussi farouche ni aussi austĂšre quâon sâest plu Ă la leur reprĂ©senter ; que le joug du Seigneur est doux & lĂ©ger ; quâon peut vivre dans le 1 s Introduis ion i la rit dirett. des MĆurs; Ă79 monde sans ĂȘtre du monde, & quâon peut y avoir de la dĂ©votion fans blesser les biensĂ©ances, fans fe rendre ridicule ou mĂ©prisable. Ils y apprendront surtout que la piĂ©tĂ© sage & Ă©clairĂ©e ne cherche, ni par une rigueur trop gĂȘnante Ă rĂ©trĂ©cir le chemin du ciel juiquâĂ le rendre impraticable, ni par un relĂąchement trop doux Ă lâĂ©largir jusquâĂ le rendre trop facile. Entre ces deux routes, dont lâune conduiroit au dĂ©sespoir & lâautre perdroit par une trompeuse confiance , elle tĂąche de prendre le juste milieu pour elle-mĂȘme & pour les autres. Mais quelque ennemie quâelle soit des excĂšs dont nous venons de parler, elle lâest encore bien plus dâun autre, qui nâest aujourdâhui que trop commun, de cette dangereuse & sĂ©duisante maxime, qui prĂ©tend borner tous les devoirs de la piĂ©tĂ© chrĂ©tienne aux devoirs de la pârobitĂ© mondaine, & qui ose assurer quâon est assez vertueux lorsquâon est honnĂȘte homme. Je demanderois volontiers aux apĂŽtres de ce nouvel Ă©vangile, par quelle autoritĂ© ils viennent contredire si formellement celui de Jesus-Christ , & sâils ont donnĂ©, pour mĂ©riter notre crĂ©ance, des preuves plus authentiques de leur mission. Sâils en ont de moins fortes , vu plutĂŽt sâils nâen ont dâautres que lent H 6 ĂŻgo L 1 ÂŁ C 0 L Ă opinion particuliĂšre & la commoditĂ© de leur doctrine, doivent-ils sâĂ©tonner que nous dĂ©fĂ©rions plutĂŽt Ă la parole de Dieu quâĂ la leur ? car pour nier ou douter que la religion chrĂ©tienne soit divine, il faut avoir renoncĂ© Ă toutes les lumiĂšres de cette raison mĂȘme quâils veulent prendre uniquement pour guide. Mais il nâest pas moins Ă©vident que la religion de lâhonnĂȘte homme chrĂ©tien est bien diffĂ©rente de celle que se contente dâavoir celui quâon appelle simplement honnĂȘte homme selon le monde. Celui-ci soumet la religion Ă sa raison. Parmi les dogmes du christianisme, il adopte les uns, rejette les autres, ne compose fa foi que des articles qui lui semblent ne point contredire ni rĂ©volter la raison , & il se fait une religion Ă sa mode. Parmi les prĂ©ceptes, il respecte ceux quâon ne pouroit violer sans manquer aux lois de lâhonneur ou de la sociĂ©tĂ© il sâen dĂ©clare hautement le rigide observateur , pour se croire en droit dâenfreindre ou de mĂ©priser les autres , qui le gĂȘner oient trop, ou qui ne lui plaisent point. Lâhomme vĂ©ritablement chrĂ©tien soumet au contraire sa raison Ă la religion, & la captive sous lâobĂ©issance de la foi. La raison chez lui ne fait que les premier pas ; elle le conduit jusquâau fane» DES M Ć U U S. Igl tuaire du christianisme. LĂ , aprĂšs lui avoir fait voir Ă©crites en caractĂšres lumineux les preuves incontestables de la divinitĂ© de fa religion , elle le remet entre les mains de la foi , Ă laquelle il fe soumet aveuglĂ©ment pour tout ce quâelle lui enseigne de la part de Dieu ; alfurĂ© de ne pouvoir jamais sâĂ©garer, parce quâil est conduit par celui qui est la sagesse & la vĂ©ritĂ© mĂȘme. Fidelle observateur de tous les prĂ©ceptes , il croit devoir nâen mĂ©priser aucun, parce quâils Ă©manent tous de la mĂȘme autoritĂ©, qui est celle de Dieu. Enfant soumis de lâEglise, il en respecte toutes les dĂ©cisions , & les regarde comme des oracles, parce que son infaillibilitĂ© est fondĂ©e sur les promesses de son divin Auteur, qui sera toujours avec elle jusquâĂ la consommation des siĂšcles, & qui veut quâon regarde comme un paĂŻen & un publicain celui qui nâĂ©coutera pas lâEglise. Toutes ses lois sont sacrĂ©es pour lui ; il fait quâon ne doit pas seulement lâobĂ©issance aux prĂ©ceptes naturels & divins, mais encore aux prĂ©ceptes ecclĂ©siastiques ; quâil faut observer les uns & ne pas omettre les autres , & quâune feule offense mortelle, en quelque point que ce soit, suffit pour nous perdre Ă©ternellement. Mais la vraie piĂ©tĂ© ne sâen tient pas lĂ , & elle ne se borne pas simplement N,.. , i§r LâĂcole Ă ce qui est commandĂ©. Elle aspire Ă ce quâil y a de plus parfait, de plus digne dâelle & de Dieu. Elle aime mieux en faire trop que trop peu , & aller au- delĂ de ses obligations que de sâexposer Ă y manquer en cherchant trop scrupuleusement le terme de ses devoirs. Elle fait Ă qui elle se confie. Elle connoĂźt la bontĂ© gĂ©nĂ©reuse du MaĂźtre quâelle sert, & qui rĂ©compense si libĂ©ralement tout ce quâon fait pour lui, tandis que les hommes, quâon sert avec tant de zele & dâempressement, ne rĂ©compensent presque rien de ce quâon fait pour eux. . Bien diffĂ©rent des mondains , dont la piĂ©tĂ© est si facile Ă se rebuter, si prompte Ă se dĂ©goĂ»ter dans le service de Dieu, & qui trouvent que les momens quâils jr donnent font toujours ceux qui leur semblent couler le plus lentement; le chrĂ©tien pieux ne goĂ»te jamais de momens plus doux , plus agrĂ©ables , que ceux quâil peut consacrer aux saints exercices line sâimagine pas que la naissance, les dignitĂ©s ni les richesses suent un titre pour se dispenser de ce quâun doit Ă Dieu. Plus le rang quâil tient dans le inonde est honorable & distinguĂ©, plus il se croit obligĂ© Ă servir de modelĂ© & Ă donner lâexemple. Ainsi pensoit Jâillustre Ă©pouse de Henri xll, Louise de Vaudemont. PlacĂ©e des MĆurs. 18? fur le trĂŽne de France, la couronne ne servit quâĂ relever lâĂ©clat de ses vertus, & ne lui fĂźt rien perdre de son humilitĂ© , de sa piĂ©tĂ©, de sa douceur. Elle fut un modele de modestie & de pudeur dans un temps oĂč la dissolution & les dĂ©bauches infectoient la ville & la cour. Au milieu du luxe & du faste le plus indĂ©cent, elle ne se distinguoit que par la simplicitĂ© de ses habits. Aussi pieuse quâelle Ă©toit humble & modeste, elle parloit plus Ă Dieu quâaux hommes , & on la trouvoit plus souvent aux Kglises quâau Louvre. Durant les premiĂšres annĂ©es de son mariage, elle se confessoit & communion tous les mois mais quatre ans aprĂšs avoir Ă©pousĂ© le Roi, & Ă©tant veuve , elle frĂ©quentoit les Sacremens tous les huit jours. Convaincue par lĂ propre expĂ©rience que la lecture des livres spirituels est lâaliment de la piĂ©tĂ©, que ces livres qui paroissent si ennuyans, fi insipides aux personnes qui ne lisent que des livres profanes, font bien plus utiles & plus nĂ©cessaires, elle les lisoit volontiers , & en faisoit la nourriture ordinaire de son ame. Celui quâelle se faisoit lire le plus souvent, Ă©toit la Vie des Saints 6 . 6 Il y a plusieurs Vus des Saints trĂšs-bien faites* & trĂšs - diimĂ©es, telles çue celles Uu i*, Croisa, & ,84 Lâ Ă c o i s Câest en effet ce quâil y a peut- ĂȘtre de plus propre Ă nourrir la piĂ©tĂ© , & mĂȘme Ă en inspirer lâamour & le goĂ»t les exemples des Saints ont fait beaucoup dâautres Saints. On lit avec aviditĂ© tant de livres qui nâapprennent rien, ou qui ne servent quâĂ satisfaire une vaine curiositĂ©. On ne veut rien ignorer, exceptĂ© la feule chose quâil faudroit savoir, la science de la religion & du salut. Par une suite de lâincrĂ©dulitĂ© de notre siede , on parolt rougir de la lecture la plus utile & la plus Ă©difiante , comme on rou. git de passer pour pieux & dĂ©vot. On redoute la critique du monde, de ce monde quâon nâa pas la force de mĂ©priser lors mĂȘme quâon le juge le plus mĂ©prisable. On craint des hommes qui ne peuvent faire aucun mal, & dont la censure est un Ă©loge tacite mille fois plus glorieux que leurs fausses & frivoles louanges ; & lâon ne craint point de rougir du service dâun MaĂźtre tout-puis- mieux encore celles du P. Grijset , pour tous les jour» Ăźle lâannĂ©e; en douze volumes, Ă. les Vies des PĂšres , des Martyrs & des autres principaux Saints , traduites le PAngiois par une SociĂ©tĂ© dâEcclĂ©fi astiques. Il y a aussi un bon AbrĂ©gĂ© de La Vie des Saints pour tous les jours de /'annĂ©e , accompagnĂ©e de rĂ©flexions , &c. en un gros vol. in *8°. par un CurĂ© de Rouen. Noua ne parlons pas des autres, parce que nous ne vouions indiquer que ee que nous sonnojsibus de meilleur, des MĆurs. *8s fĂ nt , dâun Dieu jaloux, qui regarde du mĂȘme Ćil & ses ennemis & ceux qui nâosent se dĂ©clarer pour lui. Y a-t-il donc sur la terre des Grands assez grands, & des Puissans assez puissans, pour mĂ©riter que nous les prĂ©fĂ©rions Ă Dieu ? Qui que vous soyez , dans quelque Ă©tat, Ă quelque haut rang que vous soyez placĂ© , ne rougissez jamais dâĂȘtre pieux , ni de le paroĂźtre. Ne faites pas comme le superbe , qui sâimagine quâil ne doit point croire ni agir comme le vulgaire. Ne prenez pas pour une marque de noblesse & de grandeur dâĂȘtre moins sage que les autres. Si parce que vous ĂȘtes noble vous avez peine Ă faire ce. que fait le petit peuple , faites mieux que lui ce quâil fait bien. Ne le suivez pas dans les voies de la piĂ©tĂ© ; ayez Ă©gard Ă votre condition, marchez le premier , servez dâexemple. Tenez votre rang dans le lieu saint; ne permettez pas quâaucun y soit plus religieux ni plus modeste que vous. Mon fils , disoit avec cette simplicitĂ© si digne de sa piĂ©tĂ© Saint Louis Ă Philippe qui devoit lui succĂ©der au trĂŽne, assistez avec dĂ©votion au service de Dieu tÂŁ de la sainte Eglise notre mere. Priez-y Dieu de cĆur & de bouche , principalement Ă la messe , aprĂšs la consĂ©cration du corps de Notie- Seigneur , fans y causer ni parler Ă qui i%6 V Ă C O L 2 que ce soit. Ce saint Roi pratiquoit lui- mĂȘme ce quâil recommandoit Ă son fils. Il Ă©toit durant tout le temps de la messe, & fur-tout aprĂšs que les paroles sacrĂ©es avoient fait descendre fur lâautel la Victime sainte , dans le recueillement & le respect le plus profond. Quelle diffĂ©rence de ce pieux Monarque Ă ce tourbillon de jeunes & quelquefois de vieux insensĂ©s, qui, aprĂšs avoir passĂ© toute la semaine sans pa- roitre dans nos temples , y accourent enfin les jours de fĂȘtes & de solennitĂ©s ! EntraĂźnĂ©s par la coutume & conduits par la biensĂ©ance , ils y viennent pour voir & pour ĂȘtre vus ; pour critiquer & pour Ă©taler les modes, les parures mondaines ; pour concerter souvent les plaisirs de lâaprĂšs-midi, durant le plus auguste de nos MystĂšres. Sans retenue comme fans religion dans nos Eglises, on les voit y causer, y rire, y commettre des indĂ©cences quâils nâose- roient se permettre dans une assemblĂ©e profane. Ils entrent avec dĂ©cence dans la maison dâun Grand , ils sây observent, ils sây composent ; & ils ne craignent pas dâentrer, dâagir {ans respect dans la maison de Dieu. Ils y promĂšnent partout leurs regards insolens , quâils ne fixent de temps en temps fur lâautel que pour voir si le sacrifice sera bientĂŽt fini. des MĆurs. iz? A peine daignent-ils suspendre leurs scandaleux entretiens & mettre un genou en terre , ou incliner foiblement la tĂȘte, dans le moment le plus redoutable du sacrifice. Sâils ne font plus chrĂ©tiens, pourquoi viennent-ils dans les assemblĂ©es chrĂ©tiennes ? & sâils le font encore, comment osent-ils y outrager , y insulter le Dieu quâils adorent ? Avouons-le pourtant Ă la gloire de la religion quelque frĂ©quent que soit ce dĂ©sordre, il nâest pas universel. Dieu s'est rĂ©servĂ© parmi nous un grand nombre de vrais & de fidelles adorateurs ; & lâon voit les Princes eux - mĂȘmes ne pa- roĂźtre devant nos autels que pour confondre lâimpiĂ©tĂ© par dâaugustes exemples , & donner Ă leurs peuples des marques publiques de leur piĂ©tĂ©. Nous avons vu de nos jours un puissant Monarque prier durant les saints mystĂšres avec une modestie Ă©difiante , descendre de carrosse & se mettre Ă genoux au milieu des boues pour adorer le Fils de Dieu , quâon portoit aux malades 7. Nous avons vu le vertueux Dauphin son fils, que la religion honorera longtemps de ses regrets, signaler Ă©galement 7 Louis Xf , qui eut toujours un grand fonds ie religion. i88 L* Ă e o l E sa piĂ©tĂ©. Ayant apperçu de loin une procession du Saint-Sacrement, il fit arrĂȘter, descendit de carrosse, sâavança Ă pied vers le reposoir , se confondit dans la foule, rejeta les carreaux quâon voulut mettre fous ses genoux, & se prosterna sur le pavĂ©. La piĂ©tĂ© des Grands est le plus beau triomphe de la religion , qui Ă son tour les comble de gloire. Cette belle qualitĂ© fut une de celles de Philippe II , Roi dâEspagne, que lâHistoire nous reprĂ©sente comme un des plus grands Princes de son siecle par fa sagesse, son Ă©quitĂ© & sa magnificence. Il Ă©toit sorti de Madrid pour se promener en voiture. Il trouva le Vicaire dâune petite paroisse de la campagne , qui , prĂ©cĂ©dĂ© dâun enfant, portoit le saint Viatique Ă un malade. Il descendit aussi-tĂŽt de son carrosse, y fit monter le PrĂȘtre, quâil accompagna la tĂȘte nue & la main Ă la portiĂšre, jus quâĂ ce quâil fĂ»t arrivĂ© chez le malade. CâĂ©toit un pauvre Jardinier. Le Prince assista avec la plus grande dĂ©votion Ă toute la cĂ©rĂ©monie. Il fit ensuite une aumĂŽne considĂ©rable Ă celui quâon ve- noit dâadministrer; & remontant dans son carrosse avec le PrĂȘtre , quâil fit mettre Ă la place la plus honorable, il le ramena jusquâĂ son Eglise imitant en cela lâexemple dâun de ses plus DBS M Ć U R S. 18- illustres aitcetres, Rodolphe de HubsbourĂy tige de la Maison dâAutriche , dans laquelle la pitiĂ© & la religion ont de tout temps Ă©tĂ© hĂ©rĂ©ditaires. Ce Prince Ă©tant Ă la chasse, rencontra un CurĂ© qui permit le Viatique. Il descendit de cheval, y fit monter le PrĂȘtre , & conduillt lui- mĂȘme le cheval par la bride. Le nouveau Roi de Portugal, Dom Pedro , a donnĂ© Ă ses sujets, dans une semblable occasion, une marque aussi Ă©clatante de son religieux respect ; & il a fait voir Ă ce siede dâirrĂ©ligion, que. la vraie grandeur ne consiste point Ă faire parade de son impiĂ©tĂ© , Ă mĂ©priser les choses saintes, mais Ă honorer , Ă servir son CrĂ©ateur & son MaĂźtre. Quels sentimens respectueux ne devons - nous donc pas avoir aussi pour cet Etre suprĂȘme , puisque nous voyons de grands Monarques, devant qui tous les autres hommes se prosternent & s'humilient * se prosterner eux-mĂȘmes & sâhumilier devant lui ! Quelle plus utile instruction Ă donner Ă la jeunesse, que de lui faire remarquer souvent ces nobles exemples , si propres Ă lui donner une grande idĂ©e de Dieu & de la religion, Ă lui transmettre lâamour de la vĂ©ritable f iĂ©tĂ©, qui est, ainsi que la crainte du eigneur, A la source de la sagesse. 190 Lâ Ă C O L B Cet hĂ©ritage, le plus prĂ©cieux que des parens chrĂ©tiens puissent laisser Ă leurs enfans , ne le donne pas comme les autres hiens, en disant Je laisse Ă mon Ăls la pietĂ© 6r la sagesse. Si vous voulez quâil les possĂ©dĂ©, faites en forte, tandis que vous vivez, quâil sâen mette en pot session. Si vous attendez trop long-temps, il ne les aura jamais. Câest au printemps de la vie quâil faut jeter dans les jeunes cĆurs les semences de la vertu. 11 faut pour ainsi dire , leur faire sucer avec le lait les premiĂšres douceurs de la piĂ©tĂ© elle croĂźtra avec lâĂąge, elle jettera dans lâame des racines profondes, & les plus violentes tempĂȘtes ne poliront la renverser. Dociles Ă ses leçons , ils deviendront des hommes sages, des citoyens vertueux , des personnes irrĂ©prochables dans leurs mĆurs & dans leur conduite, aussi sidelles Ă remplir tous les devoirs de la probitĂ© & de lâhonneur que ceux de la piĂ©tĂ© & de la religion ; ou plutĂŽt exacts observateurs des premiers, parce quâils le seront de ceux-ci car comme il nây a point de vraie, de solide religion sans probitĂ© , il nây a point non plus de vraie, de solide probitĂ© sans religion & qui peut oublier ce quâil doit Ă Dieu, peut aisĂ©ment mĂ©connoitre ce quâil doit aux hommes, des MĆurs. 191 t Nous „fe pouvons mieux finir ces rĂ©flexions, que par les excellons conseils que Madame de Maintenon douĂąt , au sujet de la piĂ©tĂ© , Ă la Duchesse de Bourgogne, dans lâinstruction quâelle composa pour cette jeune Princesse. Câest un parfait modele de ce que tous les gens du monde, & en particulier les personnes du sexe, doivent faire. ,, Que votre piĂ©tĂ© , lui dit-elle, soit solide, droite, Ă©clairĂ©e solide, en Ă©vitant de la mettre dans des minuties; droite , en prĂ©fĂ©rant toujours les obligations de votre Ă©tat Ă toute dĂ©votion particuliĂšre ; Ă©clairĂ©e, en vous instruisant de tout ce que vous devez savoir pour vous sauver. » Vous aimez la joie, le repos, le plaisir croyez-moi, jâai goĂ»tĂ© de tout ; il nây a de joie , de repos, de plaifir quâĂ servir Dieu ; le vice est affreux, & lâon ne peut trop tĂŽt se donner au Seigneur. » Evitez la vanitĂ© & lâoisivetĂ© ; Ă©vitez sur - tout le pĂ©chĂ© on se jette aisĂ©ment dans le vice, 011 en fort difficilement. â MĂ©ditez la loi de Dieu jour & nuit; gravez-la profondĂ©ment dans le fond du cĆur rentrez souvent en vous-mĂȘme, & tĂąchez de vous mettre en la prĂ©sence Me Dieu au milieu des compagnies les plus nombreuses» 19* Lâ E C 0 L E â Aimez lâEglise , qui est rassemblĂ©e des fidelles respectez ses Ministres protĂ©gez les gens de bien & les bonnes Ćuvres. DĂ©clarez-vous contre les nouveautĂ©s dans la religion. Tenez-vous attachĂ©e au Saint -Siege , câest le centre de la catholicitĂ©. â Soyez simple dans la piĂ©tĂ©, docile, humble, unie, comme saint Paul lâordonne aux femmes. ,, FrĂ©quentez les sacremens avec joie & avec confiance choisissez un bon Confesseur, & laissez-vous conduire dans le bien quâil vous conseillera. ,, Aimez la lecture des livres qui portent Ă Dieu, tels que l'Imitation de Jesus- Christ & les Ćuvres de saint François de Sales , que vous ne devez point vous lasser de lire. Les livres profanes inspirent lâorgueil, & nourrissent la curiositĂ© si dangereuse Ă notre sexe, Ă mesure quâils Ă©tendent les connoifiances. â Aimez vos enfans, voyez - les souvent câest lâoccupation la plus honnĂȘte quâune Princesse & une Paysanne puissent avoir. Jetez dans leurs cĆurs les semences de toutes les vertus. ct B des MĆurs. 19; 1 .- ==== es^=========& Et qu'Ă tous vos discours la vĂ©ritĂ© prĂ©side. La vĂ©ritĂ© est ie premier devoir de lâhomme en sociĂ©tĂ©. La parole a Ă©tĂ© donnĂ©e aux hommes pour se communiquer leurs pensĂ©es câest aller contre lâinstitution de la nature , que de la faire servir Ă la duplicitĂ© & au mensonge. Quelle confiance les hommes pouront-i's avoir entre eux , st la vĂ©ritĂ© est bannie de la sociĂ©tĂ©, & st la langue , destinĂ©e Ă ĂȘtre lâinterprete fidelle du cĆur , nâen est plus que le voile trompeur qui le cache & le dĂ©guise? Que lâhomme vrai est prĂ©cieux dans le commerce de la vie ! Avec lui on peut rĂ©gler ses jugemens, ses sentimens, les dĂ©marches son amitĂ© nâest point Ă©quivoque ni trompeuse sa bouche est lâorgane de la vĂ©ritĂ©, & jamais le mensonge nâa souillĂ© ses levres. Maisilfaurconvenir quâun tel homme est bien rare. La vĂ©ritĂ© est simple & ingĂ©nue ; & nous voulons du spĂ©cieux & de lâornement. Elle vient du ciel toute faite, pour ainsi dire, & dans toute fa perfection5 & nous nâaimons que notre propre ouvrage, 'la fiction & la fable; ou , comme dit un Auteur cĂ©lĂ©brĂ©, qui Tome I. I 194 Lâ Ă C O L E par la multitude de ses erreurs eu tout genre lâa prouvĂ© plus que personne. Le vtai nous vient du terre Ciel s lâerreur vient de Voltaire. la Voyez le peuple il controuve, il augmente, il charge les faits par gros siĂ©retĂ© & par sottise. Dans le grand monde toutes les sociĂ©tĂ©s font empoi- ionnĂ©es par le dĂ©faut de sincĂ©ritĂ© & de droiture les entretiens nây font le plus souvent que des mensonges, cachĂ©s fous les dehors de lâamitiĂ© & de la politesse. Les politiques font du dĂ©guisement & du mensonge leur Ă©tude ; plusieurs en font leur plaisir, & dâautres leur mĂ©tier. Pour vous , ce quâen ont fait tous les grands hommes , lâabomination » de votre cĆur. Regardez avec le Sage le mensonge comme une tache honteuse & un opprobre. La vie des menteurs , ajoute-t-il, est une vie fans honneur leur confuĂon les accompagne fans ccjĂe 8 - LâhonnĂȘte homme, le vrai chrĂ©tien, ne mĂ©prise pas seulement le mensonge, mais il le hait, il ledĂ©telfe, parce quâil fait jjue le Dieu quâil adore elf la vĂ©ritĂ© s S j ADoninĂ»Vo est Domino labia m tndacia. Prov. 12. DSS M CE X> R. S. igs mĂȘme, & que les levres menteuses lui font en abomination 9. Ne craignez donc jamais que de ne pas dire la vĂ©ritĂ©, & abhorrez le mensonge plus que la mort. Ces beaux sentimens Ă©toient ceux de ce saint EvĂȘque de Thagaste en Afrique , nommĂ© Firmus , dont parle saint Augustin. Il tenoit chez lui, cachĂ© avec beaucoup de soin, un homme innocent, quâun Empereur paĂŻen vouloir faire mourir. Des Exempts vinrent par ordre de lâEmpereur lui demander cet homme. Il leur rĂ©pondit quâil ne pouvoir ni mentir ni leur dĂ©couvrir celui quâils ch er choient. On lui fit souffrir tous les tourmens imaginables mais il fit paroĂź- tre une constance hĂ©roĂŻque. Il fut amenĂ© devant lâEmpereur, qui admira ses sentimens , & lui accorda mĂȘme la grĂące de lâhomme qu'il gardoit chez lui. Quelles louanges, ajoute le saint Docteur , ne mĂ©rite pas cet illustre EvĂȘque, qui aima la vĂ©ritĂ© jusquâĂ tout souffrir plutĂŽt que de mentir ! A son exemple, estimez plus la vĂ©ritĂ© que toutes les choses du monde, craignez de vivre avec la rĂ©putation dâĂȘtre un homme faux. HaĂŻssez le mensonge ; & quoique dans les compagnies on f 9; in keminemendacium , Kcdi» 20. 1 2 195 L 5 Ă C O L E lâappelle le. plus innocent des pĂ©chĂ©s , & dans les palais le plus nĂ©cessaire, appelez-le par-tout le plus honteux & le plus indigne dâun homme dâhonneur. Ne vous permettez mĂȘme jamais de le mĂȘler Ă delĂź'ein dans les faits que vous racontez, pour les rendre plus agrĂ©ables. Quelque ornement que vous puissiez lui donner, croyez quâil ne sautoir ĂȘtre que trĂšs-mellĂ©ant dans votre bouche. Il lâest fur-tout dans celle de ces personnes, qui par leur Ă©tat, parleur dignitĂ© ou par la saintetĂ© de leur caractĂšre , doivent ĂȘtre les plus fidelles images de celui qui est la vĂ©ritĂ© par essence 10. Un Religieux qui vouloir se jouer delĂ simplicitĂ© apparente de saint Thomas dâAquin , lui dit dâaller Ă la fenĂȘtre , & quâil verroit en lâair un bĆuf qui voloit. Saint Thomas y accourut. Le Religieux se moqua de lui. Comment, lui dit-il, avez-vous pu croire quâun bĆuf pĂ»t voler? Je croirois plutĂŽt, lui rĂ©pondit le Saint, quâun hĆuf volĂąt , que de penser quun Religieux tel que vous fit un mensonge. De quelque condition que vous soyiez, ayez la force de ne jamais rien dire que de vrai. Nâayez pas la manie si ordinaire aux enfans, aux femmes & Ă ceux 19 Non iecetprincipcm labium mentiens. Frov. Z7. des MĆurs.â 197 qui ont , comme elles, lâimagination vive Ă ardentej de tout agrandir, de tout exagĂ©rer. On veut Ă©tonner & surprendre dans cette vue on outre tout ce quâon dit, & dâun ciron lâon fait un colosse. Mais quâarrive-t-il ? dĂšs que lâon con- noit une personne sur ce ton , on commence par diminuer au moins la moitiĂ© de ce quâelle dit, & lâon finit par ne plus la croire. Evitez le mensonge avec un foin extrĂȘme. Si lâon remarque en vous peu le sincĂ©ritĂ©, Lâon ne vous croira pas, lors mĂȘme Que vous direz la vĂ©ritĂ© H . On 11e gagne en effet Ă mentir, que de nâĂštre pas cru lorsquâon dit vrai. Un menteur ne ment pas toujours, mais câest toujours une folie de se fier Ă si parole. Un mĂ©chant homme affirmoit une chose avec serment Ce rieft pas aux fer mens quâon ajoute foi, lui rĂ©pondit-on ,âą ceft Ă la probitĂ©. Quand une personne a la rĂ©putation dâĂȘtre vraie, on jureroit sur sa parole ce quâelle dit a toute lâautoritĂ© du serment. Madame la Duchesse de Longue- ĂŻ! Tables d'Esope , mises en françois avec le sens fnoral en quatre vers , qui sont ordinairement bien faits. Câest un excellent livre p'jur les enfans qfli commencent Ă lire. 1 3 ip8 Lâ Ă c o l Ă« ville , qui mĂ©rita par scs grandes qualitĂ©s lâeitime dont e!le jouit dans le dernier' siecle, nâayant pu, dit Pclifon, obtenir une grĂące du Roi pour une de ses crĂ©atures, elle en fut ti vivement piquĂ©e, quâil lui Ă©chappa des paroles fort indiscrĂštes & fort peu respectueuses. Une seule personne qui les avoir entendues , ne lui fut pas fidelle. La chose revint au Roi , qui en parla Ă M. le. Prince câĂ©toit le grand CoudĂ©, frere de la Duchesse de Longueville. Celui- ci assura le Roi que cela ne pouvoir ĂȘtre, & que sa sĆur nâavoit pas perdu lâesprit. Je lâen croirai elle-mĂȘme , rĂ©pliqua le Roi, Ă elle dit le contraire. Le Prince va voir sa sĆur , qui ne lui cache rien. En vain il tĂąche, durant une aprĂšs-dinĂ©e toute entiĂšre , de lui persuader quâen cette occasion la sincĂ©ritĂ© fer oit une vraie simplicitĂ©; quâen la justifiant auprĂšs du Roi il avoir cru dire la vĂ©ritĂ© mais quâil falloir laisser tomber cela, & quâelle feroit mĂȘme plus de plaisir au Monarque de nier fa faute que de lâavouer. Voulez-vous , lui dit- elle , que je la rĂ©pare par une plus grande , non - feulement envers Dieu , mais envers le Roi ? Je ne faurois gagner fur moi-, mĂȘme de lui mentir , lorsquâil a la gĂȘnĂ©-, de mâen croire ris fis' sâen rapporter Ă moi. Celui qui mâa trahie a grand, torts des MĆurs. 199 mais apres tout il ne ni eĂ pas permis de le faire palier peur un calomniateur , puisquâ en ejfct il nelâefi pas. Elle alla le lendemain Ă la Cour. AprĂšs avoir obtenu de parler an Roi en particulier , elle se jeta Ă ses pieds , & lui demanda pardon des paroles indiscrĂštes qui lui Ă©toient Ă©chappĂ©es. Elle ajouta que M. le Prince nâavoit pu lâen croire capable, & que câĂ©toit pour cela quâil avoir entrepris de la justifier auprĂšs de Sa MajestĂ©; mais quâelle aimoit mieux lui avouer sa faute que dâĂȘtre justifiĂ©e aux dĂ©pens dâautrui. Louis XIV , par un action Ă©galement hĂ©roĂŻque , non-seulement lui pardonna de bon cĆur , mais lui fit quelques autres grĂąces quâelle ne sâattendoit pas de recevoir elle crut mĂȘme remarquer quâil la traita depuis avec plus de considĂ©ration & de bontĂ© quâauparavant. Sâil est vrai que de la soibieiie & de la dĂ©pendance naiisent souvent la fineise & la faulsetĂ© , la vĂ©ritĂ© est une vertu biçn . estimable dans les femmes. Austi faut-il avouer quâelle sây trouve encore plus rarement que dans les hommes, parce que lâĂ©ducation mĂȘme quâ011 leur donne pour lâordinaire , augmente & fortifie en elles le penchant quâelles ont Ă la dissimulation. On leur apprend, presque dĂšs lâenfance, fart de feindre, & la plupart nây deviennent que trop 2,00 Lâ Ă C O L E habiles. Madame de Maintcnon , qui re- connoĂźt que la mauvaise dissimulation dans laquelle on Ă©leve les femmes a de grands inconvĂ©niens , conseille Ă la Ducheise de Bourgogne dâavoir plutĂŽt une prudente En lui recommandant dâunir la prudence Ă la franchise, elle lui donnoit un avis bien important; car il est quelquefois de la sageste de diffimuler ce quâon pense , & de ne pas dire tout ce quâon fait. La diiiimulation nâest donc pas toujours mauvaise ni blĂąmable. 11 y en a une louable, au contraire, & qui fait partie de la prudence elle sait, sans le secours du mensonge, cacher ses senti- nvens aux curieux qui voudraient les- pĂ©nĂ©trer elle tait la vĂ©ritĂ© qui dĂ©plairait, lorsque les circonstances nâexigent pas quâon la faste connoitre elle couvre des voiles du silence, quand la justice ou la charitĂ© le demande, ce quâelle fait des dĂ©fauts ou des intĂ©rĂȘts du prochain. Cette belle & estimable dissimulation est le partage des hommes sages & prudens, des personnes vertueuses & chrĂ©tiennes , comme celle quf emploie le dĂ©guisement & le mensonge pour tromper & en imposer, ou qui retient la vĂ©ritĂ© captive, lorsquâil est du devoir de la manifester , est la honteuse ressource des politiques mondains, des. DES M Ć U R 8. 201 eourtisans flatteurs, des chrĂ©tiens foibles & pusillanimes. La bouche qui ment , dit lâEsprit-Saint en parlant des mensonges pernicieux, donne la mort Ă l'ame. Le faux tĂ©moin ne demeurera pas impuni , & celui qui dit des mensonges pĂ©rira 12 . Ces terribles sentences frappĂšrent tellement un pieux Avocat, quâayant, un jour en plaidant , laide Ă©chapper un lĂ©ger mensonge, & Ă©tant tombĂ© peu aprĂšs fĂŒr ces endroits de lâEcriture, il renonça fur le champ Ă une profeiĂźion oĂč il est si facile & fi. funeste de dĂ©guiser la vĂ©ritĂ©. Ceux qui le font un jeu & une habitude de manquer de sincĂ©ritĂ© dans les petites choses , sâexposent Ă en manquer bientĂŽt dans les grandes. Lâhabitude rend aisĂ© & mĂȘme agrĂ©able ce qujon faisoit dâabord avec peine & avec Craignez donc de contracter un vice qui vous feroit haĂŻr & mĂ©priser non-seulement du Seigneur , mais des hommes. Car le monde, tout faux & tout corrompu quâil est, ne sauroit sâempĂȘcher de rendre hommage Ă la droiture ; & ceux mĂȘme quâelle a offensĂ©s, finiffent par lâadmirer. On dĂ©teste les fourbes & T- Os quod occidit aninam. Sap. i. » Pro y. ĂŻ 9 . 2,0 ĂŻ Lâ Ă G O L t les cĆurs doubles, on estime les hommes- droits & sincĂšres, on aime la candeur & la franchise. La candeur est la marque dâune belle ame, qui se montre telle quâelle est la franchise est celle dâune ame noble, qui aime la vĂ©ritĂ© , & qui ne craint pas de se dĂ©clarer pour elle lâune & lâautre font lâexpression & lâeffusion de la droiture du cĆur. Trop pure, trop innocente pour ĂȘtre dissimulĂ©e; si la candeur pense hautement, câest quâelle nâa point Ă rougir de ses pensĂ©es. Mais souvent quâil est Ă craindre que la franchise, Ă moins quâelle ne soit dirigĂ©e par la prudence & par la politesse , ne fasse rougir les autres ! Combien de gens qui, pour vouloir ĂȘtre sincĂšres & vrais, font impolis & grofiĂźers, ou mondains & satiriques ! Un jeune Poete vint montrer Ă LuUl un prologue quâil avoit composĂ© pour un OpĂ©ra, & lui demanda ce quâil en peitscht. Lulli lâayant lu , lui dit quâil nây trouvent quâune lettre de trop. LâAuteur flattĂ© de ce quâil croyoit un Ă©loge, le pria de lui indiquer lâendroit. Câest, rĂ©pondit Lulli, dans ces mots fin du prologue , la derniere lettre de fin. Nâayez point cet amoiĂźr outrĂ© & farouche de la vĂ©ritĂ©, qui dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en humeur cynique, & qui ne la montre DES M Ć U R S. que sous un dehors rĂ©voltant. Ce dĂ©faut est dâautant plus difficile Ă corriger quâon sâen fait gloire. Quand ou le reproche Ă ceux qui lâont, ils rĂ©pondent quâils font faits ainsi, & quâils ne sauroient dire que ce quâils pensent. Ignorent-ils donc quâon fe doit les uns aux autres des Ă©gards & des mĂ©nagemens? il nây a point dâhomme, quelque mĂ©rite quâil ait, qui ne fĂ»t fort mortifiĂ© , si on lui disoit tout ce quâon pense de lui. La discrĂ©tion est Ă lâame ce que la pudeur est au corps. Un excĂšs de franchise est une indĂ©cence comme la nuditĂ©. Celui qui dit tout ce quâil pense, neâ pense pas toujours Ă tout ce quâil dit. Il y a souvent bien de lâimprudence & du pĂ©ril Ă ĂȘtre trop sincere. Des coups dĂ©shonorans, & la mort mĂȘme, ont Ă©tĂ© plus dâune fois les honteuses & tristes suites de lâindiscrĂ©tion de la langue. Le moindre mal qui puisse en arriver , câest de nous faire perdre lâestime & lâamitiĂ© de ceux avec qui nous vivons. Cependant il vau droit encore mieux ĂȘtre & trop vĂ©ridique, que fourbe & dissimulĂ©. Mais il y a un milieu Ă tenir , & lâhomme poli saura presque toujours le trouver. Il saura Ă©viter adroitement de dire des vĂ©ritĂ©s dĂ©sagrĂ©ables ou tĂąchera de les adoucir, persuadĂ© que; dans des bagatelles- on ne doit la dĂ©cia- 204 Lâ Ă C O L E ration de ses sentimens quâĂ ses amis ; encore faut-il quâils aient grande envie ou grand besoin quâon la leur fasse. Mais dans quelque cas que ce soit, il nâaura jamais recours Ă cette perfide & trompeuse difĂźimulation , Ă qui un PoĂ«te dit ironiquement Art prĂ©cieux de feindre avec adresse U» sentiment que l'on nâĂ©prouve pas; Et qui nous fais , blessant goĂ»t & justesse,. Louer tout haut, quand nous blĂąmons tout bas;. Tu fais voiler dâune gaze lĂ©gĂšre La vĂ©ritĂ©, dont le front trop sĂ©vĂšre Blesse nos yeux devenus dĂ©licats.. Aussi la flatterie ordinairement fait-elle des amis, & la vĂ©ritĂ© des ennemis. Mais les grandes Ăąmes, qui counoissent tout le prix delĂ sincĂ©ritĂ©, prĂ©fĂ©reront toujours Ă des amis qui les flattent, des ennemis mĂȘme qui leur diront la vĂ©ritĂ©.. "Philippe, Roi de MacĂ©doine, qui esti- nioit dans les autres une sincĂ©ritĂ© quâil nâavoitpas, Ă©toit Ă la vente de quelques esclaves dans une posture indĂ©cente. Lâun dâeux lâen avertit Qu'on mette cet homme en libertĂ© , dit Philippe , je ne savais pas quil fĂ»t de mes amis. Henri IV, plus grand homme encore- que Philippe, & dâun caractĂšre plus franc & plus droit,, eut le bonheur dâavoir des MĆurs. 2 , 0s Ă la Cour des Ministres qui lui difoient la vĂ©ritĂ©, & de les estimer. La Marquise de Verneuil savoir engagĂ© Ă lui donner par Ă©crit une promesse de mariage. Le Prince, avant de la lui remettre, consulta Sully, & la lui montra. Ce Ministre , zĂ©lĂ© pour la gloire de son MaĂźtre, la dĂ©chira. Le Roi indignĂ© dâune pareille- hardiesse , lui dit tout en colĂšre Vous ĂȘtes fou, Sully. Je voudrois F ĂȘtre fui, Sire, rĂ©pondit Sully. Henri IV, malgrĂ© sa passion pour la Marquise, ne put. blĂąmer ce Ministre, parce quâil sentoit quâil avoir raison; & il le quitta sans lus rĂ©pliquer un mot.. > c Lâ Ă C O L E 1o6 I V. Ttne{ votre parole ĂŻnviolablemtnt. C E L u i qui aime fa rĂ©putation, aime Ă tenir exactement sa parole -, la qualitĂ© dâhonnĂȘte homme impose ce devoir. I! se fait une loi, lorsquâil le peut, de tenir ce quâil a promis, dans les choses mĂȘme les plus legeres ; parce quâon est bientĂŽt infidelie dans les grandes, quand on sâaccoutume Ă nâĂštre pas fidelle dans les petites. DesprĂ©aux aimoit Ă se trouver exactement Ă lâheure quâil avoir promis , parce que , disoit-il, la premiĂšre chose qui se prĂ©sente Ă lâesprit & dont on sâoccupe le plus, ce font les dĂ©fauts de la personne qui se sait attendre. Lorsque la promesse nâest pas injuste ou absohiihent impossible, on ne doit jamais la violer, pour quelque raison ou pour quelque intĂ©rĂȘt que ce soit. Pendant que le jeune PompĂ©e disputoit de lâEmpire avec Octave & Marc-Antoine, ils firent entre eux une espece de treve , & ils se donnoient des repas tour-Ă -tour. Un jour que ces deux derniers mangeoient dans la galere de PompĂ©e , un de ses Capitaines le tira Ă lâĂ©cart, & lui dit que , sâil veut le laisser faire, il fera bientĂŽt le DES M Ć U R S. fiOf maĂźtre du monde. VoilĂ un coup de partie , ajouta-t-il ; la fortune vous favorise; si vous le voulez, vous nâavez plus dâennemis dans un quart-dâheure. PompĂ©e nây voulut point consentir Ils Jour, venus de bonne foi, dit-il, & jâaime mieux garder ma parole que de commander Ă tout Cunivers. LâHistoire nous a conservĂ© des traits dâhĂ©roĂŻsme en ce genre , plus grands encore & plus magnanimes. Tel est celui du RĂ©gulus François, Jean Premier. Qui ne fait le noble iacrisice quâil fit Ă cette belle maxime, qui Ă©toit la sienne Que Ă la vĂ©ritĂ© U la bonne foi Ă©taient perdues , on devrait les retrouver dans le cĆur ÂŁ ? dans la bouche des Rois. Ce Prince, dont lâame fut encore plus grande que ses malheurs, ayant Ă©tĂ© fait prisonnier dans une bataille, fut renvoyĂ© fur fa parole mais nâayant pu accomplir toutes les conditions quâon a voit mises Ă fa libertĂ©, il retourna accompagnĂ© de fa feule vertu dans les prisons du Roi dâAngleterre, &. y mourut trois ans aprĂšs. Le P. de Lauriere, Franciscain , montra la mĂȘme fidĂ©litĂ© , le mĂȘme courage, & eut un plus heureux succĂšs. Ayant Ă©tĂ© pris par les Indiens avec plusieurs Officiers Portugais, il demanda quâon le laiifat partir , pour aller traiter de lâĂ©change des prisonniers. Le Roi de Gain. LO8 Lâ Ă C 0 1 2 baie paroi fiant craindre quâil ne revint pas, le Religieux dĂ©tacha son cordon , & le lui mit en main comme le gage le plus afliirĂ© de sa foi. Sur cela seul on le laissa partir. Sa nĂ©gociation ayant Ă©tĂ© infructueuse , il revint dans les fers. Le Roi fut si frappĂ© de cette fidĂ©litĂ© , & il conçut une si haute opinion dâun peuple qui produisoit des hommes capables de cet acte gĂ©nĂ©reux de vertu, quâil renvoya, tous les prisonniers fans rançon. On doit fur-tout garder les promesses; qui ont Ă©tĂ© munies du sceau sacrĂ© du serment ; & celui qui est la vĂ©ritĂ© par essence, a quelquefois puni dĂšs cette viele parjure dâune maniĂ©rĂ© sensible & Ă©clatante. Loihairc , Roi de la Lorraine Ă laquelle il donna son nom , & neveu de lâEmpereur Charles le Chauve, avoit rĂ©pudiĂ© Thktbcrgc son Ă©pouse lĂ©gitime, afin dâĂ©pouser Valdrade, pour laquelle il avoit conçu une inclination dĂ©rĂ©glĂ©e. Le Pape cassa la sentence dâun synode, qui avoit rompu le premier mariage , & menaça Lothaire de lâexcommunication,, sâil ne quittoit ce commerce scandaleux. 11 vint Ă Rome, pour donner satisfaction. Il jura en prĂ©sence du Souverain Pontife, & fit mĂȘme jurer une partie des Seigneurs de la fuite , que depuis la dĂ©fense du Saint- Siege il nâavoit point eu de communication avec Valdrade. Il des MĆurs. 209 lui promit de suivre en tout ses avis. Le Pape ie fit approcher de la sainte table , & lui dit de recevoir hardiment le sacrement du salut Ă©ternel , sâil avoir une ferme rĂ©solution de rompre pour tou-. jours le commerce criminel quâil avoir eu avec Valdrade, sinon de nâĂštre point allez tĂ©mĂ©raire pour le recevoir, de peur quâil ne tournĂąt Ă la condamnation. Le Roi, fans hĂ©siter, reçut la communion. La plupart de ceux qui lâaccompagnoient se prĂ©sentĂšrent auffi Ă la sainte table , & il nây en eut que quelques-uns qui nâose rent en approcher. Lothaire sortit de Rome plein de joie, croyant avoir heureusement terminĂ© son affaire mais la main de Dieu sâappesantit sur lui. La fievre le prit Ă Lucques , & la maladie se mit parmi ceux de lĂ suite il les vit mourir presque tous fous ses yeux , & mourut ensuite lui-mĂȘme, comme le rapportent M. Fleury & tous les Historiens EcclĂ©siastiques. â On observa, dit lâAuteur de lâHistoire de lâEmpire, que la mort qui le surprit bientĂŽt aprĂšs, fut la punition que Dieu exerça contre Ion parjure. On remarqua aulli que de ceux qui avoient jurĂ© & communiĂ© avec lui, il nây en eut pas un qui vĂ©cut plus de six mots anrĂšs cette impiĂ©ti. â 1 ' i HĂŒt. EcĂŒiĂ©f. de Fleury. Ăźiv. 5i. an». &69*-fe Hist- de lâEmp. Ue HĂąjs. Uv. 1. 5, 210 Lâ Ă C O L E Celui , die lâEcrivain {acre de lâEcclĂ©siastique , qui ne fait pas ce quâil a promis avec serment , aura son pĂ©chĂ© sur lui U s'il jure en vain , câest-Ă -dire, pour des choses de peu dâimportance ou fans avoir dessein dâaccomplir ce quâil promet , ce rtc fera pas une excuse qui le jujlifie. 2 Les paĂŻens ont pensĂ© de mĂȘme. AprĂšs la bataille de Cannes , Annibal avoit renvoyĂ© Ă Rome dix prisonniers, avec ferment de revenir, sâils ne pouvoient obtenir quâon rachetĂąt des soldats Romains qui avoient Ă©tĂ© pris. Ceux qui manquĂšrent Ă leur serment, furent dĂ©gradĂ©s par les Censeurs, & relĂ©guĂ©s pour toute leur vie parmi les derniers du peuple. On usa de la mĂȘme sĂ©vĂ©ritĂ© Ă lâĂ©gard du soldat qui, dans cette occasion, sâĂ©toit rendu coupable, en voulant Ă©luder son ferment} parce que câest manquer Ă©qui- valemment Ă fa parole, que de lui donner des interprĂ©tations captieuses. Ce soldat, dit CicĂ©ron , Ă©toit revenu au camp dâAnnibal, peu de temps aprĂšs lâavoir quittĂ©, fous prĂ©texte quâil avoit oubliĂ© quelque chose en Ă©tant sorti 2 ÂŁ r Ă ht vacuum juravtrit , nen justificabiĂźur. des MĆurs. 2ĂŒ ensuite , il sâĂ©toit cru dĂ©gagĂ© de fa pro- meiie. II i'Ă©toit, ajoute CicĂ©ron, Ă soutenir Ă la lettre mais dans le fond il ne IâĂ©toit pas , parce quâen fait de promesses il faut toujours regarder lâintention quâon a dĂ» avoir ou quâon est prĂ©sumĂ© avoir eue. % Si lâon juge dâaprĂšs ces principes, ce que fit un Empereur Turc , quoique ce fĂ»t Ă un perfide, ne paroĂźtra pas moins reprĂ©henfibie & contraire Ă la bonne foi. Ce traĂźtre dĂ©couvrit Ă Soliman 11 lâextrĂ©mitĂ© oĂč Ă©toit la ville de Rhodes , & la maniĂ©rĂ© de sâen rendre maĂźtre, aprĂšs ĂȘtre convenu quâil auroit pouf rĂ©compense une des filles du Sultan en mariage. La ville prise , il lui demanda lâeffet de sa promesse. Je me fuis engage* rĂ©pondit Soliman, Ă vous donner ma fille, & je fuis rĂ©solu de vous tenir parole mais il faut premiĂšrement que je vous sĂ€Ăe ĂŽter votre vieille peau de chrĂ©tien f sâil vous en vient une nouvelle , vous lĂ©pouserez. Il le fit Ă©corcher vif. Le traĂźtre mĂ©ritent sans doute un pareil supplice * mais il ne falloir pas, pour profiter de sa trahison , le tromper par une promesse quâon Ă©toit bien rĂ©solu dâĂ©luder ensuite. 3 Scmpcr in quid finfieris , non ç'/fÂŁ dlx i, de Osik. 212 LâĂ C O L Ă La justice , qui nous oblige Ă tenir notre parole quand nous le pouvons lĂ©gitimement, nous permet aussi & nous ordonne mĂȘme quelquefois dây manquer. Ainsi , les promelTes arrachĂ©es par la crainte ou obtenues par lâartifice , il nây a personne , dit CicĂ©ron, qui ne voie quâon nâest pas obligĂ© Ă les tenir. 4 ForcĂ© par les circonstances de faire une promesse Ă un brigand pour sauver votre vie ou prĂ©server votre maison du feu, vous avez droit de ne pas lui donner ce quâil nâavoit aucun droit dâexiger. Vous ayez promis de prĂȘter une somme' dâargent qui vous devient nĂ©cessaire Ă vous - mĂȘme, de rendre une Ă©pĂ©e dont on veut iĂš servir pour une fin criminel!, de remettre un livre obfccne ou impie lĂ loi de la charitĂ© vous dĂ©fend de tenir votre parole , lorsque vous pouvez y manquer fans vous exposer Ă quelque' fĂącheux accident. Avez-vous promis de faire une action mauvaise, de commettre un crime ou dây coopĂ©rer gardez-vous de croire que vous foyiez obligĂ© Ă tenir votre promesse. LâexĂ©cution vous rendroit doublement criminel. AgĂ©silas, Roi de Sparte, cĂ©dant / 4 Jam illis promiĂis ftandum non effĂč guis non' vidt , guet coaius guis mttu , aux, dteeptus dolo pro- miftrit ? I de Off. des MĆurs. ir? Ă l'importunitĂ© d'un de ses sujets, lui avoit promis une chose qui, apres y avoir fait rĂ©flexion, ne lui parut pas juste. Il diffĂ©ra pour cette raison de remplir sa promesse. PressĂ©-par le Spartiate, il lui dit quâil ne pouvoit pas lui accorder fa demande, parce quâelle Ă©toit injuste. Mais les Rois , ajouta ce particulier, ne doivent promettre que ce quâils veulent tenir. Et. les sujets , reprit AgĂ©silas , ne doivent demander aux Princes que ce quâils peuvent accorder. -q râ- - K. Mais ne la donnes pas inconsidĂ©rĂ©ment. S I la probitĂ© & la bonne foi doivent rĂ©pondre de notre parole, la prudence & la sagesse doivent prĂ©sider Ă nos engagemens. Câest nâĂštre ni prudent ni sage, que dâĂȘtre trop facile Ă promettre .mille circonstances imprĂ©vues peuvent vous en faire repentir. Ne promettez jamais non plus fans en savoir lâobjet vous vous exposeriez souvent Ă devenir infidĂšle ou criminel. Her ode dans lâivresse de lâadmiration, promet Ă la fille dâHĂ©rc- dias tout ce quâelle voudra lui demander. Elle lui demande ce quâil ne peut accorder sans crime. DĂ©jĂ coupable par son imprudence, il le devient encore plus par la mauvaise honte qui iâempĂȘche Lâ Ă C O L Ăź de dĂ©savouer si promesse , & il donne , quoiquâĂ regret, lâordre de trancher la tĂšte Ă un saint ProphĂšte, quâil jugeoit digne de sa confiance & de son eitime. y iNie soyez ni inconsidĂ©rĂ© ni trop prompt Ă donner votre parole ceux qui la donnent aisĂ©ment , y manquent de mĂȘme. Tel Ă©toit le Cardinal Mazarin. Jamais personne ne promit plus, & ne donna moins. Il tĂ choit dâinspirer la mĂȘme maxime Ă Louis XIV. Promettez toujours aux François , lui disoit-il , mais ne vous mettez pas en peine de rien tenir. Le trait suivant peint encore mieux son caractĂšre. Il avoit eu lâambition de marier sa niece au Prince de Conti. BrĂ©quigni Ă©tant venu lui apporter la nouvelle quâelle Ă©toit accouchĂ©e dâun fils, le Cardinal rempli de joie lui promit une grande rĂ©compense. Lâenfant mourut quelque temps aprĂšs. BrĂ©quigni voulant rappeler au Cardinal le souvenir de sa promesse, ce fin Ministre lui dit DrĂ©cptipni , ne me parlez pas de cela , vous renouvelez ma douleur. Quand les Grands , par lâabus i 5 ; Jicrodcs metuebat Joannem , sciens eum yirum. justum cT* fanftum ; ÂŁ? cufiodUbat eum , ÂŁ T audito eg tmtĂźta fachbat , ÂŁ 7 * libenter eum audiebat. Marc. 6. Veröde qui fit mourir saint JeamBaptiste , avoit ravi Ă Philippe Ion frerç sa femme HĂ©rodias il pĂ©rit mi» {Ă«rablement avec elle Ă Lyon, oĂč il fut relĂ©guĂ© par D E S M Ć .U R 5. Ils Ăźle leur indĂ©pendance, croient pouvoir se dispenser des rĂ©glĂ©s que la probitĂ© impose aux autres hommes, câeit toujours aux dĂ©pens de leur rĂ©putation ; & si leur rang est plus Ă©levĂ©, la tache quâils impriment Ă leur nom, comme celle qui est fur une Ă©tostâeriche, nâen paroĂźt que davantage, & nâen est que plus dĂ©shonorante. Donnez tout ce que vous avez promis, mais ne promettez pas plus que vous ne pouvez faire , & promettez toujours moins que vous nâavez envie de donner. 11 est juste & beau de remplir ses promesses , il est sage & prudent de les rĂ©gler fur son pouvoir, il est doux & agrĂ©able de donner plus quâon nâa promis. Si vous aimez votre tranquillitĂ©, promettez rarement, Ă moins que vous ne puisiez donner bientĂŽt, aux personnes qui ont peu dâoccupation ; ou vous Ă©prouverez plus dâune fois combien il est fĂącheux dâavoir promis quelque chose Ă des gens qui nâont rien Ă faire quâĂ penser aux promesses quâon leur a faites. Ne faites pas trop valoir, & ne louez pas beaucoup ce que vous promettez. Lâimagination des personnes auxquelles on promet quelque chose de beau ou dâextraordinaire , surpasse souvent tout ce quâou leur donne dans la fuite il vaut mieux que le don soit au-dessus quâau- dessous des espĂ©rances. ai s LâĂcole Biglai» V. Scyt{ officieux , complaisant , doux , affable, Poli , dâhumeur Ă©gale ; U voax/ e s MĆurs. 237 qui par leur rang & leur naissance de- vroient avoir le plus de sentimens, Ă dire & Ă faire mille choses qui avilissent toujours & qui souvent dĂ©shonorent. Le philosophe DĂ©monax voyant un LacĂ©dĂ©monien en colere, qui maltraitoit son esclave Cesje , lui dit-il, de te rendre semblable Ă lui. Ce qui se fait dans la passion, se fait toujours contre la raison, & donne souvent de grands sujets de repentir. Un moment de colere cause quelquefois des regrets qui durent toute la vie. Quiconque sefĂąche a tort ou saura bientĂŽt il est difficile de ne pas sâĂ©chapper dans la colere, jusquâĂ dire des injures ou faire des outrages , dont ensuite 011 rougit A dont on est mĂȘme quelquefois obligĂ© de faire des excuses. Il y a quelque chose de si humiliant dans lâexcuse , quâon devrait bien ne se mettre jamais dans le cas dâen faire Ă qui que ce soit. Demander pardon, câest convenir quâon a tort, & il nâest pas permis Ă une personne qui pense , dâavoir dit ou fait des sottises. Mais il vaut encore mieux lâavouer & reconnoĂźtre fi faute » que de vouloir la justifier ou la soutenir. La colere est peut-ĂȘtre de toutes les passions violentes celle qui nuit le plus au corps mĂȘme. Kien nâaltere plus la santĂ© que les empertemens ils corrom- 2^8 Lâ Ă C O L E pent le sang, bouleversent les humeurs, changent totalement la constitution , & conduisent prĂ©cipitamment au tombeau. Les transports U la colcre , dit lâEcriture, abrĂšgent les jours. 6 Combien mĂȘme nâen a-t-on pas vus, qui dans un de leurs accĂšs violens de colere font tombĂ©s morts ! lâEmpereur Valentinien I , dont lâHistoire loue les grandes qualitĂ©s , & qui , fils dâun Cordier , sâĂ©toit Ă©levĂ© Ă lâEmpire par fa valeur, devint la triste victime des frĂ©quens mouvements de colere auxquels il se livroit , & quâil nĂ©gligea trop de rĂ©primer. Donnant un jour audience aux Ambassadeurs des Quades , il entra dans une si grande fureur, quâil eut un regorgement de sang, & en mourut. Quâil est terrible de paroĂź- tre en ce moment au tribunal du fimve- rain Juge, pour y rendre compte de tous ses emportemens ! Les personnes sujettes Ă la colere, ne lâappellent que vivacitĂ© mais quâimporte quel nom on lui donne , si cette vivacitĂ© dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© presque toujours en brusqueries & en boutades ; si elle porte Ă des excĂšs de folie ou de fureur, & finit par faire dâun homme une bĂšte fĂ©roce , un flĂ©au de la sociĂ©tĂ© ? Les femmes, qui font nĂ©es vives & 6 Zelus f iraçundla minuunt dies, Eccli. 30. des MĆurs. 239 coleres, doivent sâappliquer encore plus que les hommes Ă corriger ce dĂ©faut. La nature leur a donnĂ© la douceur en partage ondiroit quâune femme qui sâirrite change de sexe. La colere ne fait pas seulement quâelles deviennent odieuses & insupportables , elle les dĂ©nature & les rend hideuses. Si les femmes savoient combien les emportemens dĂ©figurent les personnes les plus aimables , elles sâen garantiroient pour toujours. Mais ce quâil y a de plus fĂącheux encore , câest quâil n'y a point de colere plus grande ni plus terrible, & quâil nây a pas dâexcĂšs dont une femme en fureur ne soit capable. Malheur Ă ceux qui sont obligĂ©s de vivre avec une femme de ce caractĂšre ! U vaudroit mieux , dit lâEcrivain sacrĂ©, demeurer avec un lion ou avec un dragon. 7 Et en effet on peut apprivoiser ou domter les bĂȘtes sauvages, on peut du moins trouver les moyens de sâĂ©chapper dâelles & de se sauver par la fuite mais les fureurs dâune femme emportĂ©e font inĂ©vitables ; vous ne pouvez ni la domter, ni lâappaiser, ni la fuir. Une femme de cette espece Ă©tant venue Ă lâaudience du Chancelier SĂ©guier, sâoublia jusquâĂ lui reprocher en des ternies outrageans la perte dâun procĂšs 7 Non est ira fus er iram m-tUeris , te. U ssii. r;> A4 v Ă C O L E elle Ă©toit furieuse. Le Chancelier , sans sâĂ©mouvoir, demanda Ă celui qui lâac- compagnoit si elle Ă©toit sa femme. Il rĂ©pondit que oui. En vĂ©ritĂ© , reprit le Chancelier , je vous plains bien , ramenĂ©s-la chez vous ⊠La colere ne mesiied pas moins aux Grands quâaux femmes ; & cependant ce font ceux-lĂ mĂȘmes qui y font le plus sujets. Le feu , ditlâEsprit-Saint-, Ćž, embrase dans la forĂȘt selon quâil y a de bois ; U la colere de lâhomme sâallumera Ă proportion de fa puissance il la fera dâautant plus Ă©clater quil aura plus de bien. 8 Câest que la colere qui nous porte Ă rejeter avec violence ce qui nous choque , naĂźt ordinairement de lâorgueil, & que lâorgueil croit Ă proportion quâon sâestime plus grand par son mĂ©rite ou par ses qualitĂ©s extĂ©rieures. Mais celui qui a lâame aussi Ă©levĂ©e que son rang, croi- roit sâabaisser & sâavilir , sâil sâabandon- noit aux transports honteux de la colere. M. de Lauzun ayant un jour parlĂ© fort insolemment Ă Louis XIV Si je nâĂ©tois pas Roi , lui dit ce grand Prince,Je me mettrois en colere. Il S SscundĂčm ligna fylvĆ Ăc igtĂčs cxarĂąefcit ; ÂŁ T ficundĂčm virt'ifc ** kc mini s Ăc iracundi ». iliius erit â ÂŁT secundĂčm substantiqm. suam exaltĂ»bu irtm fuam, fcccii. 28 des MĆurs. 24 f 11 ne montra pas une modĂ©ration moins Ă©tonnante dans une autre occasion, oĂč il eil peut-ĂȘtre plus difficile encore de surmonter les mouvemens âąimpĂ©tueux de la nature. Un de ses valets Ă chambre ayant par malheur rĂ©pandu. , -de la cire bouillante fur son pied , il se contenta de lui dire avec beaucoup de douceur Prenez garde une autrefois de tl ĂȘtre plus fi mal-adroit. 11 en coĂ»te pour ĂȘtre ainsi maĂźtre de soi mais quand on a soin de rĂ©primer ses pallions, leur fĂ©rocitĂ© sâadoucit ; elles deviennent comme des animaux dĂŽmes- tiques & apprivoisĂ©s, qui habitent avec nous et qui sây tiennent en paix. Ne vous dĂ©couragez donc pas de tous les efforts infructueux que vous avez peut- ĂȘtre faits jusquâici pour surmonter votre naturel emportĂ© & violent. Quand 011 succomberoit quelquefois , il est toujours utile & glorieux dâavoir souvent rĂ©sistĂ© & vaincu. Chaque victoire a sa rĂ©compense; & lorsque, la passion calmĂ©e, on envisage de sang-froid jusquâoĂč elle pouvoir nous mener, câest une satisfaction bien douce quâelle ne nous ait rien fait commettre contre la raison & la sagesse. Que toutes ces rĂ©flexions entrent profondĂ©ment dans votre ame, & vous prĂ©parent pour le moment du combat. Vous vaincrez toujours, fi vous en Tome I. L 242 Lâ Ă C O L E prenez les vrais moyens, & si vous allez puiser des forces & du couragĂ© dans les puissans motifs & dans les grands exemples que vous offre la religion. En vain chercheriez-vous ailleurs des remedes eiticaces contre la plus impĂ©tueuse des pallions. Nos Philosophes, qui, Ă lâexemple des StoĂŻciens , se vantent de pouvoir les donner, ne font comme eux que dâhabiles charlatans ; parce que bien loin de couper la racine la plus fĂ©conde de la colĂšre , qui ett notre orgueil & notre amour-propre, ils la nourrilsent, au contraire, & la fortifient par une vaine apparence de modĂ©ration, qui louvent ne tarde pas Ă le dĂ©mentir. Leurs lĂ©gers palliatifs pouront donc peut-ĂȘtre fuspciu dre & calmer pour un temps la violence du mal, mais ils ne le guĂ©riront jamais entiĂšrement. Cette gloire nâest rĂ©servĂ©e quâĂ celui qui, en fortifiant les plus faibles, se plaĂźt Ă rĂ©compenser en eux ce quâils ont fait avec lui. Combattez avec les armes invincibles de la foi fans relĂąche, & sâil le faut, jusquâĂ la mort. Le souverain RĂ©munĂ©rateur, tĂ©moin & juge Ă©clairĂ© de tous vos combats, vous attend au bout de la carriĂšre pour les couronner. Si vous voulez assurer votre bonheur dĂšs cette vie mĂȘme, ainsi que celui de la sociĂ©tĂ© ; travaillez sans cesse Ă vous des MĆurs. 24; rendre maĂźtre de votre passion, Ă vaincre lâhumeur, Ă prĂ©venir les emportemens de la colere, au-devant de laquelle, disoit un ancien Philosophe, il faut courir comme au-devant du feu, parce quâelle sâallume & sâenflamme aussi-tĂŽt, si on ne lâarrĂȘte. ReprĂ©sentez-vous les lieux, les occasions & les personnes quipouroient lâexciter ; & dans le calme que vous laille encore lâĂ©loignement des objets, armez- vous de rĂ©solutions courageuses Priez celui qui vous a donnĂ© votre ante, de vous la faire possĂ©der dans la patience, & de ne point permettre quâelle sâabandonne Ă des transports indignes dâelle. Les Savans & les Philosophes font quelquefois les premiers Ă eu donner des exemples, bien propres Ă dĂ©shonorer ie beau 110m dont ils se parent. Tels furent les deux dont parle Furcticrc. Ils frĂ©quen- toient lâacadĂ©mie des beaux-esprits, que tenoit chez lui M. lâAbbĂ© Bourdelot. Lâun dâeux avoit fait une piece de théùtre, que les ComĂ©diens avoient refusĂ©e jusquâĂ quatorze fois il taxa dans lâacadĂ©mie ses juges dâignorance, & soutint que sa piece Ă©toit bonne. Un bel- esprit de lâassemblĂ©e, ne pouvant souffrir les louanges quâil donnoit Ă sa piece, lui dit quâil se trompoit & quâelle Ă©toit dĂ©testable. Ils en vinrent aux paroles piquantes, se dirent les injures les plus L 2 N. J 244 Lâ Ă c o i e grossiĂšres, & Ă la fin le PoĂ«te transportĂ© de fureur, donna un soufflet Ă son critique. Ils ail oient se battre on les sĂ©para. Mais la chose nâen demeura pas lĂ . Le lendemain le b es esprit souffletĂ©, se munit dâune Ă©pĂ©e plus longue -que celle quâil avoit le jour prĂ©cĂ©dent. Il rencontre le PoĂ«te, il lâattaque lâautre se dĂ©fend, mais dâune maniĂ©rĂ© toute nouvelle. Car, comme il ne manioit guere mieux lâĂ©pĂ©e que la plume, il sâĂ©toit muni par prĂ©caution de deux petits sachets de cendre, quâil tenoit ouverts dans les poches. Il les jeta aux yeux de son adversaire, & lâen aveugla si heureusement, quâil le mit hors de combat. Il lâauroit tuĂ©, sâil lâeĂ»t voulu ; mais soit peur, soit philosophie, il se contenta de lui dire Je te laijje la vie , pour publier quâil ri a tenu quâĂ moi de te F ĂŽter. Adieu fais-toi guĂ©rir. âąg L. .. â- p. Affable. Cette aimable qualitĂ©, qui fait quâun supĂ©rieur reçoit dâune maniĂ©rĂ© gracieuse ceux qui sâadressent Ă lui, doit ĂȘtre fur-tout celle des Grands & des hommes en place. Plus on est Ă©levĂ© par son rang ou par sa naissance au-dessus des autres, plus on doit avoir de douceur & dâaffabilitĂ©. O vous qui ĂȘtes jaloux de lâamour des hommes, aimez Ă vous rendre des MĆurs. 245 humains & accessibles montrez Ă tous cet air simple & noble de bontĂ©, qui attire les cĆurs. Faites quâau sortir de votre entretien on goĂ»te toujours le plaisir dâĂȘtre charmĂ© de vous & dâĂȘtre content de soi-mĂȘme. Banniisez de vos paroles lâhumeur & la fiertĂ©, qui nâajoutent rien Ă la grandeur & qui ĂŽtent beaucoup aux Grands. PrĂ©venez par votre accueil le respect qui nâose vous approcher , & soulagez le timide embarras qui craint de vous parler. Le Maire dâune petite ville de France, chargĂ© de haranguer. le Roi en lui prĂ©sentant les clefs, lui dit Sire , la joie que nous avons en voyant Votre AlajefiĂ© , cĂ fi grande que,... Il fut alors si interdit, quâil rappela en vain fa mĂ©moire il rĂ©pĂ©ta , en bĂ©gayant, les dernieres paroles quâil venoit de prononcer. Oui, lui dit le Prince dâun ton de bontĂ©, la joie que vous avez est fi grande que vous ne pouvez l'exprimer. OccupĂ©s de leurs plaisirs & 1 allĂ©s des hommages , beaucoup de Grands ne les reçoivent plus quâavec dĂ©goĂ»t mais quâil faut ĂȘtre nĂ© dur, pour se faire mĂȘme une peine de paroĂźtre bon, pour recevoir avec indiffĂ©rence les marques dâamour & de respect que nous donnent nos infĂ©rieurs ! Nâelt-ce pas reconnoitre quâon ne mĂ©rite point lâaffection des hommes, quand on en rebute les plus 246 Lâ Ă C 0 L E doux tĂ©moignages? Nâest-ce pas sâavilir foi-mĂšme, que de mĂ©priser Ă ce point ses semblables, & de rejeter leurs nommages avec un dĂ©dain li digne lui-mĂȘme de mĂ©pris? Souvent, il est vrai, câest lâhumeur toute feule, plutĂŽt que lâorgueil, qui rĂ©pand far le visage des Grands ces nuages sombres qui Ă©cartent ou intimident ceux qui voudraient les approcher. Mais lâhumeur est-elle donc un privilĂšge attachĂ© Ă la grandeur, qui doive les justifier ? & un vice peut - il ĂȘtre lâexcuse lĂ©gitime dâun autre? sera-t-il donc plus permis aux Grands, aux heureux du monde, que les joies & les plaisirs accompagnent par-tout, dâĂȘtre chagrins, fĂącheux, inabordables , quâĂ ces homme obscurs & malheureux, que la unsere 1 les nĂ©cessitĂ©s domestiques & tous les plus noirs soucis environnent? Quel drefit barbare que celui d'accabler encore du poids de ses chagrins bizarres & de ses caprices , des infortunĂ©s qui gĂ©missent dĂ©jĂ sous le joug de lâautoritĂ© & de la puissance! Ne devrait-on pas au contraire regarder comme un des plus beaux privilĂšges de lâĂ©lĂ©vation, de pouvoir par des maniĂ©rĂ©s douces & affables adoucir les peines de ceux qui sâadressent Ă nous? Nâest-ce pas mĂȘme, pour les hommes en place, & fur-tout pour les des MĆurs. 247 Magistrats, un devoir indispensable de le faire, en rendant leur accĂšs moins difficile & plus agrĂ©able? LâaffabilitĂ© ouvre le chemin Ă la vĂ©ritĂ©, par la confiance quâelle inspire, & sert de consolation aux malheureux. Ils sont dĂ©jĂ assez Ă plaindre voulez- vous encore ajouter Ă lâamertume de leur vie vos dĂ©dains, vos hauteurs , vos brusqueries , & peut- ĂȘtre vos refus de les voir & de les entendre? Un peu dâaffabilitĂ©, & vous leur ferez paner des nuits tranquilles. Qui poura calmer lâagitation de leur ame , si ce nâest la douceur? Que deviendront- ils, si, vous livrant Ă votre impatience , vous ĂȘtes toujours dur ou inaccessible pour eux ? Jâavoue que ces sortes dâaudiences font pĂ©nibles , dĂ©sagrĂ©ables, accablantes quelquefois. Juges , Magistrats , SupĂ©rieurs , voilĂ les peines de votre Ă©tat elles font grandes; mais vous avez le bien, il faut en avoir les charges. Les emplois qui clevent fur les autres, hommes , ne font Ă©tablis que pour eux. Les dignitĂ©s publiques doivent leur institution aux besoins de la sociĂ©tĂ© ; & lâautoritĂ© remise entre les mains de quelques-uns de ses membres, ne doit ĂȘtre un joug que pour ceux qui lâexercent, & non pas pour ceux qui viennent y chercher un 248 Lâ Ă C O L E Si lâaffabilitĂ© est de devoir dans un Grand, dans un homme en place, elle est aussi bien plus propre Ă lui concilier lâestime & lâamour, que fa dignitĂ© mĂȘme ou son rang. LâĂ©clat qui brille autour de sa personne nous offusque trop pour ne pas nous dĂ©plaire; & lâĂ©lĂ©vation oĂč il est placĂ© humilie trop notre amour-propre, pour ne pas chercher dans ses dĂ©fauts & dans ses fautes de quoi justifier notre envie. Mais fi les charmes de lâaffabilitĂ© tempĂȘtent les rayons de gloire qui nous Ă©blouissent, si la douceur des maniĂ©rĂ©s fait en quelque forte descendre jusquâĂ nous celui qui sembloit si Ă©levĂ© au-dessus de la condition commune , il dĂ©sarme la jalousie , sait taire la haine , & attire Ă lui tous les cĆurs. Il ne lui faut pour cela ni grands efforts, ni gĂšne, ni contrainte souvent une seule parole, un sourire gracieux, un seul regard suffit. Quel est donc lâorgueil insensĂ© de ceux qui, par un front toujours fevere & dĂ©daigneux , aliĂšnent les cĆurs quâils pouroient si aisĂ©ment gagner ! Sâils vouloient rentrer en & rĂ©flĂ©chir fur le plaisir que leur fait lâaffabilitĂ© des personnes qui font au- dessus dâeux, pouroient-ils se refuser Ă la douce satisfaction de le procurer aux autres ? Cette Ă©quitable façon de penser des MĆurs. 249 Ă©toit celle de Trajan. Ses favoris le voyant recevoir tout le monde avec beaucoup dâaffabilitĂ©, lui reprĂ©fentoient quâil oublient la majestĂ© de lâEmpire. Je veux, rĂ©pondit-il, que mon peuple trouve en moi un Empereur, tel que je dĂ©jircrois en avoir un, Ji f Ă©tais homme privĂ©. Grands, hommes publics , voilĂ votre modele. Vous craignez peut-ĂȘtre de trop vous abaisser & de vous compromettre. Mais cette crainte nâest quâun orgueil mal-entendu, qui vous abaisse en esset. Câest une preuve que vous ne voyez pas assez de ressources en vos qualitĂ©s personnelles, pour ĂȘtre grands par vous- mĂȘmes , & que toute votre grandeur nâest que dâemprunt. Câqst un aveuauflĂź honteux quâhumiliant, que vous nâĂȘtes rien moins que ce que vous paroissez ĂȘtre. On nâapprĂ©hende fi fort de se laisser approcher , que quand on craint de laisser appercevoir sa petitesse. La vraie grandeur est libre, douce, familiĂšre , populaire elle se laisse pour ainsi dire toucher & manier elle se courbe par bontĂ© vers ses infĂ©rieurs, fans rien perdre de lĂ dignitĂ©. Telle est celle de lâEmpereur Joseph II, dont faisabilitĂ©, la popularitĂ© le rendent dâautant plus grand quâil affecte moins de le paroĂźtre. LâaffabilitĂ©, ainsi que le remarque un L 5 2sO V Ă C O L E Auteur cĂ©lĂ©brĂ© 9, es! comme le caractĂšre insĂ©parable & la plus sĂ»re marque de la grandeur. Les dcscendans de ces races illustres & anciennes, auxquels personne ne dispute la supĂ©rioritĂ© du nom & lâantiquitĂ© de lâorigine , ne portent point sur leur front lâorgueil de leur nailsance ils la laisseroient ignorer , si elle pouvoir lâĂȘtre. On ne sent leur Ă©lĂ©vation que par une noble simplicitĂ©. Ils se rendent encore plus respectables, en ne souffrant quâavec peine le respect qui leur est dĂ» ; & parmi tant de titres qui les distinguent, la politesse & lâaffabilitĂ© font la seule distinction quâils affectent. La fausse grandeur, au contraire., est farouche & inaccessible, comme si elle craignoit que; vue de trop prĂšs, elle ne perdit beaucoup de ce quâelle paroĂźt ĂȘtre. Les demeures de ces prĂ©tendus Grands font des maisons dâorgueil & de faste, oĂč ceux que leurs affaires y attirent pensent presque plus aux moyens dâaborder les maĂźtres, quâĂ leur exposer leurs raisons & leurs droits. Idoles orgueilleuses, dont on ne peut approcher quâen tremblant, quâon ne peut servir que les yeux timidement baissĂ©s, & qui 9 MajlĂźllon , dans son petit CarĂȘme, Hui est un thef-dâauvre. des MĆurs. 251 ne se font respecter que par la crainte quâelles inspirent. Ceux qui en ont besoin les adorent, les autres s'cn raillent & les mĂ©prisent. Une Dame Allemande de la premiĂšre distinction, reçut chez elle des Officiers François, avec un air de grandeur & de dignitĂ© imposante qui les rĂ©volta. Us la quittĂšrent bientĂŽt les uns aprĂšs les autres. Les derniers dirent au Laquais qui les reconduisait Allez tenir compagnie Ă Madame. - â _ . - L- Poli. Lâinclination Ă obliger, lâhonnĂȘte complaisance, sont les parties principales de la politesse; mais cela seul ne compose pas la politesse il faut encore ce que quelques-uns appellent le don des maniĂ©rĂ©s. Ainsi la poĂŒtefle consiste non-seulement Ă ne rien faire & Ă ne rien dire que dâobligeant, mais aussi Ă le faire & Ă le dire avec une façon de sâexprimer & des maniĂ©rĂ©s qui aient quelque chose de noble & d'aisĂ©, quelquefois mĂȘme de fin & de dĂ©licat. On pouroit appeler la politesse une bontĂ© assaisonnĂ©e câest la bonne grĂące ajoutĂ©e au bon cĆur. Lâhomme poli sâĂ©tudie Ă rendre les autres contens de lui & dâeux-mĂȘmes; car la plus forte paffion des hommes Ă©tant dâĂȘtre estimĂ©s L 6 2?r V Ă c o l e & considĂ©rĂ©s, la vraie politesse consiste fur-tout Ă leur tĂ©moigner de la considĂ©ration & de lâestime Ă mĂ©nager, Ă flatter mĂȘme finement leur amour- propre. Ce nâest pas quâil faille jamais employer la flatterie & lâadulation. La flatterie est toujours un vice ; & la vĂ©ritable politesse, ainsi que la parfaite droiture , rougiroit de sâen servir. Câest essentiellement une louange fausse, au lieu qu r on peut flatter par des louanges vĂ©ritables ; & il est souvent mĂȘme Ă propos de le faire, pour mieux sâinsinuer & pour mieux persuader quelques avis salutaires, ou faire recevoir une' correction utile. Mais si lâon ne peut plaire quâen employant le dĂ©guisement & le mensonge , il faut sacrifier la politesse Ă la vĂ©ritĂ©. Il nâarrive nĂ©anmoins que trop souvent que la politesse est avilie & corrompue par les artifices de la balle flatterie, ou du vil intĂ©rĂȘt; & combien de fois nâ .4q i. »>âą Bon epoux. Rien nâest plus commun que dâentendre les hommes se plaindre du petit nombre de bonnes Ă©pouses, & celles-ci du petit nombre de bons maris. Cette plainte est trop gĂ©nĂ©rale pour nâĂštre pas fondĂ©e ; & il seroit peut-ĂȘtre assez difficile de dĂ©cider auquel des deux sexes on doit le plus en attribuer la cause. Mais malgrĂ© le fort gĂ©nĂ©ral, on voit nĂ©anmoins encore quelques heureux mariages , oĂč lâon se prĂ©vient rĂ©ciproquement sur tout ce qui peut & doit faire plaisir. Voulez-vous goĂ»ter & conserver le bonheur dans un Ă©tat oĂč il est si rare , ayez toujours lâun pour lâautre la considĂ©ration, les attentions & les Ă©gards que vous aviez avant le mariage. Redoublez - les mĂȘme , sâil est possible il est plus difficile dâentretenir lâamour que de le faire naĂźtre. des MĆurs. 51s Femmes , qui ĂȘtes jalouses de vous assurer lâaffection de votre Ă©poux, ne faites pas comme tant dâautres , qui aprĂšs ĂȘtre mariĂ©es sâattachent aussi peu Ă plaire Ă leur mari, quâelles s'appliquaient auparavant Ă lui etre agrĂ©able. Prenez les mĂȘmes foins pour conserver son cĆur, que vous avez pris pour le gagner. Vous cherchiez Ă lui plaire par une grande propretĂ© , par une parure qui fut de son goĂ»t & qui flattĂąt ses yeux continuez Ă faire de mĂȘme. Habillez - vous selon votre Ă©tat, mais plus pour votre mari que pour les autres. Si une femme ne prend foin de lĂ parure que lors quâelle veut se montrer en public j si elle ne se fait voir Ă son Ă©poux que dans ces nĂ©gligĂ©s outrĂ©s qui dĂ©celent lâindiffĂ©rence de plaire ; rien ne poura lâempĂȘcher de croire que fa femme cherche plus Ă sâattirer lâattention & les regards des autres hommes que les siens. A la fin il la mĂ©prisera , & sâattachera peut - ĂȘtre Ă dâautres femmes, qui lui plairont davantage, parce quâelles sâappliqueront plus Ă lui plaire. Diane de ChĂąteau. Morand Ă©pousa, dans le seiziĂšme siede , un aine de la Maison dâUrfĂ©. Elle avoit tous les avantages qui peuvent faire rechercher une fille, la richesse , la naissance , la beautĂ©, & elle Ă©tait jeune & sage. Cependant O 2 ?I6 Lâ E C O L E son mari excĂ©dĂ© des dĂ©goĂ»ts quâelle lui causoit par sa mal-propretĂ© , prĂ©fĂ©ra le cĂ©libat perpĂ©tuel Ă sa compagnie. Il cher- cha des 'prĂ©textes , & en trouva pour faire dissoudre son mariage. Il embrassa lâĂ©tat ecclĂ©siastique. LâingĂ©nieux Auteur de YAstrĂ©e, HonorĂ© dâUrfĂ© son frere, aimoit Diane depuis long-temps. Il obtint une dispense , & Ă©pousa sa belle- sĆur. Mais vaincu Ă son tour par les mĂȘmes rĂ©pugnances , & nâayant pu obtenir de sa femme quâelle eĂ»t un peu plus de foin de sa personne, il prit aussi le parti de sâen sĂ©parer. Ainsi lâamour & lâintĂ©rĂȘt, deux mobiles si puissans , nâont pu lâemporter dans lâesprit de deux frĂšres , sur des dĂ©goĂ»ts quâune lĂ©gĂšre attention auroit prĂ©venus. Quoiquâon se marie avec des dĂ©fauts, car quelle 'est la personne qui nâen ait point? on doit tĂącher dâavoir toujours lâun pour lâautre une grande attention Ă ne se les jamais reprocher , & Ă ne se rien dire qui puisse dĂ©plaire. Ce seroit donner une trĂšs - mauvaise idĂ©e de soi, que de le faire en public. Une Dame Ă©tant allĂ©e rendre visite , on lui proposa de jouer. Son mari qui lâaccom- pagnoit, rĂ©pondit que sa femme ne savoit jouer quâĂ la bĂȘte. CâĂ©toit faire le bel- esprit mal-Ă -propos, & vouloir faire rire les autres Ă ses propres dĂ©pens. Lâhomme des MĆurs. 317 sensĂ© parle rarement de sa femme, ne la raille jamais, la mĂ©prise encore moins. Le mĂ©pris que nous tĂ©moignons Ă nos proches, rejaillit fur nous-mĂȘmes. Si nous voulons quâon les eitime , commençons par les estimer les premiers. Dâailleurs le mĂ©pris nâest propre quâĂ faire naĂźtre de l'indiffĂ©rence , & bientĂŽt aprĂšs de la haine. Justifiez-vous plutĂŽt Ă vous-mĂȘme votre choix, nourrissez votre amour, rĂ©veillez votre tendresse par cette persuasion , que toute autre femme que la vĂŽtre peut avoir des dĂ©fauts secrets , qui vous rendraient moins heureux que vous ne lâĂȘtes. Soyez plus attentif Ă connoĂźtre vos fautes que celles de votre femme , & mĂ©ritez, par un redoublement de complaisance , quâelle les oublie. Accoutumez-vous Ă penser que chacun a ses imperfections, & que nous devons nous palier bien des choses les uns aux autres , pour vivre en sociĂ©tĂ©. Par-lĂ vous vous Ă©pargnez la peine que pouroient vous faire quelques dĂ©fauts de votre compagne. Ne ferait-ce pas aussi trop exiger , que de vouloir quâune femme fĂ»t parfaite ? ce ferait vouloir plus quâon nâest soi-mĂȘme les bonnes qualitĂ©s doivent faire excuser & supporter celles qui ne le font pas. Anne de Bretagne, Princesse impĂ©rieuse & hautaine, mais, O ? g x 8 LâĂ-c o l ĂŻ Ă cela prĂšs , fort rangĂ©e dans ses mĆurs , faisait souffrir quelquefois Louis XII. Ce Prince , qui Ă©tait aussi bon Ă©poux que bon Roi, disait , en lui cedant Il faut tien payer la chafietĂ© des femmes. Si vous avez le malheur dâavoir une mĂ©chante femme , qui vous afflige par fa mauvaise humeur ou par ses dĂ©sordres , gardez-vous bien de vous en plaindre publiquement. Câest, dit lâAuteur des Conseils de la Sagesse , un mal honteux quâĂ peine faut-il dĂ©couvrir aux MĂ©decins. Que la femme soit libertine, quâelle soit fiere & violente le mari se fait tort dĂšs quâil en parle & quâil lâaccuse. Le dĂ©shonneur de la femme est la honte du mari. Il nâest pas moins de son intĂ©rĂȘt de tenir le mal secret que de le guĂ©rir. LĂ© point est dây remĂ©dier efficacement , & dâempĂȘcher pourtant que le malade ne crie il faut pour cela beaucoup de force & de prudence. Ne faites des remontrances que quand la rĂ©flexion est de retour, pour nâavoir pas Ă combattre le fort du caprice. On est rarement en Ă©tat dâentendre la voix de la raison dans la fougue des emportemens, & la femme encore moins que lâhomme. Si vous connoiflĂšz par une longue expĂ©rience , quâil nâest pas en votre pouvoir de porter la vĂŽtre au bien ; prenez garde du moins quâelle ne vous entraĂźne des MĆurs. au ma!. SĂ©parez-vous plutĂŽt dâavec elle, autant quâil fera permis. Il vaut mieux la quitter, que de la suivre dans le prĂ©cipice mais dĂ©liez les nĆuds, & ne les arrachez pas. Ce servit mal sâĂ©chapper de ce tourment domestique, que de causer du scandale , & de faire bien du bruit en le fuyant. Si votre femme est sage & vertueuse , respectez sa lĂ gesse , & regardez - la comme un Ciel. La femme sainte U pleine de pudeur est une grĂące qui surpasse toute grĂące .- tout le prix de lâor ri est rien en comparaison, a Honorez donc & mĂ©nagez sa vertu. Si par votre humeur fĂącheuse & vos mauvaises façons vous la mettez souvent Ă de tristes Ă©preuves , vous ne la possĂ©derez pas long- temps ou la mort vous la ravira bientĂŽt ; ou , ce qui est le plus Ă craindre , fa bontĂ© & son amour mourront avant elle , & vous ne vivrez que pour ĂȘtre puni. Ne dĂ©ployez tout votre pouvoir avec votre femme quâĂ la derniere extrĂ©mitĂ©. Le despotisme est toujours odieux , & lâon ne fait jamais bien ce quâon fait par contrainte. Conduisez - la, soyez - en i Gratta super graĂčam , mutier sanfta S? pudv âą rata, 2 ?c, Eçcli. 26. O Z2O Lâ Ă C O L E le gouverneur & non le tyran câest une compagne, & non pas un esclave, que vous avez choisie. Qui pouroit lire sans indignation ce que Ht M. de Lautun Ă lâĂ©gard 'de Mademoiselle de Montpellier"? Elle Ă©toit fille de Gaston dâOrlĂ©ans, frere de Louis XIII. AprĂšs avoir manquĂ© dâĂ©pouser lâEmpereur, le Roi dâAngleterre , aprĂšs avoir refusĂ© le Roi de Portugal & plusieurs Princes de lâEu- rope, cette Princesse, Ă lâĂąge de quarante-cinq ans , voulut Ă©pouser M. de Lauzun, simple Capitaine des Gardes- du - Corps. Nâayant pu obtenir du Roi la permiißßon de le faire , elle se maria secrĂštement avec lui, & eut tout lieu de sâen repentir, comme câest la destinĂ©e ordinaire de ces sortes de mariages. 11 la traita fort mal ; & lâon dit quâil poussa avec elle lâinsolence jusquâĂ lui dire un jour en revenant de la chasse Henriette de Bourbon, tire -moi mes bottes, & que sâĂ©tant rĂ©criĂ©e il fit un mouvement du pied pour la frapper. Mais cette Princesse , reprenant lâair & le ton dâautoritĂ© que lui donnoitfa naissmee; dĂ©fendit Ă Lauzun de paroĂźtre dĂ©sormais devant elle. Je plains celle qui a eu le malheur dâĂȘtre unie Ă un sot câest le plus intraitable des animaux. Il nâest conduit que par ses pallions ou par le caprice, & il des MĆurs. qrr est incapable dâentendre la voix de la raison. Non-seulement lâamour-propre est continuellement mortifiĂ© dâavoir un mari pour lequel on elf toujours dans la crainte , & souvent dans la confusion, dĂšs quâil ouvre la bouche en compagnie ; mais un inconvĂ©nient plus grand encore, câest quâun sot paise sa vie Ă craindre quâon ne pense que lĂ femme le gouverne. Il devient par - lĂ impossible de le conduire ; & il fait cent choses absurdes & dĂ©sagrĂ©ables pour elle, par la feule envie de montrer quâil est le maĂźtre de les faire. Conservez votre autoritĂ©, Ă la bonne heure câest un des plus beaux droits que vous ayiez reçus de la nature, & lâon mĂ©prise les hommes imbĂ©cilles qui sâen laissent dĂ©pouiller par leurs femmes mais usez-en poliment , nâen abusez jamais. La religion tient le mĂȘme langage , & confirme des sentiment si justes, si raisonnables. Le grand ApĂŽtre recommande aux maris dâaimer leurs femmes, comme Jesus- Christ a aimĂ© lâEglise son Ă©pouse , & de ne pas les traiter avec aigreur. Saint Pierre , aprĂšs avoir ordonnĂ© aux femmes dâĂȘtre soumises Ă leurs maris , ajoute Et vous maris , vivez sagement avec vos femmes , les regardant comme des vases fragiles , ÂŁ jf les traitant avec honneur , puijqu elles font , aussi-bien O s Z LL Lâ Ă C O L E que vous , les hĂ©ritiĂšres de la grĂące es? de la vie. z Quâon voie toujours bien quel est le elles, mais quâon ne puisse pas dire qui des deux est le maĂźtre. Il suffit presque toujours quâune femme sache que lâhomme peut lâĂȘtre; & quâil lâen salie ressouvenir quelquefois , si elle venoit Ă lâoublier. Ne souffrez pas nĂ©anmoins quâelle lâoublie , & quâelle usurpe sur vous le commandement. La femme quife rend la mai- trcjjc , fe plaĂźt Ă ĂȘtre en tout contraire d son mari. 4 Elle ne peut avoir dâempire fur lui quâelle ne le change en tyrannie , ni le voir son sujet quâelle nâen fasse son esclave les usurpations ne se conservent guere que par la violence, La femme quâon craint est vĂ©ritablement Ă craindre. Plaisez-vous, autant quâil est possible, Ă tout ce qui plaĂźt Ă la vĂŽtre mais gouvernez-la si sagement, que rien ne lui plaise que son devoir. Ayez toujours fur elle lâautoritĂ© qui vous appartient mais joignez-y tant dâamour & tant de bontĂ© , quâelle ait plus de plaisir Ă obĂ©ir que vous nâen aurez Ă commander. Que rien ne ressente la domination- Ce respect, cette soumission quâelle vous doit, 3 Ephes. 5 - Coloss. Z. I. Petr. 3. 4 . Mutier , fi primatum habest , contraria est. viro fuo. Eccli. 25 . des MĆurs. 323 mais quâelie seroit peut - ĂȘtre disposĂ©e Ă vous refuser si vous les exigiez, ne lui coĂ»teront rien, parce quâils seront volontaires. 11 lui semblera que câest un prĂ©sent quâelle vous fait, & lâon est flattĂ© de pouvoir donner. Nâemployez des voies dures Ă lâĂ©gard de votre femme, que quand il nây en a plus dâautres, & uniquement pour maintenir le bon ordre & la dĂ©pendance. Ne vous oubliez pourtant jamais jusquâĂ la frapper lâinfamie seroit pour vous & non pour elle. Malheur Ă celles qui auroient besoin dâun pareil rfcnede ! Il vaut mieux pour un mari que sa femme devienne incorrigible , que de se dĂ©shonorer par une telle correction. Un Conseiller ayant reçu un soufflet de sa femme, lui dit J'aimerois mieux qiion me coupĂąt la main , que de vous l'avoir rendu. 11 lui fit plus sentir par - lĂ lâindignitĂ© de son action , que sâil sâĂ©toit vengĂ© en la maltraitant. Une femme sage & prudente nây rĂ©duira jamais son mari. Elle saura, par sa complaisance & par sa douceur , tout obtenir de lui, & se rendre digne de son amour. La plupart des dissentions qui sâĂ©lĂšvent entre le mari & la femme, viennent de ce que celle-ci veut sortir de lâĂ©tat de dĂ©pendance oĂč la nature lâa mise, Auffl lâApĂŽtre ne recommande-t-il O 6 Z 24 Lâ Ă C O L E rien plus particuliĂ©rement aux femmes chrĂ©tiennes , que de respecter leur Ă©poux comme leur chef, de lui ĂȘtre soumises en tout comme Ă Dieu mĂȘme y . Telle Ă©toit la mere de saint Augustin , la vertueuse Monique. Comme elleavoit reçu une excellente Ă©ducation, & quâelle avoir Ă©tĂ© accoutumĂ©e dĂšs son enfance Ă vivre dans la soumistion quâelle devoir Ă ses parens, elle nâeut pas de peine Ă se soumettre Ă celui quâon lui fit Ă©pouser. Elle lui obĂ©issoit , dit saint Augustin, comme Ă son seigneur & Ă son maĂźtre. Quelques'infidĂ©litĂ©s quâil put lui faire, elle nâeut jamais avec lui la moindre querelle fur ce sujet. Elle nâoublioitrien nĂ©anmoins pour le ramener doucement, & pour le convertir , car il Ă©toit encore paĂŻen ; & elle eut le bonheur dây rĂ©ufiir, mais par sa douceur & sa patience plus que par ses paroles ce qui la rendoit non-seulement agrĂ©able & aimable Ă son mari, mais digne mĂȘme de respect & dâadmiration. Quoiquâil lâaimĂąt beaucoup , il avoir souvent Ă son Ă©gard des vivacitĂ©s & des emportemens mais elle sâĂ©toit fait une loi de ne lui rĂ©sister jamais dans ses promptitudes ; & lors- , Du jour oĂč tu vas te marier, ajoute en finissant cette Dame estimable , mon autoritĂ© cesse. Ne tâafflige point, ma fille tamere ne fera plus que ton amie, mais une amie tendre , consolante, utile peut-ĂȘtre. Câest un bonheur pour toi que je connoisse les bornes de mon pouvoir. $i jâexigeois de toi une chose contraire des MĆurs. 541 Ă la volontĂ© de ton mari, ne balance point câeitĂ lui que tu devrois obĂ©ir, Ă moins que lâhonneur & la vertu ne le dĂ©fendissent. Accoutume-toi, ma fille, Ă cette idĂ©e dâobĂ©issance elle soutient PĂąme dans les occasions oĂč un mari prendroit un ton impĂ©rieux. Celui que tu as choisi, a trop dâesprit, trop de politesse, trop dâestime & trop dâaffection pour toi, pour prendre jamais le ton de maĂźtre ; mais tu devras lui en tenir compte câest un motif de plus Ă ta reconnoissance. De la maniĂ©rĂ© de vivre entre le mari & la femme , dĂ©pend le bonheur de leur vie. Quelle plus douce fĂ©licitĂ© que celle de deux Ă©poux dont lâunion seroit tous les jours cimentĂ©e de plus en plus par Une estime mutuelle, un amour Ă©gal, une fidĂ©litĂ© inviolable, un accord & une harmonie parfaite. Deux Ă©poux qui vi- vroient ainsi, seroient sans doute parfaitement heureux, si pourtant on peut lâĂȘtre dans cet Ă©tat. La diversitĂ© des humeurs , des caractĂšres, des sentimens, fera toujours un obstacle Ă ce parfait bonheur quâon sây propose , & quâon y trouve si rarement ce qui a fait dire Ă quelquâun quâil pouvoir y avoir de bons mariages, mais quâil nây en avoir pas de dĂ©licieux ; & Ă lâAuteur des Conseils de 34* âą LâEcole la Saqtsse , que le mari de la femme la plus sage & la plus vertueuse dâune ville nâĂ©toit pas si heureux ni si sage que celui qui nâen avoit point. Ce nâest pas quâil ait voulu approuver & autoriser ces cĂ©libataires, qui ne veulent point sâengager, pour vivre plus librement dans de libertinage, ou qui, moins par amour pour la chastetĂ© que par amour pour eux-mĂȘmes & pour leur tranquillitĂ© , renoncent Ă un Ă©tat dont ils redoutent les embarras & les peines. 11 a seulement voulu faire entendre, consor-' mĂ©ment Ă la doctrine de lâApĂŽtre , que ceux qui ont reçu du Ciel la continence, & qui savent se passer du mariage , sont plus heureux que ceux qui savent en jouir n. Mais comme cette vocation ne fera jamais la plus gĂ©nĂ©rale, & que le grand nombre des hommes , au contraire , font appelĂ©s Ă un Ă©tat qui est destinĂ© Ă la propagation du genre humain , le point important & capital pour la plupart est donc de sâappliquer seulement Ă faire un ben choix. Avant que de former des nĆuds qui doivent ĂȘtre sacrĂ©s & inviolables , il faut y penser mĂ»rement, & nâĂ©couter ni il Seatiorautemeritsifieftrmanstrit, I. Cor. 7 des MĆurs. 343 . lâamour qui est toujours aveugle, ni lâiu- tĂ©rĂȘc qui Ă©touffe lâamour fous des chaĂźnes dâor. On nâa jamais vu tant de mauvais mariages , que depuis quâ011 est devenu plus attentif Ă la dot quâĂ lâhonneur. Une sociĂ©tĂ© indissoluble nâa souvent pour tout lien que lâintĂ©rĂȘt mais lâouvrage des pallions ne sauroit ĂȘtre durable , & elles dĂ©sunissent bientĂŽt ce quâelles ont si mal liĂ©. De lĂ tant de divorces scandaleux, &, tant de grandes maisons qui pĂ©rissent & sâĂ©teignent par lâĂ©tat mĂȘme qui Ă©toit destinĂ© Ă les soutenir & Ă les perpĂ©tuer. Ne vous mariez pas pour avoir du bien câest Ă©pouser la dot & non lĂ personne ; câest un trafic & non un mariage. PrĂ©fĂ©rez toujours de vous allier avec de parfaitement honnĂȘtes gens , chez qui la probitĂ© fut dans tous les temps hĂ©rĂ©ditaire & fans tache. Quelquâun demandoit Ă ThĂ©mistocle , Ă qui il donnĂšrent plus volontiers sa fille, ou Ă un homme de probitĂ© mais de peu de bien, ou Ă un homme qui nâauroit dâautre mĂ©rite que dâĂȘtre riche J'aime mieux , rĂ©pondit il, un homme sans argent, que de l'argent fans homme. On ne doit pas nĂ©anmoins nĂ©gliger tout-Ă -fait les avantages de la fortune. Lâindigence & la mifere font la cause de bien des divisions & de bien des que- P 4 544 Lâ Ă c o l e relies domestiques. Ce qui a fait dire Ă un ancien kvĂ«te IL Si vous la prenez pauvre ; avec la pauvretĂ© Vous Ă©pousez aussi mainte incommoditĂ© .* La Ăharge des enfans , la peine & lâInfortune Le mĂ©pris dâun chacun vous fait baisser les yeux » Le sein vous rend lâesprit chagrin St soucieux Avec la pauvretĂ© toute chose importune» Ne vous mariez point par ambition. Laissez les DĂ©esses aux Dieux; & choisissez une personne qui ne puisse ni enfler votre vanitĂ© ni la mortifier. Ne prenez pas , disoit un Sage de lâantiquitĂ© 15,. une femme extrĂȘmement belle , ni dâune naiss ance trĂšs - dijiinguĂ©e , ou fort riche torgueil que lui infpireroient ces grands avantages , vous donneroit une maĂźtresse non une compagne. Il seroit dangereux dâailleurs quâelle aimĂąt le luxe & la dĂ©pense, qui sont la ruine des familles. Une femme qui a beaucoup dâĂ©conomie est un grand trĂ©sor pour un mari , & vaut la plus riche dot. Quâ011 ne m'en 12 Desportes Ă 1 vivoit fous Henri III, qui lui fit de grands avantages. Les Muses qui conduisent souvent Ă l'hĂŽpital, lâenrichirent. L'Amiral de Joyeuse lui donna pour un sonnet une Abbaye de dix mille Ă©cus de rente. C13; Chiton , un des sept Sages de la Grece. des MĆurs. 54s parle pas, dit Montaigne selon que lâexpĂ©rience mâen a appris, je requiers dâune femme mariĂ©e , au-dessus de toute autre vertu, la vertu Ă©conomique ; câest sa maĂźtresse qualitĂ©, & quâon doit chercher avant toute autre chose, comme le seul douaire qui sert Ă ruiner ou sauver nos maisons. Prenez donc une femme qui aime lâordre & lâarrangement , & qui soit mĂ©nagĂšre , mais fans avarice ; car une femme avare est ordinairement mĂ©chante & querelleuse. Avec une femme de mĂ©nage la dot grossit tous les jours. Au contraire, avec une folle qui dĂ©daigne le dĂ©tail & ne se refuse rien, toutes les riches successions quâon attend , font mangĂ©es avec la dot avant quâelles arrivent , & le vieux patrimoine est bientĂŽt entame. Ne choisissez pas pour Ă©pouse celle qui aura Ă©tĂ© gĂątĂ©e par ses parens. Une fille Ă qui on aura laissĂ© faire toutes ses volontĂ©s , fera presque toujours une femme trĂšs-indocile, pleine de fantaisies & de caprices qui feront le supplice & le malheur de son mari. Gardez-vous bien aufli de contracter par une paillon trop vive. Ce qui est trop vif ne dure pas avant que lâannĂ©e soit finie la passion est usĂ©e , & il ne P 5 346 Lâ Ă c o l s reste que des regrets ce qui a fait dire avec raison Un hymen qui succĂ©dĂ© Ă ces folles amours, AprĂšs quelques douceurs a bien de mauvais jours. Cork. Il faut un peu dâamour en Ă©pousant, & beaucoup aprĂšs avoir Ă©pousĂ©. Ce nâest que pour les libertins & les hommes dĂ©raisonnables que le mariage devient le tombeau de lâamour. Vous jurerez Ă la face du Ciel & de la terre dâaimer toujours votre femme. Câest une pro- ĂŻnelfe sĂ©rieuse Ă laquelle il est trop tard de ne penser que lorsquâon est sur le point dâen aller rendre compte au Dieu vengeur du Si vous voulez ĂȘtre plus assurĂ© de la tenir , ne vous mariez pas trop prĂ©cipitamment , & donnez-vous le temps de connoitre la personne Ă laquelle vous/ voulez vous unir. Souvent deux Ă©poux inconnus lâun Ă lâautre, vont au pied des autels se jurer un amour aussi durable que la vie, sans savoir s'ils pouront mĂȘme sâaccorder de lâestime. Four vous, ne vous attachez jamais quâĂ une personne qui mĂ©rite toute la vĂŽtre ; & pour tous les biens du monde nâĂ©pousez point celle que vous nâestimez pas. On ne sauroit aimer ce quâon mĂ©prise. Mais des MĆurs. 547 quand lâamour est fondĂ© sur lâestime, il est le charme de la vie. La beautĂ© est de tous les biens le plus dangereux & le plus fragile. Câest pourtant celui auquel on fait dâordinaire le plus dâattention quand on fe marie jeune, parce quâon est jeune. Pensez plus sagement, & passez-vous de la beautĂ© vous nâen aurez que moins de matiĂšre Ă lâinquiĂ©tude. Dans le choix que vous ferez dâune femme , dit fort bien lâAuteur des Conseils de la Sagesse, ayez plus dâĂ©gard Ă ses mĆurs & Ă fa vertu, quâĂ fa beautĂ© ! & ne mettez pas le bonheur de votre vie Ă contempler & Ă possĂ©der une figure formĂ©e fur le fable. Il nây a rien de plus Ă craindre dans une femme, que ce qui plaĂźt Ă la vue. Beau visage , ame orgueilleuse. La beautĂ© passe, la fiertĂ©- demeure elle restera malgrĂ© vous, & vous fera connoitre , mais^ trop tard,. quâune belle idole , coĂ»te bien de lâencens , bien des foins & bien des larmes. Il entrera chez vous quantitĂ© dâadmirateurs ; & celle qui Ă©coute les louanges de tant dâautres , nâest plus gucre dâhumeur Ă vous louer , ni mĂȘme Ă prendre la peine de le rendre aimable , quand elle ne voit plus que vous. Ajoutez quâune grande beautĂ© , beaucoup dâesprit & de jugement, se trouvent rarement ensemble la plupart des P L 543 L'Ăcole jolies femmes perdent Ă fe laisser coti- noitre ce quâelles gagnent Ă fe laisser voir. Si la vĂŽtre eil moins belle , elle cherchera Ă vous dĂ©dommager dâailleurs. Elle aura moins de caprices , plus de complaisances , plus dâattentions pour vous, plus de foin dâembellir son ame & de la rendre agrĂ©able Ă vos yeux. LâamitiĂ© conjugale est bien plus solide & plus constante , quand elle est appuyĂ©e fur des qualitĂ©s que ni les maladies ni les annĂ©es ne peuvent dĂ©truire. La beautĂ© sâuse ou lasse Ă la fin, quand elle est .stupide ou muette mais on ne le lasse'jamais dâentendre dire de belles choses. On a dit de la ConnĂ©table Colonne , quâelle avoit tant dâesprit, quâen lâentendant parler, on oublioit quâelle Ă©toit laide. TĂąchez nĂ©anmoins , autant quâil le poura faire, quâil nây ait, dans lâextĂ©rieur de la femme que vous choisirez, rien qui vous dĂ©goĂ»te. Un ancien Philosophe disoit que la belle faisoit mal Ă la tĂȘte , Ă? la laide au cĆur 14. On ne sauroit aimer long-temps la laideur, Ă moins que ce dĂ©faut ne soit rachetĂ© par de grandes qualitĂ©s. Un cavalier qui avoit Ă©pousĂ© une Demoiselle fort laide, 14 Bion , surnommĂ© le BtrifihĂ©nite il »voit ycnocoup d'ĂŒsprit. des MĆurs. mais trĂšs-mĂ©ritante, disoit qu'ri Vavoit prise au poids , & quil n avait pas achetĂ© la façon. Une folle doit ĂȘtre parfaitementbelle car lĂ ns cette espece de compensation que lui fait assez souvent la nature, comment seroit-elle supportable? Mais pour une femme de mĂ©rite, câest assez quâelle ait le nĂ©cessaire de la beautĂ©, une grande propretĂ©, un air noble voilĂ tous les agrĂ©mens quâon doit raisonnablement souhaiter dans une femme estimable. Attachez-vous au caractĂšre & Ă lâĂ©ducation. Choisissez, par prĂ©fĂ©rence Ă la figure, une femme qui ait des qualitĂ©s solides, ornĂ©es de ces agrĂ©mens dont les charmes font bien plus vrais que ceux de la beautĂ©, & subsistent quand elle sâefface; de lâesprit, sans paroĂźtre le savoir; & plus de raison encore que dâesprit. Quâil y ait dans son caractĂšre un peu de sympathie avec le vĂŽtre, une espece dâassortiment qui produise la convenance des humeurs quand elles font trop diffĂ©rentes, il est difficile quâon vive long-temps d'accord il en coĂ»te trop pour se contraindre continuellement ; & nous avons vu bien de mauvais mariages , causĂ©s par cette opposition de caractĂšre & dâhumeur. Il faut donc sâappliquer Ă se bien con- noitre lâun lâautre avant de sâĂ©pouser j 5so LâE c o l Ă & câest ce qui est rare. On cherche Ă se tromper mutuellement, on se compose, on ne se montre que par le beau cĂŽtĂ©. On ne se connoit bien que lorsquâil nâest plus temps de se connoitre, & le bandeau de lâamour ne tombe que lorsquâil seroit le plus nĂ©cessaire. Mais puisque dâordinaire on nâa sur ce point aucun reproche Ă se faire de part & dâautre, lâunique parti quâon doit prendre , est de le pardonner rĂ©ciproquement, & de se faire une vertu de la nĂ©cessitĂ©. Sâattendre au reste Ă trouver dans son Ă©pouse toutes les qualitĂ©s Ă tous les avantages, câest sâattendre Ă ce quâon ne trouvera jamais que dans les romans, ou dans ces jolis couplets quâon a faits sur le choix dâune femme. Si dâĂ©pouser js faifois la folie, Et si jâĂ©tois le maĂźtre de mon choix; Connois, Hymen, Gelle qui fous tes lois Pouroit fixer le destin de ma vie. Je la voudrois plus amiable que belle De la santĂ© poste laut les trĂ©sors, Aux dons du cĆur, aux agrĂ©mens du corps? Joignant dâtsput quelque douce Ă©tincelle. Je la voudrois de dix-huit ans parĂ©e Cet Ăąge heureux, si propre au sentiment, Aux charmes purs de lâaimable enjouement.,. Dâun fort flatteur prĂ©sage la durĂ©e- des MĆurs. ist Je la. voudrois simple dans fa parure, Dans ses discours, ainsi que dans ses goĂ»ts Le vrai bonheur, les plaisirs les plus doux Doivent Ă lâart bien moins qu'Ă la nature. Je la voudrois riche fans opulence Trop de fortune inspire trop d'orgueil, Et pauvretĂ© seroit un autre Ă©cueil. Faut, pour jouir, repos avec aisance. âą Je la voudrois qui n'eĂ»t pas dâautre envie Dâautre dĂ©sir que celui do m'aimer. Si cet objet, Hymen, peut se trouver, De lâĂ©pouser je ferai la folie. Si vous voulez que votre choix ne soit pas une folie , ne le faites jamais que de concert avec vos pareils consultez des personnes prudentes & surtout demandez au Seigneur quâiklaigtie vous Ă©clairer & vous montrer lui-mĂȘme celle quâil vous a destinĂ©e. Les femmes vertueuses & sages ne font point si rares- quâon pense la raretĂ© & la difficultĂ© font de les bien c-onnoitre, & de les distinguer dâavec les autres. Quand vous ĂȘtes en lâĂąge dâen chercher une , ne vous fiez pas Ă votre prudence ; vous nâaurez jamais seul assez de lumiĂšre pour juger de celle qui vous est propre ; lâamour aveugle souvent & Ă©gare les plus sages mais vous pouvez avoir assez de piĂ©tĂ© & de sagesse pour la mĂ©riter, en priant Lâ Ă G O L E Dieu quâil vous la donne. La femme vertueuse est un excellent partage ; cefi celui de ceux qui craignent Dieu, & elle sera donnĂ©e Ă une homme pour ses bonnes actions. Quâils soient riches ou pauvres, ils auront le cĆur content , b la joie fera en tout temps fur leur visage if. Le mariage, lorsquâil est fait avec puretĂ© de cĆur, prĂ©serve les jeunes gens dâune multitude dâĂ©cueils mais la raison & la religion doivent ĂȘtre encore plus consultĂ©es que lâinclination , pour un Ă©tablissement qui doit durer toute la vie. Si vous ne vous sentez aucun goĂ»t pour le mariage, & fi vous vous croyez mĂȘme appelĂ© Ă un Ă©tat plus saint; quâaucun motif dâintĂ©rĂȘt ou de vanitĂ© ne vous faste jamais contracter des engagemens, qui Ăźeroient infailliblement suivis pour vende chagrins ou de remords. Peut-on ĂȘtre long-temps heureux, quand on est dĂ©placĂ© Se quâon nâest pas ce quâon doit ĂȘtre? M. de Pcmpone de Bellievre Ă©tant mort fans enfans, on proposa Ă lâAbbĂ© son frere de quitter le petit- collet & de se marier, afin de ne pas laisser Ă©teindre sa famille. J'aime mieux , rĂ©pondit-il, quelle finisse par un honnĂȘte Part lona , mulitr tona, in parte timentium tJeum, ÂŁTc. Eccli. des MĆurs. zy; homme que de la continuer par un sol que je pourois mettre au monde. - a- . -' gjfta s-= t>- Bon maĂźtre. Regardez-vous comme le pere de vos domestiques, & tenez-leur- en lieu. Vous leur devez trois choses , dit le Sage, la nourriture, le travail » & lâinstruction i 6 la nourriture, parce que câest leur droit ; le travail, parce que câest leur condition ; lâinstruction , parce que câest votre charge. Si vous nâavez pas foin dâinstruire & de reprendre vos domestiques, de les occuper, de les bien payer & de les bien nourrir A quâil est Ă craindre que vous ne trouviez ou des impies, ou des impudiques, ou des voleurs, dans ceux qui vous servent 1 Nourrissez-les donc fans profusion & fans Ă©pargne sordide, & payez-les exactement. Que pouriez-vous exiger dâeux avec justice, sâils Ă©toientmal nourris & mal payĂ©s? Dâailleurs ilsfauroient bien le dĂ©dommager en vous pillant, ou ils ne manqueroient pas de vous quitter dĂšs quâils le pouroient. Faites en forte quâils soient toujours occupĂ©s lâoisivetĂ© les rendroit paresseux IS PanU disciplina opus savo. Eccli. 33. 3f4 LâEcole & libertins. Quand on ne fait rien, on apprend Ă mal faire. Cette clalfe dâhommes qui abandonne les terres, qui fuit la milice pour lâoisivetĂ© des antichambres oĂč -elle fe corrompt tous les jours davantage , ne fait pas mĂȘme obĂ©ir Ă ceux qui lui donnent du pain. Eh! faut - il sâen Ă©tonner? fin domestique paresseux & libertin peut-il ne pas ĂȘtre insolent? Le travail ajsdu , dit lâĂfprit-Saint, rend un serviteur humble , lui donne de lâinclination Ă son devoir. Procurez-lui toujours quelque occupation, N quâil ne soit jamais Ă rien faire car lâoisivetĂ© enseiejne beaucoup de malice 17. Plus il aura de libertĂ©, & plus il cherchera Ă en avoir moins il fera, & moins il voudra faire. Ne prenez donc personne pour vous servir, si vous nâavez de quoi lâoccuper Ă fous les temps de la journĂ©e une heure dâoisivetĂ© jointe Ă une autre, fera bientĂŽt assez longue pour donner au serviteur qui ne fait rien, la volontĂ© de ne plus rien faire ; & pour vous apprendre que le maĂźtre qui nourrit un paresseux , est bien prĂšs de nourrir un traĂźtre & un ennemi. Ayez encore plus de foin que vos 17 Scrvum inclinant cperaticnes affidvtz ... Mitte ilium in operationem , ne vacet ,* multam enim mali* tiam docuit otioĂtas. ÂŁcc!i. des MĆurs. gyy domestiques soient instruits de la religion, & quâils en remplissent exactement tous les devoirs vous en ĂȘtes spĂ©cialement chargĂ©, & vous en rĂ©pondrez Ă Dieu. Cependant, quâil y ait dans une maison des scandales & de honteux commerces entre les domestiques; quâils nĂ©gligent presque entiĂšrement le service de Dieu; si dâailleurs ils font exactement le service de leurs maĂźtres, on ferme les yeux fur tout le reste. On sâinquiĂšte peu que Dieu soit bien servi, pourvu quâon le soit bien soi - mĂȘme ; & lâon ne fait pas attention que des domestiques, qui nâont point de mĆurs, ni la crainte de Dieu, sont capables de tous les crimes. Je crains Dieu, disoit une personne dâesprit, c aprĂšs Dieu, je ne crains que celui qui ne le craint pas. Pour mieux veiller sur vos domestiques & pour votre propre intĂ©rĂȘt, ayez- en le moins que vous pourez. Plus on en a, plus on est mal servi. M. de VendĂŽme trouva un jour Palaprat , son SecrĂ©taire , qui battoir son domestique. Il lui en fit des reproches assez vifs. Comment , Monsieur , vous me blĂąmez, dit. Palaprat, savez-vous bien que, quoique je ri aie quun laquais, je fuis aussi mal servi que vous qui en avez trente. Le grand nombre de domestiques est plus pour lâostentation que pour le besoin. 3 sfi LâĂcole On nourrit des fainĂ©ans , qui vivent souvent dans le dĂ©sordre ou dans la discorde , & causent quelquefois plus dâembarras & de peines quâils ne rendent de services. On raconte que Le Poufjln , cĂ©lĂ©brĂ© Peintre François, Ă©tant Ă Rome, le PrĂ©lat Maffimi, qui fut depuis Cardinal , alla le voir. La conversation ayant durĂ© jusquâĂ la nuit, Le Poussin, la lampe Ă la main, lâĂ©claira le long de lâescalier, & le conduisit ainsi jusquâĂ son carrosse ce qui fit tant de peine au PrĂ©lat, quâil ne put sâempĂȘcher de dire Je vous plains beaucoup, Monsieur Pouffin, de nâavoir pas feulement un domestique. Et moi , rĂ©pondit Le Pouffin, je vous plains beaucoup plus , Monseigneur , d'en avoir un Ă grand nombre. Les bons domestiques dâailleurs font si rares, quâon ne sauroit en avoir trop peu, & quâon doit se contenter du nĂ©cessaire. Dans un grand nombre il peut le trouver plus facilement un mauvais jujet, & un seul suffit pour gĂąter tous les autres. TĂąchez de les bien choisir, âąafin de nâĂȘtre pas obligĂ© dâen changer souvent. Il est difficile dâavoir bonne opinion de ces maisons , oĂč il se fait un flux & reflux continuel de domestiques, & oĂč lâon reçoit aujourd'hui pour renvoyer demain. On donne une scene au monde, qui le remarque & qui en parle. des MĆurs.â On se donne Ă soi-mĂȘme un air dâinconstance & de lĂ©gĂšretĂ©. Les change- rnens continuels dĂ©crient un service , oĂč les bons domestiques se garderont toujours bien de sâengager ; il nây entrera guere que de mauvais sujets, ou des serviteurs tout neufs quâon formera pour les autres. En gĂ©nĂ©ral, avec de la douceur, de la bontĂ©, de la patience, on rend les hommes Ă peu prĂšs ce que lâon doit dĂ©sirer quâils soient. Soyez bon maĂźtre , vous en serez mieux servi. Avec un maĂźtre sĂ©vere & sans bontĂ©, on remplit ses devoirs, mais on les remplit sĂšchement , sans zele & fans affection. Comme on nây reste que par nĂ©cessitĂ©, & pour en sortir le plutĂŽt quâon poura , on ne sait rigoureusement que ce quâon doit; & le maĂźtre y perd toujours, parce quâil est rare quâon fasse assez ou quâon fasse aussi bien. Un maĂźtre querelleur & difficile Ă servir, prescrivoit Ă son valet tout ce quâil devoit faire pendant la journĂ©e Tu ne feras, lui dit-il, prĂ©cisĂ©ment que cela, tu nâen omettras rien ; sinon je tâĂ©trillerai dâimportance. Ce maĂźtre entreprit un voyage il avoir un cheval vif quâil vouloir gourmander comme son domestique, mais qui se jouant de lui le jeta dans un fossĂ© fort profond. Le maĂźtre appela son valet Ă son secours. ?f8 Lâ E c o l e Monsieur , lui dit le valet, vous ne ni avez pas donnĂ© ce matin cet ordre - lĂ ; ainfi tirez-vous cC affaire. AprĂšs cela il le laide & sâenfuit Ă toute bride. Nâinjuriez point & ne maltraitez jamais vos domestiques. Nesoyez pas , dit lâEcclĂ©siastique, comme un lion dans votre maison en vous rendant terrible Ă vos serviteurs en maltraitant ceux qui vous font soumis iZ. Ne les menacez pas, comme font tant de maĂźtres hautains, de les mettre Ă la porte. Rien ne les rĂ©volte davantage, & ne leur fait perdre plus sĂ»rement lâaffection quâils pouvoient avoir pour votre service. Sâils ne vous conviennent pas, ou dĂšs que vous re- connoiisez quâils sont incorrigibles, renvoyez-les fans hĂ©siter, & croyez quâil vaut mieux vous en dĂ©faire un mois plutĂŽt , que dâavoir tout ce mois des impatiences. Mais si vous jugez quâils soient susceptibles de correction & dâamendement, câest charitĂ© de les ramener Ă leur devoir, & vous le devez. Reprenez-les par des avertissemens sĂ©rieux & fermes, mĂȘlĂ©s pourtant de douceur & de bontĂ© punit sez-les mĂȘme, sâil le faut; mais faites-le i fi Null ejj'e statt ieo in domo tua , evertens do» tuos, L? opprimons fubjettos tibi , ÂŁccli. 4. des MĆurs. 3^9 fans emportement les eicĂšs de votre colere ne les corrigeroient pas , & vpus rendroient plus coupable quâeux. On ne croit pas ĂȘtre justement condamnĂ© & puni, dit Montaigne, par un juge agitĂ© dâire & de furie. Distinguez aussi lâignorance & la fragilitĂ© , de la mauvaise volontĂ© & de la paresse. Dans ce dernier cas, câest foi- bleiĂźe que de souffiir & de tolĂ©rer dans lâautre , excusez facilement & pardonnez. Le Calife Mafiadi demain doit un jour Ă un de ses Officiers dont il Ă©toit mĂ©content , quand il cesseroit de faire des fautes. Tant que Dieu vous conservera la vie pour notre bien , lui rĂ©pondit lâOfficier, ce sera Ă nous de faire des fautes , N Ă vous de nous les pardonner. Il faut passer bien de petites choses aux domestiques qui font fournis , affectionnĂ©s & fidelles car il y en a bien peu aujourdâhui de ce nombre, & dans les grandes maisons encore moins que dans les autres. Si vous avez , dit le Sage, un serviteur attachĂ© Ă son devoir , faites-en beaucoup de cas qu'il vous soit aussi cher que votre vie ; U traitez - le comme votre frere 19 . La Sagesse Ă©ternelle, qui dit pose de la servitude & de la libertĂ© des 19 Si elt tibi fcrvux fĂźdei'* , fit t'bi quafi anima tua quafi fratnm fie eum tra&a, ÂŁ ccli. ZZ. Lâ Ă C O L 2 hommes, lâa mis entre vos mains comme un prĂ©sent de,fa providence & de son amour. Vous pouvez vous dĂ©charger fur lui de toutes les inquiĂ©tudes & de tous les petits dĂ©tails du mĂ©nage prenez seulement une peine qui vous en Ă©pargnera bien dâautres, câest de regarder & de savoir tout ce qui se passe. Voyez ce que font vos domestiques, non pour Ă©clairer leur fidĂ©litĂ©, mais pour empĂȘcher quâils ne se nĂ©gligent ou quâils nâoublient leur condition. Ils lâoublieroient bientĂŽt & vous obligeaient Ă dĂ©pendre dâeux, si vous leur laisiĂźez prendre trop dâascendant sur vous ; & de bons serviteurs vous en feriez de mauvais maĂźtres. Ayez foin quâils ne prennent pas la coutume de deviner vos volontĂ©s , mais quâils les demandent dans toutes les occasions. Conservez avec soin votre autoritĂ© vous ne sauriez perdre davantage que de la perdre. Quelque sagement que lâon commande chez vous , & avec quelque succĂšs quâon gouverne votre mĂ©nage, il vous est toujours bien honteux de nâĂštre pas obĂ©i dans votre maison ; & câest bien mal connoĂźtre votre droit & vos vrais intĂ©rĂȘts, que de rĂ©compenser les longs services dâun domestique , en le servant vous - mĂȘme, & en le craignant Ă votre tour. Mettez -lui, si vous le voulez, votre bien des MĆurs. 361 bien & vos affaires entre les mains, puisquâil est sage & fidelle mais souvenez-vous quâil 11e faut communiquer le pouvoir, que comme le soleil communique sa lumiĂšre, en la donnant sans celle , & en retenant celui qui la reçoit, dans une dĂ©pendance perpĂ©tuelle. Faites- vous rendre compte exactement. Un serviteur Ă qui lâon confie tout sans prendre aucune connoissance de ce quâil fait, fera bientĂŽt ou fripon ou maĂźtre du logis. Pour empĂȘcher quâil ne devienne le tyran de vos autres domestiques, permettez au dernier dâentre eux de vous porter ses plaintes, & rendez justice Ă tous. Car nâĂštes - vous pas en quelque forte bien plus le roi de ceux que vous nourrissez & qui font Ă vos gages , que le Prince quâils ne voient jamais, & dont ils savent Ă peine quâils dĂ©pendent? Que votre gouvernement soit, comme tout bon gouvernement doit ĂȘtre, un heureux mĂ©lange de mĂ©nagement & de fermetĂ©, de douceur & de force. La fermetĂ© sans douceur est duretĂ© ; elle aigrit, elle rĂ©volte , & porte Ă secouer un joug quâelle rend intolĂ©rable. La douceur sans fermetĂ© est foiblesse ; elle rend lâautoritĂ© mĂ©prisable, & lui ĂŽte toute la force quâelle devroit avoir. Ne vous laissez jamais imposer la loi par vos domestiques , quand mĂȘme ils seligueroient Tome I. Q_ ;6r Lâ E c o l E tous ensemble; il vaudroit mieux les voir sortir tous dans le mĂȘme jour. LâautoritĂ© une foi perdue ne se recouvre point. Parlez peu Ă vos serviteurs , disoit saint Louis Ă son fils, & ne vous rendez pas trop familier avec eux , afin qu'ils vous craignent & quils vous aiment comme leur maĂźtre. Ce conseil Ă©toit bien sage. Lâexcellent moyen de vous faire respecter dans votre maison & dây ĂȘtre bien servi, est dâĂȘtre sĂ©rieux envers vos domestiques & dâavoir avec eux peu de paroles. Ils nâauront de respect pour vous, quâautant que vous aurez de rĂ©serve Ă leur egard. Sachez tout ce quâils font mas quâils ne sachent point ce que vous pensez ni ce que vous ferez. Un maĂźtre qui voit tout dans sa maison & qui ne parle point, est, pour ainsi dire, relpectĂ© comme un Dieu on tremble fans quâil menace ; & la feule crainte quâon a quâil ne park , contient tout le monde dans lâordre & dans le devoir. TĂąchez de ne faire des rĂ©primandes quâĂ propos moins elles font fondĂ©es , plus clic i { ont de peine ; & il nâest permis , fans juste iujet, de faire de la peine Ă personne. 11 est humiliant dâavoir tort avec qui que ce soit, il est honteux & dangereux de lâavoir avec ses rarement les rĂ©primandes nâen seront que plus efficaces. On sâac- DES M Ć U R s. coutume au bruit comme Ă tout le reste vous altĂ©reriez votre santĂ©, & vous nây gagneriez pas davantage. Vous dĂ©goĂ»teriez de votre service de bons domestiques, & vous les mettriez quelquefois dans le cas de vous rĂ©pondre des choses dĂ©sagrĂ©ables, comme fit un Auvergnat Ă son maĂźtre, homme capricieux & dâun petit gĂ©nie, qui le grondoit souvent sans raison. Un jour, entre autres injures quâil lui dit, lâayant appelĂ© roi des sots Que ne le fuis-je, Monsieur, repartit lâAuvergnat , car au lieu que vous ĂȘtes mon maĂźtre, je ferois le vĂŽtre! Donnez vos ordres en peu de mots, en termes clairs, & dâun ton qui nâĂ©tant ni fier ni mou , tienne nĂ©anmoins plus du premier. MĂȘlez-y un peu de civilitĂ© , pour adoucir Ă vos domestiques lâhumiliation de leur Ă©tat. Si vous Ă©tiez Ă leur place, comme la chose auroit pu ĂȘtre, comment quâon vous traitĂąt i . Regardez-]es comme des amis malheureux. Mais combien de maĂźtres ne les regardent au contraire que comme de vils esclaves, destinĂ©s Ă servir leurs caprices ! Le prĂ©jugĂ© dâune mauvaise Ă©ducation, la fiertĂ© que lâabondance inspire, accoutument la plupart des Grands & des Ri- ches Ă se considĂ©rer comme les despotes de ceux qui font Ă leurs gages, & Ă 'les 364 Lâ Ă c o l l traiter Ă peine comme des hommes. Eh Ăź pouroit- on leur dire, qui ĂȘtes-vous donc, maĂźtres superbes & cruels? Qui font ceux qui vous fervent? Rappelez pour un moment les choses Ă leur origine. Lâesclavage nâest que le fruit de la violence & de lâinjustice, ou tout au plus de la misere, dont la cruautĂ© profite. Nous naissons tous libres, & la servitude mĂȘme volontaire ne dĂ©truit point lâĂ©galitĂ© que la nature met entre tous les hommes. Ce font donc vos Ă©gaux qui vous fervent. Quelle rĂ©serve cette pensĂ©e ne doit-elle pas vous inspirer Ă leur Ă©gard ! Ne vous dit-elle pas quâun maĂźtre raiionnable doit se faire servir avec la modĂ©ration dâun homme, qui nâuse de ses serviteurs que pour la nĂ©cessitĂ© , & parce quâil ne sauroit lui seul tout faire ; quâil doit nâexiger dâeux que ce quâils peuvent, ne les pas traiter avec hauteur, adoucir leur joug, avoir pour eux une affection sincere, & les regarder mĂȘme comme ses freres ? Ainsi pensoit le Prince de Conti qui » Ă©lu Roi de Pologne, se montra supĂ©rieur aux Ă©vĂ©nemens qui lâempĂšcherent de porter cette couronne. Il avoit pour ses Officiers & pour tous ses domestiques une bontĂ© & une douceur bien rares dans les Grands. Jamais on ne lui vit dâhumeur contre eux, jamais un de ces des MĆurs. z6Z fnomens mĂȘme de vivacitĂ©, que tant de maĂźtres se permettent & le justifient. It paroissoit leur ami plutĂŽt que leur maĂźtre ; il les regardent comme les compagnons de sa fortune, & non pas comme les jouets ou les ministres de ses volontĂ©s & de ses paflĂŻons. Auffi lui Ă©toient-ils tous infiniment attachĂ©s, & leur affection prĂ©venoit lâabus quâils auroient pu faire de fa bontĂ©. Il avoit de bons serviteurs, parce quâil Ă©toit bon maĂźtre. On se plaint souvent que les domestiques ne font plus tels quâils Ă©toient autrefois. La corruption gĂ©nĂ©rale des mĆurs, le peu de foin quâon a de veiller fur celles de ses domestiques, y contribuent fans doute. Mais ne peut-on pas en attribuer auiĂźi la cause aux maĂźtres, qui ne font plus eux-mĂȘmes ce quâils Ă©toient? Il semble que ce soit aujourdâhui le bel air & le bon ton de se montrer difficile Ă servir ; & ce sont sur-tout les nouveaux maĂźtres, les gens parvenus & de fraĂźche crĂ©ation, qui aiment Ă foie donner. Ils paroissent toujours mĂ©contens. Jamais ceux qui les servent ne sont nommĂ©s par leurs noms il ne fort de leur bouche que des termes de mĂ©pris & des injures , qui quelquefois leur conviendroient mieux quâĂ ceux Ă qui ils les adressent. Mais quel moyen, disent - ils, de se contenir ! nous avons affaire Ă des valets Q-3 3 66 Lâ Ă C O L E insolens qui nous rĂ©pliquent, qui nous rĂ©silient, qui se rĂ©voltent contre nos ordres , qui murmurent & ne font rien que de mauvaise grĂące. MaĂźtres impĂ©rieux, vous figurez-vous donc quâils ne sentent point la duretĂ© de votre commandement,& les hauteurs dĂ©daigneuses avec lesquelles vous les traitez? Vous outrez leurs forces , vous ne plaignez point leurs peines; vous croyez avoir tant de droit fur eux, vous les voudriez si parfaits, vous vous rendez si difficiles, que vous nâĂštes jamais contens. Font-ils quelques fautes câest assez pour vous agiter de mille mouvemens de colere, de dĂ©pit, de fureur vous rebutez, vous frappez, vous chassez de votre prĂ©sence des serviteurs qui font tout ce quâils peuvent pour vous satisfaire, & qui vont au devant de vos dĂ©sirs. Eh ! nesoussre-t-on pas dĂ©jĂ trop pour contenter votre mollesse, votre sensualitĂ©, vos besoins multipliĂ©s , imaginaires & quelquefois si dĂ©- goĂ»tans , sans ĂȘtre obligĂ© dâessuyer vos caprices , vos mauvaises humeurs, vos traitemens indignes ? Si vos domestiques ont des dĂ©fauts, faut-il vous en Ă©tonner, puisque vous, qui devez avoir reçu une bien meilleure Ă©ducation, en avez Ă©galement? 11 nâest permis de vouloir des serviteurs parfaits quâau maĂźtre qui lâest lui-mĂȘme. des MĆurs. 567 Sâils lâĂ©toient, nous devrions les servir. Nâest - ce pas souvent chez vous & Ă votre Ă©cole quâils ont pris les vices que vous leur reprochez? Câest votre exemple peut-ĂȘtre qui les a corrompus ou qui les autorise. TĂ©moins oculaires, tĂ©moins allĂźdus de tout ce que vous faites, de tout ce que vous dites, nâest-il pas naturel quâils sâaccoutument bientĂŽt Ă agir & Ă parler comme vous ? Chez les Romains il y avoit un mois oĂč les esclaves avoient la libertĂ© de tout dire Ă leurs maĂźtres. Quelles scenes, si cet usage Ă©toit Ă©tabli parmi nous ! Quels portraits les domestiques feroient Ă ceux quâils servent, de leur caractĂšre & de leurs mĆurs ! Mais sâils nâont plus aujourdâhui ce privilĂšge, ils ne manquent guere dâen prendre un autre; & le plus doux soulagement dâun domestique, quâon vient de gronder ou de maltraiter, câest dâĂ©taler au premier quâil rencontre, toutes les foiblesses & tous les dĂ©fauts de ses maĂźtres. Le grand Cyrus , fondateur delĂ Monarchie des Perses, disoit quâon nâĂ©toit pas digne de commander aux autres, Ă moins quâon ne fut meilleur que ceux Ă qui 011 donnoit la loi. Combien donc de' maĂźtres & de maĂźtresses devroient ĂȘtre dĂ©gradĂ©s! lisse plaignent que leurs domestiques les mĂ©prisent, les dĂ©crient, & 368 Lâ Ă c o l e quâils nâont point de plus dangereux ennemis que ceux qui font dans leur niailon. Mais ne peut-on pas leur dire Par oĂč ceux qui vous servent vous esti- meroient-ils? vous ne leur cachez aucune de vos foiblefTes ; vous les leur dĂ©couvrez avec autant de facilitĂ©' & dâassurance, que sâils dĂ©voient les respecter. Vous ĂȘtes avec eux lans pudeur, fans rĂ©serve, sans retenue dans vos paroles & dans vos actions. Ils vous voient dans des momens & dans des Ă©tats oĂč vous devriez rougir de vous-mĂȘme. Vous vous montrez enfin tels que vous ĂȘtes, câest-Ă - dire, souvent trĂšs-mĂ©prisables; & vous vous plaignez dâĂȘtre mĂ©prisĂ©s ! Les maĂźtres que lâinfirmitĂ© rĂ©duit Ă exiger des services dĂ©goĂ»tans & pĂ©nibles, devroient gĂ©mir de leur Ă©tat, & recevoir les services nĂ©cessaires avec une reconnoissance mĂȘlĂ©e de confusion, du moins avec une bontĂ© qui en adoucisse les dĂ©lagrĂ©mens. Mais souvent ce sont ceux-lĂ mĂȘme qui sont les plus difficiles Sc les plus fĂącheux. Vous ĂȘtes indigne de vivre, si vos mauvaises humeurs font souffrir, encore plus que vos maladies, ceux qui emploient ce quâils ont de forces & de santĂ© pour vous soulager & vous servir. Une Dame Ă©toit dâune telle mollesse, quâelle ne pouvoir faire un seul pas fans ĂȘtre soutenue par un domestique, des MĆurs. z6Z Au milieu dâun escalier, elle sâavisa de quereller celui qui lâaidoit Ă descendre , & lui donna un souffler. Le domestique la laissa & sâenfuit. Comme elle le rappeloit Ă son secours avec de grands cris Madame , lui dit-il, passez-vous de mon brassi vous pouvezpour moi je puis me passer de vos soufflets. Il est Ă©trange que nous ne sentions pas combien il est dĂ©raisonnable dâexiger durement les services les plus nĂ©cessaires. C'est demander lâaumĂŽne, les armes Ă la main. Louis XIV , qui Ă©coit grand eu tout, Ă©toit bien Ă©loignĂ© dâagir ainsi. Un de ses valets-de-ehambre Ă©toit allĂ© lui chercher des souliers, & tardoit Ă revenir. Le Duc de Montauzier voulut le gronder. Eh! laissez-le en paix , dit le Roi, il efl assez fĂąchĂ© de n ĂȘtre pas arrivĂ© plutĂŽt. Une autre fois, un Portier du Parc de Versailles, qui avoir Ă©tĂ© averti que le Roi devoir passer par la porte quâil gar- doit, pour aller Ă la chasse, ne sây trouva pas quand ce Prince y arriva. Tous les Courtisans sâempressĂšrent de le chercher. On le trouva enfin. Le pauvre homme qui courut tant quâil put, arriva tout essoufflĂ© on lâaccabloit dâinjures & de reproches. Eh ! pourquoi , dit le Prince , le grondez -vous ? croyez-vous quil ne soit pas assez affligĂ© de m avoir fait attendre? 37° Lâ Ă c o l E Tout occupĂ© de vos affaires ou de vos plaisirs , vous vous imaginez que des domestiques font tout Ă leur aise, quâils trouvent fous la main tout ce quâils cherchent, & que tout doit leur rĂ©ussir. Vous vous rĂ©criez fur ce que les choses font mal faites ou quâelles vous manquent, fur ce que vos ordres ont Ă©tĂ© mal exĂ©cutĂ©s , fur ce que le succĂšs ne rĂ©pond pas Ă vos intentions ; & vous supposez, sans dĂ©libĂ©rer, suis examiner, Ă [ue ceux que vous aviez chargĂ©s de ces oins font coupables. Les accidens les plus imprĂ©vus, les contre-temps les plus inĂ©vitables, les maux mĂȘme dont la nature nâest pas exempte, ne font que de foibles excuses auprĂšs de vous. Vous donnez peu, & vous demandez beaucoup. Un domestique, que vous croyez suffisamment payer de toutes lĂšs peines, souvent par des gages allez modiques , doit ĂȘtre invulnĂ©rable, ne jamais sentir ses fatigues ni les injures de lâair & des faisons, ne succomber jamais Ă lâexcĂšs du travail. Vous prĂ©tendez quâil puisse encore travailler & marcher, quoiquâil soit dans un abattement, oĂč vous vous croiriez vous-mĂȘme allez mal pour appeler les MĂ©decins. Que ne sentez-vous que ceux qui vous servent sont hommes comme vous, & que lâhomme nâest pas de fer & de bronze ? Voulez - vous donc d e i MĆurs. qyĂŻ les rĂ©duire au rang des bĂȘtes de charge? Encore Ă ce prix-lĂ trouveroient-ils des mĂ©nagemens dans des maĂźtres raisonnables. Lâhomme de bien , dit Salomon , Ă©pargne' la vie de ses bĂȘtes il ny a que les entrailles des mĂ©dians qui soient cruelles 20 . Presque toujours la duretĂ© vient dâun excĂšs de mollesse les personnes qui ont le plus de loin dâelles-mĂȘmes, font prĂ©ci» sĂšment celles qui ont le moins de compassion des autres. Vous ĂȘtes homme, & vous oubliez que câest un homme qui vous sert, un homme sujet aux mĂȘmes infirmitĂ©s que vous, un homme forcĂ© par la nature Ă manger, Ă boire, Ă dormir, Ă respirer quelquefois ; & tous ces besoins pourtant deviennent souvent des sujets de reproches. On voudroit ĂȘtre servi par des anges, qui nâeussent besoin ni de nourriture ni de repos. Câest fur ce pied lĂ quâon traite ceux dont on se croit maĂźtre de disposer souverainement au prix de quelques gages encore trouve- t-on mauvais quâils ne les prodiguent pas pour faire honneur Ă leurs maĂźtres. On veut quâils sâentretiennent proprement, quâils dĂ©pensent tout ce quâils gagnent, câest-Ă -dire, quâils usent gratuitement zo Ncvit jitĂus jumentomm suorum animas vif» tira auwn imgiarusn crudĂčia , Lâi'ov. \z. 372 Lâ Ă C O L E leur jeunesse, & quâils se prĂ©parent Ă mourir de faim quand ils seront vieux. Et combien nây a-t-il pas de maĂźtres, qui les renvoient indignement, fous les plus lĂ©gers prĂ©textes, quand la maladie, la vieillesse ou quelque accident les rend moins utiles! Câest lâendroit criant de la duretĂ© des maĂźtres ils nâont pas quelquefois pour des serviteurs fidelles la compassion, la charitĂ©, quâils devroient avoir mĂȘme pour des inconnus. Un domestique affectionnĂ© craint de leur dĂ©plaire en dĂ©couvrant ce quâil souffre il sâĂ©puise pour eux, il gagne, il augmente ses maux Ă leur service; & ils lâabandonnent dans son besoin. La guenon dâune Marquise mordit une de ses femmes au bras, & la morsure sut si considĂ©rable, quâon pensa dans les premiers jours quâelle feroit mortelle. La Marquise gronda sa guenon dâune façon tout-Ă -fait sĂ©rieuse , & lui dĂ©fendit bien de ne plus mordre si sort Ă lâavenir. La fille en fut quitte pour un bras. La Marquise ne pouvant plus en tirer les services accoutumĂ©s, la renvoya. Le Marquis lui reprĂ©senta quâil y avoit de lâinhumanitĂ©, de lâinjustice mĂȘme dans ce procĂ©dĂ© mais la Marquise lui rĂ©pondit .Que voulez-vous que je sĂ€Ăe de cette fille ? elle na plus de bras. Un Roi dâEspagne pensoit avec bien des MĆurs. plus dâĂ©quitĂ©. DomDiegue dâArias, TrĂ©sorier du Roi Emique IV, reprĂ©sentant un jour Ă ce Prince lâexcĂšs de si libĂ©ralitĂ© & de ses rĂ©compenses, lui dit quâil Ă©toit nĂ©cessaire de rĂ©former le grand'nombre de ses Officiers & les gages de ceux qui ne faisaient point les fonctions de leurs charges , ou qui nây Ă©toient plus propres. Mais le Roi lui rĂ©pondit Si jâĂ©tois Arias, Jlaurois aussi plus dâĂ©gard Ă lâargent quâĂ la libĂ©ralitĂ©. Vous parlez en Particulier, & moi jâagirai en Roi. Le devoir dâun Roi est de donner. Je donne aux uns, parce quâils font gens de bien, & aux autres, afin quâils ne soient pas mĂ©chans. Et quant Ă ces Officiers , dont vous voulez que je garde les uns & que je renvoie les autres , je vous dirai que je retiens les premiers, parce que jâai besoin dâeux, & les derniers, parce quâils ont besoin de moi. 11 nây a peut-ĂȘtre pas, dans aucun pays du monde, un plus bel usage que celui qui est Une partie des revenus de la plupart des Seigneurs est destinĂ©e Ă payer les pensions des anciens domestiques de la maison. Ceux qui servent fidellement & qui remplissent exactement leurs devoirs, font surs dâavoir de quoi subsister le reste de leurs jours. Un ancien domestique survit-il Ă son maĂźtre celui-ci en mourant le recom» 374 Lâ Ă c o L E mande Ă son successeur, qui croiroit in- digne de lui de manquer aux intentions de celui quâil remplace. Ce qui fait quâon voit dans bien des maisons un grand nombre dâanciens domestiques vieux, infirmes, qui ne font plus rien que de faire honneur Ă la bontĂ©, Ă la gĂ©nĂ©rositĂ© de leurs maĂźtres, & qui font aussi bien traitĂ©s que sâils Ă©toient encore utiles. Quel plus noble emploi de ses richesses peut-on faire aux yeux de lâhumanitĂ© bienfaisante ! â Ainiez vos domestiques, disoit Madame de Ălaintcnon a la Duchesse de Bourgogne portez-les Ă Dieu ; faites leur fortune, mais ne leur en faites jamais une grande ne contentez ni leur vanitĂ© ni leur avarice; & que votre sagesse mette Ă leurs dĂ©lits la modĂ©ration quâils devroient y mettre eux- mĂȘmes ct . Il y a beaucoup de maĂźtres qui ne font du bien Ă leurs domestiques, ou ne se proposent de leur en faire, quâaprĂšs la mort. Câest attendre Ă se faire aimer, quâon ne soit plus en Ă©tat de goĂ»ter le plus doux des plaisirs; câest rĂ©server le moyen le plus efficace de se faire servir avec zele, pour un temps oĂč lâon nâen aura plus bclom. Un homme riche Ă©tant attaquĂ© dâune maiadie dangereuse, fit Ă ses domestiques dans son testament des des MĆurs. 375 legs, qui ne feraient payables quâau cas quâil revĂźnt en santĂ©, lis le soignĂšrent si bien quâil guĂ©rit parfaitement. Il leur paya les legs. Laiifer Ă ses domestiques au cas quâon vienne Ă mourir, nâest-ce pas vouloir quâils soient dâintelligence avec la mort? Cependant, comme on nâest pas immortel, & quâil est juste de reconnoĂźtre les peines que les maladies des maĂźtres occalĂźonnent Ă ceux qui les servent, il convient, quand on le peut, de leur assurer quelque chose, si lâon vient Ă mourir. Prenez Ă©galement soin dâeux dans leurs maladies, & ils vous serviront avec amour. ImĂ©resiez-vous toujours Ă ce qui les regarde , Ă leur Ă©tablissement, Ă leur petite fortune 5 & ils vous seront affectionnĂ©s. Faites si bien quâon soit content, quand on entre chez vous; quâon soit fideile & heureux, quand 011 y est; & quâon ait de quoi vivre, sâil est poisible, quand on en fort. Rien ne faitplus dâhonneur Ă une maison, & nâattache plus Ă un service, que des maĂźtres qui lavent rĂ©compenser ceux qui les ont bien servis. En un mot, avec vos domestiques, dont la sagesse & la fidĂ©litĂ© vous font connues, & vous ne devez jamais en avoir dâautres , vivez comme un maĂźtre qui commĂźt les devoirs de lâhumanitĂ©, comme un chrĂ©tien qui fait que devant 375 L' Ă c o l K Dieu nous sommes tous Ă©gaux malgrĂ© lâinĂ©galitĂ© des conditions. Ne leur donnez que de bons exemples, & portez-Ăźes au bien il nây en a pas de plus fidelles aux hommes que ceux qui le font Ă Dieu. Veillez fur leurs mĆurs, fans ĂȘtre ni leur tourment ni leur espion, & attachez- vous-les par votre douceur & par vos bienfaits. Y a-t-il rien de plus flatteur que de rendre heureux ceux dont on cil environnĂ© ? Quoiquâil ne faille jamais avoir trop de foibleife, parce quâon devient mĂ©prisable ; en gĂ©nĂ©ral, il vaut mieux avoir trop de bontĂ© que trop de sĂ©vĂ©ritĂ©. Mais celui-lĂ seul mĂ©rite le titre de hon, qui sait sâarmer, quand il le faut, de sĂ©vĂ©ritĂ© contre Je vice, sans jamais lâautoriser > autrement la bontĂ© nâest quâune mollesse coupable. M. le Duc de VendĂŽme portoit la bontĂ© jusquâĂ ce dĂ©faut. Un des valets- de-pied vint lâavertir quâun de ses Officiers le voloit. HĂ© bien , lui dit ce Prince, laijj'e-le faire , U vole-moi comme lui. Le trait suivant du mĂȘme Prince nous paroĂźtbien plus louable. Il Ă©toit dans fa chambre, fort avant dans la nuit, en conversation avec Palaprat. Celui-ci lui reprĂ©senta quâil devoir se coucher, &il voulut appeler les gens du Prince. Non, lui dit-il, mais voyons s'ils ont prĂ©parĂ© mon bonnet de nuit ? Il le trouva. Il ne DES M E U R S. 37 f faut pas les Ă©veiller , continua-t-il, je ms mettrai bien au lit fans eux. Il tenoit ce caractĂšre de bontĂ© de Henri IV , duquel il descendent. ThĂ©odore Agrippa , Seigneur dâAubignĂ© & aĂŻeul de Madame de Maintenon, Ă©toit couchĂ© Ă cĂŽtĂ© du lit de ce Prince , & le croyoit endormi, lorsquâil dit Ă La Force avec qui il Ă©toit couchĂ© Notre maĂźtre est le plus vilain le plus ingrat qui soit fur la terre. Lâautre accablĂ© de sommeil lui demanda Que dis -tu , es AubignĂ© ? Le Roi qui ne dormoit pas & qui avoit tout entendu, cria tout haut La Force, n entends-tu pas ce que dit dâAubignĂ© , que je fuis le plus vilain & le plus ingrat quil y ait fur la terre ? Il nâen parla jamais depuis ni Ă lâun ni Ă lâautre. Il auroit dĂ» punir, & lâauroit fait sans doute, sâil nâavoit Ă©tĂ© bien fur que cette plainte imprudente nâempĂȘchoit pas que cet Officier ne lui fĂ»t vĂ©ritablement attachĂ© , comme il lâĂ©toit en effet. Un bon maĂźtre dissimule quelquefois , & pardonne des paroles indiscrĂštes , qui peuvent Ă©chapper Ă des domestiques affectionnĂ©s , mais plus souvent en particulier que devant des tĂ©moins ou des Ă©trangers. Un maĂźtre qui souffre quâon lui manque publiquement de respect, nâest guere plus excusable que le domestique qui ose le faire. On juge 578 LâĂ c o le presque toujours Ă©galement mal de lâun & de lâautre. -. - -T- jSĂż&as L- - Honore ÂŁ vos parais , fur - tout dans leur vieillesse. E H ! qui honoreroit - on ? qui aime- roit-on, si lâon manquoit Ă ce premier cri de la nature ? Quoique son divin Auteur ait gravĂ© ce devoir au fond de notre ame , en nous Ă©clairant des lumiĂšres de la raison ; il a voulu nous en faire encore un commandement exprĂšs ; & lâon a remarquĂ© que câest le seul Ă lâobservation duquel il ait attachĂ© une rĂ©compense dĂšs cette vie mĂȘme. Rien suffi nâest plus particuliĂ©rement recommandĂ© dans lâEcriture-Sainte, & fur-tout dans lâun de ses plus beaux Livres de Morale , /â EcclĂ©siastique , qui est rempli de prĂ©ceptes admirables , & des plus sages conseils. â Ecoutez , en- fans , dit cet Auteur sacrĂ©, les avis de votre pere , & suivez-les, asin que vous fuyiez sauvĂ©s car Dieu a rendu le pere vĂ©nĂ©rable aux enfans , & il a affermi fur eux lâautoritĂ© de la mere. Celui qui honore fa mere est comme un homme qui amallĂš un trĂ©sor celui qui honore son pere, recevra lui-mĂȘme de la joie de ses ensuis, & il fera exaucĂ© au jour des MĆurs. 379 de sa priere. Cel 1 ii qui craint le Seigneur , honore son pere & si mere , & il servira comme ses maĂźtres les auteurs de ses jours 21â. Nous devons Ă nos parens le respect , lâamour , lâobĂ©iflance & les services. A quelque dignitĂ© mĂȘme quâon soit Ă©levĂ© , on doit toujours avoir du respect pour ceux de qui on a reçu la vie ; & il faut leur en donner des marques extĂ©rieures , en les saluant avec honneur , en leur parlant avec soumis lion, en les visitant avec amitiĂ©, en les prĂ©venant par de certaines attentions, qui les flatteront dâautant plus quâelles seront des hommages libres & publics. Laurent CcIJe ayant Ă©tĂ© nommĂ© Doge de Venise , & voyant que son pere , qui Ă©toit du nombre des SĂ©nateurs, ne pou- roit se dilpenser de venir comme les autres , selon la coutume, se mettre Ă genoux devant lui , mit sur sa toque ducale une croix dâor, asm que son pere 21 Oui timet Dominum , honorĂąt parentes , ÂŁ T quasi, dom'ĂŻnis /erriet his qui se genuerunt. Eccli. Z. Jesus . fils Ăźle Siraf'h , docteur Juif & auteur de ykce/Ă©siastique , Ă©toit de JĂ©rusalem ; il vivuit environ 160 ans avant J. C. fous le regne dâ^utiochus Epi- phane , dont les persĂ©cutions lâobligerent de se retirer eu EgvptS , oĂč ĂŻânn croit Quâil composa soit ouvrage . rempd dâexcellentes maximes murales» civiles & politiques. 38° Lâ Ă c o l s pĂ»t rapporter Ă la croix lâhonneur qui Ă©toit dâufĂ ge. Câest depuis ce temps-lĂ que les Doges portent une croix iur leur toque ou bonnet. Ce seroit manquer au respect quâon doit Ă ses pareils , que de les mĂ©priser mĂȘme intĂ©rieurement. Que sera-ce donc si lâon est assez malheureux pour en venir jusquâĂ leur dire des paroles dures , injurieuses, outrageantes ; jusquâĂ se moquer dâeux, les reprendre avec orgueil, dĂ©couvrir leurs fautes, ou se railler de leurs dĂ©fauts ? Nâest -ce- pas se charger soi- mĂȘme de honte , puisque le fils tire lĂ gloire de lâhonneur du pere , & quâun pere fans honneur est le dĂ©shonneur du fils 22 ? Menacer ses pareils , lever la main fur eux, ou les frapper mĂȘme lĂ©gĂšrement , est un crime des plus exĂ©crables , une espece dâimpiĂ©tĂ© & de lĂ crilege , que Dieu punit toujours, & souvent mĂȘme de la maniĂ©rĂ© la plus terrible & la plus Ă©clatante. On fait quelle fut la fin tragique & malheureuse du rebelle Absalon , dont la mĂ©moire sera Ă©ternellement un objet dâexĂ©cration & dâhorreur, Mais comme les traits moins connus frappent encore davantage, en voici un quâon 22 Gloria hominis ex honore patris fui , & didcciis filii paursine honore, Eccli. 3. s L 8 MĆurs. ;8-r juiroit peine Ă croire , sâil nâĂ©toit attestĂ© par un des plus grands Docteurs de lâEglise. 11 en prend Ă tĂ©moin toute la ville dâHippone , dont aucun des habi- tans ne pouvoir encore lâavoir oubliĂ© lorsquâil le leurrappeloit puisquâil nây a, leur disoit-il, personne dâentre vous qui ne lâait ou vu ou appris. Dix enfans assez distinguĂ©s par leur naissance , sept garçons & trois filles', vivoient Ă CĂ©sarĂ©e en Cappadoce ave leur mere qui Ă©tait veuve. Un jour lâaĂźnĂ© des freres sâĂ©chappa jusquâĂ la charger de grosses injures » il eut mĂȘme la hardiesse de la frapper. Tous les autres enfans, qui Ă©taient prĂ©sens , souffrirent que leur frere traitĂąt ainsi leur mere, au lieu de le reprendre & de lâarrĂȘter. Cette femme outrĂ©e de lâinjure, & du mauvais cĆur de ses enfans, alla dĂšs le grand matin aux fonts batismaux. LĂ , prosternĂ©e contre terre, elle pria Dieu que ses enfans fussent un exemple de terreur Ă toute la terre, & quâils la parcourussent errans & vagabonds, Ă©loignĂ©s de leur patrie. Aussi - tĂŽt cette mere fut exaucĂ©e, & tous ses enfans furent punis de Dieu par un tremblement horrible de tous leurs membres. Honteux & confus de paroĂźtre dans cet Ă©tat effroyable aux yeux de leurs compatriotes, ils le rĂ©pandirent en diffĂ©rens pays. Deux ?8r Lâ Ă c o l e de ces enfans, dit saint Augustin, sont venus Ă Hippone oĂč nous Ă©tions. Apprenez, ĂŽ enfans , ajoute ce saint Docteur , Ă rendre Ă vos peres & meres lâhonneur & le respect qui leur sont dus ; car il est Ă©crit que la bĂ©nĂ©diction du pere affermit la maison des enfans, & que la malĂ©diction de la mere la dĂ©truit jus* quâaux fondemens . ' Attendez-vous Ă ĂȘtre traitĂ©s comme vous aurez fait Ă vos patens. Si vous leur avez rendu le respect & lâhonneur que vous leur deviez, vous recevrez Ă votre tour les mĂȘmes hommages, avec lâestime & lâadmiration des autres hommes. Mais si vous les avez mĂ©prisĂ©s, outragĂ©s, vous ne recevrez de vos enfans que des mĂ©pris & des outrages. Un pere traĂźnĂ© indignement hors de fa maison par ses propres enfans , sâĂ©cria fur le seuil de la porte A'rĂ©tcz , malheureux enfans ! je nâai traĂźne mon pere que jusquâici. Ces punitions temporelles ne font quâune foible image de celles que lâauteur & le vengeur de lâautoritĂ© paternelle rĂ©serve en lâautre vie Ă ceux qui la foulent aux pieds ou la mĂ©prisent, Ă€ qui Ă©touffent dans leur cĆur tous sentimens Ă© 2; Bcneditto patrls firmat domosfiliorum male âą bes MĆurs. ^ 97 ,» JâĂ©tois ce matin dans mon lit, dit-il occupĂ© Ă lire. Jâai Ă©tĂ© interrompu tout-Ă - coup par un bruit semblable Ă celui que sont des rats qui grimpent contre une cloiion. Jâai observĂ© attentivement. Jâai vu paroĂźtre un rat sur le bord d'un trou il a regardĂ© de tous cĂŽtĂ©s j & ensuite sâell retirĂ©. Un moment aprĂšs il a reparu Ăź il conduisait par lâoreille un rat plus gros que lui, & qui paroissoit vieux lâayant laissĂ© fur le bord dâun trou, un autre jeune rat sâelt joint Ă lui. Ils ont tous deux parcouru la chambre, ramassant des miettes de biscuit, qui au souper de la veille Ă©toient tombĂ©es de la table ils les ont portĂ©es Ă celui qui Ă©toit fur le bord du trou. Cette attention dans ces- animaux mâa Ă©tonnĂ© jâai observĂ© avec encore plus de soin. Jâai jugĂ© que le rat auquel les deux autres portoient Ă manger, Ă©toit aveugle, parce quâil ne trouvent quâen tĂątonnant le biscuit quâon lui prĂ©sentent. Je nâai point doutĂ© que les deux jeunes ne su dent ses enfans, & les pourvoyeurs assidus dâun pere aveugle. Jâadmirois en moi-mĂȘme la siigeiie de la nature , qui a mis dans tous les animaux une intime tendresse, une reconnoiC- sauce, je dirois presque une vertu, proportionnĂ©e Ă leurs facultĂ©s. Tandis que je faisois ces rĂ©flexions, & que je crai- gaois quâon n'interrompit ces petits. 398 Lâ Ă c o L E animaux, notre Chirurgien - major a ouvert la porte de ma chambre. Les deux jeunes rats ont fait un cri, comme pour avertir lâaveugle ; & malgrĂ© leur frayeur ils nâont pas voulu se sauver , que le viĂ x 11 e fĂ»t en furetĂ©. Ils font rentrĂ©s dans le trou aprĂšs lui, en servant, pour ainsi dire, dâarriere-garde â. Si ce fait est vrai, & sâil est exact dans toutes les circonstances, comme on ne peut guĂšre en douter, quelle leçon pour lâhomme ! Les enfuis aise 2 dĂ©naturĂ©s pour oublier ce quâils doivent Ă leurs parens , font des monstres dâingratitude mais souvent les peres & les meres ne peuvent lâimputer quâĂ eux-mĂȘmes. Si les enfuis Ă©toient mieux Ă©levĂ©s, sâils avoientreçu une Ă©ducation plus fige & plus chrĂ©tienne , ils seroient plus relpectueux & plus tendres. Mais la faute des peres & des meres nâexcuse pas celle des en fans, & lâon ne fauroit entendre fans horreur la maniĂ©rĂ© indigne, dont Mithridate fut traitĂ© par Ion fils Pharnace. On fait qu-e ce Roi, si fameux par les guerres quâil soutint avec gloire contre les Romains, ternit ses grandes qualitĂ©s par ses cruautĂ©s, & par son ambition , qui le porta Ă faire mourir ses neveux, fils du Roi de Cappadoce, pour sâemparer de ce royaume. Les peres trouvent ordinairement, dans leur famille mĂȘme , des imitateurs trop fidelles des MĆurs. 999 , des mauvais exemples quâils leur ont donnĂ©s. Mithridate fut Ă son tour dĂ©pouillĂ© des Etats qui lui reltoient, par fou fils Pharnace, qui avoit fait rĂ©volter lâarmĂ©e en la saveur. Il demanda quâil lui fut permis dâaller dans un pays Ă©loignĂ© finir lĂ©s jours. Pharnace, fans daigner le regarder, eut la barbarie de dire Quâil pĂ©risse. Mithridate pĂ©nĂ©trĂ© de douleur, lui rĂ©pondit Puijjcs-tu un jour ouir de la bouche de tes enfans ce que la tienne vient de prononcer contre moi ! Il paiia ensuite tout furieux dans lâappartement de la Reine , lui fit prendre du poison, en donna Ă ses filles, & se perça lui-mĂȘme de son Ă©pĂ©e. Pharnace ne jouit pas long - temps de son crime. CĂ©sar marcha contre lui, & le vainquit avec tant de rapiditĂ©, quâil Ă©crivit au SĂ©nat Je fuis venu t jâai vu, j'ai vaincu. Il y a des personnes qui, Ă©tant parvenues , rougissent de ceux qui leur ont donnĂ© la naissance. Sourds Ă la voix du sang & de la nature, ils les dĂ©daignent & les mĂ©connoiflent. Que ne rougissent- ils aussi dâĂȘtre nĂ©s ! Lâorgueil a fascinĂ© leurs yeux & corrompu leur cĆur. Ils ne voient point que la vĂ©ritable grandeur nâelf pas dâĂȘtre nĂ©G rand ou Riche , mais de sâĂ©lever par la gĂ©nĂ©rositĂ© de ses sentimens au-dessus des grandeurs & des richesses. Kâoubliez pas , dit le . Sage , 400 U Ă C O L E votre pere U votre mere, parce que vous, ĂȘtes au milieu des Grands ; de peur que Dieu ne vous oublie devant ces Grands mĂȘme , fĂ«? que devenant insensĂ© par la trop grande familiaritĂ© que vous aurez avec eux , vous ne tombiez dans Cinfamie 26. Au contraire le respect & lâhonneur que vous leur rendrez alors, rejaillira sur vous. Un brave Officier nommĂ© Duras, du rĂ©giment dâAubuflon , Ă©toit fils dâun Paysan. Son pere Ă©tant venu le voir, il le prĂ©senta en habits 'de son Ă©tat & en sabots Ă son Colonel. Louis XIV, instruit de la maniĂ©rĂ© dont il avoit reconnu, reçu & honorĂ© son pere, tandis quâon le croyoit ilsu de la maison de Duras , le fit venir Ă la Cour, & lui dit en lui tendant la main Duras , je fuis bien aise de eonnoĂźtre le plus honnĂȘte homme de mon royaume je vous accorde mille Ă©cus de penjion mariez-vous , jâaurai foin de vos enfans , vous mĂ©ritez d'en avoir qui vous reĂemblcnt. Si lâon doit honorer & assister ses parens durant leur vie, il ne faut pas non plus les oublier lorsquâils ont cessĂ© de vivre. Câest alors peut-ĂȘtre quâils ont le plus besoin de vous. Faites - leur des obsĂšques selon votre rang & votre Ă©tat, C 26 Mcmcnto p a tris ĂT matris tua , in tncdiç ZnaiGrum-. Eccli. . des MĆurs. 46g "Vrions quelques traits rĂ©prĂ©hensibles; font-ils moinsuos maĂźtres?sont-ils moins en droit de commander, & leur devons- nous moins lâobĂ©issance , parce quâils ne font ni infaillibles ni impeccables? Que toute ame, dit lâApĂŽtre des nations, soit soumise aux Puissances , parce quelles viennent de Dieu. Câest lui qui Ă©tablit les Rois, qui les choisit pour les lieutenans , qui leur soumet les autres hommes, qui grave fur leur front lâempreinte de la souveraine majestĂ© ; & câest contre lui quâon sâĂ©lĂšve quand on leur rĂ©siste 29 . Cette lĂ€ge maxime Ă©toit si profondĂ©ment imprimĂ©e dans lâesprit des premiers ChrĂ©tiens , que durant trois cents ans que lâEglise a eu Ă souffrir tout ce que la rage des persĂ©cuteurs pouvoir inventer de plus cruel, parmi tant de sĂ©ditions & de guerres civiles , parmi tant de conjurations contre la personne des Empereurs , jamais il ne sâest trouvĂ© un seul ChrĂ©tien qui prit parti contre son lĂ©gitime Souverain. TertulĂŒen , dans son .Apologie, dĂ©fie les plus grands ennemis du Christianisme dâen nommer un seul tant, dit M. Bossuet, la doctrine chrĂ©- s? 6 Omnis anima, poteĂatibus fiublimioribus fiubdita fit non cnim yotestas nifi Ă Dco. Ouie autem fiant , Ă Dzo ordinata fiant, haejue qui pouĂiti refijiu , DĂ» ordinationi refijiu. Rom. 1 Z. 4°4 Lâ Ă c o L E tienne inspiroit de vĂ©nĂ©ration pour la Puissance publique ! & tant fut profonde l'impression que fit dans tous les esprits cette parole du Fils de Dieu Rendez Ă CĂ©sar ce qui esi Ă CĂ©sar , U Ă Dieu ce qui est Ă Dieu. Cette belle distinction porta dans les esprits une lumiĂšre si claire, que jamais les ChrĂ©tiens ne cessĂšrent de respecter l'image de Dieu dans les Princes persĂ©cuteurs de la vĂ©ritĂ©. Si lâon doit honorer & respecter , non- seulement les Princes de la terre, mais aussi leurs Officiers & tous ceux qui les reprĂ©sentent ; Ă plus forte raison doit-on honorer les Ministres du Roi des Rois , & respecter leur caractĂšre , qui est si auguste, dit saint Chrysostome , quâil est au - dessus de la pourpre & de la dignitĂ© royale ; parce quâil donne un pouvoir que les Rois & mĂȘme les Anges nâont pas. MĂ©diateurs entre Dieu & les hommes ; destinĂ©s Ă remettre les pĂ©chĂ©s, Ă offrir le Sacrifice de la Loi nouvelle, Ă annoncer la parole divine Ă toutes les crĂ©atures, aux Puissances mĂȘme du monde, ils font les Lieutenans de Dieu, les EnvoyĂ©s du Ciel, & nos peres dans la foi. Le grand saint Athanafe , dans la vie quâil a Ă©crite de saint Antoine, rapporte que ce Patriarche des CĂ©nobites, qui nâavoit pas mĂȘme la tonsure, vouloir que le moindre Clerc lui fĂ»t des MĆurs. 40s prĂ©fĂ©rĂ©s en toutes choses. Il sâhumilioit & baifloit la tĂȘte devant les EvĂȘques & les PrĂȘtres pour leur demander leur bĂ©nĂ©diction. Sulpice Severe , Disciple de saint Martin , rapporte aussi que plusieurs EvĂȘques, qui Ă©toient Ă Treves, Ă la Cour de lâEmpereur Maxime , cherchant Ă faire leur cour Ă ce Prince , avilissoient leur caractĂšre par beaucoup de bassesses & de flatteries ; au lieu que saint Martin conserva toujours une autoritĂ© apostolique; & moins il parut courtisan, plus Maxime conçut dâestime & de vĂ©nĂ©ration pour lui. Cet Empereur lâayant un jour invitĂ© Ă sa table, le PrĂȘtre qui accompagnoit saint Martin fut mis Ă une place honorable , & le saint EvĂȘque fut placĂ© Ă cĂŽtĂ© de Maxime. Au milieu dn repas, lâEchanson prĂ©senta dâabord, selon la coutume, la coupe Ă lâEmpereur. Ce Prince, plein de respect pour le saint EvĂȘque , voulut quâon la lui donnĂąt, espĂ©rant la recevoir ensuite de sa main. Mais saint Martin ayant bu, prĂ©senta la coupe Ă son PrĂȘtre, comme Ă celui quâil estimoit le plus digne aprĂšs lui, ne croyant pas devoir prĂ©fĂ©rer lâEmpereur mĂȘme Ă un homme honorĂ© du Sacerdoce de Jesus -Christ. Maxime & toute la Cour admirĂšrent cesffentimensâ, & 011 le loua dâavoir fait Ă la table de lâEm- 4q6 Lâ Ă e o l e pereur mĂȘme ce quâaucun autre EvĂȘque nâauroit ose taire Ă la table des moindres Magistrats. LâImpĂ©ratrice de son cĂŽtĂ© tĂ©moigna encore plus de respect Ă saint Martin. Car ayant aufĂźi voulu lui donner Ă manger , elle prĂ©para elle-mĂȘme tout ce qui devoir lui ĂȘtre servi. Elle lui plaça son siege , dressa sa table , y mit son couvert, lui donna Ă laver , & lui prĂ©senta les viandes quâelle avait fait cuire elle - mĂȘme tant Ă©toit grande la vĂ©nĂ©ration quâon avoir alors pour les Ministres du Seigneur. Manquer de respect aux PrĂȘtres, câest en manquer Ă Dieu violer leur sacrĂ© caractĂšre en les insultant , ou en les faisant servir de jouets Ă ses railleries, Ă ses badinages indĂ©cens, câest sâexposer Ă porter la peine de lâimpie & du sacrilĂšge , quanS mĂȘme ils auroient la foible & indigne complaisance de le souffrir, dâen rire & dâen badiner eux-mĂȘmes. Sâils oublient ce quâils doivent Ă la dignitĂ© de leur Ă©tat, les autres doivent sâen souvenir. Le mĂ©pris quâon fait des Oints du Seigneur, retombe fur le Seigneur mĂȘme. Câest sâen prendre Ă Dieu, câest mĂ©riter & sâattirer sa juste indignation , ainsi quâil arriva Ă ces enfans impies , contre lesquels, dit lâEcriture, il envoya deux des MĆurs. 407 ours qui en dĂ©vorĂšrent quarante-deux. parce quâils avoient oie se moquer du ProphĂšte. MĂ©priser les PrĂȘtres, les Religieux ou les Faiseurs, est ordinairement une marque quâon nâaime ni Dieu , ni la Religion , ni son devoir. En vain, pour se disculper , allĂ©guera-t-011 que leur conduite nâest pas toujours auffi irrĂ©prochable quâelle devroit lâĂȘtre. Leurs fautes ne peuvent excuser ou justifier nos satires non plus que notre conduite, ni rendre la Religion mĂ©prisable , puisquâelle condamne encore plus sĂ©vĂšrement les dĂ©sordres de ses Ministres que des autres, & quâelle nâapprouve jamais ce quâelle est quelquefois contrainte de tolĂ©rer. Vouloir quâilĂ© soient impeccables & sans dĂ©fauts, câest vouloir quâils ne soient pas hommes. Mais si quelques-uns sâĂ©cartent de leur devoir , combien dâautres qui vivent en Saints, en Pasteurs dĂ©sintĂ©ressĂ©s & pleins de zele ! Nây a-t-il pas de lâinjustice & de la malignitĂ© Ă fermer les yeux fur ceux-ci pour ne les ouvrir que fur ceux qui dĂ©shonorent leur caractĂšre par des scandales ? Le monde fait de leurs dĂ©rĂ©glemens ou de leur ignorance le sujet le plus ordinaire & le plus agrĂ©able de ses dĂ©risions & de ses censures. Mais 11âest-ce pas souvent lâouvrage de son orgueil & de son intĂ©rĂȘt, 4o8 Lâ Ă c o l e quâil trouve si digne de risĂ©e ? Câest lui. BlĂȘme qui a donnĂ© Ă lâEglise ces indignes Ministres, Quel usage veut-on que fassent de ses biens ceux qui nâont dâautre vocation que le dĂ©sir de les possĂ©der, & peut-ĂȘtre lâachat sacrilege quâon en a fait pour eux ! Si lâon a des EcclĂ©siastiques scandaleux , de mauvais Pasteurs, câest quâon veut les avoir tels, ou quâon nâen mĂ©rite pas dâautres. Dieu les donne ainsi que les mĂ©chans Princes, dans fa colere, & pour punir les peuples. Il faut les supporter comme des annĂ©es de stĂ©rilitĂ© & de disette, en attendant une meilleure, qui rĂ©pare le malheur & en dĂ©dommage. Enfin les personnes, qui par leur Ăąge font censĂ©es avoir, & ont en effet dâordinaire , plus de raison, dâexpĂ©rience & de sagesse que les jeunes gens, mĂ©ritent suffi leur considĂ©ration & leur respect, Ivlâimitez donc jamais cette impudente jeunesse, qui croyanttout counoĂźtre sans avoir encore rien vu , & tout savoir sans avoir rien appris, prend un air suffisant & vain, un ton tranchant & dĂ©cisif en prĂ©sence des vieillards mĂȘme, ou se plaĂźt Ă les tourner en ridicule, Ă les mĂ©priser, Ă les traiter de sots & de radoteurs. IndĂ©pendamment du mĂ©rite personnel, ayez toujours pour une tĂȘte chenue & des bes Moeurs. 40s des cheveux blancs tous les Ă©gards qui leur font dus, & que vous dĂ©sirerez quâon ait pour vous, si vous parvenez Ă cet Ăąge. Ceux mĂȘme qui agissent autrement ne pouront sâempĂȘcher de vous en louer. -Un Vieillard dâAthĂšnes cherchait place au spectacle, & nâen-trou voit point. De jeunes gens le voyant en peine, lui firent signe de loin ; il vint mais ils le ferrĂšrent & fe moquĂšrent de lui. Le bon homme fit ainsi le tour du théùtre, fort embarrassĂ© de fa personne, & toujours huĂ© de la belle jeunesse. Les Ambassadeurs de la ville de LacĂ©dĂ©mone, qui Ă©toient au spectacle , s'en apperqurent » & se levant aussi-tĂŽt, placĂšrent honorablement le Vieillard au milieu dâeux. Cette action fut remarquĂ©e de toute lâas semblĂ©e, & applaudie dâun battement de mains universel. Ce qui fit dire au Vieillard dâun ton de douleur Les AthĂ©niens savent ce qui efl bien , mais les L&ce'de'* moniens le pratiquent . 4io Lâ Ă C O L E VIII. Du bien qu'on vous a fait soy*{ reconnaissant. H/A reconnoissance est un devoir, non- seulement Ă lâĂ©gard de nos parens qui font nos premiers & nos plus grands bienfaicteurs aprĂšs Dieu, mais auffi Ă lâĂ©gard de tous ceux qui nous ont fait du bien. On se couvre dâignominie quand on y manque. Il nây a point de loi pour punir lâingratitude les Anciens la met- toient au nombre de ces crimes horribles, dont il falloit laisser la vengeance aux Dieux ils croyoient que les remords qui la. suivent, & la honte qui lâaccompagne , en Ă©toient dĂšs cette vie mĂȘme la juste punition. Un Philosophe, que son Ă©colier vouloir rendre ridicule, en lui disant quâil relsembloit Ă un vilain animal , quâil lui nomma, repartit Ă cet insolent Je ne fais pas Ă je ressemble 4L l'animal que vous me nommez j mais je fais bien , If tout le monde en conviendra , que vous ressemblez Ă un ingrat , qui eĂ le plus mĂ©prisable & le plus haĂŻssable de tous les animaux. . Cependant lâingratitude est un vice auffi commun quâil est dĂ©shonorant. Combien ne voit-on pa$ mĂȘme de ces des MĆurs. 411 serpens odieux qui, aprĂšs avoir reçu les secours & les services les plus signalĂ©s, cherchent Ă percer le sein qui les a rĂ©chauffĂ©s ! Monstres dâhorreur, dignes de toutes les vengeances du Ciel & de toute lâexĂ©cration de la terre ! Aussi leur crime, quand il est connu, ne manque-t-il pas de les leur attirer. LâEmpereur Michel Calaphate ayant Ă©tĂ© adoptĂ© & placĂ© fur le trĂŽne par lâImpĂ©ratrice ZoĂ©, exila cette Princesse quatre mois aprĂšs. Le Peuple irritĂ© dâune fl noire ingratitude, se souleva contre lui on lui creva les yeux, & on le renferma dans un monastĂšre. Le malheur , dit lâEcriture , ne sortira jamais de la maison de celui qui rend le mal pour le bien i . Il est rapportĂ© dans XHistoire gĂ©nĂ©rale des Voyages , quâun Roi de Mandoa , ville de lâIndoustan , Ă©tant tombĂ© dans une riviere, il en fut heureusement retirĂ© par un esclave qui sâĂ©toit jetĂ© Ă la nage & lâavoir saisi par les cheveux. Son premier foin, en revenant Ă lui, fut de demander le nom de celui qui lâavoir retirĂ© de lâeau. On lui apprit aussi-tĂŽt lâobligation quâil avoit Ă lâesclave , dont 011 ne doutoitpas que la t Oui reddit ma 7 i le dĂ©sir de vous obliger paraĂźt avoir Ă©tĂ© le principal motif qui ait portĂ© Ă vous faire du bien, ne vous bornez pas Ă une simple reconnoissance. Imitez, si vous le pouvez, ces terres fertiles,qui rendent beaucoup .plus quâelles nâont reçu. Faites pour vos hienfaicteurs tout ce quâils doivent attendre de lâhomme le plus reconnoissant. Sâils viennent Ă se trouver dans le besoin, profitez des mo- mens, signalez votre zele, & multipliez les marques de votre reconnoissance. Le Cardinal V/olscy , Ministre & des MĆurs. 4x9 favori de Henri VIII Roi dâAngleterre, Ă©tant tombĂ© dans la disgrĂące de son mai- tre, se vit tout dâun coup, comme il arrive dâordinaire, mĂ©prisĂ© des Grands Si haĂŻ du peuple. Fits Williams, un de ses protĂ©gĂ©s, fut le seul qui osa dĂ©fendre sa cause Si faire lâĂ©loge des talens & des grandes qualitĂ©s du Ministre disgraciĂ©. Il fit plus , il offrit sa maison de campagne Ă Wolsey, & le conjura dây venir du moins palier un jour. Le Cardinal, sensible Ă ce zele, alla chez Fies Williams, qui reçut son maĂźtre avec les marques les plus distinguĂ©es de respect & de re- connoiffance. Le Roi instruit de lâaccueil que ce Particulier nâavoit pas craint de faire Ă un homme qui avoit encouru fa disgrĂące, fit venir Williams. Il lui demanda dâun air & dâun ton irritĂ©, par quels motifs il avoit eu lâaudace de recevoir chez lui le Cardinal accusĂ© ,& dĂ©clarĂ© coupable de haute trahison. Sire, rĂ©pondit Williams, je fuis pĂ©nĂ©trĂ© pour Votre MajestĂ© de la fourmilion la plus respectueuse. Je ne suis ni mauvais citoyen ni sujet infidelle. Ce nâest ni le Ministre disgraciĂ© ni le criminel dâEtat que jâai reçu chez moi, câest mon ancien & respectable maĂźtre, mon protecteur, celui qui mâa donnĂ© du pain, & de qui je tiens la fortune & la tranquillitĂ© dont je jouis. Et je lâaurois abandonnĂ© dans 420 LâĂ C O L Ăź son malheur, ce maĂźtre gĂ©nĂ©reux, ce magnifique bienfaicteur ! Ah ! Sire, jâeuiĂźe Ă©tĂ© le plus ingrat des hommes. Surpris & plein dâadmiration, le Roi conçut dĂšs cet instant la plus haute estime pour le gĂ©nĂ©reux 'Williams. Il le fĂźt Chevalier fur le champ, & peu de temps aprĂšs il le nomma son Conseiller-PrivĂ©. Pour le Cardinal Wolsey, le Roi ordonna quâil fĂ»t amenĂ© dans la Tour de Londres. Il mourut en chemin Ă lâĂąge de soixante ans. Il dit, un peu avant fa mort, ces belles paroles HĂ©las ! Ă savais servi le Roi du Ciel avec la mĂȘme fidĂ©litĂ© que j ai servi le Roi mon maĂźtre sur la terre , il ne mâabandonnerait point ne me traitcroit pas dans ma vieillesse comme mon Prince le sait aujourdâhui. Quelque honteuse que soit lâingratitude, elle semble ĂȘtre un vice attachĂ© Ă la condition & Ă la fortune des Grands , parce quâils croient que tout leur est dĂ». La reconnoissance se trouve encore plus rarement dans ces cĆurs vils, dont le principal mobile est lâintĂ©rĂȘt. Mais dans les Ăąmes nobles & gĂ©nĂ©reuses, elle fait Ă©clater les sentimens les plus sublimes & produit les actions les plus hĂ©roĂŻques. Le Chevalier de Forbin, cĂ©lĂ©brĂ© Capitaine de mer fous le regne de Louis XIV, & qui nous a laissĂ© des MĂ©moires trĂšs- curieux, rapporte que Louis XIV ayant des MĆurs. 421 chargĂ© DuquĂšne de bombarder la ville dâAlger, ces Corsaires dĂ©sespĂ©rĂ©s de ne pouvoir Ă©loigner de leurs cĂŽtes la flotte ennemie qui les foudroyoit, prirent, pour sâen venger, lâhorrible rĂ©solution dâattacher Ă la bouche de leurs canons des esclaves François, dont les membres Ă©toient portĂ©s fur les vaisseaux des assiĂ©- geans. Un Capitaine AlgĂ©rien, qui avoir Ă©tĂ© pris dans ses courses, & trĂšs-bien traitĂ© par les François tout le temps quâil avoir Ă©tĂ© prisonnier, reconnut, parmi ceux qui ail oient subir le sort affreux que la rage avoir inventĂ©, un Officier dont il avoir Ă©prouvĂ© les attentions les plus marquĂ©es. A lâinstant il prie, il sollicite, il presse pour obtenir la conservation de son biensaideur. Tout fut inutile. On alloit mettre le feu au canon oĂč lâOfficier François Ă©toit attachĂ©. LâAlgĂ©rien se jette auffi-tĂŽt sur lui, lâembrasse Ă©troitement, & adressant la parole au Canonnier , lui dit Tire. Puisque je ne puis sauver mon hienfaiĂącur, j'aurai du moins la consolation de mourir avec lui. Le Dey qui Ă©toit prĂ©sent Ă cette scene touchante, en fut si frappĂ©, quâil accorda la grĂące de lâOfficier. Lâ Ă C O L E 42L z7z* faisant. Qui doute que le premier devoir de lâhomme en sociĂ©tĂ© ne soit dâavoir de la gĂ©nĂ©rositĂ©, de lâhumanitĂ© , de la bienfaisance? Ces trois vertus font sĆurs, & nous portent Ă©galement Ă faire du bien Ă nos semblables. Mais il est Ă propos de les considĂ©rer ici chacune en particulier, & de rĂ©veiller par des exemples frap- pans cette sensibilitĂ© pour les autres hommes, que la nature a mise en nous. La vue ou le rĂ©cit des actions vertueuses conduit Ă la vertu par le chemin le plus court elles enflamment le courage, & excitent Ă les imiter. Puissent les beaux traits que nous mĂȘlerons Ă nos rĂ©flexions, produire cet heureux effet, & engager ceux qui les liront Ă en ĂȘtre les imitateurs ! Le plaisir quâils goĂ»teront Ă bien faste, augmentera & fortifiera en eux le dĂ©sir de faire encore mieux. La douce satisfaction que Dieu a attachĂ©e Ă la pratique de la vertu, & qui en est dĂ©jĂ , dĂšs cette vie mĂȘme, la rĂ©compense, sans rien diminuer de celle qui est rĂ©servĂ©e dans lâautre, en rendra lâexercice plus agrĂ©able & plus facile. Aufli lâhomme bienfaisant est-il ordinairement gai, parce que les sentimens de gĂ©nĂ©rositĂ© & de des MĆurs. 425 bienveillance Ă©chauffent famĂ©, & la remplissent dâune joie pure, qui est bien au-deisus de fivrelfe des passions. GĂ©nĂ©reux. La gĂ©nĂ©rositĂ© Ă©leve en quelque forte lâhomme au- dessus de lui-mĂȘme, puisquâelle lui fait prĂ©fĂ©rer les intĂ©rĂȘts des autres Ă son propre avantage. DanĂšs , EvĂȘque de La vaut en Languedoc, fut dĂ©putĂ© Ă Paris par le ClergĂ© de fa Province. On voulut lui assigner pour les frais de ce voyage mille livres, somme allez considĂ©rable en ce temps-lĂ . Il les refusa. Le revenu dĂ©mon EvĂȘchĂ© , dit-il, me suffit. La moindre chose que je puisse faire pour mon Esse U pour les Eglises voisines , c est dĂ© entreprendre quelques voyages pour leur rendre service. Elles soufrent assez par les malheurs des temps & par la vexation des HĂ©rĂ©tiques . Rien nâĂ©galoit la gĂ©nĂ©rositĂ© de Sixte- Quint , lorsquâil sâagilfoit de soulager la misere du peuple mais sâĂ©levant au- dessus du faite, & sacrifiant lâappareil de la grandeur personnelle aux intĂ©rĂȘts des malheureux , ilĂ©toitsi mĂ©nager pour fa personne , quâil portoit des chemises usĂ©es, & lâon Ă©toit souvent obligĂ© dây mettre des piĂšces. Camille lui ayant un jour reprĂ©sentĂ© quâil Ă©toit honteux Ă un Souverain Pontife de porter de mĂ©chant linge, il lui rĂ©pondit en riant ; Notrs 424 Lâ Ă C O L E Ă©lĂ©vation , ma sĆur , ne doit pas nous faire oublier le lieu d'oĂč nous sommes sortis / ex p/eccj ĂȘ? les lambeaux font les premiĂšres armes de notre maison. La libĂ©ralitĂ© consiste moins Ă donner beaucoup, quâĂ donnera propos. Celle qui a pour objet de soulager ceux qui sont dans le besoin, est sans doute la plus louable, quoiquâelle ne soit pas toujours la plus Ă©clatante. Sous le regne de Henri III Roi de France, un Juif trĂšs-riche Ă©tant mort fans laitier dâhĂ©ritiers, ce Prince fit prĂ©sent de vingt-cinq mille Ă©cus de cette aubaine Ă Geofioi Camus de PontcarrĂ©. Ce gĂ©nĂ©reux Citoyen les distribua austĂź-tĂŽt Ă trois NĂ©gociais associĂ©s, quâun incendievenoit de ruiner. Ce quâon nomme libĂ©ralitĂ©, nâest souvent que la vanitĂ© de donner, que nous aimons mieux que ce que nous donnons, Une personne vraiment gĂ©nĂ©reuse ne lâest point par ostentation, mais par grandeur dâaine. Le Cardinal Ă 'Est avoit un jour invitĂ© le Cardinal de xMĂ©dicis Ă souper chez lui. AprĂšs le repas, ils se mirent Ă jouer. Il sâagissoit Ă la fin dâune somme de dix mille Ă©cus. Le Cardinal dâEst eut les cartes favorables, mais il les jeta comme sâil avoit eu mauvais jeu, La partie finie, un gentilhomme de fa fuite lui reprĂ©senta que le Cardinal Ă des MĆurs. ' 42s Medicis avoit perdu. Je le savois bien , rĂ©pondit-il; mais je ne lâavois pas invitĂ© chez moi pour lui gagner son argent. Aimer Ă donner, câest la marque dâun bon cĆur & dâune ame noble. Un grand, cĆur, disoit un Roi de Perse, reçoit de petits prĂ©sens d'une main , ĂŒ? en fait de grands de l'autre. M. de Turenne aimoit Ă donner. Cette vertu qui nâest pas celle de la vieillesse, Ă©toit en lui si naturelle, que dans les dernieres annĂ©es de sa vie il rĂ©pandoit lâargent avec plus de facilitĂ© quâil nâavoir jamais fait. Un jour quelquâun de ses amis sâentretenant avec lui fur les richesses, M. de Turenne lui dit Je nâai jamais pu comprendre le plaisir quâon peut avoir Ă garder des cotises plein dâor & dâargent. Pour moi, si Ă la fin de lâannĂ©e il me restoit des sommes considĂ©rables, je croirais que cela me ferait mal au cĆur, comme si sortant dâun festin, on mefervoit encore un grand repas. On doit aimer Ă donner, mais il faut le faire avec prudence & consulter ses moyens. Une personne quâil faudrait renfermer de bonne heure, câest celle qui a le cĆur dâun Roi & la fortune dâun particulier. Il est beau dâĂštre gĂ©nĂ©reux, mais il nâest pas permis dâĂštre prodigue on ne doit employer Ă la gĂ©nĂ©ralitĂ© que ce dont on peut raisonnablement se passer. Quand 416 Lâ Ă C O L E on a tout donnĂ©, il ne reste que la honte dâavoir manquĂ© de sagesse , & dâavoir souvent fait bien des ingrats. Câest ce que fit sentir un jour un ami fidelle Ă un homme de condition & trĂšs - riche, qui avoit le dĂ©faut dâouvrir sa bourse indiffĂ©remment Ă tous ceux qui prenoient auprĂšs de lui le nom dâamis. On peut juger que son argent comptant sâĂ©vanouit bientĂŽt. Pour le dĂ©sabuser & prĂ©venir la ruine qui le menaçoit, son ami supposa quâil avoit un besoin extrĂȘme de deux cents pistoles. Le Gentilhomme gĂ©nĂ©reux offrit aufii-tĂŽtses services pour lui procurer cette somme. 11 fit sa ronde âąchez tous ses amis de cour, Ă qui il avoit âąouvert fa bourse. AprĂšs avoir couru toute une matinĂ©e, il ne rapporta que quatre pistoles. Il travailla le soir sur nouveaux frais, mais sa course fut encore plus ingrate. En vain il sâĂ©puisa tout le lendemain , il nâeut pour toute rĂ©colte de ces deux journĂ©es que neuf ou dix pistoles. Ses amis aussi glacĂ©s que fertiles en dĂ©faites, le rĂ©duisirent Ă la honte de ne pouvoir tenir parole. Il vint lâannoncer Ă lâami pour lequel il sâĂ©toit employĂ©, & lui exprima obligeamment sa douleur. Mais cet ami lui dit Bannissez votre inquiĂ©tude. Je ne suis point en dĂ©faut d'argent , & je nâen ai aucun besoin. J'ai eu recours Ă cette feinte , pour des MĆurs. 427 vous dejĂlhr les yeux U vous convaincre par votre propre expĂ©rience , que vous ne ~ devez pas donner fi facilement votre argent âąĂ tout le monde. Ce dĂ©faut nâĂ©toit pas celui de Chapelain , fameux Auteur du poĂ«me de la Pucelle. Du Perrier , Gentilhomme Provençal, connu par ses excellentes poĂ©sies latines, se trouvant un jour dans le besoin , sâadressa Ă Chapelain. Celui-ci crut lui faire une grande libĂ©ralitĂ©, en lui donnant un Ă©cu. AprĂšs avoir fait cet effort de gĂ©nĂ©rositĂ© , il disoit Nous devons secourir nos amis dans leurs nĂ© ces fitĂ©s , nous ne devons pas contribuer Ă leur luxe. Lâavare qui craint un Ă©cueil, se jette contre un autre il ne donne rien, de peur de sâappauvrir ou dâĂȘtre payĂ© dâingratitude , & il ne faut pas sâen Ă©tonner comment pouroit ĂȘtre bon pour les autres celui qui ne lâest pas pour lui-mĂȘme 2 ? Sâil lui arrive quelquefois dâĂȘtre forcĂ© par les circonstances Ă ĂȘtre libĂ©ral, que de regrets ne lui coĂ»te pas fa fausse gĂ©nĂ©rositĂ© ! combien de fois ne se la reproche- t-il pas en secret ! Souvent mĂȘme son avarice ne peut se dĂ©guiser; elle se dĂ©cele par quelques traits de mesquinerie , qui I Quifibincquamest , cuialii bonus crit? N~-'- 428 LâĂcolĂš lui Ă©chappent, & qui lui ĂŽtent tout Ăźe mĂ©rite de sa libĂ©ralitĂ©. Sa rĂ©putation mĂȘme dĂ©pose contre lui. LâAbbĂ© Regnier, SecrĂ©taire de lâAcadĂ©mie Françoise , y faisoit un jour dans son chapeau la collecte dâune pistole, quâon avoit invitĂ© chaque membre Ă fournir pour quelque dĂ©pense commune. Cet AbbĂ© ne sâĂ©tant pas apperçu que le PrĂ©sident Roses, qui passoit pour ĂȘtre fort avare, eĂ»t mis dans le chapeau, il le lui prĂ©senta une seconds fois. Celui-ci, comme on sây attend bien, assura quâil avoit donnĂ©. Je le crois, dit lâAbbĂ© Regnier , mais je ne lâai point vu. Et moi, ajouta JVI. de Fontenelle, qui Ă©toit Ă cĂŽtĂ© ,je lâai vu , mais je ne le crois pas , Ne vous donnez jamais une rĂ©putation si ridicule vingt traits de libĂ©ralitĂ© nâef- faceroient pas la tache dâun seul trait dâavarice. Soyez gĂ©nĂ©reux dans toutes les occasions oĂč il convient de lâĂȘtre. Mais souvenez - vous que ce ne doit jamais ĂȘtre au prĂ©judice de qui que ce soit. La gĂ©nĂ©rositĂ© cesse dâĂȘtre vertu , dĂšs quâelle nâa pas la justice pour compagne. La rĂ©ponse que fit un jour le Roi de PrĂŒfe actuellement rĂ©gnant, est digne de tous les Ă©loges. Lorsquâil nâĂ©toit encore que Prince-Royal, il avoit comblĂ© de prĂ©sens une Actrice cĂ©lĂ©brĂ©. Etant devenu Roi, il la rĂ©compensa beaucoup des MĆurs. 42s Moins. Cette Actrice ayant ofĂ© sâen plaindre Ă lui- mĂȘme, il lui rĂ©pondit Autrefois Je dcnnois mon argent , aujoui dâhui je donne celui de mes sujets. La gĂ©nĂ©rositĂ© , ainsi que toutes les autres vertus, a ses rĂ©glĂ©s, que nous devons observer avec soin. Celles que donne CicĂ©ron, dans son beau TraitĂ© des Offices ou des Devoirs, font pleines de sagesse. Rien nâest plus conforme Ă la nature de lâhomme, nous dit-il, quâune inclination bienfaisante & libĂ©rale mais elle demande beaucoup de prĂ©cautions. Elle ne doit ĂȘtre nuisible ni Ă ceux auxquels nous voulons faire du bien, parce que ce seroit plutĂŽt leur faire du mal, ni aux autres, parce quâelle seroit injuste & quâil nây a point de vraie gĂ©nĂ©rositĂ© sans justice. Elle doit ausix ĂȘtre proportionnĂ©e Ă nos moyens. Ceux qui veulent ĂȘtre plus gĂ©nĂ©reux que leur bien ne le permet, ou font cruels Ă eux-mĂȘmes, en sâĂŽtant ce qui est nĂ©cessaire Ă lâentretien de la vie, OU se rendent coupables dâinjustice Ă lâĂ©gard de leur famille, en faisant passer Ă des Ă©trangers ce quâil 'seroit plus Ă©quitable de donner ou de laisser Ă leurs proches. Enfin, continue le judicieux Moraliste que nous abrĂ©geons, notre gĂ©nĂ©rositĂ© 4p Lâ Ă e o l e doit ĂȘtre rĂ©glĂ©e sur le mĂ©rite. Ainsi dans ses bienfaits il faut prĂ©fĂ©rer les gens de bien, & en exclure les mĂ©dians, car ceux-ci en font indignes. Pour entretenir parfaitement la sociĂ©tĂ© qui unit les hommes , on doit aussi donner la prĂ©fĂ©rence Ă ses parens, Ă ses amis, Ă ses concitoyens, & fur-tout Ă ses bienfaicteurs, car il nây a point de devoir plus indispensable que la reconnoiisance. Mais soit quâil sâagisse de prĂ©venir quelquâun ou de rendre un bienfait, nous devons, si tout est Ă©gal dâailleurs, prĂ©fĂ©rer celui dont le besoin est le plus grand. Donnez volontiers, & recevez difficilement, si vous pouvez vous en passer il vaut mieux engager les autres Ă la reconnoissance, que de leur en devoir. Il y a des gens qui donnent peu, & qui attendent beaucoup. Si votre reconnoissance ne rĂ©pond pas Ă lâidĂ©e quâils ont conque des obligations que vous leur avez , ils sâen plaignent hautement, parlent Ă tout le monde de votre ingratitude, vous en font souvent des reproches Ă vous-mĂȘme, A font quelquefois acheter bien cher ce quâils ont donnĂ©. Ne recevez que le moins que vous pouvez de ces sortes de personnes, & jamais de celles qui nâoffrent que par cĂ©rĂ©monie ou par politesse. Un Gentilhomme Napolitain faisoit voir une belle montre Ă un des MĆurs. 431 Gentilhomme François. Celui-ci la trou, ve admirable. Aussi-tĂŽt le Napolitain, en homme poli, la lui offre par honnĂȘtetĂ©. Le François lâaccepte. Lâautre qui ne sây attendoit pas , lui dit, Ah! que faites- vous , Monsieur ? vous allez bannir du monde la politesse. _ âp. Humain. LâhumanitĂ© nous porte Ă regarder tous les hommes comme nos freres , & Ă leur faire le plus de bien que nous pouvons, quand ils ont besoin de nous. Cette aimable vertu est fondĂ©e fur la nature, qui nous incline Ă nous intĂ©resser en faveur de nos semblables. 11 suffit quâune personne paroisse Ă©mue & affligĂ©e, pour noiis Ă©mouvoir & nous attendrir en fa faveur. Les larmes dâun inconnu nous touchent, avant mĂȘme que nous en sachions la cause ; & les cris dâun homme qui ne tient Ă nous que par lâhumanitĂ©, nous font courir Ă son secours par un mouvement naturel qui prĂ©cĂ©dĂ© toute dĂ©libĂ©ration. Un cĆur humain est en quelque forte plus touchĂ© du mal dâautrui que du sien propre. AprĂšs la bataille de Dettingen, un Mousquetaire François dangereusement blessĂ©, avoit Ă©tĂ© portĂ© prĂšs de la tente du Duc de Cumberland fils du Roi dâAngleterre. On manquent de Chirur- 4?Ăź Lâ Ă c o l Ăź giens dans ce moment , parce quâils Ă©taient fort occupĂ©s ailleurs ; & lâon alloit panser le Prince, Ă qui une balle avoit percĂ© les chairs de la jambe. Commencez , dit-il , par soulager cet Officier François, U eji plus blejjĂ© que moi il manquerait de secours , je rien manquerai pas,, Cette belle action ne fit pas moins dâhonneur Ă ce jeune Prince , que la victoire quâil venoit de remporter. Cette sensibilitĂ© , cette pitiĂ© que nous Ă©prouvons Ă la vue des malheureux, nâest pas une honteuse foiblesse ,, comme lâa prĂ©tendu la farouche Ecole du Portique ; . Câest au contraire un sentiment qui fait honneur Ă lâhumanitĂ© il est lâapanage des cĆurs bien faits, & une des plus fortes preuves que le monde est gouvernĂ© par une Sagesse souveraine, qui sait conduire tout Ă ses fins. Ayant destinĂ© les hommes Ă vivre dans une sociĂ©tĂ© , oĂč il y auroit nĂ©cessairement des affligĂ©s & des misĂ©rables , le CrĂ©ateur, toujours attentif aux besoins de ses en- faits, a imprimĂ© dans nous le sentiment de 3 Les StoĂŻciens regardoient la pitiĂ© comme vire fbiblcfle mais il faut avouer que cette doctrine elle- mĂȘme fait pitiĂ©, & que cĂŽtoient fur ce point de pauvres Philosophes, quoiquâils fusseut dâailleurs les plus sensĂ©s, ou, li lâon veut, les moins dĂ©raison» suçbdcs des anciens Puilosophes, des MĆurs. 4;; de la pitiĂ©, qui nous fait Ă©prouver une vive douleur Ă la vue du malheur dâautrui, & qui nous engage Ă le soulager pour nous soulager nous-mĂȘmes. En voici un bel exemple. Peu de temps aprĂšs la bataille de F011- tenoy, gagnĂ©e par les François en 174s, le MinistĂšre Anglois rĂ©solut dâenvoyer Ă lâarmĂ©e des AlliĂ©s un renfort considĂ©rable de troupes tirĂ©es de celles qui Ă©toient restĂ©es en Angleterre. Il y eut un corps de celle-ci, qui eut ordre de se rendre dans le parc de Saint-James ; pour que les Officiers fissent le choix des meilleurs sujets qui le composoient. Parmi les spectateurs , il se trouva une jeune personne de seize ans, qui, vĂȘtue en paysanne, intĂ©ressoit tout le monde par lâair triste & inquiet quâon remarquoit en elle. CâĂ©toit la femme dâun des soldats dont on alloit dĂ©cider le fort. Il Ă©toit le fils dâun riche Fermier. Son pere avoir fait tout son poffible pour obtenir son dĂ©gagement mais comme il Ă©toit bien fait » fort & vigoureux, son Capitaine avoit refusĂ© toutes les offres quâon lui avoit faites. Auffi-tĂŽt quâil fut nommĂ© pour ĂȘtre un de ceux qui dĂ©voient passer la mer, la jeune femme fondit en larmes, se trouva mal, & dĂšs quâelle fut revenue, elle alla se jeter aux genoux du Caph taine de son mari. Tout le monde pleu- Tome I. T 4?4 LâĂcole roit le Capitaine seul Ă©toit ferme. HĂ© bien, dit la malheureuse femme, je le suivrai, je partagerai avec lui tous les pĂ©rils auxquels il fera exposĂ©. En disant cela, elle embrafloit son mari, & cou- vroit son visage de ses larmes. Tout-Ă - coup un jeune homme se prĂ©sente Ă lâOfficier Monsieur , lui dit-il, ces jeunes gens s'aiment , ils font heureux , la femme ejl enceinte moi je nai ni femme, ni pere , ni enfans , recevez - moi en la place de cet infortunĂ© jeune homme. Je fuis fort b vigoureux , ÂŁâą? en Ă©tat de supporter comme lui les fatigues de la guerre. Avez- vous du goĂ»t pour le service, lui demanda lâOfficier ? Aucun , rĂ©pondit le jeune homme; U la plus grande rĂ©compense ne pouroit mĂȘme pas me dĂ©terminer Ă prendre le parti des armes. Je nai dâautre motif que de rendre service Ă ce malheureux soldat. LâOfficier Ă©tonnĂ© & attendri lui accorda sa demande, fit son engagement, & Ă©crivit le congĂ© du soldat qui Ă son tour refusa de le recevoir. Il ne fallut pas moins, pour le dĂ©terminer Ă ce quâon exigeoitde lui, que lâassu- rance positive que lui donna lâOfficier quâil nâĂ©toit plus soldat, & lâordre quâil lui intima de quitter Ă lâheure mĂȘme son habit & ses armes, & de les remettre Ă celui qui avoit pris fa place. Alphonse - le - Grand , Roi dâAragon » bes MĆurs. 4?f donna auiĂźl un exemple, bien admirable dans un Prince, delĂ sensibilitĂ© compatissante quâexcite la vue des malheureux. Une galere chargĂ©e de soldats & de matelots alloit pĂ©rir. Il commanda quâon les secourĂ»t. Mais voyant que le pĂ©ril em- pĂȘchoit quâon nâexĂ©cutĂąt ses ordres, il se mit lui-mĂȘme dans une chaloupe pour voler Ă leur secours. Il dit Ă ceux qui lui reprĂ©sentoientle danger auquel il sâexposait J'aime mieux ĂȘtre le compagnon que le speĂąateur de leur mort. On demande quelquefois fi câest un bonheur dâĂȘtre nĂ© sensible il vaudroit autant demander si câen est un dâĂȘtre nĂ© homme. La sensibilitĂ© naturelle, il est vrai, si elle se porte vers des objets dĂ©rĂ©glĂ©s, si elle se change en amour-propre ou en fol amour , peut devenir pour les autres & pour nous-mĂȘmes un grand mal & la source du malheur ; mais elle peut auffi devenir un grand bien & contribuer Ă notre bonheur, si nous la rendons lâorgane de lâamitiĂ©, de la recon- noissance, de la bienveillance, de lâhumanitĂ© ; & câest Ă quoi il faut particuliĂ©rement sâappliquer dans lâĂ©ducation, en Ă©levant lâenfant de maniĂšre quâil sâoccupe plus des autres que de lui-mĂȘme. Si au contraire on paroĂźt trop sâoccuper de lui, si on lâaccoutume Ă sâoccuper plus de lui-mĂȘme que des autres, il fera dur ; 4? 468 Lâ Ă c o l E railleries arriĂ©rĂ©s ou de mauvaises façons; câest vouloir se faire des ennemis & ^sâexposer Ă entendre quelquefois des vĂ©ritĂ©s dĂ©sagrĂ©ables. AprĂšs la mort du Pensionnaire Barnevelt , ses enfans firent une conspiration contre le Prince dâOrange, pour venger leur pere quâil avoir fait mourir 'injustement. LâaĂźnĂ© fut pris & convaincu. Madame Barnevelt demande audience Ă ce Prince, & le prie de lui accorder la grĂące de son fils. Il la lui refusa dâune maniĂ©rĂ© assez insultante , en lui disant quâil Ă©toit surpris de la voir demander grĂące pour son fils, elle qui ne lâa voit point demandĂ©e pour son mari. Cette Dame piquĂ©e de ce reproche, lui rĂ©pondit avec beaucoup de noblesse & de fiertĂ© Je n'ai pas demandĂ© la grĂące de mon Ă©poux, parce qu'il Ă©toit innocent mais je demande celle de mon fils , parce qu'il esi coupable. Et elle se retira. Ceux qui sont dans le cas dâaccorder beaucoup, se trouvent aussi dans la nĂ©cessitĂ© de refuser souvent. Mais une parole honnĂȘte & polie est une grĂące , dont ils ne doivent pas ĂȘtre si avares, puisquâils font toujours les maĂźtres de lâaccorder. Louis XIV y manquoit rarement; & si ses refus avoient eu quelque chose de dĂ©sagrĂ©able , il savoir mieux que personne le rĂ©parer , comme il fit Ă lâegard de Madame de Maintenon. On des MĆurs. 46H fait que cette Dame, dont le mĂ©rite Ă©toit Ă©gal Ă la beautĂ©, se trouvant pauvre & sans ressource, fut mariĂ©e au PoĂ«te Scarron , si cĂ©lĂ©brĂ© dans le dernier siede par son esprit aussi grotesque que sa figure. AprĂšs la mort de ce PoĂ«te , dont le principal bien Ă©toit une pension de deux mille livres quâil tiroit de la Cour, elle employa tous ses amis & toutes ses protections pour obtenir que la pension lui fĂ»t continuĂ©e ; mais ce fut inutilement. Le Roi fut mĂȘme si rebutĂ© du grand nombre de placets quâon lui prĂ©senta Ă ce sujet, quâil dit Entendrai-je toujours parler de la veuve Scarron ? Quelque temps aprĂšs , elle plut Ă Madame de Montespan , par un compliment flatteur quâelle lui fit, lorsque sur le point de partir pour le Portugal, elle lui dit quâelle nâavoit pas voulu quitter la France sans en avoir vu la merveille. Madame de Montespan lâengagea Ă rester ; & ayant appris dâelle le triste Ă©tat de ses affaires , elle lui demanda un nouveau placer, quâelle se chargea de prĂ©senter au Roi. Lorsquâelle prĂ©senta ce placer Qiioi , sâĂ©cria le Roi, encore la veuve Scarron ! Sire, lui dit Madame de Montespan, il y a long-temps que vous ne devriez plus en entendre parler il est Ă©tonnant que Votre MajestĂ© n>âait pas encore Ă©coutĂ© une femme, dont les an- 470 LâĂcole des MĆurs. cĂȘtres se sont ruinĂ©s au service des vĂŽtres. La pension fut accordĂ©e. Madame Scarron alla remercier fa bienfaictrice, qui fut si charmĂ©e des grĂąces de sa conversation , quâelle la prĂ©senta au Roi. Ce Monarque , qui Ă beaucoup dâesprit joignoit beaucoup de politesse , & qui, comme on lâa dĂ©jĂ vu , savoit tourner un compliment gracieux , lui dit Madame , je vous ai fait attendre longtemps j mais vous avez tant d'amis , que jâai voulu avoir seul ce mĂ©rite auprĂšs de vous. Fin du premier Volume. 47i table DES MAXIMES Contenues dans le premier Volu me. IrrĂ©flexions prĂ©liminaires fur lâEdu- . cation , pag. i De s Education physique , % ~ ' io I. La Raison, La Religion , ibid. IL 14 III. Le C,araciere , 22 IV. Les MĆurs , 41 V. V AutoritĂ© & lerefpecf, 48 VI. Les Punitions , 5? VII. Les Sentimens , 65 VIII. Les temps E-? la maniĂ©rĂ© d'instruire, 74 IX. Modele dâEducation, 89 Du PrĂ©cepteur ou Gouverneur , 98 Des Exercices propres Ă perfectionner V Education , 112 Les Maximes de ĂŻhonntte-homme ou de la Sagesse , IL! I. Craignez un Dieu vengeur U tout ce qui le hieĂe , . 12/ II. Ne plaisantez jamais ni de Dieu ni des Saints, isj III. Qiie votre piĂ©tĂ© soit sincere Es? solide , 172 TABLE. Et quâĂ tous vos discours la vĂ©ritĂ© prĂ©side, IV. Tenez votre parole inviolablemcnt , Mais ne la donnez pas inconsidĂ©- rĂ©ment , 21? V. Soyez officieux, 216. Complai- feint, 22/. Doux, 250. affable, 244. Poli, 2/1. D'humeur Ă©gale, 274. Et vous ferez aimable , 278 VI. Du pauvre qui vous doit , ri augmentez point les maux, 288 Payez Ă l'ouvrier le prix de ses travaux , 29L VII. Bon pere , 501. Bon epoux, 514 Bon maĂźtre, fans faiblesse, ? /? Honorezâvos parens, fur-tout dans leur vieillesse, 578 VIII. Du bien quâon vous a fait , soyez reconnaissant, 410 Montrez-vous gĂ©nĂ©reux , 422. Humain, 451. Et biensaifant, 448 IX. Donnez de bonne grĂące une belle maniĂšre ajoute un nouveau prix au prĂ©sent qu'on veut faire, 46; Fin de la Table du premier Volume. MM O wagt l\- >';* * wi &.&âą , v- . A>'. â Aa* ' ECOLE DES Ć r R S ->>-Ăź S G » fv , "âĂĂż ..T âą*' , J âą ;' .O, L Ă C O L E DES M&URS. » = - jq &i g. -y . TOME SECOND. _ i L'ĂCO I E DES. MĆURS , O U RĂFLEXIONS MORALES ET HISTORIHUES SUR LES MAXIMES DE LA SAGESSE. Ouvrage utile aux jeunes gens & aux autres personnes, pour se bien conduire dans le monde. NOUVELLE ĂDITION, Revue & corrigĂ©e avecfoin , gf augmentĂ©e de plusieurs nouveaux traits dHistoire. Par M. lâAbbĂ© BLANCHARD, Chanoine dâAvenay. TOME SECOND. mmiii'l MM A L Y O 2V, Chez BRUYSET FRERES, M. DCC LXXXVIII. Avec Approbation es? PrivilĂšge du Roi. / iBiUMLE^SlS DES ME UR S , O U RĂFLEXIONS MORALES ET HISTORIQUES suu LES MAXIMES DE LâHONNĂTE HOMME. X. Rappelz rarement un service rendu. Le bienfait qu'on reproche est un bienfait perdu. ĂJne ame gĂ©nĂ©reuse ne perd jamais la mĂ©moire des biens quâelle a reçus , mais elle oublie ceux quâelle a faits. Ce quâelle se croit sur-tout interdit, câest dây penser pour en faire des reproches, Tome IL A 2 Lâ Ă C O L E ou pour ies rappeler mĂȘme Ă la personne quâelle a obligĂ©e, Elle croiroit en perdre le mĂ©rite & la gloire , li elle les temet- âą toit fous les yeux dâun ami ce souvenir nâest honorable L ne convient quâĂ lui. Sâil est plus doux de faire du bien Ă ceux qui en auront de la reconnoiifance, il y a plus de vertu & de grandeur dâatne Ă en faire Ă ceux de qui lâon nâattend rien. La rĂ©compense de lâhomme bienfaisant est dans son cĆur. Il nâest jamais la dupe dâun ingrat, parce quâil lerem! toujours le tĂ©moignage dâavoir fait son devoir, dâavoir pratiquĂ© une vertu. Dâailleurs, sâil a obligĂ© fans espoir de retour de la part des hommes, il nâa pas renoncĂ© au prix que le Ciel a bien voulu attacher Ă la bienfaisance i. LĂ©opold , Duc de Lorraine, avoir comblĂ© de bienfaits une personne qui fut ingrate. On en parla au Prince, qui rĂ©pondit Je ne dois pas me plaindre de son ingratitude, puisque je ne l'ai obligĂ©e que pour moi. En secourant les malheureux, que ce {bit le dĂ©sir de soulager nos semblables Ci Le dĂ©sintĂ©ressement prĂ©tendu n^ble 8c hĂ©roĂŻque que vantent nos Phjlofophes , & qui exclut la vue mĂȘme des rĂ©compenses divines pour prix de nos bienfaits, servit une pitoyable ÂŁ lie. La raison ne peut approuver qu'on oblige Ă pure perte ; & le regret d'avoir perdu un bienfait seroit juste, sâil Ă©coit vraiment perdu pour lâautre vie autant que pour celIe*cL des MĆurs- 5 qui nous y engage, & dâautres vues plus grandes encore quâinspire la religion. Citie le vil motif de lâintĂ©rĂȘt ni lâespĂ©rance mĂȘme de la gratitude , ne soient pas ce qui nous dĂ©termine nous ferions Ăźouvent trompĂ©s dans notre attente. Songeons Ă bien frire, plaçons nos bienfaits le mieux quâil nous fera passible, & lais, sons Ă ceux que nous avons obligĂ©s le foin de la reconnoĂfance. Ne comptons pas mĂȘme beaucoup lĂ -deifus le monde est plein dâingrats. Mais, comme dit fort bien LaBruyere, il vaut mieux sâexposer Ă Pin . gratitude , que de manquer aux misĂ©rables.. La crainte de faire des ingrats ne doit donc pas nous empĂȘcher dâouvrir, en faveur des indigens, la main de la bienfaisance. Devons-nous nous attendre h ĂȘtre mieux traites que Dieu mĂȘme ? Ses plus grands bienfaits ne font ils pas les plus grands ingrats ? Ceux quâil a comblĂ©s de biens ne font-ils pas souvent ceux qui en abusent le plus, & qui le fervent le plus mal ? Lâingratitude que les hommes auront pour nous, pour» nous devenir plus avantageuse que leur reconnoilfmce, en Ă©purant notre vertu » en nous rendant plus agrĂ©ables & plus semblables Ă Dieu 2. 4 - t ! 2 Eritit filii yAltiJJĂźmi , quia bsnĂŻgnm est fuser ingr&- ÂŁ? malos. Lac. 6. A % 4 Lâ Ă C O L E Quoique l'ingratitude soit un mon lire qui naifle comme, de lui-mĂȘme dans le cĆur de lâhomme, & y produise les fen- timens les plus odieux, il faut avouer aulli que si lâon vouloir pĂ©nĂ©trer les intentions de la plupart de ceux qui font du bien, on dĂ©couvrirait souvent que les reproches dâingratitude quâils font, font autli mal fondĂ©s que leurs droits Ă la reconnoissance. Combien de personnes font les premiers auteurs de lâingratitude dont elles se plaignent! La bienfaisance pure eil presque aulli rare que la vraie reconnoiflance. Ce nâest pas que nous prĂ©tendions exculĂȘr aucun ingrat quel que soit le motif qui nous ait engagĂ©s Ă faire du bien, nous devons toujours le recon- noitre. Mais voulez-vous quâon en ait de la reconnoiflance obligez avec zele, avec aflsection, & dans la vue de faire plaisir. TĂ©moignez de la joie, de lâestime, de lâempressement; & lâon vous tĂ©moignera de la gratitude. Ayez foin fur-tout de ne point perdre le fruit ni le mĂ©rite du bien que vous faites, par de mauvaises maniĂ©rĂ©s qui le precedent, qui lâaccompagnent, ou qui le suivent. Les plaintes & les reproches ne guĂ©rissent de rien , & ne servent ordinairement quâĂ faire mĂ©priser ceux qui les font. Celui qui reproche ses bienfaits & D E S M Ć U R S. f ses services, montre quâil nâa obligĂ© que par vanitĂ© ou par intĂ©rĂȘt. 11 y a des gens qui vous rĂ©pĂštent Ă©ternellement quâils vous ont fait ce que vous ĂȘtes. Est-il rien de plus cruel? & ne leur auroit-on. pas plus dâobligation de ne leur en point avoir? Quelquâun reprochant Ă une personne quâelle lui devoir tout ce quâelle Ă©toit ? Cela Ă©tait vrai il nây a quâun moment , reprit lâautre ; mais Ă prĂ©sent cela ne lâest plus. Sâil y a souvent de la duretĂ© & peu dâhonneur Ă reprocher le bien que nous avons fait, il est quelquefois permis de le rappeler , pour engager Ă la reccn- noiffance quâon doit avoir & qui nous est devenue nĂ©cessaire. Un Soldat Romain al!oit ĂȘtre jugĂ© par lâEmpereur Prince, lui dit-il, reconnoitriez-vousle Soldat qui, pour Ă©teindre lâardeur de votre sois, vous apporta de lâeau dâune fontaine? Oui, rĂ©pondit lâEmpereur, mais ce nâest pas toi. Vous avez raison de ne pas me reconnaĂźtre , rĂ©pliqua le Soldat, car fai perdu depuis ce temps-lĂ un mil en combattant pour vous. . LâEmpereur lâayant envisagĂ© avec plus dâattention, reconnut ses traits, & le rccompen/Ii. A ; Ne publiez jamais aucun bien que voit ' faites II faut le mettre au rang des affaires sĂ©crĂ©tĂ©s. Ă-/E grand Corneille dit de mĂȘme dans une de ses PiĂšces Un bienfait perd fa grĂące Ă le trop publier Qui veut juâon sâen souvienne, il le doit oublier. La vraie bienfaisance aime le secret. Elle ressemble Ă ces grands fleuves, qui se retirent en silence des terres fur les. quelles ils ont portĂ© la fertilitĂ© & les richesses. Que celui que vous avez secouru lâignore, sâil se peut. Nâimitez pas ces bienfaicteurs orgueilleux,qui publient par-tout quelques actes de gĂ©nĂ©rositĂ© que lâolfentation leur a fait faire, & qui sonnent de la trompette , afin que toute la terre sache le bien quâils ont fait Ă des malheureux. Que leur orgueil rend leurs bienfaits redoutables & quelquefois hu- milians ! Quâils apprennent du beau trait suivant, la maniĂ©rĂ© dont les Ăąmes vraiment gĂ©nĂ©reuses aiment Ă faire le bien. Grimaldi , cĂ©lĂ©brĂ© Peintre 5c Graveur Italien, aulii distinguĂ© par la nobleflĂš des MĆurs.* 7 de ses scntimens & par fa gĂ©nĂ©rositĂ©, bienfaisante que par ses taĂźens , apprit lâĂ©tat misĂ©rable dâun Gentilhomme Sicilien, qui Ă©toit logĂ© prĂšs de lui. Il alla plusieurs fois jeter en secret de lâargent dans sa chambre. Mais le Gentilhomme ayant guettĂ© son bienfaicteur, & lâayant surpris, se jeta Ă ses pieds plein de recon- noillance. Grimaldi lui dit en le relevant saur ois goĂ»tĂ© doublement le plaisir devons avoir obligĂ© , fi favois pu vous Ă©pargner la peine de mâen ĂȘtre redevable. Ce nâest pas quâil faille toujours couvrir des voiles du secret les fruits de sa bienfaisance. On doit, pour lâĂ©dification, pour lâexemple, les laitier quelquefois , pour ainsi dire, percer dâeux-mĂȘmes & paroĂźtre au grand jour. Mais ce quâon doit fur-tout Ă©viter, câest lâostentation qui veut tout faire avec Ă©clat, lĂ ns dis. cerner les circonstances oĂč la libĂ©ralitĂ© elle-mĂȘme demande Ă ĂȘtre connue, de celles oĂč elle veut quâon Ă©pargne aux malheureux la honte de recevoir. Voulez-vous savoir comment il faut donner mettez-vous Ă la place de celui qui reçoit. Le fameux MĂ©decin Du Moulin , ayant Ă©tĂ© appelĂ© dans un Couvent pour une jeune Demoiselle dâune trĂšs-grande naissance, mais fort pauvre, on lui en fit lâaveu en tremblant, dans la crainte que »'Ă©tant pas payĂ© il ne revint plus. 11 A 4 8 Lâ Ă C O L E revint cependant, & il Initia un rouleau de dix louis dâor, afin que dâune partie de cet argent on pĂ»t le payer , & que les allistans ne sâapperçuffent pas de lâinsuffisance des moyens de la malade. 11 est beau, il est grand de ne pas vouloir ĂȘtre louĂ© du bien quâon a fait, de ne pas mĂȘme en souffrir les justes remer- cimens, quelque dĂ©licat que soit ce plaisir , qui semble ĂȘtre la plus innocente rĂ©compense du bienfait. Henri II, Roi de France, ayant offert la place dâAvocat- gĂ©nĂ©ral Ă M. de Mesme, ce Magistrat prit la libertĂ© de reprĂ©senter Ă Sa MaiestĂ© que cette place nâĂ©toit pas vacante. Elle lâest, rĂ©pliqua le Roi, parce que je fuis mĂ©content de celui qui la remplit. Pardonnez-moi, Sire, rĂ©pondit modestement JM. de Mesme, aprĂšs avoir fait lâapologie de lâaccusĂ© J'aimerais mieux gratter la terre avec mes ongles , que d'entrer dans cette charge par une telle porte. Le Roi eut Ă©gard Ă sa remontrance, & laiißà lâAvocat-gĂ©nĂ©ral dans sa place. Celui-ci Ă©tant venu le lendemain pour remercier sonbienfaicteur, M. de Mesme eut beaucoup de peine Ă souffrir quâil lui fĂźt des remercimens pour une action qui Ă©toĂŻt, disoit-il, dâun devoir indispensable, & auquel il nâa ut oit pu manquer sans se dĂ©shonorer lui-mĂȘme pour toujours. La plupart des personnes bienfaisantes D E S M Ć U R ft 9 sâattendent du moins Ă ce lĂ©ger tribut de la reconnoissance, & elles ont quelquefois la foibleife de Sâen plaindre , lors, quâon ne le paye point Ă leur amour- propre. Câest que la vanitĂ© , cette ennemie cachĂ©e de la vertu, se mĂȘle souvent, mĂȘme Ă notre insçu,dans le bien que nous faisons, pour lâaltĂ©rer ou le corrompre. Elle se glisse mĂȘme dans les libĂ©ralitĂ©s les plus saintes on nâest pas fĂąchĂ© que les hommes sachent ce que lâon fait pour Dieu ; & lâon regarde presque pour perdues les aumĂŽnes ignorĂ©es. MĂȘlante, lâune des plus riches & des plus vertueuses Dames Romaines, ayant oui parler dâun saint AbbĂ©, alla le voir & lui porta trois cents livres de vaisselle dâargent, quâelle le pria de vouloir bien recevoir, comme une part des richesses que Dieu lui avoit donnĂ©es. Le saint AbbĂ© se contenta de lui rĂ©pondre Dieu veuille rĂ©compenser votre charitĂ© ! & se tournant vers son Econome, il lui dit Prenez ceci, , U dis- tribnez-le aux Mouajleres les plus pauvres . MĂ©lanie, voyant quâil ne lui'disoit pas une feule parole pour , lui tĂ©moigner lâestime quâil faisoit dâun prĂ©sent si considĂ©rable, lui dit MonPere, je ne fais pas fi vous faites attention que ce que je vous ai donnĂ© je monte Ă trois cents livres d'argent. Ma Elle, lui rĂ©pondit le saint AbbĂ©, celui Ă qui vous avez fait ce pri- A f JO V Ă C O L E sent, nâa pas besoin de savoir combien il pese, puisque pesant mĂȘme les montagnes & les forĂȘts dans ses divines balances, il ne peut ignorer quel elt le poids de votre argent. Sainte MĂ©ianie rougit du petit sentiment de vanitĂ© quâelle avoir eu elle remercia celui qui le lui avoir fait remarquer, & profita de cette leçon pour la suite. La bienfaisance ressemble Ă ces parfums prĂ©cieux, qui sâĂ©vaporent dĂšs quâon les dĂ©couvre. Vous faites bien voulez- vous faire mieux Ă Que je ne lĂąche pas que vous faites bien, ou que je ne vous soupçonne pas du moins de me lâavoir appris. Pourquoi appeler en confidence un tiers entre le Ciel & vous ? LĂ©opold, ce Prince bienfaisant dont nous avons dĂ©jĂ souvent parlĂ©, ainioit Ă faire du bien sans quâon le sut. Un Gentilhomme qui ne lui avoit jamais rien demandĂ©, quoiquâil FĂ»t dans le besoin , jouoit avec lui & gagnoit beaucoup. Vous jouez bien malheureusement, dit-il au Prince, & ne seroit-ce pas un effet de votre bontĂ© ? Jamais, rĂ©pondit LĂ©opold , la fortune ne mâa mieux servi , mais je devais seul m'en La fĂȘte que la Ville de Paris donna en 1770, dans la Place de Louis XV, au sujet du mariage du Dauphin Louis- rfugujĂŻe, avec Antoinette dâAutriche- dĂ«s MĆurs. ii Lorraine, fut terminĂ©e, comme on fait» par un dĂ©faltre affreux, oĂč cent trente- deux personnes pĂ©rirent, & un grand nombre furent blessĂ©es. Dans le moment mĂȘme quâon faifoit au jeune Dauphin le rĂ©cit de ce funelle accident, on lui apporta les six mille livres que le Roi lui donnoit tous les mois pour ses menus plaisirs. Un de ses Valets-de-'chambre alloit serrer cet argent. Le Prince lui ordonna de le mettre dans une boite, & dâappeler un Page. 11 Ă©crivit enfuit quelques lignes; & aprĂšs avoir cachetĂ© son billet, il le donna, avec la boĂźte, Ă un Page, pour le porter en diligence Ă M. de Sartine , Lieutenant-gĂ©nĂ©ral de Police ; avec ordre de garder fur cette commission le plus grand secret, & de rapporter Ă lui seul la rĂ©ponse du Magistrat. 11 lui Ă© cri voit quâil avoit appris le malheur arrivĂ© Ă son occasion, quâil en Ă©toit pĂ©nĂ©trĂ©, & quâil lui envoyoit, pour secourir les plus malheureux, ce que le Roi lui donnoit tous les mois pour ses menus plaisirs; ne pouvant disposer que de cela. Quand le Page fut revenu avec la rĂ©ponse de M. de Sartine, le Dauphin, aprĂšs lâavoir lue, la dĂ©chira, en jeta les morceaux au feu, & rentra dans son cabinet. Heureux les Princes qui pensent si noblement! Plus heureux encore les peuples qui ont de tels Princes ! XII. PrĂȘtez avec piaiĂr , mais avec jugement. Tl faut prĂȘter volontiers & gratuitement Ă ceux qui fait dans le besoin -, câest un acte de charitĂ© chrĂ©tienne mais il taut le faire avec prudence. Câett un dĂ©faut de prĂȘter trop facilement & Ă toutes sortes de personnes, parce quâon en eit souvent la dupe.,, Plusieurs, dit le Sage, ont regardĂ© ce quâils empruntoient comme sâils iâavoierit trouvĂ©, & ont tait de la peine Ă ceux qui les avoient secourus. Ils baitent la main de celui qui leur prĂȘte son argent, jusquâĂ ce quâils lâaient requ, se ils lui font des promelses avec des paroles humbles & soumises. Mais quand il tĂ ut rendre, ils demandent du temps, ils tiennent des discours pleins dĂ© chagrins & de murmures CO- Quelquâun, dont la prĂ©sence & les assiduitĂ©s vous ennuient & vous fatiguent, vous demande-1 il Ă emprunter profitez de lâoccasion ; prĂȘtez-lui bien vite, & soyez sĂ»r que vous ne le verrez plus de loue-temps. / âą âą âą âą Ăą foqHttur virba itoHi .CCH. 2 % DES M Ć U R S. 1$ Lâingratitude & lâinjustice de quelques- uns ne doivent pas nĂ©anmoins nous rendre durs, & nous exposer Ă ĂȘtre injustes nous-mĂȘmes, en refusant gĂ©nĂ©ralement de prĂȘter. 11 y a des cas oĂč la charitĂ© oblige Ă le faire quand on le peut câest une vĂ©ritable aumĂŽne que de secourir ainsi ceux qui sont dans la nĂ©cellitĂ©.,, Plusieurs , dit lâAuteur sacrĂ© de lâ EcclĂ©fiafli- qne, Ă©vitent de prĂȘter, non par duretĂ©, mais par la crainte quâils ont quâon ne les trompe. Pour vous, usez de bontĂ© envers le misĂ©rable, & ne diffĂ©rez pas Ă lui accorder la grĂące quâil vous demande. Asiistez le pauvre , parce que Dieu lâordonne ; & ne le renvoyez pas les mains vides, parce quâil est dans la misere. Perdez votre argent pour votre frere & pour votre ami, & ne le renfermez pas dans vos coffres, oĂč il fĂ©roit bien plus perdu pour vous. Employez votre trĂ©sor Ă accomplir les commande- mens du TrĂšs-Haut, & il vaudra mieux .que tout lâor du monde a. â PrĂȘtez, gratuitement & fuis aucune vue dâintĂ©rĂȘt. Câest le beau & noble prĂ©cepte de 1 â 5. Ceux qui agissent 2 . ... Fone thesaiirum tmm in prtceptis foderti Ubi magij .j uĂ tn aurum. Eccii. 29. Z BĂŻĂŒefaciis & muiithw date , nihil indc fier finies , Lus. 0- i4 Lâ Ă c o i e autrement, nâont ni honneur ni religion. Leur cĆur insensible Ă la ruine des malheureux, que la nĂ©cessitĂ© ou la dĂ©bauche engage Ă courir Ă leur perte, lâest encore plus aux cris de leur conscience. Dans le temps de la vendange, un Vigneron se trouva sans argent, pour avoir des tonneaux. 1! lui en falloir Ă quelque prix que ce fĂ»t. Il prend le parti dâen aller chercher chez un usurier. Morbleu, mon ami , lui dit celui-ci, vous prenez bien mal votre temps ; voilĂ les derniers coups du sermon qui sonnent , je ni y en vais , car je le per dr ois. Ils y vont de compagnie. Le prĂ©dicateur par hasard prĂȘcha ce jour-lĂ si fortement contre lâusure, que le Vigneron perdit toute espĂ©rance dâavoir de lâargent. Le sermon fini, Monsieur, lui dit-il, je vous souhaite le bon jour. HĂ©! oĂč allez-vous , reprit le saint homme? vous ne voulez donc pas dâargent. Pardonnez-moi, Monsieur, rĂ©pliqua le Vigneron, mais aprĂšs le sermon que vous venez dâentendre, je ne crois pas que vous vouliez mâen donner. Abus, dit lâusurier! le prĂ©dicateur fait son mĂ©tier , U moi je fais le mien. Quel mĂ©tier que celui quâon ne peut exercer, sans fouler aux pieds les lois naturelles, divines & humaines ! Pour vous, pensez mieux , & regardez comme un gain honteux & infĂąme, celui que vous des MĆurs. i ? retireriez dâun tel service, Ă moins que vous ne vous trouviez dans le cas dâen souffrir ou dâen craindre raisonnablement pour vous-mĂȘme quelque perte. Il y a aussi deux rĂšgles Ă observer, pour prĂȘter avec prudence autant quâavec charitĂ©. La premiĂšre est de ne prĂȘter que de votre superflu, de votre abondance ; ou si dans quelques cas particuliers vous prenez fur votre mĂ©diocritĂ©, que ce ne soit que de petites sommes, asm que vous ne vous mettiez pas dans la nĂ©cessitĂ© dâemprunter vous-mĂȘme, & que la perte qui pouroit en arriver, ne puilfe occasionner votre ruine. La seconde regle que prescrit la prudence , est de prendre vos sĂ»retĂ©s par des billets, des contrats, des gages & des cautions. Ainsi en usa le sage & vertueux 7obis Ă lâĂ©gard de Gabelus, & cela doit nous servir dâexemple. Quelque convaincu quâon soit de la probitĂ© dâune personne ou cette probitĂ© peut se dĂ©mentir dans la faite , ou la mort peut changer lâĂ©tat des choses & nous mettre dans le cas dâavoir affaire Ă des hĂ©ritiers difficuĂźtiieux ; & il est toujours dĂ©sagrĂ©able de sâexposer, en obligeant, Ă des peines quâon auroit pu Ă©viter par de sages prĂ©cautions. PrĂȘter ainsi son argent Ă des freres malheureux qui font dans le besoin ĂŻ6 V E C G L E quand mĂȘme on courroie quelquefois le risque de ne le ravoir jamais, ce nâest pas le perdre. Câest prĂȘter Ă intĂ©rĂȘt, parce que Dieu, dit Salomon, le rendra avec usure. Jâai Ă©tĂ© jeune, dit aulli le Roi- Prophete, U je suis maintenant vieux ; je nâai jamais vu le jufle abandonnĂ© , ni ses enfans dans lâindigence. Il eji toujours prĂȘt Ă soulager les bej'oins de ses freres par ses prĂȘts U ses aumĂŽnes ; N eâefl ce qui perpĂ©tue les bĂ©nĂ©di&ions du Ciel fur fa 'pojiĂ©ritĂ© 4. Câest donc employer son bien si avantageusement, quâil nây a point de gain sur la terre qui puisse Ă©galer celui-ci quoi quâil arrive , on sâest rendu agrĂ©able au Seigneur, on a exercĂ© la bienfaisance, on a pratiquĂ© la charitĂ©. La vertu quâaccompagne la douce satisfaction dâavoir fait du bien , nâest-elle pas prĂ©fĂ©rable aux richesses ? Cette belle maxime nâest pas fans doute celle de ces hommes intĂ©ressĂ©s, qui profitent avidement de la misĂšre des autres pour sâenrichir de leurs dĂ©pouilles ; & les exemples nâen font que trop communs. Oppolbns-y , pour les confondre, le beau trait du Cardinal dâAmboije. Il avoit fait bĂątir un magnifique chĂąteau Ă 4 Faner ntur Domino , qui miftniur , U fiumi U, S soi, 19. Jtaivfyi , Cv. des MĆurs. 17 la campagne. Comme cette superbe maison Ă©toit trop resserrĂ©e, ik enveloppĂ©e de tous cĂŽtĂ©s par des possĂ©dions Ă©trangĂšres ; un Gentilhomme du Cardinal crut faire fa cour Ă son maĂźtre, en dĂ©terminant un de ses amis Ă lui vendre une terre titrĂ©e, qui enclavoit le plus le chĂąteau. Le Seigneur fut invitĂ© Ă dĂźner. AprĂšs le repas, le Cardinal lâayant conduit dans un cabinet, lui demanda par quel motif il vouloir vendre fa terre. Monseigneur, rĂ©pondit le Gentilhomme, câest par le plaisir de vous accommoder dâun bien qui est si fort Ă votre biensĂ©ance. Gardez votre terre , rĂ©pliqua le Cardinal deĂ l'hĂ©ritage de vos peres , le premier titre d'un nom illustre qu'ils vous ont transmis , U que vous devez conserver Ă vos descendons. Je prĂ©fĂ©rĂ© d'ailleurs un voisin tel que vous Ă toutes les commoditĂ©s de mon chĂąteau. Monseigneur, reprit le Gentilhomme, je fuis trĂšs-attachĂ© Ă ma terre , & ce quâil vous a plu de me faire observer me la rend infiniment plus prĂ©cieuse. Mais jâai une fille un Gentilhomme du voisinage voudroit lâĂ©pouser le nom, la fortune, le caractĂšre , tout me convient; mais il demande une doc que je ne puis absolument lui donner. Jâai considĂ©rĂ© quâen vendant ma terre, je pourois faire le bonheur de ma fille, Si placer avantageusement le restant de Ig Lâ Ă C O L E la somme pour moi. Ce projet nâa rien que dĂ©raisonnable, rĂ©pondit le Cardinal ; mais nây auroit-il pas quelque moyen de marier votre fille comme vous le dĂ©firez, U de conserver votre terre ? Nepouriez-vous pas, par exemple, empninter de quelquâun de vos. amis la somme dont vous avez besoin,fans intĂ©rĂȘt , U remboursable Ă des termes fort Ă©loignĂ©s , Ă©conomiser tous les ans quelque choj'e fur votre dĂ©pense, & vous trouver quitte sans presque vous en appercevair ? Ah! Monseigneur, sâĂ©cria le Gentilhomme , oĂč son", aujourdâhui les amis qui prĂȘtent une pareille somme, fans intĂ©rĂȘt, & remboursable Ă des termes fort Ă©loignĂ©s ? Ayez meilleure opinion de vos amis, rĂ©pliqua le Cardinal en lui tendant la main, mettez-rnoi du nombre , N recevez la somme dont vous avez besoin, aux conditions que je viens de vous expliquer. Le Gentilhomme tombant aux genoux de son bienfaicteur, ne put rĂ©pondre que par des larmes Ă un procĂ©dĂ© si noble j & le Cardinal ne parut jamais si content, que dâavoir acquis un ami au lieu dâune terre. 11 y a des per sonnes, de qui il est quelquefois si difficile de ravoir ce quâon leur a prĂȘtĂ©, quâon gagnerait souvent beaucoup Ă agir avec elles, comme le fit un jour laint François de Sales Ă lâĂ©gard dâun homme quâil connoissoit pour un mau- des MĆurs. 19 vais payeur , & qui Ă©toit venu lui demander Ă emprunter vingt Ă©cus. Tenez, lui dit-il, en voilĂ dix au lieu de vous les prĂȘter, je vous les donne ; vous y gagnez > U moi aujjl. il ne faut pas ĂȘtre moins prudent Ă le rendre caution qu'Ă prĂȘter. Si le Sage dit que l'homme de bien rĂ©pond pour son prochain, & que celui qui nâa point de sentiment abandonne son ami, en ne voulant pas se rendre caution pour lui dans son extrĂȘme nĂ©cessitĂ©, il ajoute aussi que lâengagement Ă rĂ©pondre mal-Ă -pro- pos, en a perdu plusieurs qui rcuiĂŻis- soient dans leurs affaires ; & que nous ne devons jamais oublier le service que nous rend celui qui rĂ©pond pour nous, parce quâil sâest exposĂ© Ă un grand pĂ©ril p . Ce seroit en effet une noire ingratitude, que de mĂ©connoĂźtre un tel service; & il nây a que des monstres qui soient capables de laisser dans la peine celui qui a eu la bontĂ© de sâengager pour eux. Ils ne retrouveront plus de pareils amis. Celui qui tiendra parole & agira ffdelle- ment avec ceux qui lâont obligĂ© de quelque maniĂ©rĂ© que ce soit, trouvera toujours ce qui lui fera nĂ©cessaire mais si nous trompons ceux qui ont cru pouvoir ' 5 fi UĂźujfbris ne eblivifiarii dĂ©dit enim fre- te fuam. Kcqli. 2K. 20 V Ă C O L E se fier Ă nous , ils rfy seront pas pris uns seconde fois, & nous mĂ©riterons dâessuyer des refus honteux & humilians. Le Comte Louis de Canojse, EvĂȘque Italien , avoit Ă Rome une belle argenterie on y voyoit plusieurs piĂšces dâun ouvrage exquis. 11 y avoit entrâautres un gobelet dont lâanse Ă©toit faite en forme de tigre, & dont le travail Ă©toit admirable. Un Gentilhomme connu du PrĂ©lat , envoya un jour le prier de lui prĂȘter pour peu de temps une piece si rare, fous prĂ©texte dâen vouloir faire faire une pareille. Mais comme il la garda plus de trois mois, le PrĂ©lat lâenvoya demander. Peu aprĂšs, le mĂȘme Gentilhomme envoya encore pour emprunter une faliere, qui avoitâ la forme dâune Ă©crevisse. Le Comte Louis rĂ©pondit avec un sourire railleur au Page que le Gentilhomme avoit envoyĂ© Allez, & rapportez Ă votre maĂźtre , que fi le tigre, de tous les animaux le plus agile , a Ă©tĂ© trois mois Ă revenir, je crains que P Ă©crevisse, qui efi le plus lent , r?ait besoin d'autant d'annĂ©es. Qii'il m'en dispense donc, s'il lui plaĂźt. S'il faut rĂ©compenser , faites-le dignement. En frit de rĂ©compense , celui qui craint dâĂȘtre gĂ©nĂ©reux, eil bien prĂšs dâĂȘtre injulte. Un Soldat sâĂ©toit signalĂ© des MĆurs. ' tu dans une bataille sanglante, oĂč il a voit eu les deux bras emportĂ©s. Ou le prĂ©senta Ă son Colonel , qui ne lui offrit quâune piece de vingt-quatre sous. Croyez-vous, mon Colonel , lui dit avec franchise le Soldat, que je nâaie perdu quâune paire de gants ? Les rĂ©compenses doivent ĂȘtre dispensĂ©es par les mains de la justice, &, autant quâil est possible , proportionnĂ©es aux services ; elles en font le prix lĂ©gitime. Cependant combien nây en a-t-il pas , fur-tout parmi les Grands, qui ne rĂ©compensent point, ou qui rĂ©compensent mal ceux qui les ont servis, persuadĂ©s quâon leur doit tout, & quâon est trop honorĂ© de les servir. ,, Il est vieux. U usĂ©, dit un Grand , il. sâest Ă©puisĂ© Ă me servir quâen faire? Un autre plus jeune enleve ses espĂ©rances, & obtient le poste quâon ne refuse Ă ce malheureux, que parce quâil lâa trop mĂ©ritĂ© ". Cette rĂ©flexion de La Bruyere ne fait pas beaucoup dâhonneur aux Grands, mais elle nâest que trop confirmĂ©e par lâexpĂ©rience. On demandent Ă un grand Seigneur, sâil ne songeoit pas Ă faire quelque chose pour un homme de mĂ©rite, qui avoit tout sacrifiĂ© en sâattachant Ă lui. Comment donc! rĂ©pondit-il , je le vois tous les jqurs , çf je lui fais accueil. Cette forte de rĂ©compense, aussi fin- rr Lâ Ă c o l e guliere quâelle est'peu solide, ressemble Ă celle que fit Henri IP'. Ce Prince nâĂ©tant encore que Roi de Navarre , se contenta de donner son portrait Ă dâAu- bignĂ© , qui lui avait rendu des services importans. Ce Seigneur, qui Ă©toit aulĂźi bei-elprit que grand Capitaine, mit au bas du portrait ces quatre vers Ce Prince eli d'Ă©trange mture , Je ne fis qui, diable! lâa fait Car il rĂ©-ompense en peinture Ceux qui le ferveur en effet. Lorsque montĂ© sur le trĂŽne, Henri IV fut plus en Ă©tat de suivre les mouvemens justes & gĂ©nĂ©reux de fou cĆur, il rĂ©compensa mieux. Si le grand nombre des sollicitations put quelquefois lui faire oublier pour un moment la justice due aux services, il iavoit avouer son tort & le rĂ©parer, dĂšs quâon le lui faisoit cou- noĂźtre. En voici une preuve qui ne sait pas moins dâhonneur Ă la droiture quâĂ la gĂ©nĂ©rositĂ© de son ame. Un Officier borgne , boiteux & manchot, qui sâĂ«toit distinguĂ© au service de ce Prince , lui prĂ©senta un placer oĂč il demandoit quelques rĂ©compenses il y exposoit le nombre des blessures quâil avoir reçues. Henri IV , aprĂšs avoir lu le places, dit Mous verrons. Sire, rĂ©pondit lâOfficier, des MĆurs. 23 quand jâai etc commandĂ© pour le service de Votre MajestĂ© , il jâavois dit, Nous verrons , je nâaurois pas un Ći!, une main & un pied de moins. Le Roi fut dâabord indignĂ© de ce manque de respect ; mais sa bontĂ© lâeut bientĂŽt dĂ©sarmĂ© en saveur dâun Officier mutilĂ© pour son service il jugea quâun homme, qui lui avoit sacriflĂ© des membres si chers & si prĂ©cieux , avoir expiĂ© cette faute par avance, & il lui accorda la rĂ©compense qui lui Ă©toit duc. Louis XI , qui 11âeut guĂšre que de mauvaises qualitĂ©s, rĂ©compensa nĂ©anmoins noblement auilĂŻ la valeur de Raoul de Lannoi. Ce Capitaine Ă©tant montĂ© Ă l'allant Ă travers le fer & la flamme au siege duQuelhoi, Louis XL qui avoit Ă©tĂ© tĂ©moin de son ardeur, lui passt au cou une chaĂźne dâor, en lui disant Par la pĂ»que - Dieu , mon ami , câĂ©toit son jurement ordinaire , vous ĂȘtes trop furieux en un combat , il faut vous enchaĂźnercar je ne veux pas vous perdre , dĂ©sirant me servir de vous plus dâune fois. AprĂšs les services, câest fur-tout le mĂ©rite que les Princes & les Grands de- vroient sâattacher Ă rĂ©compenser, puisque câest lĂ le plus noble usage quâils puissent faire de leur pouvoir & de leurs richesses. Il nây a pas de plus fur moyen 24 Lâ Ă C O L E pour eux de transmettre Ă la postĂ©ritĂ© leur nom comblĂ© de gloire & dâĂ©loges. Sans parler des Augufle, des AsĂ©cene, des LĂ©on X , des MĂšdicis, & de tant dâautres, qui ont aimĂ© Ă rĂ©compenser le mĂ©rite, parce quâils en avaient eux-mĂȘmes & quâils Ă©taient Grands; câest par-lĂ que Louis XIV a rendu son regne si cĂ©lĂ©brĂ© & si fertile en grands hommes dans tous les genres. Il se plaisait Ă encourager par ses rĂ©compenses le mĂ©rite & les taie ns. 11 eut le bonheur dâĂȘtre secondĂ© en cela par un des plus grands Ministres quâait eus la France, lâillustre Colbert. En voici un exemple, que nous choisissons entre mille. Charles II, Roi dâAngleterre, avait envoyĂ© Ă Louis XIV deux montres Ă rĂ©pĂ©tition câĂ©taient les premiĂšres quâon eĂ»t vues en France. Elles ne pouvaient sâouvrir que par un secret prĂ©caution des ouvriers Anglais, pour cacher la nouvelle construction, & sâen assurer la gloire & le profit. Les montres se dĂ©rangĂšrent. On les remit entre les mains de Marti not, Horloger du Roi, qui ne put les ouvrir ni y travailler. Il dit Ă M. Colbert , quâil ne connaissait quâun jeune Carme, qui fĂ»t capable dâouvrir les montres ; que sâil nây rĂ©ussissoit pas, il falloir se relbudre Ă les renvoyer en Angleterre. Le Carme, dont Martinot faisait un DES M Ć O R S. 2s un Ă©loge si glorieux pour lui-mĂȘme, éßoit le Pere Sebastien , qui avoit un talent rare pour les mĂ©caniques. Il ouvrit les montres assez promptement & les raccommoda, fans savoir combien Ă©toit important par les circonstances lâouvrage dont on lâavoit chargĂ©. Quelques jours aprĂšs, il vint de la part de M. Colbert un ordre au Pere SĂ©bastien de le venir trouver on ne lui dit rien de plus. 11 se prĂ©senta interdit & tremblant. Le Ministre accompagnĂ© de deux Membres de lâAcadĂ©mie des Sciences, le loua sur les montres , & lui apprit pour qui il avoit travaillĂ© il lâexhorta Ă cultiver son talent , lui recommanda de travailler sous les yeux de ces deux AcadĂ©miciens qui le dirigeroient ; & pour lâanimer davantage & parler plus dignement en Ministre , il lui donna six cents livres de pension , dont la premiĂšre annĂ©e lui fut payĂ©e le mĂȘme jour. Il nâavoit alors que dix-neuf ans & de quel dĂ©sir de bien 4 faire dut-il ĂȘtre animĂ©! Il devint le plus habile mĂ©canicien de son siede. LĂ©on X , dont nous venons de parler, rĂ©compensa dâune autre maniĂ©rĂ© un Chimiste, qui se stattest dâavoir part Ă ses bienfaits, pour avoir trouvĂ©, disoit il, la pierre philosophale. Le Souverain Pontife lui fit donner une grande bourse vide, ajoutant que puisqu'âilsavoit faire de Vor , Tome IL B y V Ă C O L E il ji' avait besoin que d'une bourse pour It mettre. Ce g-and Pape, qui fut le protecteur zĂ©lĂ© des Arts & des Sciences, & le restaurateur des Lettres en Italie, Ă©tait trop sage & trop Ă©clairĂ© pour honorer de ses rĂ©compenses des charlatans ou des visionnaires il croyoit avec raison devoir les rĂ©server au vrai mĂ©rite. Quoique de plus grandes & de plus dignes rĂ©compenses que celles de la terre soient destinĂ©es Ă la vertu , il elf glorieux nĂ©anmoins de lui accorder celles qui dĂ©pendent de nous. Le Prince de la Tour U ;Taxis , Directeur gĂ©nĂ©ral des postes de lâEmpire & des Pays-Bas , Ă©tant Ă Nivelles , alla sây promener Ă la foire avec une Dame Chanoinesse. Ils sâapprochent dâune boutique, & le Prince demande les plus beaux Ă©ventails. On les lui montre, en disent que le prix Ă©toit de deux louis. Ce n'efl pas ce que je veux , dit-il. Il va auprĂšs dâun autre Marchand, qui en prĂ©sente de cinq louis. Le Prince fit la mĂȘme rĂ©ponse. Ce Marchand comprit la pensĂ©e du Prince, & lui dit quâil avoit encore dâautres Ă©ventails, mais beaucoup plus chers il les montra, & dit quâils nâĂ©toient pas moins de vingt-cinq louis. Le Prince , dans le nombre, en trouva un qui lui plut & Ă la Dame. Il dit au MaĂźtre de la poste, qui lâaccompagnoit, de compter les vingt-cinq louis, Ce/ui-ci des MĆurs. 27 ne les ayant pas fur lui, dit au Marchand de venir Ă la polie les chercher quand il voudroit. Le Marchand y Ă©tant allĂ©, dĂ©clara Ă u MaĂźtre de la'poste que lâĂ©ventail nâĂ©toit que de cinq louis comme les autres , & quâil ne lâavoit surfait si considĂ©rablement que parce quâil avoit jugĂ© que le Prince Ă©toit bien aise de faire un don qui fut de plus grand prix ; mais que fa conscience ne lui permettent pas de prendre pour lâĂ©ventail au-delĂ de la juste valeur. Le Prince instruit du procĂ©dĂ© de cet honnĂȘte Marchand, le fit venir, & lui dit Si votre Ă©ventail ne vaut que cinq louis , votre probitĂ© en vaut vingt. recevez les vingt-cinq louis , vous les mĂ©ritez. KMG B L Lâ Ă c o l ĂŻ 28 XIII. Au bonheur du -prochain 7ie portez pas envie. 8l câest un homme de bien Si un honnĂȘte homme, il est digne de son bonheur, & vous devez y applaudir. Si câest un mĂ©chant & un mal-honnĂȘte homme, lâEcriture vous avertit de ne pas envier la gloire ni les richesses du pĂ©cheur i . Sa prospĂ©ritĂ© sâĂ©vanouira comme un songe, & sĂ©chera comme un torrent; ou si son bonheur, ce fiai est rare, dure auisi longtemps que sa vie, cette fĂ©licitĂ© ne lui rendra la mort que plus amere & plus t»r~ rible. Dâailleurs, ce quâil possĂ©dĂ© lui a souvent coĂ»tĂ© trop cher il a sacrifiĂ© son repos & sa rĂ©putation, foulĂ© aux pieds la probitĂ© & la conscience. Voudriez- vous lâacheter Ă ce prix ? Nâenviez donc pas le bonheur des mĂ©dians , Si ne vous laissez point Ă©blouir par la prospĂ©ritĂ© passagĂšre du riche orgueilleux. 11 vit dans lâabondance il semble ne point participer aux miseres humaines enflĂ© de sa grandeur Sa de sa puissance, il ne songe quâĂ jouir^des ' l Noh awulari in malignantibtis, fmttm ve heiter arefeent. Ps. 36. qnyiutm tanquam des MĆurs. 29 biens dâici-bas. Il a des entrailles de far pour le pauvre qui gĂ©mit fous le poids de ses maux, & il ne lui donnerait pas mĂȘme les miettes qui tombent de fa table splendide & dĂ©licate. Mais attendez un moment tout va changer de face. Sa gloire disparaĂźt comme un Ă©clair, & Ă ses plaisirs succĂšdent les plus affreux tourmens. Le pauvre, au contraire, le juste malheureux quâil a mĂ©prisĂ© , est placĂ© dans le sein de la gloire, & boit Ă longs traits dans un torrent de dĂ©lices qui coule du trĂŽne de Dieu. On a dit avec autant de vĂ©ritĂ© que de noblesse , de lâhonnĂȘte homme moins favorisĂ© de la fortune que tant de scĂ©lĂ©rats comblĂ©s de ses faveurs II garde fans remords ce quâil gagna fans crime ; Sa fortune est durable autant que lĂ©gitime; Elle passe aux du fortunĂ© vieillard Tandis que les enfuns du crime & du hasard , Ces hommes fans pitiĂ© que les pleurs endurcissent, Et que les maux publics en un jour enrichistĂšns, DĂ©pouillĂ©s tout Ă -ccup dâun Ă©clat passager, Ne sortent du que pour sây replonger Semblables aux torrens, dont la fange & les ondes Ravageoient avec bruit des campagnes fĂ©condes , Et qui f-rmĂ©s soudain, mais plus vite Ă©coulĂ©s. Se perdent dans les champs quâils avaient dĂ©solĂ©s. Les richesses, la gloire & les honneurs des autres, font nĂ©anmoins un des plus B 3 30 U Ă C O L E ordinaires alimens de lâenvie ; & les Grands eux-mĂȘmes ne font pas toujours exempts de cette basse palfion. On cherche Ă iĂš dĂ©truire aux dĂ©pens de lâEtat; & combien de fois les malheurs publics Ăźiâont-ils pas pris leur source dans les jalousies particuliĂšres ! Il nâest plus rien de iĂ crĂ© pour un cĆur que lâenvie aigrit & infecte. Elle a portĂ© le jaloux CaĂŻn Ă tremper ses mains dans le lĂ ng de son frere elle a excitĂ© la haine homicide de Sait! contre le HĂ©ros dâIsraĂ«l, Ă qui ce Prince ne pouvoir reprocher que dâavoir trop bien servi la patrie A dâavoir obtenu des Ă©loges trop justement mĂ©ritĂ©s ; elle a fait commettre le plus grand de tous les crimes, le DĂ©icide. On est capable de tout, dĂšs quâon peut ĂȘtre ennemi du mĂ©rite & de lâinnocence. On peut quelquefois imposer silence Ă lâenvie par des maniĂ©rĂ©s honnĂȘtes & par ses bienfaits , mais on ne la changera point. Elle vivra autant que subsistera le mĂ©rite qui lâa sait naĂźtre. Il semble que lâĂ©lĂ©vation des autres humilie lâenvieux, quâon le prive des louanges quâon leur donne , & que les honneurs quâils reçoivent font des injures quâon lui fait Aussi nây a-t-il rien quâil ne faste, pour rĂ©pandre lĂčr les bonnes qualitĂ©s dâautrui des couleurs qui les altĂšrent & sâil ne des MĆurs. peut venir Ă bout de les obscurcir entiĂšrement, il sâefforcera du moins dâen diminuer lâĂ©clat. Lorsque ce cĂ©lĂ©brĂ© Navigateur, Ă qui nous devons la dĂ©couverte de lâAmĂ©rique, annonçoit un nouvel hĂ©misphĂšre, on lui foutenoit quâil ne pouvoit exister ; & quand il lâeut dĂ©couvert , on prĂ©tendit quâil iâavoit Ă©tĂ© long-temps avant lui. Ceux qui ne lui contestoient point cette dĂ©couverte , cherchĂšrent Ă en diminuer le mĂ©rite, en la reprĂ©sentant comme facile. Colomb le trouvant un jour Ă table avec line grande compagnie , on eut lâimpolitesse de le dire Ă lui-mĂȘme. Il proposa Ă ses envieux , pour les confondre, de faire tenir un Ćuf tout droit fur une assiette. Aucun dâeux nâayant rĂ©uffi, il cassa le bout de lâĆuf & le fit tenir. Cela Ă©toit bien aisĂ©, dirent les affistans. Je n'en doute pas, reprit-il, mais aucun . de vous ne s'en ejl avisĂ©. La jalousie elf ordinairement le triste partage de ceux qui nâont rien dont on puisse ĂȘtre jaloux. Incapable de tout mĂ©rite, lâenvie ne peut le souffrir dans les autres; & austi aveugle quâinjuste dans les jugemens , plutĂŽt que de le reconnoi- tre & de lui attribuer ses heureux succĂšs, elle en donnera tout lâhonneur aux causes les plus pitoyables & les plus ridicules. Un Officier dâun gĂ©nie trĂšs-mĂ©diocre , B 4 ?2 LâĂcole envieux de la gloire dâun Capitaine qui avoir fait une belle action , Ă©crivit Ă M. de Louvois que ce Capitaine Ă©toit sortier. Le Ministre rĂ©pondit â Monsieur, jâai Fait part au Roi de l'avis que vous mâavez donnĂ©. Sa MajestĂ© mâa dit lĂ -dessus que, si ce Capitaine Ă©toit sorcier , pour vous , vous ne lâĂ©tiez pas â. TĂąchons de faire mieux que ceux qui font bien ; câelt la plus belle & la plus glorieuse vengeance que nous puissions exercer contre ceux qui pouroient ĂȘtre lâobjet de notre jalousie. La noble Ă©mulation fut toujours permise & louable ; lâenvie ne le fut jamais. La premiĂšre est lin sentiment courageux, qui rend Tarne fĂ©conde , qui lâenflamme Ă la vue des grands exemples, & lâĂ©leve souvent au- dessus de ce quâelle admire. Lâautre est une passion basse, qui ne pouvant atteindre Ă la hauteur des autres, cherche Ă la rabaisser. On dĂ©prime ce quâon est incapable de faire, parce quâil est plus facile de mĂ©priser que de surpasser ou dâĂ©galer. Aussi y a-t-il dans lâenvie, je ne fais quoi de honteux, qui fait quâon se la cache Ă soi-mĂȘme. On tire souvent vanitĂ© des passions les plus criminelles , de ses excĂšs, de ses dĂ©bauches ; on sâen flut mĂȘme gloire, parce quâon est assez aveugle pour se couronner de sa propre honte. des MĆurs. qj Mais lâenvie est une pastion quâon nâose jamais avouer. On rougit de lâavoir , & encore plus de la montrer, parce que tĂ©moigner de lâenvie , câest reconnoĂźtre son infĂ©rioritĂ©, ou faire voir la crainte quâon a dâĂȘtre effacĂ©. Câest un aveu du bonheur ou du mĂ©rite des autres, & un hommage secret quâon leur rend. Lâenvie sait honneur Ă celui qui en est lâobjet sous un mĂ©pris apparent elle cache une estime rĂ©elle. Si lâon doit plaindre quelquefois ceux qui excitent la jalousie, parce quâils peuvent en devenir les victimes ; on doit souvent plaindre encore plus ceux quâelle Ă©pargne , parce quâelle ne pardonne quâau vice & Ă lâobscuritĂ©. ThĂ©mistocle disoit qu'il n'enviait pas le fort de qui ne fait point d'envieux. Quoiquâil nây ait guere de pasilon quâon veuille cacher avec plus de soin, il nây en a pas quâon cache moins lâair & les yeux la dĂ©celent. 11 y en a qui, ne pouvant sâempĂȘcher de parler contre ceux auxquels ils portent envie, croient que leur jalousie est bien cachĂ©e, quand ils disent que ce nâest point lâenvie qui les fait parler mais ils nâen imposent Ă personne. Il faut avouer, disoit un jour une Dame, quâune telle est une sotte femme je nâen parle pas par envie , ajouta-t-elle , car elle nâa rien quâon B y z4 Lâ Ă C O L E puisse lui envier. Si cela Ă©toit, reprit quelquâun , vous rien parleriez pas. Et en effet, on dit peu de mal dâune personne qui ne mĂ©rite point dâĂštre louĂ©e on nâa pas Ă se venger de sa supĂ©rioritĂ©. Jaloux de primer & de lâemporter sur les autres, tous ceux qui nous effacent ou qui brillent trop Ă nos cĂŽtĂ©s, ont le malheur de nous dĂ©plaire, & nous ne trouvons aimables que ceux qui nâont rien Ă nous disputer. Celui qui a dit que deux femmes ne sauroient se regarder sans qu'au moins lâune des deux ne soit mĂ©contente de lâautre , les connoiiĂźoit assez bien. On ne sauroit louer plus sĂ»rement ni plus dĂ©licatement quelques femmes, quĂš de leur dire du mal de leurs rivales en beautĂ© ou en esprit. CâĂ©toit auili la louange la plus flatteuse quâon pĂ»t donner Ă M. de Voltaire , dont la vanitĂ© jalouse ne pouvoir souffrir quâon louĂąt en sa prĂ©sence quelquâautre PoĂšte ou Auteur que lui. M. de FĂ©nelon pensoit bien plus noblement. Il parloit toujours avec es. time & avec Ă©loge de ses adversaires. â Un jour, dit Al. deRamsay 2 , que 2 M. de Ramfity , Auteur de plusieurs Ouvrages, & en particulier des Vies de M. tie FĂ©nelon & de 3M. de Turenne , Ă©toit Eooffnis. AprĂšs avoir Ă©tĂ© tour- Ă -tour Anglican, , TolĂ©rant, ians ĂȘtre ĂŽlistait , il eut enfin le bonheur de trouver Irr vĂ©ritĂ© quâil therchoĂč rvec droiture & de bonne foi, Ht. de Fcneiou le fixa dans la Religion Catholique. B E S M Ć U R 8. gf je causois avec lui des Auteurs Angâois, il me demanda quel Ă©toit le caractĂšre de Locke. Je dĂ©finis ce Philosophe , & je conclus par ce trait En un mot, dĂ©toit un komme comme AI. de Meaux la pĂ©nĂ©tration de son esprit h âĂ©galait pas dĂ©tendue de fa science; il avait une grande superficie, mais peu de profondeur. M. de FĂ©nelon me reprit avec une sĂ©vĂ©ritĂ© paternelle, me fit lâĂ©loge de M. de Meaux, & tĂącha de me persuader que ce PrĂ©lat a voit non- seulement une Ă©rudition immense, mais un esprit capable de tout approfondir & dâatteindre Ă tout La plus vĂ©ritable marque qu'on a soi- mĂȘme de grandes qualitĂ©s & du mĂ©rite, câest de voir le bonheur des autres fans envie. Le Duc de Guise, qui sut SurnommĂ© le BalafrĂ© Ă cause dâune blessure au visage quâil avoit reçue dans une bataille, avoit gagnĂ© au jeu cent mille livres- Ă M. dâO, Surintendant des Finances. Celui-ci le lendemain lui envoya soixante & dix mille livres en argent, & trente mille en or. Cette derniers somme Ă©toit dans un sac de cuir. Le Duc croyant que ce sac, qui Ă©toit assez petit, ne contenoit que de lâargent blanc, le donna par gratification au Commis qui lui avoit apportĂ© la somme. Le Commis, qui ignoroit lui-mĂȘme ce que contenoit ce sac, lâayant ouvert Ă Ion retour, B 6 ?5 Lâ Ă C 0 L E jugea la libĂ©ralitĂ© li extraordinaire, qu'il ne douta point que le Duc ne se fut mĂ©pris. Il lui reporta la somme fur le champ. Mais le Duc la refusa, en lui disant Puisque la fortune vous a Ă©tĂ© fi favorable, cherchez un autre que le Duc de Guise , four vous envier votre bonheur. Lâenvie nâest pas seulement une des plus honteuses pallions , câest encore une des plus cruelles. Elle est elle-mĂȘme son supplice. Les talens, la rĂ©putation, la prospĂ©ritĂ© des autres font autant de vers qui rongent lâhomme jaloux & le dĂ©vorent en secret. Plus leur gloire tk leur fortune croissent, plus son aversion se sottise & sâallume elle devient au-dedans de lui comme un poison qui le brĂ»le & qui rĂ©pand l'amertume sur toute si vie. Aulfi tout homme nĂ© envieux, est-il naturellement triste ; & le grand Rousseau a eu raison de dire en parlant de lâenvie Jilonscre ennemi des mortels & du jour, Qui de soi-mĂȘme est l'Ă©ternel vautour Et qui traĂźnant une vie abattue , Ne s'entretient que du fiel qui le tue. Ses yeux cnvĂ©s, troublĂ©s &idignotans, ' De feux obscurs font chargĂ©s en tout temps Au lieu de sang , dans ses veines circule , En froid poison qui les gele L Is brĂ»le. Il faut ĂȘtre bien ingĂ©nieux Ă se tour- D ES M Ć U R S. 57 inenter soi-mĂȘme pour se faire une peins des avantages dâautrui, & pour tourner contre foi ce qui leur est favorable. Câest cependant ce que fait lâenvieux il sâafflige de ce qui rĂ©jouit les autres, & fe rĂ©jouit de ce qui les afflige. Combien nâen voit-on pas qui, fĂąchĂ©s mĂȘme de la bonne opinion que certaines personnes ont dâelles-mĂȘmes , & jaloux de la satisfaction quâelles goĂ»tent, ont un plaisir malin Ă les dĂ©tromper & Ă leur faire perdre cette idĂ©e qui les flatte & qui ne nuit Ă personne ! Combien ont lâame aisez mal-faite, pour envier aux autres jusquâaux plaisirs les plus nĂ©cessaires & les plus innocens ! Le Duc de Lauzun ayant Ă©tĂ© mis en prison par ordre de la Cour, avoir trouvĂ© le secret de sâamuser avec une araignĂ©e, quâil avoit rendue familiĂšre. Elle venoit manger sur sa main, & sâen retournoit ensuite Ă un trou oĂč elle avoit tendu sa toile. Elle Ă©toit devenue grasse, rebondie , & faisoit tout le plaisir du Duc de Lauzun. 11 la montroit un jour au Gouverneur de la Citadelle oĂč il Ă©toit dĂ©tenu, & il la laissa aller Ă terre. Le Gouverneur Ă©crasa lâinsecte avec une joie maligne. Le Duc en fut outrĂ©. DĂšs quâil fut sorti de prison, il se plaignit au Roi de lâaction du Gouverneur quâil appela barbare. Le Roi jugea quâun homme Z8 LâĂcole^ capable dâenvier Ă un prisonnier un pareil plaisir , devoir ĂȘtre dâun trĂšs-mauvais caractĂšre il lui ĂŽta son emploi. Un Empereur Chinois punit lâenvie dâune maniĂ©rĂ© peut-ĂȘtre plus sensible encore & plus efficace. Quatre Lettres, gens de mĂ©rite, mais dâune naissance obscure, avoient Ă©tĂ© Ă©levĂ©s aux honneurs. La jalousie ne put voir leur Ă©lĂ©vation fans dĂ©pit. Elle sâarma de tous ses fer- pens , elle dĂ©chaĂźna la calomnie & la fureur, elle inonda tout PĂ©kin de libelles scandaleux qui parvinrent jusquâĂ lâEmpereur. Il en fut indignĂ©. 11 ordonna quâon en recherchĂąt les auteurs, pour eu faire un exemple fĂ©vere. 11 consulta le plus prudent & le plus Ă©clairĂ© de les Mi- nisires, fur le genre de supplice dont il falloit les punir. Prince , lui dit ce Minis tre, je lien cannois qiCun , mais il efl plus terrible pour P envieux que les tortures & la mort mĂȘme câefi Je le rendre tĂ©moin de la prospĂ©ritĂ© Je ceux cpCii poursuit. LâEmpereur combla les- Lettres de dit tinctions & de prĂ©sens. Ces bienfaits irritĂšrent lâenvie; elle exhala de nouvelles fureurs, & le Prince fit aux LettrĂ©s da nouveaux dons. Les envieux ne doutĂšrent plus, qu'au lieu de nuire, chacun de leurs traits ne fĂ»t lâoccasion dâune nouvelle grĂące ils gardĂšrent enfin un profond silence. BientĂŽt iis tremblĂšrent que des MĆurs. 59 ce silence mal interprĂ©tĂ© ne fĂ»t encore favorable aux objets de leur haine, & ne portĂąt lâEmpereur Ă les rĂ©compenser davantage ils prirent le parti de faire de leurs rivaux les Ă©loges les plus pompeux. ===â ^ 800 »==========»⹠N'allez point divulguer ce que l'on vous » confie. Si quelquâun vous tĂ©moigne allez de confiance pour dĂ©poser son secret dans votre sein, vous devez en ĂȘtre flattĂ©; & il faut le garder plus scrupuleusement que ce qui vous concernĂšrent & ce quâil vous importeroit le plus de cacher. Des Courtisans disoient au Favori dâun Prince Quây a-t-il de nouveau, & que vous a dit le Roi aujourdâhui? car il ne fe fie quâĂ vous. Pourquoi donc , leur rĂ©pondit- il , me le demandez-vous ? De tous les secrets, ceux quâon doit garder avec le plus de foin, ce lont ceux de lâEtat & des intĂ©rĂȘts publics, ou des familles; parce que leur violation a dâordinaire de plus grandes suites ; & câest toujours au moins une imprudence de les demander Ă ceux qui en font les dĂ©positaires. Anlu-Gelle nous a conservĂ© Ă cet Ă©gard uti beau trait, qui mĂ©rite d'ĂȘtre connu de tous les jeunes gens. CâĂ©toit autrefois 1âufage Ă Rome, dit-il, que les SĂ©nateurs menaflbnt avec eux dans 4o Lâ Ă C O L E le SĂ©nat ceux de leurs enfans qui por- toient encore la prĂ©texte, robe bordĂ©e de pourpre quâĂŒs ne quittoient quâĂ l'Ăąge de quatorze ans. Un jour quâon y traita une affaire importante , & quâil fallut la remettre au lendemain, on convint de nâen point parler jusquâĂ ce quâelleJ!ut dĂ©cidĂ©e. Le jeune Fapirius a voit assistĂ© ce jour-lĂ au SĂ©nat avec son pere. Sa mere lui demanda de quoi il y avoit Ă©tĂ© question. Lâenfant rĂ©pondit quâil avoit Ă©tĂ© dĂ©fendu de le dire. La mere nâen devint que plus curieuse. Plus il inilstoit fur la nĂ©cessitĂ© de fe taire, plus ilirritoit ses dĂ©sirs. Enfin , pouffĂ© Ă bout, il prit ingĂ©nieusement le parti de lui donner le change. Il a Ă©tĂ© quejiion , dit-il, dans le SĂ©nat , de dĂ©cider sâil Ă©tait plus utile Ă la RĂ©publique de permettre aux hommes dâĂ©pouser deux femmes , ou aux femmes dâĂ©pouser deux hommes. Cette nouvelle surprit Ă©trangement la mere, qui sortit aussi-tĂŽt de chez elle, & alla conter la chose Ă ses amies. Le lendemain le SĂ©nat fut environnĂ© de Dames, qui prioient les larmes aux yeux quâon ne conclut rien fans les ouĂŻr. Les SĂ©nateurs fort Ă©tonnĂ©s, demandĂšrent ce que câĂ©toit que la folie de ces femmes & ce quâelles vouloient. Le jeune Papirius sâavança au milieu de lâassemblĂ©e, & raconta les instances que fa mere lui avoit faites Ă D E S M Ć U R S. 41 ce quâil loi avoit rĂ©pondu. Le SĂ©nat loua la fermetĂ© & son esprit, & rendit un arrĂȘt qui dĂ©fendoit aux SĂ©nateurs dâamener dĂ©sormais leurs enfĂ ns au SĂ©nat, exceptĂ© le seul Papirius. Il eli difficile aux enfans & aux femmes de garder un secret ; & il y a souvent de lâindiscrĂ©tion Ă confier Ă celles- ci une chose importante. Quoiquâon en trouve quelquefois de discrĂštes , la plupart ne font pas assez les maĂźtresses de ce quâelles disent un secret leur Ă©chappe, en quelque sorte , malgrĂ© elles , sans quâelles sâen apperqoivent & fans quâelles aient envie de le dĂ©couvrir. Combien dâhommes en cela qui font femmes ! Ayez plus de fermetĂ© & de prudence ; & que jamais rien au monde ne vous engage Ă trahir la confiance quâon a eue en vous. Soyez fidelle Ă ceux qui ont cru que vous lâĂ©tiez. Souvenez-vous que le secret doit ĂȘtre mis au rang des choses les plus sacrĂ©es ; quâune des premiĂšres lois de la sociĂ©tĂ© est de taire ce qui ne doit pas ĂȘtre rĂ©vĂ©lĂ© , & que nous ne sommes pas en droit de disposer dâun bien dont nous ne sommes que les dĂ©positaires. Gardez aussi inviolablement les secrets de lâamitiĂ©. Celui qui dĂ©couvre les secrets de son ami, dit le Sage, perd sa confiance; & il ne trouvera jamais dâami 4L -'V Ecole selon son cĆur. Si vous rĂ©vĂ©lez so s secrets , câtst en vain que vous tĂącherez de le regagner ; vous irez inutilement aprĂšs lui , car il est dĂ©jĂ bien loin il sâest Ă©chappĂ© comme une chevre qui so fauve du filet, parce que son ame est blessĂ©e. On peut encore so rĂ©concilier aprĂšs des injures , mais loisonVm est assez malheureux pour rĂ©vĂ©ler les secrets de son ami, il ne reste plus aucune espĂ©rance de retour O* Un homme infidelleau secret, ne sera jamais aimĂ© ni estimĂ© de personne ; & ceux mĂȘme qui lâont fait parler, seront les premiers Ă le mĂ©priser, ses moindres sautes'en ce genre font, pour ainsi dire s des crimes irrĂ©missibles on les punir de la maniĂ©rĂ© la plus sensible Ă une personne qui nâa pas perdu tout sentiment, câest quâon ne lui donne jamais plus lâoccasion dây retomber. Lorsque vous laissez sortir de vos lĂšvres le secret de votre ami, croyez que lâamitiĂ©, la fidĂ©litĂ©, lâhonneur, la sagesse & la justice sortent de votre ame en mĂȘme temps. Soyez donc toujours fur vos gardes, pour ne rien dire & mĂȘme pour ne rien faire, qui puisse le dĂ©couvrir. Car on 3 dĂ©nudĂąt , fidem verdit . ÂŁrV, Eocli. 27 . dĂšs MĆurs. 4.; peut manquer au secret de plusieurs façons. Il y a des gens qui promettent la secret, & qui le rĂ©vĂšlent sans le avoir; ils ne le disent point, & on le lit sur leur front & dans leurs yeux. Dâautres ne disent pas expressĂ©ment la chose quâ011 leur a confiĂ©e, mais ils parlent & agissent de maniĂ©rĂ© quâon la dĂ©couvre de soi- mĂȘme. Souvent aussi câest manquer au secret, que de faire entendre quâon en est ou quâon en a- Ă©tĂ© le dĂ©positaire. Il ne saut pas mĂȘme quâon sache que nous avons eu une chose Ions le secret, ou que nous lâavons encore. Un secret soupçonnĂ© est plus quâĂ demi rĂ©vĂ©lĂ©. Il y en a qui sâimaginent nâavoir pas manquĂ© au secret, parce quâils ne lâont dit quâĂ une personne & mĂȘme Ă un ami. Mais on ne le leur a voit pas confiĂ© avec la permission de le dire Ă cette personne ; & puis il est rare que ces sortes de confidences ne passent pas encore pins loin. Quelqu'un vint raconter Ă un autre une chose quâon lui avoir dite sous le secret, & lui recommanda de nâen point parler. Soyez tranquille , lui dit lâautre, je senti aujji discret que vous. Il y a des momens bien critiques pour le secret on a besoin alors de toutes les rĂ©flexions de sa raison & de toute la force de son esprit, pour le retenir, principa- 44 Lâ Ă c o l e lement quand câest la colere ou lâamour qui sollicite Ă le rĂ©vĂ©ler. Cette derniers palJion est la plus dangereuse. On revoie un secret dans la colere, mais il Ă©chappe dans lâamour, st lâon est infiniment fur ses gardes , dans ces momens dont lâivreste fait oublier toutes les lois de la prudence. M. de Turenne en est un exemple bien frappant. 11 Ă©toit impĂ©nĂ©trable Ă la tĂȘte des armĂ©es. M. de Louvois, Ministre de la guerre , se plaignoit de ce quâil nâapprenoit ses desteins que par les gazettes. M. de Turenne ne les con- fioit pas mĂȘme au Roi. Ce Prince dit un jour Ă un Officier-gĂ©nĂ©ral, qui partoit pour lâarmĂ©e dâAllemagne Dites , je vous prie , Ă M. de Turenne qu'il me fasse pars de ses desseinsj'y fuis pour le moins aussi intĂ©ressĂ© que lui. Cependant ce grand homme eut la foiblesse de dĂ©couvrir Ă Madame Coaquin quâil aimoit, un secret que le Roi lui avoit confiĂ©. Cette Dame le rĂ©vĂ©la au Chevalier de Lorraine. Celui-ci apprit le secret Ă Monsieur 4, Ă qui on vouloir le cacher. Monsieur le dit au Roi. Ce secret Ă©toit le voyage que Madame devoir faire en Angleterre, pour nĂ©gocier avec le Roi son frere, Jacques II. Louis XIV eut un Ă©clair- 4 Ou appelle ainsi en France le Roi; ere unique d* des MĆurs. 4$- ciflcment avec M. de Turenne, qui lui avoua quâil avoir eu la faiblesse de rĂ©vĂ©ler le mystĂšre Ă Madame Coaquin. DĂ©fiez-vous de cette Dame , lui dit le Roi, puisqu'elle a trahi votre secret en faveur du Chevalier de. Lorraine , vous voyez bien que vous, ĂȘtes sacrifiĂ©. Quelle dĂ©fiance ne devons-nous pas avoir de nous-mĂȘmes ! & de quelle foiblesse lâhomme nâelt-il pas capable , puisquâun si grand homme , si religieux sur le secret, nâa pu garder celui dâun Roi ! Il nây pensoit jamais fans rougir de confusion. Aussi dit-il Ă un Seigneur qui le mit fur ce chapitre un soir dans sa chambre Eteignons les lumiĂšres , U je vous dirai ensuite cette histoire. Ce nâest pas assez de tenir cachĂ© ce qui nous a Ă©tĂ© confiĂ© fous la condition du secret. La conversation & la sociĂ©tĂ© emportent une convention gĂ©nĂ©rale & tacite, qui oblige Ă taire tout ce qui peut ĂȘtre prĂ©judiciable en quelque maniĂ©rĂ© Ă celui qui lâa dit. CâĂ©toit la belle maxime du Comte de Sbaftsbury , qui eut une occasion Ă©clatante de la mettre en pratique. Ce Seigneur, si cĂ©lĂ©brĂ© dans lâhistoire dâAngleterre par la grande part quâil eut aux mouvemens qui agitĂšrent le Regne du Roi Charles II , Ă«toit devenu , de Ministre de ce Prince, son plus dangereux ennemi, & sâĂ©toit jetĂ© 46 Lâ Ă C O L E dans le parti du Parlement, Quelque temps aprĂšs, on y attaqua M. Mollis fur des nĂ©gociations sĂ©crĂ©tĂ©s quâil avoir eues avec le Roi. Rien ne rnanquoit pour le perdre que des tĂ©moins. On comptoir en trouver un, te! quâon le dĂ©sirait, dans la personne du Comte, qui avoir Ă©tĂ© dans le cas de tout savoir. 11 y avoir dâautant moins lieu de douter quâil ne parlĂąt, que câĂ©toit pour lui une belle occasion, & une occasion qui se prĂ©sentoir dâelle-mĂȘme, de ruiner un ancien ennemi. Mans cette pensĂ©e, on cite le Comte & on lâinterroge. Il rĂ©pond quâil ne peut satisfaire fur ce quâon lui demande, parce que quand mĂȘme il sauroit quelque chose au dĂ©savantage de M. Mollis , il ne devroit point avoir recours Ă cette voie infame de se venger dâun ennemi. Ceux qui lâavoient fait comparaĂźtre lâexhortent, le pressent, le menacent. Tout fut inutile. On lui ordonna de le retirer ; & plusieurs Membres du Parlement proposĂšrent avec tant de chaleur de lâenvoyer Ă la Tour, que ses amis effrayĂ©s vinrent le solliciter de cĂ©der aux iuRances de la Chambre. Liais il demeura ferme dans fi rĂ©solution, & il eut le bonheur que mĂ©ritait son action gĂ©nĂ©reuse, celui de trouver assez dâamis pour le tirer dâaffaire. M. Mollis alla le remercier en termes pleins de recon- des MĆurs. 47 tioisstnce & dâestime. Le Comte lui dit quâil ne prĂ©tend oit lui imposer aucune obligation par Ibtction quâil venoit de faire, quâil se devoit Ă lui mĂȘme la conduite quâil avoit tenue, & quâil auroit fait la mĂȘme cl;ose pour tout autre ; que cependant il conuoilfoit assez le mĂ©rite de M. Hollis & le prix de son amitiĂ©, pour ĂȘtre prĂȘt Ă lâaccepter comme une insigne faveur, sâil lâen jugeoit digne. M. Hollis charmĂ© de ce discours autant que de ce qui y avoit donnĂ© lieu, assura le Comte dâun attachement sincere & zĂ©lĂ©. Par-lĂ une ancienne mĂ©sintelligence entre deux hommes gĂ©nĂ©reux, opulens & voisins, fut changĂ©e en une vraie & solide amitiĂ©. Quoique le secret doive ĂȘtre ordinairement inviolable, il y a nĂ©anmoins des cas oĂč lâon peut, oĂč lâon doit mĂȘme le rĂ©vĂ©ler. Sâil doit nuire Ă lâinnocence, sâil couvre un dessein criminel, ne craignez point de le dĂ©couvrir Ă la. personne qui en seroit la victime, ou Ă ceux qui peuvent y mettre obstacle. Henri llĂź, Roi de France, avoit fait arrĂȘter le Roi de Navarre , qui fut depuis Henri IVL Ce Prince ayant trouvĂ© moyen de sâĂ©chapper de fa prison, on soupçonna Fervaques dâavoir eu connoiflance de cette fuite, & de nâen avoir pas donnĂ© avis. Le Roi furieux jura dans fa coiere que Fervaques 43 V Ă c o L E paierait de sa tĂšte cette trahison, & ajouta que celui qui avertirait ce traĂźtre lui rĂ©pondrait de la fuite. Grillon & plusieurs Courtisans Ă©toient prĂ©sens ; & comme on connoiiibit Henri III capable de faire pĂ©rir un innocent, Crillon frĂ©mit en lâentendant jurer la mort dâun homme de qualitĂ©, bon Officier , & dâune valeur reconnue. 11 rĂ©solut de lâarracher au pĂ©ril pressant oĂč il le voyoit. Il va trouver Fervaques, lui apprend ce qui vient de fe passer, & lâexhorte Ă sâĂ©vader. Henri instruit le matin que Fervaques a disparu, entre dans une colere affreuse. Son imagination est quelques momens errante fur tous ceux qui avoient entendu son serment ; mais bientĂŽt ses soupçons fe fixent fur Crillon son estime pour lui les combat & les appuie en mĂȘme temps. Fervaques, lui dit-il avec un regard furieux, vient dâĂ©chapper Ă ma vengeance , & ne me laisse que lâespoir de lâexercer dâune maniĂ©rĂ© plus Ă©clatante fur celui qui me lâa dĂ©robĂ© le connoissez-vous? Oui, Sire, rĂ©pondit Crillon. HĂ© bien, reprit le Roi vivement , nommez le-moi. Je ne serai jamais dĂ©lateur que de moi-mĂȘme , rĂ©pliqua Crillon mais la jttjle crainte qiCun nnocent ne soit une vĂŻĂŒime immolĂ©e au rejseutiment de Votre MajestĂ© me prescrit de- vous livrer le coupable oui, Sire , »es MĆurs. 49 je suis celui que vous devez punir, celui qui se seroit cru l'ajsajfin de Fervaques, fi jâeufie gardĂ© un secret qui lui eut coĂ»tĂ© la vie. Le Roi Ă©tonnĂ©, resta un moment sans parler, les veux fixĂ©s fur lui; puis rompant le silence, il dit Comme il nâp a quâunCrillon dans le monde, ma clĂ©mence en far faveur ne fait pas un exemple dangereux. Ci Tome II, 50 Lâ Ă C O L E XIV. Sans ĂȘtre fami ier , ayez un air aisĂ©. Cet air aisĂ©, qui annonce la belle Ă©ducation, s'acquiert, ainsi que la politesse, plus par l'usage du monde & en frĂ©quentant les bonnes compagnies, que par les leçons & les discours. Il y en a qui lâont naturellement, & qui fans art ont des grĂąces infinies dans tout ce quâils font chez eux, tout est aisĂ©, tout coule de source. Il y en a dâautres, aĂŒ contraire, qui font naturellement gĂȘnĂ©s, embarrassĂ©s, timides ils ne savent ni parler ni se taire, ni faire ni recevoir une honnĂȘtetĂ©. Ils ont un air gauche & pelant, qui dĂ©pare tout ce quâils font. Il nâest pas facile dâacquĂ©rir lâair aisĂ©, quand la nature ne lâa pas donnĂ© mais il vaut mieux rester ce quâon est, que dâaffecter ce quâon nâest pas. Souvent en voulant paraĂźtre plus agrĂ©able, on nâen paroĂźt que plus ridicule. Les grĂąces mĂȘme, dĂšs quâil y entre de lâaffectation, cessent de lâĂȘtre. il nâest pas moins difficile dâĂŽter la timiditĂ©. Elle ne se corrige guere par de simples avis ; on y rĂ©ulfira encore moins par des railleries & des reproches. DES M Ć U R S. si On ne fĂ uroit sây prendre trop douce, meut il faut louer, encourager & flatter cet orgueil dĂ©fiant, qui craint de se faire tort dans lâesprit des autres ou de se trahir soi-mĂȘme. Car quoique la timiditĂ© ait toutes les apparences de la modestie, c-lle nâest souvent quâune vanitĂ© secrete & plus raffinĂ©e. Plusieurs ne font timides que parce quâils veulent trop plaire, & quâils font trop sensibles aux jugemens quâon peut faire dâeux. Ils ne parlent quâen tremblant, parce quâils ne savent comment on recevra ce quâils disent & sâil est propre Ă leur faire honneur. Il est dangereux de laisser prendre aux jeunes gens trop de confiance en eux- mĂȘmes ; il y a du danger Ă ne pas leur .en laisser prendre assez. Une hardiesse & une timiditĂ© excessives font Ă©galement contraires Ă la vraie politesse, qui veut quâon parle & quâon agisse dâun air modeste & dâun air aisĂ©, afin de ne choquer & de ne gĂȘner personne. La prĂ©fomp. tjon produit le mĂ©pris des autres, & parla le manquement aux Ă©gards qui leur font dus. Le dĂ©faut dâune juste confiance en foi-mĂȘme, produit une pudeur niaise & un embarras ridicule. Mais quoique la timiditĂ© soit un dĂ©faut , on la pardonne bien plus volontiers que la prĂ©somption elle flatte lâorgueil des autres, au lieu que la prĂ©somption C 2 yi Lâ Ăcole lâhumilie. 11 vaut donc mieux ĂȘtre un peu timide que trop hardi. Trop de hardiesse dans un jeune homme est le prĂ©liminaire de lâeffronterie on est fondĂ© Ă croire quâil ira bientĂŽt jusquâĂ lâimpudence. Lâair aisĂ©, sâil devient trop libre, comme il arrive souvent, dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© bientĂŽt en familiaritĂ©, & conduit au mĂ©pris. Les Ă©gards quâon a les uns pour les autres, aident beaucoup Ă conserver une estime rĂ©ciproque , qui est un des plus leurs liens de la sociĂ©tĂ©. Les amis mĂȘmes doivent se respecter, sâils veulent rester long-temps amis. Mais câest fur-tout avec les Dames, quâil convient Ă un jeune homme de ne paroĂźtre jamais familier. Il doit les approcher fans gĂȘne, mais toujours avec une retenue modeste , mĂȘlĂ©e de respect ses maniĂ©rĂ©s, fans rien sentir de la contrainte , ne doivent jamais passer les bornes de la plus exacte pudeur. Câest Ă elles Ă en faire ressouvenir ceux qui oseroient y manquer. On ne doit pas ĂȘtre moins rĂ©servĂ© avec les personnes qui font supĂ©rieures , & il nâest jamais permis dâoublier le respect qui leur est dĂ». Charles II, Roi dâEspagne , le jour que mourut Philippe IV admit selon la coutume les Grands Ă venir lui baiser la iĂźiain. Un dâeux, dans son compliment DES M Ć U R S. fâ de condolĂ©ance & de fĂ©licitation , sâĂ©tant servi du terme Ă 'ami Les Rois, dit ce Monarque avec un ton dâautoritĂ©, n'ont pas leurs vassaux pour amis , mais pour serviteurs. On peut souvent agir sans façons avec ses Ă©gaux, mais il ne faut jamais le faire avec ceux qui font au-deflus de nous ; comme AnguĂ e le fit un jour entendue finement Ă un de ses Courtisans. Ce Prince souffroit que ses Ministres le rĂ©galassent lâun aprĂšs lâautre. Un dâeux le traitant fans beaucoup de façons , Auguste lui dit Je ne croyais pas que nous fussions fi familiers ensemble. Il faut avec ceux qui font au-dessus de nous, que notre familiaritĂ© mĂȘme soit respectueuse. On accuse, peut-ĂȘtre avec justice, les François dây manquer trop facilement. Aussi le Cardinal Ma- zarin, dans les maximes quâil infpiroit Ă Louis XIV , lui recommande-t-il ce point. Ne vous familiarisez pas trop avec vos Courtisans, lui disoit-il, de peur qiĂź ils ne vous perdent le refpeB, Le Roi profita de ce conseil; & jamais Prince nâeut lâair plus sĂ©rieux, plus imposant, plus majestueux que ce Monarque, qui savoir nĂ©anmoins, dĂšs les premiĂšres annĂ©es de son regne, le tempĂ©rer par une grande bontĂ©. Un jour quâil avoir donnĂ© audience aux DĂ©putĂ©s des Etats de Bour* C ; 5*4 Lâ Ă c o l E gogne , le Cardinal Mazarin dit Ă M. de Vilieroi Monsieur le MarĂ©chal , avez- vous pris garde comme le Roi Ă©coute en maĂźtre çfj 1 parle en pere ? 11 Ă©toit le premier Ă rassurer ceux que sa prĂ©sence avoit intimides. Un PrĂ©lat fort Ă©loquent, malgrĂ© la grande habitude quâil avoit de parler en public , fut dĂ©concertĂ© dans un discours quâil fit Ă ce Monarque, & il hĂ©sita quelque temps. Ce Prince .adoucissant alors cette noble fiertĂ© qui ccla- toit fur son front, dit dâun de ces tons de voix qui entrent dans le cĆur, & quâil savoir prendre si Ă propos Nous vous sommes obligĂ©s , Monsieur , de nous donner le loisir d'admirer les belles choses que vous nous dites. Le PrĂ©lat se remit, & continua son discours avec succĂšs» " parce que vous ne pouvez les comprendre. Mais comprenez-vous mieux ceux de la nature ? Combien nâen a-t-elle pas oĂč votre esprit se perd, & qui sont pour vous autant dâabymes impĂ©nĂ©trables ! Tout lâunivers est rempli de vĂ©ritĂ©s, qui sont en mĂȘme temps indubitables & incomprĂ©hensibles. Nous connoiisons les effets ; mais souvent les causes font pour nous comme autant de mystĂšres , que la Mture nous cachesous ses voiles augustes, \ âąfl U E C O L E Et vous ĂȘtes surpris que son divin Auteur en renferme' dans son propre sein, qui passent les bornes de votre intelligence! Vous voulez atteindre jus. quâĂ lâEtre suprĂȘme, vous qui ne pouvez connoitre lâessence du grain de fable que vous foulez Ă vos pieds ! Seroit-il Dieu , seroit-il lâEtre infini, si des ĂȘtres bornĂ©s pou voient connoitre tout ce quâil elf ? Vous feriez bien petit , Soigneur , disoit dans sa belle simplicitĂ© saint François de Sales, fi vous pouviez ĂȘtre compris par un esprit aussi petit que le nĂŽtre. Ecoutez aussi la sage rĂ©ponse , que fit trois cents ans avant rĂ©tablissement de la religion Catholique, un cĂ©lĂ©brĂ© MathĂ©maticien Ă un Sophiste, qui lui demanda de quelle nature Ă©toient les Dieux. Tout ce que je sais , rĂ©pondit Euclide, c'efi qiCils baissent bien ceux qui sont curieux de pĂ©nĂ©trer les mystĂšres qiCils leur cachent. Mais ce qui doit surprendre encore plus, câest que ces prĂ©tendus esprits-forts, qui insultent aux vrais fidelles comme Ă des automates, Ă des Ăąmes foibles, Ă des esprits remplis de prĂ©jugĂ©s, font quelquefois eux-mĂȘmes les plus crĂ©dules & ses plus soumis Ă lâempire du prĂ©jugĂ©. Combien parmi eux croient par autoritĂ© , quâil ne faut pas croire Ă lâautoritĂ©, & prĂ©fĂšrent celle des hommes Ă celle de Dieu ! Ils nous accusent de ramper sous des MĆurs. 7; le joug & de nous laiffer entraĂźner par les opinions reçues mais ne se laiisent- ils pas eux-mĂȘmes subjuguer presque tous par un plus habile ? Quâil se trouve parmi eux un de ces gĂ©nies supĂ©rieurs , qui nĂ© avec une imagination forte & dominante, aime Ă donner dans des opinions nouvelles, dans des paradoxes singuliers , & leur prĂȘte toute la sĂ©duction dâune certaine candeur qui en impose encore plus que son style mĂąle & vigoureux combien aulfi-tĂŽt recevront aveuglĂ©ment ses dĂ©cisions tranchantes, comme des oracles; & adopteront sans examen les systĂšmes inintelligibles quâil a bĂątis dans son imagination Ă©chauffĂ©e , comme le vrai systĂšme de la nature ! Qpâil se trouve un de ces hommes hardis, qui dĂ©sespĂ©rant, nouvel Eros. trĂ€te , de pouvoir sâimmortaliser autrement que par des facrileges, ou aimant mieux, comme CĂ©sar, ĂȘtre le premier dans une bicoque que le second Ă Rome, leve hautement lâĂ©tendard de lâimpiĂ©tĂ©, & se mette Ă la tĂȘte des ennemis de la religion quâun tel homme, Ă lâambition de sâĂ©riger en chef de parti, de se faire un nom par la guerre impie quâil dĂ©clare Ă Dieu, joigne un esprit vif & facile, une imagination brillante & pittoresque ; bientĂŽt il deviendra lâoracle de nos beaux- Toms II, D 74 Lâ Ă C O L E esprits, de nos petits-maĂźtres, qui font ou trop lĂ©gers ou trop superficiels pour vouloir rien approfondir, ou trop corrompus & trop vicieux pour aimer Ă le faire. Quoiquâil soit historien sans bonne foi i , philosophe sans raisonnement, moraliste sans principe, il fera lâidole de ses admirateurs, qui se laisseront Ă©blouir par le coloris de son pinceau , par la hardiesse de ses dĂ©cisions, par la douceur & la commoditĂ© de sa morale. Une foule de disciples courra dans sa dĂ©licieuse retraite entendre ses leçons dâimpiĂ©tĂ©, ou sâempressera de les aller prendre dans ses ouvrages. Son nom , son autoritĂ© , qui leur tiendront lieu de preuves, exerceront fur leurs sentimens un pouvoir despotique qui les pliera Ă son grĂ© & les subjuguera sans rĂ©sistance. Et ils oseront encore aprĂšs cela nous traiter dâesprits foibles '& serviles , qui croient aveuglĂ©ment les mystĂšres les plus incomprĂ©hensibles, quoique nous ne les croyions que fur le tĂ©moignage infaillible de Dieu mĂȘme ! Car, ce qui mĂ©rite i Il invente ce quâil ne fait pas , & change ce â qu i! fait. Lorsque le Lord , pere du Vicomte de Bo- lingbrocke, lui dit au sujet dâun fait tronquĂ© & embelli de lâHistoire de Charles II Convenez que les choses ne fe passĂšrent pas ainsi ? Il lui rĂ©pondit Et vous , Milord , convenez que cela efi mieux comme je ls rapporte. Milord sourit, lĂ© regarda & le quitta. - des MĆurs. 75- dâĂštre observĂ© ici, il ne sâagit pas de se rĂ©crier fur ce que nos mystĂšres font inconcevables il nâest question que de savoir si, tout impĂ©nĂ©trables quâils font en effet, ils ont pour eux lâautoritĂ© de la rĂ©vĂ©lation divine. Câest lĂ le point dĂ©cisif de la religion. Si elle peut le prouver, comme elle le prouve invinciblement; dĂšs-lors, quelle que soit la profondeur de ses dogmes, il faut nĂ©cessairement que la fiertĂ© de la raison sâabaisse & plie devant eux il faut quâelle consente Ă croire ce quâelle ne comprend pas, Ă moins quâelle ne prĂ©tende que Dieu, qui est la vĂ©ritĂ© par essence,ait voulu autoriser lâerreur & nous tromper lui-mĂȘme; ce qui feroit mettre dans lâidĂ©e que nous devons avoir de Dieu une monstrueuse contradiction. Que faut-il donc penser de lâAuteur de lâinfame EpĂźtre Ă Uranie ? AprĂšs sây ĂȘtre dĂ©clarĂ© hautement lâennemi du divin Fondateur de la religion chrĂ©tienne, ne se rĂ©fute & ne fe condamne-t-il pas lui- mĂȘme par ces beaux vers dignes dâun meilleur ouvrage! Ciel, ĂŽ Ciel ! quel objet vient de frapper ma vue ! Je reconnois le Christ puissant & glorieux. AuprĂšs de lui dans une nue , Sa croix se prĂ©sente Ă mes yeux. Sous ses pieds triomphans la mort est abattue Des portes de lâEnfer il est victorieux. D L 76 Lâ Ă C O L E Son regne est annoncĂ© par la voix des oracles Son trĂŽne est cimentĂ© par le sang des Martyrs. Tous les pas de ses Saints font autant de miracles; Il leur promet des biens plus grands que leurs dĂ©sirs. Ses exemples font fonts, fa morale est divine. Il console en secret les cĆurs quâil illumine. Dans les plus grands malheurs il leur offre un appui ; Et fi fur l'imposture il fonde fa doctrine, Câest un bonheur encor dâĂȘtre trompĂ© par lui. VOLTAIRE, Non, fans doute, une doctrine fondĂ©e fur lâimposture ne peut avoir les caractĂšres divins que donne Ă la religion chrĂ©tienne le PoĂ«te dâUranie, ausii hardi dans ses pensĂ©es quâaccoutumĂ© Ă les dĂ©truire & Ă les combattre.. Auffi ne sommes- nous pas rĂ©duits Ă des incertitudes ni Ă de simples vraisemblances fur la vĂ©ritĂ© du Christianisme. Si elle nâĂ©toit pas Ă©tablie fur des preuves solides & convaincantes , on ne seroit pas obligĂ© de la reconnoĂźtre, ni coupable de lâavoir mĂ©connue. Dieu qui, en qualitĂ© dâEtre suprĂȘme, peut & doit exiger un culte de la part des hommes , leur doit donc & se doit Ă lui-mĂȘme de leur apprendre quelle est la religion qui seule a droit de lui plaire. Il doit la marquer tellement de son sceau divin, que, sans dĂ©raisonner, on ne puisse soupçonner mĂȘme que les hommes seuls en soient les auteurs. Auilt Des MĆurs. 77 n-t-il eu soin de le faire, en imprimant Ă sa rĂ©vĂ©lation des caractĂšres qui en attellent Ă©videmment la divinitĂ©. Mille belles plumes ont dĂ©veloppĂ© , dans de savans Ouvrages, ces caractĂšres lumi- neux qui portent nĂ©cessairement la conviction dans tout esprit droit & raisonnable. Nous nous bornerons ici Ă deux, qui, chacun en particulier , suffiroient pour convaincre que la religion chrĂ©tienne ne peut ĂȘtre que lâouvrage de Dieu. Câelt le miracle auffi Ă©tonnant quâavĂ©rĂ© de la rĂ©surrection de Jesus- Christ, & les circonstances merveilleuses de lâĂ©tablissement du Christianisme. Jeune homme que je veux instruire ici , je suppose que vous nâĂȘtes point de ces esprits frivoles ou corrompus, qui 11e lisent quâavec rĂ©pugnance ce qui regarde la religion indice trop certain quâils ne lâaiment point, si mĂȘme ils ne vont pas jusquâĂ la haĂŻr secrĂštement, parce quâelle les gĂšne ou les condamne. Jâaime au contraire Ă me persuader que la regardant avec raison comme la choie la plus importante qui soit au monde, ,vous lui ĂȘtes sincĂšrement attachĂ© ; & que vous relisez toujours avec plaisir les solides preuves qui vous confirment de plus en plus dans la douce & satisfaisante persuasion , que la religion que vous avez le bonheur de professer est D ? 78 Lâ Ă c o L E vĂ©ritablement divine. Ceux qui pouvant lâĂ©tudier, ne veulent pas sâen donner la peine, & aiment mieux, comme ils le disent, sâen tenir Ă la foi du Charbonnier 2, marquent peu de religion & une secrete disposition a lâincrĂ©dulitĂ© , ou une indiffĂ©rence criminelle pour la plus nĂ©cessaire de toutes les connois. sauces. O vous que les leçons de lâimpiĂ©tĂ© ont prĂ©venu contre elle , Ă©tudiez-la avec le dĂ©sir sincere de connoĂźtre la vĂ©ritĂ© ; & bientĂŽt vous ferez convaincu quâelle eff marquĂ©e au sceau de la DivinitĂ©. Câest ce qui est arrivĂ© Ă deux favans Anglois, Milord Littletou, & M. Gilbert Werst. AprĂšs avoir long-temps fait pro- feilion de dĂ©isme, ils Ă©tudiĂšrent enfin la religion chrĂ©tienne avec lâapplication que mĂ©rite une affaire de cette importance. Ils Ă©prouvĂšrent lâun & lâautre ce quâils ont souvent rĂ©pĂ©tĂ© depuis, que tout honnĂȘte homme qui lâĂ©tudie sĂ©rieusement, ne tarde guere Ă reconnoitre le foible des objections quâon fait contre elle, & la soliditĂ© des preuves fur lesquelles elle est Ă©tablie. La lumiĂšre brilla 2 On detrandoit un jour Ă un Charbonnier Que crois-tu? Il rĂ©pondit Ce que cnit C Eglise.. On lui demanda encore Mais que croit lâEglise ? Ce que je crois, rĂ©pliquĂąt-il. Une telle profession de foi Ă©toit une ignorance grossiĂšre ou une vraie dĂ©rision. ĂŻ E S M Ć 13 R S. 7 $s Ă leurs yeux, les nuages des prĂ©jugĂ©s fe dissipĂšrent j &, ce qui fera toujours le fruit des recherches en cette matiĂšre & de la droiture du cĆur , ils reconnurent & embrassĂšrent enfin la vĂ©ritĂ©. Mais que cette droiture de cĆur est; rare ! On cherche moins Ă sâinstruire , quâĂ fe rassurer dans le parti inquiĂ©tant de lâincrĂ©dulitĂ©. Combien de personnes, pour vivre plus tranquillement dans leurs dĂ©sordres, & pour fe livrer plus impunĂ©ment Ă leurs passions, voudroient que la religion fĂ»t fausse, & cherchent de tous cĂŽtĂ©s des doutes, quâils aiment Ă prendre pour des vĂ©ritĂ©s ! Ils applaudissent Ă tous les traits quâon lance contre elle. Ils dĂ©vorent avec une espece de voluptĂ© tous ces poisons rĂ©chauffĂ©s quâils trouvent dans ces libelles impies dont le public est inondĂ©; tandis que presque aucun dâeux ne daigne jeter les yeux fur les excellens ouvrages qui ont Ă©tĂ© faits pour dĂ©fendre la religion. Ils y verroient quâon ne lâattaque que par le mensonge, par la mauvaise foi, par de misĂ©rables sophismes que ses adversaires ne cessent de rĂ©pĂ©ter , quoiquâon y ait cent fois victorieusement rĂ©pondu. Ils y verroient que les preuves quâelle donne de fa divinitĂ© , font non-feulement invincibles, mais si claires & si faciles Ă comprendre* D 4 §0 Lâ Ă C 0 L B quâil nây a personne qui ne puMe- en sentir la vĂ©ritĂ©. Tel est sur-tout lâĂ©clatant miracle de la RĂ©surre&ion de Jesus-Chrifi. Comme il nây a que la toute-puillĂ nce divine qui puisse arracher Ă la mort lĂšs victimes , & rendre la vie Ă ceux qui lâont perdue; il nây a quâun Dieu feit homme qui puisse se ressusciter lui-mĂȘme. Jamais aucun imposteur nâa eu la folie dâannoncer quâaprĂšs sa mort il sortiroit vivant du tombeau. Jesus-Christ est le seul envoyĂ© de Dieu, qui ait osĂ© faire une telle prĂ©diction , & la donner comme la marque la plus certaine de lâauthenticitĂ© de sa million. ; . Cette prĂ©diction croit devenue si publique & si connue, que le lendemain de sa mort , les Princes des PrĂȘtres & les Pharisiens allĂšrent ensemble chez Pilate, & lui dirent â Seigneur, nous nous sommes souvenus que ce SĂ©ducteur a dit, lorsquâil Ă©toit encore en vie Je rejjĂźifciterai trois jours aprĂšs. Commandez que son sĂ©pulcre soit gardĂ© jusquâau troisiĂšme jour, de peur que ses Disciples, venant dĂ©rober le corps , ne disent au peuple quâil est ressuscitĂ© ; & quâainsi la derniere erreur ne soit pire que la premiĂšre. . 3 Matth, XII. 39 . XXVII. 62 . Joan. II. 19. n e s M Ć u r s. gi Si donc la RĂ©surrection de J&sus Christ nâest quâune fable, li les preuves mĂȘme quâon en a ne font quâĂ©quivoques ou incertaines; brisons ses statues, renversons ses autels, & ne le regardons plus que comme un misĂ©rable sĂ©ducteur , un imposteur sacrilege, qui a voulu follement abuser de notre crĂ©dulitĂ© & usurper les honneurs divins, allais sâil est vraiment revenu Ă la vie, ainsi quâil lâavoit prĂ©dit ; si la preuve que nous en avons est portĂ©e jusquâau plus haut degrĂ© de certitude que les hommes pussent jamais avoir ; il faut quâĂ son nom tout genou flĂ©chisse, & quâon le reconnusse pour le MaĂźtre souverain du Ciel & de la terre. Or ce prodige unique & inouĂŻ jul- quâalors , est prouvĂ© par un grand nombre de tĂ©moins oculaires & dignes de foi, par lâaveu de ses ennemis, par le tĂ©moignage de Dieu mĂȘme. U nây a donc jamais eu dâĂ©vĂ©nement mieux attestĂ© ; & la certitude que nous en avons, est la plus grande quâon puisse jamais avoir. Mais examinons un moment tous ces tĂ©moignages , & pelons-les. Les premiers qui dĂ©posent en faveur de la rĂ©surrection de JĂ©sus-Christ, font tous ses ApĂŽtres & tous ses Disciples tĂ©moins oculaires , & qui mĂ©ritent la plus forte crĂ©ance. Lâillusion, la prĂ©vention , le prestige nâont eu aucune part D 5 8r Lâ Ă c o i e Ă ce quâils voyoient. On ne peut pas les soupçonner dâune crĂ©dulitĂ© simple ou indiscrĂšte. MalgrĂ© les tĂ©moignages les plus prĂ©cis, les plus formels des saintes femmes , ils traitoient tout ce quâelles leur rapportaient, de folie & de vision. Ce ne fut quâaprĂȘs quâil se fut fait voir Ă eux plusieurs fois, quâil eut mangĂ© devant eux, & quâil leur eut fait toucher son corps & ses plaies mĂȘme, que fa rĂ©surrection leur parut un fait conL- tant & indubitable 4 . Ce nâest point un seul, ni quelques- uns des Disciples qui lâont vu outre les onze ApĂŽtres, plus de cinq cents fidelles, rĂ©unis en un lieu, lâont vu tous ensemble , comme saint Paul nous lâapprend dans fa lettre aux Corinthiens, oĂč il les renvoie au tĂ©moignage de plusieurs dâentre eux qui vivoient encore Cf- Us ne lâont pas vu une fois, mais plusieurs fois, ni rapidement & 'par maniĂ©rĂ© dâapparition , mais ils ont conversĂ© & vĂ©cu avec lui. Ce qui donne encore plus de force & de poids Ă tant de tĂ©moignages rĂ©unis, câest quâun fourbe ne dĂ©bitera jamais ses mensonges, sâil nâen espere aucun avan- 4 Luc. XXIV. 3 1 -39. 5 Visas est plat Cjuam quingentis frairihus stmiĂŒ - ex qiubw mutii manant usina atihuc. I. Cor. XV. L. des MĆurs.' 8; tage. Or quel intĂ©rĂȘt les Disciples de Jesus-Christ pouvoient-ils avoir de faire passer pour ressuscitĂ© un homme qui ne lâĂ©toit pas, ou plutĂŽt quel intĂ©rĂȘt nâa- voient-ils pas Ă cacher mĂȘme cette rĂ©surrection ? Loin dâattendre quelque fĂ©licitĂ© temporelle pour prix de leur courage, ils favoient les dangers auxquels ils sâexpo- soient, ils favoient quâils alloient allumer de plus en plus contre eux la fureur de la nation. Les insultes, les mauvais trai- temens, les chaĂźnes, les prisons ont payĂ© la constance de leur tĂ©moignage. Sous les grĂȘles de pierres, fous le tranchant dâun fer homicide , dans les ombres & les horreurs de la mort, ils ont persistĂ© dans leur dĂ©position. CâĂ©toit dans le temps mĂȘme quâon Ă©taloit Ă leurs yeux le formidable appareil des supplices , dans le temps quâils alloient expirer fous la main des bourreaux , quâils confei- foient avec le plus dâintrĂ©piditĂ© la vĂ©ritĂ© des faits quâils annonqoient Ă lâunivers. Ah! croyons-en, dit trĂšs-bien Pascal f des tĂ©moins qui fe font Ă©gorger. 11s- Ăštoient donc tous bien intimement convaincus de la rĂ©surrection de leur MaĂź tre > & ils nâont pu ĂȘtre fur ce point essentiel ni trompĂ©s, ni trompeurs. Ce qui ne paroĂźtra pas moins dĂ©cisif, ' câest que le tĂ©moignage des ennemis D S 84 Lâ Ă c o l e mĂȘme de Jesus-Christ confirme la vĂ©ritĂ© de fa leur propre aveu, le corps de JĂ©sus ne fut plus trouvĂ© dans le tombeau le troisiĂšme jour aprĂšs lĂ mort ; & il est humainement impoiiible quâil en ait Ă©tĂ© enlevĂ©. Cas, pour quâon lâait pu faire, il faut supposer que tous les soldats de la garde que les chefs de la Synagogue avoient mis eux-mĂȘmes , & lâon peut sâimaginer quâils les avoient bien choisis, Ă©toient, fans en excepter un seul, profondĂ©ment endormis. Mais en admettant mĂȘme quâils le fus. sent tous livrĂ©s Ă un sommeil si peu vraisemblable, il faut supposer encore que ces soldats Ă©tant disposĂ©s autour du sĂ©pulcre , aucun nâa Ă©tĂ© Ă©veillĂ© par lâĂ©branlement dâune pierre aussi pesante quâĂ©toit celle qui fermoit le sĂ©pulcre taillĂ© dans le roc, & qui dut nĂ©cessairement ĂȘtre renversĂ©e. U faut supposer de plus quâaucun nâa Ă©tĂ© Ă©veillĂ© par les divers mou- vemens que doivent naturellement se donner des gens qui veulent tirer un cadavre du tombeau. En vĂ©ritĂ©, les tĂȘtes incrĂ©dules font Ă©tranges elles refusent opiniĂątrement de croire ce quâon leur prouve avec Ă©vidence, & croient fans, peine ce qui nâa pas la moindre ombre, de vraisemblance. Quelle force dâesprit, que celle quâon ne montre que contre la raison !. n E S M Ć U R 8. 8f Peut-on sensĂ©ment s'imaginer que les ApĂŽtres, ces gens si timides qui ont tous pris la fuite & abandonnĂ© leur MaĂźtre avant sa mort, aient eu la hardiesse de venir enlever son corps si bien gardĂ© ? Etre forcĂ© dâavoir recours au subterfuge le plus invraisemblable, au conte le plus puĂ©rile, en publiant, comme lâont fait les ennemis de Jesus-Christ, que ses Disciples avoient fait cet enlĂšvement tandis que tous les gardes dormoient, nâelsce pas un aveu tacite, & une preuve bien forte, quâils nâĂ©toient que trop convaincus quâil Ă©toit sorti vivant du tombeau ? Sâil ne sâest pas montrĂ© Ă ses ennemis aprĂšs sa rĂ©surrection, pour les convaincre & les convertir , câest quâils sâen Ă©toient rendus indignes en mettant le comble Ă leurs crimes par le plus grand de tous ; câest que ce prodige nâeĂ»t pas. Ă©tĂ© plus efficace pour leur conversion , que tant dâautres Ă©clatans quâil avoit. opĂšres fous leurs yeux. Et pour ne parler ici que dâun seul, quel effet avoir produit sur ces cĆurs endurcis par la haine, le miracle incontestable de la rĂ©surrection de Lazare, enseveli depuis quatre jours dans le tombeau, que de leur faire prendre lâĂ©tonnante & insensĂ©e rĂ©solution de lây faire rentrer, pour soustraire Ă leurs, yeux & Ă ceux de tout le peuple la vue trop convaincante dâun prodige si grand. 86 Lâ Ă C O L E & si incontestable ? A ces traits on re~ connoit lâaveuglement de lâenvie & la marche ordinaire des pallions. Enfin le tĂ©moignage de Dieu mĂȘme achevĂ© de mettre le dernier sceau Ă la vĂ©ritĂ© de la rĂ©surrection de Jesus-Christ. Il est impossible que Dieu , qui est la sagesse & la vĂ©ritĂ© infinie, puisse jamais autoriser le mensonge & lâerreur. Or il lâauroitsait, si Jesus-Christ nâĂ©toit pas- vraiment ressuscitĂ©, p'uisque les ApĂŽtres ont attestĂ© & soutenu cette rĂ©surrection par une multitude de miracles Ă©clatans, qui ne peuvent ĂȘtre rĂ©voquĂ©s en doute que par ceux qui font absolument dĂ©cidĂ©s Ă nier tout ce quâils ne veulent pas croire. Dieu donc auroit-il aussi Ă©tĂ© de- concert avec des fourbes & des impost teurs, pour nous tromper & nous jeter dans lâerreur ? Il est donc Ă©vident, pour quiconque ne veut pas obstinĂ©ment fermer les yeux aux plus purs rayons de la lumiĂšre, que Jesus-Christ est vraiment ressuscitĂ©, & par consĂ©quent quâil Ă©toit Dieu ; & que la religion quâil a fondĂ©e, est divine ; puisquâil a donnĂ© positivement lĂ rĂ©surrection suture , comme une preuve authentique de sa divinitĂ© & de celle de la religion quâil venoit Ă©tablir 6. I sa science & les talens, nâa pu engager une feule contrĂ©e de la Grece Ă vivre selon les lois de la nouvelle rĂ©publique dont il avoit tracĂ© le plan ; & des hommes obscurs & groiliers rĂ©duisent les Provinces & les Royaumes fous lâobĂ©issance de lâEvangile. Ils persuadent aux Juifs que Dieu vient dâabolir leur religion , & quâun nouveau culte a remplacĂ© leurs iĂ crifices. Ils leur font reconnoitre comme le Meffie promis par les ProphĂštes avec tant de pompe, celui qui a vĂ©cu parmi eux pauvre & mĂ©prisĂ© ils leur font adorer comme Dieu, celui quâils viennent de crucifier comme un impie & un scĂ©lĂ©rat. Ils font recevoir aux IdolĂątres une religion absolument contraire Ă la leur ; une religion qui proscrit tout ce quâils aiment le plus, leurs usages, leurs fĂȘtes, leurs spectacles ; une religion fĂ©vere qui exige, de ceux qui lâembrassent, la plus grande puretĂ© de mĆurs. Us prĂȘchent des mystĂšres inouĂŻs jusquâalors, des dogmes qui paroissent rĂ©volter la raison humaine ; & on les croit. Ils annoncent une morale absolument opposĂ©e aux inclinations de la nature ; & elle est reque par-tout; & les Grands mĂȘme, les Sages,- les Philosophes embrassent la doctrine de ces pauvres, de ces hommes fans Lettres , & destituĂ©s de tout secours humain, 9Ă V Ă C 0 L E Miracle incroyable, fi les premiers PrĂ©dicateurs du Christianisme nâont pas confirmĂ© leurs prĂ©dications par les merveilles les plus extraordinaires, par les signes les plus Ă©tonnans, & par des prodiges Ă©videmment marquĂ©s du sceau de Dieu! Que fera donc ici le dĂ©iste? Avouera- t-il ces prodiges, qui font mille fois plus notoires & plus constans que les faits les plus avĂ©rĂ©s de lâhistoire profane ? dĂšs-lĂ il a\oue que la religion chrĂ©tienne a Dieu pour auteur. Prendra-t-il le parti dĂ©sespĂ©rĂ© de contester la vĂ©ritĂ© de ces prodiges ? mais ne feroit-ce pas un miracle plus grand & plus incroyable que ceux quâon ne veut pas croire, dâavoir converti le monde fans miracles, dâavoir persuadĂ© tant de choses incroyables Ă des incrĂ©dules , dâavoir soumis tant dâhommes dilfĂ©rens au joug dâune telle religion. Car il est constant que cette religion a Ă©tĂ© embrassĂ©e par un grand nombre de Juifs, par une infinitĂ© dâidolĂątres. Saint JiiJiin , qui vivoit au second siede de lâEglise, compte une infinitĂ© de nations soumises Ă lâĂvangile. Cent ans aprĂšs, Origene & Aniobe disent que le Christianisme est rĂ©pandu par-tout oĂč le soleil porte fa lumiĂšre. Selon les prophĂ©ties, toutes les nations des MĆurs. 9; ont Ă©tĂ© Ă©branlĂ©es. On les a vues briser , leurs idoles , renverser leurs temples , renoncer Ă toutes leurs superstitions, & former ce peuple saint, ce peuple nouveau , qui sâest agrandi & Ă©tendu malgrĂ© toutes les puiisances du-sieçle qui sâestbr- çoient de lâexterminer. Rome mĂȘme, la superbe Rome, aprĂšs avoir jurĂ© la ruine du nom ChrĂ©tien, & sâĂȘtre enivrĂ©e du sang des Martyrs, a enfin subi le joug de cet Homme crucifiĂ©, dont elle per- TĂ©cutoit les Disciples avec tant de fureur. Ces persĂ©cutions ont Ă©tĂ© si universelles & si violentes, que le sang des Martyrs ruisseloit dans les rues , & que les riviĂšres en Ă©toient teintes, filles ont durĂ© plus de trois cents ans, & au bout de ce temps la religion chrĂ©tienne sâest trouvĂ©e rĂ©pandue par toute la terre. Quelle autre religion sâest ainsi accrue, malgrĂ© les plus grands obstacles, fans autres armes, fans autres moyens que les vertus de ses enfans, que le courage & le sang de ses Martyrs ? Plus on le rĂ©pandoit, plus on la rendoit fĂ©conde, semblable Ă la terre que le soc de la charrue fertilise en la dĂ©chirant. Plus les tyrans s'acharnaient Ă la dĂ©truire, plus les IdolĂątres eux-mĂȘmes sâemprelsoient Ă remplacer ceux que le glaive lui enle- yoit. OĂč a-t-on vu ailleurs les bourreaux, 94 Lâ Ă C O L E tout couverts du sang de leurs victimes changer tout-Ă -coup de sentiment , & mĂȘler leur sang Ă celui quâils venoient de verser ? Que lâidolĂątrie, lâathĂ©isme, & dâautres sectes vantent le courage dâun petit nombre de leurs sectateurs qui ont prodiguĂ© leur vie pour elle la religion chrĂ©tienne seule peut compter des millions de personnes de tout Ăąge, de tout sexe, de toute condition, qui ont rĂ©pandu leur sang pour soutenir la religion de Jefus- ChrilE En vain Dodwel, Bayle , & dâautres aprĂšs eux , ont voulu diminuer le nombre de ces gĂ©nĂ©reux athlĂštes qui ont scellĂ© de leur sang la divinitĂ© de la religion que nous faisons gloire de professer. Leur assertion, dĂ©mentie par les tĂ©moignages de Pline , de SuĂ©tone , de tous les PaĂŻens qui ont Ă©crit depuis la naissance du christianifrne, de tous les Auteurs ecclĂ©fialtiques, de toutes les inscriptions , de tous les monumens, ne peut soutenir les regards de la vĂ©ritĂ© ; & la haine feule de la religion peut lui fournir encore des En dĂ©pit de leur audacieuse critique, lâunivers Ă©quitable respectera toujours ces monumens authentiques que conserve lâEglise, & oĂč nous trouvons plus de dix millions de Martyrs qui ont rendu tĂ©moignage Ă Jefus-Chrilt. Toutes les sectes ensemble , b e s MĆurs. pouroient~ mettre en parallele Ăźiir ce point avec la religion chrĂ©tienne i & quelle preuve convaincante de sa divinitĂ© ! Car il faut nĂ©ceilĂ irĂ©ment, ou que tant de millions de personnes qui ont rĂ©pandu tout leur sang dans les plus cruels supplices pour cette nouvelle religion quâils venoient dâembrallĂšr, y aient vu Ă©videmment quelque chose de surnaturel & de divin, ou quâils aient tous absolument perdu lâesprit, & quâils soient devenus fous jusquâĂ la dĂ©mence. Mais supposer que tant dâhommes soient devenus fous & insensĂ©s, nâelf-ce pas, de toutes les suppositions, la plus folle elle- mĂȘme & la plus extravagante i Lâimpolleur Mahomet, que nos impies osent comparer Ă Jesus-Christ , a bien pu sĂ©duire les peuples & contrefaire le ProphĂšte , par de prĂ©tendues rĂ©vĂ©lations qui ne cachoient que sa foibleise 7 . Mais il nâa prouvĂ© sa million par aucun signe Ă©clatant & divin , & jamais ses disciples nâont osĂ© lui en attribuer. Il elf mort fins ressusciter ; & la superstition qui honore son tombeau atteste elle-mĂȘme ce 7 Comme il tomboit souvent du mal caduc, il persuada dâabord Ă sa femme, & par elle Ă beaucoup dâautres j que ces actĂ©s uâepileplie Ă©toient des., extales causĂ©es par ses communications sĂ©crĂ©tĂ©s avec sAnge .G-abriçi. 9§ V Ă C O L E quâelle en pense. Une ignorance grossiĂšre , un silence politique prescrit par le LĂ©gislateur mĂȘme ensevelissent dans des tĂ©nĂšbres Ă©paisses lâabsurditĂ© des dogmes musulmans, & plongent dans une nuit obsenre ses disciples aveugles. Il faut fans doute que cet aveuglement soit bien profond, puisque le tĂ©moignage de leur ProphĂšte devrait suffire pour leur faire ouvrir les yeux. Pouroit-on le croire, si lâerreur Ă©toit moins accoutumĂ©e Ă se contredire ? Mahomet avoue lui-mĂȘme dans son Alcoran, que Moyse fut dâabord envoyĂ© de Dieu & quâaprĂšs Moyse vint le Messie, quâil appelle le V erbe. Le Messe JĂ©sus , fils de Marie , dit-il, est ProphĂšte U ApĂŽtre de Dieu , son Verbe & son Esprit. Mais si Jesus est ProphĂšte Ă ApĂŽtre, Mahomet ne lâest donc pas, puisquâil Ă©tablit une religion entiĂšrement opposĂ©e Ă celle de Jefus- Christ car Dieu ne saurait ĂȘtre en contradiction avec lui-mĂȘme. Mahomet est donc un faux ProphĂšte & un imposteur. La religion musulmane nâa dâailleurs dâautres preuves de fa rĂ©vĂ©lation que le tĂ©moignage de Mahomet. Elle nâa Ă©tĂ© ni annoncĂ©e par des prophĂ©ties, ni confirmĂ©e par des prodiges. Mahomet disoit lui-mĂȘme quâil ne faisoit point de miracles , & quâil Ă©toit venu fonder fa religion par les armes. Crois que notre ProphĂšte. a- des MĆurs. 97 a parlĂ© Ă i Ănge Gabriel , ok je te tue. VoilĂ , dit un de nos Philosophes z , toute la pveuve du MahomĂ©osine , & k raison de ses progrĂšs, ses Soldats de Mahomet ont Ă©tĂ© ses ApĂŽtres, au lieu que les ApĂŽtres de Jesus-Christ ont Ă©tĂ© des Martyrs. Qui pouroit donc sĂ©rieusement comparer lâĂ©tablissement de la Religion Ma- ho nĂ©tane Ă celui de la Religion ChrĂ©tienne? Celle-lĂ nâa eu Ă vaincre que des obstacles ordinaires, & elle les a surmontĂ©s par les moyens les plus naturels & les plus propres Ă assurer lâentreprise câest un de ces Ă©vĂ©nemens qui nâont rien de quoi beaucoup nous Ă©tonner. LâĂ©tablissement du Chriltianisme, au contraire, commencĂ© par des moyens naturellement incapables de le faire rĂ©ussir, continuĂ© malgrĂ© mille obstacles humainement insurmontables, & couronnĂ© du succĂšs le plus Ă©tendu, nâa-t-il pas de quoi jeter dans lâĂ©tonnement ? & ne force-t il pas Ă y reconnoĂźtre le doigt de Dieu? Veut-011 encore une autre preuve non moins sensible & toujours subsistante de la vĂ©ritĂ© de la Religion ChrĂ©tienne nos plus anciens ennemis lâostrent Ă nos 8 M. VA'er/iberf. Tome II. E 58 LâEcole yeux. Câest lâĂ©tat des Juifs, leur dispersion , leur conservation Ă©tonnante depuis tant de siĂšcles. DĂšs les premiers temps, ils ont vu sâaccomplir en eux cette terrible malĂ©diction , quâils avoient prononcĂ©e contre eux-mĂȘmes, lorsquâau tribunal de Pilate ils avoient osĂ© sâĂ©crier , en maudissant Jesus-Christ Que son sang retombe sur nous U sur nos enfans. Ils ont vu, comme il le leur avoit prĂ©dit, renverser, dĂ©truire de fond en comble , & sans quâil y restĂąt pierre fur pierre, les murs de JĂ©rusalem- & son Temple, cĂ©lĂ©brĂ© , que Julien nâenfreprit avec tant dâĂ©clat de relever, que pour vĂ©rifier plus parfaitement la prĂ©diction de Jesus-Christ, en voulant lâanĂ©antir. Il excita les Juifs Ă rebĂątir leur Temple, il leur donna des sommes immenses ,\Sc les aida de toutes les forces de lâEmpire. Ecoutez, dit lâillustre EvĂȘque de Meaux, qĂŒel en fut lâĂ©vĂ©nement, A voyez comme Dieu confond les Princes superbes. Les Saints Peres & les Historiens ecclĂ©siastiques le rapportent unanimement ; mais il falloir que la chose fĂ»t attestĂ©e par les PaĂŻens mĂȘme. â Tandis quâAlipius , dit Ammien Marcellin , Officier & zĂ©lĂ© dĂ©fenseur de Julien lâApostat, aidĂ© du Gouverneur de la province, prefloit lâouvrage avec le plus dâardeur, dâaffreux tourbillons de flamme des MĆurs. 99 sortirent des fondemens par des Ă©ruptions frĂ©quentes, & brillĂšrent une partie des travailleurs ; ceux qui recommencĂšrent lâouvrage , furent Ă©galement consumĂ©s Ă diverses reprises ; & le lieu devint si inaccessible, quâil fallut abandonner lâentreprise 9. " Les Juifs ainsi frustrĂ©s de leur derniĂšre espĂ©rance , ont vu continuer Ă sâexĂ©cuter en eux avec plus de rigueur & moins de ressource que jamais les menaces de leurs ProphĂštes, qui leur avoient annoncĂ© quâils ferment longtemps fans chef, sans patrie, fans temple, fans prĂȘtres, fans sacrifice 10. Cette nation malheureuse, errant de peuple en peuple, conservant par-tout une existence prĂ©caire, & continuĂ©e nĂ©anmoins depuis si long-temps, porte dans toutes les parties du Monde, la preuve manifeste de son crime, & dĂ©montre Ă tout lâunivers la divinitĂ© de ce Jesus quâelle ose blasphĂ©mer. Que sont devenus tous ces peuples 9 Ce fait, rapportĂ© par Ammien Marcellin , lĂźv. 2 Z» est encore attestĂ© par de cĂ©lĂ©brĂ©s Auteurs contemporains , tels que 8. Chryfostome, S. GrĂ©goire Je Na- zianze, S. Ambroise, Le. 10 Dies multos filii Israel Ăne rege, tT 1 Ăne principe, 5 fins facrifiiio , ÂŁ 7 Ăne alt M. de Montazet , ArchevĂȘque de Lyon. Ou trouve dans cette ample Inllrusticn , qui forme im volume de prĂšs de soo pages, toutes les principales preuves de la religion, noblement exposĂ©es. des MĆurs. ioi eenfs ans, ni interrompu leur cours, ni mĂȘlĂ© leurs eaux avec celles de cet immense abyme. Par quel prodige un peuple , sĂ©parĂ© en une infinitĂ© de familles particuliĂšres, sâest-il donc conservĂ© fans avoir aucun des moyens qui tiennent les autres peuples unis ? Comment, nâĂ©tant rĂ©pandu parmi les nations que comme une poudre legere, a-t-il pu survivre Ă leur anĂ©antissement, & continuer de detsus leurs ruines dâĂȘtre un sujet dâĂ©tonnement Ă lâunivers ? il faut sâaveugler volontairement pour ne pas reconnoitre dans lâĂ©tat des Juifs une main invisible & puilsante, qui les fait subsister pour lâexemple & pour lâinstruction du genre humain, pour rendre tĂ©moignage aux prophĂ©ties, dont lâaccomplissement indubitable atteste non - seulement que le Messie promis est venu, mais que ce Messie est Jesus-Christ lui-mĂȘme , & pour mettre le comble Ă la dĂ©monstration de lâEvangile. Si lâon ne saurait, sans renoncer aux plus pures lumiĂšres de la raison, rĂ©voquer en doute lâauthenticitĂ© des livres de lâAncien Testament, parce que nous les avons reçus des Juifs eux-mĂȘmes, nos plus obstinĂ©s ennemis, qui nous les ont transmis avec la plus inviolable fidĂ©litĂ©, & qui les rĂ©vĂšrent encore aujourdâhui comme divins, peut-on douter davantage E ; 102 Lâ Ă C O L E de la certitude des faits consignĂ©s dans les nouvelles Ecritures, fur lesquelles esc Ă©galement appuyĂ©e la vĂ©ritĂ© de la Religion ChrĂ©tienne? Les livres qui composent le Nouveau Testament, sont lâouvrage de huit Auteurs contemporains , dont les uns Ă©crivent ce quâils ont vu de leurs propres yeux , & les autres ce quâils ont appris de tĂ©moins oculaires 12 . Quelle autre histoire a eu autant de garans, & des ga- rans austi authentiques ? Une multitude de peuples divers ont reçu ces Ecrits, & les ont traduits ausii- tĂŽt quâils ont Ă©tĂ© composĂ©s ; & ils sâaccordent tous Ă leur donner les mĂȘmes auteurs. Ki le fameux philosophe Celse , qui, presque dans lâorigine e , a attaquĂ© nos livres sacrĂ©s avec tant dâartifice, ni Julien lâApostat, quoiquâil nâait rien omis de ce qui pouvoit les dĂ©crier, ni aucun autre PaĂŻen ne les ont jamais soupçonnĂ©s dâĂȘtre supposĂ©s. Pour les croire tels, il faudrait admettre que tous les peuples devenus ChrĂ©tiens, se sont unis pour'les fabriquer & les rĂ©pandre ensuite sous des noms imaginaires ; ou quâeux-mĂȘmes y aient Ă©tĂ© trompĂ©s. Mais comment des millions il Les quatre EvaiigĂ©iiSes, & S. Paul, S, Pierre, S. Jacques & S. Jucle. des 'MĆurs. âą. ic? dâhommes auroient-ils pu ĂȘtre abusĂ©s fur un fait on lâerreur Ă©toit si facile-ji'dĂ©couvrir ; ou comment auroient-ils tous conspirĂ© Ă accrĂ©diter & .Ă faire-prĂ© valoir lâimposture ? Quoi ! des hommes ernbraf. sent une religion qui abhorre le mensonge -, ils sâexposent pour elle aux plus violentes persĂ©cutions, Ă la mort mĂȘme la plus cruelle & fans intĂ©rĂȘt comme fans raison, ils se seront accordĂ©s'dans le coupable dessein dâen imposer Ă - tous les siĂšcles ; ils auront donnĂ© , comme des ouvrages divins, leurs propres inventions ou celles de lâimposteur qui ose les appeler en tĂ©moignage de mille faits dont iis connoissoient la faussetĂ© ; & ni les divisions qui se sont Ă©levĂ©es 'entre les Ă©glises particuliĂšres, ni la diversitĂ© des intĂ©rĂȘts , des caractĂšres dâune multitude innombrable de complices, nâauront jamais dĂ©terminĂ© personne Ă dĂ©voiler la fraude ou Ă dĂ©sabuser la terre» En vĂ©ritĂ© câest trop honorer une pareille supposition, que de la combattre sĂ©rieusement. Il nâest pas plus vraisemblable que les Ecrits des ApĂŽtres aient pu ĂȘtre altĂ©rĂ©s ou corrompus. Dans tous les temps lâEglise Catholique les regarda comme lâouvrage,de lâEsprit-Saint elle fut toujours persuadĂ©e quâĂŽn ne pouvoir y ajouter ou en retrancher, sans impiĂ©tĂ© & - E 4 104 Lâ Ă C 0 L E sans lacrilege. De lĂ cette attention religieuse avec laquelle elle ne cessa de veiller sur la puretĂ© de ce dĂ©pĂŽt sacrĂ©. Que dâobstacles dâailleurs ne se seroient pas opposĂ©s au dessein de corrompre ou dâaltĂ©rer lâhistoire de lâEvangile ! Les copies en Ă©toient rĂ©pandues dans toute la terre. Elle Ă©toit entre les mains de tous les fidelles on la lisoit sans cesse dans les familles, dans les maisons particuliĂšres, & dans les assemblĂ©es publiques de la religion. Des Ecrits si publics, si chers Ă tous les ChrĂ©tiens, pouvoient-ils souffrir la moindre altĂ©ration , sans quâil sâĂ©levĂąt de toutesles extrĂ©mitĂ©s du monde mille voix pour rĂ©clamer? Et ne rĂ©sulte- t-il pis manifestement de la rĂ©union de toutes ces circonstances, que les Ecritures du Nouveau Testament font parvenues jusquâĂ nous sans aucune altĂ©ration importante ? Ce nâest pas tout. Comme les-ApĂŽtres nâont pu ĂȘtre trompĂ©s fur les faits quâils nous rapportent, puisque ce font,des Ă©vĂ©ncmens dont ils ont Ă©tĂ© les tĂ©moins oculaires & souvent les principaux ins- trumens, il est Ă©galement certain quâils nâont pas voulu nous tromper. Sans parler ici de plusieurs autres preuves que nous avons de leur sincĂ©ritĂ© & de leur bonne foi; la mort feule quâils ont soufferte , imprime Ă leur tĂ©moignage je sceau des MĆurs. iop irrĂ©fragable de la vĂ©ritĂ©. Car ce quâil importe sur-tout de bien considĂ©rer ici, ce qui rend invincible la preuve que nous tirons de ces premiers Martyrs, & ce qui les met hors de toute comparaison avec ceux que lâincrĂ©dule se plaĂźt Ă nous opposer, câest que, bien diffĂ©rais des enthousiastes de toutes les sectes, les Martyrs du Christianisme naissant sont des Martyrs de faits & non pas dâopinions. Quâun homme obstinĂ© puisse donner sa vie pour un sentiment faux quâil croit vrai, la conscience alors, quoique dans les tĂ©nĂšbres, tient lieu de vĂ©ritĂ© & de lumiĂšre. Mais que des sĂ©ducteurs fans- intĂ©rĂȘt & fans motif, ou pour la seule satisfaction de faire prĂ©valoir lâimposture, affrontent tout-Ă -la-fois la rigueur des tourmens, les horreurs du trĂ©pas, le cri de la conscience, les menaces de Dieu ; & cela fans rien espĂ©rer de leur folle obstination, avec la certitude mĂȘme dâen ĂȘtre les victimes ; câest une espece' de dĂ©lire qui est contre la nature, & dont il nây a pas dâexemples dans lâhistoire. Or les ApĂŽtres ont tous offert ou. sacrifiĂ© leur vie, pour attester des faits- publics ,-Ă©clatait s, qui ne laissoicnt aucun- lieu Ă la mĂ©prise , tels que la. multiplication miraculeuse des pains dans le dĂ©sert, la rĂ©surrection publique de trois; io E S M E U R 5. 129 droiture & de probitĂ© quâils ont encore» ils les doivent souvent Ă cette religion mĂȘme, dont il relie au-dedans dâeux & malgrĂ© eux, des traces quâils ne peuvent effacer» câest que les principes naturels, plus puiißà ns que leurs principes menteurs , les dominent Ă leur infçu la conscience , le sentiment les preffent, les font agir en dĂ©pit dâeux , & les empĂȘchent dâaller jusquâoĂč les conduiroit leur tĂ©nĂ©breux systĂšme. Mais la plupart des autres incrĂ©dules, plus consĂ©quens & plus fidel- les Ă leur doctrine , en font la regle de leur conduite. Les mauvais principes entraĂźnent tĂŽt ou tard au mal. Les saustss maximes font mĂȘme plus dangereuses que les mauvaises actions, parce quâelles corrompent la raison elle-mĂȘme, & ne laissent presque aucun espoir de retour. Lâ Ă C O L E l?o XVI. DĂ©lestez Ă? l'impie U ses dogmes trompeurs fis sĂ©duisent lâesprit , ils corrompent Iss mĆurs. Pour juger sainement, de la doctrine de nos philolophes incrĂ©dules , il ne Haut pas se lailser Ă©blouir par le vernis brillant dâun style sĂ©ducteur , par quelque» maximes imposantes , par une raillerie maligne , dont les plus habiles dâentre eux ont pris foin de la couvrir, pour mieux sĂ©duire & tromper les esprits lĂ©gers , superficiels & ignorans. 11 faut en pĂ©nĂ©trer le fond , chercher les causes sĂ©crĂ©tĂ©s qui lâinspirent ou la sont adopter Ă ses partisans, & examiner les effets quâelle doit naturellement produire. La Religion ChrĂ©tienne, dit lâAuteur de lâInstruction pastorale que nous avons dĂ©jĂ citĂ©e , est Ă©galement destinĂ©e Ă soumettre notre esprit & Ă rĂ©former notre cĆur. Elle ne nous propose pas seulement des. mystĂšres profonds Ă croire, elle nous prescrit encore des devoirs pĂ©nibles & des vertus sublimes Ă pratiquer. Si Jesus-Christ est Dieu, fi sa doctrine est vĂ©ritable, il faut nĂ©ceflĂ irement ou obĂ©ir Ă {ses lois, ou sâattendre Ă subir les des MĆurs. ĂŻ?i peines terribles dont il menace les transi, greiĂźeurs & les rebelles. Et de quel Ćil une telle alternative peut-elle ĂȘtre envisagĂ©e par des hommes que lâorgueil domine, que la voluptĂ© enchante, qui ne connoissent point de plus grand bonheur que celui des sens ? Quel intĂ©rĂȘt nâont- ils pas Ă rejeter une religion qui leur enleve ou qui empoisonne tous leurs plaisirs ? Et dĂšs quâils font si intĂ©ressĂ©s Ă la croire fausse, doit-on sâĂ©tonner quâils trouvent tant de facilitĂ© Ă fâe persuader faussement quâelle lâest ? Quâon nous vante, tant quâon voudra, leurs lumiĂšres & leurs talens ils en feront des ennemis plus dangereux , & non des juges plus integres. Dans lâhomme passionnĂ©, une plus grande pĂ©nĂ©tration dâesprit devient une source plus fĂ©conde dâĂ©garement, parce quâelle ne sert quâĂ lui fournir plus de moyens de colorer ses erreurs & de se faire illusion Ă lui-mĂšme. Que les plus habiles de nos impies exagĂšrent au grĂ© de leurs dĂ©sirs les doutes quâon peut avoir fur les vĂ©ritĂ©s de la Religion ChrĂ©tienne ils ne peuvent au moins sâempĂȘcher de reconnoĂźtre quâon nâa jamais pu dĂ©montrer quâelle fĂ»t certainement fauslcj quâau contraire la vie & la mort admirabâe de son Auteur, la sagesse & la saintetĂ© de fer, prĂ©ceptes , lâautoritĂ© & la sublimitĂ© de nos Ecri- F 6 1/ Ă c o l e tures , le tĂ©moignage des ApĂŽtres , le lang de tant de Martyrs, lâaccomplilse- irieiit de tant de prophĂ©ties, la voix Ă©clatante des miracles, la conversion du monde entier, la perpĂ©tuitĂ© & lâinĂ©branlable fermetĂ© de lâEglise, A tant dâautres preuves qui dĂ©posent en faveur du Christianisme , sont au moins dâun grand poids aux yeux de la raison. Sur quels fondemens, au contraire, fur quelle autoritĂ© elf appuyĂ©e la religion nouvelle, disons mieux, lâirrĂ©ligion ancienne de nos incrĂ©dules ? Elle a pour auteurs , des hommes qui se piquent Ă la vĂ©ritĂ© dâĂȘtre clair-voyans, mais qui prouvent Ă toute la terre, par la bizarrerie de leurs systĂšmes , par leurs contradictions perpĂ©tuelles, que tout ce quâils avancent, nâest que doute, incertitude, erreur, ignorance. CJn des plus cĂ©lĂ©brĂ©s partisans de la philosophie antichrĂ©tienne disoit, il nây a pas long-temps, Ă une Dame dâesprit Avouez , Madame, que nous avons abattu bien dubois dans la forĂȘt des prĂ©jugĂ©s. Cejl pour cela , rĂ©pĂŒqua-t-elle , que vous avez dĂ©bitĂ© tant de fagots. Et en effet, nos impies ne sâaccordent ni les uns avec les autres , ni avec eux- mĂȘmes Q. LâAthĂ©e, ainsi queleMatĂ©ria- Ă C 0 L E & toutes les hĂ©rĂ©sies. Les hĂ©rĂ©siarques, avant leur rĂ©volte, ont tous Ă©tĂ© Catholiques & Romains. Simon le Magicien , premier auteur dâhĂ©rĂ©sie, sâĂ©tant fait baptiser, Ă©toit de la religion de St. Pierre, premier Pape Ă©tabli par Jesus -Christ; Anus Ă©toit PrĂȘtre de lâEglise Romaine ; Luther en Ă©toit Moine ; Calvin Chanoine ; Zuingle ArchiprĂȘtre ; & Henri VIH , le fils & le dĂ©fenseur. Quelle million ont-ils donc eue ? ou plutĂŽt en ont-ils eu dâautre que celle quâils se sont donnĂ©e Ă eux-mĂȘmes, & que chacun peut se donner ausii-bien quâeux ? OĂč sont les miracles que Dieu a opĂ©rĂ©s par leur ministĂšre, pour lâautoriser? Nâont-ils pas au contraire Ă©tabli & Ă©tendu leur secte par les intrigues , les factions , les guerres civiles & la force des armes ? Combien de millions dâhommes la feule secte de Luther nâa- t-elle pas fait Ă©gorger en Europe ! Dans le seul Royaume de France, les secta- teurs de Calvin ont livrĂ© dix-sept batailles rangĂ©es contre leurs lĂ©gitimes Souverains. Quelle religion ! quelle rĂ©forme! quel Ă©vangile! Toutes les sectes qui nâont pas Ă©tĂ© assez puisantes pour pouvoir prendre les armes, font, tombĂ©es presque dĂšs leur naissance. Mais qui nâadmirera la fermetĂ© inĂ©branlable de la Religion Romaine ! Elle des MĆurs. 151 a Ă©tĂ© attaquĂ©e par toutes les puissances de la terre & de lâenfer. Les Empereurs PaĂŻens nâont rien oubliĂ© pour lâĂ©touffer dans fa naissance. Plusieurs autres Princes ont en diffĂ©rentes fois saccagĂ© Rome, maflĂ crĂ© ou chassĂ© les Papes; plus de deux cents sectes hĂ©rĂ©tiques ont attaquĂ© lâEglise Romaine. Et Ă quoi ont servi toutes ces formidables attaques, quâĂ la rendre toujours plus ferme & plus invincible ? Nous la voyons survivre Ă toutes les erreurs, traverser avec assurance tous les siĂšcles, & au milieu de cette agitation universelle des choses humaines, subsilfer toujours, fans que ni la puissance des hommes, ni la malice des dĂ©mons, ni les entreprises des novateurs qui ont voulu la diviser par des schismes, ni les artifices des hĂ©rĂ©tiques qui ont tĂąchĂ© dâaltĂ©rer la puretĂ© de fa foi, ni les vices dâun grand nombre de ses enfans, & quelquefois mĂȘme de ses chefs, qui lâont dĂ©shonorĂ©e par leurs scandales, aient jamais Ă©tĂ© capables de lâabattre ou de lâĂ©branler. Portez vos regards au contraire fur cette multitude de sectes diffĂ©rentes , qui ont paru succelsivement sur la terre, & qui se vantoient faussement dâĂȘtre la vĂ©ritable Eglise de Jesus- Christ ; & voyez comment, aprĂšs y avoir fait plus ou moins de bruit, suivant quâelles ont Ă©tĂ© G 4 ĂŻf% V Ă C O L E plus ou moins protĂ©gĂ©es, elles font retombĂ©es pour jamais dans lâabyme du nĂ©ant & de lâoubli. Celles qui fo font Ă©levĂ©es dans ces derniers siĂšcles, aprĂšs avoir fait dâabord de grands ravages , ont tari tout dâun coup comme des tor- rens, & nâont plus fait de progrĂšs. Elles ne se font conservĂ©es que dans quelques pays particuliers , oĂč les Catholiques Romains mĂȘlĂ©s mĂȘme avec elles, ainsi quâavec presque tous les peuples de lâunivers , subsistent malgrĂ© leur haine & leurs persĂ©cutions. On y voit la religion quâils prolcilent, garder au milieu dâelles le beau nom de Catholique , ce nom que, pour la distinguer de toute autre Eglise, elles font elles-mĂȘmes forcĂ©es de lui laisser. RĂ©unies toutes contre elle seule, parce quâelles ne peuvent souffrir une religion dont elles sentent la supĂ©rioritĂ© , leurs efforts conjurĂ©s & toujours infructueux ne servent quâĂ confirmer de plus en plus lâoracle de son divin Auteur,* que les portes de l'Enfer ne prĂ©vaudront jamais contre elle i . Quelle consolation pour les vrais fidelles, & quelle conviction de la vĂ©ritĂ© , de voir la Religion ChrĂ©tienne & I mot Ae pertes signifie ici putflaitces, parce q.'-e chez les Juifs on tenait les alscmblĂ©es & l'on rendoit la iuiiice aux pertes des villes. des MĆurs, fs$ Catholique, depuis dix-sept Ăźecles, victorieuse de toutes les erreurs, & demeurant toujours la mĂȘme, se conserver un grand nombre de sectateurs dans les pays qui lâont abandonnĂ©e , & regagner avec avantage dans" de nouvelles contrĂ©es , ce que dans dâautres lâesprit dâerreur & de chisme lui a fait perdre ! Le malheur est pour ceux qui la quittent bien plus que pour elle. Les branches seches qui tombent dâun grand arbre, ne lâempĂȘchent pas de sâĂ©lever avec les autres vers le ciel. Ce caractĂšre de permanence & dâin- deftructibiĂŒtĂ©, unique & propre Ă notre religion , nâest-il pas un miracle toujours sublistant en faveur de ceux qui nâont pu ĂȘtre les tĂ©moins des miracles fins nombre que le bras du Tout-puissant a o Ă©rĂ©s aux yeux de lâunivers pour la fonder & lâĂ©tendre; une dĂ©monstration accablante contre toutes les sectes qui tombent aux pieds de cette Eglise triomphante , dont elles fe font "dĂ©tachĂ©es ? Auili ses adversaires mĂȘme ne peuvent- ils sâempĂȘcher de reconnoĂźtre lĂ supĂ©rioritĂ©. On a entendu Ă Strasbourg*deux Ministres LuthĂ©riens qui revenoient dâas, sister un de leurs malades Ă la mort, se dire lâun Ă autre VoilĂ encore mie personne que nom venons d'envoyer en Enfer. Le trait qui luit est peut ĂȘtre encore G f if4 Lâ Ă c o i e plus frappant. Un Ministre Calviniste qui ctoit lui-mĂ«meprĂšs de mourir, envoya fa servante chercher un PrĂȘtre Catholique. Elle rencontre dans la rue un Officier qui lui demande comment va le malade. Elle lui rĂ©pond quâil est Ă lâarticle de la mort, & quâil lâa envoyĂ©e chercher un PrĂȘtre Catholique. 11 la força de rentrer chez son maĂźtre, en disant Puisquâil a envoyĂ© les autres au Diable , quâily aille aussi lui- mĂȘme r. Mais voici un tĂ©moignage bien dĂ©cisif. La Princesse Elifabeth-Chrifline de Wolf- fenbutel Ă©tant furie point dâĂ©pouser lâArchiduc Charles dâAutriche , qui fut depuis lâEmpereur Charles VI, crut devoir, pour la tranquillitĂ© de sa conscience, consulter les LuthĂ©riens mĂȘme. Les Docteurs Protestans , assemblĂ©s Ă Helmstad, rĂ©pondirent que les Catholiques ne font point dans lâerreur pour le fond delĂ doctrine , N quâon peut fe sauver dans leur religion . La Princesse embrassa la Reit-, gion Catholique-Romaine. Le Duc son pere en fit de mĂȘme, disant que le parti le plus fur , dans une matiĂšre si importante , fer oit toujours le parti le plus sage. a Ce fait arrivĂ© il -nây a pas bien long temps Ăą ĂŻĂźamur, eit trĂšs certain, & nous le tenons le plusieurs personnes dignes de foi. des MĆurs. ifjf Nous pourions apporter plusieurs autres preuves, qui assurent incontestablement Ă lâEglise Romaine le titre glorieux de la vĂ©ritable Eglise de Jesus-Christ ; . Mais nous en avons dit assez pour convaincre tout esprit droit & raisonnable quâelle est la vraie religion que Dieu a rĂ©vĂ©lĂ©e aux hommes, la feule vĂ©ritable Eglise que Jesus-Christ a fondĂ©e fur la terre. 3 On les'trouvera fur-tout dans un petit Ouvrage intitule MĂ©thode courte facile pour difierner la vĂ©ritable Religion d'avec les faujses. La lecture rĂ©flĂ©chie de ce bon Ouvrage,, qui a ramenĂ© pluiieurs Protestans dans le su in de lâEglise , ne manquerait jamais de produire le mĂȘme effet , fi la converlion du cĆur Ă©toit toujours le fruit de la conviction de lâesprit. On peut lire auiĂŻi les PensĂ©es ThĂ©ologiques , par Vorn Jarain , Religieux EĂ©nĂ©diĂŒin. La traduction Allemande de ce livre ramena en 1769 le Prince Palatin au sein de lâEglise Catholique. G 6 Lâ Ă C O L E ls6 X V I I L Aime ç le doux plaisir de faire des heureux. I-/E premier, le plus naturel de nos sentimĂ©ns, celui qui naĂźt & meurt avec nous, elt le dĂ©sir de notre bonheur. Mais lâAuteur de la nature, qui nous destinoit Ă vivre en sociĂ©tĂ©, a sagement voulu que notre propre bonheur sĂ»t liĂ© Ă celui des autres. La mĂȘme main qui a mis dans notre ame lâamour de nous- mĂȘmes , y a imprimĂ© un sentiment de bienveillance pour nos semblables. Auffi les cĆurs bien faits & gĂ©nĂ©reux Ă©prouvent-ils la satisfaction la plus pure Ă faire du bien aux autres hommes. Faites des heureux, vous le ferez. Le plaisir le plus dĂ©licat est de faire celui dâautrui, de rendre un cĆur content, de combler une ame de joie. Je ne fais ici-bas dâautre fĂ©licitĂ© , due dans une flatteuse & douce voluptĂ©; Non dans la voluptĂ© dont le peuple mâentĂȘte , Quâon Ă©vite avec foin, pour peu quâon soit honnĂȘte, Et qui, pour des plaisirs peu durables & faux , \ Cause presque toujours d? vĂ©ritables maux. âą JâapprIU voluptĂ© proprement ce quâon mm', ms Ne se reprocher rien & vivre en honnĂȘte homme b e s MĆurs. 1/7 Du mĂ©rite opprimĂ© rĂ©parer l'injustice , Nef du bien cjue pour rendre service» Etre accriĂŻibie Ă tons par fcVh..»}nitĂ©. Non , rien nâest comparable Ă cette vt IuptĂ©. Quel plaisir en effet ne doit-on pas sentir Ă soulager ceux qui souffrent, Ă rĂ©gner sur les cĆurs, Ă mĂ©riter le tribut de leurs actions de grĂąces ! Eh ! quâa de plus dĂ©licieux la majeifĂ©mĂšme du trĂŽne, que le pouvoir de faire des grĂąces ! Quel usage plus doux & plus flatteur, disoit Ă la Cour la plus brillante de lâEurope lâingĂ©nieux & Ă©lĂ©gant MujsĂŒhn , les Grands peuvent-ils faire de leur Ă©lĂ©vation & de leur opulence, que de faire des heureux ! Quâils emploient tant quâil leur plaira leurs biens & leur autoritĂ© Ă tous les usages que lâorgueil & les plaisirs peuvent inventer ; ils feront raiĂźa- liĂ©s, mais iis ne seront pas satisfaits la joie poura se montrer Ă eux, mais elle ne pĂ©nĂ©trera pas dans leur cĆur. Quâils les emploient au contraire Ă faire des heureux, Ă rendre la vie plus douce & plus supportab'e Ă des infortunĂ©s, que lâexcĂšs de la mifere a peut-ĂȘtre rĂ©duits mille fois Ă souhaiter que le jour qui les vit naĂźtre, eĂ»t Ă©tĂ© lui-mĂȘme la nuit Ă©ternelle de leur tombeau ils sentiront alors le plaisir dâĂȘtre nĂ©s Grands, ils goĂ»teront' la vĂ©ritable douceur de leur if 8 LâEcole Ă©tat ; câest le seul privilĂšge qui le rende digne dâenvie. Lâauguste ImpĂ©ratrice Marie- ThĂ©rĂšse a su le connoĂźtre & en jouir. Parmi une infinitĂ© de beaux traits qui honorent fa vie, on aime Ă se rappeler celui-ci. Elle Ă©toit Ă Laxenbourg, maison Royale prĂšs de Vienne. Elle y reçut un message de la part dâune femme ĂągĂ©e de cent huit ans, qui, pendant plusieurs annĂ©es , nâavoit pas manquĂ© de se prĂ©senter le jour du Jeudi-Saint, pour ĂȘtre au nombre des pauvres femmes auxquelles lâImpĂ©ratrice- Reine lavoit les pieds. Ses infirmitĂ©s lâavoient empĂȘchĂ©e de se rendre au Palais. Elle fit dire Ă lâImpĂ©ratrice quâelle avoit le plus vif regret de nâavoir pu se rendre Ă la cĂ©rĂ©monie, non Ă cause de lâhonneur quâelle auroit reçu, mais parce quâelle avoit Ă©tĂ© privĂ©e du bonheur de vois une Souveraine adorĂ©e. LâImpĂ©ratrice touchĂ©e dessentimens de cette bonne femme, fe rendit elle- mĂȘme dans le village quâelle habitoit. Elle ne dĂ©daigna pas dâentrer dans une humble cabane. Elle trouva la personne infirme sur un milĂ«rable grabat. Vous regrettez de ne m'avoir point vue, lui dit avec bontĂ© cette gĂ©nĂ©reuse Princesse ; consolez-vous, ma bonne , je viens vous voir. Quâon se reprĂ©sente lâeffet que produisit sur cette pauvre femme la prĂ©- rs e s MĆurs. is$ sence de son ImpĂ©ratrice & les paroles touchantes quâelle venoit de prononcer. Ses yeux Ă©toient baignĂ©s de larmes ; fa bouche entrâouverte ne pouvoir profĂ©rer une parole ; elle tendoit ses mains jointes & tremblantes du cĂŽtĂ© de lĂ Souveraine elle la regardoit comme un Ange du Ciel, qui venoit pour la consoler dans ses peines. LâimpĂ©ratrice attendrie lâentretint long-temps, & lui laissa en se retirant une somme considĂ©rable. Ceux qui sâexercent Ă la bienfaisance, sentent la vĂ©ritĂ© de cette belle maxime de Jesus-Christ Qu'il efl beaucoup plus heureux de donner que de recevoir Ă i . Oui, quoi quâen pensent les hommes durs ou intĂ©ressĂ©s, la joie de faire du bien est tout autrement douce que celle de le recevoir. Quel plaisir est comparable Ă celui de rencontrer les yeux de la personne quâon vient de rendre heureuse ! Quel son de voix plus touchant, que celui du malheureux quâon vient de combler de joie, & qui ne fĂ»t comment exprimer Ă reconnoiflĂ nce ! Si lâon a dit de la louange, quâelle Ă©toit la plus agrĂ©able de toutes les musiques, pn peut dire auffi que de toutes les louanges la tr Eeaiiui tĂ magii date quhn astiftrt, Act. - dâĂȘtre moins le chef que lâami de ses sujets, & de voir que leurs cĆurs font encore plus Ă lui que leurs biens & que leurs personnes! Si les hommesfedonnoient des maĂźtres, ce ne feroient ni les plus nobles, ni les plus vaillans quâils choisi- roient, ce feroient les plus tendres, les plus humains, des maĂźtres tels que fut liir-tout un des plus illustres Rois de France, Louis XII. Lorsque ce Prince fut montĂ© sur le trĂŽne, il diminua les impĂŽts de plus de moitiĂ©, & ne les rĂ©tablit jamais. 11 aima ses sujets & tĂ©moigna pendant tout son regne un dĂ©sir extrĂȘme de les rendre heureux. Austi tous les François Paimoient-ils comme on aime un bon pere. Par-tout oĂč il passoit on alloit au-devant de lui, onlesuivoit Ă son dĂ©part jusquâĂ trois ou quatre lieues. Un Gentilhomme de la fuite du Roi, demanda un jour Ă un vieux Laboureur qui couroit de toutes ses forces, oĂč il alloit. DES M CE U RS. 16 - alloit, en lui disant quâil sâincommodoit Ă courir si Fort. Le bon vieillard lui rĂ©pondit quâil couroit pour voir le Roi, quâil avoit pourtant vu en passant, mais qu'il le voyoit si volontiers , -pour lesbiens qui Ă©taient en lui , qu'il ne s'en pouvait fauler. Ce sont les termes de lâHistorien contemporain. A fa mort, chacun crut perdre son pere, & on lâhonora Ă ses funĂ©railles du titre le plus glorieux quâait jamais eu aucun Souverain il fut proclamĂ© Ă son de trompe, Pere du peuple. AprĂšs Louis XII, aucun de ses succĂšs. Leurs ne mĂ©rita mieux ce beau nom que Henri IV. Que nâauroit-il pas fait si une main fĂ crilege nâavoit tranchĂ© les jours dâun Prince qui mĂ©ritoit de ne mourir jamais! Des troupes quâil envoyoiten Allemagne, ayant fait du dĂ©sordre en Champagne, &. pillĂ© quelques maisons de paysans, il dit aux Capitaines qui Ă©taient demeurĂ©s Ă Paris Fartez en diligence , donnez vos ordres , vous m'en rĂ©pondrez. Qiioi! fi on ruine mon peii. pie , qui me nourrira? qui soutiendra les charges ? qui payera vos pensions , Messieurs ? Vive Dieu ! s'en prendre Ă mon peuple , c'est s'en prendre Ă moi. LĂ©opold , Duc de Lorraine, dont nous aimons autant Ă rapporter les actions de bontĂ© & de bienfaisance , que ses illustres descendans se plaisent Ă nous les retracer. Tome IL H X7° Lâ E C O L E Ă©tait si persuadĂ© quâun Prince nâest sur le trĂŽne que pour faire le bonheur de ses peuples, quâune personne lui faisant un jour le rĂ©cit des avantages quâun Souverain venoit de faire Ă ses sujets Il le devoit , rĂ©pondit-il ; je quitterais demain via souverainetĂ©, fi je ne pouvais faire du bien. Une autre fois, un des Ministres reprĂ©sentait Ă ce Prince, que ses sujets le tui noient. Tant mieux, dit-il, je nâen ferai que plus riche, puisquâils feront heureux. On peut bien mettre encore au nombre de ces bons Princes, qui ne se croyoient nĂ©s que pour faire le bonheur de leurs peuples, le vertueux Dauphin , dont nous avons dĂ©jĂ parlĂ© plusieurs fois, & dont la vie touchante est remplie des plus beaux traits & des plus nobles sentimens C ? âą Nous nâen rapporterons quâun. On lui parloit un jour du splendide festin quâAlsuĂ©rus donna dans sa capitale. Ces somptueux repas qui ont durĂ© cent vingt-sept jours , rĂ©pondit-il, auront Ă©tĂ© expiĂ©s par quatre mois de jeune solennel dans ses provinces. Pour en faire de semblables , je voudrais pouvoir y inviter toute la nation , ou ĂȘtre aflurĂ© aupa~ 3 Cette Vie, auiĂŻi intĂ©ressante que propre Ă Ă©difier, a Ă©tĂ© donnĂ©e an public par M. lâAbbĂ© Proy,irt, des MĆurs. 171 r avant qu'aucun de mes sujets n'ira ce jour-lĂ se coucher sans fouler. ss -â » Ei soâ.dagtr sur-tout le pauvre vertueux. Entre les pauvres qui peuvent ĂȘtre lâobjet de votre bienfaisance -, vous devez fur-tout prĂ©fĂ©rer ceux qui, ayant de la conduite St de la vertu, ne mĂ©ritent pas leur mauvaise fortune. Il y en a toujours beaucoup de cette espece. Attachez-vous encore par prĂ©fĂ©rence aux vieillards, aux malades, aux pauvres honteux , aux personnes malheureuses que votre charitĂ© poura retiret du dĂ©sordre ou empĂȘcher dây tomber. Une femme fort pauvre, mais qui avoit la consolation dâavoir une fille aimable dont les grĂąces modestes annonqoient la sagesse, se prĂ©senta avec cette jeune personne Ă lâaudience du Cardinal Farnese, Elle lui exposa quâelle Ă©toit sur le point dâçtre renvoyĂ©e avec sa fille dâun petit appartement, quâelles occupoient chez un homme fort riche, parce quâelle ne pouvoir lui payer cinq Ă©cus qui lui Ă©toient dus. Le ton dâhonnĂȘtetĂ© avec lequel elle faisoit connoitreson malheur, fit aisĂ©ment comprendre au Cardinal quâelle nây Ă©toit tombĂ©e, que parce que la vertu lui Ă©toit plus chere que les Ha 173 Lâ E C O L E irichcsses. Il Ă©crivit un billet, & la char- gea^de le porter Ă son Intendant. Celui- ci lâayant ouvert , compta sur le champ cinquante Ă©cus. Monsieur , lui dit cette femme, je ne demandais pas tant Ă Monseigneur , certainement il s'est trompĂ©. 11 fallut, pour la tranquilliser, que lâIntendant allĂąt lui-mĂȘme parler au Cardinal. Son Eminence reprenant son billet , dit Il est vrai , je m'Ă©tais trompĂ© , le procĂ©dĂ© de Madame le prouve. Et au lieu de cinquante Ă©cusilen Ă©crivit cinq cents, quâil engagea la vertueuse mere dâaccepter pour marier sa fille. Une des charitĂ©s les plus louables est fans doute celle qui a pour objet lâame encore plus que le corps , ou qui entretient dans lâamour du travail. LâaumĂŽne qui nourrit le vice ou la fainĂ©antise , ne mĂ©rite pas dâen porter le nom. Un jeune Roi de Perse, touchĂ© de compassion , fit donner Ă un pauvre une somme considĂ©rable. Quelque temps aprĂšs, on lui fit des plaintes du dĂ©sordre dans lequel vi- voit le pauvre quâil avoir enrichi. Il ne tarda pas Ă le voir lui-mĂšme Ă la porte du Palais. Il Ă©toit couvert de lambeaux, & il revenoit demander lâaumĂŽne. Le Roi le montrant Ă un des Sages de sa Cour Voyez-vous, dit-il, les effets de la bontĂ©? Vous mâavez vu combler cet lĂźomme de richesses ; en voilĂ le fruit des MĆurs. 175 mes bienfaits ont corrompu ce pauvre, iis ont Ă©tĂ© pour lui une source de nouveaux vices & dâune nouvelle misere. Cela est vrai , lui rĂ©pondit le sage , parce que voue avez donnĂ© Ă la pauvretĂ© ce que vous ne deviez donner qiĂŒau travail. On rapporte de M. de Launai , cĂ©lĂ©brĂ© Avocat de Paris, quâil refusoit rarement lâaumĂŽne aux pauvres ; mais en la donnant , il leur recommandoit de travailler pour gagner leur vie Je me leve, leur disoit-il, tous les jours Ă cinq heures du matin , pour gagner la mienne. Vincentine LomĂ©lin , Dame GĂ©noise, trĂšs-riche, peut ĂȘtre proposĂ©e aux Dames chrĂ©tiennes & charitables , comme un illuitre modele de la sagesse avec laquelle- elles doivent placer leurs aumĂŽnes. TantĂŽt elle faisoit venir chez elle les femmes les plus pauvres & les plus malheureuses de GĂšnes, & leur procurait les secours spirituels & temporels dont elles avoient besoin. TantĂŽt elle engageoit par lâappĂąt des rĂ©compenses, des filles publiques Ă quitter le genre honteux de vie quâelles menoient elle leur en facilitoit les moyens , soit en leur procurant de lâouvrage , soit en les plaçant dans quelque CommunautĂ© oĂč elle payoit leur pension; & si malgrĂ© ses prĂ©cautions sa bienfaisance nâavoit pas Ă lâĂ©gard de toutes un effet durable, câĂ©toit toujours pour elle H ; 174 Lâ Ă C O L E une satisfaction de les avoir pour quelque temps garanties du dĂ©sordre. Les pauvres orphelines avoient sur-tout une part abondante Ă sa charitĂ© la crainte quâelle avoir que ces infortunĂ©es ne lussent un jour abandonnĂ©es Ă elles-mĂȘmes, les lui rendoit extrĂȘmement cheres elle en mettoit le plus quâelle pouvoir Ă lâabri de la sĂ©duction , par ses libĂ©ralitĂ©s ; & dĂšs quâelles avoient atteint un certain Ăąge, elle marioit honnĂȘtement celles qui se dĂ©terminoient pour cet Ă©tat, & pro- curoit aux autres divers Ă©tabĂźissemens. Mais quoique la charitĂ© & la bienfaisance ne soient jamais mieux placĂ©es que quand elles servent Ă entretenir dans lâamour du travail, Ă soutenir les restes dâune vie infirme & languissante, Ă soulager la vertu malheureuse, ou bien Ă retirer du dĂ©sordre des personnes que lâindigence ou le libertinage y avoit prĂ©cipitĂ©es ; on ne doit pourtant pas refuser dâĂ©tendre vers les autres malheureux une main gĂ©nĂ©reuse & compatissante. Il ne laut pas mĂȘme la fermer entiĂšrement Ă ceux qui dâailleurs en seroient indignes, lorsquâils se trouvent dans une vraie nĂ©cessitĂ©. On reprochoit Ă un Philosophe quâil fai soit lâaumĂŽne Ă un mĂ©chant Je la fais Ă la nature , rĂ©pondit-il, U non Ă la personne. Si le Sage veut quâon donne Ă celui DES M Ć U R S. T75f qui est bon, & quâon nâaslĂźste point le pĂ©cheur, parce que le TrĂšs-Haut hait lui-mĂȘme les pĂ©cheurs, & quâil exerce lĂ vengeance contre les mĂ©chans 4 ; il ne parle pas de ces aumĂŽnes lĂ©gĂšres quâ011 donne Ă un pauvre, fans devoir examiner scrupuleusement sâil est bon ou mauvais, parce quâune telle recherche ne serviroit quâĂ refroidir la charitĂ© & Ă priver les indigens des secours les plus nĂ©ceflĂ ires mais il parle des affif. tances plus considĂ©rables , qui ne Ibnt employĂ©es quâĂ nourrir les vices ou la fainĂ©antise. 11 suffĂźt de donner peu Ă ces sortes de personnes , pour les Ă©loigner de foi, pour prĂ©venir leurs malĂ©dictions & leurs murmures, & pour les empĂȘcher de pĂ©rir de faim. Ne dĂ©tournez pas , dit-il ailleurs, vos yeux du pauvre, dt peur qu'il ne se fĂąche , ÂŁ5â ne donnez point sujet Ă ceux qui vous demandent , de vous maudire derriĂšre vous. Car celui qui vous maudira dans l'amertume de son ame , sera exaucĂ© par celui qui l'a créé y. Le Sage ne prĂ©tend pas autoriser les malĂ©dictions du pauvre , mais il nous avertit dâen craindre lâeffet. Un peu de pain , 4 ' Da bono , non reeePeris p'eccatorem , c*. Eccli. iz. ' > Ab inote m avertes oculos tuos tropter » Ă* c* Eccli. 4. H 4 5 7 6 V Ă C O L ÂŁ dit-il encore eĂ la vis des pauvres celui qui les en prive , eĂ un meurtrier. Les abus insĂ©parables de la mendicitĂ© publique, & les vices dont elle eil souvent accompagnĂ©e , ne sont donc pas une excuse lĂ©gitime pour refuser tout secours aux mendians. Nous nâen serions pas moins coupables devant Dieu de leur mort, sâils pĂ©riiToient par notre faute, ni moins responsables Ă la sociĂ©tĂ© des crimes auxquels la faim les porter oit, comme le prouve avec cette Ă©loquence mĂąle & vigoureuse qui le distingue , cet Ecrivain fameux, qui a dĂ» sa premiers cĂ©lĂ©britĂ© Ă ses paradoxes, & son plus grand nom Ă ses erreurs ; mais parmi lâamas tĂ©nĂ©breux de ses assertions fausses 6 hardies, il fort de temps en temps des flammes brillantes de vĂ©ritĂ©s souvent nouvelles, toujours exprimĂ©es avec force & portant lâempreinte du gĂ©nie. â Nourrir les mendians, dit-il, câest contribuer Ă multiplier les gueux & les vagabonds , qui fe plaisent Ă ce lĂąche mĂ©tier, & se rendant Ă charge Ă la sociĂ©tĂ©, la privent encore du travail quâils y pouroient faire. VoilĂ les maximes, dont de complaisans raisonneurs aiment Ă flatter la duretĂ© des riches. On souffre A lâon entretient Ă grands frais des multitudes de profeflions inutiles, dont plusieursne servent quâĂ corrompre & gĂąter DES M Ć ĂŒ R S. 177 les mĆurs. A ne regarder lâĂ©tat de mendiant que comme un mĂ©tier , loin quâon en ait rien de pareil Ă craindre, on nâv trouve que de quoi nourrir en nous les lĂ©ntimens dâintĂ©rĂȘt & dâhumanitĂ© qui devraient unir tous les hommes. Si lâon veut le considĂ©rer par le talent, pourquoi ne rĂ©compenserais-je pas lâĂ©loquence de ce mendiant, qui me remue le cĆur & me porte Ă le secourir, comme je paye un comĂ©dien qui me fait verser quelques larmes stĂ©riles ? Si lâun me fait aimer les bonnes actions dâautrui, lâautre me porte Ă en faire moi-mĂȘme tout ce quâon sent Ă la TragĂ©die, sâoublie Ă lâinse tant quâon en fort ; mais la mĂ©moire des. malheureux quâon a soulagĂ©s, donne un plaisir qui renaĂźt fans celle. â Si le grand nombre des mendians est onĂ©reux Ă lâEtat, de combien dâautres profelßßoiis quâon encourage , & quâon tolĂ©rĂ©, nâen peut - 011 pas dire autant ĂŻ Câest au Souverain de faire en forte quâil nây ait point de mendians mais pour les rebuter de leur profelsion, faut-il rendre les citoyens inhumains & dĂ©naturĂ©s? Pour moi, fans lavoir ce que les pauvres, font Ă lâEtat, je fais quâils font tous mes frĂšres, & que je ne puis, fans une inexcusable duretĂ© , leur refuser ie foible secours quâils me demandent. La plupart font des vagabonds, jâen conviens 3 mais H/ i7g LâĂcole je comtois trop les peines de la vie, pour ignorer par combien de malheurs un honnĂȘte homme peut le trouver rĂ©duit Ă leur fort; & comment puis-je ĂȘtre sĂ»r que lâinconnu qui vient implorer au nom de Dieu mon assistance & mendier un pauvre morceau de pain, nâest pas peut- ĂȘtre cet honnĂȘte homme prĂȘta pĂ©rir de mifere, & que mon refus va rĂ©duire au dĂ©sespoir ? â Quand lâaumĂŽne quâon leur donne, ne servit pas pour eux un secours rĂ©el, câest au moins un tĂ©moignage quâon prend part Ă leur peine , un adouciflĂȘ- ment Ă la duretĂ© du refus, une forte de salutation quâon leur rend. Une petite monnoie ou un morceau de pain ne coĂ»tent guere plus Ă donner, & font une rĂ©ponse plus honnĂȘte quâun Dieu vous affije. Comme si les dons de Dieu nâĂ©toient pas dans la main des hommes ; quâil, eĂ»t dâautres greniers fur la terre que les magasins des riches ! Enfin, quoi quâon puisse penser de ces infortunĂ©s, si lâon ne doit rien au gueux qui mendie , au moins se doit-on Ă soi-mĂȘme de rendre honneur Ă lâhumanitĂ© souffrante, ou Ă son image, & de ne point sâendurcir le cĆur Ă lâaspect de ses miferes- â Nourrir les mendians, câest, disent les dĂ©tracteurs de lâaumĂŽne, former des pĂ©piniĂšres de voleurs; & tout au con- des MĆurs. traire, câest empĂȘcher quâils ne le deviennent. Je conviens quâil ne faut pas encourager les pauvres Ă fe frire Meridians ; mais quand une fois ils le font, il faut les nourrir, de peur quâils ne fs taisent voleurs. Rien nâengage tant Ă changer de profellion, que de ne pouvoir vivre dans la sienne or, tous ceux qui ont une fois goĂ»tĂ© de ce mĂ©tier oiseux, prennent tellement le travail en. aversion, quâils aiment mieux voler & fe faire pendre , que de reprendre lâusage de leurs bras. Un liard est bientĂŽt demandĂ© & refusĂ© ; mais vingt liards au- roientpayĂ©le souper dâun pauvre, que vingt refus peuvent impatienter. Qui est-ce qui voudroit jamais refuser une fi lĂ©gĂšre aumĂŽne, sâil fongeoit quâelle pĂ»t sauver deux hommes, lâun dâun crime, & lâautre de la mort ? â Jâai lu quelque part, que les men- dians font une vermine qui sâattache aux riches. Il est naturel que les enfans sâattachent aux peres mais ces peres opu- Veus & durs le mĂ©connoilfent, & laissent aux pauvres le foin de les nourrir 6 Quel est donc le crime de ces hommes, dont les richesses, aussi stĂ©riles pour les autres quâelles font fĂ©condes en vices H 6 { s PensĂ©es de M. J. J. Kmffeau. 3go Lâ Ă C O L E pour eux-mĂȘmes, ne font employĂ©es quâaux profusions dâun vain luxe, aux recherches dâune molle dĂ©licatesse, Ă lâentretien des pallions quelquefois les plus baffes & les plus honteuses ! Quelque innocente dâailleurs , quelque lĂ©gitime que soit leur fortune, ne deviennent-ils pas de coupables usurpateurs, qui envahissent fur leurs freres lâhĂ©ritage paternel quâils dĂ©voient partager avec eux ; de cruels homicides, qui, sans rĂ©pandre le sang du pauvre, ne lui donnent pas moins le coup de la mort, lorsquâils lui refusent ce qui lui elt nĂ©cessaire pour le soutien de ses jours ; des especes dâalfas- lins, puisque si le pauvre trouvoit dans la compasiĂźon du riche les secours quâil est en droit dâen attendre, on ne le verroit pas sâarmer du fer contre le citoyen pacifique,& arracher ses dĂ©pouilles sanglantes ! affreuse & trop ordinaire ressource dâune mifere Ă©xcellive , qui succombe sous la multiplicitĂ© de ses besoins » Ane prend plus conseil que du dĂ©sespoir. Quel puissant motif de soulager les malheureux, sâil relie encore quelques sentimens dâhumanitĂ© ! A ce nom , lâon devroit sentir ses entrailles sâĂ©mouvoir, & son sein sâouvrir pour recevoir les infortunĂ©s. Pourquoi voit-on tous les jours tant dâhommes durs, chercher Ă teindre ces beaux sentimens dans les des MĆurs. i8t autres, comme il est depuis long-temps Ă©teint dans eux-mĂ©mes, eu nous reprĂ©sentant les pauvres comme moins Ă plaindre quâon ne pense, en les traitant de fainĂ©ans dignes de leur fort, ou de gueux qui en imposent? Mais inutilement entreprendraient-ils dâempĂȘcher nos coeurs de sâattendrir Ă la vue de tant dâinfortunĂ©s , ĂŒ dignes la plupart de pitiĂ© & de secours en vain voudraient - ils leur ĂŽter lâunique ressource qui leur reste Nous croirons toujours qu'il y a moins dâinconvĂ©niens Ă se la hier quelquefois tromper par des besoins faux & simulĂ©s , quâĂ refuser de secourir des besoins trop rĂ©els> & dans lâalternative inĂ©vitable de manquer peut-ĂȘtre de discernement ou dâhumanitĂ©, nous aimons mieux quâon nous reproche une erreur innocente, quâune insensibilitĂ© criminelle. Ainsi pensoit une des plus libĂ©rales meres des pauvres qui fut jamais, lâImpĂ©ratrice ElĂ©onore. Toutes les fois quâelle sortait de son palais, elle trouvoit une troupe importune de mendians qui lâat- tendoient ! & Ă peine Ă©tait-elle descendue de carrosse, quâilslâenvironnoient Ă lâenvi. On la vo-yoit tranquille au milieu de cette foule, qui fans nul Ă©gard lâĂ©tour- dissoit de ses cris , la pressoir, la heurtait , la tirait par ses habits, & lui arrachent lâaumĂŽne de la main. Pour se r82 V Ă c o l e dĂ©rober Ă ces importunitĂ©s, elle alloit quelquefois fuis fuite & fans prendre avec elle ses aumĂŽnes ordinaires. Mais bien souvent les pauvres devinaient fa marche , comme fi fit charitĂ© lâeĂ»t trahie & ne lui eĂ»t pas permis de demeurer longtemps cachĂ©e. FĂąchĂ©e alors de fe voir feule & dĂ©pourvue dâargent, fe sentant dâailleurs les entrailles dĂ©chirĂ©es par les cris de ces malheureux, elle empruntait du premier venu quelque argent pour le distribuer aussi-tĂŽt de ses propres mains. On ne fera pas surpris que dans un si grand concours de pauvres, il fe glissĂąt souvent des fourbes qui abusaient de fa bontĂ©. Un jour entre autres elle rencontra cinq Soldats qui paraissaient assez misĂ©rables elle leur donna Ă chacun une piĂšce dâor. Quelques momens aprĂšs, ils eurent lâaudace de revenir fous un autre dĂ©guisement elle feignit dâabord de ne pas les reconnaĂźtre, & leur donna pour eux tous une piĂšce dâor, par un excĂšs de bontĂ© qui lui faisait excuser ces sortes de supercheries en faveur des miferes vĂ©ritables quâelles couvrent quelquefois. Tenez , mes enfans , leur dit-elle , prenez encore celle-ci$ mais souvenez-vous que fai bien des pauvres Ă nourrir. 11 y en avait qui, pour la tromper , jouaient vingt personnages en un jour. Dâautres feignaient dâĂštre nouveaux convertis, des MĆurs. ig? ©u de grande qualitĂ©, ou ruinĂ©s par la guerre} & ce qui Ă©toitpire , ilsâentrou- voit qui lailoient servir ses aumĂŽnes dâaliment Ă leur vie libertine, A qui, aprĂšs les avoir extorquĂ©es, couroient incontinent les porter dans les lieux dâivresse ou de dĂ©bauches. ElĂ©onore avertie de ces dĂ©sordres , & voyant que les remontrances quâon lui laisoit Ă cet Ă©gard ten- doient Ă lui faire diminuer ses charitĂ©s, disoit en soupirant HĂ©las! je ne puis discerner les vrais pauvres dâavec les autres , dois-je donc les punir tous U nâĂ©carter ceux-ci quâau prĂ©judice de ceux-lĂ ? Dieu voit la droiture de mes intentions , il mâen tiendra compte. HĂ© ! ne fait-il pas lui-mĂȘme luire son J'oleil sur les bons U fur les mĂ©cbans ? On nâa jamais tant parlĂ© dâhumanitĂ© que dans notre siede mais en substituant le beau mot dâhumanitĂ© Ă celui de charitĂ© , parce que lâhumanitĂ© nâest quâune vertu paĂŻenne & que la charitĂ© est une vertu chrĂ©tienne, nos philosophes ont voulu, Ă lâexemple des plus habiles sectaires , couvrir de sĂ©duisantes couleurs la noirceur de leur doctrine, & prĂȘter du moins Ă lâerreur le masque de la vĂ©ritĂ©. Ils ont prĂ©conisĂ©, exaltĂ© lâhumanitĂ©, la bienfaisance mais sâils ont peut-ĂȘtre rĂ©veillĂ© dans quelques cĆurs ces sentimens si naturels , & engagĂ© Ă faire quelques actes 1 84 Lâ Ă c o l ÂŁ de bienfaisance, dont les malheureux ont profitĂ© ; nous osons !e dire Ă la gloire de la religion, ces ientimensdâhumanitĂ© ne germeront jamais plus sĂ»rement ni avec plus de rapiditĂ© dans ' les coeurs , que quand ils seront vivifiĂ©s par la charitĂ© chrĂ©tienne. Quelle religion a plus fortement recommandĂ© lâamour du prochain, le foin des pauvres, & fur-tout en a donnĂ© de plus hĂ©roĂŻques exemples ! combien ne pourions-nous pas en rapporter ! Les Annales EcclĂ©siaĂźliques & l'ililtoire des Saints en font remplies; & ces grands tableaux de charitĂ© , ou , fi lâon veut , dâhumanitĂ© & de bienfaisance , la persuaderont toujours bien mieux que toutes les brillantes & lĂšches maximes de la philosophie. Qui peut en effet ne pas le sentir portĂ© Ă soulager les pauvres, en y voyant un SĂ©rapion , pauvre lui-mĂȘme, le dĂ©pouiller de tous ses habits pour en revĂȘtir un malheureux qui mouroit de fioid? InterrogĂ© qui lâa voit dĂ©pouillĂ© de la forte, il rĂ©pondit en montrant le livre de lâEvangile CeĂ celui-ci. Une autre fois il vendit mĂȘme ce seul livre prĂ©cieux qui lui restoit, pour donner lâaumĂŽne, & dit Ă son Disciple En vĂ©ritĂ©, mon fils , parce que jâai lu quâil mâavoit dit, Vendez tout ce que vous avez , & donnez- k aux pauvres , je lâai vendu lui-mĂȘme des MĆurs. i8f pour le donner, afin quâau jour du jugement jâaie sujet dâavoir une plus grande confiance en Dieu. Une autre fois, ajoute lâ Auteur de sa Vie,une Veuve dont lesenfans mouroient de faim , lui ayant demandĂ© lâaumĂŽne , & nâayant rien du tout Ă lui donner, il se vendit lui-mĂȘme Ă des Grecs, qui, touchĂ©s dâune action si gĂ©nĂ©reuse, se convertirent peu de jours aprĂšs au Christianisme. On a vu aussi dans ce siede une auguste & vertueuse Princesse 7, donner les preuves les plus touchantes de fa compassion pour les malheureux. Ayant entendu dire Ă Compiegtie, oĂč elle Ă©toit", quâon venoit de rencontrer un pauvre dans lâĂ©tat le plus dĂ©plorable , elle voulut h voir ; & lâayant fait entrer dans son cabinet, elle le consola, & lui donna en or une somme considĂ©rable. FrappĂ© de la magnificence de cette aumĂŽne, & plus encore de lâair de bontĂ© de sa bienf'aic- trice , ce pauvre perdit connoissance. La Reine alarmĂ©e sâempressa pour le remettre , le fit asseoir dans son fauteuil, & lui donna elle-mĂȘme les choses nĂ©ceC. faires pour le ranimer moins fiere ou plus courageuse que tant de Grands, qui, si quelquefois ils gratifient les indigens {7 ' Maria Zeckiimia , Reine de France. 186 Lâ Ă C O L E dâune lĂ©gĂšre & courte aumĂŽne, leur Font porter ce secours par des mains Ă©trangĂšres ; parce quâil leur paroitroit indigne dâeux de permettre au pauvre de les approcher, & que fa personne leur lus- pireroit du dĂ©goĂ»t. Lâoccupation la plus ordinaire & la plus, agrĂ©able de cette pieuse Reine, Ă©toit de travailler pour les pauvres. Souvent on voyoit sortir de chez elle des personnes chargĂ©es de langes & de vĂȘtemens quâelle avoit faites pour eux. A Versailles, Ă Fontainebleau, dans tous les lieux oĂč il y a des maisons royales, elle visitoit ls hĂŽpitaux, s'approchent du lit des femmes malades, les exhortent Ă la patience, & leur fai soit comprendre que leur Ă©tat, supportĂ© avec fourmilion aux volontĂ©s de Dieu, Ă©toit prĂ©fĂ©rable Ă celui dâune Reine fur le trĂŽne mais ce qui ne donnent pas moins de poids & de persuasion Ă ses discours, câest quâelle les terminent par des largesses sĂ©crĂ©tĂ©s, quâelle faisoit si adroitement, que le voile de lâoubli les eĂ»t toujours couvertes, si la bouche du pauvre ne les eĂ»t publiĂ©es. En cela bien diffĂ©rente de nos prĂ©tendus sages, qui ont tant de soin de publier eux-mĂšmes quelques actions dâhumanitĂ© & de bienEiilĂ nce que lâostentation leur fait faire ; parce que nâayant dâautre motif que la vanitĂ© philosophique » ils font iEs MĆurs. 187 assurĂ©s dâobtenir , par ces marques extĂ©rieures de la bontĂ© de leur cĆur, encore plus que par les qualitĂ©s de leur esprit, lâestime & lâamour des hommes. Carie monde lui-mĂȘme, tout aveugle & tourcorrompu quâil est dans ses maximes ainsi que dans sa conduite, a toujours attachĂ© un mĂ©rite & une gloire Ă la charitĂ© pour les malheureux. Ennemi de la vertu dans tout le reste, toujours prĂȘt Ă sâen faire un sujet de dĂ©rision &. Ă la tourner en ridicule, parce quâelle frit sa condamnation, il commence Ă la res. pecter, ausii-tĂŽt que les malheureux en font lâobjet. Loin de refuser son suffrage Ă la bienfaisance compatiflĂ nte, il est le premier Ă lui applaudir. Les qualitĂ©s de lâame les plus brillantes , les plus sublimes, les dons les plus rares de la nature, susciteront contre vous la malignitĂ© de lâenvie, qui .osera combattre & dĂ©crier en public ce quâelle est forcĂ©e de rĂ©vĂ©rer en secret. Il nâen est pas ainsi de la compaflion pour les infortunĂ©s. Câest une qualitĂ© sĂ»re de nâessuver aucune contradiction, aucune jalousie elle nâinspire que de lâestime, elle ne fait naĂźtre que lâamour. Tous les cĆurs volent comme de concert fur les pas dâun riche, dont la main ne sâouvre que pour donner. Le Grand, le Prince, le Monarque, i88 Lâ Ă c o l e en traĂźnant Ă leur suite une foule rampante de serviteurs & dâesclaves, ne reçoivent le plus souvent que dâhypocrites hommages , commandĂ©s par lâintĂ©rĂȘt ou par la coutume. Lâhomme qui ne marche quâaccompagnĂ© dâune foule dâindigens & de malheureux, obtiendra presque des autels. DĂšs quâon le voit, mille bĂ©nĂ©dictions retentilsent fur son passage, mille bouches demandent au Ciel la conservation de ses jours. Sont-ils en pĂ©ril, ces jours si prĂ©cieux quel trouble! quelle affliction ! On regardent sa vie comme une - faveur du Ciel, on en redoute la perte comme une calamitĂ© publique. La mort enleve-t-elle enfin un mortel si digne de vivre toujours ce ne sont point quelques larmes contrefaites qui coulent fur ion tombeau, comme fur celui du riche qui nâa vĂ©cu que pour lui-mĂȘme. Autour de son corps , un peuple indigent fait entendre les cris de sajuile douleur. Ils redemandent leur pere , leur consolation, leur soutien, ils se croient ensevelis dans le mĂȘme cercueil. Soupirs, gĂ©missent en 8 mille fois plus glorieux que ces superbes monumens, oĂč lâorgueil des vi- vans semble vouloir augmenter le triomphe de la mort. Ces pompes magnifiques , que la mort attache Ă son char, nous apprennent ce quâont posledĂ©, ce quâont perdu, & es que laideur aprĂšs eux, DES M Ć Xf R S. Ig9 eux auxquels on les consacre, & non pas ce quâils ont fait de bien. Ces Ă©loges funĂšbres, oĂč lâĂ©loquence la plus ingĂ©nieuse est rĂ©duite Ă ne louer que ce quâau- roient dĂ» faire ceux qui en sont le sujet, sont souvent dĂ©mentis par la voix publique; Mais les larmes des malheureux, qui honorent les funĂ©railles du riche charitable, font autant de panĂ©gyristes elo- quens & unanimes de ses vertus. Quel Ă©loge plus touchant que celui que firent de la charitable & vertueuse Tabithe, au Chef des ApĂŽtres, les chrĂ©tiens de JoppĂ©! Elle Ă©toit morte depuis plusieurs heures lorsquâil arriva. On le mene dans la salle oĂč son corps Ă©toit exposĂ©. EĂ toutes les veuves lâentourent, & lui montrent en pleurant les robes & les habits que Tabithe leur faisoit. Un spectacle si attendrissant demandoit un miracle Ă celui dont lâombre mĂȘme guĂ©- rissoit les malades. Il se met Ă genoux , commande Ă Tabithe de se lever , la prend par la main , & la rend pleine de vie aux vĆux ardens de tous ceux qui Ă©toient lĂ , & qui virent couler de toutes parts des larmes de joie Ă la place des larmes de tristesse quâon venoit de rĂ©pandre g. Mattfc. 25- des MĆurs. Si Dieu'vous a donnĂ© beaucoup de richesses , tĂ©moignez-lui-en votre recon- noiflĂ nce, en les partageant avec les pauvres, & ne craignez que de ne pas donner assez. Si vous nâavez pas beaucoup de bien , soyez encore charitable les moins riches peuvent secourir ceux qui sont dans la nĂ©cessitĂ©. Il ne faut pas de grands trĂ©sors pour ĂȘtre bienfaisant. Tant de personnes ont besoin dâune recommandation, dâune parole consolante, dâun morceau de pain. â Mon fils, disoit le vertueux Tobie , faites lâaumĂŽne de votre bien, & ne dĂ©tournez jamais vos yeux dâaucun pauvre par-lĂ vous mĂ©riterez que les yeux de Dieu ne se dĂ©tournent jamais de vous. Soyez misĂ©ricordieux , selon lâĂ©tendue de votre pouvoir. Si vous avez beaucoup , donnez beaucoup ; i vous nâavez que peu , donnez peu, & donnez-Ăźe volontiers. Ce fera un trĂ©sor que vous amasserez, & une grande rĂ©compense que vous vous prĂ©parerez pour le jour oĂč vous en aurez besoin. Car lâaumĂŽne expie tous les pĂ©chĂ©s , dĂ©livre de la mort Ă©ternelle, & elle empĂȘchera lâa me de tomber dans les deviendra pour tous ceux qui la font, le sujet dâune grande confiance devant le Dieu souverain 10 elles nous rendront amis de Dieu , & elles contribueront Ă effacer nos pĂ©chĂ©s. Ne craignez donc point de perdre, Ă proportion que vous ĂȘtes plus gĂ©nĂ©- B E S M Ć U R 8. JĂżs reux Ă lâĂ©gard des pauvres. Croyez au contraire quâil nây a de perdu pour vous * que ce que vous donnez au monde & Ă vos passions. Voulez-vous que vos richesses passent en lâautre vie, & vous y devancent remettez-les entre les mains des pauvres ; eux seuls peuvent les y porter. Vous ne conserverez que ce que vous leur aurez confiĂ© ; tout le reste sera perdu pour vous. Donnez leur ce qui doit vous Ă©chapper avec la vie. Au lieu dâamasser des trĂ©sors qui peuvent devenir la proie des voleurs , & qui deviendront certainement celle de la mort, amassez des trĂ©sors infiniment plus nĂ©cessaires , & que rien ne poura jamais vous enlever. Faites du bien aux pauvres pendant que vous vivez, plutĂŽt quâaprĂšs votre trĂ©pas, parce que Ăźe mĂ©rite en est beaucoup plus grand , & que câest en quelque forte ĂȘtre libĂ©ral du bien dâautrui, que de ne donner que ce que la mort va contraindre de laisser Ă dâautres. Le bien quâon rĂ©pand dans le sein des pauvres, est comme une semence qui souvent produit des fruits abondans, mĂȘme pour cette vie. LâaumĂŽne faite en vue de Dieu & selon les lois de la charitĂ©, nâa jamais vu lâindigence marcher Ă sa fuite. Combien , au contraire, aây en a-t-il pas, dont la prospĂ©ritĂ© Iy6 V E C O L E semble avoir Ă©tĂ© en proportion de leurs aumĂŽnes ! ce quâils donnoient dâun cĂŽtĂ©, Dieu le leur rendoit de lâautre. Câest quâon ne perd rien avec un martre qui ne le laisse pas vaincre en libĂ©ralitĂ©. On raconte dâun riche NĂ©gociant, quâil ne prenoit jamais dâassurances pour les marchandises qui Ă©taient Ă son compte fur les vaisseaux; mais il donnoitaux pauvres ce que lui auroient coĂ»tĂ© ces assurances il disoit que cette maniĂ©rĂ© dâassurer ne lâavoir jamais trompĂ©. Lâillustre & vertueuse Baronne de Chantal, mariĂ©e Ă un des plus riches Seigneurs de Bourgogne , avoir Ă©puisĂ© dans une famine tout ce quâelle avoir rnis en rĂ©serve pour les pauvres. Edle se vit rĂ©duite Ă un seul muid de farine de froment & Ă un peu de seigle, qui lui Ă©taient nĂ©cessaires pour la subsistance db sa maison. Cependant la famine con- tinuoit, & le nombre des pauvres, au lieu de diminuer, augmentait tous les jours. Combien de personnes , dans une pareille conjoncture, auroient cessĂ© leurs aumĂŽnes! Madame de Chantal, pleine de confiance en Dieu , continua les sennes jusquâĂ la rĂ©colte. Le muid de farine de froment & le peu de seigle, pendant six mois ne diminuĂšrent point. Lorsque la moisson fut arrivĂ©e, on alloit voir avec admiration ce peu de blĂ©, oĂč des MĆurs. 197 lâois nâappercevoit aucune diminution sensible. Câest un fait qui a Ă©tĂ© attestĂ© par tous ceux qui servoient alors Madame de Chantal, & que croiront fans peine ceux qui savent les promettes du Seigneur Ă cet Ă©gard. Les uns , dit Salomon , font port de ce qui est Ă eux , U si'en deviennent que plus riches les autres ravisent le bien d'autrui , A- font toujours dasts l'indigence. Celui qui donne au pauvre n'aura besoin de rien mais celui qui le mĂ©prise lorsqu'il le prie , tombera lui-mĂ©me dans la pauvretĂ© 11 . Lorsque Dieu sollicite notre charitĂ© envers les pauvres, câest moins pour eux que pour nous ; & ce pauvre qui disoit Faites-moi l'aumĂŽne pour l'amour de vous, parloit trĂšs-juste. Renfermez , dit le Sage , votre aumĂŽne dans le sein du pauvre , U elle priera pour vous , afin que vous J oyez dĂ©livrĂ© de tout mal elle fera une arme plus forte pour combattre votre ennemi , que le bouclier & la lance du plus vaillant' homme 12 . Le Duc de Neubomrg , pere de la vertueuse ImpĂ©ratrice ElĂ©onore, lâĂ©prouva a lâoccasion que nous allons dire. Ce II xAlit dividunt propria , ditiores fiunt, tfsc» prov. i I. & 28. 12 Concludc eletmoĂnam in corde parts cris t ÂŁ?* 1 >ac j>r$ . te ornni malo , &c. Ăccli. 29. I 3 r*?8 Lâ Ă c o L Ă© Prince saifoit des aumĂŽnes frĂ©quentes, ntais lĂ©gĂšres Ă chaque fois ; persuadĂ© , disoic-il', que lâaumĂŽne doit ressembler Ă une pluie lente , mais continuelle, & par-lĂ plus utile Ă la terre que les tor- rens dâeau subits & passagers. Sur cette maxime , qui Ă©toit aussi celle du savant Cardinal Bellarmin , ce bon Prince ne faisoit pas difficultĂ© de fe charger lui- mĂȘme de menue monnoie, quâil distri- buoit de ses mains; ce qui lui sauva une fois la vie ; car Ă©tant Ă la chasse dans les forĂȘts de Vienne, un sanglier qui se jeta sur lui , appliqua heureusement ses dĂ©fenses fur la poche oĂč lâElecteur renfer- moit ses aumĂŽnes. Quels prĂ©textes raisonnables pouroit- il rester encore, pour sâexempter de la loi si juste & si indispensable de lâaumĂŽne, & pour refuser dâexercer envers les pauvres une misĂ©ricorde plus avantageuse pour nous que pour eux-mĂȘmes? On devrait rougir de la plupart de ceux quâon allĂ©guĂ©. Mais comme câest dĂ©fendre la cause des malheureux, que de dĂ©truire les obstacles quâon oppose Ă leur soulagement , ĂŽtons encore ce qui sert le plus souvent dâexcufĂš Ă la duretĂ© & Ă lâavarice. Il y a , rĂ©pĂ©tez-vous fans cesse, tant de pauvres qu'on ne fauroit y suffire. Je fais quâil y eu a beaucoup , & quâil y eu dus MĆurs. 199 aura toujours ; mais pourquoi en voyons- nous un si grand nombre, & pourquoi font-ils fi malheureux ? Nâest-ce pas parce que la plus grande partie des richesses est entre les mains de quelques heureux, qui refusent dâen faire part, comme ils le devroient, Ă ceux qui nâont rien? Plus il y a dâindigens, plus on doit multiplier ses aumĂŽnes. Les temps , dites-vous , font mauvais » ou peuvent le devenir. Riches fans humanitĂ© , fi les temps font mauvais, pour qui le font-ils? Est-ce pour vous , qui dans tous les temps ne manques jamais de rien, ou pour le pauvre , qui presque- toujours manque de tout, & qui est dâautant plus Ă plaindre que les temps font plus malheureux ? Toute la rigueur nâen retombe-t-elle pas fur lui, qui seul en est la victime ? & puisquâil y a un grand nombre de gens qui font dans le besoin, ne devez-vous pas aussi plus que jamais prodiguer vos largesses ? Nâest-ce pas dans les temps de calamitĂ©, que lâobligation du prĂ©cepte Ă©tant plus expresse, vous devez Ă©pargner, mĂ©nager , retrancher mĂȘme, pour ĂȘtre en Ă©tat de donner davantage ? Vous craignez ou paroissez craindre pour lâavenir des rĂ©volutions de fortune. Mais ces craintes excessives, injurieuses Ă Dieu & Ă fa providence, dont les foins I 4 aoo Lâ Ă c o l ĂŻ bienfaisans nâoublient pas les oiseaux du ciel ni les animaux de la campagne, ne iont-elles pas dâordinaire les craintes hypocrites de lâavarice, cachce fous le masque trompeur de la prudence? Elles ne servent quâĂ pallier une cupiditĂ© sordide qui fait son dieu de son trĂ©sor, ou _ Ă satisfaire dâautres passions. On craint lâavenir, quand il sâagit de subvenir aux besoins des pauvres; & on ne le craint pas quand il sâagit du jeu, du luxe ou de la dĂ©bauche , qui renversent si souvent les fortunes les plus brillantes. Mais , ajoutez-vous, ne doit-onpas soutenir son rang ? Et moi, je vous demande Ă mon tour, quel est votre premier rang & votre plus nĂ©cessaire Ă©tat? nâest-ce pas celui dâhomme & de chrĂ©tien ? Câest cette derniere qualitĂ© surtout, bien au-dessus de toutes les autres, que vous devez ĂȘtre le plus jaloux de soutenir ; & la soutiendrez-vous , si vous nâavcz pas une charitĂ© bienfaisante pour des hommes malheureux, qui font vos frĂšres, encore plus selon lâordre de la religion que de la nature ? Leur vie ne doit-elle pas lâemporter fur toutes les biensĂ©ances, souvent imaginaires,& presque toujours exagĂ©rĂ©es de votre Ă©tat? Mais , continuez-vous , le pauvre n'et droit qu'au superflu du riche , b Ăź e rien des MĆurs. aor ai point. Non, votre aviditĂ© dâacquĂ©rir, votre ambition , votre sensualitĂ© nâen ont pas. Mais mettez un frein Ă votre fureur dâamaifer, Ă vos projets ambitieux dâĂ©lĂ©vation, Ă vos dĂ©pensĂ©s excelfives, Ă vos intempĂ©rances ; & votre bien vous fournira du superflu. Retranchez de vos parures , de ce faste importun, odieux aux autres, & Ă charge Ă vous-mĂȘmes » de ce jeu excessif qui vous ruinera bien plus lurement que lâaumĂŽne, & oĂč fur des tables , dirai-je -couvertes dâor ou du sang des pauvres que vous laissez pĂ©rir , vous prodiguez des sommes qui pou- roicnt suffire Ă nourrir long-temps un grand nombre de familles indigentes. Retranchez de ces repas somptueux que vous donnez souvent par vanitĂ©, & oĂč lâambition de lâemporter sur les autres vous fait charger vos tables de plats aussi multipliĂ©s quâinutiles, de mets dont la raretĂ© , la chertĂ© , la nouveautĂ© font tout le prix, de vins Ă©trangers & de liqueurs plus flatteuses au goĂ»t quâutiles Ă la santĂ©. Que dirai-je enfui ? comptez vos crimes, vos excĂšs, vos folles dĂ©penses; & vous aurez du superflu. Un Seigneur de la Cour d âAlexandre IX, Ăuc de Savoie, avoir un nombre prodigieux de chiens quâil nourrissoit uniquement pour les plaisirs de la chĂątiĂ©. Un jour qu'il sâentretenoit avec ce Prince I s 202 Lâ Ă C O L ÂŁ de la grande dĂ©pense que lui causoĂźent ces animaux, le Roi, indignĂ© dâun argent si mal employĂ© , lui dit dâun ton sĂ©vere Apprenez , Monsieur » qu'il ne faut point nourrir d'autres chiens que les pauvres ; du moins il servent pour prendre le Ciel. Sans consulter l'attachement aux ri- chetscs, toujours ingĂ©nieux Ă Ă©luder la loi de lâaumĂŽne,, ni nosautres pallions qui, ne connoiflĂ nt point de bornes, nâauront jamais de superflu ; consultons la raison & la religion qui, marchant toujours dâun pas Ă©gal entre le trop & le trop peu, iĂ uront nous fournir les lumiĂšres nĂ©cessaires pour difliper lâillusion que nous nous faisons Ă nous-mĂȘmes. Elles appelleront superflu tout ce quâon ne doit pas Ă lâentretien dâune maison lĂ€ge ment rĂ©glĂ©e , Ă lâĂ©ducation de ses enfans, aux biensĂ©ances vĂ©ritables de fa condition. Elles appelleront superflu tout ce qui ne sert quâĂ faire naĂźtre ou entretenir la sensualitĂ© , Ă fournir Ă des parures dont rougit la modestie chrĂ©tienne , ou Ă un luxe commandĂ© par la vanitĂ©. Voulez-vous lavoir, riches opulens, ce que vous devez rigoureusement lĂ cri- fier de vos richesses au soulagement des malheureux ; car tel paroĂźt quelquefois donner beaucoup, qui donne peu, parce quâil devroit donner bien davantage, Ă des MĆurs. 205 proportion du bien quâil postĂšde observez la regle que donnoit un ancien Pliilosophe. InterrogĂ© quelles croient la mesure & la regle de la bienfailĂ nce- envers les malheureux Nos besoins satisfaits , rĂ©pondit-il. On fait quâoutre le nĂ©cessaire qui est rĂ©glĂ© par les besoins indispensables de la vie , il y en a un qui est dĂ©terminĂ© par lâĂ©tat & les circonstances. Les bornes du premier font fort Ă©troites ; un peu de bonne foi avec foi-mĂȘme suffira pour les connoĂźtre. A lâĂ©gard du nĂ©cessaire de lâĂ©tat, la regle la plus sĂ»re pour en juger » est lâopinion publique ; elle apprĂ©cie toujours Ă©quitablement les diffĂ©rens besoins de chaque condition. Lorsque pĂźulieurs citoyens manquent du nĂ©cessaire, & il nây en a que trop de ce nombre, tous ceux qui ont plus que ce nĂ©cessaire, doivent aux indigens au moins une partie de ce quâils possĂšdent au-delĂ . Or quelle est cette partie quâils doivent aux malheureux , & quâils ne peuvent retenir sans ĂȘtre coupables envers la sociĂ©tĂ© dont ils font membres ? Câest-lĂ le nĆud embarrassant, qui a toujours arrĂȘtĂ© les plus habiles Moralistes. Quelques-uns plus hardis ont voulu le retrancher, en dĂ©cidant que tout citoyen qui a plus que ce qui est absolument nĂ©cessaire pour vivre» doit en ac4 Lâ Ă c o t e rigueur au pauvre le cinquiĂšme de son reliant. Si cette dĂ©cision sur une matiĂšre oĂč il est difficile de mai quer en gĂ©nĂ©ral les bornes prĂ©cises du devoir, & oĂč il est toujours moins dangereux dâaller au-delĂ que de ne pas faire assez, paroxt un peu sĂ©vere dans les nĂ©cessitĂ©s ordinaires & communes i ; il est du moins constant, que dans les nĂ©cessitĂ©s extraordinaires du prochain on doit la suivre, & quelquefois mĂȘme pousser le sacrifice encore plus loin , si lâon veut accomplir le prĂ©cepte de la loi naturelle & divine , qui oblige en proportion du besoin des pauvres. Ainsi lâon a vu le cĂ©lĂ©brĂ© CurĂ© de Saint-Sulpice, M. Langues, vendre en un temps de chertĂ©, ses meubles, ses tableaux, & dâautres effets rares & curieux quâil a voit amassĂ©s avec beaucoup de peine. Il nâeut depuis ce temps-lĂ que trois couverts dâargent, point de tapisserie , un simple lit de serge , quâune Dame ne fit que lui prĂȘter , afin quâil ne le vendit pas pour les pauvres, comme il avoit fait de tous ceux quâil avoit eus. Il avoit dĂ©jĂ vendu son patrimoine qui 13 Il y a des personnes riches qui, hors les cas d'une grande calamitĂ© publique, donnent aux pauvres Ă -peu- prĂšs le dixiĂšme de leurs revenus cette regle semble juste L raisonnable. DES M Ć ĂŒ R S. 20f Ă©toit considĂ©rable , & il en avoir employĂ© le prix en Ćuvres de charitĂ©. Quel exemple pour ceux qui, par leur Ă©tat, ainsi que par la nature des biens ecclĂ©- sialtiques dont ils jouissent, font encore plus obligĂ©s que les Riches & les Grands du monde , dâĂȘtre les premiers peres nourriciers des pauvres ! LâArchiduc Ferdinand , aujourdâhui Gouverneur de la Lombardie Autrichienne, donna un jour aux Grands un exemple de sensibilitĂ© pour les malheureux, auilĂŻ digne de leur imitation que de nos Ă©loges. Pendant les diffĂ©rentes fĂȘtes, qui fe firent au sujet de son mariage , on lui montra, en prĂ©sence de lâImpĂ©ratrice-Reine , les deisins dâune illumination superbe, quâon a voit rĂ©solu de faire Ă SchĆnbrun , lâavant-veille de l'on dĂ©part pour son Gouvernement, & qui auroit coĂ»tĂ© beaucoup. Le jeune Prince considĂ©ra ces dĂ©lit ns attentivement , parut rĂȘveur, soupira, & quelques larmes sâĂ©chappĂšrent de ses yeux. LâImpĂ©ratrice Ă©tonnĂ©e & inquiĂ©tĂ© de cet attendrissement, lui en demanda vivement la cause. ManiĂšre , lui-dit-il, voilĂ njsez de fĂȘles qu'on vie donne encore une illumination ! cela coĂ»tera tant ! & deĂ un plaisir fi peu durable , fi mĂȘme c'en est un ! la chertĂ© des grains sff les malheurs des temps ont rĂ©duit quantitĂ© de familles 206 Lâ Ă C O L E honnĂȘtes dans la dernier e misere. On pou- roit employer l'argent que cette illumination coĂ»ter oit Ă soulager les plus indi- gens. LâImpĂ©ratrice charmĂ©e de trouver dans ses en-fans cette humanitĂ© & cette bienfaisance qui faisaient son caractĂšre , embraiiâa tendrement son fils, mĂȘla ses larmes aux siennes & lui fit remettre une somme considĂ©rable. Tout le jour fut employĂ© Ă la disiribuer dans le plus grand leeret , & le lendemain lâArchiduc parut devant lâImpĂ©ratrice, la joie peinte fur le visage , lâembrassa , & lui dit avec sâenthousiasme dâune belle ame transportĂ©e du plaisir dâavoir fait une bonne action Ah ! ma mere, quelle fĂȘte ! des MĆurs-. 207 X I X. Soye^ homme d'honneur. que nous entendons par le mot d âhonneur , nâest pas , comme quelques-uns le pensent, une vertu politique, un simple prĂ©jugĂ© câest une vertu rĂ©elle & morale, dictĂ©e par la nature mĂȘme, dont la fonction, pour ainsi dire, est de veiller sur toutes les autres & de les conserver dans toute leur puretĂ©. Lâhonneur , comme ce suc prĂ©cieux exprimĂ© des fleurs, se forme de ce quâil rencontre de plus exquis dans chaque vertu ; & telle est sa dĂ©licatesse, que la plus lĂ©gĂšre tache le ternit. 11 est Ă lâame ce que la vie est au corps il vivifie toutes nos actions, dirige tous nos sentimens, anoblit la vertu mĂȘme , flĂ©trit le vice, donne de lâĂ©clat Ă la prospĂ©ritĂ©, console dans les revers , & soutient lâindigence malheureuse. Lâhonneur est comme une seconde providence pour lâEtat. Il commande la saintetĂ© aux Pontifes, la valeur aux Guerriers , la justice aux Magistrats » lâĂ©mulation aux talens utiles, la pudeur au sexe. U prescrit la bonne foi dans le commerce, & couvre de honte le plus foible 20 8 Lâ Ă C O L B soupçon dans le maniement des deniers publics. Il invite le soldat au combat, & paye le prix de son sang avec de la gloire. Il sâagiiĂźâoit au siege dâune ville de reconnoĂźtce un point dâattaque. Le pĂ©ril Ă©toit presque inĂ©vitable. Cent louis Ă©toient also rĂ©s Ă celui qui pouroit en revenir. plusieurs braves y Ă©toient dĂ©jĂ res. tes. Un jeune homme se prĂ©sente on le voit partir Ă regret il reste long-temps on le croit tuĂ©; mais il revient, & fait Ă©galement admirer lâexa&itude & le sang- froid de Ibn rĂ©cit. Les cent louis lui font offerts. Vous vous moquez de moi , mon GĂ©nĂ©ral, rĂ©pondit-il, va-t-on lĂ pour de T argent ? LâĂ©loge & la gloire iont la feule rĂ©compense digne de la valeur. Ce nâest pas avec de lâor quâil faut payer ce que lâhonneur seul peuc & doit acquitter. Un laurier rĂ©compense un hĂ©ros. Plus ce sentiment est beau, plus on doit craindre de le corrompre , de le rendre vicieux & condamnable , en ne se proposant dâautre fin que lâestime des hommes & la gloire mondaine. Ce fantĂŽme brillant fut lâobjet des vĆux & des poursuites des plus illustres PaĂŻens, parce que leur religion toute humaine nâof- froit point de motifs plus dignes dâune ame grande. Câest encore aprĂšs lui seul que courent & que nous engagent Ă coulis nos nouveaux plĂŒiosophes, parce des MĆurs. 209 quâil renferment bassement toutes leurs espĂ©rances dans les bornes Ă©troites de la vie prĂ©sente. Mais le philoibphe ChrĂ©tien, dont les vues font bien plus grandes & plus Ă©levĂ©es , ne se permet dâaimer & de rechercher lâestime des hommes , quâautant quâelle lui est utile ou nĂ©ces. lĂ ire, pour mieux remplir les devoirs de lâĂ©tat oĂč la Providence lâa placĂ©. Lâhonneur, lâestime des hommes, Ă©tant un bien rĂ©el, comme les richesses & la santĂ©, & mĂȘme un avantage plus prĂ©cieux encore , on peut donc les dĂ©sirer Ă©galement & les rechercher. LâEsprit-Saint lui-mĂȘme nous le recommande Ayez soin d'avoir une bonne rĂ©putation , ce sera pour vous un bien plus durable quemiils grande trĂ©sors 1 . Câest avec la vertu le seul qui nous reste aprĂšs la vie. Mais vous aurez tout le soin , que lâEsprit-Saint veut que vous ayiez dâacquĂ©rir & de conserver une bonne rĂ©putation , si vous vous appliquez Ă Ă©difier tous les hommes par la sagesse de votre conduite, & Ă ne rien faire qui puisse vraiment vous rendre vil & mĂ©prisable. Celui qui par une impudence effrontĂ©e ou par une bassesse de sentimens ne fait nul cas de lâestime des autres, nâest lui- i Curant habe Ă€s rumine » ÂŁ 7 V. EccĂźi. 41. 210 Lâ Ă C O L s mĂȘme guere estimable. Un de ces im- pudens cyniques , dont la secte fut la honte de lâancienne philosophie, disoit un jour se me ris de tous ceux qui se moquent de moi. Personne , lui rĂ©pondit-on, ne se divertit donc mieux que VOUS. Pour mĂ©riter cette estime publique, qui est comme le plus bel apanage du mĂ©rite & de la vertu , lâhomme dâhonneur fait profestion dâĂȘtre attachĂ© invio- lablement Ă son devoir, dâaccomplir toute justice, dâavoir une conduite irrĂ©prochable Ă lâĂ©gard de tout le monde. 11 a pour maxime de ne. point manquer Ă fa parole, dâĂȘtre fidelle au secret, de ne trompĂšr personne , de ne jamais rien faire contre la droiture & la probitĂ©. Incapable dĂ©faire tort Ă qui que ce soit, il rougiroit de sâenrichir par des gains sordides, de sacrifier lĂ conscience Ă sa fortune. Darius, Roi de Perse, ayant envoyĂ© de riches prĂ©sens Ă Epaminondas , ce grand homme rĂ©pondit Ă ceux qui les luiapportoient Si Darius veut ĂȘtre ami des ThĂ©baius , il nâes pas nĂ©cessaire qu'il achetĂ© mon amitiĂ©ss s'il a d'autres j'en- tirnens , il n'est pas assez riche pour me corrompre. Le Duc de MaĂŻenne Ă©crivit Ă Matignon ^ Comte de Ihorigny, pour lâengager dans le parti de la Ligue. Celui-ci DES M ĂE U R- S. 211 lui rĂ©pondit ,, Je croyois ĂȘtre le seul en France, qui sâappelĂąt Thorigny. apparemment quâil y en a un autre , Ă qui votre lettre sâadresse , & que vous espĂ©rez dâengager Ă sacrifier son honneur aux brillantes offres que vous lui faites. Je ne crois pas que vous lâayez prĂ©sumĂ© de moi â. Ce que fit M. d 1 AubignĂ© ,'est auffi trĂšs- beau. Il contoit un jour Ă M. de Talci la mauvaise fortune & le triste Ă©tat de ses affaires. Celui-ci lâinterrompit en lui disant Vous avez des papiers qui intĂ©ressent beaucoup le Chancelier de lâHĂŽpital. DisgraciĂ© de la Cour , il est, comme vous savez, maintenant retirĂ© Ă sa maison de campagne. Si vous voulez, je me fais fort de vous faire donner dix mille Ă©eus pour ces papiers, soit par lui, soit, sâil le refuse, par ceux qui vou- droient sâen servir contre lui. DâAubignĂ© alla auffi-tĂŽt chercher tous ces papiers , & au lieu de les donner Ă M. de Talci, il les jeta dans le feu en lĂ prĂ©sence. Comme celui-ci lâen reprenoit vivement, il rĂ©pondit Je les ai brĂ»lĂ©s de peur qu'ils ne me brĂ»laJJ'ent ; car saurais pu succomber h la tentation. Cette action gĂ©nĂ©reuse toucha M. de Talci. Le lendemain, il alla trouver dâAubignĂ©, le prit par la main, & lui dit Quoique vous ne mâayez pas ouvert votre cĆur, j'ai de trop bons yeux pour ne m'ĂȘtre pas ap- percu de votre amour pour ma fille. Vous la voyez recherchĂ©e de plusieurs partis , qui ont plus de bien que vous. Mais ces papiers que vous bridĂątes hier, de peur quâils ne vous brĂ»lassent, mâont dĂ©terminĂ© Ă vous choisir pour mon gendre. Il faut quâun homme dâhonneur aime son devoir, jusquâĂ sâexposer aux plus grands dangers , Ă la mort mĂȘme, pour le remplir. Un Officier Ă©toit commandĂ© pour une action trĂšs-pĂ©rilleuse. On lui ĂźuggĂ©roit des prĂ©textes, pour se dispenser dâexĂ©cuter la commision. Je puis bien sauver ma vie, rĂ©pondit-il; mais mon honneur, qui le sauveras 1 Tous les rangs, tous les Ă©tats font fournils Ă lâhonneur il Ă©tend son empire lire les Grands & fur les Princes mĂȘme il commande Ă ceux auxquels les autres obĂ©issent ; & plus ils semblent ĂȘtre au- dessus des lois, plus ils se font gloire de respecter celles de lâhonneur , & dâĂȘtre, si lâon peut sâexprimer ainsi, ses premiers su jets. A. la bataille de Nervinde, gagnĂ©e par le MarĂ©chal de Luxembourg fur les AlliĂ©s, on eut de la peine Ă fĂš taire un paflĂ ge Ă travers les retranchemens des ennemis. La breche faite , on ne pouvoir y passer sans un extrĂȘme danger de perdre la vie. Le Duc Je Chartres y vol oit. Le MarĂ©chal de Luxembourg voulut lâen desMĆurs. ar? empĂȘcher il dit Ă M. dâArci, Gouverneur du jeune Prince , de le retenir , parce que cet endroit Ă©toit trop pĂ©rilleux. Pourquoi retenir le Prince , rĂ©pondit ce brave Gouverneur? Les Grands font nĂ©s pour fe diitinguer par leurs belles actions Ă la guerre comme ailleurs, & pour montrer par leur exemple aux Troupes Ă combattre avec courage. Vous y passez bien mon Prince y passera aussi ; & puisquâil peut acquĂ©rir de la gloire en cette occasion , bien loin de lâen empĂȘcher, je lây conduis ; & tant que jâaurai lâhonneur dâen ĂȘtre Gouverneur, je le mĂšnerai par-tout. Tel est le vrai honneur il ne peut fs trouver que dans des choses honnĂȘtes 8c louables. Mais la plupart des hommes ne connoissent pas bien lâhonneur, & lâaiment fans le connoĂźtre. Ils le font consister Ă ĂȘtre estimĂ© des autres fans distinguer la fausse estime de lâestime vĂ©ritable ; & fur-tout Ă recevoir avec impatience ou plutĂŽt avec fureur les outrages quâon leur fait, rĂ©solus dâen tirer vengeance ou de pĂ©rir. On comprend que nous voulons parler des combats singuliers; u lĂ€ge fĂ©roce & extravagant, que le faux point dâhonneur a su maintenir jusquâĂ prĂ©sent, malgrĂ© tout ce que la sĂ©vĂ©ritĂ© des lois, les lumiĂšres delĂ rai- ion, les menaces de la religion ont pu ri4 Lâ E c o l e faire pour lâabolir. Il est vrai que la fureur des duels est beaucoup diminuĂ©e ; mais il sâen faut bien quâelle soit entiĂšrement Ă©teinte. Elle souffle encore de temps en temps fa rage dans les cĆurs ; & câest ce qui nous engage Ă en parler ici. Heureux, si nous pouvions contribuer Ă abolir jusquâaux derniers restes de ce prĂ©jugĂ© barbare, dĂ©tromper ceux quâil a sĂ©duits , & les convaincre quâil nâest pas moins opposĂ© au vĂ©ritable honneur quâĂ la religion. Non, le duel nâest pas une institution dâhonneur, comme le pensent les duellistes ; mais une mode affreuse & sanguinaire, qui doit la naissanceâ aux nations fĂ©roces du Nord. Câest dans les sombres forĂȘts, dans les montagnes inaccelsibles de lâancienne Germanie, au milieu dâun peuple farouche , quâil faut placer son origine. Une indĂ©pendance excelsive, triste apanage de la grossiĂšretĂ© dâun Gouvernement Ă peine Ă©bauchĂ©, qui » au dĂ©faut des lois, autorisoit les particuliers Ă se faire justice par la voie des armes ; un faux point dâhonneur, qui faisait regarder lâusage de la force comme le moyen le plus noble de se faire rendre raison & de soutenir ses prĂ©rogatives ; voilĂ les vraies causes qui firent naĂźtre parmi les anciens Germains le duel. Ces hommes aussi fĂ©roces que les lieux quâils habi- des MĆurs. rrf toient, -sâĂ©tant prĂ©cipitĂ©s comme un torrent en Italie, en Espagne, & dans les Gaules, leur fureur naturelle les y suivit; ils y apportĂšrent lâusage du duel. Heureux siĂšcles, qui nâavez point connu un usage si meurtrier, vous mĂ©ritez, Ă bien plus juste titre que le nĂŽtre, le nom de liecle de lâhumanitĂ© ! Car nâest-ce pas une horrible barbarie, que les hommes sâĂ©gorgent les uns les autres pour un lĂ©ger affront, comme feroient des bĂȘtes fĂ©roces ? Quelle rage, quelle fureur de dĂ©truire son semblable , & de consentir soi-mĂȘme Ă ĂȘtre dĂ©truit pour un si petit sujet! Nous frĂ©missons, quand nous voyons un homme Ă©gorgĂ© fous nos yeux; & nous faisons consister lâhonneur Ă ĂȘtre nos meurtriers ou les meurtriers dâun autre homme ! On traiteroit de cruel tyran un Roi, qui prononceroit un arrĂȘt de mort contre quiconque laisseroit Ă©chapper une parole qui ne seroit pas assez respectueuse pour lui. Mais nâest-ce pas ce que fait un homme qui appelle en duel un ennemi ? Il le condamne Ă mort impitoyablement ; & dans la rage & la fureur oĂč il est de ne pouvoir faire exĂ©cuter fa sentence, il consent Ă sâexposer lui-mĂȘme Ă la mort, pour pouvoir mettre cette sentence Ă exĂ©cution, & devient ainsi son propre bourreau. Et lâon appelle cette loi une us L ! Ă C O L E loi dâhonneur ! Dites plutĂŽt que câest une loi cruelle, une loi inhumaine & tyrannique. Nâest-ce pas une chose bien incomprĂ©hensible, quâun usage qui fait honte Ă lâhumanitĂ©, & que la raison condamne, subsiste encore dans un siede aussi Ă©clairĂ©, avec des mĆurs aussi douces, aussi humaines , aussi policĂ©es que les nĂŽtres ? Croiroic-on quâil ait pu subsister longtemps avec tant de gloire quâon a vu les Rois eux-mĂȘmes prĂȘter Ă ces affreux combats le sceau de leur autoritĂ©, & les honorer de leur prĂ©sence i Avant le regne de Henri II , rien nâĂ©toit plus commun en France que ces duels autorisĂ©s. Celui de Chabot de Jarnac, & de Vivonne de la ChĂątaigneraie, fut le dernier. Ce combat se fit dans la cour du ChĂąteau de Saint-Germain-en-Laie, en 15-47. Jarnac avoit donnĂ© un dĂ©menti Ă la ChĂątaigneraie. Celui - ci le dĂ©fia au combat. Le Roi le permit, & voulut en ĂȘtre spectateur. Il se stattoit que la ChĂątaigneraie, quâil aimoit, emporterait lâavantage mais Jarnac, quoique malade, le renversa par terre dâun revers quâil lui donna fur le jarret, & quâon a depuis appelĂ© le coup de Jarnac. On sĂ©para les combattans. Le vaincu, inconsolable dâavoir essuyĂ© cette honte Ă la vue du Roi, ne voulut jamais que les Chirurgiens bandassent des MĆurs. 217 bandassent sa plaie il mourut quelques jours-aprĂšs. Henri II en fut si touchĂ©, quâil -jura solennellement de ne plus permettre de semblables combats. Mais la fureur du duel nâen subsista pas moins. Depuis lâavĂ©nement de Henri IV Ă la couronne jusquâĂ la vingtiĂšme annĂ©e de son regne , sept mille grĂąces furent donnĂ©es pour des duels oĂč lâun des adversaires avoit perdu la vie. Les duels Ă©toient si frĂ©quens dans les premiĂšres annĂ©es du regne de Louis XIII , que câĂ©toit la premiĂšre nouvelle quâon se demandoit, en se rencontrant dans les rues ou dans les promenades. Louis XIV, animĂ© du zele de la religion, Lt persuadĂ© que ces sortes de combats nâĂ©toient pas moins pernicieux Ă lâEtat quâaux particuliers , porta contre le duel un Ă©dit foudroyant. A son exemple, & animĂ©e du mĂȘme esprit de religion & du bien public , lâImpĂ©ratrice-Reine Marie-ThĂ©rĂšse porta aussi les ordonnances les plus sĂ©veres contre le duel. Deux Seigneurs de la premiĂšre distinction, ayant osĂ© se battre peu aprĂšs, on ne put obtenir leur grĂące, & ils eurent tous les deux la tĂšte tranchĂ©e fur le mĂȘme Ă©chafaud. Gustave-Adolphe, ce fameux conquĂ©rant du Nord , qui a rendu son nom si cĂ©lĂ©brĂ© dans le dernier siede, apprennant que la fureur du duel commenqoit Ă faire Tome II. K 21 8 Lâ Ă C O L 2 .-de cruels ravages dans son armĂ©e, le .dĂ©fendit sous peine de mort. Il arriva, peu de temps aprĂšs, que deux de ses principaux Officiers ayant pris querelle ensemble, vinrent supplier le Roi de leur accorder la permission de se battre. Gustave fut dâabord indignĂ© de la proposition. Il y consentit nĂ©anmoins , mais il ajouta quâil vouloir ĂȘtre tĂ©moin du combat. Il assigna le lieu & lâiieure. IL sây rendit avec un petit corps dâinfanterie, quâil plaça autour des deux champions. Allons , ferme , Messieurs , leur dit-il, battez-vous maintenant , jusqu'Ă ce que l'un de vous deux tombe mort ; & appelant tout de fuite le bourreau de lâarmĂ©e, il lui dit A l'instant qu'il y en aura un de tuĂ© , coupe devant moi la tĂȘte Ă l'autre. A ces mots, les deux GĂ©nĂ©raux restĂšrent quelque temps immobiles mais reconnoifsant bientĂŽt la faute quâils avoient faite, ils se jeterent aux pieds du Roi, lui demandĂšrent pardon, & le jurĂšrent lâun & lâautre une sincere amitiĂ©. Depuis ce moment, on nâentendit plus parler de duel dans les armĂ©es SuĂ©doises. Le Prince, en prononçant une peine de mort contre les duellistes, venge lâautoritĂ© de Dieu & la sienne. La loi divine dĂ©fend lâhomicide. Câest usurper les droits de Dieu, que dâentreprendre dâĂŽter la vie Ă celui Ă qui il lâa donnĂ©e. des MĆurs. 2iz Personne far la terre nâa droit de condamner Ă mort, que ceux qui exercent les jugemensdu Seigneur, par une autoritĂ© quâils ont reçue de lui. Quiconque se sert du glaive sans lâordre du Souverain, usurpe son autoritĂ©, attente Ă ses droits, & se rend coupable du crime de lese- majellĂ© il mĂ©rite dĂ©pĂ©rir lui- mĂȘme par lâĂ©pĂ©e. Câest donc avec justice que la loi du Prince condamne Ă mort tous les duellistes. Malheur Ă ceux q'ui, Ă©tablis pour faire exĂ©cuter une loi si fige , nây tiennent pas la main ! Dieu leur demandera compte de tout le sang qui aura Ă©tĂ© rĂ©pandu par leur foute. Le duelliste se sait gloire de sacrifier sur lâautel de lâhonneur mais y sacrifie- t-il en effet ; & nâest - ce pas plutĂŽt Ă lâidole sanguinaire quâil sâest faite ? Il y avoit autrefois Ă Rome un temple dĂ©diĂ© Ă VHonneur ; mais on ne pou voit y entrer quâen passant par celui de la Vertu. Leçon ingĂ©nieuse & faillible , par laquelle les anciens Romains faisoient assez entendre quâils ne croyoient pas quâil pĂ»t y avoir de vrai honneur fans vertu. Mais est-ce lĂ lâhonneur pour lequel combattent les duellistes ? Non, ce nâest point par la vertu quâon arrive chez eux Ă lâhonneur; & bien-loin de le croire ennemi du vice , ils lâattachent au vice mĂȘme. Câest un honneur qui sâallie ave* 222 I; E C O L E ce qui dĂ©shonore, & les hĂ©ros en ce genre font assez souvent des scĂ©lĂ©rats. Ce font des brutaux, dont il faut Ă©viter la rencontre avec autant de foin que celle des bĂȘtes les plus fĂ©roces. On ne peut les toucher, mĂȘme fans le savoir, qu'on ne les osseuse. Ils prennent pour insultes, des maniĂ©rĂ©s ou des dĂ©fauts d'attention, dont les vrais honnĂȘtes gens ne ,sâapperçoivent pas ou quâils mĂ©prisent. Ils se trouvent blessĂ©s dâun mot, dâun geste, dâun silence, dont ils sâimaginent ĂȘtre lâobjet, quoique le plus souvent on nâait point pensĂ© Ă eux. Nâest-ce pas ce quâon a vu mĂȘme'dans le fameux Grillon ? Sa valeur lui fit mĂ©riter le surnom de Brave sa gĂ©nĂ©rositĂ©, sa bontĂ©, sa droiture , le firent regarder comme le plus honnĂȘte homme de son siede. Mais un mot Ă©quivoque le rĂ©voltait, & dâabord il portait les choses aux derniĂšres extrĂ©mitĂ©s. De cette dĂ©licatesse rĂ©sultaient des combats, des duels , qui le iaisoient passer quelquefois pour pointilleux. Un jour BulĂźi dâAmboise lâayant rencontrĂ© dans la rue, lui demanda avec un ton & un regard qui dĂ©plurent Ă Crillon Quelle heure elf- il? Lâheure de ta mort , lui rĂ©pondit Crillon en mettant lâĂ©pĂ©e Ă la main. Il en auroit coĂ»tĂ© la vie Ă lâun ou Ă lâautre, & peut-ĂȘtre Ă tous les deux, si on ne les eĂ»t sĂ©parĂ©s. des MĆurs. sut Tels font la plupart des duellistes. Ils ont de lâhonneur, & cet honneur, disent- ils , est au bout de leur Ă©pĂ©e, toujours prĂȘte Ă percer ceux qui voudroient en douter. Laissez-les faire; & pour les sujets les plus frivoles, leur brutalitĂ© va priver les familles de leur appui le plus nĂ©ceißà ire, lâEtat de ses meilleurs citoyens , la patrie de ceux qui lui rendent le plus de services. Bretailleurs odieux, qui nâayant dâautre mĂ©rite que celui de savoir bien manier lâĂ©pĂ©e , sont presque toujours Ă la fin les victimes dâune Ă©pĂ©e moins adroite & plus heureuse ils attaqueront audacieusement les hommes les plus estimables & les plus pacifiques ils disputeront de lâhonneur avec eux, & ils auront celui de les tuer & dâen triompher, ou dâĂȘtre eux-mĂȘmes glorieusement punis de leur audace. Quel honneur, grand Dieu ! quelle gloire, que celle quâon 11e conserve & quâon ne rĂ©pare que par le plus fĂ©roce & le plus extravagant de tous les crimes ! Si lâon veut dâailleurs faire quelque attention Ă la maniĂ©rĂ© dont souvent cet honneur se rĂ©pare, quelle opinion plus insensĂ©e entra jamais danslâesprithumainĂź Un homme nâest plus fourbe, fripon, calomniateur , quand il a su se battre. Un affront est toujours bien rĂ©parĂ© par une oup dâĂ©pĂ©e, & lâon nâa jamais tort K 3 222 Lâ Ă C O L E avec un homme, pourvu quâon le tue. Il y a, je lâavoue, une autre sorte dâaffaire dâhonneur, qui ne paroit pas si fĂ©roce, mais qui au fond ne lâest pas moins ; câest celle oĂč lâon se bat au premier sang. Au premier sang, grand Dieu ! sâĂ©crie le Philosophe de Geneve, V qiCen veux-tu faire de ce sang , bĂȘte fĂ©roce? le veux-tu boire ? Et dâailleurs qui nous rĂ©pondra que les coups feront toujours portĂ©s si heureusement quâaucun ne fera mortel, ou que ta vue de son sang & la honte dâavoir Ă©tĂ© vaincu nâengageront pas le blessĂ© Ă redoubler ses coups & Ă porter fa vengeance aussi loin quâelle pourra aller ? En voici un exemple bien triste & bien frappant. Le Chevalier Bayard ayant, dans une petite rencontre, fait prisonnier un Gentilhomme Espagnol , nommĂ© Dom Alonzo, le relĂącha quelque temps aprĂšs pour le prix de fa ranqon. Alonzo en fĂš louant du Chevalier Bayard, se plaignit que ses gens ne lâavoient pas traitĂ© en Gentilhomme. Bayard informĂ© de ces discours, crut son honneur blessĂ©, &hĂ» envoya un cartel. Le jour pris pour le combat, ils se rendirent sur le champ de bataille, & entrĂšrent en lice. Ils fondent lâun fur lâautre Ă grands coups dâestoc, & Bayard blesse son homme au visage. Le combat nâen devint que plus vif il des M ce ĂŒ r s. ZLf fut long, & bien balancĂ© par lâadresse & Pc galitĂ© de la force des combattans. Enfin Bayard prend le temps que lâEspagnol leve le bras pour le frapper ; il porte son Ă©pĂ©e avec une vĂźteflĂš & une adresse merveilleuse droit au gorgerin, & avec tant de force * que malgrĂ© la- bontĂ© de cette armure , il la perce, & lâĂ©pĂ©e entre de quatre bons doigts dans la gorge dâAlonzo. Celui-ci perdant son fang avec abondance , devint furieux & enragĂ©. 11 fit les plus grands efforts pour joindre son homme & le saisir au corps ils tombĂšrent tous les deux & se dĂ©battirent quelque temps par terre mais Bayard porta un dernier coup de poignard Ă Dom Alonzo si vigoureusement entre le nez & lâĆil gauche', quâil le fit pĂ©nĂ©trer jusque dans le cerveau, & lui cria Rendez-vous - Dom Alonzo , ou vous ĂȘtes mort. Il lâĂ©toit en efiet. Le Chevalier auroit voulu pour tout ce quâil avoit au monde, lâavoir vaincu seulement, & non lâavoir tuĂ©. Combien dâautres exemples auiĂźi funestes, & qui ne font que trop srĂ©quens, ne pourions- nous pas rapporter 'i On appelle bravoure, courage, honneur , ce qui nâest souvent quâorgueil, foiblesse, lĂąchetĂ© mĂȘme. Ainsi le penibit le cĂ©lĂ©brĂ© MarĂ©chal de Turtmie , & qui se connut jamais mieux en vraie bra- K 4 224 Lâ Ă C 0 L E voure ? Ce grand homme renvoya en France, du pays de Hesse-Cassel oĂč Ă©toit son armĂ©e, un Capitaine de cavalerie, qui a voit tuĂ© en duel deux autres Officiers, parce que , dit il, fai remarquĂ© plus d'une fois moi-mĂȘme la triste contenance d'un homicide devant l'ennemi il nous tueroit tous , Ă nous le laissions faire , V pas un seul ennemi du Roi. Tous les duellistes, il'estvrai, ne ressemblent pas Ă ceux que nous venons de dĂ©peindre. Le prĂ©jugĂ© pour ce faux point dâhonneur peut subsister, non-seulement avec un fonds de bravoure naturelle,mais auifi avec des maniĂ©rĂ©s polies, avec des sentimens mĂȘme de probitĂ©, je dirais presque de religion ; car la religion nâest pas toujours assez dominante , pour Ă©touffer tous les restes de lâesprit du monde quâelle condamne. Mais nâest-ce pas un prodige de la foiblesse humaine , & de la force que les prĂ©jugĂ©s les plus insensĂ©s acquiĂšrent fur les esprits , quâon ne rougisse point de celui-ci dans les familles les plus honorables & les plus distinguĂ©es par leur piĂ©tĂ© mĂȘme ? Les parens lâinspirent quelquefois Ă leurs en- fans , contre la rĂ©clamation de leur conscience. Ils en sentent Pinjustiee, la folie, le crime, & toutes les suites funestes mais lâopinion du monde, ce tyran qui subjugue avec tant dâempire les esprits, DES M Ć U R S.' 2Lf est un maĂźtre impĂ©rieux , dont ils nâont pas la force de secouer le joug ; & par les fausses maximes quâils versent dans lâa me de leurs enfans, ils lui forment de nouveaux esclaves, dont les crimes Ă cet Ă©gard, & peut-ĂȘtre mĂȘme la perte Ă©ternelle , leur seront imputĂ©s. Mais ce qui est plus incomprĂ©hensible encore, câest quâon a vu des parens, non- feulement donner des leçons de ce faux honneur, mais, par leurs instances & par leurs reproches, allumer eux-mĂȘmes ces flammes homicides, mettre Ă la main de leurs enfans lâĂ©pĂ©e meurtriĂšre, & leur ordonner de fe venger ou de pĂ©rir. Et câeft dans le sein du Christianisme quâon fe porte Ă de si horribles excĂšs! Et ce font quelquefois des meres elles- mĂȘmes , qui oubliant la douceur de leur sexe & toutes les tendresses de la nature, soufflent dans le cĆur de leurs enfans la fureur de la vengeance, la soif du sang, lâimpatience de le rĂ©pandre, & les traĂźnent , pour ainsi dire, Ă lâautel sanglant oĂč ils feront peut-ĂȘtre Ă©gorgĂ©s, Nous ne parlons pas de ceux qui, par leurs conseils , par leurs rapports , par leurs railleries , engagent Ă fe battre. Qui ne voit quâils font austi homicides que sâils enfonçoient eux-mĂȘmes le poignard dans le sein ' meurtriers dâautant plus cruels & plus lĂąches, quâils le ionfc rrs L* Ă c o l s de sang-froid & fans avoir Ă©tĂ© personnellement offensĂ©s. Ce qui nâexcite pas moins lâindignation, câest que ce font souvent les personnes du sexe le plus timide, qui font les railleries les plus piquantes, parce quâelles nâont rien Ă craindre colombes foibles & tremblantes dans leur propre pĂ©ril, aigles hardies A intrĂ©pides dans le pĂ©ril des autres. 11 faut, dit-on, quâun homme dâĂ©pĂ©e soit brave , & prĂ©fĂ©rĂ© lâhonneur Ă la vie lâĂ©pĂ©e quâil porte , lâavertit de ne souffrir aucun affront. Et moi, au contraire, je dis que la permission quâont les Nobles , les Militaires, de porter lâĂ©pĂ©e, les oblige Ă ĂȘtre doux & modĂ©rĂ©s. Si cela nâĂ©toit pas , la loi seroit-elle sage dâarmer des furieux? La patience, qui met lâhomme au - dessus de la coiere, est pour eux comme une vertu de profession. Plus ils trouvent de facilitĂ© Ă fe venger, moins il leur sied de le faire. LâĂ©pĂ©e quâils portent dans la paix , les avertit quâelle ne leur fut donnĂ©e que pour le temps de la guerre. Ils ne sont armĂ©s que pour la dĂ©fense de la patrie , sos ennemis font les seuls quâil leur soit permis de combattre. Dans le temps oĂč presque tous les Gouvernemens de lâEurope autorifoient les combats singuliers, ThĂ©odoric , fondateur du royaume des Ostrogoths en des MĆurs. 217 Italie , Prince bien supĂ©rieur Ă son siecle par son gĂ©nie & pas ses connoiflances, les dĂ©fendoit dans ses Etats. Il Ă©crivit aux Romains qui habitoient la Pannonie, aujourdâhui la Hongrie â Tournez vos armes contre lâennemi, & ne vous en servez pas les uns contre les autres. Que des querelles, souvent peu importantes en elles-mĂȘmes, ne vous conduisent pas Ă des extrĂ©mitĂ©s aussi condamnables. Soumettez-vous Ă la justice, qui fait le bonheur de lâunivers. Quittez 'e fer, quand lâEtat nâa point dâennemi câest un grand crime de lever le bras contre des citoyens, pour la dĂ©fense desquels il seroit glorieux dâexposer fa vie. OĂč habiteroit la paix, si lâoncon- tinuoitĂ combattre, quand on doit ĂȘtre sous lâempire des lois ? Imitez la nation des Goths, qui font aussi courageux Ă faire la guerre au-dehors, que modestes & soumis au - dedans â. La vraie bravoure, ce sentiment sublime , qui Ă©leve lâhomme au-dessus de la nature, & mĂ©prise le danger quand le devoir appelle, ne ressemble pas Ă la fureur, ni Ă cette dĂ©licatesse pointilleuse que lâombre dâun outrage enflamme» Elle aime Ă venger avec Ă©clat les injures de la patrie, & dissimule les offenses personnelles, ou les pardonne. Elle cherche Ă triompher des ennemis de lâEtat K 6 228 V Ă C O L E par sa valeur, & des siens par la gloire de ses actions. Un Cavalier avoir re- , prochĂ© Ă PĂ©ris de Vergas au Siege de SĂ©ville , que lâĂ©cu onde quâil portoit, nâĂ©toit pas permis Ă ceux de sa maison 2. PĂ©rĂšs dissimula ce reproche mais quelque temps aprĂšs , comme on assiĂ©geoit une autre ville, il combattit avec tant de valeur, quâil retira son Ă©cu tout hĂ©rissĂ© de flĂ©chĂ©s. Se retournant alors vers son rival, qui sâĂ©toit toujours tenu Ă lâabri des coups Vous avez raison , lui dit-il, de vouloir ĂŽter cet Ă©cu Ă ceux de ma maison , puisquâils lâĂ©pargnent fi peu fans doute que vous le mĂ©ritez mieux , vous qui le conservez fi bien. Non , quoi quâen pense le monde, il ne sauroit y avEĂr de vraie gloire & de vĂ©ritable honneur dans ce qui viole les droits les plus sacrĂ©s de Dieu & du Prince, dans ce qui est contraire au bien de la sociĂ©tĂ© , aux lois de lâhumanitĂ©, au bonheur prĂ©sent & au salut Ă©ternel des particuliers. Que nâaurions-nous pas Ă dire fur ce dernier point ? Si lâon a quelques idĂ©es de religion , sâil en reste quelques sentimens , ne faut-il pas quâun ui prias refiondei quĂ m awdiat , ftaltum fi cjse demsnjtrai. Prov. 18, bes MĆurs. 299 ment persuadĂ© soi-mĂȘme. Quelquefois auißß on contredit, parce quâon sent sa propre foiblelĂźe lorsquâon ne peut montrer ni esprit ni science , on tĂąche de sâopposer Ă la gloire de ceux qui en font paroĂźtre. Disputez rarement. Gardez-vous surtout de le faire avec ceux qui aiment Ă parler beaucoup. Ce seroit, Ă iiVEsprit-Saint, mettre encore plus de bois fur leur feu 14. La dispute avec qui que ce soit, si elle nâest tempĂ©rĂ©e par une grande politesse, est presque tou r jours plus dangereuse quâutile. De ce choc mutuel des opinions , il devroit sortir une lumiĂšre qui servĂźt Ă dĂ©couvrir le vrai, & il nâen sort le plus souvent que des Ă©tincelles qui allument la colĂšre ou la haine. On cherche moins Ă sâinstruire quâĂ lâemporter. Au lieu dâĂ«trp modeste, doux, liant, facile Ă adopter les idĂ©es des autres, Ă entrer dans leurs pensĂ©es, on devient pointilleux, sophiste, attachĂ© Ă son sens, incapable de cĂ©der & dâavouer jamais quâon a tort- quoiquâon lâait trĂšs-souvent. On craint moins lâerreur que le silence, & lâon croit quâil est moins honteux de se tromper toujours que dâavouer quâon sâest 14' Non litiges cum linguaio , & non ĂsUAS in ign&m illius ligna, Eceli. L. N 6 âą300 Lâ E C O L E trompĂ©. Mais que gagne-t-on par-lĂ ? de convaincre les autres quâon a un dĂ©faut de plus , & quâon elf tout-Ă - la-fois entĂȘtĂ© & ignorant. Quoiquâon ne doive point aimer la dispute , il ne faut pourtant pas, par foiblesse & par une fade adulation, adhĂ©rer aux erreurs & aux faux prĂ©jugĂ©s. Prenez hardiment le parti de la vĂ©ritĂ©. Mais si lâon sâobĂźtine aprĂšs avoir opposĂ© Ă lâerreur ce que vous savez de mieux, prenez le parti du silence, ou changez de matiĂšre. La chaleur & lâopiniĂątretĂ© de la dispute , dans les contestations que la conversation fait naĂźtre, fur des sujets qui nâintĂ©ressent ni la religion , ni la charitĂ©,. prouvent moins beaucoup de savoir ou dâesprit, quâun dĂ©faut dâĂ©ducation & un grand fonds dâorgueil. On gagne souvent plus Ă cĂ©der quâĂ vaincre. On perd le cĆur & lâes time des personnes fur lesquelles on veut toujours lâemporter. Si vous ne pouvez amener lâadversaire Ă votre sentiment, faites semblant de vous rapprocher du sien il vous en eli'imera davantage. La bonne opinion que nous avons des autres , croĂźt en proportion de celle quâils nous donnent de nous-mĂȘmes. Aimez Ă donner lieu aux personnes qui sâentretiennent avec vous, de faire valoir leur esprit, en faisant tomber la des MĆurs. 301 conversation sur certains sujets qui soient de leur ressort. Si ces personnes aiment Ă parler, donnez-leur occasion de le faire fur ce quâelles possĂšdent le mieux ; ou laissez-les seulement dire, & paroilsez prendre plaisir Ă les entendre. Elles seront trĂšs - contentes de vous , si elles font trĂšs-satisfaites dâelles-mĂȘmes. On raconte Ă ce sujet un tour trĂšs-plaisant quâon joua Ă une Dame de beaucoup dâelprit, mais grande parleuse & encore plus vaine. On sâavisa un jour de lui prĂ©senter un homme quâon lui disoit trĂšs- savant. Cette Dame le reçoit Ă merveille mais pressĂ©e de sâen faire admirer, elle se met Ă parler, lui fait cent questions diffĂ©rentes, fans sâappercevoir quâil ne rĂ©pondoit rien. La visite Faite Etes-vous, lui dit-on, contente de votre homme? QiCil ejl charmant ! rĂ©pondit- elle , qu'il a d'esprit ! Ce grand esprit, câĂ©toit un muet. Nâayez pas lâimprudence de vouloir fur certaines matiĂšres paraĂźtre plus savant que vous ne lâĂȘtes, & de parler devant les personnes instruites, de choses que vous ne savez pas , ou que vous ne savez que superficiellement. Vous vous exposeriez souvent Ă la confusion & au ridicule. M. de Voltaire Ă©tant Ă Leyde, fut curieux dây voir le cĂ©lĂ©brĂ© s'Grave- sçmde, qui y enseignait les MathĂ©mati- ZOL Lâ Ă e o l e ques. Il alla lui rendre visite sans se faire connoĂźtre, & amena la conversation sur les systĂšmes astronomiques de Newton. 11 en parla si mal, que le Prose-fleur voulut plusieurs fois changer lâentretien & parler dâautres choses , mais inutilement , parce que M. de Voltaire y reve- noit sâGravesande lui dit Je vois bien , Monfieur , que vous ne con- noijfez les systĂšmes de V Astronome Anglais , que par certains ElĂ©mens de Newton ,fort mal faits , ouvrage de M. de Voltaire , qui a montrĂ© qu'il nây enteJidoit rien. Câest moi, rĂ©pondit modestement le voyageur. J'en fuis fĂąchĂ© , reprit le Docteur Hollandois, mais je n'ai dit que la vĂ©ritĂ© , U je ne me dĂ©dirai pas. Si vous voulez vous faire estimer dans la conversation, ne cherchez pas trop Ă lâĂȘtre. Ne soutenez point un sentiment vrai ou probable, quiparoĂźtroit faux Ă ceux qui nâauroient pas assez de pĂ©nĂ©tration ou de connoissances pour lâapprouver. DĂšs que vous avez senti, pour ainsi dire , le bout de lâesprit de ceux avec qui vous parlez, arrĂȘtez-vous tout ce que vous diriez au - delĂ , passeroit souvent pour ridicule. Lâart de plaire dans la conversation , consiste bien moins Ă dire des choses fines & spirituelles, quâĂ ne rien dire qui ne soit du goĂ»t de ceux avec qui on sâentretient. Câest une marque de des MĆurs. beaucoup dâesprit que de savoir ainsi converser. Le cĂ©lĂ©brĂ© Racine disoit souvent Ă son fils â Ne croyez pas que ce soient mes vers qui mâattirent toutes les carelses dont quelques grands Seigneurs mâaccablent. Corneille fait des vers cent Fois plus beaux que les miens, & cependant personne ne le regarde ; on ne lâaime que dans la bouche de ses Acteurs au lieu que fans fatiguer les gens du rĂ©cit de mes ouvrages dont je ne leur parle jamais, je me contente de leur tenir des propos amusans, & de les entretenir de choses qui leur plaisent. Mon talent avec eux nâest pas de leur faire sentir que jâai de lâesprit, mais de leur apprendre quâils en ont. Ainsi quand vous voyez M. le Duc palier souvent des heures entiĂšres avec moi, vous feriez Ă©tonnĂ©, si vous, Ă©tiez prĂ©sent, de voir que souvent il en sort sans que jâaie dit quatre paroles mais peu-Ă peu je le mets en humeur de causer, & il me quitte encore plus satisfait de lui que de moi M. deHarlai, ArchevĂȘque de Paris» gagnoit tous les cĆurs, non seulement parce quâil avoit un air gracieux & prĂ©venant , mais parce quâil nâavoit Ă la bouche que des paroles obligeantes. Il Ă©tudioit lâamour-propre de celui qui lui parloit, & cherchok ce qui pouvoit le 3o4 Lâ Ă c o l e flatter le plus. Câeil le grand secret pour se faire aimer de tout le monde. Ne vous chargez jamais de lâodieux emploi dâhumilier personne, de dire des choses dĂ©sagrĂ©ables, de faire delĂ peine Ă qui que ce soit. Il y a toujours Ă perdre pour nous, de mortifier lâamour- propre des autres. Il cherche Ă se venger , il est ingĂ©nieux Ă en trouver les moyens, & pour lâordinaire il les trouve sur le champ ; car qui est-ce qui ne prĂȘte par quelque endroit le flanc Ă son ennemi '{ Montmaur , Professeur royal en Langue Grecque & fameux parasite , payoit son Ă©cot dans les maisons oĂč il se donnoit lâentrĂ©e, en disant de bons mots contre tous les gens de Lettres ce qui les souleva contre lui. Il Ă©toit leur chouette. Un jour quâil devoit venir dans une compagnie, on convint que pour le dĂ©concerter, quelque chose quâil dit, on se dĂ©clareroit dâun concert unanime contre lui Un Avocat, fils dâun HuiiĂźier, Ă©toit Ă la tĂȘte du parti. DĂšs quâil parut, lâAvocat lui cria, guerre , guerre. Mont- maurlui rĂ©pondit Vous dĂ©gĂ©nĂ©rez bien votre pere sâenrouoit Ă cncrpaix, paix , & vous criez guerre , guerre. Ce bon mot dĂ©concerta tellement lâAvocat, quâil perdit la parole. Montmaur parla tant quâil voulut dans la compagnie, fans ĂȘtre contredit. des MĆurs. qos - - r> Pensez bien. Penser en toutes choses avec jugement, avec sageflĂ© ; câest ce quâon appelle penser bien , & ce qui constitue le bon esprit qualitĂ© beaucoup plus rare quâon ne croit, & bien prĂ©fĂ©rable au bel esprit. Il est vrai que ce dernier a quelque chose de plus brillant, de plus propre Ă faire naĂźtre lâadmiration ; parce que tantĂŽt il a cette vivacitĂ©, cette richesse dâimagination, qui conçoit les choses avec feu, les produit avec facilitĂ© , & prĂ©sente sans cesse des objets nouveaux, des tableaux vils & animĂ©s, des images frappantes tantĂŽt il a cette fĂ©conditĂ©, cette finesse dâesprit, qui ras semble & combine avec dĂ©licatesse les idĂ©es, trouve, apperçoit des rapports justes & heureux entre les choses qui paroissoient le moins en avoir , badine avec lĂ©gĂ©retĂ©, frappe & renvoie avec promptitude, fait Ă©clore dâingĂ©nieuses saillies, donne lieu aux autres dâexercer leur pĂ©nĂ©tration en cachant une partie de la sienne , & sâenveloppe autant quâil faut pour quâon ait le plaisir de la dĂ©couvrir. Quand cette fleur Ă©clatante de lâesprit humain est rĂ©unie dans une mĂȘme personne avec un jugement solide Sans air rnystĂ©ruux dijfimuhi les vĂŽtres , Le sage Pittacus difbic Ne divulguez pas vos desseins , afin que sâils font renversĂ©s, vous ne soyiez pas exposĂ© Ă la risĂ©e. La plupart des hommes ne jugent que par lâĂ©vĂ©nement lâenvie & la malignitĂ© se moquent de ce que le succĂšs nâa pas justifiĂ©. E11 cachant vos affaires, vous les dĂ©roberez Ă la censure & Ă la raillerie. Celui qui parle de ses affaires Ă tout le monde, les verra souvent Ă©chouer. Les obstacles naĂźtront de toutes parts, & des personnes mĂȘme de qui on se dĂ©finit le moins. Un dessein connu ne vaut guere mieux quâun dessein manquĂ©. Le grand secret pour rĂ©ussir dans ses affaires & dans ses entreprises , est de les tenir secrĂ©tĂ©s. Câest lĂ austi ce qui fait presque toute la magie de la politique. Le plus habile est celui qui est le plus dillimulĂ© sens le paraĂźtre, qui parle beaucoup, sens rien dire & sens laisser rien soupçonner de ce qui ne doit pas ĂȘtre connu. Il ne faut pourtant pas, comme nous lâavons dit ailleurs ; abuser de la dissimulation, qui dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© souvent en une. mauvaise finesse, ou en une faussetĂ© condamnable , dont elle nâest sĂ©parĂ©e que par un ZL8 Lâ Ă C O L E intervalle assez Ă©troit. La vĂ©ritable finefle nâest autre choie quâune prudence bien rĂ©glĂ©e , qui sait quâon est sincere sans ĂȘtre simple, & pĂ©nĂ©trant fans ĂȘtre trompeur. La disiĂźmulation ne doit aller que jus- quâau silence il nâest pas permis dây joindre le mensonge & la duplicitĂ©, comme ce Prince i dont la maxime Ă©toit Qiii ne fait pas dijĂmuler , ne fait pas rĂ©gner. Maxime odieuse de la maniĂ©rĂ© quâil lâen- tendoit & quâil la pratiqua durant tout son regne , qui ne sut quâune suite de finesses, d intrigues & de traits de mauvaise foi monstres qui naissent de la mĂ©fiance , & de la disiĂźmulation portĂ©e Ă lâexcĂšs. Celle de ce Prince alloit iiloin, quâil ne sâouvroit Ă personne de ses desseins Câest ce que lui reprocha dâune maniĂ©rĂ© fine un de ses Courtisans, qui le voyant montĂ© fur un petit cheval, lui dit Sire , quelque faible que paroisse votre monture , elle eji pourtant lapins forte de votre Royaume. Comment cela, reprit le Roi ? Câeji , rĂ©ponditle Courtisan, qu'elle porte Votre MajejtĂ© U tout son Conjeil. Soyez rĂ©servĂ©, mais ne le soyez pas trop, ni fur toutes choses. Une rĂ©serve outrĂ©e & qui fait mystĂšre de tout, est ridicule, & blesse ceux avec qui lâon vit. 1 Louis XI , Rui de France. des MĆurs. zr§ Câest la marque dâun petit esprit qui veut jouer lâimportant. Il nous reste, avant de .finir, Ă vous donner encore un conseil bien utile. Ne confiez point, sans une grande nĂ©ceffitĂ©, des secrets de consĂ©quence Ă des domestiques, fur-tout Ă des femmes , qui aisĂ©es Ă sĂ©duire, peu capables de se taire, faciles Ă -se mĂ©contenter, dĂ©couvrent toujours tĂŽt ou tard ce quâon a intĂ©rĂȘt de cacher. Lâ Ă C O L H 3 ?° XXII. N'ayeç point de fiertĂ©. L ors q_u E lâon considĂ©rĂ© avec les yeux de la raison ce qui a coutume dâinspirer delĂ fiertĂ© aux hommes, peut-on sâempĂȘcher de rire ou dâavoir pitiĂ© de leur folie? Car quel juste sujet dâorgueil pouroient-ils trouver en eux? Seroit-ce la distinction de la naissance, lâĂ©clat des dignitĂ©s, les saveurs de la fortune dont ils jouissent? Mais toutes ces choses Ă©trangĂšres Ă lâhomme, nâĂ©tant rien moins que lâhomme mĂȘme, ne peuvent le rendre plus estimable. Nây a-t-il pas en effet bien de la petitesse Ă sâenorgueillir de la noblesse de son origine, puisquâelle nâest ni le fruit de ses travaux , ni la rĂ©compense de son mĂ©rite ? Quand on louoit sur ses ancĂȘtres Alphonse, Roi dâAragon Je compte pour rien , rĂ©pondoit-il , ce que vous efiimez tant en moi ; câest la grandeur de mes ancĂȘtres que vous louez , sf? non pas la mienne. La vraie noblejfe nâest pas un bien de fitccejjion , câest le fruit & la rĂ©compense de la vertu. Il y a sans doute de lâavantage Ă avoir de la naissance câest une prĂ©rogative b e s MĆurs. 351 illustre , Ă laquelle le consentement des nations a de tout temps attachĂ© des dis. tinctions dâhonneur & dâhommage. On trouve auffi dans la noblesse plus de fen- timens & de grandeur dâame, que dans les autres conditions les exemples domestiques Ă©levent PĂąme, & lâenflamment dâĂ©mulation. Mais plus la naissance est distinguĂ©e, plus elle impose de grandes charges elle augmente lâobligation dâavoir du mĂ©rite. La noblesse donnĂ©e aux peres parce quâils Ă©toient vertueux, a Ă©tĂ© laissĂ©e aux enfans afin quâils le devinssent. Si lâĂ©quitĂ© demande que lâhĂ©ritier des hĂ©ros le soit de leurs distinctions & de leurs dignitĂ©s, nâa-ton pas droit dâexiger auffi quâil fasse revivre leurs grandes qualitĂ©s & leurs vertus ? La gloire finit oĂč cesse le mĂ©rite. Heureux celui qui est honorĂ© dâun beau nom , sâil fait bien le porter! mais celui qui le prostitue est Ă plaindre. La gloire de ses ancĂȘtres le couvre de honte. Câest une lumiĂšre qui fait paroĂźtre davantage ses dĂ©fauts. Plus on a de respect pour son nom, plus on a de mĂ©pris pour fa personne. Ce long amas d'aĂŻeux que vous diffamez tous , Sont autant de tĂ©moins qui parlent centre vous.? Et tout ce grand Ă©clat de leur gloire ternie , Ne sert plus que de Jour ĂŒ. vcu*e ignominie. 3?a Lâ E c o l e Jâoublierai votre noblesse , si vous ne mâen faites souvenir par vos grandes qualitĂ©s. Je respecterai dans vous celles de vos aĂŻeux que vous me retracerez, & jâen composerai comme une couronne de gloire, que je placerai sur votre tĂȘte. Mais si vous ne me les rappelez que par votre orgueil , si vous ne mâen faites ressouvenir que par le contraste de leurs vertus & de vos vices, En vain tout fier dâun fan; que vous dĂ©shonorez, Vous dormez Ă lâabri de ces noms rĂ©vĂ©rĂ©s, En vain vous vous couvrez des vertus devosperes; Ce ne font Ă mes yeux que de vaines chimĂšres. Je ne vois rien en vous quâun lĂąche, un imposteur, Un traĂźtre , un scĂ©lĂ©rat, un perfide, un menteur, Un fou dont les accĂšs vont jusquâĂ la furie, Et dâun tronc fort illustre une branche pourrie. V E S P K, Combien de Nobles portent fur leur front lâorgueil de leur origine, qui de- vroient cent fois en rougir ! Quelle honte de voir un Gentilhomme fans probitĂ© ou fans honneur , qui insulte tout le monde, eil le tyran de ses vassaux, usurpe le bien dâautrui , manque de parole, sâabandonne Ă la crapule ou Ă la dĂ©bauche, est parasite effrontĂ©, ou vil complice des pallions des riches ! De tels Gentilshommes ont raison de crier Ă tout le des MĆurs. 353 monde quâils le font. Eh ! qui fins cela auroit pu le soupçon net ? Mais moi jâĂ©leve la voix Ă mon tour & je leur crie Changez de mĆurs ou changez de nom un magnifique piĂ©destal nâest pas fait pour une figure difforme. Si la noblesse est vertu, elle le perd par tout ce qui nâest pas vertueux ; & fl elle nâest pas vertu, câest peu de chose. Si vous nâĂštes pas Noble , mĂ©ritez de lâĂȘtre. Soyez honnĂȘte homme, gĂ©nĂ©reux, ami du vrai, inviolable dans vos paroles, maĂźtre de vos pallions on ne regardera point, pour vous donner son estime , si vous ĂȘtes Gentilhomme. Une feule vertu vaut un siede dâaĂŻeux. Il est bien plus honorable de laisser de beaux exemples Ă ses descendans, que dâen recevoir de ses ancĂȘtres & de les imiter si mal, comme il nâarrive que trop souvent ; car il est rare que le mĂ©rite des grands hommes passe Ă leurs enfans, & que leurs successeurs soutiennent dignement toute la gloire dont ils ont hĂ©ritĂ©. Un Gentilhomme se vantoit Ă un Paystn de lâanciennetĂ© de sa noblesse. Tant pis , Monsieur , lui dit le Manant plus une graine ejl vieille , plus elle s'abĂątardit. La noblesse excite lâĂ©mulation dans les ;;4 Lâ Ă c o L E grandes Ăąmes, & lâorgueil dans les petites. Un homme dâhonneur cherche Ă se rendre digne de sa naiflance, & nâen parle jamais un sot croit quâelle lui tient lieu de tout mĂ©rite, & il en parle toujours. La noblesse orne & embellit le mĂ©rite, quand elle se trouve jointe Ă la modestie & quâon paroĂźt lâoublier mais elle dĂ©pare & gĂąte celui quâon a, lors, quâon sâen souvient trop. Un trĂšs - galant homme avoir lâunique dĂ©faut dâĂȘtre entĂȘtĂ© de fa naissance. Un homme dâesprit dit en parlant de lui C âeĂ dommage qiC il fbit Gentilhomme. Il y en a qui sont tellement infatuĂ©s de leur noblesse, que cette orgueuilleuse idĂ©e ne les quitte jamais, non pas mĂȘme lorsquâils devraient le moins sâen souvenir. Un AbbĂ© de distinction, disant un jour la messe, entendit causer quelques personnes prĂšs de lâautel oĂč il cĂ©lĂ©brait. Il en fut si choquĂ© , quâen se tournant au Dominas vobifcum , il leur dit En vĂ©ritĂ© , Messieurs, cela efi honteux de causer comme vous faites ,âą quand ce fer oit un Laquais qui dirait la messe , vous ne vous compor- teriezpas autrement. Un Premier-PrĂ©sident tĂ©moigna, dans une cĂ©rĂ©monie de religion, des senti- mens bien plus humbles & plus chrĂ©tiens. Lcbourreau Ă©toit Ă la sainte Table pour communier. Le Premier - PrĂ©sident des MĆurs. 53s vint sây mettre aussi. Le bourreau surpris & confus , voulut fe retirer Restez, lui dit ce President en lâarrĂȘtant par lâhabit, nous JouĂźmes ici tous Ă©gaux. O vous qui vous enorgueillissez si ridiculement de la diliinction de votre origine, ne savez-vous donc pas que tous les hommes, Ă©tant sortis delĂ mĂȘme tige, ils font tous freres, tous Ă©gaux Ă cet Ă©gard ; & que celui qui a du mĂ©rite fuperbia^ 5/c. Ăź;di. 21. i e s MĆurs. 541 gna dans une occasion le Grand CoudĂ© , ne lui fait pas honneur. Un EvĂȘque qui avoit une grande barbe, Ă©toit avec son neveu Ă la table de ce Prince. En mangeant sa soupe , il en laissa tomber sur sa barbe. Son neveu lâen avertit, en disant Monseigneur , il y a du pain sur la barbe de Votre Grandeur. Le Prince choquĂ© de ce quâon donnoit ce titre Ă un autre en sa prĂ©sence, reprit Dites fur la grandeur de votre barbe. La fiertĂ©, qui dâordinaire est le vice des Grands, dit trĂšs-bien MqJiUon , ne devroit ĂȘtre que comme la triste ressource de la roture & de lâobscuritĂ©. Il paroitroit bien plus pardonnable Ă ceux qui naissent, pour ainsi dire, dans la boue, de sâenfler, de se hausier , & de tĂącher de se mettre , par lâenflure secrete de lâorgueil, de niveau avec ceux au- detsous desquels ils se trouvent si fort par le rang & par la naissance. Les Grands, au contraire, placĂ©s si haut par la nature, ne fauroient plus trouver de gloire quâen sâabaissant; & sâil est encore un orgueil qui puisse leur ĂȘtre permis , câest celui de se rendre humains & acceifibles. Sâil est beau aux petits de se souvenir de ce quâils doivent aux Grands , il est encore plus beau Ă ceux-ci dâoublier quelquefois ce que les petits leur doivent. f ? 342- Lâ Ă C O L E Nous devons, il est vrai, honorer les Grands, parce quâils font grands & que nous sommes petits, comme il y en a dâautres plus petits que nous qui nous honorent; & dâailleurs le bon ordre a toujours imposĂ© la subordination ; la subordination suppose de la supĂ©rioritĂ© , & la supĂ©rioritĂ© demande du respect & de la considĂ©ration. Mais cette distinction & cette pt Ă© 1er en ce, nĂ©cessaires dans la sociĂ©tĂ©, ce respect extĂ©rieur quâon accorde aux places ou Ă la naiflĂ nce, ne doivent pas augmenter la vanitĂ© , comme ils nâaugmentent pas le mĂ©rite. Devenu plus grand, celui qui pense bien ne sâen croit ni plus grand ni meilleur quâil nâĂ©toit. Les respects & les hommages des autres hommes nĂ© lâenorgueillissent point, parce quâil fait que câest Ă la place quâils sâadressent, bien plus quâĂ la personne. Un Lord Anglois venoit dâĂȘtre Ă©levĂ© Ă la place de SecrĂ©taire dâEtat. Ayant Ă©tĂ© lui-mĂȘme prendre fa patente dans le cabinet de Sa MajestĂ©, une foule de Courtisans sâassemblĂšrent autour de lui, & chacun sâempressoit dâĂȘtre le premier Ă le fĂ©liciter. Ayant apperçu son fils au milieu dâeux , il lâappela , & lui dit Que ce spectacle ne vous abuse point, mon fils je ne fuis devenu ni plus grand ni meilleur que je nâĂ©tois, Ce nâest pas des MĆurs. 343 Ă moi quâon rend ces honneurs , câest Ă ma patente de SecrĂ©taire dâEtat elle les a reçus fous mon prĂ©dĂ©cesseur, elle les aura encore fous mon successeur ils la suivent dans toutes les mains oĂč elle passe ; & quand je ne lâaurai plus, vous verrez toute cette foule dis paroĂźtre. Il y a bien peu dâhommes placĂ©s au- dessus des autres par leur naissance , par leur rang ou par leur fortune, qui sachent penser dâeux-mĂ«mes avec tant de sagesse & se rendre une pareille justice. Au lieu de considĂ©rer tous ces avantages extĂ©rieurs comme entiĂšrement Ă©trangers Ă leur ĂȘtre , ils unissent en quelque forte Ă leur propre nature les qualitĂ©s de grand , de noble, de riche, de maĂźtre , de Seigneur & de Prince ils en grossissent leur idĂ©e , & ne se reprĂ©sentent jamais Ă leur esprit sans tous leurs titres, tout leur attirail & tout leur train. Ils sâaccoutument, dĂšs leur enfance, Ă se regarder comme une espece sĂ©parĂ©e des autres hommes leur imagination ne les mĂȘle jamais dans la foule ils font toujours Comtes ou Ducs Ă leurs yeux » & jamais simplement hommes. Ne se croyant pas moins au dessus des autres par leur esprit, quâils le font par leur condition & par leur fortune, ils prĂ©tendent que leur sentiment doit toujours 344 Lâ Ă c o l e prĂ©valoir sur celui des personnes qui font au-dessous dâeux. Louis XIV ne peu soit pas ainsi. Le MarĂ©chal de la Feuillade ayant montrĂ© Ă Boileau quelques vers que celui-ci nâapprouva pas Vous ĂȘtes bien dĂ©licat , lui dit ce Seigneur , de ne pas approuver une poĂ©sie que le Roi & Madame la Dauphine ont trouvĂ©e excellente. Je ne doute point, reprit Boileau , que le Roi ne soit trĂšs habile Ă prendre des villes & Ă gagner des batailles je doute encore suffi peu que madame la Dauphine ne soit une Princeise pleine dâesprit & de lumiĂšres. Mais, avec votre permiffion, Monsieur le MarĂ©chal, je crois me con- noitre en vers suffi bien quâeux. LĂ - dessus le MarĂ©chal accourt chez le Roi , & lui dit dâun air vif & impĂ©tueux Sire, nâadmirez-vous pas lâinsolence de Boi- leau, qui dit se connoĂźtre en vers mieux que Votre MajeltĂ© ? Oh ! pour cela , rĂ©pondit le Roi, je fuis fĂąchĂ© dâĂȘtre obligĂ© de vous dire que Boileau a raison. Les Grands qui nâont pas eu foin de corriger lâimpreffion que lâĂ©clat de leur naissance fait naturellement dans leur esprit, ne peuvent souffrir que des gens, quâils regardent avec mĂ©pris, prĂ©tendent avoir autant de jugement quâeux. Corrompus par la flatterie, qui approuve toutes leurs actions & toutes leurs paroles z des MĆurs. 34p sĂ©duits par la soiblesse des autres hommes , qui se soumettent aveuglĂ©ment Ă toutes leurs opinions; ils se persuadent sans peine que leur raison est aussi supĂ©rieure que leur rang , & câest ce qui leur donne tant dâimpatience & dâhumeur dans les moindres contradictions. Ne devroient-i!s pas au contraire faire attention quâĂ©tant Ă©gaux au reste des hommes pour lâame & pour le corps, ils peuvent Ă©galement se tromper, & peut-ĂȘtre encore plus, parce quâils ont dâoruinaire plus de passions & de prĂ©jugĂ©s ? Mais cette rĂ©flexion si naturelle & si sensĂ©e, il est bien rare quâils la falĂźĂȘnt, Ă moins quâils 11e rencontrent quelquefois des hommes dâune trempe dâame assez forte, pour oser Ă cet Ă©gard leur dire la vĂ©ritĂ©. Un Grand, dans une dispute oĂč il nâavoit pas lâavantage, ayant voulu rappeler Ă la personne qui disputoit avec lui, la distance que la naissance & le rang mettaient entre eux Monsieur, lui dit le particulier, s ai plus au - dessus de vous dans ce moment, que vous nâavez au - dejjiis de moi car jâai raison , U vous avez tort. On raconte aussi que Santeuil disputant avec le Prince de CondĂ© fur quelques ouvrages dâesprit Sais-tu bien, Santeuil, lui dit le Prince de CondĂ© un peu en colere , que je fuis seines du sang'i Oui, Monseigneur, p r ?4 $ Lâ Ă C O L E rĂ©pondit ce cĂ©lĂ©brĂ© PoĂ«te, je le sais bien r mais pour moi, je fuis prince du bon sens ; ce qui est infiniment plus elh- mable. Celui qui est vraiment grand, nâaffecte point de le .dire Ă tout le monde, & ne cherche pas Ă le paroĂźtre. 11 aime bien plutĂŽt Ă se dĂ©rober Ă lui-mĂȘme & Ă se cacher aux autres ; & il nâen paroit que plus grand, lorsquâon vient Ă le dĂ©couvrir. PhilopĂ©men , le plus grand homme de guerre qui de son temps fĂ»t dans toute la Grece, Ă©toit pour lâordinaire vĂȘtu Fort simplement & marchoit allez souvent sans fuite. Il arriva seul en cet Ă©tat dans la maison dâun citoyen, qui lâavoit invitĂ© Ă prendre un repas chez lui. La maĂźtresse du logis, qui attendoit le GĂ©nĂ©ral des AchĂ©ens & qui ne le con- noilsoit pas , le prit pour un domestique & le pria de lâaider Ă faire la cuisine. PhilopĂ©men quitta aussi-tĂŽt son manteau 3 & le mit Ă faire du bois. Le mari Ă©tant survenu Ă cet instant, sâĂ©cria, dans la surprise que lui causa un tel spectacle Quâtst-ce donc, Seigneur PhilopĂ©men! & que faites-vous ? Je paye , lui dit-il en riant, les intĂ©rĂȘts de mon extĂ©rieur. La femme Ă©tonnĂ©e & confuse, lui fit mille excuses quâil reçut avec bontĂ©. On fait que le mĂȘme plaisir de cacher fa grandeur est la noble passion de d 2 s MĆurs. 547 lâEmpereur Joseph II, qui nâa jamais reçu des hommages plus vifs de lâenthousiasme du cĆur, des Ă©loges plus vrais & plus sincĂšres que fous les dehors de la simplicitĂ© & de la modestie. Le moyen dâobtenir beaucoup , câest dâexiger peu on donne Ă la bontĂ© ce quâon refuse Ă la hauteur ; & en prĂ©tendant au- delĂ de ce qui nous est dĂ» , nous faisons quâon nous conteste mĂȘme quelquefois ce quâon devroir nous rendre. Câest donc bien mal entendre les intĂ©rĂȘts de son amour-propre , que de ne marcher jamais quâenvironnĂ© de tout le faste de fa grandeur, & dâavoir toujours un air her & superbe, qui obtient si rarement le respect quâil commande. Un tel air ne hed bien que dans certaines circonstances, oĂč lâon doit, par une reprĂ©sentation imposante, soutenir la dignitĂ© de sa naissance ou de la place quâon occupe. Mais dâordinaire, câest moins par devoir que par orgueil, quâon est si jaloux des prĂ©rogatives de son rang, quâon Ă©tudie avec tant de soin ce qui lui est dĂ», quâon fait des paralleles continuels de foi A des autres ; & quâon mesure scrupuleusement le plus ou le moins qui se trouvent dans les personnes quâ011 aborde ou avec lesquelles on est en concurrence pour le pas. Les femmes lĂ -dessus portent les prĂ©tentions encore 548 Lâ Ă c ĂŒ l e plus loin que les hommes , parce quâelles font plus vaines. Elles sâen font un point capital, une affaire importante fur laquelle elles prennent feu. Elles cherchent Ă fe frire plus considĂ©rer, & elles ne fe font le plus souvent que mĂ©priser davantage. Une de ses contestations ridicules donna lieu Ă un jugement bien sage de Charles - Quint. Deux Dames de la Cour ayant eu un vif dĂ©mĂȘlĂ© au sujet de la prĂ©sĂ©ance, la chose fut dĂ©fĂ©rĂ©e au jugement de lâEmpereur. J'ordonne , dit ce prince, que la plus folle des deux paĂe la premiĂšre. Ce font sur - tout les richesses qui inf pirent le plus lâorgueil & la fiertĂ©. Cet Ă©clat qui environne lâhomme opulent, cette magnificence quâil Ă©tale , ces honneurs quâon lui rend , ces respects & ces especes dâadoration quâon lui pro. digue, tout cela lâĂ©blouit de telle forte quâil ne fe connoĂźt plus lui - mĂȘme, & quâil sâĂ©vanouit dans ses pensĂ©es. 11 fe Fait un prĂ©tendu mĂ©rite de son abondance il fĂš persuade que tout lui est dĂ» il ne veut dĂ©pendre de personne, & veut que tout le monde dĂ©pende de lui il se glorifie du grand nombre de ses amis, & il ne fait pas que ces Ăąmes basses, que lâintĂ©rĂȘt conduit & qui sâattachent Ă sa fortune , nâont souvent quâun fonds de mĂ©pris & une scerete haine pour la DES M CE ĂŒ R Ă. 549 personne. Mais ce qui me surprend en lui & ce qui mâĂ©tonne, câell que flattĂ© , comme il paraĂźt lâĂȘtre, de la multitude de ses courtisans, il ne cherche pas Ă en augmenter le nombre par des maniĂ©rĂ©s douces & gracieuses, & quâil soit le plus souvent fĂącheux , de difficile abord, dâhumeur inĂ©gale, impatient, colere, rebutant les uns, choquant les autres , insupportable Ă tous. Tels font principalement les nouveaux favoris de la fortune , qui, nĂ©s dans la boue & dans lâobscuritĂ© , sont parvenus au comble des honneurs & des richesses. Cette pompe odieuse qui les environne, & qui est assez souvent le fruit honteux des vexations & des rapines, ils la rendent encore plus odieuse par leurs dĂ©dains orgueilleux pour les autres hommes. Ils ne parlent que de leurs biens , ils se vantent continuellement de leurs grandes richesses, eux qui devraient peut-ĂȘtre en rougir, & fe reprocher cent fois le jour les bassesses & les crimes auxquels ils en font redevables. Car combien de riches ne doivent quâau larcin, Ă lâinjustice , Ă lâinfidĂ©litĂ© de leurs peres, ou Ă leurs propres crimes, ce qui flatte si fort leur vanitĂ© ! il nây a guere de grandes fortunes subites , qui soient pures & innocentes la probitĂ© feule conduit rarement au temple de la Fortune. g so Lâ Ă e o L B Le fameux Financier la Noue montroit Ă un Seigneur une magnifique maison quâil venoit de faire bĂątir. AprĂšs lui avoir fait parcourir plusieurs beaux appartenons Voyez, lui dit-il, cet escalier dĂ©robĂ©. Oui , repartit ce Seigneur, il efl comme tout le reste de lamaison. Nous ne voulons pourtant pas peindre ici de couleurs flĂ©trissantes tous les nouveaux riches, ni blĂąmer cette louable Ă©mulation , qui elf le grand ressort des Etats. Nous voulons encore moins condamner les dons du Prince, & tous les prĂ©sens de la fortune. Les honneurs & les richesses nâexcluent point le mĂ©rite, comme ils ne le donnent pas. Ce font des biens r- els pour celui qui lĂ©sa mĂ©ritĂ©s par ses services ou par son industrie. Mais sâils ne fourniflĂšnr point de nouvelle matiĂšre aux bonnes actions, sâils ne rendent pas plus bienfaifans, plus gĂ©nĂ©reux , sâils font inutiles Ă la vertu, sâils nâaident pas Ă prorĂ©ger le mĂ©rite & a le mettre en Ćuvre , sâils ne servent quâau luxe, Ă la fiertĂ©, Ă lâorgueil, ils cessent dâĂȘtre ce que je les croyois, & je ne les regarde plus quâavec des yeux de mĂ©pris. Les richesses, ainsi que le rang & les dignitĂ©s, ne font estimables que par lâusage quâon en fait. Si on les emploie Ă ce que prescrivent le devoir & la vertu, elles deviennent des des MĆurs. gyr sources de gloire si on les consacre au vice , elles ne fervent quâĂ couvrir dâinfamie si elles enflent le cĆur & le remplissent dâorgueil, elles rendent ridicule & mĂ©prisable. âą A quelque haute fortune que vous soyiez parvenu, nâen faites donc jamais lâobjet de votre vanitĂ©. Les richesses, par leur Ă©clat & par les commoditĂ©s quâelles procurent, attirent assez dâelles- mĂȘmes les yeux de lâenvie ; ne lâirritez point par votre ostentation elle se plai- roitĂ lancer sur vous les traits piquans de fa malignitĂ©. Ne vous lailĂŻĂšz pas enivrer des faveurs de la fortune montrez que vous avez la tĂšte assez forte pour les soutenir. Dans votre prospĂ©ritĂ© soyez toujours modeste , & nâoubliez jamais votre premier Ă©tat, imitez le Chancelier Bacon , un des plus grands hommes de lâAngleterre & le plus beau gĂ©nie de son siede. Il avoir autant de modestie que de mĂ©rite. La Reine Elisabeth , faisant la visite de ses provinces , voulut voir Ă Redgrave la maison de campagne quâil avoir fait bĂątir avant sa fortune. Lâayant considĂšre e, elle lui dit Votre maison est bien petite,Monsieur le Chancelier. Madame, rĂ©pondit Bacon, ma maison efi assez grande pour moi , mais câejt Votre Majejßé qui mâa fait trop grand pour ma maison. On rapporte aullĂŻ une belle rĂ©ponse 5 fl V Ă C O L E de Sixte-Quint. Tout le monde sait que de simple PĂątre il devint Religieux de Saint-François, GĂ©nĂ©ral de son Ordre , Cardinal, & enfin Pape. Jamais la fortune nâavoit pris un homme si bas pour lâĂ©lever si haut- On vit fur le trĂŽne un Souverain habile, un grand Politique, un homme nĂ© pour commander aux autres, & dâautant plus digne de son Ă©lĂ©vation, quâil nâoublia jamais la bassesse de son premier Ă©tat. Un Cordelier de la PrincipautĂ© deTarente, lui demanda que fa famille eĂ»t lâhonneur dâĂȘtre alliĂ©e Ă celle de Peretti. Jây consens, dit Sixte- Quint, pourvu que nous observions quelque proportion entre votre famille & la mienne. Dites - moi prend rement quelle elt votre origine '{ Saint Pere , rĂ©pondit le Moine, ma maison eĂ, grĂąces Ă Dieu , Pune des plus riches & des plus anciennes du Royaume de Naples. Tant pis pour votre dessein , rĂ©pliqua le Pape car le moyen de faire alliance entre un riche & puissant seigneur comme vous, 6 un malheureux gardeur de pourceaux comme moi Si vous voulez cependant, Ă quelque prix que ce soit, que je consente Ă ce que vous me demandez , quittez votre habit de Religieux , donnez Ă quelque hĂŽpital la grosse pension que vous fait votre famille, & allez garder ces mĂȘmes animaux Ă la campagne , des MĆurs. ;y; comme je les ai gardĂ©s dans ma jeunesse. Ce nâelt quâĂ ces conditions que nous pourons devenir parens, vous & moi. Une personne qui , dans son Ă©lĂ©vation , se rappelle lâobscuritĂ© de son origine, nâen elt que plus estimable. On admire sa modestie, on applaudit Ă sa fortune dont elle se montre digne. Agatocle , fils dâun Potier, ne sâenorgueillit ni de la dignitĂ© royale oĂč il fut Ă©levĂ©, ni des grandes victoires quâil remporta fur les Carthaginois. PlacĂ© fur le trĂŽne de Syracuse, il voulut toujours ĂȘtre servi en vaiiselle de terre ; & quand on lui en demandoit la cause Je veux-, rĂ©pondit-il , que le souvenir de mon origine rabatte l'orgueil que le vain appareil de la royautĂ© pouroit m'inspirer. Cet Empereur Romain 3 , qui de simple Berger Ă©tant parvenu Ă lâEmpire , fit mourir tous ceux qui avoient quelque connoissance de la basselßÚ de son extraction, nerĂ©uflit, par ce moyen auisi barbare quâextravagant , quâĂ la faire connoĂźtre davantage , & Ă la rendre plus odieuse. Il nây a que de la gloire Ă parvenir par un vrai mĂ©rite, & de la honte Jn se mĂ©connoĂźtre. Les richesses qui nous J Maximin. 3f4 Lâ Ă c o L E laissent notre modestie , augmentent notre gloire. Si estes nous rendent plus vains, estes nous attirent la haine & le mĂ©pris. La femme dâun riche Financier Ă©toit venue dans une Eglise , pour entendre un cĂ©lĂ©brĂ© PrĂ©dicateur ; mais comme elle Ă©toit arrivĂ©e tard, elle ne trouva point de place. On aurait bien dit, dit-elle tout haut, mettre les chaises Ă un Ă©cu. Une Dame piquĂ©e , lui repartit en se tournant vers elle 11 parait bien , Madame , que votis avez plus d'eau que d'esprit. Telle est la sottise de notre orgueil, que tout ce qui nous environne , quoiquâil nâajoute pas le pltss petit degrĂ© Ă notre mĂ©rite, agrandit nĂ©anmoins lâidĂ©e que nous avons de nous-mĂȘmes. Une belle maison , un habit plus riche quâĂ lâordinaire, un Ă©quipage de plus, augmentent la bonne opinion quâon avoit de soi ; & si lâon nây prend garde, on sâestime davantage Ă cheval ou en car- rostĂš, quâĂ pied. Mais, dit fort bien la Bruyere, tu te trompes, PhilĂ©mon, si avec ce carrosse brillant, ce grand nombre de coquins qui te suivent, & ces six bĂȘtes qui te traĂźnent, tu penses que lâon tâen estime davantage on Ă©carte tout cet. attirail qui tâest Ă©tranger, pour pĂ©nĂ©trer jusquâĂ toi, qui nâes quâun fat. Si la fiertĂ© des airs & des maniĂ©rĂ©s ne des MĆurs. f sauroit convenir quâĂ des sots , il nâen elt pas de mĂȘme de la fiertĂ© du cĆur, qui ell inspirĂ©e par la noblesse du sentiment elle est lâattribut des personnes de probitĂ© & dâhonneur. Câest elle qui les empĂȘche de rien faire de bas, de honteux, de dĂ©shonorant. Elle venge aussi quelquefois noblement le mĂ©rite r des outrages du riche insolent qui ose lâinsulter , ou des mĂ©pris de lâhomme heureux qui sâoublie. Denis-le-Tyran demandoit dâun ton railleur Ă un Sage de sa Cour , pourquoi on vcyoit les Philosophes chez les Grands, & quâon ne vovoit pas les Grands chez les Philosophes. C'eĂ, rĂ©pondit-il, parce que les MĂ©decins vont chez les malades. De toutes les fiertĂ©s la plus ridicule est celle qui est couverte des lambeaux de la misere ; & un pauvre superbe est encore plus mĂ©prisable quâun riche orgueilleux. Tel Ă©toit cet Espagnol dont on raconte le trait suivant. Câest la coutume Ă Rome de distribuer de la soupe aux pauvres Ă la porte des monastĂšres. Un Castillan, nouvellement arrivĂ©, & qui ignoroit Ă quelle heure se lai soit cette distribution , sâadressa Ă un pauvre François pour en ĂȘtre instruit. La fiertĂ© Espagnole ne pouvoir souffrir quâil demandĂąt- simplement ce quâil vouloir savoir. Il demanda au François sâil a voit pris son chocolat. Mon Lâ Ă C O L E chocolat, rĂ©pondit lâautre ! eh, comment voulez-vous que je le paye "{ je vis dâaumĂŽnes , & jâattends quâon distribue la soupe au Couvent des Franciscains. Je vous prie de m'y conduire , dit le glorieux Espagnol vous y verrez Don Antonio PerĂšsde Valcabro, de Redia, de Montalva, de Vega , çsc. y donnes- Ă la pojßéritĂ© une marque d'humilitĂ©. Fh! qui sont ces gens- lĂ , demanda le François ? C eĂ moi, rĂ©pondit le Castillan. Si cela est, rĂ©pliqua le François, dites plurĂŽt un exemple de bon appĂ©tit mais quel rĂ©gal pour un aussi grand Seigneur ! - â . - rss&ga - s> Nt vous loue[ jamais. Câest un grand ridicule de se louer soi-mĂȘme. Lâhomme sage & judicieux ne donnera point dans cette fatuitĂ©. Celui qui a du mĂ©rite nâen parle pas ; il laisse aux autres le foin de le publier. Qu'un autre vous loue , dit Salomon, R non votre bouche -, que ce soit un Ă©tranger, & non vos propres levres 4. Câest ce que pratiquoit la cĂ©lĂ©brĂ© Madame Dacier. Elle avoir cette estimable modestie , qui pare le savoir & qui des MĆurs. 377 lâaccompagne si rarement. Sa rĂ©serve Ă©toit si grande, que jamais elle ne faisoit pa- roĂźtre dans ses conversations lâavantage quâelle pouvoit avoir de ce cĂŽtĂ©-lĂ fur la plupart de ceuxavecquiellesâentrctenoit., Ceux qui ne la connoissoient point, ne pouvoient dĂ©couvrir en elle quâune femme ordinaire, & nâavoient garde de soupçonner la profondeur de son Ă©rudition. On rapporte de cette Dame un trait qui lui fait infiniment honneur. Les Savans du Nord qui voyagent, ont grand foin de visiter dans tous les pays les personnes qui se sont distinguĂ©es dans les Lettres, comme pour rendre un hommage glorieux Ă leur mĂ©rite & Ă leur rĂ©putation. Ils portent avec eux un livre, oĂč ils les prient de mettre leur nom avec une sentence. Un Savant Asemand, qui con- noiifoit Madame Datier par ses Ouvrages, Ă©tant Ă Paris, vintlui rendre visite, N lui prĂ©senta son livre pour y mettre son nom & une sentence. Elle vit dans ce livre les noms des plus savans hommes de lâEurope elle en fut effrayĂ©e, & dit quâelle rougiroit de mettre le sien parmi tant de gens illustres. LâAllemand ne le rebuta pas plus elle se dcfendoit, plus il la preisest il revint plusieurs fois Ă la charge. Enfin vaincue par ses instances , elle prit la plume , & mit son 110m avec ce mot de Sophocle Le silence eĂ 5fS Lâ Ă© c 0 l g ĂŻ ornement des femmes. LâEtranger surpris de ce trait, qui marquoit si parfaitement son caractĂšre , demeura dans lâadmiration. Rien ne fait plus de tort Ă une personne qui a du mĂ©rite dâailleurs, que dâĂȘtre vaine Une once de vanitĂ© GĂąte un quintal de mĂ©rite. Elle nuit Ă la vertu mĂȘme. Sadi , cĂ©lĂ©brĂ© PoĂšte Persan, que nous avons dĂ©jĂ citĂ©, raconte quâĂ©tant encore trĂšs-jeune, il lifoit lâAlcoranau milieu de fa famille. Ses freres sâendormirent, & il dit Ă son pere Regardez-les , ils dorment & je prie. Mon pere, ajoute-1-il, mâembraiTatendrement & me dit 0 mon cher Sadi , ne vaudroit- il pas mieux que tu dormisses aujfi , que dâĂ©tre fi ce que tu fais ? Celui qui pense quâil elf sage, ne le sera pas long-temps sâil ledit, il ne lâest dĂ©jĂ plus; peut-ĂȘtre mĂȘme ne lâa-t-il jamais Ă©tĂ©. On perd toujours Ă iĂš louer ; & lâon persuade ordinairement le contraire de ce quâon se propose. Les personnes qui se vantent, cherchent, si lâon peut sâexprimer ainsi, Ă semer lâestime, & ne recueillent que le mĂ©pris. Un jeune homme se vantoit dâavoir en peu de temps appris beaucoup de choses , & f- > des MĆurs. d'avoir dĂ©pensĂ© mille Ă©cus pour payer lĂšs maĂźtres. Quelquâun de ceux qui Ă©toient prĂ©sens, lui rĂ©pondit Si vous trouvez cent Ă©cus de tout ce que vous avez appris , je vous conseille de les prendre sans hĂ©siter. Le plus grand plaisir quâon puisse faire aux personnes vaines nâest pas de les louer, câest de les Ă©couter paisiblement le louer elles-mĂȘmes. Mais câest une complaisance quâon a rarement leur vanitĂ© choque, & nous nous plaisons Ă lâhumi- lier. Un Journaliste subalterne disoit dans une compagnie, quâil distribuoit la gloire. Oui , Monsieur , lui rĂ©pondit quelquâun , vous ladijlribuez fi gĂ©nĂ©reusement, que vous n'en gardez point pour vous. LâAbbĂ© de Marolles, connu par ses mauvaises traductions dâexcellens Auteurs anciens, ne traduisoit pas seulement les PoĂštes, il faisoit lui-mĂȘme des vers; & en parlant de lâinjustice du siede , il disoit quâen dĂ©pit du public il avoit publiĂ© de compte fait cent trente-trois mille cent vingt-quatre vers. Comme il se vantoit un jour Ă Liniere que ses vers lui coĂ»- toient peu Ils vous coĂ»tent ce qu'ils valent , rĂ©pliqua Liniere. Ceux qui se louent, ne sont guere louĂ©s; fussent-ils dâailleurs dignes de lâĂȘtre. On rqkule Ă lâorgueil ce quâon doit au talent. Du Perrier , Gentilhomme Provençal A ;6s Lâ Ă c o L E trĂšs-bon PoĂ«te latin du dernier siede, mais encore plus vain, disoit un jour Il nây a que les fous qui nâestiment pas mes vers. Stultomm infinit us est numerus, lui rĂ©pliqua M. dâHerbelot s . Santeuil, disciple de Du Perrier, & Ă©gal ou mĂȘme supĂ©rieur Ă son maĂźtre en poĂ©sie & en vanitĂ© , se trouvant avec lui dans un repas, on parla de leurs vers latins. Santeuil dit quâil y avoit autant de diffĂ©rence entre ses vers & ceux de Du Perrier, quâil y en avoit entre un astre & un mĂ©tĂ©ore. Du Perrier sâoffensa de la comparaison, & dit Ă Santeuil quâil ne sa voit que ce quâil lui avoit appris. Santeuil rĂ©pondit quâil nedevoit fa poĂ©sie auâĂ lui mĂȘme, quâĂ son gĂ©nie; & en supposant , ajouta-t - il, que vous me lâavez apprise , fi en ai appris plus que vous nâen saviez. Pour preuve de cela , je parie dix pijioles que je vais faire des vers mieux que vous. Du Perrier accepta le pari. Lâargent sut mis entre les mains de MĂ©nage, quâils choisirent pour juge. Au bout de huit jours, ils lui apportĂšrent leurs vers quâils avoient faits fur le sujet quâil leur avoit donnĂ©. MĂ©nage ne voulant point se brouiller ni avec lâun ni avec lâautre , dit que leurs piĂšces Ă©toient Ă©galement * Le nombre dessous efi infini. EccĂŻ. I. des MĆurs. 361 Ă©galement bonnes. Il leur rendit leur argent mais ils rie sâen tinrent pas lĂ . Ils allĂšrent trouver le Pere Rapin, JĂ©suite, qui a fait lui-mĂȘme un si beau PoĂ«me latin sur les Jardins , & ils le priĂšrent de les juger. Ils le rencontrĂšrent Ă la porte de lâEglise. AprĂšs avoir lu leurs piĂšces, il leur dit quâelles ne valoient rien, quâils dĂ©voient rougir de faire cet assaut de vanitĂ© , & quâil faĂźloit apparemment quâils eussent trop dâargent pour faire un semblable pari. Les pauvres, ajouta-t-il, profiteront de P inutilitĂ© de votre dispute & du superflu de votre bien câefl une juste punition de votre orgueil. En disant cela, il entre dans lâEglise, & lĂąchedans le tronc les dix pistoĂźes que les deux PoĂštes lui avoient consignĂ©es. Pour ĂȘtre applaĂŒdi de ce quâon fait, il lie faut pas trop sâen applaudir soi-mĂȘme. Le vrai moyen de nâavoir lâapprobation de personne , câest de la mendier par nos paroles ou par nos regards. La vanitĂ© rend toujours odieux ; & si elle nâest pas jointe au mĂ©rite , elle rend de plus ridicule. Un mauvais PrĂ©dicateur disbit Ă quelquâun sur la fin du CarĂȘme Je ne sais comment jâai pu rĂ©sister Ă la fatigue de prĂȘcher tous les jours , & encore * avant-hier ma Paillon dura deux heures & demie ; cependant je me porte bien nâadmirez-vous pas ma force? Oui, lui Tome II. Q_ ;6r V Ă c o l e rĂ©pondit lâautre, mais f admire encore plus celle de vos auditeurs. Le Pere dâArruis , JĂ©suite , parloit de lui-mĂȘme & de ses prĂ©dications bien plus modestement. Il disoit Lorsque le Pere Bourdaloue prĂȘcha Ă Rouen, les Artisans quittoient leurs boutiques pour lâaller entendre, les Marchands leur nĂ©goce , les Avocats le Palais, les MĂ©decins leurs malades. Pour moi, lorsque je prĂȘchai lâannĂ©e dâaprĂšs, je remis toutes choses dans lâordre personne nâaban- .donnoit plus son emploi. On nâen estime que davantage celui qui sait ainsi se rendre justice. Mais sâil est des occasions oĂč il y a du courage & de la grandeur dâame Ă oser dire de soi des vĂ©ritĂ©s peu flatteuses, il en est austi oĂč lâon peut dire modestement du bien, de soi-mĂȘme. La nĂ©cessitĂ© de se justisier ou de se faire connoĂźtre, une grande utilitĂ© pour soi ou pour les autres, lâhonneur & la gloire de Dieu permettent de le faire ; pourvu que ce soit le plus briĂšvement quâil est poisible, & que la vanitĂ© ne paroisse pas sây mĂȘler. Il est pour lâordinaire aulsi inutile que dangereux de se donner des louanges on nâest pas cru dâailleurs fur sa parole, & lâon ne fait que donner plus de matiĂšre Ă la critique & Ă la plaisanterie. Deux freres, lâun PoĂšte & lâautre Musicien, parloient aveç b e s MĆurs* Ăąoge de leurs talens. Câest mon frere, dit lâun, qui fait les vers, & je les chante. Et moi, ajouta DesprĂ©aux ennuyĂ© de leurs fades discours ,je les siffle. On fait assez, dit la Rochefoucault, quâil ne faut guere parler de la femme, mais on ne fait pas assez quâon devrait encore moins parler de foi. Les personnes qui fe vantent, ne font guere plus aimĂ©es dans les compagnies, que celles qui sentent mauvais. Evitez donc avec foin de parler de vous-mĂȘme; & fl la politesse des autres vous force de rĂ©pĂ©ter quelque Ă©vĂ©nement dont le dĂ©tail vous fait honneur, soyez bien court, & parlez-en avec une pudeur infinie. Une Dame demandoitau Comte Maurice de Nqjsiau , cĂ©lĂ©brĂ© par le grand nombre de victoires quâil remporta fur les Espagnols, quel Ă©toit le plus grand Capitaine de son siede. La modestie de ce Prince ne lui permit pas de fe nommer j lâamour de la gloire, & cette noble estime de foi-mĂȘme quâa un grand homme qui ne peut sâignorer, lu! dĂ©fend oient de cĂ©der ce rang a aucun autre. Il rĂ©pondit Aladame , le marquis de Spinola est le second. CâĂ©toit le GĂ©nĂ©ral des armĂ©es dâEspagne dans les Pays- Bas, & le plus grand homme de guerre de son temps, sâil nâavoit pas eu en tĂȘte le Lâ Ă C O L E Comte Maurice, contre lequel nĂ©anmoins il se soutint avec gloire. Cette maniĂ©rĂ© de se louer, en louant son rival , est sort adroite ; elle blesse beaucoup moins que la vanitĂ© toute nue ou la modestie affectĂ©e de ces faux humbles qui, aimant Ă se louer & nâosant le faire ouvertement, emploient lâartifice usĂ© de dire du mal dâeux mĂȘmes. La vanitĂ© perce Ă travers le voile dont ils veulent la couvrir; & ils ne gagnent par cette hypocrisie quâun redoublement de mĂ©pris. Un fat parloit toujours de lui- mĂȘme , & contoit trĂšs-modestement ses dĂ©fauts; mais ses dĂ©fauts se rĂ©duisoienfe Ă ĂȘtre trop franc, trop vĂ©ridique, trop libĂ©ral, trop bon, trop courageux. Quelqu'un qui lâentendoit, piquĂ© de cette orgueilleuse confeilion, lui .dit que le dĂ©nombrement des vices dont il sâaccu- soit avec tant de franchise & de pudeur, Ă©toit une assez bonne preuve quâil avoifc les vertus contraires. Câest contre un de ces faux modestes quâon a faitlâĂ©pigramme suivante LorPqne Lubin me dit, pour se Faire encenser, Quâil nâest quâun ignorant en lâart le bien Ă©crire, Il me le dit sans le penser » Je le pense sans le lui dire. En gĂ©nĂ©ral, Ă moins que ce ne soit par le sentiment de lâhumilitĂ© chrĂ©tienne, des MĆurs. 5 6 s Ă©vitez autant de vous blĂąmer que de vous louer observez la sage maxime Ă 'Arijiote , qui disoit souvent quâil ne saut parler de soi ni en bien ni en mal, parce quâil y a ordinairement de la vanitĂ© Ă se louer, & de la folie Ă se blĂąmer. Dire , sans une julle raison, du bien de nous-mĂȘmes, câest fatuitĂ© en dire du mal, câest inutilitĂ©; allez dâautres sâen chargeront & sâen acquitteront mieux que nous. - v- Soyez humble modcĂe au milieu des juccĂšs. Les Hollandois parurent oublier cette belle maxime, dans les heureux succĂšs de la guerre oĂč ils eurent part au sujet de la succession dâEspagne. LâAbbĂ© de Polignac, un des NĂ©gociateurs de la paix, indignĂ© de la hauteur avec laquelle ils le traitoient aux confĂ©rences de Gertruidenberg 6, leur dit MejĂeurs, vous parlez bien comme des gens qui ne foui pas accoutumĂ©s Ă vaincre. Il le leur lit encore mieux sentir deux ans aprĂšs au CongrĂšs dâUtrecht. Les PlĂ©nipotentiaires Hollandois voyant que la face des affaires Ă©toit 6 Ville du Brabant Hollandois , oĂč se tinrent- les confĂ©rences en 1710» as Z 66 Lâ Ă C O L E changĂ©e par la rĂ©union des Cours de Versailles & de Londres , & sâappercevant quâon leur cachoit quelques - unes des conditions du traitĂ© de paix, dĂ©clarĂšrent aux MiniĂšres du Roi de France, quâils pouvoient se prĂ©parer Ă sortir de la Hollande. LâAbbĂ© de Poiignac, qui nâavoit pas oubliĂ© la hauteur avec laquelle ils lui avoient parlĂ© aux confĂ©rences de Ger- truidenberg, leur dit Non , MejĂeurs , nous ne sortirons pas dâici nous traiterons chez vous , nous traiterons de vous,. E-f nous traiterons fans vous. Cet AbbĂ© , qui possĂ©doit au suprĂȘme degrĂ© le talent de la nĂ©gociation , donna lui-mĂȘme un bel exemple de la modestie quâon doit avoir dans les bons succĂšs. Louis XIV lâayant nommĂ© Auditeur de Rote, il partit pour Rome en cette qualitĂ©. Le Cardinal de la Tremouille y Ă©toit alors chargĂ© dâune nĂ©gociation importante il manda au Roi quâil ne pouvoir rĂ©uffir fins le secours de lâAbbĂ© de Poiignac. Le Roi le nomma pour Adjoint, & il obtint tout du Pape. Le Cardinal Ă©crivit au Roi comme la chose sâĂ©toit passĂ©e lâAuditeur de Rote assura le Prince que le succĂšs de la nĂ©gociation Ă©toit uniquement dĂ» au Cardinal. Le Roi .Ă©tonnĂ© & charmĂ© tout ensemble dâun procĂ©dĂ© R noble & si rare de la part de ces deux Minisires, ne diffĂ©ra pas un moment Ă des MĆurs. 357 en instruire toute la Cour. Ce Prince satisfait des services & du mĂ©rite de lâAbbĂ© de Polignac, lui obtint dans la fuite le chapeau de Cardinal. La modestie de M. de Turenne dans les heureux succĂšs , Ă©toit encore plus admirable , parce quâelle ail oit jusquâau sublime. Il nâavoit Ă©tĂ© vaincu que dans un combat , oĂč il ne commandoit mĂȘme quâen second. Cependant quand il avoir remportĂ© quelque victoire, & quâon lâeu fĂ©licitoit, en lui disant quâil Ă©toit toujours victorieux Vous avez fans doute oubliĂ© , rĂ©pondoit-il, que fai Ă©tĂ© battu a Mariendal. Mais personne ne porta peut-ĂȘtre jamais plus loin la simplicitĂ© de la modestie que le cĂ©lĂ©brĂ© M. de Catinat, un des grands GĂ©nĂ©raux de Louis XIV. En envoyant Ă la Cour la relation de la bataille de Staffarde, quâil venoit de gagner, tous les Colonels y Ă©toient nommĂ©s, & le Roi, au rapport du GĂ©nĂ©ral, avoir Ă chacun dâeux une obligation particuliĂšre. La Cour nâapprit les propres exploits de M. de Catinat que par les lettres de dis- fĂ©rens particuliers. On fut que son cheval avoir Ă©tĂ© tuĂ© sous lui, quâil a voit reçu plusieurs coups dans ses habits St une contusion au bras gauche. Il Ă©toit si peu question du GĂ©nĂ©ral dans sa relation, quâune personne qui en avoir Ă©coutĂ© la ?68 Lâ E c o l E lecture, demanda M. de Catinat ĂȘtoit-il Ă cette bataille ? Le lendemain Ă©tant allĂ© remercier le RĂ©giment de Grancey, dont la valeur nâavoit pas peu contribuĂ© Ă la victoire , plusieurs soldats qui jouoient aux quilles Ă la tĂȘte du camp, quittĂšrent leur jeu pour sâapprocher du GĂ©nĂ©ral mais M. de Catinat leur dit avec bontĂ© de retourner Ă leur partie. Quelques Officiers lui proposĂšrent dâen faire une il lâaccepta, & sa mit Ă jouer aux quilles avec eux. Un OEcier- gĂ©nĂ©ral qui se trouvoit prĂ©sent, Voulut en plaisanter , & dit quâil Ă©toit bien extraordinaire de voir un GĂ©nĂ©ral dâarmĂ©e jouer aux quilles aprĂšs une bataille gagnĂ©e Vous vous trompez-, rĂ©pondit M. de Catinat, cela ne ferait Ă©tonnant que dans le cas ou il lâauroit perdue. Que cette modĂ©ration & cette tranquillitĂ© dâame, dans un moment qui seroit pour tant dâautres un moment dâivresse, peignent bien le hĂ©ros & le grand homme! On a vu encore dans le mĂȘme siede, mais dans un autre genre, un rare exemple de cette modeltie de sentimens, qui caractĂ©rise les antes supĂ©iieures. Le Pere SĂ©bajlien , cet excellent MĂ©canicien dont nous avons dĂ©jĂ parlĂ©, avoit enrichi les manufactures de plusieurs belles dĂ©couvertes, & il avoit inventĂ© ces tableaux mouvans, qui firent lâadmiratiotj des MĆurs.' g 69 de ia Cour. Il reçut la visite du Duc de Lorraine, de Pierre le Grand , & de plusieurs autres Piinces. Mais la rĂ©putation dont il jouiiloit & qui Ă©toit rĂ©pandue dans toute lâEurope, ne le changea point ; & le Grand CoudĂ© difoic de lui , quâil Ă©toit autii simple que ses machines. Tel Ă©toit auiĂźi le P. Mabillon , savant BĂ©nĂ©dictin. Sa modestie Ă©toit encore plus grande que lĂ science, qui pourtant Ă©toit immense. M. le 'sellier, ArchevĂȘque de Reims, dit Ă Louis XIV, en le lui prĂ©sentant Sire , s ai P honneur Ae prĂ©senter Ă Votre le Religieux le plus /avant N le pins humble de votre Royaume. La modestie est toujours insĂ©parable du vrai mĂ©rite, & ne le trouve guĂšre quâavec lui. Les singes des grands hommes affichent la modestie , parce quâils ont ouĂŻ dire quâelle rehauifoit la gloire. Ils sont humbles & modestes par orgueil. Mais leur vanitĂ© se trahit elle - mĂȘme par la joie qui se rĂ©pand sur leur visage le tĂ©moignage des yeux dĂ©ment celui des levres. La vraie modestie est dans le cĆur encore plus que dans les paroles. Elle doit en quelque forte nous faire ignorer nos avantages , & sâignorer elle-mĂȘme. Cochin ayant plaidĂ© avec son Ă©loquence ordinaire la cause dâune femme de qualitĂ©, cette Dame ne put as 370 Lâ Ă C 0 L E sâempĂȘcher de lui dire en pleine Grande- Chambre Vous ĂȘtes si supĂ©rieur aux autres hommes que , si câĂ©toit le temps du Paganisme, je vous adorerois comme le Dieu de lâĂ©loquence. Dans la vĂ©ritĂ©- du Christianisme, rĂ©pondit lâhumble Orateur , lâhomme nâa Ăź rien dont il puisse sâapproprier la gloire. Ce nâest pas seulement la religion qui nous dĂ©fend de nous attribuer la gloire de nos heureux succĂšs, dâen ĂȘtre vains & orgueilleux ; la raison nous tient le mĂȘme langage. Elle nous dit quâil y a des hĂ©ros de fortune encore plus que de mĂ©rite; quâil y a peu de grands Ă©vĂ©ne- mens qui soient dus Ă la prudence ou Ă lâhabiletĂ© des hommes» & que câest presque toujours le concours des circonstances qui fait le succĂšs ou le dĂ©faut de rĂ©ussite des grandes actions. Lâhomme modeste, au milieu des plus grands applaudissemens , se dit Ă lui- mĂȘme ce quâun hĂ©raut rĂ©pĂ©toit de temps en temps au vainqueur Romain dans la marche de son triomphe Souvenez-vous que vous ĂȘtes homme. Comme sâil eĂ»t dit Souvenez-vous que cette gloire qui vous environne & qui brille Ă vos yeux avec tant dâĂ©clat, sâĂ©vanouira comme un songe. Ces titres magnifiques dont on vous honore, font vains avec eux vous gafferez, & vous dilparoĂźtrez comme eux» des MĆurs.' qji Ces statues quâon Ă©levĂ© Ă votre mĂ©moire, feront de peu de durĂ©e, & vous durerez eneore moins. Peut-ĂȘtre le peuple inconstant qui vous prodigue aujourdâhui- fĂšs acclamations & son encens, renversera-t-il demain son idole & la foulera-t-il Ă ses pieds. Mais , dulĂźiez-vous ĂȘtre plus heureux que tant dâautres , ĂȘt jouir dâune prospĂ©ritĂ© plus constante , souvenez-vous que la mort triomphera de vous plus fiĂšrement que vous ne' triomphez de vos ennemis elle ensevelira dans le mĂȘme tombeau & votre puilsance & vos grandeurs. Quand la fortune seroit auflĂź cons» tante & aulli assurĂ©e quâelle lâest peu» on devroit encore» mĂȘme pour ses propres intĂ©rĂȘts, ĂȘtre humble & modeste. La gloire est la compagne de la modestie y & lâhumiliation lâest de lâorgueil. MĂšne-* erate , MĂ©decin de Syracuse, se saifoit toujours suivre par quelques-uns des malades quâil avoitguĂ©ris, & se donnoit' orgueilleusement le surnom de Jupiter Il Ă©crivit Ă Philippe, pere dâAlexandre le Grand, une lettre avec cette adresse i MĂ©nĂȘcrate-Jupiter au Roi Philippesalut* Ce Prince, pour se moquer de sa lotte vanitĂ© , lui rĂ©pondit Philippe Ă MĂšnĂ©~ trĂ€te santĂ© U bon sens* Il nây a point de vice quâil nous soit plus important dans lâusage du monde 375 V Ă C O L E de tenir au moins cachĂ© , si nous en sommes atteints , que lâorgueil, parce quâil nâen est point qui nous rende plus odieux. On mĂ©prise ceux qui sâenivrent de leur bonheur & qui sâoublient. La fiert quâils prennent les expose au ridicule , & fait croire quâils font au-dessous de leur fortune , puisquâils savent si peu la soutenir. Leur modĂ©ration au milieu des succĂšs les feroit paroĂźtre plus grands que les choses qui les Ă©levent; Ă lĂ ns rien perdre de leur gloire, ils auroient encore celle de la modestie. Ainsi lâHistoire loue ĂŒ admire avec raison le beau trait de lâEmpereur FrĂ©dĂ©ric IV. Ce Prince ayant Ă©tĂ© couronnĂ© a Rome, alla rendre visite au Roi de Naples & dâAragon , Alphonse V , surnommĂ© le Sage U le Magnanime. Comme on nâapprouvoit pas quâil eĂ»t fait cette dĂ©marche Il eft vrai , dit-il, que le rang dâEmpereur est au-dessus de celui de Roi , mais Alphonse eji plus grand que FrĂ©dĂ©ric. La modestie donne un nouvel Ă©clat Ă la grandeur. On sâempresse Ă lui rendre ce quâelle veut sâĂŽter Ă elle-mĂȘme. EUe force les autres hommes Ă voir sans jalousie fa gloire & ses avantages. La hauteur & la SertĂ© ne font au contraire quâaugmenter le nombre des ennemis & des jaloux, qui triomphent avec un mĂ©pris insultant, quand ce colosse de grajçw des MĆurs. 375 Ăąeur vient Ă tomber, comme il arrive souvent. Câest ce qui a sait dire Ă un Ancien , que ceux-lĂ nous donnent un bon conseil, qui nous avertissent que plus nous sommes Ă©levĂ©s au-dessus des autres, plus nous devons ĂȘtre humbles & modestes. Mais quâil est difficile dâĂȘtre humble & grand tout ensemble ! Il est si naturel Ă lâhomme dâavoir de lâorgueil & de sâenfler de ses luccĂšs , que cela arrive Ă ceux mĂȘme qui font les plus convaincus des avantages de la modestie. Lâesprit a beau leur conseiller de faire du moins semblant, pour leu - gloire , de se tenir dans une mĂȘme Ă©galitĂ© dâame le sentiment du cĆur lâemporte sur les lumiĂšres de lâesprit. La gloire Ă©blouit, les heureux succĂšs aveuglent, lâĂ©lĂ©vation fait oublier fa ballĂšiiĂš ; on se croit plus grand , parce quâ011 est plus Ă©leve ; & la tete tourne fur les hauteurs. Câest ce qui arriva au Cardinal d'Es- pinojd , premier Ministre de Philippe il, Roi dâKspagne. Ce Ministre dont on a dit quâil avoir lâarne ausii vaste que la Monarchie quâil gouvernoit, ne put soutenir tout le poids de fa fortune elle le remplit dâorgueil, & lâorgueil fut ia cause de sa chute. 11 avoir piis un tel ascendant fur le plus impĂ©rieux de tous les Princes, quâil usoit avec ce Monarque 374 V Ă c o l s dâun ton absolu. Le Roi sortoit cĂźe Ăźk chambre pour le recevoir, ĂŽtoit son chapeau pour le saluer, & le faisoit asseoir comme son Ă©gal. Philippe II se lassa enfin dâĂȘtre en tutelle. Il lui dit un jour .âą Cardinal , souvenez-vous que je fuis PrĂ©fident de Castille. Il le dĂ©gradoit par-lĂ de cette premiĂšre dignitĂ© de la Monarchie dâEL pagne. Ce fut pour lui un coup de Foudre. Il en tomba malade ; & la haine quâon, lui portoit, hĂąta sa mort. Dans une foi- blesse quâil eut, on se pressa tant de lâouvrir pour lâembaumer , quâil porta lĂ main au rasoir du Chirurgien; & son cĆur palpita encore, aprĂšs quâon lui eut ouvert lâestomac. Cette opĂ©ration prĂ©cipitĂ©e fut lâeflet de la crainte quâon eus quâil ne revĂźnt en santĂ©. des MĆurs. 37s XXIII. Surmonte [ les chagrins oh l'esprit s f 4~ bandonne . X./ES sujets de chagrins font si frĂ©quens dans le cours de la vie, quâon ne peut guere se flatter de les Ă©viter tous il nâest permis quâĂ un fou de croire quâil nâen aura jamais. Quand on est jeune encore & fans expĂ©rience, on ne marche que fur des fleurs tout rit, tout est beau. On se persuade que ce bonheur durera toujours. Mais une si douce erreur ne sĂ©duit pas long-temps. BientĂŽt on se trouve en butte Ă la duretĂ©, Ă la trahison, aux. faux jugemens, Ă lâiniquitĂ© ou Ă la bizarrerie des hommes, & Ă tous les Ă©vĂ©nement fĂącheux dont notre triste vie a tant de peine Ă se dĂ©fendre. Il est donc Ă propos de sây prĂ©parer de bonne heure. Amassez, dĂšs la jeunesse , allez de bon esprit, assez de vertu, pour pouvoir un jour vous familiariser avec la patience. Le temps, viendra que vous en aurez besoin. Si jamais lâinjustice renverse vos projets , empoisonne votre conduite, vous prĂ©fĂšre dâindignes concurrent ; si elle vous enleve une partie de vos bieus > si elle attente Ă voti» 37 & quelquefois au dĂ©sespoir. Ceux Ă qui ce malheur arrive, sont comme inconsolables. Leur perte est fans cesse devant leurs yeux, finis considĂ©rer que des biens si fragiles ne devraient pas leur ĂȘtre si chers ni les attacher si fort. Sannazar , excellent PoĂšte latin, eut cette foiblesse ; le Comte de Nassau , GĂ©nĂ©ral des troupes de lâEmpereur en Italie, ayant pillĂ© fa maison de campagne, il en conçut un tel chagrin , quâil contracta une maladie dont il mourut. C 2 .. âą Namquc -s[>retA exolrftunt-i Ă trascare , agnito- niisntwr* 3&0 V Ă C O L E Câest une grande folie de se laisser mourir pour des biens mille fois moins prĂ©cieux que la vie. Mais la plupart des hommes y font si attachĂ©s, quâil nây a quâun grand fonds de raison ou de religion, qui puisse en faire supporter la perte avec fermetĂ©. M. de Valincourt ayantperdu sabib'io- . theque , dans lâincendie qui consuma sa belle maison de Saint-Cloud, rĂ©pondit Ă ceux qui cherchoient Ă le consoler de ce malheur J'aurais bien mal profitĂ© de mes livres , fi je »âavais pas appris Ă savoir m'en passer. On sait avec quels sentimens hĂ©roĂŻques de la rĂ©signation la plus soumise , le saint homme Job apprit la perte de tous ses biens. Tandis que le bras de Dieu sâap- pesantissoit sur lui, il bĂ©nilsoit la main qui le frappoit. Plein de reconnoissance pour les biens quâil avoit reçus, il les rendit fans murmure au MaĂźtre souverain qui les lui redemandent. On put lui enlever ses trĂ©sors, mais il en Ă©toit un plus cher que tous les autres, quâon ne lui enleva point, le respect & la soumis, sion quâil devoit Ă son Dieu. Ne croyez pas ĂȘtre souverainement malheureux , lorsque vous Ă©prouverez comme lui plusieurs revers. Combien dans le monde de millions dâhommes cent fois plus malheureux & plus Ă plaindre que vous ! Mais tout ce qui nous des MĆurs. zZi âąregarde , nous le grossissons toujours. Il nous semble que personne nâĂ©prouva jamais une disgrĂące telle que la nĂŽtre. Cette idĂ©e mĂȘme de singularitĂ© dans nos malheurs nous plaĂźt , parce quâelle autorise nos murmures. Nous voudrions que les hommes ne fussent occupĂ©s que de nos peines, comme si nous Ă©tions les seuls malheureux fur la terre. Nous ne pensons quâau bonheur dont nous avons joui ou dont nous pourrons jouir nous ne jetons nos regards que fur la fĂ©licitĂ© vraie ou apparente de ceux que nous en croyons moins dignes; au lieu dĂ©considĂ©rer ceux qui font plus infortunĂ©s que nous , ou de faire rĂ©flexion que nous aurions pu ĂȘtre encore plus malheureux. Alors vraiment nous nous trouverions heureux au sein mĂȘme de notre malheur. Un pauvre de la basse ThĂ©baĂŻde en Egypte, nâavoit, dans la plus grande rigueur de lâhiver quâune petite natte de jonc, dont il mit la moitiĂ© fous lui, & il se couvrit avec lâautre comme il put. Le froid le faisant trembler , il se consoloit lui-mĂȘme en disant Je vous rends grĂąces, mon Dieu car combien y a-t-il de riches qui , Ă cette heure-ci, font en prison U qui ont les fers aux pieds , fans pouvoir jouir de la moindre libertĂ© , au lieu que je puis du moins aller oĂč bon me semble. Il nâest guere donnĂ© quâaux pauvres de 5§a Lâ Ă c o l b souffrir ainsi avec rĂ©signation. Le partage des riches, des heureux du siede , dans les maladies & dans les autres afflictions qui leur arrivent, est assez souvent lâimpatience qui augmente les maux, le chagrin qui les aigrit, le dĂ©sespoir qui y met le comble. Un EcclĂ©siastique de beaucoup de mĂ©rite nous a racontĂ© quâĂ©tant jeune encore , un homme zĂ©lĂ© lui dit Venez avec moi , que je vous fasse voir diffĂ©rentes especes de maladies & la maniĂ©rĂ© dont on les supporte. Il le mena dâabord chez plusieurs pauvres , dont il admira la patience, la tranquillitĂ©, la joie mĂȘme au milieu de leurs maux. Il le conduisit ensuite chez une Dame trĂšs-riche & malade ils ne tardĂšrent pas Ă -ĂȘtre tĂ©moins de toutes ses impatiences dans les douleurs, de ses plaintes ameres contre les MĂ©decins qui ne la soulagement pas, de ses emportemens contre ses domestiques. Ce fut la mĂȘme chose chez dâautres Grands quâils visitĂšrent, & quâils trouvĂšrent Ă©galement occupĂ©s Ă sâaffliger, Ă se plaindre, Ă se rendre encore plus malheureux quâils ne lâĂ©toient. Nous voulons ne rien souffrir mais le bonheur parfait est-il donc fait pour des ĂȘtres imparfaits ? Darius , Roi de Perse, ayant perdu la plus chĂ©rie de ses femmes, enĂ©toit inconsolable. DĂ©mocrite lui promit de la rejsusciter. sâil pouvoir trouver des MĆurs. dans ses Etats trois personnes qui nâeussent jamais eu aucun sujet dâaffliction. AprĂšs une recherche exacte 5 on reconnut quâil Ă©toit impossible de trouver ces trois hommes heureux. Cette rĂ©flexion consola le Monarque. Nous ne devons pas nous attendre en eette vie Ă une fĂ©licitĂ© fixe & complĂ©tĂ©. Ce monde nâest le paradis terrestre que pour un trĂšs-petit nombre de personnes, qui payeront peut- ĂȘtre bien cher un jour les dĂ©lices dâun bonheur dont iis ont si peu de temps Ă jouir. Câest un grand malheur de nâĂȘtre jamais malheureux une prospĂ©ritĂ© constante corrompt,amollit , remplit dâorgueil. Philippe , Roi de MacĂ©doine, ayant reçu trois bonnes nouvelles en un jour, sâĂ©cria O Fortune , envoie-moi quelque petit malheur, pour interrompre un bonheur fi continu ! Il est rare quâon soit obligĂ© de former de pareils souhaits ; & telle est la vicisiitude des choses humaines , que les biens font presque toujours prĂ©cĂ©dĂ©s ou suivis de quelques maux. Le plus heureux des hommes est celui qui a le moins de malheurs. Attendez-vous donc Ă en avoir , & lorsquâils arrivent, soutenez- les avec courage. Si la perte qui fait le sujet de votre chagrin , vient de quelque accident que votre prudence nâa pu ni prĂ©venir ni 584 LâĂcole parer, supportez-la avec rĂ©signation. Le chagrin ne remĂ©die Ă rien, & fait souvent beaucoup de mal il deffeche, il mine, il consume, il dĂ©range la tĂšte & prĂ©cipite au tombeau. Un homme ayant perdu la vue par un accident, nâen parut pas plus triste ; il disoit au contraire plaisamment pour se consoler Auparavant y allais seul , çf? maintenants irai toujours en compagnie. Si lâaccident peut se rĂ©parer , & quâil reste encore quelque lieu Ă lâespĂ©rance, fortifiez-la par la pensĂ©e dâun avenir plus heureux. Souvent les affaires qui parois! sent prendre un tour peu favorable, avec le temps deviennent fort avantageuses. Un mal peut amener un bien. Fais tĂȘte au malheur qui tâopprime* Qu'une espĂ©rance lĂ©gitime Te munisse contre le sort. Lâair fifiie , une horrible tempĂȘte Aujourd'hui gronde sur ta tĂšte, Demain tu seras dans le port. R O US SE A IA EspĂ©rez donc que lâorage dont vous ĂȘtes surpris pallâera vite ; & pendant quâil dure, enveloppez-vous de votre vertu. â Ne renonçons jamais au bonheur, dit le PoĂšte Sadi les sources du bien & du mal sont cachĂ©es, & nous ignorons laquelle doit sâouvrir pour arroser lâespace de des MĆurs. Ăąela vie. O homme, dans le malheur fois patient, & efpere CÂŁ . LâespĂ©rance est la plus grande consolation des malheureux. Elle tarit les larmes, elle donne du courage, de la patience, de la joie. Saine Charles BorromĂ©e , qui nâĂ©toit pas encore bien rĂ©tabli dâune -longue maladie, fut obligĂ© dâaller Ă Rome pour lâĂ©lection dâun Pape. Il partit en litiere avec toutes les provisions deremedes que ses MĂ©decins lui avoient prescrits. Lorsquâil fut prĂšs de Bologne, le mulet qui Ă©toit chargĂ© de ces drogues, se laissa tomber en passant une riviere. Tous les pots furent cassĂ©s , & le reste des remedes fut emportĂ© parle courant de lâeau. Le saint Cardinal, loin de sâen fĂącher, nâen fit que rire ; & fans permettre quâon retournĂąt en chercher dâautres, il dit en riant, que cet accident Ă©toit un heureux prĂ©sage quâil nâen auroit plus besoin. Avant quâun malheur arrive, dĂ©tour- nez-le, sâil est possible ; usez de prudence & de prĂ©caution. Mais quand il est arrivĂ©, il faut sâen faire une raison, & lâoublier le plutĂŽt quâon peut. Quand on craint quâun malheur ne nous fuisse arriver, Câest alors quâil y faut rĂȘver. Y penser aprĂšs, câest folie Maxime sage & peu suivie. RICHEAk Tonte IL R 33 6 V Ă C O L E CâĂ©toit la maxime de lâEmpereur Frir- dsric IV surnommĂ© le Pacifique, dont bous avons dĂ©jĂ parlĂ©. Jamais lâAllemagne ne fut plus cruellement dĂ©chirĂ©e par les guerres civiles que fous son regne. Il tĂącha de dissiper les factions mais nâayant pu y rĂ©ussir, ni empĂȘcher le Roi de Hongrie de prendre sa Capitale, il sâen consola en voyageant. Il Ă©crivoit fur les murailles des endroits oĂč il lo- geoit Herum irrecuperandaruni oblivio summa fĂ©licitas, câelt-Ă -dire Les choses» mes amis, quâon ne peut recouvrer, Le souverain bonheur est de les oublier. Philippe II, Roi dâEspagne, Ă©toitde mĂȘme. Ayant mis en mer une flotte de soixante vaisseaux & de dix mille hommes contre lâAngleterre, elle fut entiĂšrement dĂ©truite par la tempĂȘte & par lâhabiletĂ© des Anglois. Toute lâEspagne en fut dans la plus grande consternation. Le Roi seul apprit cette perte sans changer de visage. II. Ă©crivoit quelques lettres , lorsque le Courier entra pour lui apprendre ces tristes nouvelles. Je n'avais point cru, rĂ©pondit-il., ma flotte capable de vaincre la violence des vents V la fureur de la mer j mais je remercie Dieu de m'avoir donnĂ© assez de pouvoir U de force , pour remettre en mer une flotte aussi puissante e s MĆurs. 403 que des ingrats ; & ceux Ă qui il donne le plus, font pour lâordinaire ceux qui pensent le moins Ă lui. Mais mĂ©nage-t il quelque malheur, quelque disgrĂące on tourne ses regards & ses pensĂ©es vers le Ciel, on revient Ă ses devoirs, & lâon rentre dans le sentier de la vertu quâon avoir quittĂ©. LâadversitĂ© eltun des plus sĂ»rs moyens que Dieu ait pour nous rappeler de nos Ă©garemens. Parlez Ă la plupart des hommes de renoncer Ă des pallions quâils chĂ©rissent ils vous regarderont comme un censeur importun. Les remontrances les plus touchantes, les menaces les plus terribles des jugemens de Dieu ne feront quâune foible impression. Mais vient-on Ă ĂȘtre atteint des traits de lâadversitĂ© Ăźs charme disparoĂźt, & lâon voit les objets dâun tout autre Ćil. ConsumĂ© par une fievre lente, dĂ©chu du rang oĂč lâon Ă©toit montĂ©, trahi par dâinfidelles amis, dĂ©pouillĂ© de ses biens, on reconnoĂźt que ce corps parĂ© avec tant de luxe & nourri avec tant de dĂ©licatellĂš, ce teint si brillant dont on avoit Ă©tĂ© si idolĂątre, nâĂ©toit quâune fleur passagĂšre ; que ses grandeurs humaines dont on avqit Ă©tĂ© si Ă©pris , nâĂ©toient que nĂ©ant ; & que tout ce qui avoit le plus flattĂ© nos espĂ©rances nâĂ©toit que mensonge & vanitĂ©. LâadversitĂ© nous dĂ©trompe A nous inltruit. 4Ă4 Lâ Ă c o i e EclairĂ©s du flambeau delĂ religion,nous dĂ©couvrons, dans les afflictions qui nous arrivent, la peine du pĂ©chĂ©, lâexĂ©cution des arrĂȘts dâune juilice infiniment sage , de salutaires amertumes rĂ©pandues fur les objets de nos affections , pour en dĂ©tacher notre cĆur, & lâattirer vers des biens plus solides. Elles font encore dans les principes de la Foi, & câest un second avantage infiniment prĂ©cieux des souffrances, elles font des Ă©preuves passagĂšres qui, aprĂšs avoir Ă©purĂ© nos vertus, augmentĂ© nos mĂ©rites,consommĂ© notre sanctification, doivent ĂȘtre suivies dâune gloire & dâun bonheur Ă©ternel. Aulsi lâEvangile, ce livre divin qui doit ĂȘtre la regle de nos fentirnens ainsi que de notre conduite, appelle -1~ il heureux ceux qui souffrent, ceux qui sont calomniĂ©s & persĂ©cutĂ©s pour la justice. Que nâa pas souffert Jesus-Ămst lui-mĂȘme, notre LĂ©gislateur & notre maĂźtre! Dans le dessein quâil a eu de nous servir de modele & de guide pour nous rendre heureux, eĂ»t-il choisi les souffrances, & nous eĂ»t-il fait un prĂ©cepte de porter la croix aprĂšs lui, si les souffrances nâĂ©toient pas la vraie route du bonheur. Cependant vous vous croyez le plus malheureux des hommes & le plus Ă plaindre, vous poussez de honteux fou» DES MĆuhs. 4of pirs, vous Ă©clatez en plaintes, vous rĂ©pandez des torrens de larmes fur votre malheureux fort. Ingrats, arrĂȘtez ces larmes indignes & excessives, elles font; injure Ă Dieu. En vous plaignant de vos maux , vous vous plaignez de ce quâil vous donne une des preuves les plus certaines de son amour. Parce que vous Ă©tiez agrĂ©able Ă } Dieu, dit lâAnge Ă Tobie , il a Ă©tĂ© nĂ©cejfaire que vous fujfiez Ă©prouvĂ© par la tribulation y. Ce nâest pas que je condamne absolument vos soupirs je ne prĂ©tends pas que vous foyiez de bronze , ni que vous ressembliez Ă ces Philosophes orgueilleux , qui fe faisant gloire dâĂȘtre insensibles, vouloient fonder leur farouche vertu fur les ruines de lâhumanitĂ©. Je fais que vous ĂȘtes homme, que difficilement on fe fait Ă souffrir, & quâil y a des momens oĂč lâon sent la nature Ă©branlĂ©e qui frĂ©mit. Versez des larmes , jây consens, mais versez-les en ChrĂ©tien , versez-les dans le sein de Dieu. Alors elles adouciront vos amertumes, elles calmeront vos aigreurs, & peut-ĂȘtre, ainsi quâon lâa vu dans les ApĂŽtres & dans plusieurs autres Saints, viendront- ? X&ia accĂšs tus iras DcĂ» t nccejsc suit tcntatit çrcbarette. Job. LL. § Lâ Ă c o l Ăź elles mĂȘme jusquâĂ vous rendre heureux dans vos peines. Il faudroit pour cela souffrir avec patience & avec fbumilfion mais que faites- vous '{ Au lieu dâacquiescer humblement, de vous courber avec respect sous la main qui vous trappe, de recevoir avec rĂ©signation ce quâil faudra toujours malgrĂ© vous que vous receviez ; vous souffrez souvent avec une opiniĂątre opposition aux ordres du Ciel, avec un orgueil qui, tout abattu quâil est fous la main de Dieu, fait effort pour se soulever contre lui. Vous souffrez sans aucun repentir, fans entrer dans les vues de misĂ©ricorde & de salut que Dieu se propose en vous chĂątiant. Combien nâen voit-on pas mĂȘme qui souffrent, & qui en mĂȘme temps sâabandonnent auxmouvemens de la vengeance, dans le dĂ©sir de perdre celui quâils croient la cause de leur malheur ; aux transports de la fureur, pour exhaler lâhumeur chagrine & dĂ©vorante dont ils font la proie ; quelquefois aux excĂšs du blasphĂšme & du desespoir , parce que leurs maux, loin de finir* croissent & redoublent! O mon frere, ĂŽ mon ami! car plus vous ĂȘtes malheureux , plus vous mâĂȘtes cher & plus je mâintĂ©resse Ă vos maux j dires-moi, que gagnez-vous Ă vous impatienter, Ă vous rĂ©volter contre Dieu? des MĆurs. 427 RĂ©tablissez-vous par-lĂ votre santĂ©, votre fortune, votre crĂ©dit, votre honneur? Par vos emportemens furieux remĂ©diez- vous Ă quelque chose ? non. Tout ce que vous gagnez au contraire, câest dâenfoncer plus avant le trait qui vous dĂ©chire, câest de changer en poison le remcde salutaire que la Providence vous offroit, câest de vous creuser dĂšs-Ă -prĂ©sent un enfer, en attendant cet enfer encore plus affreux oĂč vous vous prĂ©cipitez. Plus je pense Ă votre fort, plus il mâattendrit & me pĂ©nĂ©trĂ©. Car enfin quâun coupable fortunĂ© , quâun homme de plaisir & de bonne chere se perde ; Ă perte mâest sensible, & je le plains, mais du moins il a goĂ»tĂ© quelques douceurs, douceurs fauflĂšs & trompeuses, douceurs pailĂ geres & fugitives, je le lais ; douceurs cependant qui lâont amule, & qui lui ont fait couler quelques jours dans une agrĂ©able iyresse. Mais vous, aprĂšs une vie traversĂ©e par de funestes acci- dens, dĂ©clarĂ©e par les peines, & passĂ©e dans les pleurs, si vous venez Ă vous perdre, si vos maux deviennent par votre faute une anticipation des flammes Ă©ternelles , si du prix dont vous pouviez acheter le. Ciel vous vous creusez un affreux abyme ; est-il un fort plus dĂ©plorable que le vĂŽtre , & ne peut-on pas vous nommer tout Ă la fois le plus 4og V Ă C 0 L s insensĂ© & le plus infortunĂ© des hommes ? En souffrant comme un dĂ©sespĂ©rĂ© & malgrĂ© vous, ne vous faites-vous pas mille fois plus de mal que la malignitĂ© des hommes ou toute la vivacitĂ© de la douleur ne peut vous en faire ? Quelle tranquillitĂ© , quel repos pouvez-vous avoir parmi les agitations , les convulsions qui vous dĂ©chirent ? Certes, vous Ă©coutez bien peu votre raison & votre religion. Puisque câest une nĂ©ceflitĂ©de souffrir, que ne mettez-vous Ă prosit vos souffrances & vos peines? que n'amassez-vous des trĂ©sors pour le Ciel ? que ne vous assurez - vous un bien que les hommes ni la fortune ne vous enlĂšveront pas, & qui est infiniment plus grand que celui dont la perte est peut- ĂȘtre aujourdâhui ce qui vous afflige si fort ? BientĂŽt viendra le moment oĂč vous ferez charmĂ© de nâavoir pas Ă©tĂ© plus heureux. Cette Providence que vous ĂȘtes tentĂ© de condamner fur la terre, lorsque les voiles seront levĂ©s, vous la bĂ©nirez Ă©ternellement. LâEmpereur Maurice ayant refusĂ© par avarice de racheter douze mille de ses sujets , quâun Roi Arabe a voit fait prisonniers, quoiquâil nâĂ«xigeĂąt pour leur rançon que quatre oboles 6 par 6> LYbole Ă©tnit la sixiĂšme partie du denier Romain', 40Ă valoit environ 10 Ă IĂź C. de France, selon M. Roilin, des MĆurs. 40 s par tĂšte , ils furent tous passĂ©s au fil de lâĂ©pĂ©e. Maurice, touchĂ© de fa sauce, demanda au Seigneur dâen ĂȘtre puni en ce monde ; instruit par la religion, que les plus grandes souffrances de cette vie ne sont rien, comparĂ©es Ă celles que la Justice divine rĂ©serve en lâautre. Phocas, qui de .simple Centurion Ă©toit parvenu aux premiĂšres dignitĂ©s de lâarmĂ©e, se fit proclamer Empereur, massacra la femme & les enfans de Maurice en sa prĂ©sence, & le fit ensuite Ă©gorger lui-mĂȘme. Ce Prince, pendant ces tristes exĂ©cutions » ne se plaignit point il prononqoit souvent ces paroles de David, en levant les yeux au Ciel Vous ĂȘtes jufle , Seigneur , ÂŁ*? votre jugement est Ă©quitable C 7 . Que des accidens ou lâinjustice des hommes viennent donc renverser votre fortune, que des traits calomnieux attaquent votre rĂ©putation, que des maladies longues & violentes vous fassent ressentir leurs atteintes, que la mort impitoyable vienne moillonner vos plus cheres espĂ©rances ou vous tnâever votre plus solide appui victime des misĂ©ricordieuses rigueurs du Ciel, ranimer 7 Julius es , Domine , St rclium est judisium tuusVr Ăź'k. 118. Tome H 8 41© L' Ă C O L E votre courage, & fortifiez-le par les motifs de la religion que nous venons de vous exposer ; motifs infiniment supĂ©rieurs Ă tous ceux que la raison & la sagesse humaine pour oient donner. Cel- les-ci ne font le plus souvent que sus. pendre pour quelques momens la douleur , fans la guĂ©rir elles adoucissent les petits chagrins, & laissent aux grandes peines toute leur amertume. La religion feule peut nous consoler vĂ©ritablement dans tous nos chagrins , quelque grands quâils soient. Elle peut calmer toutes nos peines, adoucir toutes nos afHictions, & rendre Ă notre courage Ă©branlĂ© par les malheurs les plus accablans toute fa force. Lâhistoire d âEiĂ©onor, cette pieuse ImpĂ©ratrice dont nous avons dĂ©jĂ parlĂ© plusieurs fois, nous en offre un Ă©difiant & noble exemple. En i6g?, annĂ©e fatale qui remplit dâĂ©pouvante toute lâEurope , une formidable armĂ©e de Turcs laissant de fortes places derriĂšre elle, pat une 4e ces heureuses tĂ©mĂ©ritĂ©s qui rĂ©ussissent quelquefois contre toutes les rĂ©glĂ©s de la guerre, sâavança Ă grandes journĂ©es pourfondre furVienne. A cette nouvelle, toute la Cour fut dans la consi ternation on tint conseil, & il fut arrĂȘtĂ© dâabord que lâEmpereur & lâImpĂ©ratrice se retireroient au plutĂŽt, pour ne pas exposer dans leurs augustes personnes je DES M E 0 Ăź 8. 4M salut & la majestĂ© de lâEmpire. Le 7 de Juillet, sur le soir, LĂ©opold avec toute se maison sortit de Vienne du cĂŽtĂ© que le Danube mettoit Ă couvert des Turcs, Les ennemis se prĂ©sentĂšrent devant la place , tandis que lâEmpereur en sortent du cĂŽtĂ© opposĂ©. On peut juger quels durent ĂȘtre dans cette suite prĂ©cipitĂ©e les sentimens de PinfortunĂ©eElĂ©onor, quand elle vit Ă travers les ombres de la nuit au-delĂ du Danube les villages en feu, les armes Ă©tincelantes de lâennemi, les campagnes inondĂ©es dâune armĂ©e innombrable de Turcs & de Tartaros , la ville impĂ©riale exposĂ©e Ă un assaut prochain, lâEmpire Ă deux doigts de fa perte , & elle-mĂȘme contrainte de fuir malgrĂ© une grossesse avancĂ©e, fans appui, fans secours, avec un Ă©poux tendrement aimĂ©, dont elle ressentoit vivement lâinfortune , & avec des enfans qui nâĂ©toienfe- pas encore en Ăąge de sentir leur malheur. La premiĂšre nuit, ils arrivĂšrent Ă un petit village, oĂč ils essuyĂšrent tout ce que lâindigence a de plus affreux. Ils surent obligĂ©s de le retirer dans une chaumiĂšre dĂ©serte & dĂ©pourvue de toutes choses on nây trouva ni lits , ni chambres , ni vivres. CâĂ©toit un spectacle capable dâattendrir, que de voir ces augustes personnes qui commandoient un fi 4u Lâ Ă c o t e vaste Empire, exilĂ©es dans leurs propres Etats, & rĂ©duites dans une misĂ©rable cabane aux horreurs de la pauvretĂ©. Un courage moins terme enauroit Ă©tĂ© abattu ; mais au milieu de lâĂ©pouvante universelle & de la consternation oĂč Ă©toit toute la Cour, on voyoit LlĂ©onor intrĂ©pide, & le vertueux LĂ©opold avec une majestĂ© aussi sereine & ausii paisible que sâils eussent Ă©tĂ© dans leur palais au sein de lâabondance & en pleine furetĂ© ils songeoient, dit lâAuteur de la Vie de cette Princesse, Ă lâĂ©tat encore plus malheureux oĂč leur Dieu & le Roi des Rois sâĂ©toit rĂ©duit lui-mĂȘme en naissant. Dans cette extrĂ©mitĂ© des affaires de lâEtat, la feule chose qui Ă©branla un peu lâinvincible constance dâElĂ©onor, fut le parti que prit lâEmpereur dâaller malgrĂ© tous les pĂ©rils joindre lâarmĂ©e, quâon ĂŻassembloit contre les Turcs. Le jour mĂȘme de son dĂ©part, lâImpĂ©ratrice avoit accouchĂ© dâune Princesse. Ses couches furent trĂšs-heureuses, malgrĂ© tant de voyages , dâinquiĂ©tudes, de frayeurs & de calamitĂ©s, qui faisaient craindre pour elle ; mais elle en dut le succĂšs moins encore Ă la bontĂ© de son tempĂ©rament quâĂ la fermetĂ© de son esprit incapable d'ĂȘtre abattu par la continuitĂ© des malheurs, auxquels toute autre femme dans l'a situation auroit infailliblement suc- des MĆurs. 413 combĂ©- Le Ciel rĂ©compensa enfin tant de courage & de vertu par une victoire signalĂ©e, quâon remporta sur lâarmĂ©e Ottomane , & qui fut suivie de la levĂ©e du siege de Vienne. Quelle consolation plus douce que celle de la religion , pour une personne malheureuse, en proie aux douleurs & aux miseres de lâhumanitĂ© Ăź Et qui pou- roit ne pas applaudir aux beaux senti- mens dâun Philosophe StoĂŻcien.' 1 ,, Câest Dieu qui mâa formĂ©, disoit EpiBete puiißé-je Ă mes derniers momens lui dire O mon MaĂźtre, ĂŽ mon Pere, tu as voulu que je souffrisse, jâai souffert avec rĂ©signation tu as voulu que je fusse pauvre, jâai embrassĂ© la pauvretĂ© tu mâas mis dans la bassesse, & je nâai point voulu ki grandeur tu veux que je meure, je tâadore en mourant CÂŁ . Ce hĂ©ros de la patience paĂŻenne Ă©toit esclave dâEpaphrodite , Capitaine des Gardes de NĂ©ron. Il prit un jour fantaisie Ă ce maĂźtre barbare de sâamuser Ă tordre la jambe de son esclave. Epictete sâappereevant quâil recommençoit avec plus de force, lui dit en souriant & fans sâĂ©mouvoir Si vous continuez, vous me causerez infailliblement la jambe. Ce qui Ă©tant arrivĂ© en effet Ne vous lâavois-je pas bien dit , reprit tranquillement Epictete ? Cesse le Philosophe ayant opposĂ© 4*4 V E c o l 2 ce trait de modĂ©ration aux ChrĂ©tiens ? en disant Votre Christ a-t-il rien fait de plus beau Ă fa mort ? Oui , dit lĂ infc Augustin , il sââ ist tu. La religion feule nous fait recevoir tout ce qui peut nous arriver de plus fĂącheux, avec une patience, une rĂ©signation, une joie mĂȘme, que ne connut & ne donna jamais le superbe stoiffsme, / lui qui se ro'dissant contre le sentiment intĂ©rieur par la honte de paroĂźtre foiĂŒe, cachoit un dĂ©sespoir rĂ©e isous une apparente tranquillitĂ©. Eh ! comment enesict les infortunĂ©s auroient-ils trouvĂ© des consolations dans un systĂšme qui acca- bloit lâhomme souffrant sous le joug insurmontable du Destin, & ajoutait Ă ses afflictions la nĂ©ceisitĂ© plus affreuse encore de cacher ses larmes ? La religion ChrĂ©tienne, bien diffĂ©rente de cette orgueilleuse philosophie, ne travestit pas la vertu fous de belles, mais chimĂ©riques idĂ©es. Elle ne se fait pas une fĂąusse gloire de rendre insensible. Mais elle soutient, elle anime par les plus grands exemples, par les plus consolantes promesses ; & ce que le monde & la philosophie nâont jamais vu, elle montre dans un ChrĂ©tien affligĂ© un homme heureux dans ses peines & dans ses souffrances. Toutes mes tribu - ht ions , disoit lâApĂŽtre, me remstlijfetiS dbs M Ć u X s; 41s Sâiitie jĂ€he que je ne puis ni exprimer ni tontenir S. Qui que vous soyez qui souffrez, qui ĂȘtes en proie Ă lâafRiction, Ă la douleur, au chagrin jetez-vous de mĂȘme dans les bras de la religion, & vous Ă©prouverez les mĂȘmes sentimens, la mĂȘme consolation. Mais, que puisse ĂȘtre votre Ă©tat, gardez-vous fur-tout de fatiguer le public du dĂ©tail" de vos peines. , 11 nây a que de lâorgueil ou de la puĂ©rilitĂ© Ă seplaindre continuellement de ses malheurs. Nâen parlez quâĂ vos amis les plus intimes & les plus capables de vous consoler encore le feront-ils bien moins que Dieu, Si vous avez assez de force, ne confiez vos peines quâĂ lui seul. Les hommes, pour lâordinaire, mĂ©prisent les malheureux ou en font peu touchĂ©s. On nâest guere sensible quâĂ ses propres maux. Souvent la sensibilitĂ© quâon nous tĂ©moigne nâest que fur les lĂšvres, ou nâest, comme celle des amis de Job, quâune pitiĂ© orgueilleuse, plus cruelle' mĂȘme Ă supporter que les plus grands malheurs. Un Marchand qui venoit de faire une perte considĂ©rable, recommanda Ă son fils de garder le secret. Le 1 8 Super/tbuntlo giudi» in emni tribulations -nijĂmj IX. CutiiiUi. r. § 4 * 4iS Lâ I e o i e fils promit dâobĂ©ir, mais il pria son pere de lui dire le motif de cette recommandation. Câejlafn, mon fils, lui rĂ©pondit le pere, qu'au lieu d'un malheur nous rien ayions pas dĂ©ux Ă supporter, celui dâavoir fait cette perte , lâautre de nous voir consoler par des gens qui nâ accordent' leur eĂime quâĂ ceux qui rĂ©ujjisfent. Si ce sont des dĂ©sordres & des chagrins domestiques, il est encore moins a propos de sâen plaindre. Ceux qui les souffrent doivent rougir dâen parler, autant que ceux qui les font. On a toujours tort dâen instruire le public. Un mari qui essuyoit souvent la mauvaise humeur de sa femme, ne lui opposoit dâautres armes que le silence. Un de ses amis lui dit On voit bien que vous craignez votre femme. Ce nâejlpoint elle que je crains, reprit le mari, câefl lâĂ©clat , qui fer oit son dĂ©shonneur U le mien. âą===^iui!f==â==tc Ne faites rejaillir vos peins s fur personne. Ds quelque source que viennent vos chagrins , ce ferait une grande injustice de les faire retomber fur les autres. Ce ferait imiter ces animaux furieux qui se jettent sur tous ceux qui ont le malheur de les rencontrer. Ne confondez pas les innocens avec lĂšs coupables, & nâaffligez b e s MĆurs. 417- pas les autres parce que vous avez du chagrin. Quelle triste consolation, que de rendre malheureux ceux qui vivent avec vous ! Voyez cet homme quâun revers imprĂ©vu accable ou que la bile suffoque. Il ne rentre dans fĂ maison quâavec toutes les marques de la fureur. LâĆil en feu, lâair menaçant, les paroles foudroyantes Ă la bouche, il dĂ©charge son courroux sur tout ce qui se prĂ©sente. Ce spectacle vous rĂ©volte & vous indigne gardez-vous donc de le donner jamais. Evitez aufli de ressembler Ă ces grondeurs Ă©ternels, espece dâhommes inquiets & turbulens , qui exhalent fans celle, & contre tout le monde, leur mauvaise humeur. Quoique ce dĂ©faut semble appartenir aux vieillards, comme un effet de la faiblesse ou des infirmitĂ©s dont la nature est alors assaillie, & comme un reste dâautoritĂ© qui expire avec un long murmure ; il est pourtant de tous les Ăąges, sur tout dans les personnes nĂ©es avec une bile prompte Ă fermenter & Ă sâenflammer. Ceux qui ont ce dĂ©faut, le fĂąchent fans sujet, crient pour une faute lĂ©gĂšre, & sâemportent quand on leur rĂ©pond il nâest pas mĂȘme permis dâavoir raison avec eux. Ont-ils reçu quelque sujet de mĂ©contentement de la part de certaines personnes Ă qui ils 4*8 Lâ Ă c o l s doivent des Ă©gards dĂšs quâils se trouvent en libertĂ© au milieu de leur famille , ce sont des cris , des plaintes, des injures, des menaces, une tempĂȘte dâautant plus violente, quâelle a Ă©tĂ© resserrĂ©e & grossie par la contrainte. Leur bile qui fort Ă grands flots , se rĂ©pand sur leurs amis mĂȘme que pouroient-ils faire de pis Ă leurs plus grands ennemis ? Aussi tous fuient dĂšs quâils le peuvent, & les laissent seuls. Ils nâont pas mĂȘme la consolation qui reste souvent aux malheureux, celle dâĂȘtre plaints le mal quâils font empĂȘche de compatir au leur. Ceux qui font souffrir les autres de leurs chagrins, font dâautant plus injustes , que souvent ils ne doivent les imputer & les attribuer quâĂ eux-mĂȘmes. Ils se sont attirĂ© par leur faute les maux qui leur arrivent, ils font les premiers artisans de leurs peines. On les a insultĂ©s dâune maniĂ©rĂ© atroce, parce que peut- ĂȘtre ils ont pour tout le monde des fiertĂ©s & des hauteurs' qui rĂ©voltent. Ils viennent de perdre un procĂšs qui les ruine 5 câest quâils lâont eux-mĂȘmes intentĂ©, & que par une cupiditĂ© aveugle ou par une' haine obstinĂ©e, ils nâont voulu fe prĂȘter Ă aucun accommodement. Ils ressentent dans tous leurs/-membres des douleurs aiguĂ«s & cruelles, parce que, dĂ©terminĂ©s Ă & livrer fans mĂ©nagement Ă tous leurs > BBS MĆurs. 415? $Iaisifs, ils ont fait des excĂšs capables de ruiner le tempĂ©rament le plus fort. Puisqu'ils ne font malheureux que par leur faute, nây a-t-il donc pas autant de folie que dâinjustice Ă sâen prendre aux autres & Ă vomir contre eux, comme il arrive souvent, tout le venin de leur mauvaise humeur? Ne dites pas que votre mal est un ds ceux dont 011 ne peut ĂȘtre guĂ©ri quâen changeant de tempĂ©rament & de corps. Ce prĂ©jugĂ© naĂźt du dĂ©couragement auquel on se livre, lorsquâon a Ă©prouvĂ© la difficultĂ© quâil y- a de contredire son amour-propre & ses pallions. Mais il est faux quâon ne parvienne pas Ă fĂš corriger du dĂ©faut dont nous parlons ici * lorsque, sans se rebuter, on sâapplique sincĂšrement Ă le faire. L'impossibilitĂ© quâon prĂ©texte nâell quâun manque de courage, une lĂąche foibleise, qui nous fait cĂ©der Ă lâhumeur, parce quâil en coĂč- teroit dâabord un peu pour se rcidir' contre elle & la vaincre. Mais en voulant sâĂ©viter une courte peine qui feroit bientĂŽt triompher , on nourrit & lâon entretient des ennemis domestiques, qu» renaiisent sans cesse & se multiplient 9 parce quâon nâa pas voulu les dompter. On sâabandonne Ă son naturel vicieux ? ©n nâoppose rien au penchant , on le Iaido' .maĂźtriser par lâhumeur, & on lui cedĂŽ 410 Lâ Ă C 0 L Ăź honteusement le domaine que devoir avoir la raison. Mais quâen arrive-t-il ? Cette mauvaise humeur quâon a flattĂ©e , mĂ©nagĂ©e, devient pour lâhomme qui sâĂż livre son plus cruel tyran. Quel trouble ne cause- t-elle pas dans lâesprit! quelle tempĂȘte nâexcite-t-elle point dans le cĆur! Ses moindres effets font dâobscurcir les jours les plus sereins , dâempoisonner tous les plaisirs de la vie , & de nous rendre mĂȘme Duc de Milan, aiĂźiĂ©gĂ© dans un chĂąteau par les Florentins qui le pressoient vivement, ne trouvoit aucun mets Ă son goĂ»t lorsquâil Ă©tĂ«it Ă table. Il en querelloit souvent son Cuisinier,qui,aprĂšs plusieurs autres excuses, lui dit enfin Voulez-vous, Monseigneur, que je vous parle nettement ? Les viandes font bonnes N bien prĂ©parĂ©es , mais ce font les Florentins qui vous dĂ©goĂ»tent . des MĆurs. 4%i XXIV. Supporte ÂŁ les humeurs ÂŁ j 9 les dĂ©fauts dâautrui. O N est obligĂ© de vivre avec toute* sortes de caractĂšres & dâhumeurs il fera plus aisĂ© de nous conformer aux humeurs des autres, que de conformer les autres Ă la nĂŽtre; & dâailleurs, câest un fort, mauvais caractĂšre que de ne pouvoir supporter celui des autres. Heureux ceux qui font nĂ©s avec le moins dâimperfections! car nous en avons tous, & celui qui croit ĂȘtre fans folie nâest guere sage. Puisque chacun de nous a ses foibleflĂšs & ses dĂ©fauts, pourquoi refuserons - nous aux autres la mĂȘme indulgence que nous attendons dâeux, & dont nous avons Ă©galement besoin ? Mais lâamour - propre qui nous donne tant de complaisance pour nos dĂ©fauts^ nous rend ceux des autres insupportables. envers nos pareils, & taupes envers nous* Xous nous pardonnons tout, & rien aux autres hommes.. Un Philosophe PaĂŻen rĂ©pĂ©toit souvent Ă ses disciples cette belle maxime ; Pardonnez, tout aux autres , & ne vou? tzrr Lâ Ă c o l 3 pardonnez rien Ă vous-mĂȘmes. Quand oft sâĂ©tudie bien & quâon sâapplique Ă se connoitre , on se trouve ii rempli de dĂ©fauts, quâon nâa pas de peine Ă excuser dans aut> ui ceux qui paroiĂŒfent les moins excusables Ă moins que par devoir on ne soit obligĂ© de les corriger & de les punir Encore lâhomme sage & compa- tilßà nt aux foibleflcs de lâhumanitĂ© , le fait-il avec beaucoup de modĂ©ration & de douceur > & il pardonne dâautant plus facilement, quâil nâignore pas quâil a souvent lui-mĂšme besoin de pardon. Mais que cette bontĂ© indulgente est rare, & quâil est difficile Ă la plupart des hommes dâĂȘtre comens de quelquâun Ăź Ils font si remplis dâamour propre, quâils ne font guere satisfaits que dâeux-memes ; & telle est leur injustice, que ceux qui font le plus souffrir, sont presque toujours ceux qui veulent le moins souffrir des autres. La iagesse doit nous dĂ©couvrir nos dĂ©fauts, & la charitĂ© doit couviir Ă nos yeux ceux du prochain. Si nous ne pouvons nous empĂȘcher de voir des dĂ©fauts marquĂ©s, parce que ce fer oit manquer dâesprit, ne les voyons que pour ne pas en avoir de pareils ; & jetons auffi-tĂŽt les yeux fur nos propres fâoiblt liĂ©s, afin dâapprendre Ă supporter les leurs. Lorsque vous rencontrez des per- des MĆurs. 423 sonnes qui vous dĂ©plaisent, cachez soigneusement votre aversion la faire sentir, ce seroit manquer de bontĂ© & de politeflĂš. Aimez les gens dâesprit, les sages & les personnes aimables mais sousi'rez lĂ©s sots, les fous & les fĂącheux, puitquâils font si communs. Câelt une grande foibleilĂ© » que de souffrir impatiemment celles des autres. Rire de ceux qui ont quelque difformitĂ© dans la figure, câest une petitesse quâon ne pardonne pas aux enfâans. Ne devroit-il pas en ĂȘtre de mĂȘme des dĂ©fauts du caractĂšre '{ Est-on moins Ă plaindre dâavoir le cĆur gauche, lâesprit tortu, lâhumeur raboteuse, que dâĂȘtre boiteux ou bossu ĂŻ 11 est vrai quâon ne peut ni sâalonger la jambe ni se redresser la taille, & quâon peut corriger les dĂ©fauts du caractĂšre. Mais on doit convenir que la chose est difficile; & la peine que les hommes ont Ă se corriger, nâest-elle pas un accroissement Ă leurs dĂ©fauts , qui demande de nous un redoublement dâin- âądulgence ? Il regne dans la sociĂ©tĂ© une si grande contrariĂ©tĂ© dâhumeurs , que câest une nĂ©cessitĂ© , un devoir de charitĂ© & de justice de se supporter mutuellement; & puisque dans ce conflit dâhumeurs & de ca. racteres si diffĂ©reras , il est impossible de sâaccorder parfaitement > fĂąchons, da 424 V E C O L E moins nous rapprocher & nous unir pair les liens universels de la charitĂ© & de lâindulgence. Cette vertu est absolument nĂ©cessaire quand on veut vivre avec les hommes mais elle est dâun usage bien plus indispensable & plus frĂ©quent entre les proches & les personnes qui demeurent ensemble. Socrate , dont on a dĂ©jĂ vu lâĂ©tonnante modĂ©ration Ă lâĂ©gard de ses ennemis, peut encore servir ici de modele. Sans sortir de chez lui, il trouva de quoi exercer sa patience. Il avoir une femme dâune humeur bizarre, emportĂ©e, violente. Il laconnoissoittelle, & il disoit quâillâavoit choisie exprĂšs , parce que sâil venoit Ă bout de supporter ses brusqueries , il nây auroit personne avec qui il ne pĂ»t vivre. Sâil lâavoir prise dans cette vue, il dut certainement en ĂȘtre content. Elle lui faisoit toutes sortes dâoutrages & dâavanies. Dans la colereelle lui arra- choit son manteau en pleine rue , & mĂȘme un jour, aprĂšs lui avoir dit toutes les injures que la fureur peut suggĂ©rer Ă une femme de ce caractĂšre, elle lui jeta un pot dâeau sur la tĂȘte. Il ne sâen Ă©mut pas, & dit seulement qu'il fallait bien que la pluie tombĂąt aprĂšs un fi grand tonnerre. La douceur, la patience, lâindulgence pour les dĂ©fauts de leur Ă©poux nâest pas des MĆurs. moins nĂ©cessaire aux femmes, & peut- ĂȘtre mĂȘme Pest-elle encore plus. Elles doivent avoir le courage de soutenir le dĂ©goĂ»t, la colere, les mauvaises façons, les mĂ©pris mĂȘme de leurs maris. Une femme tendre, vertueuse & raisonnable, qui, malgrĂ© tous ses efforts, se voit en butte Ă la mauvaise humeur dâun Ă©poux ; une femme qui nâa jamais la satisfaction de sâentendre applaudir fur les meilleures actions ; qui mĂȘme est obligĂ©e de les cacher & de paroitre quelquefois avoir tort ; qui dĂ©robant son malheur Ă tous les yeux Ă©trangers, tĂąche de sauver les dehors & de cacher au public tout ce qui peut lâĂȘtre; qui souffre sans se plaindre , & qui excuse ce quâelle nâa pu prĂ©venir ni empĂȘcher dâĂ©clater que cette femme est grande ! quâelle est estimable ! & quel est le mari assez dĂ©pourvu de sentiment & de raison, pour ne pas cĂ©der enfin Ă tant de vertu ! Ce triomphe , le plus glorieux pour une femme, fut celui de Vincentine Lo~ melin , cette illustre GĂ©noise, Fondatrice des Annonciades-CĂ©lestes , dont nous avons dĂ©jĂ louĂ© ailleurs la charitĂ© bienfaisante. MariĂ©e avec Etienne Centurion, Gentilhomme de GĂšnes, elle trouva, dit lâHistorien de fa vie, au commencement de son mariage plus dâĂ©pines que de roses. Quoique son mari eĂ»t beaucoup 426 Lâ Ă C O t S dâestime & dâaffection pour elle, il la fĂźt extrĂȘmement souffrir, parce quâil Ă©toit naturellement prompt & colere, difficile Ă contenter, trouvant Ă redire Ă tout ce quâelle disoit ou faisoit, & souvent sans avoir aucun sujet, ainsi quâil lâavouoit lui-mĂȘme. Elle ne lui opposa que la patience, la douceur, la complaisance, qui le firent enfin rougir de ses humeurs & de ses brusqueries ; il reconnut que fa femme, toujours Ă©gale, toujours prĂ©venante , ne 'mĂ©ritoit que l'a tendresse. BientĂŽt le calme & la paix succĂ©dĂšrent aux tempĂȘtes & aux querelles. ChĂ©rie & respectĂ©e de son Ă©poux, elle eut encore le bonheur de le voir, comme elle, le donner tout entier Ă Dieu , & partager ses bonnes Ćuvres & ses pieux exercices. Si les Ă©poux doivent supporter mutuellement leurs dĂ©fauts & leurs mauvaises humeurs, Ă combien plus forte raison les enfans doivent-ils supporter ceux de leurs parens, & avoir en quelque forte un respect aveugle pour eux, lors mĂȘme quâils en ont le plus Ă souffrir. Un Grec maltraitait son fils j parce que, difoit-ily il nâavoit rien appris Ă lâĂ©cole de Zenon. Le fils, qui soulfroit ce mauvais traitement lĂ ns murmurer, lui rĂ©pondit Mon pere , â ai-je pas beaucoup profitĂ©, puisque j'ai appris Ă souffrir avec patience ? Le trait suivant nâest pas moins beau* des MĆurs.â 427 Une Dame vieille & laide Ă©toic venue dans une afĂŻĂšmblĂ©e, coiffĂ©e comme une folle. Un Ă©tranger qui Ă©toit au parterre rioit en la voyant. Le fils de cette Dame fe trouva par hasard auprĂšs de lui. Cet Ă©tranger lui demanda fans le connoffre Ne trouvez-vous pas cette vieille bien ridicule dans fa coiffure ? Je penser oi \ lĂ - iejsus comme vous > rĂ©pondit le fils, fi elle 11 Ă©toit pas ma nitre. Ce que les enfans doivent faire pour leurs parens, nous devons avec quelque proportion le faire les uns pour les autres. Câest le moyen de rendre le commerce de la vie plus agrĂ©able & plus doux. Notre mĂ©nagement pour les autres nous en attirera de leur part. Notre indulgence Ă supporter les dĂ©fauts dâautrui nous rendra nous-mĂȘmes plus supportables ; elle rendra nos liaisons plus constantes, & lâaccomplissement de nos devoirs plus gracieux & plus facile. Nous devons travailler tous, pour le bonheur de la sociĂ©tĂ© & pour notre propre bonheur, Ă nous rendre tellement maĂźtres de nous- mĂȘmes , que nous sacrifiions volontiers nos inclinations & nos pallions Ă celles des autres. Si nous voulons suivre les nĂŽtres en tout & ne rien souffrir de personne , outre quâil nous fera impossible dây rĂ©uHir,^! est encore plus impossible çue nous ns mĂ©contentions les autres, 428 Lâ Ă C O L E & que tĂŽt ou tard le contre-coup ne retombe sur nous. Il faut donc par nĂ©cessitĂ© nous attendre Ă souffrir des autres, & travailler fans cesse a nous en faire uns douce A salutaire habitude. La patience, cette vertu si nĂ©cessaire, & que nous perdons si souvent pour rien , sâacquerra par lâexercice , & nous procurera les plus doux fruits. Non-feulement elle nous fera aimer des autres, niais aussi elle Ă©moussera le sentiment des peines au lieu que lâimpatience les multiplie , les rend plus sensibles, & fait quâon ne souffre jamais tant, que lorsquâon ne veut rien souffrir. Dans la sociĂ©tĂ© , câest la raison qui doit se plier la premiĂšre ; & puisque les fous font le plus grand nombre, les sages doivent leur cĂ©der dans les choses indiffĂ©rentes & permises câest quelquefois le meilleur moyen de leur faire sentir- & reconnoitre leur folie. Le MarĂ©chal de la FertĂ© voulant donner du chagrin Ă M. de Turemie , roua de coups un de ses Gardes, qui ne manqua pas dâen porter ses plaintes Ă son maĂźtre. Vous ĂȘtes un fripon V un coquin , lui dit M. de su-, renne M. de la FertĂ© ne vous eut pas frappĂ© , fi vous ne Paviez mĂ©ritĂ©. Il le fit mener ensuite Ă M. de la FertĂ©, pour sâen faire telle justice quâil souhaiterait. Le MarĂ©chal qui par cette action ne des MĆurs. 42s Put sâempĂȘcher de reconnoĂźtre la prudence de M. de Turenne, dit dans une espece de dĂ©pit contre lui-mĂȘme Morbleu? cet homme sera-t-il toujours sage, b ni0! toujours fou ? Câeitque Turenne avoit encore, dans une autre occasion, sait Ă©clater lĂ modĂ©ration & lĂ stgeise, Ă lâĂ©gard du mĂȘme MarĂ©chal. Un jour quâil se prĂ©parĂąt a attaquer les lignes dâune place assiĂ©gĂ©e, il trouva quâil lui manquoit quelques outils; & se souvenant que jĂżi. de ia TerrĂ©, qui commandoit avec lui, en avoir de superflus, il lui en envoya demander par un de ses Gardes. Celui-ci revint fort troublĂ©, rapportant plusieurs choses dĂ©sagrĂ©ables que ce MarĂ©chal lui avoir dites en refusant de donner des outils M. de Turenne se tournant vers les Officiers qui Ă©toient auprĂšs de lui Puisqu'il ejl en colere Ăf? de mauvaise humeur , dit-il , il faudra nous en passer & faire comme fi nous les avions. 11 attaqua les lignes, les força, & eut-toute la gloire du succĂšs , qui ne le vengea pas moins du MarĂ©chal jaloux, que la mĂŽdĂ©-5 ration quâil avoit fiait paraĂźtre. Hke-Zk 4;s LâĂco le ^r » Soyt{ des malheureux le plus solide appui. Les Grands doivent aux petits &aux foibles lâappui de leur autoritĂ© & de leur puissance les riches doivent aux pauvres & aux malheureux lâappui de leur crĂ©dit & de leurs richesses. Nous avons dĂ©jĂ eu lieu de parler ailleurs de cette double obligation que la loi divine & naturelle leur impose mais on ne sauroit trop remettre sous les yeux les devoirs, quâon se plaĂźt si souvent Ă oublier ou Ă mĂ©con- noĂźtre. Puisse le nouveau jour sous lequel nous allons tĂącher de les prĂ©senter, faire encore plus dâimpresiion,& achever de gagner Ă lâhumanitĂ© des cĆurs quâelle rĂ©clame ! Le souverain MaĂźtre des hommes a voulu quâil y eĂ»t des Grands & des petits, des hommes qui commandassent & des hommes qui obĂ©issent ; parce que la subordination est nĂ©cessaire au maintien de la sociĂ©tĂ© , & quâune indĂ©pendance totale seroitune source continuelle dâusurpations & de meurtres. Mais il a tempĂ©rĂ© cette inĂ©galitĂ© si grande qui se trouve entre les conditions, en voulant que lâavantage que lâon a dâĂȘtre au-dessus du commun des hommes, ne fĂ»t quâun engagement Ă ĂȘtre tout entier pour eux, a e s MĆurs. 4^1 Les Grands, ainsi que ne craignoitpas 4 e le leur dire le cĂ©lĂ©brĂ© EvĂȘque de Clermont , ne doivent leur Ă©lĂ©vation quâaux besoins publics ; & loin que les peuples soient faits pour eux, ils ne font eux- mĂȘmes tout ce quâils font que pour les peuples. La Providence se dĂ©charge sur euxdusoindesfoibles & des petits. Ils ne font que les ministres de fa bontĂ© & de fa Providence ; & ils perdent le droit & le titre qui les fait Grands,dĂšs quâils ne veulent lâĂȘtre que pour eux-mĂȘmes 9 . Dieu uâĂ©leve les Grands au-deifus des autres , que comme il a Ă©levĂ© le soleil au- dessus des hommes , pour ĂȘtre leur bien- faicteur universel. Dans ses desseins le Grand doit ĂȘtre le consolateur des affligĂ©s, letuteur desfoibles , lâhomme destinĂ© Ă faire des heureux parmi les autres hommes. Tel a Ă©tĂ© dans ce siĂšcle le vertueux Duc d'OrlĂ©ans, fils du cĂ©lĂ©brĂ© RĂ©gent delĂ France, fous la minoritĂ© de Louis XV. Il fut vraiment le pere de tous les pauvres & de tous ceux qui Ă©toientdans le quelque Ăąge, de quelque sexe, de quelque condition que fussent les malheureux, ils Ă©toienfc assurĂ©s de trouver de la compassion dans le coeur de ce Prince, & une ressource 'y Petit CarĂȘme de Maffillon* 4?r Lâ Ă c o l e dans ses libĂ©ralitĂ©s. Presque tous les jours il leur donnoit audience ; & tous y Ă©taient admis. 11 les Ă©coutoit avec bontĂ© fk ans chagrin, il leur rĂ©pondit avec douceur, il sâattendrissoit fur leurs misĂšres ; & lorsquâil ne pouvoir les renvoyer tous satisfaits, on voyoit que son cĆur leur accordoit ce que la nĂ©cessitĂ© lâobligeoit de refuser. On ne sauroit croire, dit un auteur qui lâavoit connu particuliĂ©rement, les sommes quâil employa Ă faire Ă©lever des enfans, Ă marier des filles, Ă doter des Religieuses, Ă faire apprendre des mĂ©tiers, Ă rĂ©tablir des Marchands ou Ă prĂ©venir leur ruine, Ă faire guĂ©rir les malades dont il examinoit fui-mĂȘme les plaies, & quâil alloit souvent , suivi dâun seul domestique, chercher jusque dans les greniers. Ce qui fit dire , lorsquâil mourut, Ă une auguste & pieuse Princesse Que ùétait un bienheureux, qui laisser oit aprĂšs lui beaucoup de malheureux . i o . Comme lui, li vous ĂȘtes nĂ© Grand, que io. Les Auteurs infidelles dâun nouveau Diction» aire Historique, ont faussement soupçonnĂ© ce Prince dâavoir Ă©tĂ© ans des femimens contraires aux dĂ©cisions de lâEglise. On p*ut voir sa justification complĂ©tĂ©, nans lâAvertissnjcnt quâa mi' M Lauvocat Ă la. tĂȘte de la seconde Ă©dition de son DiĂ©imntire litjtQTViHt » p. KXij» / des MĆurs. 435 que votre tendresse gĂ©nĂ©reuse [& bienfaisante soit lâasile de tous les malheureux. Loin de fuir ceux qui implorent votre secours, prĂ©venez leurs vĆux & leurs priĂšres, hue ce plaisir si noble, si vertueux, soit le plus doux charme de votre cĆur. Ecoutez les soupirs de lâhumble & modeste indigence. Nâimitez pas ces Grands & ces Riches , toujours fĂ -» cheux & chagrins, ou fiers & dĂ©daigneux , qui nâopposent Ă leurs priĂšres que des rebuts dĂ©selpĂ©rans, quelquefois des reproches amers, comme si câĂ©toit un des privilĂšges de la fortune & de la grandeur de pouvoir impunĂ©ment insulter aux petits & aux malheureux. Nâest- ce donc pas dĂ©jĂ pour eux un aflĂšz grand fardeau , de vivre dans la mifere & dans la dĂ©pendance? faut-il encore leur appesantir le joug par une duretĂ© inexorable & par une fiertĂ© mĂ©prisante ? Ne croyez pas que ce soit vous avilir, que de regarder les affligĂ©s & de permettre quâils viennent pleurer devant vous. Pensez au contraire que les regards des Grands fur les malheureux augmentent leur gloire ; & que sâils ont de la compassion & de la misĂ©ricorde , ils nâen seront que plus grands devant les hommes , & sur-tout aux yeux de celui dont ils ont fur la terre lâhonneur de tenir la place. Servez de pere aux orphelins , dit le Tome II. T 454 Lâ Ă c o l Ă« Sage, & d'Ă©poux Ă leur mere; U vous ferez comme le fils chĂ©ri du TrĂšs-Haut , qui aura pour vous plus de tendrejje quĂŒnc mere n'en a pour son fils. il. LâhonnĂȘte homme que vous sauvez de la milere; lâorphelin dont vous accommodez le procĂšs qui alloit le ruiner ; le dĂ©biteur indigent Ă qui vous avancez de ouoi satisfaire un crĂ©ancier dur & impitoyable qui le presse; ce serviteur que vous traitez avec bontĂ©, dont vous preC nez foin dans sa maladie, que vous rĂ©compensez, que vous Ă©tablissez ; les affligĂ©s dont vous essuyez les larmes ; les indigens dont vous soulagez la misere voilĂ des panĂ©gyristes zĂ©lĂ©s , y qui publieront par-tout vos vertus. Pere des pauvres, des orphelins, des malheureux que ce titre est beau ! Vous ĂȘtes tout ensemble le maĂźtre, le pere & lâami de tous Chacun sâintĂ©resse Ă vos peines, Ă vos disgrĂąces , Ă vos maladies chacun prend part Ă vos joies, Ă vos plaisirs, Ă vos succĂšs. Vous lisez sur tous les visages lâamour quâon a pour vous. Câest lĂ ce qui a conciliĂ© les cĆurs des François Ă une auguste Princesse, que son inclination bienfaisante, encore plus que les charmes de fa personne, rend si digne Il Estapupillis mifiriccrs ut pater, CV, Eccli. 4- des MĆurs. 45s de partager avec Louis XVI lâamour de la nation. Parmi plusieurs beaux traits qui font tant dâhonneur Ă son humanitĂ©, nous distinguons celui-ci. Elle traversoit un village prĂšs de Paris , lorsquâelle appelant une vieille femme infirme, quâen- touroient plusieurs petits en fans. Ce tableau qui ostroit Ă lâa me compatissante de cette Princesse, ce que la nature humaine dans ses deux extrĂ©mitĂ©s a de plus touchant, lâĂ©mut auflĂź-tĂŽt, & lui fit suspendre fa marche. La Reine sâapprocha de la vieille, lâinterrogea avec autant de douceur que de bontĂ©, & apprit que cette femme, grandâmere des enfans qui lâen- vironnoient, Ă©toit, dans fa caducitĂ© & malgrĂ© fa mifere, Punique appui de ces orphelins de pere & de mere. Ce ne fut point assez pour cette Souveraine gĂ©nĂ©reuse, de lui faire distribuer fur le champ des secours dâargent Elle jeta des yeux attendris fur le plus jeune de ces orphelins , ĂągĂ© de trois ans, & dĂ©clara quâelle se chargeoit de lui & quâelle en feroit prendre soin. Si vous 11âavez pas le cĆur assez tendre , assez sensible pour aimer Ă servir de consolation & dâappui aux infortunĂ©s, ne lâayez pas du moins assez dur & assez cruel pour ĂȘtre de ces hommes inhumains, qui aggravent des maux quâils devroient soulager, & font couler des pleurs, au 4; 6 Lâ Ă c o l e lieu de les tarir. Barbares, craignez les plaintes des malheureux, elles pĂ©nĂštrent les deux, & en font descendre la vengeance. Le Seigneur , dit lâEcriture , ne fera acception de personne , U il exaucera la priere de celui qui souffre l'injure . Il ne mĂ©prisera point lâorphelin qui prie , ni la veuve qui rĂ©pand ses gĂ©missement devant lui. Les larmes de la veuve ne coulent-elles pas de ses joues, & ne crient-elles pas vengeance coudre celui qui les tire de Jes yeux 12 ? Lâopprcilion du pauvre est un de ces grands crimes qui sollicitent la vengeance divine & lâattirent. Une chute soudaine, lâĂ©croulement fatal & imprĂ©vu de la plus brillante fortune, apprennent aux hommes quâil y a au-deilĂŒs de nous un Etre suprĂȘme, qui en abattant ces tĂštes altiĂšres qui abusaient de leur puis, sauce, lait craindre au mĂ©chant effrayĂ© que la foudre qui gronde encore ne vienne le frapper Ă ion tour. Ainsi lâon a vu dans ce siede le fameux Gouverneur de Pondycheri, aprĂšs sâĂȘtre engraiilĂ© du rang des malheureux Indiens, expier honteusement sur un Ă©chafaud les larmes quâil avoir fait rĂ©pandre, comme pour il Non accipitt Dominus personam in pauperem, &c. Eccli. 35. des MĆurs. 437 vĂ©rifier ce que dit lâEsprit-Saint T que le Seigneur je rendra le dĂ©fenseur de la cause du pauvre , U quâil percera ceux qui auront percĂ© son ame j $ . Vous crĂ©dit que vous donne votre rang ou vos richesses, vous persuade que vous nâavez rien Ă redouter des lois humaines} & la Justice divine armĂ©e de toutes ses menaces, ne vous effraye point, parce que lâopulence nâenfante que trop souvent lâincrĂ©dulitĂ© qui refuse de les croire, ou lâindiffĂ©rence qui refuse dây penser. Mais votre cĆur fera- t-il Ă©galement sourd Ă la voix de la nature, qui vous crie que les pauvres font vos frĂ©tĂ©s & vos semblables ? Dans lâintervalle immense qui vous sĂ©pare des malheureux, vous les regardez comme des ĂȘtres dâune espece, pour ainsi dire, & dâune nature toute diffĂ©rente de la Ă quelque distance de vous quâils paroissent, fous ces dehors mĂ©pri- iĂ ns oĂč ils se montrent, lâhumanitĂ© vous dit que ce font vos semblables. Ils nâont, il est vrai, aucune de ces distinctions arbitraires, de ces titres fastueux, jeux du hasard ou de lâopinion , amusemens de la vanitĂ©, & dont on ne fait si fou vent 13 > Et configet soa e s MĆurs. 4 41 de donner, & la gloire dâimiter sa bontĂ© par vos bienfaits. Il a prĂ©tendu que vous auriez foin de vos frĂ©tĂ©s malheureux comme il a eu foin de vous, que vous tiendriez fa place Ă leur Ă©gard , & que vous leur serviriez de peres & dâappuis» Lorsquâils implorent votre secours, câest donc moins une grĂące quâune dette quâils sollicitent; les refuser, câest se rendre coupable dâinjustice & dâinhumanitĂ©. On doit, disoitM. deFontenelle, Je refuser le superflu , pour procurer aux autres le nĂ©cessaire} & il rĂ©pondoit Ă ceux qui le louchent dâune action de charitĂ© Cela se doit. Quel quâun tĂ©moignoit un jour Ă Eveil- Ion, Chanoine & Grand-Archidiacre dâAngers, lĂ surprise de ce quâil nâavoit aucune de ses chambres tapĂŒĂŻees. Quand en hiver j entre dans ma maison, rĂ©pondit-il , mes murailles ne me disent point, quelles ont froid} mais les pauvres qui font Ă ma porte tout tremhlans, me crient quils ont besoin de vctemcns. Si nous sommes obligĂ©s dâĂȘtre les soutiens & les appuis de tous les malheureux , qui nous font unis par les liens communs de la nature ; Ă combien plus forte raison devons-nous lâĂšcre de ceux quâelle a joints avec nous par des liens encore plus Ă©troits, par ceux du mĂȘme sang. Vous donc qui aspirez Ă la qualitĂ© Tome IL V 442 L* Ă C O L B dâhonnĂȘte-homme,& qui voulez remplir toute lâĂ©tendue des obligations que ce titre fi honorable & si beau vous impose, secourez en tout temps, en toute occasion & de toute façon, ceux de vos pareils qui ont quelque droit de compter fur vous. Courez au-devant de leurs besoins. Que toutes leurs affaires soient les vĂŽtres. RĂ©pondez Ă la bonne opinion quâils ont de vous,quand ils vous croient moins dur que le commun des hommes car il est rare quâun malheureux ait des amis,plus rare encore quâil ait des pareils. Le pauvre , dit Salomon, fera odieux Ă ses proches mĂȘme , mais les riches ont beau = coup dâamis 16 . Nous avons dans notre cĆur des ennemis de nos parens qui se trouvent dans le cas dâavoir besoin de nous notre duretĂ© & notre duretĂ©, nous abandonnons un parent malheureux Ă fa mauvaise fortune ; mais nous ne tardons pas Ă en ĂȘtre punis. Ce parent dĂ©laissĂ© nous dĂ©shonore, ou sâil fait fortune par lâentremise dâune main Ă©trangĂšre, il laissera ses biens Ă des Ă©trangers & ne reconnoĂźtra ni nous ni les nĂŽtres. Dans lâĂ©tat florissant de notre prospĂ©ritĂ©, nous âą Ci 6 EtĂźam proximo sue pauper odiosus, erii i amicl vero divitum multi 9 Froy. L 4 - des MĆurs. 445 refusons par orgueil dâavouer un parent honnĂȘte qui nous rĂ©clame, & nous craignons de lui tendre la main ; mais nous tomberons Ă notre tour , & nous ne serons relevĂ©s ni secourus par personne. Nous resterons ensevelis fous notre ruine, A ceux qui auront Ă©tĂ© tĂ©moins de notre conduite orgueilleuse, applaudiront Ă la vengeance divine. Homme droit, obligez vos parens par justice & par bontĂ© de cĆur câest votre sang. Homme prudent, secourez-les par prĂ©caution vous pouvez un jour avoir besoin dâeux. Homme dur, aidez-les par politique, de crainte quâils ne vous dĂ©shonorent par leur conduite, ou quâils ne vous couvrent de confusion par leurs plaintes & par leurs reproches. Nous supposons ici que ceux qui vous rĂ©clament ont une conduite sage & rĂ©- si ce sont dâindignes sujets,dont la vie est une espece de dĂ©shonneur pour votre famille , refusez-leur, Ă moins quâils ne se trouvent dans une extrĂȘme nĂ©cessitĂ© , tout secours , tout service ; nâayez plus avec eux ni commerce ni liaison , qui ne soient absolument indispensables. Mais sâils ne font que pauvres ou malheureux , ne rougissez pas de les secourir , hĂątez-vous de le faire, ne souffrez pas quâun autre vous prĂ©vienne & vous enleve cette gloire. Imitez le riche 444 Lâ Ă c o l E & vertueux Booz , en qui la sage Ruth trouva un consolateur charitable, un protecteur dĂ©clarĂ©, un digne & puissant Ă©poux. Lâhistoire de Portugal nous fournit auffiun trait bien hĂ©roĂŻque de lâamour quâon doit avoir pour ses proches. En ip86, des troupes Portugaises qui pas soient dans les Indes, firent naufrage. Une partie aborda dans le pays des Castes, & lâautre se mit Ă la mer siir une barque construite des dĂ©bris du vaisseau. Le pilote sâappercevant que le bĂątiment Ă©toit trop chargĂ©,avertit leChef,Edouard de Mello , quâon alloit couler Ă fond, si Tonne jetoit dans lâeau une douzaine de victimes. Le fort tomba entrâautres fur un soldat, qui avoit aussi son frere dans la mĂȘme barque. Celui qui avoit Ă©chappĂ© au sort Ă©toit le plus jeune. Il tombe aux genoux de Mello, & demande avec instance de prendre la place de son aĂźnĂ©. Mon frere , dit-il, est plus capable que moi il nourrit monpere , ma mere , mes sĆurs s'ils le perdent , ils mourront tous de mifere. Conservez leur vie en conservant la sienne , & faites-moi pĂ©rir, moi qui ne puis leur ĂȘtre dâaucun secours. Mello y consent, & le fait jeter Ă la mer. Le jeune homme suit la barque pendant six heures enfin il la rejoint. On le menace de le tuer, sâil tente de sây introduire des MĆurs. 44 f niais iâamour de Ta conservation lâem- po rte sur la menace, & il sâaccroche au bĂątiment. On voulut le frapper avec une Ă©pĂ©e il la saisit A la retint jusquâĂ ce quâil fĂ»t entrĂ©. Sa constance toucha tout le monde on lui permit enfin de rester avec les autres, & il parvint ainsi Ă sauver sa vie & celle de son frere. Le vĂ©ritable ami, dit lâEcriture, aime en tout temps , s-f le frere se connaĂźt dans Ăźaficlion 17. Soyez le frere & lâami de tous les malheureux, qui ont besoin de votre secours & qui lâimplorent. TĂąchez de leur faire par les autres le bien que vous ne pouvez faire par vous - mĂȘme. Câest ĂȘtre bienfaisant & charitable que dâengager les personnes riches Ă lâĂȘtre on participe Ă leur mĂ©rite & Ă leur gloire, on partage leur bonheur. La ville de Verdun ayant Ă©tĂ© ruinĂ©e par les guerres, & ses habitans rĂ©duits Ă la pauvretĂ© la plus extrĂȘme, Didier, qui en Ă©toit EvĂȘque , demanda des secours Ă ThĂ©odebert Roi dâAustrasie, fous la domination duquel Ă©toit cette ville. Ce Prince lui envoya sept mille sous , somme considĂ©rable pour ce temps-lĂ elle fut distribuĂ©e commerce se ranima, 77 Omni tempore Ăąiligit quiamicus est 9 & /rater en angujUis Prev. 17. 44 y Ă -A» f4 *ar. &i&4 2 * ;- - O .M . U . ' A âąJ*'-J -> - , ^ - -I T .-0 . âą "' V wsa SI! LĂ C O L E DES MĆURS. 4 â - â- TOME TROISIEME. » / LâĂCOLE DES M Ă le mortifier. Aussi , loin de lui savoir mauvais grĂ©, on lâestime , on le remercie , & on ne lâen aime que davantage. Vous savez sans doute ce beau trait de M. de Turenne , qui a Ă©tĂ© souvent citĂ© & qui mĂ©rite toujours de lâĂȘtre. Un jour dâĂ©tĂ© , il Ă©toit en petite veste blanche & en bonnet Ă une fenĂȘtre de son antichambre. Un de ses gens survient, & trompĂ© par lâhabillement, le prend pour lâaide de cuisine. Il sâapproche- doucement par derriĂšre , & lui applique un grand coup fur les fesses. Lâhomme frappĂ© le retourne Ă lâinstant. Le valet voit en tremblant le visage de son maĂźtre il se jette Ă ses genoux tout Ă©perdu Monseigneur , lui dit-il, jâai cru que câĂ©toit Georges. Et quand c'eut Ă©tĂ© Georges , reprit M. de Turenne en se frottant le derriĂšre, il ne fallait pas frapper si fort. Câest toute la rĂ©primande quâil fit Ă ce domestique , & câest ainsi quâil enufoit Ă lâĂ©gard des autres. Aussi Ă©toit-il Ă©galement adorĂ© de ceux qui le servoient & de tous ceux qui servoient sous lui. Le ton grondeur , les paroles aigres, une dure & inflexible sĂ©vĂ©ritĂ© rĂ©voltent, aigrissent & attirent la haine mais aussi trop de douceur autorise le mal & fait mĂ©priser. Soyez doux, mais soyez ferme quand il le faut & que vous le devez. Câest ĂȘtre vicieux que de ne pas rĂ©primer A s io LâĂgoiĂŻ le vice , lorsquâon est obligĂ© de le faire. Câest se rendre complice du mal, que de ne pas le reprendre fermement & lâarrĂȘter quand on en a le droit & le pouvoir. Câest-lĂ ce qui rend si criminelle la malheureuse & pitoyable foibiesse de ces parens, qui, dans la folle tendresse quâils ont pour leurs enfans, dissimulent, dĂ©tournent la vue pour ne pas appercevoir les fautes les plus grandes , se retirent mĂȘme & disparoissent, pour avoir un prĂ©texte de ne rien voir & de ne rien dire. Si quelquefois ils se croient obligĂ©s de les reprendre de leurs dĂ©sordres devenus trop grands ou trop publics , câest avec une foibiesse qui ne remĂ©die Ă rien» qui augmente mĂȘme le mal, & rend les enfans plus effrontĂ©ment libertins ou vicieux. Parens mous & aveugles , votre tendresse cruelle leur est bien plus funeste, que si vous vous armiez, lorsquâil est nĂ©cessaire , dâune juste sĂ©vĂ©ritĂ©. Quand les rĂ©primandes ne produisent rien, quand vous voyez des sautes sĂ©rieuses & rĂ©itĂ©rĂ©es, faites parler le devoir , faites-le parler en maĂźtre & en vengeur. En corrigeant vos enfans, ils ne vous en aimeront pas moins, mais ils vous respecteront davantage. Leurs larmes eiiuyp^s » ils vous rendront justice, vous remer- des MĆurs. xi Lieront peut-ĂȘtre, & sĂ»rement vous loueront un jour. Ce nâest pas quâil faille employer fans cesse les rĂ©primandes & les corrections. On ne doit au contraire reprendre & punir que le plus rarement quâil est possible ce qui est trop frĂ©quent ne frappe plus. Câest de la fermetĂ© quâil faut, & non de la rigueur. Si lâon savoir mieux conserver son autoritĂ©, sans la compromettre mal-Ă -propos , ou fans laisser prendre Ă un enfant fur foi un ascendant quâon ne pcura plus lui faire perdre ; si on lâaccoutumoit de bonne heure au res. pect & Ă lâobĂ©issance, fans lui permettre dây manquer jamais ; si lâon corrigeoit dans les commencemens les petites fautes , fans leur donner le temps de se changer en habitudes ; on nâauroit pas si souvent besoin dans la fuite dâemployer les rĂ©primandes dures qui coĂ»tent beaucoup Ă lâamour, ni de prendre la voie quelquefois inutile & toujours fĂącheuse des chĂątiment fĂ«veres. Ce que nous venons de dire pour les parens , convient aussi Ă beaucoup dâĂ©gards aux personnes en place. La sĂ©vĂ©ritĂ© qui maintient le bon ordre,, est la gardienne des Etats. Elle est fur-tout absolument nĂ©cessaire, quand il faut contenir une multitude qui ne peut ĂȘtre arrĂȘtĂ©e que par la crainte, quand il faut rĂ©primer A 6 r r V Ă c o i, e le vice devenu Top hardi par lâimpunitĂ©, ou quâon doit humilier lâorgueil ^dâinsolence. Câest cette louable fermetĂ© qui a rendu si cĂ©lĂ©brĂ© le nom de M. de Hurlai. Ce grand Magistrat, dont lâaustere intĂ©gritĂ© ne dĂ©ridoit pas mĂȘme le front pour sourire Ă la vertu & Ă lâinnocence Ă qui elle rend oit justice , Ă©toit pour le vice dâune sĂ©vĂ©ritĂ© inflexible qui ne faisoit acception de personne. Il Ă©toit le flĂ©au de la chicane & de lâinjustice. Il rĂ©pondit au Corps des Procureurs qui vinrent le fĂ©liciter , lorsquâil sut fait Procureur- GĂ©nĂ©ral , & lui demander sa protection. Ma pi ctecfion , leur dit-il! les fripons ne lâauront pas , les gens de bien nâen ont pas besoin. Mais ce quâil fit en qualitĂ© de Premier PrĂ©sident , prouve encore mieux fa sĂ©vĂšre fermetĂ©. Un riche Partisan enlevoit des blĂ©s dans une annĂ©e de disette, pour les revendre plus cher. M. de Har'ai lâenvoya chercher. Le Fermier-GĂ©nĂ©ral vint dans un carrosse dorĂ© & chargĂ© de laquais. Les coursiers sringans, qui fai- soient retentir le pavĂ© , en entrant dans la cour firent un fracas qui imitoit le bruit du tonnerre. Il avoir un habit superbe , relevĂ© dâune broderie dâun goĂ»t exquis. M. de Harlai affecta de le laisser se morfondre dans son antichambre. Il le fit enfin entrer. Quand je vqus ai fait des MĆurs. ĂŻ? attendre, lui dit-il, jâai consultĂ© ma vanitĂ© ; votre carrosse ornoit ma cour, & votre personne mon antichambre. Son visage serein devint ensuite sombre tout- Ă -coup. Monsieur, poursuivit-il dâun ton Ă glacer le coupable dâessroi, je vous ai mandĂ© pour vous dire que jâai appris que vous prĂ©valant de la chertĂ© des b'Ă©s, vous en faisiez de grands amas. Vous prĂ©tendez vous enrichir par la misĂšre du peuple & vous engraisser de fa substance, jâarrĂȘterai le cours de vos projets. Si'tous ces blĂ©s que vous avez amassĂ©s ne font pas vendus dans un mois, je vous ferai pendre. Lâor & la faveur ne vous dĂ©roberont point Ă la Justice. Le Fermier-GĂ©nĂ©ral interdit se retira. II osa porter ses plaintes au Roi fur le discours du Magistrat. Je vous conseille , lui dit le Roi, dâexĂ©cuter les ordres-quâil vous a prescrits ; car sâil vous a menacĂ© de vous faire pendre , il le fera comme il le dit. Lorsque la nĂ©cessitĂ© de rĂ©parer le scandale , ou lâinutilitĂ© des rĂ©primandes sĂ©crĂ©tĂ©s ne vous oblige pas Ă reprendre en public, faites-le toujours en particulier. On est mieux disposĂ© Ă recevoir des avis humilians , quand la vanitĂ© en souffre moins. Observez la loi que la charitĂ© exige, & que prescrit lâEvangile. Epargnez au coupable une confusion quâil ne i4 LâĂcou mĂ©rite pas; elle servirait plus souvent Ă lâaigrir quâĂ le corriger. Les plus sages dâentre les PaĂŻens mĂȘme ont reconnu lâobligation dâavoir les uns pour les autres ce mĂ©nagement. Socrate reprenant un jour en public un de ses amis, Platon lui dit quâil aurait dĂč faire cette rĂ©primande en particulier Fous avez raison , lui rĂ©pondit Socrate , mais vous aujji vous auriez dĂ» me donner cet avis en particulier. Au reste, si vous nâĂštes point chargĂ© par Ă©tat de reprendre les autres , ne le Faites pas facilement, & nâimitez pas surtout lâin discrĂšte vivacitĂ© de quelques-uns, qui troublent le repos de tout le monde , parce quâils ne font jamais en repos. Câest un mauvais mĂ©tier que celui de censeur on se fait haĂŻr, & lâon ne corrige personne. Un Philosophe rĂ©pondit un jour Ă un de ces censeurs de profession Comment me corrigerois-je de mes defauts , puisque tu ne te corriges pas toi-mĂȘme de lâenvie de corriger ? Il est bien de petites choses quâon doit se palier mutuellement, &sur lesquelles il nâest ni poli ni mĂȘme Ă propos de fĂš reprendre. En gĂ©nĂ©ral, la plupart des hommes aiment mieux ĂȘtre applaudis que repris. Nous avons beau protester quâon ne saurait nous faire plus de plaisir que de nous avertir de nos fautes & des MĆurs. \j dos dĂ©fauts le plus grand plaisir quâon puilfe nous faire, elf de nâen pas prendre la peine. Relevez les talens, les qualitĂ©s, le mĂ©rite, mettez dans un beau jour les vertus obscures , approuvez les senti- mens, excusez les dĂ©fauts , ne faites pas semblant dâappercevoir les vices vous ferez le meilleur ami. Touchez aux imperfections , -aux penchans favoris , aux fautes quâon aime Ă se pardonner ou quâon craint de reconnoĂźtre vous dĂ©plairez. Cependant un des principaux devoirs de lâamitiĂ©, un des plus grands services quâon puiflâe rendre , câest dâavertir son ami des lautes quâil a commises, afin quâil Ă©vite dây retomber ; câest de l'Ă©clairer fur ses dĂ©fauts quâil ignore, ou quâil prend pour des vertus par une illusion allez ordinaire Ă lâamour-propre. Mais la sincĂ©ritĂ© qui doit ĂȘtre lâame de lâamitiĂ©, est souvent ce qui la fait pĂ©rir. La plupart des .amis ne veulent pas ĂȘtre repris, ou sâils permettent quelquefois quâon le salle , ils exigent tant de mĂ©nagement, dâĂ©gard, de circonspection, il est si difficile de ne pas leur faire quelque peine,, ils reçoivent si froidement le second ou troisiĂšme avis , quâon prend plutĂŽt le parti de se taire, de dilfimuler, de flatter. Cependant, on lâa dit & il est vrai » un ennemi qui nous reprend mĂȘme avec T I§ Lâ Ă C O L ÂŁ aigreur , nous est plus utile quâun ami flatteur & trop indulgent, parce que le premier nous dit toujours la vĂ©ritĂ©, & que lâautre ne nous la dit presque jamais. Un PoĂ«te du dernier siecle a donc eu raison de dire Oue jâaime dâun ami le langage sĂ©vere ! Que je hais le discours Hattear Dâun esclave, dâun imposteur, Qui me trompe en voulant me plaire ! Perfide , loin de mâĂ©clairer , Tu ne cherches quâĂ mâĂ©garer. Par tes discours foibies & lĂąches , Tu nu livres la guerre, en m'annonçant la paix/ Les vĂ©ritĂ©s que tu me caches, Sont des larcins que tu me fais. L'AbbĂ© Tes tu. Peu de personnes pensent aussi bien sur ce point que M. HelvĂ©tius, il avoir un vieux SecrĂ©taire, nommĂ© Ban dot, dâun caractĂšre chagrin , caustique & inquiet. Sous prĂ©texte quâil avoit vu M. HelvĂ©tius dans son enfance, il se permettoit de le traiter toujours comme un prĂ©cepteur brutal traite un enfant. M. HelvĂ©tius lâĂ©coutoit avec patience , & quelquefois en le quittant il disoit Ă Madame HelvĂ©tius Mais eĂ -il pojjible que j aie tous les dĂ©fauts U tous les torts quil me trouve ? non , fans doute ; mais» enfin jâen ai un i des MĆurs. 17 peu Hs? qui est -ce qui men parleroit, si je navois pas Baudot ? Aimez de mĂȘme Ă ĂȘtre repris & corrigĂ©. Si vous aviez au visage une tache qui vous rendĂźt ridicule, ne seriez-vous pas bien aise quâon vous en avertit ? TĂ©moignez votre reconnoissance Ă ceux qui .auront eu assez dâamitiĂ© & de confiance pour vous les taches de votre ame. Celui, dit lâEsprit-Saitit, qui cime la correiiion , aime la sciencemais celui qui hait les rĂ©primandes est un insensĂ© l. La honte dâavoir mal-fait devient une vertu , quand câest le repentir qui la cause. Ne rougissez donc pas dâavouer vos torts. Celui qui a de lâĂ©lĂ©vation dans lâame ne craint point de reconnoitre ses fautes & de les rĂ©parer. Charles IX, Roi de France, Ă©tant Ă la chasse, vit un Gentilhomme qui couroit devant lui. Il lui cria plusieurs fois de sâarrĂȘter mais celui-ci ne lâentendant point, couroit toujours. Le Roi lâayant atteint, lui donna quelques coups de houfsine fur les Ă©paules , en lui disant ArrĂȘte-toi donc. Le Gentilhomme sensible Ă ce traitement se tourna vers le Prince & dit En quoi mĂ©pris i pesonne. Le mĂ©pris Ă©loigne les coeurs, & lâes, time les conciHe. Quoique nous nâaimions pas tou jours ceux que nous admirons & que nous estimons, nous aimons toujours ceux qui nous admirent & qui nous estiment. Mais ,si lâestime ne fait point dâingrats , le mĂ©pris fait des ennemis & souvent des ennemis irrĂ©conciliables. Les hommes pardonnent quelquefois la haine & jamais le mĂ©pris. Si nous pouvions nous estimer mutuellement , il nây auroit que de la douceur dans la sociĂ©tĂ©. Lâinclination malheureuse que nous avons Ă tĂ©moigner le peu de cas que nous faisons des personnes quine font pas vraiment dignes de mĂ©pris , est la source de presque tous les dĂ©sordres & des maux qui y rĂ©gnent. De lĂ naissent les mĂ©disances malignes, les satires mordantes , les manquemens injurieux, qui produisent Ă leur tour les haines mortelles , les longues inimitiĂ©s, les vengeances funestes. Gardons - nous donc de mĂ©priser les autres car il y a des gens qui nâoublient jamais de lâavoir Ă©tĂ© ; & G câest une per- \ sonne dâesprit, une rĂ©ponse piquante & ingĂ©nieuse la vengera sur le champ. des MĆurs. LâAbbĂ© Des Fontaines , qui nâĂ©toit, comme tant dâautres AbbĂ©s de Paris, EcclĂ©siastique que de nom, rencontra Piron qui Ă©toit habillĂ© plus magnifiquement quâĂ lâordinaire. Quel habit pour un tel homme , lui dit-il dâun ton mĂ©prisant ! Quel homme pour un tel habit , lui rĂ©pliqua Piron ! Câest , dit La Bruycre , une chose monstrueuse , que le goĂ»t & la facilitĂ© que nous avons de railler , dâimprouver & de mĂ©priser les autres,& tout ensemble la colere que nous ressentons contre ceux qui nous raillent, nous improuvent & nous mĂ©prisent. Mettons-nous pour un moment en la place de celui Ă qui nous voulons taire une offense, & nous ne lâoffenserons pas. Lâoubli de cette sage maxime , & le dĂ©sir que nous avons de nous Ă©lever au- dessus des autres, nous inspirent le penchant que nous avons Ă mĂ©priser. Remplis dâailleurs de la bonne opinion de nous-mĂȘmes, nous aimons Ă nous comparer, & nous ne nous comparons guere que nous ne nous prĂ©fĂ©rions. Câest de lĂ que naĂźt ce mĂ©pris , qui se nomme insolence , hauteur , ou fiertĂ©, selon quâil a pour objetnos supĂ©rieurs,nos inferieurs, ou nos Ă©gaux. Il ne convient Ă personne d'ĂȘtre fier & mĂ©prisant avec ses semblables câest sottise , avec les personnes au- dessus câest folie, & avec celles au-dessous câest ridicule. R 4 ?L Lâ Ă C O L E Les jeunes gens qui ont de la naiflance & du bien, font presque tous fiers & mĂ©prisa» s, Ă moins que ce defaut nâait Ă©tĂ© corrigĂ© par une excellente Ă©ducation ; mais souvent ce sont les Gouverneurs mĂȘme de la plupart de? ensans desGrands, qui fomentent leur orgueil au lieu de le rĂ©primer. On ne les entretient que de la noblesse de leur extraction, de la grandeur de leurs alliances, des prĂ©tentions de leur famille , au lieu de leur apprendre Ă ĂȘtre modestes, polis, humains & affables Ă tout le monde. Un Gentilhomme avoit Ă©tĂ© dans la familiaritĂ© dâun grand Prince. Quelque temps aprĂšs la mort de ce Prince , son fils trouvant fur ses terres ce Gentilhomme en Ă©quipage de chaise, fit semblant de ne pas le reconnoitre, & lui dit dâun ton mĂ©prisant Mon ami, qui tâa permis de chasser ici ? Le Gentilhomme piquĂ© de ce ton quâil ne mĂ©ritoitpas, lui rĂ©pondit J*avois lâhonneur d'ĂȘtre l'ami de Monseigneur votre ptre , jignorois que j'euĂc Lâhonneur dâĂȘtre le vĂŽtre. Le jeune Prince sentit sa faute, & chercha Ă la rĂ©parer par beaucoup dâhonnĂȘtetĂ©s. Il nâest que trop ordinaire de mĂ©priser ceux qui sont pauvres, & dâestimer les gens Ă proportion de leurs richesses. Quand Louis fit son entrĂ©e Ă Stras bourg, les Suisses lui envoyĂšrent des DĂ©putĂ©s. Un Courtisan qui Ă©toit auprĂšs du des MĆurs, Roi, ayant vu parmi ces DĂ©putĂ©s lâĂvĂȘ- que de Basle , dans un extĂ©rieur qui nâĂ©toit rien moins que brillant, dit Ă fort voisin Câest quelque misĂ©rable apparemment que cet EvĂȘque. Comment ! lui rĂ©pondit-on , il a six cents mille livres de rente. Oh , oh , c est donc un honnĂȘte homme. il lui fit mille caresses. Ce si ainsi quâon pense & quâon agit tous les jours. Faut-il sâĂ©tonner si les riches fur-tout ont tant de mĂ©pris pour ceux qui font dĂ©pourvus .des biens de la fortune ? Les personnes qui font prodigieusement , mais nouvellement enrichies, ne fauroient sâimaginer quâil puisse y avoir dâautre mĂ©rite , & mĂ©prisent la noblesse , lâesprit, la science, tous les avantages les- plus estimables auxquels les richesses nâont pas prĂȘtĂ© leur Ă©clat. Eblouis comme eux de cet Ă©clat extĂ©rieur & sĂ©duisant qui environne les grandes richesiĂšs, nous avons de la peine Ă refuser notre admiration & notre estime Ă ceux qui les possĂšdent ; tandis que nous ne jetons quâun Ćil dĂ©daigneux fur tout ce qui rampe dans lâindigence. Câest souvent nĂ©anmoins dans ces Ă©tats obscurs que nous mĂ©prisons, comme sâil y avoit quel- quâautre chose de mĂ©prisable que le vice, que brillent les plus sublimes nous avons la plupart fies yeux si imbĂ©- ciiies, que nous ne voyous rien de grand / 54 Lâ Ă c. o l e que sous la dorure. Moliere revenoit de la campagne. Il donna lâaumĂŽne Ă un pauvre, qui, un instant aprĂšs, fit arrĂȘter le carrofle & lui dit Alonsieur , vous nâavez pas eu dessein de me donner une piece dâor. OĂč la vertu va-t-elle se nicher ! sâĂ©cria Moliere. Les conditions baises oĂč le commun des hommes se trouvent placĂ©s par la Providence , les fonctions serviles ou laborieuses quâils excercent dans la sociĂ©tĂ© , ne les dĂ©gradent point, & doivent au contraire les rendre prĂ©cieux & estimables, quand ils sâen acquittent bien. Louis XII , lorsquâil nâĂ©toit encore que Duc dâOrlĂ©ans , apprit quâun Gentilhomme de sa maison avoir maltraitĂ© un paysan. Il ordonna quâon ne servit point de pain Ă ce Gentilhomme , mais seulement de la viande. Ayant su quâil en murmurent, il le fit appeler, & lui demanda quelle Ă©toit la nourriture la plus nĂ©cessaire. LâOfficier lui rĂ©pondit que câĂ©toit le pain. Eh ! pourquoi donc , reprit le Prince avec sĂ©vĂ©ritĂ©, ĂȘtes-vous assez peu raisonnable pour maltraiter ceux qui vous le mettent Ă la main ? Un prĂ©jugĂ© encore bien commun, surtout parmi les femmes, & qui montre bien de la petitesse dâesprit, câest de faire moins de cas dâune personne , parce quâelle nâa pas la taille a tust belle ou la des MĆurs. jy figure auffi avantageuse quâune autre. Le mĂ©rite, accompagnĂ© deces qualitĂ©s naturelles , 11e prĂ©vient fiais doute que mieux en fia faveur mais cesse-t-il d'ĂȘtre estimable , parce quâil en est dĂ©pourvu ? Loin dây ĂȘtre toujours attachĂ©, 11âarrive-t-il pas mĂȘme quâil en soit sĂ©parĂ© le plus souvent; comme si la nature, jalouse de ses dons , aimoit Ă les partager ? Le cĂ©lĂ©brĂ© PĂ©lijjon Ă©foit si difforme, quâil ab usoit, disoit Madame de SĂ©vignĂ©, de la permiffioii quâont les hommes dâĂštre laids. Ce qui donna lieu Ă une aventure assez plaisante. Une belle Dame qui ne le connoissoit point, le prit par la main, un jour quâil passn t dans la rue , & le conduisit dans une maison voisine. Elle le prĂ©senta au maĂźtre du logis , en lui disant trait , comme cela. Elle le quitta ensuite brusquement, & sâen alla. PĂ©lisson surpris & peut-ĂȘtre flattĂ© de la distinction que la Dame avoit paru faire de lui, en demanda la cause au maĂźtre du logis. Celui-ci, aprĂšs sâen ĂȘtre dĂ©fendu , lui avoua quâil Ă©toit Peintre. Jâai, dit- il, entrepris pour cette Dame la reprĂȘ- sensation de la Tentation de JĂ©sus - Christ dans le dĂ©sert. Nous contestions depuis une heure fur la forme quâil fallait donner au diable, & elle vient de me dire quelle souhaite que je vous prenne pour modele . Cependant cet homme, si dĂ©figurĂ©, Ă©toit 1 * V Ă C O L E un des plus beaux gĂ©nies du siede de Louis XIV. Le diamant tombĂ© dans la boue, nâen est pas moins prĂ©cieux, & la poussiere que le vent Ă©leve jusquâau ciel., nâen est- pas moins vile. Ne louez pas un homme pour fa bonne mine , dit le Sage; & ne le mĂ©prisez point , parce que son extĂ©rieur nâa rien qui Le releve. L'abeille esi petite entre les infectes volans , U nĂ©anmoins son fruit l'emporte jur ce qu'il y a de plus doux q . Un Officier dâun mĂ©rite rare par ses vertus & par ses miens militaires , mais dâune figure petite & mal - faite, ayant éé nommĂ© Gouverneur du Canada , les Iroquois lui envoyĂšrent des DĂ©putĂ©s pour renouveler leur alliance avec les François. ArrivĂ© Ă QuĂ©bec, ils furent introduits chez le Gouverneur. Le Chef de lâAmbassade avoit prĂ©parĂ© un discours, dans lequel il employoit tout ce que sa langue avoit de plus riche & de plus pompeux pour faire lâĂ©loge de la force du corps, de la hauteur de la taille , & de la bonne mine du GĂ©nĂ©ral qualitĂ©s que ces Sauvages estiment de prĂ©fĂ©rence. Surpris de voir toute autre chose que ce 3 Non laudes virum in fpccic sud, neque fpanas hommem in visu sua , ^ c. Eccli. il. des MĆurs. 3* quâil avoit imaginĂ©, il sentit que sa harangue ne quadroit point au perlonnage. Sans le dĂ©concerter Il faut que tu Ăąges une grande cime , lui dit- il , puisque le grand Roi des François t envoie ici avec un Ă petit corps. Le Chancelier Bacon nâavoit pas une idĂ©e aussi avantageuse de ces hommes qui ne {ont au - dedâus des autres que par la grandeur de leur taille. Un Ambassadeur de France auprĂšs du Roi dâAngleterre Jacques I, ayant montrĂ© dans lĂ premiĂšre audience plus de vivacitĂ© & de lĂ©gĂšretĂ© que de jugement & dâesprit, le Roi demanda aprĂšs lâaudience Ă Bacon ce quâil peniâoit de lâAmbassadeur. 11 rĂ©pondit que câĂ©toit un homme grand & bien sait. Mais , reprit le Roi, quelle opinion avez-vous de lĂ tĂȘte? est-ce un homme qui soit capable de bien remplir sa charge ? Sire , rĂ©pondit Bacon, des gens de grande taille ressemblent quelquefois aux maisons de quatre ou tinq Ă©tages , dont le plus haut appariement est d'ordinaire le plus mal meublĂ©. Les petits vases renferment souvent les choses les plus prĂ©cieuses & les plus estimables. Le Prince de CoudĂ© ayant demandĂ© Ă un Lieutenant-GĂ©nĂ©ral quelquâun qui pĂ»t lui rendre un compte exact de la situation des ennemis, celui-ci lui amena un Soldat de fort mauvaise mine. 38 Lâ Ă c o l e Le Prince le rebuta & en demanda un autre. Le Lieutenant-GĂ©nĂ©ral en fit venir sucçeffivement deux de meilleure mine, qui furent acceptĂ©s & sâacquittĂšrent fort mal de leur commiffion. On eut recours au premier, qui rendit un compte si exact, que le Prince satisfait sâengagea de lui accorder la grĂące quâil dĂ©sireroit. LeSoldat lui demanda aussi-tĂŽt son congĂ©. LĂš Prince Ă©tonnĂ© lui offrit de le faire Capitaine. Monseigneur , lui rĂ©pondit le Soldat, vous mâavez mĂ©prisĂ©, je ne fers plut le Roi. Le grand CoudĂ©, esclave de sa parole , satisfit Ă la demande du Soldat, en tĂ©moignant Ă tout le monde le chagrin quâil en avoir. Cette injuste prĂ©vention , qui fait estimer ou mĂ©priser les personnes fur le tĂ©moignage si Ă©quivoque de la figure, prononce aussi de mĂȘme fur celui des habil- lemens ; car câest souvent lâhabit qui dĂ©cide de lâestime ou du mĂ©pris, comme si la sottise ne se trouvoit jamais fous un habillement riche & de grand prix; ou que le mĂ©rite fĂ»t incompatible avec un habit auisi simple & aulsi modeste que lui. Les gens sensĂ©s nâaccordent de la considĂ©ration Ă lâhabit, que jusquâĂ ce quâils aient connu la personne. Câest ce que les Russes expriment par ce beau proverbe On reçoit l'homme selon lâhabit qu'il porte , & on le reconduit selon B E S M Ć U R S. Vesprit quil a montre. Mais la plupart se Vaillent prĂ©venir par lâextĂ©rieur, & jugent du fond par la surface. Un Savant parut Ă la Cour avec un habit qui nâannonçoit pas lâopulence. Un jeune Prince qui le vit, dit avec mĂ©pris Quâest-ce que ce misĂ©rable quâon laisse entrer ? Prince , lui rĂ©pondit son sage Gouverneur, cest un homme. 11 lui rappela dans un autre moment tout ce que le nom d'homme renferme dâauguste. 11 lui fit voir Ă combien de titres celui-ci mĂ©ritoit plus de considĂ©ration, que beaucoup dâautres qui fonte magnifiquement vĂȘtus. Le jeune Prince avoir de lâesprit. Il rougit de ce que lâorgueil, lui avoir fait dire. Il fit venir lâhonnĂȘte homme quâil avoir dâabord refusĂ© devoir, & lui fit un accueil gracieux. Si lâon rĂ©flĂ©chit attentivement sur la rĂ©ponse de ce Gouverneur, on en sentira bientĂŽt la justesse & la vĂ©ritĂ©, puis, quâil nây a rien dans lâhomme de plus grand que sa qualitĂ© dâhomme. Nous nâapprofondirons pas ici cette question nous dirons seulement que puisque nous portons en notre ame lâimage de la DivinitĂ©, il y a une espece de sacrilĂšge Ă nous mĂ©priser les uns les autres. Nous nous devons rĂ©ciproquement un respect inviolable ; & nous ne pouvons fans crime nous refuser le mĂȘme honneur 4o Lâ E c o l e quâon porte Ă tout ce qui reprĂ©sente la DivinitĂ© ou les Rois de la terre, puisque nous sommes tous la vive image de Dieu, & aprĂšs lui les Rois de la nature. Si les jugemens dâestime ou de mĂ©pris, quâon prononce dâaprĂšs lâhabillement ou la "figure , font presque toujours auffi faux quâinjurieux ; ceux quâon porte des diffĂ©rens peuples , ne le font pas moins. Les satires quâon fait dâune nation , comme celles quâon fait dâun sexe, sont toujours injustes , parce quâelles attaquent un nombre infini de personnes Ă qui elles ne conviennent point. On fĂ»t la belle rĂ©ponse dâun Philosophe Scythe Ă un AthĂ©nien qui lui reprochoit lĂ patrie. Je suis, lui dit le Philosophe , la foire de mon pays , ÂŁ tu es la honte du tien. Le -Sage ne se livre point Ă cette prĂ©vention nationale il estime le mĂ©rite, sous quelque climat quâil soit nĂ©. Un Ambaisadeur de France, trop prĂ©venu en saveur de sa nation, disoit Ă un Seigneur de la Grande-Bretagne V Anglois est lien estimable hors de son Isi'e. Il a du moins fur vous , rĂ©pliqua le Lord , l'avantage de l'ĂȘtre quelque part. La repartie Ă©toit piquante , maĂŻs lâAmbassadeur lâa voit mĂ©ritĂ©e. On a long- temps attachĂ© en France avec beaucoup dâinjustice un sens odieux au mot Allemand. Le MarĂ©chal de des MĆurs. 41 Schomberg, qui Ă©toit de cette nation, avoit un MaĂźtre-dâhĂŽtel, qui voulant sâexcuser dâavoir mal rĂ©uffi dans une Commission , dit Ă son maĂźtre Je crois que ces gens-lĂ rri ont pris pour un Allemand. Ils avoient tort , rĂ©pondit le MarĂ©chal avec beaucoup de flegme, ils dĂ©voient vous prendre pour un sot. - Câest quelquefois, parmi les gens malĂ©levĂ©s, uneespecede bel air, de paroitre mĂ©priser les femmes, & dâen dire beaucoup de mal, comme si les vertus, les talens, les belles qualitĂ©s de lâesprit & du cĆur nâĂ©toient pas des deux sexes. Câest dâailleurs nous dĂ©shonorer nous- mĂȘmes, puilque fans elles nous ne serions point, & que nous leur sommes redevables de tant de foins & dâattentions , quâon ne peut ĂȘtre quâingrat en les mĂ©prisant. Une Dame entendant un jeune Ă©tourdi, qui mĂ©prisent tout le sexe , dit aux personnes qui Ă©toient avec elle Ce jeune hunme nâa-t-il point, de mcre ? Que dirons-nous de ceux qui ne parlent quâavec mĂ©pris des personnes spĂ©cialement consacrĂ©es Ă Dieu ? Ce nâest pas seulement indĂ©cence & irrĂ©ligion , câest nâavoir ni Ă©quitĂ© ni justice. Il y a parmi les EcclĂ©siastiques & les Religieux des hommes dâun mĂ©rite rare, qui les Ă©leve bien au-dessus delĂ plupart de ceux qui les mĂ©prisent. LâAbbĂ© AlbĂ©roni , 4L LâĂ c o l s de CurĂ© dâun village dâItalie, Ă©tant devenu, comme nous lâavons dit, AumĂŽnier du Duc de VendĂŽme, mangeoit Ă la table des Gentilshommes de ce Prince. Leur orgueil sâen crut humiliĂ© , & ils en murmurĂšrent. Le Duc, qui en lut instruit, ordonna un soir quâon lui prĂ©parĂąt Ă souper dans lĂ chambre, & quâon mĂźt deux couverts. Comme il ne loupait jamais, tous les Officiers de lâarmĂ©e qui venaient lui faire la cour, & tous ceux de fa maison furent surpris de cette nouveautĂ©. Ils le furent bien davantage, lorsque le MaĂźtre-dâhĂŽtel ayant servi, le Duc de VendĂŽme dit Ă lâAbbĂ© AlbĂ©roniqui Ă©tait prĂ©sent, de se mettre Ă table. Quelques personnes , ajouta- 1 - il , font difficultĂ© de manger avec mon AumĂŽnier ; pour moi , je mâenfuis honneur , Ă cause de son caraĂȘlere de PrĂȘtre xi de son mĂ©rite personnel. On traite souvent les EcclĂ©siastiques & les Religieux, de gens inutiles ; & ceux qui leur font ce reproche, font quelquefois ceux-lĂ mĂȘmes Ă qui il conviendrait mieux. Un libertin disait un jour A quoi fervent au monde tant de PrĂȘtres , tant de Religieux xi de Religieuses ? A quoi y servez-vous, lui rĂ©pondit-on ? Ceux que vous regardez comme les plus inutiles , font fur la terre ce que vous devriez y faire & ce que vous nây faites pas. Ils acquittent pourrons les hommes ses MĆurs. ssj un devoir, que la plupart des gens du monde nĂ©gligent ou ne veulent pas remplir. Ils font occupĂ©s tous les jours Ă louer , Ă remercier le souverain MaĂźtre de lâunivers, le suprĂȘme dispensateur de tous les biens. Ils le prient pour la prof, petite des royaumes , des villes & des familles. Cette fonction peut-elle donc paroĂźtre vile & mĂ©prisable ? En vain allĂ©- gueroit-on quelques dĂ©sordres, quelques inconvĂ©niens;quelle institution humaine nâa pas les siens ? Quand la chose est bonne en elle - mĂȘme , & nâa que des abus en petit nombre ou faciles Ă corriger ; ils peuvent servir de prĂ©texte, & non de raison pour mĂ©priser ou abolir une choie utile 4. Tel est le fonds inĂ©puisable dâorgueil que nous avons dans notre cĆur, que rien nâest Ă lâabri de nos dĂ©dains injurieux. Les Ordres mĂȘme de lâEtat les plus respectables , qui ne devraient sâaccorder que de lâestime , fe prodiguent le mĂ©pris. 4 On peut voir dans le savant CathĂ©chisme Philosophique de M. FlĂ©xier de RĂ©va! , ou plutĂŽt le Al. lâAbbĂ© de Feiler, plusieurs avantages rĂ©els, que la sociĂ©tĂ© civile retire des Maisons Religieu ses avan. tages qui, pjfĂ©s dans la bal-ince dâune raison impartiale » ont fuit regretter Ă des Protestans mĂȘme quâon les ait entiĂšrement abolies parmi eux Un uteur Anglois se plaint de la dĂ©population en Angleterre, il lâattribue avec raison au libertinage, qui dĂ©vaste fluslcsEuĂźs que le cĂ©libatEcclĂ©liaitique & Religieux* 44 LâĂcolĂŻ La grande noblesse mĂ©prise la petite ; celle-ci mĂ©prise les hommes de Robe & dâEglise, qui ont soin de lui rendre la pareille. Mais que gagnons-nous Ă nous mĂ©priser les uns les autres ? Sâil est vrai que dans un si Ă©tiange commerce, ce quâon pense gagner dâun cĂŽtĂ©, on le perd de lâautre, ne vaudroit-il pas mieux renoncer Ă toute hauteur & Ă toute fiertĂ© qui sied si peu aux soi blĂ©s hommes, & convenir ensemble de se traiter tous avec une mutuelle bontĂ©? ce qui, avec lâavantage de nâĂštre jamais mortifiĂ©s, nous en procureroit un bien plus grand encore, celui de ne mortifier personne. 1 a fiertĂ©, le dĂ©dain, le rengorge ment , si lâon peut sâexprimer ainsi, nous attirent tout le contraire de ce que nous cherchons , si câest Ă nous faire estimer. Regardez dans la sociĂ©tĂ© , dit La Bruyere , qui sont ceux que tout le monde mĂ©prise ou dĂ©teste ce sont ceux qui ont le plus de dĂ©dain, de hauteur ou de fiertĂ© pour les autres. Si vous voulez vous y faire aimer, que votre commerce soit doux ne faites point sentir votre supĂ©rioritĂ©. Lâesprit, les ta- lens, le mĂ©rite, le rang & la foraine font pour les autres un poids assez pesant, sans lâaugmenter de celui de lâostentation. Ces avantages, si vous les possĂ©dez, vous feront assez dâenvieux, fans que vous vous faisiez encore des ennemis ; & le D E S M Ć U R S. 4s dĂ©dain ne manque jamais dâen attirer, On risque toujours beaucoup Ă mortifier lâamour-propre des autres, comme on ne perd jamais rien Ă lâobliger. Lâhumiliation marche souvent Ă la fuite de lâorgueil lâOracle divin lâa prononcĂ©, & nous en-voyons tous les jours lâaccomplissement. Le monde rabaisse ceux qui sâenflent 5 . Quiconque veut sâĂ©lever au-dessus des autres, ne trouvera que ce quâil fuit. Mais lâorgueil, cette source fĂ©conde & malheureuse de nos mĂ©pris, est une de ces pallions, dont on ne guĂ©rit que bien difficilement la dĂ©raciner du cĆur, câest le triomphe de la religion. Les plus excellent remedes , que la raison & la religion nous offrent contre la fiertĂ© mĂ©prilante que lâorgueil nous inspire , câest de moins penser Ă nos bonnes qualitĂ©s quâĂ nos dĂ©fauts, & plus Ă ce qui nous manque quâĂ ce que nous pollĂ©dons. Souvent nous nâestimons si peu les autres , que parce que nous nous estimons trop. Au lieu de ramener notre attention fur ce que nous valons , portons-la fur les bonnes qualitĂ©s des autres. Pourions-nous encore nous prĂ©valoir de quelque chose , Il nous voulions faire s Omnjs qui se exaltat , kumiliabitur. Luc. 13» $upĂšibum j'cjUitur humUnas. i'rov. 2 A. 46 LâĂcole rĂ©flexion que mille personnes valent mieux que nous ? Si ce sont des qualitĂ©s naturelles, qui vous inspirent tant de complaisance pour vous-mĂȘme & tant de mĂ©pris pour les autres songez que ces avantages ne font pas le prix de votre vertu ni lâouvrage de vos mains, mais des prĂ©sens de lâAuteur de votre ĂȘtre. Ce que nous avons ne vient pas de nous ; & si nous lâavons reçu, pourquoi nous en glorifier ? pourquoi mĂ©priser ceux qui ont Ă©tĂ© moins bien partagĂ©s que nous 6 ? Il est souvent plus dangereux dâavoir ces avantages , quâil nâest honteux de ne lĂ©s avoir pas, parce quâil est facile dâen abuser ; & lâon en rendra un compte si sĂ©vere Ă celui de qui on les a reçus, quâon doit plutĂŽt en concevoir de la crainte que de ' la vanitĂ©. Est-ce lâĂ©tendue de vos connoifsances ou les lumiĂšres de votre esprit, qui vous rendent si fier & si mĂ©prisant Ă lâĂ©gard de ceux qui en ont, ou que vous croyez en avoir moins que vous? Mais ĂȘtre infatuĂ© de foi, dit La Bruycre , & ĂȘtre fortement persuadĂ© quâon a beaucoup dâesprit , est un accident qui nâarrive guere /6 Ould habcs quoi non accepiĂi ? Ă aut&m accc âą flfli , qiĂŻid gloriaris quasi non acceperis ? J. Cor 4. 1t ui ur les mt lĂźa V lu. >ns >ns ur- ins U. in. air ,& e a ois ye in- âor- ire deg MĆurs. 47. quâĂ celui qui nâen a point, ou qui en a peu. Cet esprit dâailleurs qui devroit faire notre plus grande gloire , est souvent pour nous un sujet de confuiĂźon par les prĂ©jugĂ©s, les entĂȘtemens, les opinions faulles dont il est rempli, par les absurditĂ©s & les extravagances, dans lesquelles il se surprend lui-mĂȘme, & qui lui Ă©chappent comme malgrĂ© lui. Un rien aulfi peut le dĂ©ranger ; & ce qui doit bien humilier notre orgueil, câest que les plus grands esprits ont souvent eu des atteintes de folie. Le cĂ©lĂ©brĂ© Pascal, ce gĂ©nie sublime , ce profond MathĂ©maticien , eroyoit toujours voir un abyme Ă son cĂŽtĂ© gauche , & y faisoit mettre une chaise pour se rassurer. Ses amis avoient beau lui dire quâil nây avoit rien Ă craindre , que ce 11âĂ©toit que les alarmes dâune imagination Ă©puisĂ©e par une Ă©tude abstraite & mĂ©taphysique il convenoit de tout cela avec eux , & un quart-dâheure aprĂšs il se creusoit de nouveau le prĂ©cipice qui lâeisrayoit. Câest louer moins quâon ne croit, que de dire dâune personne quâelle a beaucoup dâesprit, si lâon ne peut ajouter quâelle en fait un bon usage. Combien de gens qui, pour avoir trop dâesprit, nâont pas le sens commun. A lâĂ©gard de nos connoilfances dont nous tirons tant de vanitĂ©, quâest-ce que 43 Lâ Ă c o l e savent la plupart des hommes , & comment le savent-ils ? souvent dâune maniĂ©rĂ© si trouble & si confuse , que ces prĂ©tendues connoiisances ne servent quâĂ les jeter dans lâerreur. Le nombre de leurs connoiisances est bien petit, en comparaison de la masse infinie de ce qui leur resteroic Ă savoir encore ces con- noissances font - elles comme ensevelies dans un amas encore plus grand dâerreurs. Et cependant on sâenfle de lâacquisition de ce tĂ©nĂ©breux butin, comme sâil importoit plus de savoir beaucoup que de bien savoir. Je conviens quâil y en a qui fi vent mieux, avec plus de clartĂ© & de distinction ; ce qui fait les vrais favans, puis quâune foule de connoiflĂ nces entassĂ©es ne fait pas plus un savant, quâun tas de E ierres rassemblĂ©es au hasard ne fait un el Ă©difice. Mais ceux-mĂšmes qui savent le mieux, ne sont-ils pas les premiers Ă reconnoitre combien les connoiisances de lâhomme font bornĂ©es? Ils se trouvent en bien des matiĂšres environnĂ©s dâabymes impĂ©nĂ©trables, de tĂ©nĂšbres, dâincertitudes ; ils ne saur oient faire un pas fans trouver des difficultĂ©s. Au lieu dâapprendre ce quâon ignoroit, on ne parvient quelquefois, Ă force dâĂ©tude, quâĂ dĂ©lĂ pprendre ce quâon croyoit savoir. Aulii nây en a-t-il pas de plus humbles des MĆurs. 49 humbles que ceux qui savent le plus. Les ignorans font vains & hardis, parce quâils ne connoissent point leur ignorance le savant ne peut se dissimuler la sienne Ă bien des Ă©gards, & il en est plus disoit un jour au savant Vojsuis , dont la vaste Ă©rudition brille dans tous ses ouvrages, quâon ne pen- soit pas quâil y eĂ»t rien dans les Lettres & dans les Sciences quâil ignorĂąt. Vous vous trompez fort , rĂ©pondit-il, je nefais pas le quart des choses que bien des jeunes gens croient savoir. Jules Scaliger, moins savant & plus vain, avoit coutume de dire quâil igno- roit trois choses DâoĂč provient lâintervalle qui se trouve dans la fievre entre les accĂšs Comment on peut rappeler Ă la mĂ©moire une chose quâ011 a oubliĂ©e Et la cause du flux & du reflux de la mer. Eh, quâil y avoir de choses quâil ignoroit, dont il ne se vantoit pas ! Quand on jette de mĂȘme un regard rĂ©flĂ©chi fur les autres choses qui inspirent de la hauteur & de la fiertĂ© au grand nombre des hommes, on ne sauroit nâen ĂȘtre pas Ă©tonnĂ©. Nâest-cepas, par exemple, quelque chose de plus ridicuse que tout ce qui nous fait rire, que la broderie & la dorure entrent dans les raisons quâon a de sâestimer davantage, & quâon soit en effet pour cela seul plus estimĂ© Tome IIL C f Lâ Ă'C O L E delaplupart? Quâun homme riche ment vĂȘtu veuille ĂȘtre moins contredit quâun autre, & rĂ©ellement le soit beaucoup moins? quâon prĂ©tende Ă la considĂ©ration par des chevaux plus fins , par des Ă©quipages plus Ă©lĂ©gĂ ns , par des livrĂ©es plus brillantes, par des ameublemens plus prĂ©cieux, & quâon lâobtienne i Telle est notre vanitĂ©, que nous estimerions peu les richeißés, fi elles ne nous four- nissoient le plaisir dâavoir ce que les autres nâont pas, & de lâemporter fur eux. Cette vanitĂ© est si grande, que nous la mettons dans les choses mĂȘme qui, par leur premiĂšre destination, dĂ©voient servir Ă couvrir notre nuditĂ© & notre honte. Une personne trop recherchĂ©e dans ses habiĂźlemens, & qui fait trop dâattention Ă ses habits ou Ă ceux des autres, donne lieu de soupçonner quâelle 11e connoit pas de plus grand mĂ©rite, & quâelle-mĂȘme nâen a point dâautre. Si elle en est delĂ plusfiere & plus mĂ©prisante , la chose nâest plus douteuse. Les vĂštemens magnifiques, en donnant aux petits gĂ©nies , comme il arrive ordinairement, de la hauteur, de la fiertĂ©, du dĂ©dain, un certain ton de suffisance & dâamour-propre, ĂŽtent au caractĂšre & Ă lâesprit, ce quâils ajoutent au corps & Ă la figure. Si cela est, ne peut-on des MĆurs. y t pas dire quâils font perdre plus quâils ne donnent, & quâils rendent souvent plus digne de mĂ©pris que dâestime? On doit penser de mĂȘme des autres choses extĂ©rieures, qui ont coutume dâinspirer de la fiertĂ©, & qui pourtant nâajoutent pas le plus petit poids au mĂ©ritĂ©. Telles font les riciielies. Quoiqu'elles nâaient rien de mĂ©prisable, elles nâont rien aussi de glorieux en elles- mĂȘmes. Souvent,fi lâon vouloir remonter Ă la source ou examiner lâusage quâon en frit, on trouveroit quâelles font plutĂŽt un sujet de honte que de vanitĂ©. Mais le riche, qui nâa garde dâapprofondir âąTa chose, reçoit les respects extĂ©rieurs dont on encense sa vanitĂ© , comme un tribut quâon rend Ă son excellence. Si les richesses nâaugmentent point son mĂ©rite, elles augmentent lâopinion quâil en a. Il ne manque pas de sâagrandir de ce que les autres lui accordent, tandis quâils ne sâenrichissent guere de ce quâil leur donne. De lĂ naissent cette hauteur , cette fiertĂ©, ce ton dĂ©daigneux & rnĂ©pri. faut, si ordinaire aux nouveaux riches. Mais ils nâont pas toujours des flatteurs pour leur applaudir, & ils ont souvent la mĂŽrtification de voir leur orgueil humiliĂ© & confondu. Un ancien Philosophe ayant Ă©tĂ© invitĂ© avec quelques Savans par un affranchi devenu riche p LâĂcole & orgueilleux, cet homme nouveau, pour se moquer des questions que les Philosophes agitent souvent entre eux,lui demanda , d'oĂč vient que dâune feve noire b dâune blanche il sort une farine de mĂȘme couleur. Le Philosophe indignĂ©, pour lui rappeler sa premiĂšre condition dont le fouet Ă©toit le chĂątiment ordinaire, le pria de lui dire auparavant, dâoĂč oient que deux fouets , lâun de laniĂšres blanches lâautre de noires , font les memes marques fur le dos de celui quon chĂątie. Le Chevalier de CaiW. , dans une de âąses Ă©pigrammes, dit auflĂź fort bien contre un de ces nouveaux riches fiers & dĂ©daigneux Parce qu'un fort grand bien s'est venu joindre au vĂŽtre , A peine Ă nos discours rĂ©pondez-vous un mot. Quand on est plus richs qu'un autre, droit dâen ĂȘtre plus sot? Si vous ĂȘtes riche & heureux que votre fĂ©licitĂ© A votre abondance ne vous donnent point de lâorgueil & de la fiertĂ©, mais plutĂŽt de la bontĂ© & de la com- paffion. Les misĂ©rables que vous voyez, dit lâAuteur des Conseils de la Sagesse , font une image affreuse mais naturelle de ce que vous seriez, sâil plaisoit Ă la frovidenee divine de vous abandonner , si elle celsoit, comme elle pouroit le des MĆurs. §; faire, de rĂ©pandre sur vous ses bĂ©nĂ©dictions & de vous combler de biens. Vous seriez ce quâils font, si Dieu nâavoit eu pour vous des foins & des bontĂ©s particuliĂšres. Qui peut mĂȘme le flatter de ne pas devenir malheureux ? & qui oseroit se croire inĂ©branlable dans la prospĂ©ritĂ© ? Celui qui ne craindroit point les revers de la fortune , mĂ©riteroit dâen servir dâexemple. Mais comment peut-on se lailser aller aux Ă©blouiflemens de lâorgueil, quand on rĂ©flĂ©chit sĂ©rieusement fur la fragilitĂ© de ces biens fugitifs ? Rien nâest plus voisin de la pauvretĂ© que les grandes richesses. Il faut mille degrĂ©s pour monter au temple de la Fortune, il nâen faut quâun pour en descendre. Une prospĂ©ritĂ© qui paroissoit inĂ©branlable, est renversĂ©e en moins de temps quâon nâest Ă le dire. Les plus obscures nuits succedentaux plus beaux jours; & lâorage fond quelquefois dans le moment que le ciel Ă©toit le plus calme. Aufli le Sage nous recommande- t-il de penser Ă la pauvretĂ© dans le temps de lâabondance, parce que du matin au soir le temps change ; U tout cela , dit-il, arrive en un moment sous les ueux de Dieu 7. 7 . âą. Ex htzç omnia citata in oculis Dei, Eccli. 1 8* c - f4 Lâ.Ă C O L E âąq= L Enttndi[ raillent. Quelque chose quâon vous dise en badinant, ne vous en offensez pas aisĂ©ment. Entendre raillerie est la plus sĂ»re marque dâun bon esprit. Il nây a que les petits gĂ©nies qui se choquent de tout il nây a guere que ceux qui font mĂ©prisables , qui craignent dâĂȘtre mĂ©prisĂ©s. Ne relsemblez pas fur-tout Ă ces caractĂšres pointilleux, qui sâimaginent toujours que câest contre eux quâon dirige tous les traits quâon lance, ou qui se piquent des plaisanteries les plus innocentes. Il nâest jamais permis de badiner avec eux tout les offense , tout est pour eux entourĂ© dâĂ©pines , ils se sentent piquĂ©s de tout ce qui les touche le plus lĂ©gĂšrement. Les politesses mĂȘme les plus honnĂȘtes, mais un peu libres & familiĂšres , choquent ces esprits ombrageux ils y trouvent un certain je ne fais quoi qui les blesse. Vous les voyez soudainement hors dâeux-mĂȘmes entrer en des fougues terribles, parce que vous avez laissĂ© Ă©chapper la plus lĂ©gĂšre raillerie , ou parce que leur imagination blessĂ©e a vu dans vos yeux quelquâun de ces regards Ă©quivoques quâils nâentendoient pas. Ils se persuadent que vous avez des MĆurs. ss voulu les offenser 7 & ils sâoffensent. Quoique vous nâayez nullement pensĂ© Ă les insulter ou Ă leur faire de la peine, ils fe croient attaquĂ©s , & ils vous attaquent comme des furieux. Tel Ă©toit Cyrano de Bergerac, auteur du Perlant j'uĂš. Le nez de Cyrano, qui Ă©toit tout dĂ©figurĂ© , lui a fait tuer plus de dix personnes il ne pouvoir souffrir quâon le regardĂąt fixement, & il faisoit auilĂź-tĂŽt mettre lâĂ©pĂ©e Ă la main. Si son badine de votre figure , riez-en le premier. Le secret dâempĂšcher la raillerie est de la prĂ©venir, & le moyen le plus efficace de lâarrĂȘter est de la bien prendre. Câest ĂŽter Ă ceux qui veulent rire de nous le plus dĂ©licat du plaisir, que dâen rire nous-mĂȘmes , comme faisoit M. Heidegger. Il Ă©toit nĂ© dans un village de la Susse. Il vint Ă Londres chercher fortune , & il parvint Ă ĂȘtre' Directeur des jeux de la nation. Il avoir beaucoup dâesprit & de vivacitĂ© , mais encore plus de laideur. La difformitĂ© de son visage Ă©toit affreuse, & la nature lui avoir donnĂ© de plus une rotonditĂ© excessive ce qui le rendoit monstrueux. Mais il Ă©toit le premier Ă en plaisanter. 11 fit mĂȘme un jour une gageure singuliĂšre contre Lord Chesterfieid il paria quâon ne trouveroit point dans tout Londres un visage plus hideux que le s6 V Ă C O L E sien. Lord Chesterfield, aprĂšs de pĂ©nibles recherches , dĂ©couvrit enfin une vieille dâune laideur horrible. Cette vieille & M. Heidegger se prĂ©sentĂšrent devant les juges du pari, qui, au premier aspect, dĂ©cidĂšrent que la vieille Ă©toit la plus laide, & que Lord Chef- terfield avoit gagnĂ©. M. Heidegger appela de ce jugement, allĂ©guant que pour quâil y eĂ»t droit Ă©gal, la vieille & lui dĂ©voient paroĂźtre fous le mĂȘme ajustement. il se para de la coiffure, & fous cette nouvelle forme il parut si Ă©pouvantable aux juges, quâils furent obligĂ©s de lui adjuger le pari. Il ne convient quâaux gens fans esprit ou sans Ă©ducation , de se fĂącher contre celui qui les raille , ou de lui rĂ©pondre par des injures. Ce nâest pas quâil faille se laisser moquer comme un sot, ou Ăaroitre insensible aux traits les plus piquans. Mais on doit riposter Ă propos, & tĂącher de faire retomber fur ceux qui nous badinent les traits quâils dĂ©cochent fur nous. Un Courtisan , grand dissipateur , voulant se moquer de M. de Lort, MĂ©decin du Cardinal de Richelieu , le pria de lui dire quelle maladie il pouvoir avoir , & pourquoi ne sentant aucune douleur, buvant bien , mangeant bien , dormant tout de mĂȘme, ses excrtmens Ă©toient toujours verts. Il m des MĆurs. sj faut pas sâĂ©tonner de cela, rĂ©pondit le MĂ©decin, câesi que vous avez mangĂ© tout votre bien en herbe. Quelques Chevaliers de Malte parvient un jour fur le danger dont ils fembloienc ĂȘtre menacĂ©s par les Turcs , quâon difoic venir fondre fur eux avec cent mille hommes. Lâun de ces Chevaliers fe nommoit Samson , mais il Ă©toit de fort petite taille. Quelquâun de la compagnie dit en riant Messieurs , quelle raison y a-t-il de sâalarmer ? Nâavons-nous pas un Samson parmi nous ? il suffira seul pour dĂ©truire toute lâarmĂ©e des Turcs. Ce discours excita une grande risĂ©e. Mais le Gentilhomme changea bientĂŽt les rieurs par fa rĂ©ponse. Vous avez raison, Monsieur , lui rĂ©pliqua-t-il aufĂźi-tĂŽt; mais pour faire ce que vous dites , il me faudrait une de vos mĂąchoires , Es? alors je ferais des miracles. Quoique la repartie ne soit gucre permise Ă lâĂ©gard de ceux qui lont au-dellus de nous, le respect dĂ» au rang nâen met pas toujours Ă couvert. Le badinage qui place en quelque forte lâagrelfeur & lâoffensĂ© de niveau, attire quelquefois aux Grands mĂȘme des rĂ©ponses dâautant plus mortifiantes,quâils sây attendoient moins. François Premier fut, comme on fait, vaincu & fait prisonnier par les ImpĂ©riaux Ă la bataille de Pavie. Quelque C s 58 V Ă c O L E temps aprĂšs ĂȘtre sorti de si prison de Madrid , il demanda par plaisanterie Ă une Dame sort laide, depuis quand elle Ă©toit revenue du pays de BeautĂ©. J'en revins , Sire, rĂ©pondit-elle, le mĂȘme jour .que Votre MajesiĂ© revint de Pavic. des MĆurs. 0 XXVI. Fuye{ les libertins, Us fats U Us pĂȘdans. L/ E S libertins scandalisent, les fats ennuient, les pĂ©dans assomment. Mais il pouroit vous arriver encore quelque chose de pire, ceseroit de parvenir Ă leur relsembĂźer en les frĂ©quentant. Comme ces trois especes d'hommes font un peuple fort grand, & que leur sociĂ©tĂ© est trĂšs-contagieuse, il esta propos dâentrer dans quelque dĂ©tail, pour les faire mieux connoĂźtre & pour en inspirer plus dâĂ©loignement. Lâemploi du Sage &du Philosophe est dâobserver les hommes , non pour rire de leurs folies , ou pour en pleurer i, mais pour apprendre Ă ne pas les imiter. LâĂ©tude de lâhomme, qui est fans doute une des plus belles & des plus utiles , ne doit pas ĂȘtre feite par pure curiositĂ©, & Ci.' On fait que Dcmocritc rioit continuellement des folies des hommes, Sz qu 'Hiracliu pleuroit saas cesse sur leurs extravagances. Si tous deux auoienc raison pour le fond, tous deux Ă©toieut fous de porter la chose Ă l'exĂšs. On demande quelquefois lequel Ă©toit le plus fou ; Je crois que câĂ©toit le second, parce que câĂ©ccit le fou le plus malheureux* C 6 6o Lâ Ă C O L E ' bien moins par malignitĂ©. Il faut obier, ver les hommes, pour devenir meilleur & pour aider les autres Ă l'ĂȘtre. Câest la lâobjet important de la morale , & ce qui Ă©leve cette science au-deilus de toutes les autres. Jeune homme, qui aimez Ă vous former & Ă vousinltxuire venea donc continuer Ă les observer avec moi, & apprenez Ă connoĂźtre ici ceux quâil vous importe le plus dâĂ©viter-& de fuir. Les libertins. Le danger le plus commun & le plus inĂ©vitable, auquel vous ferez exposĂ© dans le monde , câelt le mauvais exemple & les liaisons dangereuses. Il nâest rien de plus Ă©loquent que lâexemple. On balance quelques raomens mais bientĂŽt on dit ce quâon entend dire, on fait ce quâon voit faire, on marche Ă grands pas dans les routes larges & battues de lâiniquitĂ©, & souvent mĂȘme on se sait une saillie gloire de surpasser en libertinage ceux dont on avoir dâabord eu horreur. Saint ClĂ©ment dâAlexandrie & Eusebe de CĂ©sarĂ©e, rapportent que lâApĂŽtre saint Jean faisant la visite des Eglises dâAsie, y trouva un jeune homme qui lui plut; il lâinstruisit, & le recommanda particuliĂ©rement Ă lâEvĂȘque de la ville. Cet EvĂȘque lui promit dâen avoir beaucoup de foin, & il le fit au commencement. des MĆurs. 6s Mais ayant laissĂ© dans la fuite trop de libertĂ© Ă fonĂ©leve, il fut corrompu par des jeunes gens de son Ăąge, qui ne pen- foie nt quâĂ fe divertir, & qui le portĂšrent insensiblement Ă fe rendre complice, avec eux des plus grands crimes. 11 fit plus encore sâĂ©tant mis Ă leur tĂšte, il forma une troupe de voleurs; & comme il Ă©toit dâun naturel vif & ardent, il devint le plus violent Ă©t le plus cruel de tous. Quelque temps aprĂšs , saint Jean Ă©tant revenu dans la mĂȘme ville , redemanda Ă lâEvĂšque le dĂ©pĂŽt quâil lui avoit confiĂ©. Celui-ci lui avoua en rougissant, que le jeune homme Ă©toit devenu un Chef de Brigands, & quâil sâĂ©toit emparĂ© dâune montagne on il fetenoit avec une troupe de gens semblables Ă lui. LelĂ int .ApĂŽtre , pĂ©nĂ©trĂ© de douleur, aprĂšs avoir fait de jultes reproches Ă lâfivĂšque, monte fur un cheval, & court au lieu quâon lui avoir indiquĂ©. Les sentinelles des voleurs fe saisirent de lui. Câejl pour cela, leur dit-il, que je suis venu quâon me conduise Ă votre Capitaine. Celui-ci ayant apperqu & reconnu son ancien MaĂźtre, la honte lâobligea de sâenfuir. Saint Jean le poursuivit Ă bride abattue, malgrĂ© la soibleise de son grand Ăąge ; & cri oit apres lui Mon fits , pourquoi me fuyez- vous? pourquoi fuyez-vous voire pc>c , m homme vieux if fans armes ? Ne craignes 6r Lâ Ă c b l e point il y a encore cspctance pour votre Jalut. Sâil rĂ nĂ©cessaire , je Souffrirai trĂšs- volontiers la mors pour vous , comme Jesus- Chrifl lâa soufferte pour nous tous dĂ©meniez , croyez-moi. Le jeune homme, touchĂ© de ces paroles , sâarrĂȘta, tenant les yeux baissĂ©s en terre il rompit ensuite ses armes ; & voyant que le saint Vieillard approchoit, il alla se jeter Ă ses pieds, & pleura amĂšrement. LâApĂŽtre le releva, lâembrassa , le ramena , & ne le quitta point quâil ne lâeĂ»t entiĂšrement fait rentrer dans le chemin de la vertu, que ses compagnons de dĂ©bauche lui avoient fait abandonner. On peut dire des mauvaises sociĂ©tĂ©s ce que lâiicriture dit des mauvais entretiens; elles corrompent les bonnes mĆurs , elles dĂ©truisent le plus beau naturel, les plus heureuses inclinations 2 . Combien de fois nâa-t-on pas vu les fruits prĂ©cieux dâune longue & sage Ă©ducation, dĂ©truits en peu de temps par le fouille em. poifon'nĂ© des compagnies dangereuses! Câest ce qui arriva Ă ce jeune homme de qualitĂ© , dont parle le cĂ©lĂ©brĂ© Chancelier Gerson. 11 a voit Ă©tĂ© long temps un modele dâinnocence & de piĂ©tĂ© mais sâĂ©tant r Corrumpunt mgres honos collcquia prayj. X, Cor. 15. D E S M Ć U R S. 6? malheureusement liĂ© avec un libertin, les discours & les exemples de cet ami corrompu Tinsecterent bientĂŽt , & le pervertirent entiĂšrement, il se livra comme lui aux plus grands dĂ©sordres. Atteint dâune maladie mortelle, le fou- venir de ses crimes le jeta dans le dĂ©sciĂ© poir. Malheur Ă celui qui mâajĂ©duit, dit-il au PrĂȘtre qui lâexhortoit ! mes aimesJcmt trop grands , pour que je puĂźjse en espĂ©rer le pat don. Je vois Un ser ouvert pour me recevoir. Eli prononçant ces dernieres & terribles paroles, il expira ;. Parens , qui avez de la vertu, & qui voulez conserver Ă vos enfans celle que vous avez tĂąchĂ© de leur inspirer, vous ne sauriez trop les prĂ©munir contre Iss funelles effets que produisent les mauvais exemples. Le jeune homme agitĂ© tout Ă la fois par la sievre qui le dĂ©vore, & tentĂ© par les exemples corrupteurs que le monde offre Ă ses yeux, aura bien de la peine Ă se soutenir , si vous ne raffermissez. Fortifiez-le donc; armez-le de bonne heure des plus sages conseils; revenez Ă la charge, Ă mesure que le pĂ©ril augmente; ne vous lassez pas de travailler, ? On peut voir ce fait plus dĂ©taillĂ© rtstns Y Ami des Enfans ctt ouvrage, Ă©crit avec tint-'Ă©lĂ©gante simplicitĂ©, est rempli d'exccl-entes leçons rio^uĂ©esĂ la premiĂšre jeuireĂŒ's par un vĂ©ritable ami. 64 Lâ Ă e o l S jusquâĂ ce que le caractĂšre soit tout- Ă -fait formĂ©. Faites-lui sur-tout bien con- noĂźtre ceux dont il doit le plus Ă©viter la compagnie ; & dites-lui avec ce zele que doit vous donner votre tendresse, & ce ton persuasif qui est celui de lâamour O mon fils, jâai travaillĂ© fans relĂąche jusquâĂ prĂ©sent Ă jeter dans votre aine les prĂ©cieuses semences de toutes les vertus, & Ă les faire Ă©clore. Je sens mon amour croĂźtre avec vos heureuses inclinations. Mais plus je vous aime , plus je tremble pour vous que vous ne veniez Ă former des liaisons suspectes & dangereuses. Vous dĂ©sirez savoir quelles font celles dont vous devez principalement vous dĂ©fendre. Ce souhait, qui est pour moi dâun si heureux augure, je me hĂąte de le satisfaire. Evitez fur-tout ces affronteurs de profession , qui vivent aux dĂ©pens du public, qui ne font jamais si contens dâeux- mĂȘmes , que quand ils ont trouvĂ© quelque nouveau moyen de tromper lâOuvrier & le Marchand, de bien manger, de bien boire, & de ne rien payer , dâemprunter, & de ne point rendre, de duper la bonne foi des simples , & dâexcroquer lâargent des enfans de famille. Evitez encore tous ces jeunes gens gĂątĂ©s, fuis mĂ©rite & lĂ nstalens, dont les dĂ©bauches les plus infĂąmes font les paisirs des MĆurs. 65 les plus dĂ©licats , qui se disputent la gloire des excĂšs , & qui se font un jeu de dĂ©shonorer les familles, de sĂ©duire les femmes , & de les dĂ©crier. Evitez avec une Ă©gale horreur tous ces vieux libertins , qui dĂ©jĂ un pied dans le tombeau , se plaisent Ă insinuer Ă la jeunesse leurs senti mens pervers , comme pour perpĂ©tuer aprĂšs eux leur libertinage , le soustraire au tombeau oĂč ils vont ĂȘtre engloutis , & lui donner une affreuse immortalitĂ©. HĂ©las ! verroit-on, mon fils, dans les jeunes gens tant de corruption , sâil ne se trouvent de ces dĂ©testables corrupteurs , qui leur ouvrent malheureusement les yeux fur ce quâils devroient toujours ignorer , & les arrachent dâentre les bras de lâinnocence, pour les jeter dans ceux de la voluptĂ© ? Si vous faites jamais sociĂ©tĂ© avec eux, vous ĂȘtes perdu, & peut-ĂȘtre pour toujours , comme ce jeune homme, dont je ne puis jamais me rappeler lâhistoire fans frĂ©mir. Il menoit la vie la plu^ rĂ©guliĂšre & la plus innocente. Un misĂ©rable libertin lâentraĂźna dans un lieu de dĂ©bauche, & le prĂ©cipita dans le crime. Au sortir de lĂ les remords lâafsiegent, la fievre le lĂ isit, les transports lui montent au cerveau , & il meurt le mĂȘme jour, fins avoir le temps de se repentir & de pleurer son crime. Son corrupteur crut le. '66 V Ă C O L E voir une nuit au milieu des flammes, & lâentendre lui reprocher fa perte Ă©ternelle. O mon fils, si les libertins vous invitent Ă venir avec eux , souvenez vous de ce terrible exemple, refusez fermement, & rĂ©sistez avec courage Ă leurs indignes âąsollicitations. Si un malheureux moment vous livre en leur compagnie , & vous jette au milieu dâeux fans le savoir appelez promptement Ă votre secours toutes les leçons de vertu que vous avez reçues, & fortifiez-vous contre leurs allants, par le souvenir de toute lâhorreur que mĂ©rite le vice , & du mĂ©pris profond que sâattire un dĂ©bauchĂ©. Fuyez le plutĂŽt quâil vous fera polsibic , & fuyez loin. LâhĂŽpital Ă trente ans , & Ă la mort lâimpĂ©nitence câcst tout ce qui reste du commerce des libertins. Enfin, mon Fiis, ajoutera ce pere vertueux & chrĂ©tien, vous avez des mĆurs & de la religion craignez la sociĂ©tĂ© de ceux qui peuvent vous les faire perdre. Le libertinage de lâesprit marche a la suite du libertinage du cĆur, & il est encore plus contagieux & plus funeste. Ecoutez-en la preuve dans le trait que je vais vous raconter. G Ă©gorio LĂ©ti , Auteur de plusieurs histoires connues , avoir fait dans fa premiĂšre jeunesse ses Ă©tudes Ă Cosence chez les JĂ©suites. Il fut D E S M Ć U R S. 67 appelĂ© Ă Rome par un oncle qui vouloir le faire EcclĂ©siastique mais il refusa dâen, trer dans ses vues. Il revint Ă Milan la patrie , & y demeura deux ans. Ce fut lĂ quâabandonnĂ© Ă lui-mĂȘme, il perdit bientĂŽt, par la compagnie des impies quâil frĂ©quenta , les principes de religion quâil avoit reçus. Quelque temps aprĂšs il se mit Ă voyager, & passant par Aqua- pendente, dont son oncle Ă©toit devenu EvĂȘque , il alla le voir. Comme il tenoit des propos fort libres fur la religion, ce PrĂ©lat lui dit Dieu veuille , mon neveu , que vous ne deveniez pas quelque jour un grand hĂ©rĂ©tique mais , pour moi , je ne veux plus vous avoir dans ma maison. Ce que craignoit ce sage PrĂ©lat, ne manqua pas dâarriver. LĂ©ti alla Ă Geneve fit connoilßà nce avec un Calviniste libertin, & de se perdre par ses conversations. Il fit profession publique de la religion Protestante, resta Calviniste toute El vie , se dĂ©shonora par des libelles contre les Princes , vĂ©cut, quoiquâavec destalens, destituĂ© de biens & de protections, & mourut presque subitement Ă Amsterdam. Mais quâai-je besoin, mon fils , de vous rapporter des exemples anciens, tandis que vous en avez de si tristes fous vos yeux , dans ce siede malheureux dâimpiĂ©tĂ© ? LâirrĂ©iigion marche aujour- §8 Lâ Ă C O L E dâhui la tĂšte levĂ©e, & conspire ouvertement contre Dieu. DĂ©corant lĂ fauste sagesse du nom de philosophie , elle a formĂ© lâhorrible complot de renverser ies autels, de dĂ©raciner la foi, de corrompre lâinnocence & dâĂ©touffer dans les amcs tout sentiment de vertu. RĂ©solue de porter Ă la religion les coups les plus funestes, elle exhorte, par mille discours tĂ©mĂ©raires & par une multitude dâĂ©crits scandaleux, Ă briser ses liens, Ă secouer son joug. Nos prĂ©tendus figes voient avec complaisance la jeunesse courir en foule Ă leurs leçons, & boire avec aviditĂ© le poison de lâerreur dans les coupes perfides quâils lui prĂ©sentent. Ils ne comprennent pas quâils ne font que les exĂ©cuteurs de la vengeance divine , qui se sert dâeux dans la profondeur de ses desseins , pour perdre ceux qui mĂ©ritent de pĂ©rir par lâabus quâils font des grĂąces de Dieu. Leurs succĂšs rapides les enhardissent Ă produire tous les jours de nouveaux blasphĂšmes. Mais attendons les momens du Seigneur il viendra dans lĂ colere souffler contre cet amas pompeux dâiniquitĂ©, & il le rĂ©duira en pouffiere. Craignez , mon fils , dâĂštre enveloppĂ© dans leur ruine. Fuyez-les avec la mĂȘme horreur quâon fuit la vue du serpent prĂȘt Ă lancer son venin. Puisquâils veulent se corrompre & vous corrompre avec eux, des MĆurs. 6 $- fendez la presse, retirez-vous Ă lâĂ©cart, ou allez respirer un air plus pur dans la compagnie des gens de bien. Car, ne vous y trompez pas, mon fils, presque tous les impies font des libertins publics ou cachĂ©s. Une expĂ©rience journaliĂšre, bien honteuse pour le parti de lâimpiĂ©tĂ©, ne nous apprend elle pas que les doutes, par rapport Ă la religion, ne surviennent dans lâesprit, que quand les pallions font devenues les maĂźtresses du cĆur ? On nâentre dans les voies de lâirrĂ©ligion quâaprĂšs avoir abandonnĂ© celles de lâinnocence. Pour un homme peut-ĂȘtre irrĂ©prochable dans ses mĆurs, que lâincrĂ©dule produira de son cĂŽtĂ©, on lui en opposera mille, livrĂ©s aux excĂšs delĂ plus honteuse licence, L qui sont comptĂ©s parmi ses hĂ©ros. Aussi une personne qui en avoit vu beaucoup & qui les connoissoit bien , assuroit-elle quâelle nâavoit point connu dâhomme plus scandaleux dans fa façon de vivre & de penser quâun impie de profession. En faut-il davantage, mon fils, pour les avoir en horreur, les fuir & les dĂ©tester ? Ainsi parlera un pere sage & vertueux ; & ne doutons pas que de telles leçons, soutenues de toute la force de son exemple , ne fassent de profondes impressions fur un fils bien nĂ© & docile. 70 Lâ Ă c o l ĂŻ â - ââ Ăź> Les fats. Le fat ouĂŻe petit-maĂźtre est l'espece dâhomme la plus vaine & la plus mĂ©prisable qui vĂ©gĂ©tĂ© fur la surface de la terre. Un Ecrivain moderne 4 a fait du fat une peinture bien reslemblante. iNous allons en rappqrter les traits les plus faillans & les plus propres Ă faire sentir tout le ridicule de ce caractĂšre. Combien de jeunes sots mal-Ă©levĂ©s poliront sây reconnoĂźtre ! Un fat elf un homme dont la vanitĂ© feule forme le caractĂšre, qui nâagit que par ostentation, & qui voulant sâĂ©lever au-dessus des autres , fait tout ce quâil faut pour ĂȘtre mĂ©prisĂ© de tous. Familier avec ses supĂ©rieurs, important avec ses Ă©gaux, impertinent avec ses infĂ©rieurs, il tutoie, il protĂ©gĂ©, il mĂ©prisĂ©. Vous le saluez, & il ne vous voit pas; vous lui parlez , & il ne vous Ă©coute pas ; vous parlez Ă un autre, & il vous interrompt. Il lorgne, il persifHe au milieu de la compagnie la plus respectable & de la conversation la plus sĂ©rieuse. Soit quâon le souffre , soit quâon le chaise, il en tire 4 M. de Mafiis y dans le Dictionnaire EncyclopĂ©dique, ouvrage plus pernicieux qu'utile, auquel on pouroit appliquer ces de Martial Sunt bona a unt qutzdam mediocria , suni mata, mulia. des MĆurs. 7s Ă©galement avantage. Il öftre une place dans fa voiture, & il laide prendre la moins commode. Il nâa aucune commis lance , cependant il donne des avis aux Savans & aux Artistes. Il parle Ă lâoreille de ses gens. Il part vous croyez quâil vole Ă un rendez-vous, il va souper seul chez lui. Il se fait rendre mystĂ©rieusement en public des billets vrais ou supposĂ©s. Il fait un long calcul de ses revenus, il nâa que soixante mille livres de rente, il ne peut pas vivre. Il consulte la mode pour ses travers comme pour ses habits, pour ses indispositions comme pour ses voitures , pour son MĂ©decin comme pour son Tailleur. Il nâose avouer un parent pauvre ou peu connu il se glorifie de lâamitiĂ©,dâun Grand, Ă qui il nâa jamais parlĂ© ou qui ne lui a jamais rĂ©pondu. Pour peu quâil fĂ»t fripon, il seroit en tout le contraste de lâhomme de mĂ©rite. En un mot, câest un homme dâesprit pour les lots qui lâadmirent, câest un sot pour les gens sensĂ©s qui le mĂ©prisent. Ajoutons encore Ă ce portrait quelques couleurs & quelques nuances, afin de rendre la ressemblance plus entiĂšre & plus sensible. La passion favorite du petit- maĂźtre, est de se distinguer par la bizarrerie de ses goĂ»ts , par la vanitĂ© de ses habillemens il lui faut des folies changeantes, des idĂ©es toutes neuves * 7L ' Lâ Ă C O L B des plaisirs tout frais. Câest un courtisan des Dames, un agrĂ©able, & en mĂȘme temps un philosophe un esprit tort; & tandis quâil se raille de la Religion, des PrĂȘtres & des Moines , il pirouette fur un pied ou le regarde dans toutes les glaces. Le fat est enchantĂ© de lui-mĂȘme auffi aime-t-il Ă fe montrer. 11 croit plaire Ă tout le monde, & ĂȘtre admirĂ© de ceux mĂȘme qui fe moquent de lui. Quoiquâon nâapperqoive en lui rien de grand que lâopinion quâil a de lui-mĂȘme, il est tout rempli de son prĂ©tendu mĂ©rite , & croit que personne ne le vaut. Il a la plus haute idĂ©e de ses talens, & il est le plus content du monde de fa personne. Un fat qui ressembloit Ă celui dont nous venons de parler, mena un jour chez une Dame de considĂ©ration le jeune Marquis de TierceviUe , dont la physionomie peu spirituelle nâannonçoit pas autant dâesprit quâil en avoir. Il dit en entrant Madame, je vous prĂ©sente M. le Marquis de TierceviUe, qui nâest pas si sot quâil le paroĂźt. C'ejl , Madame , reprit aussitĂŽt le jeune Marquis , la diffĂ©rence quily a entre Monjicur U? moi. Le fat est entre lâimpertinent & le sot il nâa ni lâinsolence du premier, ni la bĂȘtilĂš du second, mais, comme tous les deux, il choque, il rebute, il dĂ©goĂ»te. Le Le sot nâa pas assez dâesprit pour ĂȘtre fat, le fat nâa pas assez de jugement pour ĂȘtre homme dâesprit. Le fat qui a quelque esprit, en abuse, & ne sait pas sâen servir Ă propos. Il elf affectĂ© dans ses expressions comme dans ses maniĂ©rĂ©s. Un jeune fat disoit devant M. de Montai, que M. de Turennc Ă©toit un joli homme. Et moi , lui dit-il, je vous trouve un joli sot de parler ainfi dâunfi grand homme. Le fat qui a peu dâesprit sâen console, en mĂ©prisant ceux qui en ont câest un dĂ©dommagement quâon ne doit pas lui envier. Un fat de cette espece se plai- gnoit dans une compagnie, de la grande dĂ©pense quâil Ă©toit obligĂ© de frire pour nourrir dix chevaux. Au lieu dâavoir tant de chevaux dans votre Ă©curie, lui disoit- on , que ne rĂ©servez-vous une parcie de votre revenu, pour vous procurer la compagnie des gens dâesprit. Le fat qui ne sentoit pas le bon conseil quâon lui donnoit, rĂ©pondit Mes chevaux me traĂźnent , mais les gens dâesprit .... Les gens dâesprit, lui repartitauffi-tĂŽt quelquâun, vous porteront fur Leurs Ă©paules. Un Philosophe Anglois rapporte un trait qui montre bien ce que les gens de la plus basse condition pensent eux-mĂȘmes de lâespece dâhommes dont nous parlons. Il dit que rĂȘvant un jour dans une des promenades publiques de. Tome III. D 74 Lâ t C O L E Londres , un laquais vint le distraire de ses rĂ©flexions profondes. Il portoit dans ses bras un petit chien , quâil posa doucement fur lâherbe prĂ©cisĂ©ment devant notre Philosophe. Il lâinvitoit Ă marcher , mais lâanimal capricieux, trop gras dâailleurs, trop indolent, Ă©toit sourd aux priĂšres, & demeuroit nonchalamment Ă©tendu sur le gazon. Donnez-lui un coup de pied, lui dit le Philosophe, il vous suivra , je vous le garantis. Je le crois, Monsieur, rĂ©pondit le laquais; mais si jâavois lâaudace de frapper CĂ©lĂ r, jeserois infailliblement chassĂ© il est le favori de ma maĂźtresse. Votre maĂźtresse nest pas mariĂ©e, je suppose. Elle lâest depuis dix ans. A-t-cĂe des enfans ? Elle nâen a que sept. Et ce vil animal est son favori! je ne lui suppose pas mĂȘme une ame supĂ©rieure Ă celle de son chien. Une telle condition peut-elle vous plaire? Monsieur, la Providence mâa mis dans la nĂ©cessitĂ© de servir ; je remplis ma destinĂ©e , & je fuis toujours content de lâemploi que me donnent mes maĂźtres. Jâavoue quâil nâest pas agrĂ©able dâĂȘtre le conducteur dâun chien ma prĂ©cĂ©dente condition Ă©toit cependant pire encore, je fer vois un fat il nây avoit pas de tourmens que ses caprices & ses hauteurs ridicules ne me fissent endurer jâĂ©tois dans la dure nĂ©cessitĂ© de me soumettre Ă tout. Viens, viens des MĆurs. ici, mon pauvre CĂ©sar; va, je dois lâavouer , ii vaut encore mieux te garder que de servir mon premier maĂźtre. Il se bailla , pritlâanimal, & bourdonnant un air, il continua de promener CĂ©sar. La philosophie de cet homme,ajoute lâAuteur , valoir mieux que la mienne. Il est quelquefois nĂ©ceilaire de comparer son Ă©tat avec un Ă©tat plus malheureux ; câest le moyen dâĂȘtre toujours content. Mais savoir sâaccommoder Ă une condition servile , Ă une condition aussi humiliante que celle de conduire un chien ou dâobĂ©ir Ă un fat en vĂ©ritĂ© câest lâeffort de la sagesse ". Quâil nous soit permis dâajouter aussi une rĂ©flexion, que nous fait naĂźtre lâhistoire que nous venons de uniquement des animaux, comme font aujourdâhui tant de personnes, les caresser tout le jour, avoir pour eux des foins, des attentions quâon nâauroit peut- ĂȘtre pas pour des hommes est-ce lĂ ĂȘtre homme loi-mĂȘme? Leur prodiguer des friandises, des douceurs qui seroient bien plus nĂ©cessaires Ă de pauvres malades est-ce avoir de lâhumanitĂ© & de la religion ? Les femmes fur-tout ont un foible extrĂȘme pour les petits animaux quâelles ont pris en amitiĂ©. Câest une vraie petitesse , qui ne leur fait pas beaucoup D 2 76 Lâ Ă C O L ÂŁ dâhonneur dans lâesprit des gens sensĂ©s; mais combien font-elles encore plus inexcusables, lorsqu'elles se portent Ă de ridicules excĂšs dâaffliction ou Ă de vio- lens transports de colere, si elles viennent Ă les perdre ! Lâenvie de les guĂ©rir, sâil est possible, de cette double folie, qui nâest pas moins dĂ©shonorante pour leur sexe que la fatuitĂ© de nos petites- maĂźtresses , & qui souvent est ausix fĂącheuse pour les autres que pour elles- mĂȘmes, nous engage Ă leur rapporter ici un beau trait, bien digne de leur imitation en pareil cas. La Princesse dâOrange , qui vivoit fur la fin du dernier siecle, avoir un petit perroquet tout blanc avec une huppe & une queue couleur de feu il ne faisoit pas moins de plaisir Ă lâentendre quâĂ le voir. Ausii la Princesse avoir-elle pour lui un attachement inexprimable. Un jour que .rentrant chez elle au retour dâune partie de chasse, elle couroit pour le revoir, elle trouva scs filles baignĂ©es de pleurs & qui se jeterent Ă ses pieds. OĂč est mon perroquet , dit la Princesse P Ah! rĂ©pondirent- elles , fa cage sâest ouverte, & il sâest envolĂ© ; nous nâavons jamais pu le retrouver , quelque recherche que nous ayons faite. Les pleurs redoubloient pendant ce rĂ©cit. Elles avoient sujet de tout craindre du caractĂšre plein de feu de la V J des MĆurs. 77 Princesse & de son attachement pour lâoiseau. Quel sut leur Ă©tonnement, lorsquâelles entendirent cette Princesse leur dire avec bontĂ© Vous ĂȘtes bien folles de pleurer pour cet animal..il n y en a point , quelque beau quil soit , qui mĂ©rite nos larmes. Il faut fe consoler de ce petit malheur. Je vous ordonne de ne pas nous en chagriner plus que moi. Je ne vous en veux aucun mal , car fans doute ce nefl pas votre faute. Non assurĂ©ment, Madame, sâĂ©criĂšrent ces filles. HĂ© bien , repartit la Princesse, ne pleurez donc pas. Elle passa ensuite dans son appartement, dâoĂč elle renvoya encore ordonner Ă scs filles de ne point sâaffliger de la perte du perroquet. =======^SÂŁS!ĂS====a=-8.. Et les pĂ©dans. Nous entendons par pĂ©dant un savant grossier, opiniĂątre, qui a plus lâusage des livres que du monde , & plus de lecture que de jugement. Le pĂ©dant aime Ă faire parade de fa science, il lâĂ©tale aux yeux designorans , & sailit. toutes les occasions de la montrer. Il dĂ©bite gravement ses pensĂ©es ou plutĂŽt celles des autres, car il ne pense guere, il se contente de savoir ce que les autres ont pensĂ© ; câest un mulet chargĂ© du bagage dâautrui. Il cite sans celle quelque Auteur ancien ou moderne. Il parle latin D 1 78 Lâ Ă C O L E devant les femmes , & grec devant ceux qui ne savent que le latin il a raison , car il est souvent de son intĂ©rĂȘt quâon ne lâentende pas. PĂ©tri dâorgueil & de vanitĂ© , il nâouvre la bouche que pour contredire , il ne respire que la dispute & la chicane, il dit son sentiment dâun ton dĂ©cisif & magistral. 11 raisonne peu , quoique grand raisonneur. Il est, en un mot, tel que Boiltau le dĂ©peint Un pĂ©dant enivrĂ© de sa vaine science , Tout hĂ©rissĂ© de grec, tout bouffi d'arrogance, Et qui de mille Auteurs retenus mot pour mot, Dans fa tĂȘte entafĂŻes, nâa souvent fait quâun sot. Un pĂ©dant de cette espece disoit un jour au PoĂ«te ThĂ©ophile Vous avez beaucoup dâesprit, câest dommage que vous ne soyez pas savant. Vous ĂȘtes fort savant, repartit ThĂ©ophile , câest dommage que vous n ayez pas dâesprit. Il ne faut pas sâĂ©tonner si la science produit dâordinaire beaucoup de vanitĂ© un Ă©rudit doit naturellement ĂȘtre plus vain quâun homme dâesprit , de gĂ©nie mĂȘme. Le gĂ©nie inventeur a une sphere dâaisez peu dâĂ©tendue. Lâesprit qui produit , qui combine, est toujours mĂ©content de lui - mĂȘme, & lâon fait ce beau vers de DejprĂ©aux , si admirĂ© deMoliere Il plaĂźt Ă tout le monde, & ns saurait se plaire. des MĆurs. 79 Mais lâĂ©rudition est inĂ©puisable, câest un pays immense 011 y voit tous les jours augmenter ses richesses ; & lâon met lĂ . gloire Ă jouir dâune science , louable sans doute Ă quelques Ă©gards , mais qui ne vaut pas toujours le temps quâon emploie Ă lâacquĂ©rir , & qui rend quelquefois ridicule par lâimportance quâon y attache. Le Comte de GonĂ omar , AmbaflĂ - deur dâEspagne auprĂšs de Jacques I, Roi dâAngleterre, sâentretenoit en latin avec ce Prince, qui parloit fort correctement cette langue. Le Monarque savant se mit Ă rire de quelques sautes que le Comte faisoit. LâAmbassadeur piquĂ© lui dit Le hitin que je parle est le latin d'un Roi , U celui de votre MajestĂ© est le latin d'un pĂ©dant. Câest sans doute dans les Colleges & parmi les prĂ©cepteurs , quâil est plus ordinaire de trouver les pĂ©dans dont nous parlons. Ils en portent quelquefois le nom, & il faut convenir quâil y en a qui le mĂ©ritent. AccoutumĂ©s Ă parler dâun, ton magistral & absolu , ils prennent insensiblement & sans quâils sâen apper- qoivent un certain air de pĂ©dantisme. Mais il faut avouer auisi que la pĂ©danterie y est beaucoup plus rare aujourdâhui quâautrefois. Parmi ceux qui font chargĂ©s de lâemploi dâinstruire la jeunesse. So LâĂcole on en voit souvent qui rĂ©unissent les lumiĂšres de lâesprit & le goĂ»t des biensĂ©ances , les connoissances littĂ©raires & lâusage du monde, la politesse & les. talens & leur exemple fait voir que ce nâest pas la science qui gĂąte lâesprit, mais lâesprit faux ou tournĂ© Ă la pĂ©danterie qui gĂąte la science. La pĂ©danterie Ă©tant, selon la remarque de la Roches mcault , un vice de lâesprit, encore plus que de la profelfon, il nâest pas rare de trouver , mĂȘme dans les personnes du monde , des pĂ©dans dâune autre espece , & qui ne se doutent peut-ĂȘtre pas quâils le soient. Ce sont ceux qui aiment Ă faire voir quâils savent & quâils ont lu , qui relevent avec foin une erreur dâhistoire ou de gĂ©ographie Ă©chappĂ©e dans la conversation , un mot mal prononcĂ©, un terme peu exact, une expression impropre ou inusitĂ©e comme ce Grammairien pĂ©dant, qui osa reprendre lâEmpereur Tibere sur un mot que ce Prince avoitdit. Un de ses Courtisans ayant soutenu par flatterie que le mot de libĂ©rĂ© Ă©toit latin LâEmpereur , rĂ©pondit-il , peut bien donner le droit de citoyen aux hommes , mais non pas aux mots. Malherbe Ht beaucoup mieux dans une occasion Ă peu prĂšs semblable. Henri IV yant .dit un cuiller dâaryent , tous iĂšs des MĆurs, 8i Ăourtisans se regardĂšrent. Il consulta Malherbe , & lui demanda si cuiller Ă©toit masculin. Ce mot , rĂ©pondit Malherbe , Jera toujours fĂ©minin , ju squ Ă ce que Votre MajcjlĂ© ait fait un Edit , qui ordonne fous peine delĂ vie qu il devienne masculin. Henri IV sourit, & sut bon grĂ© auPoĂ«te de ne lui avoir pas dĂ©guisĂ© la vĂ©ritĂ©. Celui qui montre sa science mal-Ă - propos , ne fait voir que sa vanitĂ©. On doit aimer la science, & travailler Ă en acquĂ©rir, mais il ne faut pas chercher Ă en faire parade. Ce dĂ©faut nâest peut- ĂȘtre pas maintenant beaucoup Ă craindre, fur-tout par rapport Ă lâĂ©rudition profonde. On donne au contraire dans un autre excĂšs. Câest une espece de mĂ©rite aujourdâhui que de faire peu de cas de lâĂ©rudition , & câest mĂȘme un mĂ©rite que bien des gens le contentent dâavoir, Depuis que de beaux esprits se sont plu Ă jeter un ridicule fur les la va ns & fur la science quâils traitent de pĂ©danterie, on a craint une qualification si injurieuse ; & lâon iĂȘ garde bien de se donner la peine dâacquĂ©rir de lâĂ©rudition , qui mettroit en butte aux traits des mauvais plaisans. Les hommes pourvus de quelque esprit, mais paresseux, ont saisi avec empressement ce prĂ©texte ; & pour excuser ou justifier leur ignorance, ils nâont D 5 8r Lâ E c o l e pas manquĂ© de dire quâil valoir mieux travailler Ă polir lâesprit & Ă former le jugement, quâĂ entaiser dans Ă mĂ©moire ce que les autres ont dit & pensĂ© ; comme lĂź la meilleure terre pouvoir produire long-temps fans engrais , ou le feu le plus vif subsister fins aliment. Incapables de travailler Ă sâinstruire, ou trop inappliquĂ©s pour le faire, ils ont blĂąmĂ© ou mĂ©prisĂ© les savans quâils ne pouvoient imiter ; car le moyen le plus ordinaire de se consoler de son ignorance, est de mĂ©priser ce quâon ne sait pas. Mais malgrĂ© la critique amere de ces censeurs ignorans , les gens sensĂ©s feront toujours cas du savoir. Celui qui ne sait rien , peut-il ĂȘtre estimĂ© ? Il naĂźt tous les jours des occasions , oĂč lâamour-propre souffre vivement de lâignorance; on est honteux & comme dĂ©shonorĂ©. La science orne lâesprit, Ă©tend les lumiĂšres., fournit Ă la conversation. Quelquâun a fort bien dit que lâhomme sage doit employer la premiĂšre partie de fa vie Ă sâentretenir avec les morts, la seconde avec les vivait s , & la troisiĂšme avec soi-mĂȘme. Quiconque nĂ©glige le commerce des morts, ne fera jamais agrĂ©able aux vivans. Ce nâest pas quâil faille sâenterrer dans son. cabinet, ni ambitionner une vaste & profonde Ă©rudition. Trop dâĂ©tude rend D E S M Ć U R S. 8? sombre & abstrait , trop de retraite rouille & engourdit. Il faut savoir, mais prĂ©fĂ©rablĂ©ment Ă tout , il faut savoir un milieu judicieux entre lâignorance & le profond lavoir. Ayez lâesprit plus ornĂ© que chargĂ©. Cultivez votre mĂ©moire fans lâaccabler. Etendez vos connoissances, mais fur-tout ne les prodiguez point, .& nâen faites jamais ostentation ; mĂ©nagez lâamour - propre des autres, & que votre science se. montre comme malgrĂ© vous. Ne donnez pas dans le pĂ©dantisme dâun savantasse , mais encore moins dans lâesprit futile & romanesque de nos petits-maĂźtres. Imitez plutĂŽt la louable modestie de Platon , qui retournant un jour de Sicile en Grece, & passant par la ville dâOlym- pie pour en voir les jeux, sây trouva logĂ© avec des Ă©trangers de distinction. Il mangea & demeura plusieurs jours avec eux. Les jeux finis , ils allĂšrent ensemble Ă AthĂšnes , oĂč il les logea. Ils le priĂšrent de les mener voir le grand Platon , disciple de Socrate. H leur dit en souriant que câĂ©toit lui-mĂȘme. D 6 84 Lâ Ă C 0 L E S r-r,. Choisissei vos amis. Soyez, sâil se peut, aimĂ© cĂźe tout le monde, mais nâayez quâun certain nombre dâamis, & choisissez-lesbien. Lâimpie, le ju. eur, le libertin amis pernicieux. Le joueur de profeflion , lâintrigant amis dangereux. Lâhomme vain, celui qui veut faire fortune Ă quelque prix que ce soit ami-, faux. Le mauvais plaisant, celui qui veut fui avoir de lâelpiit, le diseur de riens amis ennuyeux. Le mĂ©dilant, le satirique amis Ă craindre. Le flatteur, le donneur de mauvais conseils amis funestes. Le caractĂšre fantasque & bizarre celui qui se fĂąche aisĂ©ment & qui sâciisensesans sujet amis difficiles. Lâhumeur capricieuse, lâesprit dur, celui qui vous fait trop acheter ses services amis tyranniques , dont la haine seroit moins insupportable que lâamitiĂ©. Ne comptez pas non plus beaucoup sur lârmitiĂ© des gens flegmatiques ils ont si peu de sentiment, quâils nâen ont guere que pour eux-mĂȘmes. En fait dâamis, les gens vifs font ceux qui valent mieux , parce quâils ont ordinairement le cĆur bon. Ne mettez pas au nombre de vos amis ces gens de bonne chere, que vous des MĆurs.â croyez avoir un grand cĆur parte quâils ont un grand appĂ©tit, & une vraie amitiĂ© parce quâils ont un vaste estomac. Ils vous feront les plus grandes protestations dâamitiĂ© , quand ils seront Ă table ; ils vous promettront tout, quand ils se divertiront avec vous & Ă vos dĂ©pens ; mais aprĂšs cela ils ne se souviendront plus de rien. Les festins pour lâordinaire ne servent Ă nourrir que des flatteurs & des ingrats. Un parasite de cette espece disoit beaucoup de mal de la personne mĂȘme chez laquelle il venoit de bien dĂźner. Attendez du moins, lui dit quelquâun , que vous ayez fait la digestion. Admettez encore moins dans votre amitiĂ© ceux qui croient quâaimer, consiste Ă aider Ă rire effrontĂ©ment dans les dĂ©bauches, & Ă faire le mal avec plus de hardiesse & dâinsolence. Ce sont des meurtriers qui le servent de votre propre main , pour vous porter la mort dans le cĆur. De tels amis font plus dangereux que des ennemis dĂ©clarĂ©s. Ils excusent tout, applaudissent Ă tout, donnent des conseils pernicieux , portent Ă dâindignes excĂšs. Que pouroit faire davantage un ennemi qui voudroit se venger ? LâamitiĂ©, cette douce union des cĆurs nepeutĂ«tre vĂ©ritable & solide, que quand elle a pour fondemens lâhonneur & la 86 Lâ Ă c o t e vertu qui attache, est une chaĂź ne que rien ne peut rompre. Faites-vous donc une maxime inviolable de ne choisir pour amis que des gens de bien , car il nây a point dâautres vrais amis, & ces amis prĂ©cieux ne font que pour ceux qui leur ressemblent. Attachez-vous Ă lâhomme droit & vrai, qui nâaime ni les dĂ©guisemens, ni les dĂ©tours de la finesse, incompatibles avec la sincĂ©ritĂ© & lâouverture que demande lâamitiĂ©. Cherchez une humeur douce & facile, qui fait le plus grand agrĂ©ment des liaisons, un caractĂšre complaisant, & qui sympatise avec le vĂŽtre , car il nây a que la conformitĂ© de caractĂšre qui pu lise rendre les unions durables ; c'est la sympathie qui rapproche les cĆurs & qui resserre les liens de lâamitiĂ©. Si celui dont vous voulez faire votre ami, joint Ă ces qualitĂ©s un bon cĆur ; quand il auroit quelques petits dĂ©fauts, ne balancez pas, le marchĂ© ne saurait manquer dâĂȘtre excellent pour vous. De quelle utilitĂ© nâest pas un bon ami ! La fortune peut nous Ă©lever assez, pour nous affranchir dâune infinitĂ© de besoins j mais quelque pouvoir quâelle ait, elle ne fera jamais quâon puitse se passer dâun fidelleami. Plus nous serons heureux, plus il nous fera nĂ©cessaire , quand ce ne seroic que pour nous donner de bous DES M E'u R S. 8? conseils, pour nous dire la vĂ©ritĂ© , pour nous avertir de nos dĂ©fauts. La Fortune qui eit aveugle, rend aveugles ses favoris ; & comment nous corrigeroit-elle de nos vices , puisquâelle commence par nous ĂŽter nos vertus ? Dans un rang supĂ©rieur, oĂč lâon se croit tout permis, queue se permettra- t-on point? dans quelles fautes impardonnables , dans quels vices dĂ©shono- rans ne tombera-t-on pas , Il lâon nâa un ami fideile , qui, nous prĂ©sentant le miroir de la vĂ©ritĂ© , nous la falle con- noĂźtre, nous Ă©claire, nous soutienne par ses conieils, nous arrĂȘte fur le bord du prĂ©cipice oĂč nous allons nous jeter ? Mais on ne sent jamais il bien la nĂ©cessitĂ© dâun te! ami, que lorsquâon lâa perdu. Augujk le sentit & lâavoua. La Fortune, qui lâavoit comblĂ© de ses faveurs , y ajouta la plus prĂ©cieuse de toutes , celle de deux bons & hdelles amis. Lorsquâil ne les eut plus, il connut alors tout leur prix & le besoin quâil en avoir. Ayant fait une dĂ©marche inconsidĂ©rĂ©e, il ne tarda pas Ă voir sa faute tSt Ă se repentir de son indiscrĂ©tion Ce malheur , dit-il, ne me seroit pas arrivĂ© , Ă MĂ©cĂšne ou Agrippa vĂ©cu. Ayez donc des amis, cherchez-en ; ils font une source dâagrĂ©mens & de bons conseils mais encore une fois, sachez 88 Lâ Ă c o l e les distinguer & les choisir. Nâambitionnez pas dâen avoir un grand nombre. Quoiquâon ait dit quâune femme, quelques enfans, moins de serviteurs, beaucoup dâamis , faisoient la fĂ©licitĂ© dâune maison, ne croyez pas la multitude dâamis nĂ©cessaire au bonheur de la vĂŽtre. Celui qui appelle toutes sortes de personnes ses amis, nâen a point. Contentez-vous dâen avoir deux ou trois dâun commerce fur, ailĂ© & agrĂ©able, avec qui vous puis- siez retirer tous les avantages & goĂ»ter toutes les douceurs de lâamitiĂ©. .Bornez- vous mĂȘme Ă un seul, si vous nâen trouvez quâun fur lequel vous publiez compter. Un seul bon ami vaut mieux que beaucoup dâamis Ă©quivoques. Il y en a tant de ceux-ci, & les vrais amis font si rares 1 Un jeune homme , Ă qui son pere de- mandoit dâoĂč il venoit, ayant rĂ©pondu quâil venoit de voir un de ses amis Vous en avez donc pfiĂeurs , dit le pere! Ah! que vous ĂȘtes infiniment plus heureux que moi i puf pi en soixante tĂż dix annĂ©es quâil y a que je fuis au monde , Ă peine ai-je pu en trouver un ! Il est aussi difficile de trouver de vĂ©ritables amis, quâil lâest de trouver des personnes qui aiment nos intĂ©rĂȘts autant & plus que les leurs , qui nous fassent connoitre & supporter volontiers nos dĂ©fauts, qui nous prĂ©- yiennent&nous secourent dans le besoin. des MĆurs. 89 On ne parle que dâamitiĂ© dans les sociĂ©tĂ©s, dans les compagnies, chez les Grands & parmi le peuple. On ne voit quâelle fur les visages & fur les levres. Elle elt par-tout, exceptĂ© dans les cĆurs. Ce que lâAuteur du Portrait de lâAmitiĂ© lui fait dire, elt trĂšs-vrai Mon abord est civil, jâai la bouche riante, Et mes yeux ont mille douceurs Mais quoique je fois belle , agrĂ©able & charmante» Je regne fur bien peu de cĆurs. Il est vrai quâon mâexalte & presque tous les hommes Se vantent de suivre mes lois Mais que j'en connois peu dans le siĂšcle oĂč noĂŒ$ sommes, Dont le cĆur rĂ©ponde Ă la voix! Perrault, Quels font en effet la plupart des amis, tels que nous les voyons aujourdâhui & quâon les a vus dans presque tous les temps ? Des amis passagers, qui ne le font quâen la riante saison , & qui difpa- roiifent avec les beaux jours de. la fortune semblables aux hirondelles, qui viennent en foule avec le printemps , & sâenvolent quand lâhiver approche. Des amis intĂ©rĂ©ilĂ©s , qui recherchent & cultivent votre amitiĂ© tandis quâelle leur elt utile ou nĂ©cessaire, & qui la nĂ©gligent lorsqu'ils nâeu ont plus besoin, ou quâelle 50 Lâ Ă c o 1 E ne peut leur procurer aucun avantage semblables Ă ces animaux domestiques, qui accourent pour recevoir leur nourriture , & se retirent auifi-tĂŽt quâils l'ont prise. Des amis fanfarons, qui vous font mille offres de services dans tous les cas oĂč vous aurez besoin dâeux, & qui ne peuvent ou ne veulent rien faire lorsque le temps est arrivĂ© ; comme ces arbres quâon voit chargĂ©s de fleurs, & qui ne donnent point de fruits. Que dirai-je enfin ? Des amis orgueilleux , qui se glorifient de votre amitiĂ© tandis quâelle leur est honorable, & qui en rougissent, fl vous venez Ă dĂ©cheoir, ou que la fortune les Ă©leve au-deflâus de vous semblables Ă ces chevaux fiers & superbes, qui sâenorgueillissent sous le cavalier qui- les monte, & sâenfuient lorsquâil tombe. Un homme alla voir un de ses amis, qui venoit dâĂȘtre Ă©levĂ© Ă une grande dignitĂ©. Celui - ci aveuglĂ© par sa nouvelle fortune , mĂ©connut son ami just quâau point de lui demander qui il Ă©toit. Lâami indignĂ© rĂ©pondit au nouveau parvenu , quâau lieu de complimens de fĂ©licitation il croyoit devoir lui en faire de condolĂ©ance, fur le malheur quâil avoit eu de perdre tout dâun coup le jugement & la mĂ©moire , puisquâil ne recomioiiĂźoit pas ses meilleurs amis & quâil ne se eonnoiifoit plus lui - mĂȘme. des MĆurs. 91 â Je connois , dit M. de Claville, un maraud qui a fait fortune il me demandent il y a quarante ans lâhonneur de ma protection ; & ma protection Ă©toit assurĂ©ment la plus petite chose du monde dix ans aprĂšs il mâappela son ami aujourdâhui il ne me salue pas. Jâai connu un autre homme pire que le premier, parce quâil de voit avoir lâame plus belle; il avoir Ă©tĂ© mon intime ami, mais tout- Ă -coup il devint plus grand seigneur quâil ne l'avoir espĂ©rĂ©. A la premiĂšre entrevue il ne se souvint plus que de notre connoissance, Ă la seconde il en rougit & lâoublia â. Nous pourions rapporter beaucoup de traits pareils. Mais Ă ces exemples trop communs & toujours dĂ©shonorans, opposons-en un autre ; & par lâamour de lâĂ©quitĂ© autant que pour la consolation des Ăąmes sensibles aux charmes de lâamitiĂ©, faisons voir que dans ce liecle mĂȘme oĂč lâon ne sacrifie guere que fur lâautel de la Fortune, il sâeit trouvĂ© des cĆurs nobles & gĂ©nĂ©reux, qui se sont fait gloire de sacrifier Ă lâAmitiĂ© pure & constante. ClĂ©ment XIV , 11âĂ©tant encore que simple Religieux, voyoit souvent un Peintre Italien fort mĂ©diocre. Il aimoit son caractĂšre , ses mĆurs, & lui dans la plus grande intimitĂ©. ElevĂ© au Cardinalat, il devint IL Lâ Ă C 0 L E pour le pauvre Artiste un grand Seigneur dont , suivant lâusage ordinaire, lâabord devoir ĂȘtre fort difficile. Auffi le Peintre nâosa-t-il pas aller chez le nouveau Cardinal , ni lui demander sa protection. Son ami pensoit bien diffĂ©remment. EtonnĂ© de ne pas le voir pa- roĂźtre Ă ses audiences , le Cardinal se rendit chez lui dans toute la pompe de sa dignitĂ©. LâArtiste surpris de cette visite inattendue ,1e fut bien plus encore, lorsquâil vit Son Eminence se jeter Ă son cou, le presser dans ses bras , & lâassurer quâelle nâavoit pas oubliĂ© leur ancienne amitiĂ©. Venez donc me voir , lui ditaftec- tueusement le Cardinal , mon palais vous fera toujours ouvert , je ferai toujours visible pour vous , & je ne cefjerai jamais de vous aimer. Lorsquâil sut Ă©levĂ© Ă la Chaire pontificale , on prĂ©senta, selon la coutume, au nouveau Souverain lâĂ©tat de sa maison, sur lequel le Cardinal-M jor avoir placĂ© lâun des plus fameux Peintres dâItalie. Jâapprouve lâĂ©tat, dit le Saint Pere, Ă lâexception de lâarticle du Peintre. Celui que vous me proposez est finis doute excellent ; mais ma figure nâest point assez distinguĂ©e , pour que les portraits quâil en se roi t, puilent ajouter Ă sa rĂ©putation il est riche dâailleurs & peut bien se passer de moi, Je comtois un Peintre ĂŽ e s MĆurs. 9; moins cĂ©lĂ©brĂ©, beaucoup moins opulent, qui mâa toujours Ă©tĂ© ami, & que jâaime Ă©galement je le prends pour mon premier Peintre. Imitez un si bel exemple & si jamais la fortune .vous Ă©levĂ©, fadelle au conseil du Sage , consa vez dam votre cĆur le souvenir de votre ami , U ne ĂŻoubliez pas lorsque vous ferez devenu riche.s. Sacrifiez toujours volontiers lâorgueil ou lâintĂ©rĂȘt Ă la tendre amitiĂ© ; & ne ressemblez jamais Ă aucun de ces faux amis dont nous venons de parler. Que ce soit le cĆur seul qui vous attache Ă vos amis, fins aucun Ă©gard Ă leur bonne ou Ă leur mauvaise fortune. Quelque chose qui leur arrive, souvenez-vous que se dĂ©clarer lâami de quelquâun , câest sâengager Ă lâĂ©tre dans tous les temps, dans toutes les occasions , dans toutes les situations de la vie. AulĂźi supĂ©rieure aux revers quâinaccesiible Ă lâenvie, la vraie amitiĂ© partage lâinfortune comme la fĂ©licitĂ© câest mĂȘme dans le malheur quâelle iĂš montre avec plus dâĂ©clat. La prospĂ©ritĂ© donne des amis , lâadversitĂ©, les Ă©prouve, comme le dit encore lâAu- 5 Non obliviscaris amici lui in animo tuo , & non immemorfis illius in opibus luis. Eccli. ZI. 94 LâĂcoie teur du Portrait, que nous avons dĂ©jĂ citĂ© On m'accuse souvent d'aimer trop Ă paroĂźtre Ou lâon vĂŽit la prospĂ©ritĂ© ; Cependant il est vrai quâon ne me peut connaĂźtre Qu'au milieu de lâadversitĂ©. Câest ce que ce PoĂ«te Ă©prouva lui- mĂȘme. Il avoir Ă©tĂ© fait ContrĂŽleur-GĂ©nĂ©ral des BĂątimens par M. Colbert, qui lâhonoroit de fa confiance & de fou estime. Trop content de faire valoir les talens & le mĂ©rite des autres , de solliciter & dâobtenir des grĂąces pour eux, il bornoit au seul Ă©tablilfement de leur fortune tout lâavantage de la grande faveur. Elle finit avec la vie du Ministre ; & en perdant son protecteur, il perdit aussi son emploi. Il connut dans cette occasion, ce qui nâest que trop ordinaire, lâingratitude de plusieurs faux amis. Sa maison si frĂ©quentĂ©e auparavant, devint solitaire. Quoique la fidĂ©litĂ© constante dans les malheurs & les disgrĂąces soit bien rare , il s J Ă©n trouve nĂ©anmoins quelquefois des exemples; & les fastes de fĂąmitiĂ© nous en ont conservĂ©, qui mĂ©ritent de servir de modĂšles. En voici deux qui nous ont le plus frappĂ©. Le Philosophe CaĂŒiflhene ayant suivi Alexandre dans ses conquĂȘtes, fut accusĂ© des MĆurs. 95 de trahison auprĂšs de ce Prince , qui le fit mutiler, & le condamna Ă ĂȘtre enfermĂ© dans une cage de fer Ă la fuite de lâarmĂ©e. Lysimaque , lâun des Capitaines dâAlexandre, & lâami fidelle de CallisthĂšne, ne discontinua cependant point de venir le voir. Ce Philosophe , aprĂšs lâavoir remerciĂ© de cette attention courageuse , le pria au nom des Dieux, que ce fĂ»t pour la storniere fois. Lailfez- moi, lui dit-il, soutenir mes malheurs, & nâayez pas encore la cruautĂ© dây joindre les vĂŽtres. Je vous verrai tous les jours, rĂ©pondit Lysimaque si le Roi vous favoit abandonne des gens vertueux , il nauroit plus de remords , & comnien- ccroit Ă vous croire coupable. Oh! jâes- pere quâil ri aura pas le plaisir de voir que la crainte dâencourir fa disgrĂące , triait fait abandonner un ami malheureux. Le deuxieme trait que nous avons Ă rapporter, ne fait pas moins dâhonneur Ă lâamitiĂ©. Freind, premier MĂ©decin de la Reine dâAngleterre, sâĂ©toit Ă©levĂ© avec force dans le Parlement contre le Minis- tere. Cette conduite ayant indisposĂ© la Cour , on lui suscita des affaires , & il fut renfermĂ© dans la tour de Londres. Environ six mois aprĂšs,le Ministre tomba malade. Il envoya chercher le cĂ©lĂ©brĂ© MĂ©decin AfĂ©ad. Celui-ci, aprĂšs sâĂȘtre mis au fait de la maladie,dit au Ministre quâil lui A6 Lâ Ă C 0 L Ă rĂ©pondoit de sa guĂ©rison, mais quâil ne lui donneroit pas seulement un verre dâeau , que Freind son ami ne sĂ»t sorti de la tour. Le Ministre , quelques jours aprĂšs, voyants maladie augmenter, sit 'supplier ie Roi dâaccorder la libertĂ© Ă Freind. Lâordre expĂ©diĂ©, le malade crut que MĂ©ad alloit ordonner ce qui convenait Ă son Ă©tat ; mais ce .MĂ©decin persista dans sa rĂ©solution, jusquâĂ ce que son ami fĂ»t rendu Ă sa famille. Ce qui ayant Ă©tĂ© fait, MĂ©ad-traita le Ministre, & lui procura en peu de temps une guĂ©rison parfaite. Le soir mĂȘme il porta h Freind environ cinq mille guinĂ©es, quâilavoit reçues pour ses honoraires, en traitant les malades de son ami pendant sa dĂ©tention, & lâobligea de recevoir cette somme. Heureux ceux qui trouvent de tels amis! Vous mĂ©riterez dâen avoir, si vous ĂȘtes vous-mĂȘme ami fidelle & constant. Avez-vous fait un choix que ce soit pour toute la vie; vous vous en trouverez mieux. Ne quittez pas un ancien ami , car le nouveau ne lui fera pas semblable 6. Ce nâest pas que sâil sâoffre une nouvelle amitiĂ© Ă faire, on doive toujours 6 , Ne dereVnquas amicum anti & lâon nâaime guere Ă savoir que pour avoir le plaisir de lâapprendre Ă dâautres. La lĂ©gĂ©retĂ© naturelle les empĂȘche de faire rĂ©flexion Ă leurs paroles ; & elles oht mĂ©dit presque avant de sâen appercevoir. LâoisivetĂ© & lâenvie de parler font chercher dans la mĂ©disance des sujets dâentretien ; fans la mĂ©disance , combien de personnes nâau- roient rien Ă dire Ăź Il y en a aufii qui ne parlent si volontiers des dĂ©fauts des autres , que pour faire croire quâils ne les ont point ou quâils nâen ont pas de si grands. Mais lâamour-propre est souvent ici la dupe; car on ne manque guere de venger sur leurs dĂ©fauts ceux quâils ont censurĂ©s dans les autres. Nâinvitons pas la malignitĂ© Ă chercher dans nous de quoi nous humilier & nous confondre. Il est bien difficile de ne pas lui donner prise par quelque endroit ; & il nây a guere dâoccasions oĂč lâon fĂźt un mauvais marchĂ© de renoncer au bien quâon -dit de 1X4 Lâ Ă G O L E nous, Ă condition de nâen point dire de mal. CâĂ©toit donc une fanfaronnade, ou une dĂ©faite de lâamour-propre, toujours ingĂ©nieux Ă fe tromper, que la rĂ©ponse de Boileau - Desprc'aux. Lorsquâon lui reprĂ©senta que sâil sâattachoit Ă la satire, il se feroit des ennemis qui auroient toujours les yeux fur lui &ne chereheroient quâĂ le dĂ©crier HĂ© bien , rĂ©pondit-il, je ferai honnĂȘte homme , &je ne les craindrai point. Mais ignoroit-ildonc quâil est bien difficile dâĂȘtre toujours honnĂȘte homme dans le mĂ©tier quâil faifoit? Le meilleur PoĂ«te satirique ne manque-t-il pas essentiellement Ă la probitĂ©, lorsquâil outre les choses, & que sans Ă©gard il immole ses contemporains Ă la risĂ©e de son siede & de la postĂ©ritĂ©, comme on a reprochĂ©, avec assez de justice, Ă DesprĂ©aux de lâavoir fait? Aussi ce PoĂ«te, qui sâest immortalisĂ© par son Lutrin , son Art PoĂ©tique & ses Epltres , auroit-il une gloire plus pure , sâil nâeĂ»t pas composĂ© ses Satires. Ce nâest pas quâil ne soit quelquefois permis, quâil ne soit utile mĂȘme, de critiquer les mauvais Auteurs,& de prendre en main la dĂ©fense du bon goĂ»t contre ses ennemis , comme on peut dĂ©masquer lâerreur, lâhypocrisie pernicieuse, & faire connoĂźtre les gens dangereux, afin quâils des MĆurs. irf ne nuisent Ă personne. Mais câest quâun Satirique ne reste presque jamais dans les justes bornes. La satire, dâabord modĂ©rĂ©e & lĂ©gitime, devient bientĂŽt outrĂ©e, piquante , personnelle & partiale. Sous prĂ©texte de venger le bon goĂ»t, on se venge soi-mĂȘmeon satisfait son ressentiment & sa haine. Pour rĂ©jouir le lecteur, on aiguise les traits de la satire, on mord, on dĂ©chire sans mĂ©nagement. On nâĂ©par gne plus, lorsquâune fois on se voit applaudi de ses premiers essais , & malheureusement la satire ingĂ©nieuse lâest presque toujours. Elle plaĂźt Ă notre malignitĂ© , qui aime fur-tout Ă voir tourner en ridicule , parce quâil nây a guere dâabaissement plus grand, ni qui soit plus sans retour; car on a honte dâestimer dans la fuite ceux dont on sâest moquĂ©. Câest pour cela que la rĂ©paration de Qui~ nault a encore aujourdâhui tant de peine Ă le rĂ©tablir, & que celle de Cotin nâa pu se relever. Quâon lise nĂ©anmoins lâhiC. toire de lâAcadĂ©mie Françoise, & lâon verra que les Cajjagne , les Cotin , dont les noms remplissent si souvent les mor- dans hĂ©mistiches de ce cruel & trop ingĂ©nieux Satirique, mĂ©ritoient, Ă plusieurs Ă©gards, lâestime publique quâil leur a fait perdre. Cajjagne Ă©toit assez bon PoĂ«te , & PrĂ©dicateur estimĂ©. LâOde quâil fit Ă la 1 16 Lâ Ă C O 1 E louange de lâAcadĂ©mie Françoise, lây St recevoir Ă lâĂąge de vingt-sept ans; A le, PoĂ«me quâil publia lâannĂ©e suivante, oĂč il introduit Henri IV", donnant des instructions Ă Louis XIV, lui acquit lâestime de M. Colbert. Il Ă©toit fur le point de prĂȘcher Ă ta Cour, lorsque Boileau ayant rnis son nom avec celui de Cotin dans sa troisiĂšme satire , ce trait piquant le fit renoncer Ă la Chaire , & lâinterrompit au milieu de sa course. AprĂšs avoir fait les derniers efforts pourregagner lâestime du public par ses ouvrages, il succomba ious le poids de lâĂ©tude & du chagrin. Ses pareils avertis que sa tĂšte se dĂ©rangeoit, furent contraints de le mettre Ă Saint- Lazare , oĂč il mourut ĂągĂ© seulement de quarante-six ans. Triste effet de la satire, & qui devoir bien rendre amer pour lâAuteur lui-mĂȘme le plaisir quâelle pouvoir dâailleurs lui donner ! Quant Ă lâAbbĂ© Cotin, peut-ĂȘtre il auroit eu le tranquille fort de tant dâautres Ecrivains qui ne valoient pas mieux que lui ou qui peut-ĂȘtre valoient moins. Pendant leur vie on les laisse jouir de la bonne opinion quâils ont dâeux-mĂȘmes , & aprĂšs leur mort leur mĂ©moire est ensevelie avec leurs cendres dans un mĂȘme tombeau. Au fond, Cotin nâĂ©toit pas si mĂ©prisable que la satire lâa voulu faire croire. Il savoir les langues, Ă©toit des MĆurs-. uy efoĂ©ri dans les plus illuRres compagnies oĂč lâon ne fai soit guere accueil quâau mĂ©rite , & prĂȘcha seize CarĂȘmes dans les meilleures Chaires de Paris. Quâon lise ce quâil a Ă©crit on conviendra non-feulement quâil Ă©toit versĂ© dans la Philosophie & dans la ThĂ©ologie, mais que fĂ prose a quelque chose dâaife , de naĂŻf & de noble, & que ses poĂ©sies mĂȘme ont de quoi plaire en bien des endroits aux personnes les plus dĂ©licates. Mais il eut le malheur de se brouiller avec MoĂŒere & Boileau. Il avoit offensĂ© le premier, en publiant Ă lâHĂŽtel de Rambouillet, que le Duc de Montanster Ă©toit jouĂ© dans le Misanthrope; & ce Seigneur qui le crut ainsi, en fit arrĂȘter la reprĂ©sentation. Il avoit blĂąmĂ© Boileau de son goĂ»t pour la satire, & il Ă©toit intime ami de Gilles Boileau brouillĂ© alors avec le PoĂ«teson cadet. Selon lâAuteur des Anecdotes Litte. . raires , ce fut la fatale nĂ©cessitĂ© de la rime , qui attira fur lâAbbĂ© Cotin les traits du Poste satirique. Celui - ci rĂ©ci- toit Ă Furniere la satire du Repas, & se trou voit arrĂȘtĂ© par un hĂ©mistiche qui lui manquoit Si l'ou nâest plus Ă Ăźâaife ?His en un festia. Quâaux fermons de Caslagne. Vous voilĂ bien embarrassĂ©, lui ditFure- tiçre, que nây mettez-vous l 'AbbĂ© Cotin ? ĂŻig L 5 Ăcole Il ne fallut pas le dire deux fois. Quoi quâil en soit, Moliere & Boileau attaquĂšrent le malheureux Cotin de la maniĂ©rĂ© que tout le monde fait ; & Cotin accablĂ© des traits perçans du Satirique & de la Scene de Trijsotin , ne put sâen relever. Il bailla tellement, que ses pareils agirent pour quâil fĂ»t mis en curatelle. Boileau avoit donc plus de raison quâil ne pensoit, de dire lui-mĂȘme au commencement dâune de ses Satires Ăźyiuse, changeons de style, & quittons la satire.; Câest un mĂ©chant mĂ©tier que celui de mĂ©dire. Ce quâil ajoute nâest pas moins vrai A l'Auteur qui lâembraste il est toujours fatal. I,e mal quâon dit dâautrui, ne produit que du mal. Câest ce qui est arrivĂ© Ă une infinitĂ© de Satiriques, & en particulier Ă Sotade , ancien PoĂ«te Grec. Ses poĂ©sies Ă©toient pleines de mĂ©dilĂ nces & de satires mordantes contre les personnes les plus respectables. PtolĂ©mĂ©e Philadelphe^ Roi dâEgypte , contre lequel il avoit osĂ© Ă©crire , le fit enfermer dans un coffre de plomb , & jeter dans la mer. Si vous ĂȘtes jaloux de votre propre honneur & de lâestime des hommes , ne mĂ©disez point. Il y en a qui croient des MĆurs, HA. plaire ou briller par-lĂ , mais on les dĂ©teste & on les mĂ©prise. Et qui le mĂ©rite mieux ? Car fi câest lâenvie ou la haine qui fait parler le mĂ©disant, comme il arrive presque toujours ; quelle bassesse ! Si câest de sang-froid & sans intĂ©rĂȘt, quâil fait , contre des personnes de qui il nâa reçu aucun mal, tout ce que lâemportement & la vengeance pouroientlui suggĂ©rer de plus cruel contre des ennemis dĂ©clarĂ©s ; quel caractĂšre noir ! De quelque cĂŽtĂ© donc quâon envisage le mĂ©disant, on ne peut que le mĂ©priser & le haĂŻr. Le mĂ©disant ne plaĂźt quâĂ ceux qui ont beaucoup de malignitĂ© ou des raisons particuliĂšres encore aiment-ils toujours plus la mĂ©disance que le mĂ©disant. 11 leur apprend ce quâil peut faire contre eux par ce quâil fait contre les autres & qui est-ce qui nâa pas Ă craindre les traits dâune mauvaise langue ? On la hait donc au fond, de quelque caractĂšre quâon soit. Les gens malins, ennemis ou jaloux, ne lâĂ©coutent que pour en nourrir leur malignitĂ© , leur haine ou leur envie ; & ils la percent Ă son tour des mĂȘmes traits dont elle a percĂ© les autres. Les gens de bien qui rĂ©flĂ©chissent fur lâindignitĂ© de ces sortes de discours , se bouchent les oreilles pour ne pas les entendre ils sâindignent contre celui qui leus ĂŻ2 LâĂ C 0 L ! apprend ce quâils ne voudroient p&S' savoir. Câest ce que tout le monde doit faire. Car ce nâest pas assez de ne point mĂ©dire , on doit encore fermer lâoreille Ă la mĂ©disance. Celui qui lâĂ©coute est presque aussi coupable que celui qui la dit il en est le criminel complice. Aulfi le Sage nous recommande-t-il de ne point prĂȘter lâoreille aux langues mĂ©disantes Faites , dit - il, comme une haie dâĂ©pines Ă lâentrĂ©e de' vos oreilles , Ăš? nâĂ©coutez pas la mĂ©chante langue. Le plus fur moyen de la faire taire est de ne pas lâĂ©couter. Le vent dâaquilon diffipe la pluie , dit Salomon, le visage triste fait taire la langue mĂ©disante i . Une personne voulant dire Ă une autre quelque chose au dĂ©savantage du prochain, celle - ci lui fit ce compliment qui la surprit & qui ne lui plut guere Il y a dĂ©jĂ long-temps que je me fuis rnis en pojjejjton de n entendre ja- rĂais parler mal de personne. Si vous avez quelque chose de hon Ă me dire de la personne en queĂion , je ÂŁ Ă©couterai avec plai- sir ; sinon je vous prie de me dispenser dâune audience qui me serait peine. M. de Chanscuil de GrandprĂ© se trouva un T Sept tiares tuas fpĂźnls t lingnan n'equazt nohs- audire . Lseli. r2. PrĂŒfTa*. des MĆurs. xai si jour dans une maison respectable , oĂč un Lieutenant-de-Roi dâune ville de province, fort mĂ©disant, parloit trĂšs- dĂ©savantageusementde son Gouverneur, avec qui il Ă©toit brouillĂ©. Monsieur, lui dit M. de GrandprĂ©, vous dĂ©chirez Ă tort une personne que j estime Ă©si Ă qui jâai mille obligations vous me faites l'honneur dâavoir quelque bontĂ© pour moi si vous avez bien rĂ©solu de briller Ă ses dĂ©pens , vous mâobligerez beaucoup de ne pas mâen rendre le tĂ©moin. Le Lieutenant-de-Roi, confus & charmĂ© de la maniĂ©rĂ© honnĂȘte de M. de GrandprĂ©, lui dit que puisque le Gouverneur Ă©toit de ses amis, il chan- geroit de ton & dâentretien , & quâil y avoit tant de plaisir Ă ĂȘtre dans son amitiĂ© quâil le prioit de lui accorder cette grĂące. Je vous l'offre , lui rĂ©pondit M. de GrandprĂ© , mais Ă condition que les abfens pour qui je mintĂ©resfe , ne seront jamais impunĂ©ment dĂ©chirĂ©s en ma prĂ©sence. Ceux qui ont autoritĂ©, font obligĂ©s de fermer la bouche au mĂ©disant. âNe permettez pas, disoit Saint Louis Ă son fils, que personne ait la hardiesse de prononcer devant vous aucune parole qui puisse porter qui que ce soit au pĂ©chĂ© , ni dâattaquer par la mĂ©disance la rĂ©putation des autres , soit quâils soient prĂ©sens ou abfensâ. Louis XIV, qui avoit toutes Tome III. F 122 V Ă C O L E les qualitĂ©s cĂźâun grand Roi, ne sâĂ©toit pas feulement interdit la mĂ©disance, toujours indĂ©cente dans la bouche dâun Prince ; mais il la dĂ©sarnioit lorsquâelle osoit pa- roĂźtre devant lui. Un petit-maĂźtre voulant jeter un ridicule sur lâincapacitĂ© dâun jeune Seigneur, dit Ă ce Prince quâon seroit un gros livre de ce que ce Seigneur ne savoir pas. Le Roi prenant un airsĂ©vere, dit Ă ce railleur Et lâon ertr fcroit un fort petit de ce que vous savez. Si vous avez entendu quelque parole contre la rĂ©putation du prochain, gardez-vous de la rĂ©pĂ©ter, & comme dit P'Espric-Saint, faites-la mourir dans vous- mĂȘme 2 . Le mal que nous apprenons des autres , doit ĂȘtre enseveli chez nous, quand il nây a pas de preiiante nĂ©cellitĂ©, Ă le redire. Lorsquâon disoit Ă la vertueuse Reine de France, Epouse de Louis XV", quelque chose qui biesĂźoit lâhonneur du prochain, elle refusoitdâa- hord de le croire. La chose devenoit- elle publique elle excusoit ou plaignoit la personne, 8c nâen parloir plus. On ne doit pas moins respecter la mĂ©moire des morts que la rĂ©putation des vivans. On parloir en prĂ©sence de Milord l Audifii verbam advenus proxlmum tuum ? com» msnatnr in te, ÂŁ cc!i. 19. des MĆurs. 125 'Bolimjbrohe , de lâavarice dont le Duc de Marlborough avoir Ă©tĂ© acculĂ©, & lâon citoit des traits fur lesquels on appeloit au tĂ©moignage de Bolingbroke, qui avoit Ă©tĂ© lâennemi dĂ©clarĂ© du Duc. C'Ă©toit un si grand homme , rĂ©pondit Bolingbroke» que fai oubliĂ© ses vices. g - ĂźM - y. Badine^ prudemment les personnes prĂ©sentes. Il es si rare & si difficile de rire des autres fans les choquer, quâil vaudraic mieuxsâenabsienir entiĂšrement. I/amour- propre est si dĂ©licat, quâil est presque imposable de le toucher fans le blesser, Ă moins quâon ne le fasse avec beaucoup de lĂ©gĂšretĂ© & de prudence. Il faut que le badinage soit mĂȘlĂ© de tant dâĂ©gards & dâestime, que la personne qui eu est le sujet, en soit moins offensĂ©e que flattĂ©e. On doit aulsi bien examiner ceux avec qui on badine. Les greffiers, les igno^ rans & les sots font toujours prĂȘts Ă se fĂącher, & Ă croire quâon se moque dâeux ou quâon les mĂ©prise. Il ne faut jamais, dit la Bruycre , hasarder la plaisanterie mĂȘme la plus douce & la plus permise, quâavec des gens polis ou qui ont de lâesprit. En gĂ©nĂ©ral, il faut rarement badiner. Il est vrai que le badinage, quand il est- F A 124 Lâ Ă C O L E juste , lĂ©ger & finement renvoyĂ© , est le leide la conversation, qui devient insipide & ennuyeuse , quand on nây rit pas. Mais trop de ce sel, dit lâAuteur des Conseils de la Sagesse , est bien pis que point du tout, & en ce genre le trop nâest pas loin du peu. Il faut bien de la prudence pour se tenir dans la modĂ©ration & pour ne point passer jusquâĂ lâexcĂšs ; il faut bien du jugement pour ne rien dire de dĂ©placĂ©, & beaucoup dâattention fur ses paroles pour ne pas laisser Ă©chapper le moindre mot qui puisse blesser. Ne vous mĂȘlez donc pas de rire ni de jouer avec les autres, si vous nâĂštes extrĂȘmement sage, & si vous nâavez lâart de le faire discrĂštement & avec grĂące. Usez dâune grande circonspection. Observez soigneusement lâhumeur, le temps, le lieu, les occasions ce qui est bien reçu aujourdâhui ne le fera pas demain. Assaisonnez le badinage avec une louange en mettant de son parti lâamour-propre des autres, on est sĂ»r de ne jamais dĂ©plaire. Mais câest-lĂ prĂ©cisĂ©ment ce quâon ne fait pas. Les badinages les plus doux, les plus modĂ©rĂ©s , les plusinnocens, dĂ©gĂ©nĂšrent presque toujours. Parmi les traits que fait partir une humeur enjouĂ©e, il y en a toujours quelquâun de plus perçant qui pĂ©nĂ©trĂ© jusquâau cĆur. des MĆurs. ,ir§ Il en eil de ces jeux dâesprit comme des jeux de main. On gagne souvent beaucoup Ă supprimer un bon mot, & lâon sâexpose toujours Ă en risquer un dangereux. Ne faites jamais aucun badinage qui puisse dĂ©plaire ; & quel quâil soit, nâen faites pas souvent, de peur dâen contracter lâhabitude. On dit quelquefois bien des sottises, quand on veut faire le rieur & le plaisent. On cherche les rieurs, &'moi je les Ăvite Cet art veut fur tout autre un suprĂȘme mĂ©rite. Dieu ne crĂ©a que pour les sots Les mĂ©chans liseurs de bons mots.. La Font', Celui qui aime Ă plaisanter ne fera pas long-temps estimĂ©; & sâil y joint la raillerie , comme il arrive ordinairement, il se rendra mĂ©prisable & odieux. Le plus mauvais de tous les caractĂšres est celui de railleur. Il se fait beaucoup dâennemis , & nâa aucun ami. Souvent mĂȘme il change .les meilleurs amis en ennemis irrĂ©conciliables. Un Anglois de beaucoup dâesprit, nommĂ© Thomas Fuller , & de ces hommes qui auraient mieux aimĂ© perdre vingt amis quâun bon mot, fait quelques vers fur une femme grondeuse. Le Docteur Confius , son 3 126 tâĂ C O l E bienfaicteur, les ayant entendu rĂ©citer, lui en demanda une copie. Rien de plus juste , lui dit Fuller , puisque vous avez 'Foriginal. Le Docteur fut dâautant pius piquĂ© de lâĂ©pigramme, que fa femme ne passoit pas pour ĂȘtre douce. Il cessa de protĂ©ger Fuller , & devint son ennemi. On pardonne , ou rend quelquefois son amitiĂ© Ă ceux qui ont fait quelque injustice ou quelque affront ; mais la raillerie est de toutes les injures celle qui se pardonne le moins , parce quâelle est âąle langage le plus certain du mĂ©pris. Elle porte Ă lâamour - propre le coup le plus sensible , parce quâelle nous ĂŽte la bonne opinion que nous avons de nous-mĂȘmes, & quâelle veut nous rendre ridicules aux yeux des autres & Ă nos propres yeux. Câest une injure dĂ©guisĂ©e ; & ce qui la rend encore plus humiliante, câest qu'en mĂȘme temps quâelle nous abaisse , elle semble Ă©lever celui qui nous raille au- dessus de nous ; elle le rend pour ce moment en quelque forte notre supĂ©rieur & notre maĂźtre. Câest pour cela quâil est si dangereux de railler les Grands. La raillerie qui les attaque devient souvent funeste , & bien des bons mots ont coĂ»tĂ© cher Ă leurs auteurs. Un certain ThĂ©ocrite avant offensĂ© le Roi Antigonus qui croit borgne, ce Prince promit de lu pardonner, sâil I des MĆurs. 127 venoit lui demander fa grĂące. Ses amis , pour lây engager, lui disoient Ne craignez rien, votre grĂące est assurĂ©e, dĂšs que vous aurez paru aux yeux du Roi. Ah ! dit - il , Ăje ne puis obtenir ma cjrace , fans paraĂźtre Ă scs yeux , je fuis perdu . "Cette raillerie fut rapportĂ©e au Prince, qui le fit mourir. Le dĂ©iir de la vengeance est toujours le premier fruit, que produit la raillerie dans le cĆur de celui quâelle oiseuse. Philippe 7, Roi de France, aimoit Ă se railler de lâembonpoint & du gros ventre de Guillaume le ConquĂ©rant, Duc de Normandie. Il demandoit quelquefois en riant Ă ceux de sa Cour quand Guillaume accouehcroit. Ce Duc, qui Ă©toit Ă Rouen,,1e fut. 11 lui fit dire quil n attendait que l'heure de scs couches , & que quand il scroit relevĂ© , il viendrait faire ses remcrcĂźmcns Ă sainte GĂ©nevieve de Paris avec dix mille lances au lieu de chandelles. En effet, il dĂ©sola quelque temps aprĂšs le Vexin François , força la ville de Mantes, la rĂ©duisit en cendres , & en fit tuer tous les habitans. Si la mort ne lâeĂ»t arrĂȘtĂ© , il aurait pu conquĂ©rir toute la France , comme il avoit dĂ©jĂ conquis lâAngleterre. La raillerie qui peut offenser, est indigne de tout honnĂȘte homme; mais elle convient encore moins Ă un Prince quâĂ F 4 A 128 Lâ Ă C 0 1 E tout autre, parce quâelle pique plus vivement. Henri IV voyant un Gentilhomme Provincial, qui considĂ©roit la magnifique galerie de Fontainebleau avec des yeux itupides , sâapprocha de lui, & lui demanda Ă qui il appartenoit. A moi-mĂȘme , rĂ©pondit le Provincial. Vous avez un sot maĂźtre > lui dit le Roi. Louis XIV nâau- roit pas dit ce bon mot, quand il se seroit oisert Ă lui il ne se permettait pas la moindre raillerie dĂ©sobligeante. Il savoit mettre dans ses paroles & dans ses actions plus de dignitĂ© & de dĂ©cence que Henri IV, qui avoit le cĆur bon , mais lâesprit trop vif. Plus on est Ă©levĂ© au-dessus des autres par son rang , moins on doit se permettre la raillerie, parce quâelle est plus cruelle. Il y a dâailleurs peu de gloire Ă espĂ©rer de ces badinages piquans , & beaucoup de honte Ă craindre , en sâexposant Ă une repartie dâautant plus humiliante quâon devoit moins se mettre dans le cas de la mĂ©riter. Un Courtisan avoit Ă©tĂ© plusieurs fois envoyĂ© en ambassade. Son Prince lui dit un jour en le raillant, quâil ressembloit Ă un bĆuf. Je ne sais Ă qui je ressemble , rĂ©pondit-il, mais je fais bien que j'ai eu lâhonneur de vous reprĂ©senter en plusieurs occafĂźons. La raillerie est toujours mal reçue de celui Ă qui elle sâadresse, & n% fait guere des MĆurs. i*9 dâhonneur Ă celui qui raille. Avec des infĂ©rieurs ou de petits gĂ©nies, câest uns honte avec un grand ou un supĂ©rieur, il y a du risque Ă lâĂ©gard des Ă©gaux, ils la rendront avec usure, & couvriront souvent le rieur de confusion. Car lors, que celui contre lequel on lance le trait, sait le renvoyer adroitement Ă celui qui lâa fait partir, il lâexpose Ă la risĂ©e , & le charge lui-mĂȘme du ridicule quâil vouloit jeter sur un autre. Louis XIII , supportant avec beaucoup de patiehee une harangue ennuyeuse Ă la porte dâune petite ville, un de ses Courtisans qui sâimaginoit de faire plaisir au Roi en interrompant lâOrateur, lui demanda de quel prix Ă©toient les Ăąnes de son pays. LâOrateur lui dit, aprĂšs lâavoir regardĂ© depuis la tĂšte jusquâaux pieds Quand ils font de votre poil & de votre taille , ils valent dix Ă©cus. Le ton moqueur & mĂ©prisant est dangereux on sâexpose Ă entendre des paroles fort offensantes. On ad mir oit dans une compagnie lâesprit vif & formĂ© du jeune Pic de la Mirandolc. Un Cardinal dit dâun air de raillerie & de mĂ©pris, que plus les enfans avoient dâesprit dans leur premiĂšre jeunesse, moins ils en avoient dans un Ăąge plus avancĂ©. Si ce que vous dites est vrai , repartit aussi-tĂŽt lâenfant, F s J}0 Lâ Ă C O L E il faut que Votre Eminence en ait eu beaucoup Ă©tant jeune. Il ne faut pas railler ses amis mĂȘme , fi lâon veut les conserver. Racine aimoit Ă railler, & il Ă©toit alors amer & piquant. Ses meilleurs amis ne trouvoient pas grĂące auprĂšs de lui, quand il leur Ă©chappoit quelque chose qui lui donnoit prise. DesprĂ©aux accablĂ© un jour de ses railleries, lui dit aprĂšs la dispute Avez- vous eu envie de me fĂącher ? Dieu mâen garde, rĂ©pondit son ami. HĂ© bien , reprit DesprĂ©aux , vous avez donc tort , car vous mâave 2 fĂąchĂ©. Une autre fois DesprĂ©aux ayant avancĂ© Ă lâAcadĂ©mie quelque choie qui nâĂ©toit pas julte , Racine ne sâen tint pas Ă une simple plaisanterie, qui part souvent du premier feu de la dispute, mais il la poufia si loin que DesprĂ©aux fut obligĂ© de lui dire Je conviens que jâai tort , mais jâaime mieux avoir tort que dâavoir raison comme vous tâavez. 11 y a des gens qui ne peuvent parler fins railler, ni railler fans offenser. Leurs mots Ăącres & mordans, leurs railleries mĂȘlĂ©es de fiel & dâabsinthe les rendent odieux. Car si lâon rit quelquefois dâun trait satirique & piquant, on dĂ©telle presque toujours ceux qui le disent. Il y a de petits dĂ©fauts quâon abandonne volontiers Ă la censure, & dont des MĆurs. J31 nous souffrons facilement quâon nous raille. Ce font de pareils dĂ©fauts que nous devons choisir pour railler les autres. Encore faut-il bien de lâesprit & de la finesse pour badiner joliment, & beaucoup de supĂ©rioritĂ© sur la personne quâ011 badine, afin quâelle nâait pas droit de sâen offenser, ni lieu de croire quâon 'manque au respect qui lui eil dĂ». Voici deux railleries qui ont les conditions que nous venons dâexiger. Un Historien Romain 5 rapporte quâun Vieillard demanda un jour une grĂące Ă lâEmpereur, qui ne voulut pas la lui accorder. Ce bon homme croyant quâon K lui refusoit Ă cause de sa vieillesse, sâavisa dâu'»e plaisante invention pour tromper le Prince, lise fit peindre les cheveux en noir, & retourna ainsi dĂ©guisĂ© Ă la Cour. LâEmpereur reconnut lâartifice , & lui dit en plaisantant Ce que vous demandez , je P ai dĂ©jĂ refusĂ© Ă votre pere. Un Courtisan sâadressa au Roi AL phonsc , surnommĂ© le Courageux, & lui dit jâai songĂ© cette nuit que Votre MajestĂ© me fnsoit un riche prĂ©sent. Le Roi lui rĂ©pondit Ne savez-vous pas que V» Spanien , de qui nous avons les Vies d'Adrien » de Ciracaila ^ de quatre autres Empereurs. F 6 Lâ Ă C O L E les ChrĂ©tiens ne doivent point ajouter foi eux soupes ? On a dit que la fine raillerie Ă©toit la fleur dâun bel esprit. Sâil y a des occasions oĂč elle puisse ĂȘtre permise, câest principalement lorsquâelle renferme une satire ingĂ©nieuse & dĂ©licate dâun vice ou dâun ridicule. En voici des exemples. Barnevelt , cĂ©lĂ©brĂ© Pensionnaire de Hollande, ayant embrassĂ© le parti opposĂ© Ă celui de Maurice, Prince dâOrange , on lâaccusa dâavoir voulu livrer le pays aux Espagnols, & il eut la tĂšte tranchĂ©e Ă lâĂąge de soixante & douze ans. Les Juges qui le condamnĂšrent Ă mort, eurent chacun pour leurs vacations deux mille quatre cents florins. Quelque temps aprĂšs cette injuste exĂ©cution, un cĂ©lĂ©brĂ© Avocat dit Ă lâun des juges On dit de vous deux choses que je ne saurois croire la premiĂšre, que vous nâ-avez guere dâeC. prit ; la deuxieme, que vous ĂȘtes avare. La premiĂšre ne sauroit ĂȘtre vraie , car vous avez su trouver le Pensionnaire coupable dâun crime digne de mort ce que les plus habiles Jurisconsultes nâont pu faire. La deuxieme nâest pas moins fausse, car vous avez aidĂ©, pour deux mille quatre cents florins, Ă rendre une sentence que je nâaurois pas voulu rendre pour tous les biens du monde. On demandoit Ă un Ambassadeur nou- des MĆurs. i?? vcllement arrivĂ© , ce quâil pensoit de la beautĂ© de plusieurs Dames, qui Ă©toient toutes extrĂȘmement fardĂ©es. Dspcnsez- moi d'en juger , rĂ©pondit-il, je rte me con- nois pas en peinture. Un bon mot, quand mĂȘme ilseroit un peu piquant, nâest jamais mieux employĂ© que lorsquâon sâen sert pour humilier la vanitĂ© & lâorgueil. Un fanfaron ayant eu avec un Officier une querelle qui ne sâĂ©toit pas terminĂ©e Ă fa gloire, alla chercher son adversaire dans un cafĂ© oĂč il savoit sans doute quâil nâĂ©toit pas. Il dit tout haut que, sâil l'avoir trouvĂ© , il lui auroit donnĂ© des coups de canne. Quelquâun qui savoir son histoire lui rĂ©pondit C'etoit apparemment une restitution que vous vouliez lui faire. On peut rire dâun homme vain & orgueilleux, qui va , pour ainsi dire, au- devant de la raillerie. Mais il y a de la honte Ă se moquer dâun sot, comme il y a de la puĂ©rilitĂ© & de la sottise Ă se railler des difformitĂ©s du corps. Celui qui insulte Ă la nature, mĂ©rite quâon lui fasse un reproche plus grand & plus sensible , celui de nâavoir ni esprit ni savoir-vivre. Un Seigneur Ă cordon-bleu, dont le gĂ©nie paffoit pour ĂȘtre fort petit, voyoit briller un gros diamant au doigt dâune Dame qui nâĂ©toit pas belle, & qui avĂŽit lamainassez maigre & dĂ©charnĂ©e. Il dis 13+ LâĂcol e en riant Ă un de ceux qui Ă©toient avec lui Jâaimerois mieux la bague la main. Et moi, repartit la-Dame qui lâa'voit entendu ,j aimerais mieux le licou que la bĂȘle. Le vrai usage de la raillerie, lorsquâon peut lâemployer, ne doit ĂȘtre que de montrer le ridicule dâun vice ou dâun dĂ©faut dont on peut se corriger. Quel sujet de railler nâest-ce pas nĂ©anmoins pour certaines gens , quâune personne dont le corps a quelque difformitĂ©, quelque imperfection! quelle matiĂšre Ă la plaisanterie! quel champ pour faire briller leur esprit, eu plutĂŽt pour montrer quâils nâen ont point ! un sot railloit un homme dâesprit sur la longueur de ses oreilles Il est vrai , lui rĂ©pondit la personne raillĂ©e, fai des oreilles trop grandes pour un homme j mais convenez aussi que vous en avez de trop petites pour un Ăąne. Consulte ÂŁ volontiers. Cette maxime renferme un des conseils les plus prudens que puisse donner la sagesse en le suivant, on Ă©vitera de fuite bien des sottises. Ceux qui font tout , avec conseil , dit le plus sage des Rois , sont conduits pur la sagesse I . A tout Ăąge, en tout Ă©tat, fur toute matiĂšre, on peut tirer un grand fruit des conseils des autres. Quelque habile & quelque Ă©clairĂ© quâon soit, on est souvent, pour ses propres affaires, comme un mĂ©decin malade qui a besoin dâen consulter dâautres. On voit des gens trĂšs-habiles prendre lâavis des personnes dâun esprit infĂ©rieur, mais capables de rĂ©flexions judicieuses , qui peuvent Ă©chapper aux plus Ă©clairĂ©s. Le moins habile peut quelquefois instruire celui qui lâest le pstts. Lâhomme dâesprit, qui que ce soit qui parle , Ă©coute ce quâon lui dit, & en profite. Il sut tirer de chacun quelque Ă©tincelle ou quelque rayon de lumiĂšre ; & de ccs petites lumiĂšres I Oui agiint omnia cum confiho, rcfsuntur sapĂŻen* jia. Frov. 13. 1z6 1/ Ă C O L E rĂ©unies, il fait naĂźtre autant6e jour quâil lui en faut pour bien se conduire dans ses entreprises. Ecoutez tout le monde, afiĂźdu consultant Un fat quelquefois ouvre un avis important. V ES PR. Aimez donc Ă demander conseil, & prenez pour maxime de ne jamais rien faire de consĂ©quence, sms avoir consultĂ©. Plus les intĂ©rĂȘts font grands & les suites importantes, plus le conseil est nĂ©cessaire. Un conseil sage empĂȘche souvent de faire de grandes fautes. Tandis que la pailion tient nos yeux attachĂ©s Ă regarder notre but, nous ne voyons pas ce qui est autour de nous & ce qui nous fuit un ami fidelle & Ă©clairĂ© nous le fait voir. Henri IF, nâĂ©tant encore que Roi de Navarre, vouloir Ă©pouser la Comtesse de Guiche quâil aimoit. Il demanda Ă dâAubignĂ© son sentiment sur ce mariage; &âą contre la sage maxime de ne faire jamais connoĂźtre Ă ceux que lâon consulte, de quel cĂŽtĂ© on penche, il lui tĂ©moigna la grande envie quâil avoir de prendre ce parti. Il lui allĂ©gua lâexemple de plusieurs Princes, qui avoient trouvĂ© leur bdnheur en Ă©pousant des femmes quâils aimoient, quoiquâelles fussent au-dessous dâeux par leur condition. Ce Prince en / des MĆurs. i?7 disĂŽit assez pour dĂ©terminer dâAubignĂ© Ă lui donner un conseil conforme Ă son inclination. Mais incapable de le flatter & de trahir son devoir , dâAubignĂ© lui rĂ©pondit avec une noble hardiesse. , 3 Sire , ces excuses ne peuvent vous convenir. Ces Princes jouifloicnt tranquillement de leurs Etats , ils nâavoient point dâennemis qui les inquiĂ©tassent ils nâĂ©toient point, Sire , errans comme vous , qui ne conservez votre vie & ne soutenez votre fortune que par votre vertu & par votre renommĂ©e. Vous devez aux François de grandes actions & de beaux exemples. Les mauvais exemples que vous avez citĂ©s , je ne vous les impute point; je fais que vous nâaimez pas la lecture ils vous ont Ă©tĂ© fournis par des Conseillers infĂźdelles , qui ont voulu flatter votre paillon. U faut que vous soyez ou CĂ©sar ou rien ; que vous vous rendiez afĂźidu dans votre Conseil que vous abhorrez ; que vous consacriez plus de temps aux affaires nĂ©cessaires ; que celles qui font essentielles aient la prĂ©fĂ©rence fur les autres , & particuliĂ©rement fur le plaisir ; que vous surmontiez les foiblesses que vous avez dans votre domestique, & qui font indignes dâun grand Roi. Le Duc dâAlençon est 158 Lâ Ă c o l E mort 2 . Vous nâavez plus quâun pas Ă faire pour monter fur le trĂŽne. Si dans le temps que vous ĂȘtes fur le point dây arriver, vous faites une action qui vous dĂ©shonore , elle vous Ă©loignera pour toujours du trĂŽne oĂč vous deviez ĂȘtre placĂ©. Si vous devenez-lâĂ©poux de votre -maĂźtresse , le mĂ©pris que vous ferez rejaillir fur votre personne , vous fermera fans ressource le chemin du trĂŽne. Quand vous aurez subjuguĂ© le cĆur des François par vos grandes actions , & que vous aurez mis votre vie & votre fortune Ă lâabri, vous pourez imiter alors, fi vous le voulez , les exemples que vous avez allĂ©guĂ©s. â. Henri IV ne sâoffensa point de'la libertĂ© avec laquelle dâAubignĂ© lui avĂŽitâ parlĂ©. Y le remercia mĂȘme de son conseil gĂ©nĂ©reux, &, ce qui est encore plus grand, il le suivit. Quel trĂ©sor pour un Koi quâun Conseiller de ce caractĂšre ! Câest ce mĂȘme dâAubignĂ© , qui fe dĂ©fendit dâĂ©crire lâhistoire de Henri III, Ă laquelle ce Prince vouloir lâengager. Je suis , dit-il, Sire , trop votre serviteur pour Ă©crire votre histoire. nâest pas ainsi , leur dit le MarĂ©chal, que se boit le vin de lâĂ©trier , cest dans la botte. En mĂȘme temps il tira une de ses bottes, & la fit remplir de vin. Il y but Ă grands traits , & tous les DĂ©putĂ©s aprĂšs lui. On trouve encore quelquefois aujourdâhui, mais plus rarement, de ces hĂ©ros bachiques. Pour boire Ă leur santĂ©, on est obligĂ© dâaltĂ©rer la sienne, &il saut sâenivrer pour leur prouver quâon les aime. Câest lĂ sans doute une amitiĂ© bien raisonnable, qui ne se prouve quâen perdant la raison. Si vous en rencontrez de tels , nâambitionnez pas dâacheter Ă ce prix leur amitiĂ© ; & pour quelque chose que ce soit, ne vous enivrez jamais. Câest un principe, dit M. de ClaviĂŒe , dont il ne faut pas sâĂ©carter en aucun cas. Si dans des lieux, si dans des maisons, oĂč la vraie politesse nâest pas encore connue, on veut vous forcer, soyez inĂ©branlable. Echappez aux sollicitations, usez de rules, laissez boire les autres, & si câest chez vous-mĂȘme, ne mĂ©nagez pas votre vin , mais mĂ©nagez-vous. Soyez Ă table gai & de bonne humeur, mais soyez prudent. 210 LâÂŁ C O L E Ce nâest pas que , quand un heureux hasard vient alonger le plaisir , quand tous les cĆurs, fe dĂ©veloppent, quand la conversation devient plus, brillante & plus vive sans cesser dâĂȘtre polie, on ne puisse jouir dĂ« lâoccasion & se livrer davantage. Mais les gens dâun goĂ»t fin savent animer un repas , fans le rendre tumultueux & bruyant. Tout y est dĂ©licat. Le feu du vin fait briller le feu de leur imagination & fait Ă©clore dâheureuses faillies. Tant quâils savent rĂ©pandre de lâesprit & jouir dĂ©licieusement de celui des autres, ils ne craignent rien pour leur raison. Mais ils cessent de boire , dĂšs quâils sâapperçoivent que leur tĂȘte commence Ă sâembarrasser ; & ils prĂ©viennent le nuage qui obscur droit leur raison. Le vin , dit le Sage, a Ă©tĂ© créé dĂšs h commencement pour rĂ©jouir L'homme & non pour lâenivrer. Le vin pris avec modĂ©ration , est la joie de famĂ© & du cĆur. La tempĂ©rance dans le boire est la santĂ© de l'espt it tS du corps 7 . Lâeffet de lâintempĂ©rance , au contraire , est de ruiner la fortune & la santĂ© elle dĂ©grade lâhomme , aliĂ©nĂ© au Câ ... SanĂŻtas efi animez Ce font-lĂ trois Ă©cueils en naufrages fameux. L A pasiion des femmes, du vin & du jeu, est le funeste Ă©cueil, oĂč la fortune & la vertu de plusieurs font un triste naufrage. Le jeu est un abyme profond, oĂč les plus grandes richesses vont tous les jours sâengloutir & se perdre. Les excĂšs du vin ne font pas moins pernicieux , parce que non-seulement ils troublent la raison & privent lâhomme pendant un certain temps du plus bel appanage de notre nature, mais ils altĂšrent la santĂ©, abrutissent lâesprit, dĂ©truisent le plus heureux naturel, & portent, dit lâEsprit-Saint, Ă la colere, Ă la violence & Ă la luxure n , Lâamour criminel ne produit pas toujours , il est vrai, des dĂ©sordres si sensibles , mais les consĂ©quences nâen font H Luxuriös* res vinum , Ă* tumultuosa elriftas . Prov. 2o Le vin pris avec!excĂšs, dit un Moraliste, nun Ă la iHautĂ©, Ă la santĂ© & Ă la chastetĂ©. K 2 rro Lâ Ă c o l e pas moins dangereuses ni moins funestes. Lâamour est lâivresse du cĆur , & il est rare que le penchant Ă ce vice ne conduise pas Ă la perte de toutes les vertus. La voluptĂ© infecte le corps , empoisonne Tarne, menĂ© Ă lâirrĂ©ligion, ferne dans les familles les soupçons , les dĂ©fiances , les divorces scandaleux,& quelquefois mĂȘme en cause la ruine entiĂšre. Comme câest l'Ă©cueil le plus dangereux & le plus commun, le vice de tous les Ăąges, de tous les Ă©tats , de toutes les conditions , on nous permettra bien de revenir encore une fois fur cet objet, un des plus im- portans de la morale. Tandis quâune infinitĂ© de livres obscĂšnes prĂ©sentent partout Ă la jeunesse la coupe fatale, oĂč elle va boire avec aviditĂ© le poison impur, nâest - il pas de notre devoir de lui faire entendre ici la voix salutaire de la sagesse , & de la prĂ©munir contre un mal fi contagieux & si funeste, en lui mettant fous les yeux le vrai & trop affreux tableau des dĂ©sordres & des crimes, quâenfante ce monstre malheureusement fĂ©cond ? Jetez les regards fur la vaste scene du monde. Par-tout oĂč ce vice regne , vous verrez marcher Ă sa suite les vols domestiques, les noires perfidies, les infidĂ©litĂ©s sacrilĂšges, les Ă©vĂ©nemens tragiques,& les scandales Ă©clatans. Au milieu de ce des MĆurs, rrs triste cortege, vous appercevrez les maladies honteuses, les douleurs aiguĂ«s, lâaf- soibiissement des tempĂ©ramens les vigoureux, la corruption du sang, la jeunesse languiĂŒante , la vieillesse prĂ©maturĂ©e , la mort tantĂŽt lente qui frappe de mille coups redoublĂ©s sa victime , tantĂŽt prĂ©cipitĂ©e qui moissonne quelquefois dans leur printemps les plus cheres espĂ©rances des familles. Vois ces spectres dorĂ©s sâavancer Ă pas lents, TraĂźner dâun corps usĂ© les restes chancelans, Et fur un front jauni quâa ridĂ© la mollesse» Etaler Ă trente ans leur prĂ©coce vieillesse. Câest la main du plaisir qui creuse leur tombeau, A quels excĂšs cette malheureuse passion ne porte-t-elle pas ! Pour la satisfaire , il faut de lâargent. Câest au poids de lâor quâon achetĂ© les criminels plaisirs. Il faut parer lâidole & fournir Ă toutes ses folles dĂ©penses. Deux Espagnols se diC- putoient la conquĂȘte dâune courtisane,' lâĂ©pĂ©e Ă la main. Messieurs , leur dit-elle, ce neĂ point avec le fer , c est avec l'çr qu'on se bat chez moi. Plus jalouses des dons de leurs amans que de leur tendresse , ces especes dâanimaux voraces persĂ©cutent Ă toute heure avec une aviditĂ© importune. OĂč trouver de quoi ras. sasier une cupiditĂ© insatiable? OĂč trouver de quoi jeter incessamment dans uji 222 Lâ Ă C O L E gouffre immense, qui absorbe toujours fans se remplir ? Que fera-t-on ? On prendra de toutes mains & par toutes sortes de voies. Un fils dĂ©pouillera secrĂštement la maison paternelle un pere lailscra ses enfans fans entretien , fans Ă©ducation un maĂźtre refusera la nourriture & les gages Ă ses domestiques on ne payera ni le crĂ©ancier ni lâartisan malheureux, que le besoin rĂ©duit au dĂ©sespoir on sera insensible aux cris des pauvres, Ă la misere des indigens. Ainsi, pour contenter sa passion, on foulera aux pieds lâhumanitĂ© , la jus. tice, lâintĂ©rĂȘt de sa famille , les devoirs de sa condition, les biensĂ©ances de son Ă©tat, le foin mĂȘme de son honneur & de sa rĂ©putation. Ce nâest pas tout. Est-on supplantĂ© ou traversĂ© par un rival Ă quelle violence de jalousie & de rage ne se laisse-t-on point aller ? La calomnie, le poison , les poignards, les combats singuliers fournissent des armes Ă la fureur & Ă la vengeance. Qui pouroit dire tous les meurtres , tous les assassinats , dont cette funeste passion a rempli lâunivers ? Mais voici des excĂšs plus affreux encore. Combien de personnes du sexe, pour conserver un reste dâhonneur aprĂšs avoir perdu ce que leur honneur avoir de plus prĂ©cieux , ont dĂ©truit le fruit de leur crime par un crime plus grand, & des MĆurs. 22; sont devenues parricides avant que dâĂȘtre meres ! Combien dâhommes aveuglĂ©ment impies, dans lâivresse de leur passion , ont fait, de celle qui en Ă©toit lâobjet, leur divinitĂ©, lui ont protestĂ© que toute leur vie, & Ă la mort mĂȘme, ils nâen au- roient point dâautre, & nâont Ă©tĂ© que trop fidelles Ă leurs fermons ! Et lâon appellera une telle pasiĂźon , foiblesse, bagatelle, galanterie, amusement ! Car câest sous ces expressions adoucies que souvent on dĂ©signe un si grand mal. Mais depuis quand donc est- il permis de traiter de foiblesse pardonnable & de bagatelle , ce qui conduit presque toujours aux plus grands crimes , ce qui rend un objet dâhorreur aux yeux de Dieu, ce qui, dĂ©pouillant lâhomme des traits augustes de sa ressemblance avec la DivinitĂ©, le rĂ©duit Ă la condition des bĂȘtes, le fait mĂȘme descendre au-dessous dâelles, par les honteux excĂšs auxquels on ne rougit pas de sâabandonner ? Que dans le Paganisme , oĂč cette passion Ă©toit en quelque sorte consacrĂ©e par la religion & divinisĂ©e par lâexemple des Dieux , elle ait trouvĂ© desprotecteurs & des apologistes, on ne doit pas en ĂȘtre surpris. Nâest-il pas mĂȘme Ă©tonnant que, malgrĂ© les prĂ©jugĂ©s de leur religion , tant de PaĂŻens aient eu fur ce point des K 4 224 Lâ Ă C O t E idĂ©es si pures , aient donnĂ© des exemples si admirables de continence & de chastetĂ© ? Mais nâest-il pas plus Ă©tonnant encore, que dans une religion aulsi sainte & auffi chaste que la nĂŽtre, des hommes qui se disent ChrĂ©tiens, entreprennent de justifier lâamour criminel, dâalĂŻoiblir les traits odieux qui le caractĂ©risent, & de lui prĂȘter un nom qui le rend presque innocent & permis ? O vous qui, dans le sein du Christianisme , vous faites gloire dâavoir ce que vous appeliez des inclinations , des attache mens, des intrigues, qui mettez votre honneur Ă ravir Ă une jeune personne le sien, Ă dĂ©pouiller une honnĂȘte femme de sa sagesse, & qui vous faites un indigne trophĂ©e de ces honteuses victoires, libertins voluptueux , venez Ă lâĂ©cole des PaĂŻens mĂȘme vous instruire ou vous confondre ! Scipion l'Africain , un des plus grands hommes de la RĂ©publique Romaine, ayant Ă©tĂ© envoyĂ© en Espagne, soumit ce pays aux Romains en moins de quatre ans. Au milieu de ses victoires, on lui amena une jeune captive de lĂ plus rare beautĂ©. Scipion Ă©toit dans lâĂąge oĂč les paffions se font sentir avec le plus de force. Mais plus vainqueur encore de lui-mĂȘme que des nations quâil avoir domptĂ©es, il ne voulut point la retenir. des MĆurs. rrf Il fitvenir celui Ă qui elle ctoit promise , la lui remit entre les mains , & ordonna quâon augmentĂąt fa dot de la rançon quâon Ă©toit venu offrir pour elle. Ce que fit dans une occasion Ă peu prĂšs semblable Gonsalvc- Ferdinand de Cor- doue, surnommĂ© le grand Capitaine , nâest pas moins beau, ni moins digne de servir de modele Ă toutes les personnes du mĂȘme Ă©tat. Lâhonneur dont on y est si jaloux, devroit leur rendre celui des autres Ă©galement cher ; & la grandeur dâame dont on y fait profession, devroit les faire souvenir quâil y a bien peu de gloire Ă triompher du sexe le plus foible. Ceux dâentre eux qui blĂąmeront le beau trait que jious allons rapporter, ou qui liefe sentiront pas le courage de lâadmirer , nâont pas lâame faite pour les grands sen- timens ni pour la vertu. GonlĂ lvepassoifc souvent devant la maison de deux Demoiselles, filles dâun Ecuyer qui avoit peu de part aux faveurs de la fortune. Leur pere sâĂ©tant apperçu quâil paroiflâoit avoir eu 1 que inclination pour elles Ă cause de leur grande beautĂ©, crut que câĂ©toit une occasion favorable de sortir de lâindigence, il alla trouver le grand Capitaine, & le pria de lui donner le soin de quelque affaire hors de la ville. Gon- salve comprit dâabord lâintention du pere, & lui demanda Quelles personnes laissez- LL6 Lâ Ă C 0 L E vous dans votre maison ? Deux jeunes Demoiselles , mes filles , rĂ©pondit lâEcuyer. Attendez-moi, reprit le Capitaine , je vais vous expedier votre commision. Il alla prendre deux bourses, dans chacune desquelles il mit deux mille ducats, il les donna au pere, en lui disant VoilĂ les provisions que je vous donne , mariez - en vos filles au plutĂŽt } fĂ«? pour vous , jâaurai foin de vous donner de lâemploi. Nous lâavons dĂ©jĂ dit, & lâon ne sautoir trop le rĂ©pĂ©ter, ce nâest que dans la pratique de la vertu & dans la fidĂ©litĂ© Ă les devoirs, quâon trouvera les vrais plaisirs. Toutes les voluptĂ©s sensuelles ne Talent pas la noblesse des sentimens. Qui de nous en effet, sâil nâa pas eu le malheur de recevoir en naissant une ame vile, ne prĂ©fĂ©rĂšrent aux plaisirs brutaux dâun voluptueux, la douce joie que donne une action vertueuse, telle que celle de Gonsalve, ou de ce jeune homme , dont nous allons rapporter le beau trait. Peu de temps aprĂšs son entrĂ©e dans le monde, il fut tentĂ© dâaller chez une courtisane, qui vendoit Ă grand prix ses faveurs. PrĂȘt de frapper Ă Ta porte, il se sent arrĂȘtĂ© par une voix secrete , qui lui crie au fond du cĆur Ton vieux Gouverneur languit dans la mifere. Il retourne sur ses pas , court chez le vieillard , & verse entre ses mains lâor quâil destinoit Ă fa passion. des MĆurs. 327 Quelle satisfaction dĂ©licieuse , envoyant des larmes de joie couler des yeux de son MaĂźtre, ne dut-il pas goĂ»ter lui-mĂȘme en ce moment ! satisfaction dâautant plus agrĂ©able & plus douce, quâelle est plus pure & nâest jamais suivie du remords ni du repentir ; au lieu que les plaisirs criminels le font toujours. On fait ce que rĂ©pondit un PaĂŻen Ă une courtisane qui lui demandoit dix mille drachmes, câest- Ă -dire, environ quatre mille livres de France Je nâachetĂ© pas Ă cher un repentir. Les plus belles fleurs de lâamour sont entourĂ©es dâĂ©pines cruelles, qui piquent & qui dĂ©chirent, comme est forcĂ© de lâavouer lui-mĂȘme leChantre dâEpicure 12. Câest ce quifaisoit dire Ă un ancien Philosophe, quâil sâabstenoit des voluptĂ©s par voluptĂ©. En effet, elles font presque toujours empoisonnĂ©es elles trouvent dans elles- mĂȘmes leur supplice & par un secret jugement de Dieu , qui punit dĂšs cette vie mĂȘme par les douleurs les plus aiguĂ«s les plaisirs les plus criminels* souvent elles ne font pas moins funestes au corps quâĂ lâame du voluptueux. Combien de libertins ne voit-on pas aujourdâhui, T2 ... Usque adeo de fonte Ăźeporum Surgit amari aliquid , quod in ipfis fioribvs" awjat ! L U Ă R L T. E 6 228 Lâ Ă e o l e dont les membres infectĂ©s par un mal contagieux, aprĂšs avoir Ă©tĂ© les inilrumens de leurs crimes, le deviennent dâune punition auili juste quâelle est terrible. Ayez foin, dit Eellegarde 13. De rĂ©primer vos dĂ©sirs Souvent, si lâon nây prend garde, On pĂ©rit par ses plaisirs. Jeune homme, si jamais vous ĂȘtes sollicitĂ© par des compagnons libertins ou par vos passions, Ă goĂ»ter les plaisirs de lâimpuretĂ©, rappelez-vous alors la leçon frappante quâun pere donna un jour Ă son fils. Cet homme de beaucoup de bon sens & plein de religion, voyant le tempĂ©rament naissant de son fils le porter aux femmes,, 11âĂ©pargna rien pour le contenir. Mais enfin, malgrĂ© tous ses foins, le sentant prĂȘt Ă lui Ă©chapper , il sâavisa de le mener dans un hĂŽpital, destinĂ© Ă la guĂ©rison de ces maladies infames qui font le triste fruit du libertinage. Sans le prĂ©venir de rien, il le fit entrer dans une salle, oĂč une troupe de ces malheureux ex ploient , par la cure la plus douloureuse, leurs crimes & leurs dĂ©bauches. A ce hideux aspect qui rĂ©voltoit Ă la fois tous les sens , le jeune homme frĂ©mit dâhorreur, pĂąlit, A fut prĂšs de tomber. tJ3 Auteur de plusieurs Ouvrages de Moiale., DES'MĆĂŒES; L 29 Va, miserable, dĂ©bauchĂ©, lui dit le pere dâun ton vĂ©hĂ©ment, suis le vil penchant qui t'entraĂźne bientĂŽt tu feras trop heureux dâĂȘtre admis dans cette salle , oĂč victime des plus infames douleurs , tu forceras ton pere Ă remercier Dieu de ta mort. Ce peu de paroles , jointes Ă lâĂ©nergique tableau qui frappoit Iff jeune homme, lui firent une impression qui ne sâeffaça jamais. DestinĂ© par Ion Ă©tat Ă passer la jeunesse dans des garnisons, il aima mieux essuyer toutes les railleries de ses camarades , que dâimiter leur libertinage. Use distingua tou jours par ses mĆurs, autant que pat fa bravoure. Lorsquâil racontoit cette histoire dans fa vieillesse Jâai Ă©tĂ© homme , ajoutoit-il, jâai fait des fautes ; mais parvenu jusquâĂ mon Ăąge, je nâai jamais pu regarder une fille publique fans horreur. Je fuis ChrĂ©tien, difoit un autre Officier , & je crois un enfer mais nây eĂ»t-il pas dâenfer pour punir ce crime ,. ce que j'ai vu dans les hĂŽpitaux de Lodi, quand nous Ă©tions en Italie , fuffiroit pour mâest donner une invincible horreur. jeunes gens, lĂź de telles leçons ne vous frappent point, si la crainte dâune si honteuse contagion ne peut servir de frein Ă votre incontinence, il ne me reste plus rien Ă vous dire. Car inutilement ouvrir ois-je Ă vos yeux ces abymes, fpĂ©- 2ZO Lâ E c o i ĂŻ cialement destinĂ©s par la vengeance divine Ă punir les coupables voluptueux. Continue donc, tĂ©mĂ©raire jeunesse, continue de tâapplaudir de tes honteuses dĂ©bauches. Tes plaisirs passeront vite, & ils seront suivis dâune Ă©ternitĂ© de tour- mens qui ne passera point. Tes feux cri. minels seront lâaliment & la proie des feux vengeurs, allumĂ©s par le souffle de la colere cĂ©leste. Celui qui rit de ces terribles chĂątimens, nâen est que plus digne , & ses railleries nâĂ©teindront pas les flammes qui lui font prĂ©parĂ©es. Si lâon eipere de les Ă©viter un jour par les larmes du repentir, pourquoi veut-on vivre comme on ne voudroit pas mourir? Ne fait-on pas auffl quâun des effets les plus ordinaires de lâimpuretĂ© , est de conduire Ă lâirrĂ©ligion, Ă lâendurcissement , Ă lâimpĂ©nitence ? Lâhabitude se forme, & lâon traĂźne julquâĂ la fin de sa vie des chaĂźnes quâon nâa plus la force de porter. Je re le lais que trop, dans le cours du bel Ăąge , Quand la nature ardente, Ă©chauffant nos dĂ©sirs , Nous rend C propres aux plaisirs, Il est mal-aisĂ© dâĂȘtre sage. Cependant malgrĂ© tant dâattraits, On ne peut trop le dire & le faire connoĂźtre , Câest dans ce temps-lĂ quâil faut lâĂȘtre, Ou lâon court grand danger de ne lâĂȘtre jamais. P av ll o s. des MĆurs. 2;r Je dĂ©plore le malheur dâun jeune homme qui, entraĂźnĂ© par la fougue de ses pallions, se laisse aller Ă un criminel E enchant. Mais je plains encore plus ces onteux vieillards qui, courbĂ©s fous le poids des annĂ©es, conservent, comme on nâpn voit que trop souvent, dans des membres glacĂ©s, le feu quâune jeunesse libertine souffla dans leurs veines objets de risĂ©e & de mĂ©pris aux yeux des hommes , objets dâhorreur & dâabomination aux yeux de Dieu. Câest une terrible pafĂźion que lâamour si vous le laissez croĂźtre & se fortifier, il se jouera de toutes vos rĂ©solutions ; & dans le temps mĂȘme quâil vous dĂ©chirera le cĆur ou quâil vous couvrira de honte, vous ne pourez vous rĂ©soudre Ă vous en dĂ©tacher. Rompez donc courageusement vos fers, tandis quâil en est temps encore, & rentrez gĂ©nĂ©reusement dans la voie de la vertu. Mais pour cela, interdisez-vous absolument tout commerce. Tant que vous continuerez de voir cette personne qui a blessĂ© votre cĆur , le poison se glissera de nouveau, & il viendra un moment oĂč votre repentir vous abandonnera. Un feu mal Ă©teint se rallume de lui - mĂȘme. Pour vaincre plus sĂ»rement, implorez Ă lâexemple de lâAuteur du Livre de la SageJJ'e > le secours de celui qui peut seul L?2 LâĂCOIE donner la continence 14. Faites dĂ©fi cendre du Ciel , par lâardeur de vos priĂšres, ces armes puissantes qui vous feront triomphĂšr. Employez souvent les remedes que la religion vous prĂ©sente ; & pourquoi rougirois-je de le dire '{ pourquoi dans ce siede mĂȘme craindrois - je de parler le langage de la religion, puisque je parle Ă des ChrĂ©tiens? Non, ce 11âest que par lâusage frĂ©quent des Sacre, mens , quâon poura rĂ©sister Ă tous les assauts de lâEsprit impur, & remporter la plus difficile de toutes les victoires. Si lâon nĂ©glige ces sources abondantes de grĂąces, si lâon sâen Ă©loigne > exposĂ© fans force & sans dĂ©fense Ă de continuelles attaques, & abandonnĂ© Ă fa propre foi- biesse, on ne se soutiendra pas longtemps, & lâon retombera bientĂŽt dans les mĂȘmes dĂ©sordres dont on avoit eu tant de peine Ă sortir. Celui qui a fait plusieurs fois la triste expĂ©rience de fa fragilitĂ©, ne saur oit ĂȘtre trop rĂ©servĂ© & trop prudent il y auroit plus que de la tĂ©mĂ©ritĂ© Ă compter encore fur ses forces. Les plus sages mĂȘme se sont perdus , parce quâils ne se sont pas assez dĂ©fiĂ©s de leur soiblesse. Pour vaincre 14 Ut scivi quoniam aliter non pojsem eĂe Conti- Tiens j nifi Dtus dit , ĂV. Sap. 8, des MĆurs. rqz dans ces> sortes de combats, il Laut craindre & fuir nous ne sommes forts que loin du danger. Quelque solide, quelque inĂ©branlable quâait Ă©tĂ© jusquâĂ prĂ©sent votre vertu, fi vous comptez fur elle» vous pĂ©rirez. Il y a, pour la chastetĂ© des femmes surtout, des tentations bien fortes & desmo- mens bien critiques. La fuite des occasions leur est peut-ĂȘtre encore plus nĂ«ceC faire quâaux hommes, parce quâelles font plus sensibles & plus foibles. Aussi une Dame cĂ©lĂ©brĂ© par la dĂ©licatesse de Ion esprit , la leur recommande-t-elle dans une petite Piece de vers , que nous les exhortons Ă relire souvent. Contre lâamour voulez-vous vous dĂ©fendre? EmpĂȘchez-vous & de voir & dâentendre Gens dont le cĆur s'explique avec esprit Il en est peu de ce genre maudit-, JVIais trop encor pour mettre un cĆur en cendres Quand une fois il leur plaĂźt de nous rendre Dâamoureux foins, quâils prennent un air tendrĂ«i On lit en vain tout ce qu'Ovide Ă©crit Contre lâamour. De la raison il nâen faut rien attendre Trop de malheurs nâont su que trop apprendre Quâelle nâest rien, dĂšs que le cĆur agit, La feule fuite. Iris, nous garantit Câest te parti le plus utile Ă prendre Contre lâamĂŽur, VÂŁS Rpuz - 554 Lâ Ă c o l e Si /â'on faisait avec moi, disoit une autre Dame trĂšs - sage, un pas de trop en avant , j en ferais deux en arriĂ©rĂ©. Câest la froideur, ajouta-t-elle, qui est la sauvegarde delĂ vertu il nây a point de meilleur retranchement contre les attaques du vice, elle Ă©teindra les flammes de lâamour , comme lâeau Ă©teint le feu. Quelque dangereux que soit pour les femmes le commerce des hommes trop frĂ©quent & trop familier, celui des femmes lâest encore plus pour les hommes. Ce sexe Ă qui les grĂąces & la douceur font Ă©chues en partage, & dont le dĂ©lir est, dans tous les pays, de plaire aux hommes , est dâautant plus sĂ©duisant & plus Ă craindre pour eux, quâil les enchaĂźne en se jouant, & les maĂźtrise en parodiant les flatter. Henri IV, voyant dans une fĂȘte un bel escadron de Dames, habillĂ©es en amazones , & parĂ©es de tous leurs charmes , avouoit quâil nâavoit jamais trouvĂ© dâescadron plus redoutable. Qui que vous soyez , si vous voulez conserver votre vertu, craignez le pĂ©ril, & fuyez avec soin toutes les occasions dangereuses. Puissiez-vous nâĂ©prouver jamais de quel courage il faut ĂȘtre, armĂ© pour ne pas cĂ©der alors ! Evitez de vous trouver seul avec la personne dont vous avez touchĂ© le cĆur , ou qui a gagnĂ© le vĂŽtre. Voyez-la le plus rarement quâil des MĆurs. agf est possible. Ne craignez pas de manquer Ă la politesse, ne craignez que de manquer Ă votre devoir. Si lâon veut vous solliciter au crime, dĂ©robez-vous par la fuite, & laissez plutĂŽt votre manteau que votre innocence. Imitez le vertueux OrĂ©gius. NĂ© Ă Florence de parens pauvres , il alla faire ses Ă©tudes Ă Rome. Il demeuroit dans une petite pension bourgeoise. Il y Ă©prouva les mĂȘmes sollicitations que le chaste Joseph. 11 sâenfuit de la maison de son hĂŽtesse, & il aima mieux passer une nuit dâhiver dans la rue fans habits , que dây rentrer. Le Cardinal Bellarmin, instruit de la vertu de ce jeune homme, conçut de lâaffection pour lui, & le fit Ă©lever dans un college avec des pensionnaires de la premiĂšre qualitĂ©. Il devint dans la fuite Cardinal & ArchevĂȘque de BĂ©nĂ©vent. Juste rĂ©compense de son amour hĂ©roĂŻque pour la chastetĂ© ! Plus lâattaque est violente, plus il faut sâarmer de courage pour dĂ©fendre ce qui est plus prĂ©cieux que tout lâor du monde. Mais si vous voulez le conserver encore plus sĂ»rement, Ă©vitez le plus que vous pourez les assauts dâun ennemi, qui nâest que trop dâintelligence avec les penchans de votre cĆur; & ne nĂ©gligez aucune des prĂ©cautions , qui font comme les gardiennes de lâinnocence. L;6 Lâ Ă c o L E Veillez sur vos sens, & particuliĂ©rement fur vos yeux. Ne Iss arrĂȘtez point , dit le Sage , fur une plie , ds peur que fa beautĂ© ne devienne pour vous une occafon de chute. DĂ©tournez vos regards dâune femme parĂ©e , U ne considĂ©rez pas curieusement une beautĂ© Ă©trangĂšre. Plusieurs se sont perdus par la beautĂ© de la femme , Ă©si en la regardant , la passion sâallume comme un feurig. Faites, ainsi que Job, un pacte avec vos yeux, afin quâils ne iĂš portent fur aucun objet qui excite dans votre cĆur des dĂ©sirs criminels. Ce nâest pas quâil faille avoir toujours les yeux baissĂ©s ; mais regardez, ne fixez pas, contemplez encore moins. Saint François de Sales a voit Ă©tĂ© en conversation avec une belle Dame. On lui demanda ce quâil pensoit de sa beautĂ©. Je fai vue, rĂ©pondit-il, mais je ne lâai pas regardĂ©e. Interdisez-vous aussi la lecture de ces ouvrages licencieux, qui, dĂ©chirant le voile de la pudeur, Ă©talent avec uns libertĂ© cynique les images de la voluptĂ©. Ils salissent lâimagination par des portraits voluptueux, qui sây impriment dâautant plus facilement quâelle est plus pure ou plus vive ; & ils laissent dans la » SV. KscĂŻi. s. 15 Virpnçm ne confeiciai des MĆurs. L;/ mĂ©moire des traces importunes qui ne sâeffacent jamais. Malheureux ceux qui aiment Ă lire de ces sortes dâouvrages ! mais plus malheureux encore ces Au leurs lascifs, qui se plaisent Ă exhaler toute la corruption de leur cĆur, pour la communiquer aux autres, ou pour se faire goĂ»ter des lecteurs aussi corrompus quâeux ! Câest en vain quâils se flattent dâarriver Ă la gloire par la voie de lâinfamie.. Le public, en admirant lestalens & le gĂ©nie de quelques-uns dâentre eux, en condamne lâabus, en plaint la prostitution ; & les sages qui seroient bien fĂąchĂ©s de lire leurs ouvrages les plus vantĂ©s en ce genre, seroient encore plus fĂąchĂ©s de les avoir faits. Ne vous laissez pas attirer par les charmes du style. Ce font des appĂąts brillans, qui nâen font que plus propres Ă faire tomber dans le siege. Quand ces ouvrages seroient encore mieux Ă©crits quâils ne le font, il y a, Pour celui qui les lit, beaucoup moins Ă gagner quâĂ perdre. Ils opĂšrent insensiblement sur lâame , & la corrompent, comme ces poisons doux & lents, qui donnent peu-Ă -peu la mort. Faites-vous donc une loi de nâen lire jamais. Evitez encore ces divertillemens nocturnes , ces assemblĂ©es bruyantes, oĂč se rĂ©unissent un grand nombre de personnes de lâun & de lâautre sexe pour se divertir, L?F LâĂCOLĂ oĂč le moindre crime est de passer les nuits au milieu des plaisirs & des pompes du monde , & d'oĂč lâon fort presque toujours moins pur quâon nây Ă©toit entrĂ©. Le prĂ©jugĂ© pour les danses & les bah, ainsi que pour les spctfacks , est si universel & si fort, que ce seroit sans doute trop nous flatter, que dâelpĂ©rer pouvoir faire revenir de leur prĂ©vention la plupart de ceux que le prestige a sĂ©duits. Mais il est de notre devoir & du but de cet Ouvrage, de faire connoitre & de combattre tout ce qui peut corrompre les mĆurs. Si beaucoup de personnes regardent comme purs &innocens, ou du moins comme indiffĂ©rais, les plaisirs dont nous parlons ; il en est un grand nombre dâautres dont la dĂ©cision doit paroĂźtre bien moins suspecte,, qui les regardent avec fondement comme une des principales sources de la corruption gĂ©nĂ©rale. Par une multitude de tĂ©moignages que nous pourions rapporter ici, bornons-nous Ă quelques-uns, quâon ne puisse rĂ©cuser. LâautoritĂ© de personnes mĂȘme du monde connues & estimĂ©es, fera dâun plus grand poids que la nĂŽtre. Poura-t-on, si lâon nâest point obstinĂ©ment dĂ©cidĂ© Ă se justifier & Ă se permettre tout ce quâon aime, ne pas se rendre Ă ce que dit sur les dangers des bals un des MĆurs. rz- homme qui vivoit au milieu du monde, qm en tous les plaisirs, qui en avoir vu par lui-mĂȘme tous les dangers , en un mot, un Militaire & un Courtisan, qui, par caractĂšre autant que par Ă©tat, Ă©toit bien Ă©loignĂ© de condamner les divertissemens permis ? Nous parlons du Comte de Bujsi - Eabutin , si cĂ©lĂ©brĂ© par ion esprit & par ses disgra* ces. Dans la rĂ©ponse quâil fit Ă M. de NoaiĂźles, alors EvĂȘque de ChĂąlons, qui savoir consultĂ© avant que de donner Ă son peuple une instruction sur cette matiĂšre , il lui dit â Jâai toujours cru les bals dangereux. Ce nâa pas Ă©tĂ© seulement ma raison qui me lâa fait croire, qâa encore Ă©tĂ© mon expĂ©rience ; & quoique le tĂ©moignage des Peres de lâEglise soit bien fort, je tiens que fur ce chapitre celui dâun Courtisan doit ĂȘtre de plus grand poids. Je fais bien quâil y a des gens qui courent moins de hasard en ces lieux-lĂ que dâautres cependant les tempĂ©ramens les plus froids sây Ă©chauffent. Ce ne font dâordinaire que de jeunes gens qui composent ces sortes dâassemblĂ©es , lesquels ont assez de peine Ă rĂ©sister aux tentations dans la solitude , Ă plus forte raison dans ces lieux-lĂ , oĂč les objets, les flambeaux, les violons & lâagitation de la danse Ă©chauf- feroient des AnachorĂštes, Les vieilles 54 L'Ăc o LĂŻ gens qui pouroient aller au bal fans intĂ©resser leur conscience , seroient ridicules dây aller, & les jeunes gens Ă qui la biensĂ©ance le permettroit, ne le peuvent sans sâexposer Ă de trop grands pĂ©rils. Ainsi je tiens quâil ne faut point aller au bal, quand on est ChrĂ©tien, & je crois que les Directeurs seroient leur devoir, sâils exigeoient de ceux dont ils gouvernent la conscience , quâils nây allassent jamais cc . M. de Claville , tout portĂ© quâil est Ă permettre aux jeunes gens les plaisirs , convient lui-mĂȘme quâune mere qui mene sa fille au Bal, fans songer Ă tous l,es pĂ©rils qui lâenvironnent, prouve bien quâelle aime plus ses propres plaisirs que la vertu dans ses enfans. Quelle envie de plaire, ajoute-t-il, toujours dangereuse dans une personne libre, & souvent criminelle dans celle qui ne lâest plus, inspirent ces sortes dâassemblĂ©es ! Un autre Auteur , quia Ă©crit avec le plus grand succĂšs pour lâĂ©ducation de la jeunesse , Madame le Prince de Beaumont, en permettant la danse entre personnes du mĂȘme sexe , condamne le bal sans exception ; & ses raisons paroissent bien fortes. âEcoutez, dit-elle aux jeunes Demoiselles quâelle instruisoit, & parlons franchement. Nous naissons toutes subies, & portĂ©es au mal. Parmi les penchans des MĆurs. ajt penchans corrompus qui dominent dang notre cĆur , celui de plaire est fans doute le plus violent. Câest lui chez les femmes lâamour de la parure, la jalousie , la vanitĂ©. Or le lieu oĂč ce dĂ©sir dĂ©plaire prend une nouvelle force, câest le bal. On nây va guere que pour cela , si lâon sâexamine Ă tond. Croyez-vous de bonne foi que , parmi ce grand nombre dâhommes auxquels vous tĂącherez de plaire , il ne sâen trouvera pas quelques- uns qui vous plairont Ă leur tour, & peut-ĂȘtre qui vous plairont trop ? â Ce nâest pas tout. Vous vous accoutumerez Ă aimer le bal vous aurez un violent dĂ©sir dây aller le plus souvent que vous pourez. Quâen arrivera-t-il ? vous vous Ă©chaufferez le sang, vous dĂ©truirez votre santĂ© eu changeant les heures du sommeil. Pendant que vous dormirez » vos enfans, si vous en avez, vos dornest tiques auront toute libertĂ© vous ne pourez veiller au bon ordre de votre maison il faudra lâabandonner Ă un autre ; & vous deviendrez coupables de toutes les fautes qui se commettront chez vous Enfin , & ceci est de la derniere importance , au bal, oĂč souvent avec une plus grande multitude entre plus de licence , & oĂč les visages ne se masquent que pour montrer les cĆurs plus Ă dĂ©couvert , les hommes se permettent des Tome III. L ll% Lâ Ă C O L 2 discours, quâils nâoseroient tenir ailleurs câest un lieu de plaisir, de libertĂ©. Votre imagination Ă©chauffĂ©e par le tumulte du bal, par lâaction de la danse, ne vous permettra pas de vous appercevoir fur le champ de lâindĂ©cence des discours quâon vous y tiendra ; & qui poura vous rĂ©pondre que vous ne tomberez pas alors dans quelquâun des piĂ©gĂ©s, que tend en ces lieux le dĂ©mon de lâimpuretĂ© ? Celui qui aime le pĂ©ril , y pĂ©rira. Il ne faut pourtant pas porter les choses Ă lâexcĂšs ; & en condamnant, avec les Auteurs que nous venons de citer, la plupart des bals, qui, comme le disoit saint François de Sales dans son style simple & naĂŻf, ressemblent aux champignons dont les meilleurs ne valent rien, nous ne voulons, pas proscrire gĂ©nĂ©ralement la danse. Câest un exercice salutaire, agrĂ©able, propre Ă la vivacitĂ© des jeunes gens, & qui leur apprend Ă se prĂ©senter les uns aux autres avec grĂące. La morale la plus austere ne peut dĂ©fendre de sâĂ©gayer en commun par une honnĂȘte rĂ©crĂ©ation, pourvu quâon prĂ©vienne ou quâon empĂȘche les principaux abus qui pouroient en naĂźtre. Car il ne faut rien dissimuler, les danses mĂȘme publiques , font souvent la cause de bien des pĂ©chĂ©s, & de beaucoup de dĂ©sordres & de scandales. Plus les piaf des MĆurs. 24? sirs font vifs & bruyans , plus il est ordinaire & naturel Ă lâhomme dâen abuser. Câest ce qui faisoit dĂ©sirer Ă un Auteur cĂ©lĂ©brĂ© 16 , quâon nâaccusera certainement pas dâune doctrine trop, scrupuleuse & trop sĂ©vere, non - seulement que les danses se fissent toujours en public & au grand jour, parce que celui qui veut faire mal, craint la lumiĂšre, & que le vice est ami des tĂ©nĂšbres ; mais il voudrait encore que les peres & meres y asti fiassent, pour veiller fur leurs enfans , pour ĂȘtre tĂ©moins de leur grĂące & de leur dĂ©cence , des applaudissemens quâils auraient mĂ©ritĂ©s, & jouir ainsi du plus doux spectacle qui puisse toucher leur cĆur. Il voudrait aussi quâune personne respectable par son Ăąge ou par son rang ne dĂ©daignĂąt pas dây prĂ©sider, afin dâimposer par sa prĂ©sence aux acteurs trop enclins Ă sâĂ©chapper , une gravitĂ© convenable & une joie modeste, dont ils nâoseroient sortir un instant. Sans ces prĂ©cautions & dâautres Ă©galement sages, quâil voudrait quâon apportĂąt , mais quâil est rare quâon apporte, 16 J. J. Roujscau , dans fa Lettre Ă M. dâAIembert fur les Spectacles. Quoiquâon y trouve un grand nombre d'excellentes choses, bien vues & supĂ©rieurement dites, nous nâen croyons la lecture utile qu'aux personnes Ă©clairĂ©es & capables de dĂ©mĂȘler le vrai du faux. L A 244 Ă© Ăcole toutes les danses, fur - tout si elles font frĂ©quentes & entre les jeunes gens des deux sexes, seront toujours dangereuses , & souvent ausii funestes Ă lâinnocence & Ă la pudeur que les bals mĂȘme. Madame le Prince de Beaumont, qui les interdit si sĂ©vĂšrement Ă la jeunesse quâelle veut Ă©lever & former aux bonnes mĆurs, nâapprouve pas davantage la frĂ©quentation des speBacles. âą â Je trouve , dit-elle, quâĂ la ComĂ©die on dit bien des sottises. Il est vrai quâil nây en a pas dans les tragĂ©dies ; mais dans les meilleures , il y a des sentimens bien opposĂ©s au chriC. tianisine on y approuve la vengeance, on y loue lâambition ; & puis au commencement de la plus pure tragĂ©die, il y a un prologue qui quelquefois ne lâest guere, & Ă la fin une petite Piece qui ordinairement est infame. Je soutiens quâune personne qui aime son salut, ne doit point aller Ă ces sortes de PiĂšces â. Mais, ajouterons-nous , quand on aime les spectacles, est-on fort, scrupuleux sur le choix des PiĂšces quâon doit y reprĂ©senter , & ne va-t-on pas Ă toutes ? Vous dites que vous nây faites point de pĂ©chĂ©, & quâil nây a de mal Ă la ComĂ©die quâautant quâon veut y en prendre. 11 est moralement impossible que vous nâçn preniez. pas , comme lejprouve des MĆurs. 245 sans rĂ©plique lâAuteur des Lettres fur les Spectacles 17. Le théùtre, de lâaveu mĂȘme de ses plus zĂ©lĂ©s partisans, nâest-il pas destinĂ© Ă remuer & Ă enflammer les pallions ! Nây justifie, & nây anoblit-011 pas souvent lâamour criminel & la voluptĂ© ? Nây dis- pose-t-on pas lâame Ă des sentimens trop tendres,quâon satisfait ensuite aux dĂ©pens de la vertu ? Quand il seroit vrai, comme le disent faussement les partisans du théùtre , quâon nây reprĂ©sente quâun amour lĂ©gitime , ou du moins toujours puni, lorsquâil est coupable ; sâensuit-i! de lĂ , dit le Citoyen de Geneve.i 8 , que les impressions en soient plus foibles, que les effets en soient moins dangereux ĂŻ 17 M. Defyre\ de RoiĂy , Avocat au parlement de Paris. Lâaccueil que le public a fait Ă cet Ou» vrage, dont on vient de faire une Uxieme Edition, & qui a mĂȘme Ă©tĂ© traduit en Italien & en Latin , fait honneur Ă la vĂ©ritĂ© & Ă celui qui lâa fi bien, dĂ©fendue. LâUniversitĂ© de Paris en a fait un livre classique, persuadĂ©e que la frĂ©quentation des spectacles est l'Ă©cueil oĂč Ă©chouent souvent les meilleures Ă©ducations. Nous exhortons aussi Ă lire avec attention lâexcellente Lettre qui est fur ce sujet dans le Comte Ăąc Valmont. Câest la vingt-neuvieme Ju tome II. 1 8 i Dans fa Lettre Ă M. dâAiembert, que nous avons dĂ©jĂ citĂ©e il y rĂ©fute victorieusement le Redacteur EncyclopĂ©dique, partisan du théùtre, & y prouve sans .rĂ©plique, que les spectacles , tel» -mĂȘme quâils font aujourdâhui, ne peuvent ĂȘtre que trĂšs-dangereux & trĂšs - funestes pour les mĆurs, âą L 5 246 LâEcoit comme si les vires images dâune tendresse innocente Ă©toient moins douces, moins sĂ©duisantes , moins capables dâĂ©chauffer* un cĆur sensible, que celles dâun amour criminel, Ă qui lâhorreur du vice sert au moins de contre-poison. Quand le Patricien Manilius fut chassĂ© du SĂ©nat de Rome, pour avoir donnĂ© un baiser Ă lĂ femme en prĂ©sence de sa fille ; Ă ne considĂ©rer cette action quâen elle-mĂȘme, elle nâavoit sans doute rien de rĂ©prĂ©hensible. Mais les chattes feux de la mere en pou- voient inspirer dâimpurs Ă la fille. Les circonstances qui rendent la chose honnĂȘte . sâeffacent de la mĂ©moire , tandis que ĂŻâimprtffion dâune paffion si douce reste gravĂ©e au fond du cĆur. VoilĂ lâeffet des amours, permis du théùtre. En y ad. mirant lâamour honnĂȘte, on se livre Ă lâamour criminel. Tout le théùtre François ne respire gucre que cette paffion j & quâon nous peigne lâamour comme on voudra , .il sĂ©duit, ou ce nâest pas lui. Câest lĂ encore que la jeunesse de lâun & de lâautre sexe sâinstruit Ă fe jouer de la simplicitĂ© ou des volontĂ©s de ses parens,& Ă suivre, pour un engagement de toute la vie, un aveugle penchant. Câest lĂ quâon fait passer une vigilance lĂ©gitime pour une jalousie intolĂ©rable, & une connivence criminelle pour un air de galant homme. Nâest-ce pas lĂ auffi quâon enseigne aux des MĆurs. 247 domestiques Ă ne rougir de rien, Ă servir les passions dâautrui, Ă entretenir dans de jeunes cĆurs des amours dĂ©fendus, Ă prĂȘter leur ministĂšre Ă dâindignes intrigues pour tromper la sagesse ou la'bon- liommie de leurs maĂźtres ; comme si en leur apprennant Ă dĂ©rober pour les autres , on ne leur apprenoit pas en mĂȘme temps Ă le faire pour eux - mĂȘmes ? .Nâest-ce pas lĂ enfin quâon cherche souvent Ă flatter lâimagination licencieuse des spectateurs par des images voluptueuses , & Ă exciter les Ă©clats du peuple par de prĂ©tendus bons mots, qui ieroient. rougir la pudeur, si elle nâĂ©toit bannie de ces lieux ? Nous avons connu un Magistrat de Province , plein de probitĂ© & de religion. Etant allĂ© Ă Paris pour voir les beautĂ©s de cette grande ville , il fut curieux dâassister Ă quelques reprĂ©sentations des divers théùtres , dont on lui vantoit beaucoup la puretĂ© & la dĂ©cence. Il y remarqua avec surprise que les endroits auxquels on applaudissoit le plus T Ă©toient souvent ceux qui Ă©toient les plus indĂ©cens, ou qui ne cachoient lâobscĂ©nitĂ© que sous le voile transparent & plus dangereux de lâĂ©quivoque. Mais peut - ou applaudir au mal, fins se rendre complice & coupable du mal mĂȘme? Câest donc parce quâon- cherche Ă se faire- illusion, quâon voudrait se per, L 4 248 Lâ Ă C O L E suader ou persuader aux autres que le théùtre est aujourdâhui trĂšs-Ă©purĂ©. Le venin nâen est seulement quelquefois que plus enveloppĂ©, prĂ©parĂ© avec plus dâart, & souvent par-lĂ mĂȘme plus funeste. Le poison le plus fin nâest-il pas le plus mortel ? & les traits les mieux affilĂ©s ou lancĂ©s avec le plus dâadresse , ne font-ils pas les plus perçans ? Les mauvaises leçons , les maximes corrompues qui rĂ©voltent dâabord , perdent insensiblement , & Ă force dâĂȘtre rĂ©pĂ©tĂ©es , ce quâelles avoient de plus rĂ©voltant on les adopte, presque sans quâon sâen apperçoive lâesprit se gĂąte & le cĆur 4b corrompt peu-Ă -peu , comme le visage se noircit au soleil. Mais quoiquâon ne fente plus la corruption dâun air infect, parce que lâorgane est ViciĂ© ou quâil y est fait, en est-il moins contagieux & moins funeste Ă la santĂ© ? En vain nous ferez-vous valoir quelques foibles avantages, quâon peut retirer des spectacles , & nous direz-vous quâon peut abuser de tout. Mous vous rĂ©pondrons avec le Philosophe de Geneve Lorsque le bien surpasse le mal, la chose doit ĂȘtre admise malgrĂ© ses inconvĂ©niens mais lorsque le mal surpasse le bien, comme dans les spectacles , il. faut la rejeter mĂȘme avec ses avantages. Quand, ce qui est presque impossible, vous ne des MĆurs. 249 prendriez point de mal Ă la reprĂ©sentation des PiĂšces j comptez-vous pour rien celui que vous faites , en contribuant avec les autres Ă entretenir une profession frappĂ©e des anathĂšmes de lâEglise, & digne de lâĂȘtre par la vie scandaleuse & libertine de la plupart de ceux qui lâexercent, par tous les dĂ©sordres secrets ou publics dont ils font la cause ? Une personne du monde disoit Ă un Religieux, recommandable par son esprit & par ses lumiĂšres, quâelle ne croyoit pas quâil y eĂ»t du mal Ă frĂ©quenter la ComĂ©die. Si l'onfaisoit une quĂȘte , lui rĂ©pondit-il, pour entretenir dans le crime & dans le libertinage des courtisanes ou dâautres personnes de mauvaise vie, ne vous croiriez-vous point coupable d'y contribuer ! Je vous entends , reprit lâautre ; mais est, il dĂ©fendu de contribuer Ă lâamusement du public ? Oui , fans doute , rĂ©pondit le Religieux, lorsque cet amusement est une occaĂon de pĂ©chĂ© pour plusieurs. Sâil est quelquefois permis de tolĂ©rer un mal pour en empĂȘcher un plus grand , il ne iâest jamais d'y coopĂ©rer , mĂȘme pour faire un bien jy. Cette personne qui avoit beau- 19 Ne fcclamvs mala ut venlant bona. Rom. 3- Loi de lâEsprit Saint, sur laquelle ies tari Iles maximes du monde ne prĂ©vaudront pas. L s 2sO Lâ Ă C 0 L E coup de jugement & de droiture, convint quâil avoir raison. On encourage, par lâattrait du gain & des applaudissemens , les auteurs delĂ corruption publique. On sâinquiĂšte peu quâils se perdent & en perdent une infinitĂ© Lautres avec eux, pourvu quâils divertissent & quâils amusent. Elt-ce ĂȘtre ChrĂ©tien!' elt-ce mĂȘme ĂȘtre homme? Une de nosPrincesses filles de Louis XV, Madame Henriette de France , disoit un jour aune personne quâelle honoroit de fit confiance, quâelle ne concevoir pas comment on pouvoir goĂ»ter quelque plaisir aux reprĂ©sentations du théùtre, & que câĂ©toit pour elle un vrai supplice. Si-tĂŽt, ajoutoit-elle, que je vois paroĂźtre les premiers acteurs fur la scene , je tombe tout-Ă -coup dans lapins profonde tristesse. VoilĂ , me dis-je Ă moi-mĂȘme, des hommes qui sc damnent de propos dĂ©libĂ©rĂ©' pour me divertir. Le nombre ni la qualitĂ© des personnes qui vont aux spectales , ne peuvent servir dâexcuse ni rassurer. La multitude ou la dignitĂ© des coupables poura-t-elle enchaĂźner le bras puissant de la Justice divine? & que servirontlcsrichesses, les titres & la grandeur, quâĂ lui prĂ©parer de plus grandes victimes ? Si des hommes, qui par Ă©tat devroient sâinterdire leslpectacles, y aiĂźistent, câest des MĆurs. 2 fi un scandale de plus, & non une justification. Combien dĂ©shonorent leur Ă©tat par leur conduite , & agissent contre les rĂ©clamations de leur conscience, avec laquelle on ne peut disputer, sans avoir tort ! Nous avons connu une personne en place elle rĂ©pĂ©toit souvent, quelque temps avant sa mort, quâune des choses qui lui faisoient le plus de peine, Ă©toit dâavoir dans sa jeunesse, Ă lâexemple des autres, lrĂ©quentĂ© les spectacles. Quâil est doux aux derniers momens de fi vie de nâavoir rien Ă se reprocher ! Mais quel jugement terrible nâauront pas alors Ă craindre les peres & les meres, qui par leurs leçons ou par leur exemple, auront inspirĂ© Ă leurs enfans le goĂ»t & lâamour du théùtre ! ObligĂ©s encore plus- que les autres Ă sâinterdire la frĂ©quentation des spectacles & des bals, li pernicieuse sur-tout pour la jeunesse, ne le rendent-ils pas coupables devant Dieu de toutes les suites quâelle peut avoir Ă lâĂ©gard de leurs enfans ? & nâelt-ce pas fur eux principalement que tombe la malĂ©diction lancĂ©e par Jcsus-Christ contre ceux qui font une occasion de chute pour les petits & les foibles? Peres foibles , meres imprudentes, gouverneurs & guides indignes de lâĂȘtre , en conduisant aux spectacles vos enfans ou vos Ă©leves 3 2zr Lâ Ă c o l e vous leur prĂ©sentez vous-mĂȘmes la coupe empoisonnĂ©e du plaisir & de la voluptĂ©! Nây boiront-ils donc pas assez tĂŽt fans vous? Leurs paillons ne sâĂ©veilleront- elles pas assez dâelles - mĂȘmes? faut-il encore les faire naĂźtre dâavance ou les irriter ? On ne veut, dira-t-on, les y conduire ou y aller soi-mĂȘme quâune fois, pour satisfaire fa curiositĂ©. Mais si le théùtre est dĂ©fendu Ă celui qui fait profession dâĂȘtre ChrĂ©tien, il lâest pour cette fois mĂȘme que vous voudriez en excepter; & oĂč en ferions-nous pour les mĆurs , si fous ce prĂ©texte il fall oit tout connoĂźtre & tout voir? Qui peut dâailleurs fe rĂ©pondre que ce qui est attrayant de fa nature, ne fera pas naĂźtre en nous le dĂ©sir de le voir plus souvent? A pour-' quoi fe donner un dĂ©sir de plus, pour avoir ensuite tant de peine Ă le rĂ©primer, ou pour sâexposer au danger dây succomber encore ? Alipe , cet ami de saint Augustin, dont nous avons dĂ©jĂ parlĂ©, Ă©tudioit le droit Ă Rome. Quelques - uns de ses condisciples lui proposĂšrent un jour dâaller avec eux Ă lâamphithéùtre. Il avoit autrefois aimĂ©^passionnĂ©ment les spectacles , & saint Augustin lâavoit guĂ©ri de cette passion. Alipe rĂ©sista aux invitations & 'aux sollicitations pressantes de DES M Ć U Tt S. 2fZ ses amis, qui lâentraĂźnerent de force. Il ferma constamment les yeux pendant le spectacle. Mais tout-Ă -coup fur la fin un cri extraordinaire frappa lĂšs oreilles, & excita fa curiositĂ©. 11 ouvrit les yeux. A peinĂ© vit-il le spectacle, quâil sây sentit intĂ©reifĂ©. Ravi, transportĂ©, il mĂȘle ses cris & ses applaudisiĂȘmens Ă ceux des autres spectateurs, & fort enfin plus Ă©pris que jamais de lâamour du théùtre. A la place de ces grands plaisirs, trop dangereux pour nâĂštre pas souvent criminels, & trop vifs pour ĂȘtre longtemps agrĂ©ables, substituez les plaisirs purs & toujours satisfaisans de lâesprit & de lâame. Ceux-ci sont bien au-deisus de toutes les satisfactions , quâon cherche & quâon trouve si rarement dans les divertissemens du monde. Ces divertisse- mens peuvent bien charmer pour un moment nos chagrins, interrompre un peu le cours de nos ennuis, & fixer quelques instans la joie fugitive mais ce nâest que pour rendre nos chagrins plus insupportables, nos ennuis plus ac- cablans, & nos regrets plus amers, ils gliflâent, pour ainsi dire, fur la superficie de notre ame sans la pĂ©nĂ©trer, & ne font quâagiter le cĆur fans le remplir. Iis nâoffrent quâune image trompeuse du bonheur, & non le bonheur lui-mĂȘme, quâon ne trouvera jamais que dans iâexex- 2s4 Lâ Ă c o l a cice de la vertu. Câest Ă elle quâil appartient de faire goĂ»ter des plaisirs infiniment plus agrĂ©ables & plus flatteurs que tous ceux que peuvent donner les vains amusemens du monde ou la satisfaction brutale des sens. Quelle joie douce & pure naĂźt fur-tout de lâattachement inviolable Ă son devoir, & du renoncement aux plaisirs dĂ©fendus! Elle est inaltĂ©rable comme la vertu qui la produit, & nâest jamais sujette Ă de fĂącheux retours. Ăźlrillans amusemens d'un monde corrompu, Valez - vous ces vrais brens que donne la vertu? Non , malgrĂ© vos attraits , les ennuis, les alarmes AssiĂšgent le coupable enivrĂ© de vos charmes MĂȘme au sein des plaisirs, son destin est affreux. La vertu seule a droit de faire des heureux* Sans vouloir interdire les dĂ©laflemens & les plaisirs permis, il faut du moins quâils le soient, il faut quâils ne nuisent point Ă la piĂ©tĂ© ni aux mĆurs, quâils nâaient rien de contagieux, quâils nâinspirent point le goĂ»t de la frivolitĂ© , de la diiĂźipation, & lâoubli de ses devoirs. Une ame belle & sensible , dit lâAuteur du Comte de VaĂŻmont , nâa-t-elle pas au sein de iĂ famille , dans la sociĂ©tĂ© dâamis vertueux comme elle, dans les tendres Ă©pan. ehemens de la confiance, dans le goĂ»t des MĆurs. mĂȘme des Lettres & des Arts, des plaisirs plus purs quâelle puisse se permettre ? Si elle est plus belle & plus vertueuse encore, nâa-t-elle pas des spectacles plus intĂ©ressans quâelle puisse se procurer celui des malheureux qui souffrent & quâelle va consoler? Nâa-t-elle pas des larmes plus douces Ă verser, celles de la pitiĂ© pour des indigens quâelle va visiter & soulager ? Nâa-t-elle pas un emploi plus noble & plus touchant Ă faire de ses richesses ,. en les mĂ©nageant pour des Ćuvres qui honorent lâhumanitĂ© & la charitĂ© ? Ah ! ce sont-lĂ des plaisirs bien plus dignes de nous, que tous ces faux plaisirs des bals & des spectacles, quâon nâaime & quâon ne recherche avec tant dâardeur, que parce quâils flattent & nourrissent !e penchant & le goĂ»t quâon a aux plaisirs criminels de la voluptĂ© 2,0. Pour vous, plus Ă©clairĂ© & plus sage, laissez aux hommes effĂ©minĂ©s ou stupides & grofliers des plaisirs qui leur font communs avec la bĂ«;e, des plaisirs qui les dĂ©gradent & les avilissent, & qui font bien plus une preuve de lâinfirmitĂ© 20 Presque toutes nos piĂšces de théùtre sent sondĂ©es fur une intrigue amoureuse, ses femmes qui parenr nos speciacits * dit M. de Voltaire , ne veulent point iouffrir qu*on leur parle dâautre chose que dâamour, parce que câelslĂ sans doute ce quâelles entendent le mieux. Lf6 Lâ Ă C O L E humaine, quâune marque de la distinction & de l'Ă©lĂ©vation de lâhomme. Ne mettez jamais votre gloire dans ce qui fait votre honte, & ne cherchez pas dans la dĂ©fense mĂȘme un nouvel attrait Ă la voluptĂ©. PlacĂ©s fur la terre, comme dans le jardin destinĂ© au sĂ©jour du premier homme, si lâAuteur de notre ĂȘtre, pour de justes & sages raisons , nous dĂ©fend lâusage dâun fruit, acceptons avec reconnoissance ceux qui ne nous font point interdits. Jouissons de ce qui nous est offert, fans nous croire malheureux par ce qui nous est refusĂ©. Gardons- nous de porter une main tĂ©mĂ©raire Ă lâarbre qui nous est dĂ©fendu, & dâen cueillir le fruit, qui deviendroit pour nous un fruit de mort. Respectons la loi. Nous devons Ă la MajestĂ© de Dieu le tribut dâune soumission parfaite Ă ses ordres nous devons Ă fa sagesse lâhommage dâune persuasion intime que , sâil daignoit nous dĂ©couvrir les mystĂšres de ses conseils, nous applaudirions aux motifs de fa conduite. Ces fentimens respectueux , un sentiment de plaisir les accompagne, une heureuse tranquillitĂ© les fuit, & en est dĂšs cette vie mĂȘme la rĂ©compense. des MĆurs. 2 S 7 XXXI. Sobre pour le fav-il , le sommeil ÂŁ 5? la table , ĂŻesprit libre ÂŁ sf /s/ & extmplodUici disciplinant, J?rov. 6 & 24. des MĆurs. 267 Profitez-en de mĂȘme, vous qui lisez ceci ; & si jamais il vous arrive de rester au lit trop tard, reprĂ©sentez-vous Salomon qui paroĂźt tout-Ă -coup dans votre chambre, & qui vous tirant par le bras , vous adresse les mĂȘmes paroles quâil adressoit aux paresseux de tous les siĂšcles JusquâĂ quand, ĂŽ paresseux, dormirez- vous ? Quand vous rĂ©veillerez-vous de votre sommeil ? Nâest-ce pas assez frotter vos yeux pour les ouvrir, assez tordre vos bras & les Ă©tendre, vous soulever & puis retomber fur le chevet tandis que la malĂ©diction de Dieu laisse entrer dans votre maison, avec le dĂ©sordre & le libertinage, la pauvretĂ© qui ne vous craint pas, non plus quâelle nâa pas craint dâautres maisons plus riches que la vĂŽtre. La Paresse va si lentement, que la Pau» vretĂ© lâatteint bientĂŽt. Ce que la Sagesse vous recommande encore, si vous voulez dormir heureusement & paisiblement, câest dâĂ©viter tout ce qui pouroit ouvrir les portes Ă lâinsomnie les inquiĂ©tudes de lâesprit, les mouvemens tumultueux des passions, les excĂšs de lâintempĂ©rance. Câest bien assez dâ le jour Ă vos occupations & Ă vos affaires donnez la nuit Ă votre repos & Ă votre tranquillitĂ©. Lorsque lâheure est venue de vous mettre au lit, faites en forte que vos desseins, M 2 1 68 V Ă c o l e vos entreprises, vos espĂ©rances, vos peines mĂȘme, sâil est possible, & vos tris, tesses sâendorment avec vous, & quâil y ait un grand silence dans votre arae ainsi que dans votre maison. Le savant M. Huet avoit pour maxime de ne lire jamais ses lettres le soir avant de se coucher , ni Ă midi avant de se mettre Ă trouve ordinairement dans les lettres, disoit-il, bien plus de mauvaises nouvelles que de bonnes &,en les lisant, on se prĂ©pare Ă soi-mĂȘme des sujets dâinquiĂ©tudes , qui troublent le repos & le repas. La juste mesure du repos, la rĂ©gularitĂ© & la tranquillitĂ© du sommeil, sont un des plus fermes appuis de la santĂ©. Celui qui ne dort que ce quâil faut, & dans le temps le plus propre au sommeil, celui dont lâame nâest agitĂ©e par aucune passion violente, ni le corps surchargĂ© par aucun excĂšs , se couche & sâendort dans le mĂȘme moment. Son sommeii est tranquille & profond il est difficile de lâen tirer. Mais aussi-tĂŽt que la nature est satisfaite & que ses forces sont rĂ©parĂ©es , il se rĂ©veille, il est frais , sain, vigoureux & gai, comme on le voit dâordinaire dans les artisans & dans les gens de la campagne. Il nâen est pas de mĂȘme des personnes du grand monde, & de ces dĂ©sĆuvrĂ©s qui, pour prendre ou prolonger leur repos, consultent plus la des MĆurs. r§9 mollesse que la nĂ©cessitĂ© , la paresse que le besoin , & le caprice que la nature. Câest en vain quâils attendent le sommeil, il fuit loin de leurs yeux ; leur impatience mĂȘme ne sert quâĂ lâĂ©loigner davantage. Voyez aussi ces riches, ces voluptueux, ces hommes importans qui , chargĂ©s de veiller au repos des autres, nâen prennent jamais. AgitĂ©s par les foins, les affaires , les projets, les plaisirs, les regrets du jour ; Ă©chauffĂ©s par les alimens & les boissons , ils se couchent avec un esprit inquiet, & un pouls prĂ©cipitĂ©, un estomac chargĂ©. LâinquiĂ©tude, lâembarras , la fievre se couchent avec eux , & les tiennent long-temps Ă©veillĂ©s. Sâils sâendorment, câest dâun sommeil lĂ©ger, inquiet, troublĂ© par des rĂȘves effrayans & des rĂ©veils brusques. Ils se lĂšvent avec des palpitations, de la lassitude, de lâabattement, de la mauvaise humeur. Chaque nuit ainsi passĂ©e , au lieu de rĂ©parer leurs forces, les Ă©puise; leur sang, loin de se purifier & de se rafraĂźchir, sâĂ©paissit & sâenflamme leur santĂ© sâaltere, se mine peu-Ă -peu ; il survient quelque grande maladie, dont le terme est le tombeau. Voulez-vous donc que le sommeil porte dans vos membres la santĂ© & la vie fuyez la multitude des affaires, modĂ©rez M ; a 7 o Lâ Ă C 0 t E vos pallions, Ă©vitez les excĂšs, & usez sobrement du sommeil mĂȘme. Il ressemble aux remedes qui, trop multipliĂ©s ou rĂ©itĂ©rĂ©s trop souvent, ne font plus aucun effet. Une Dame consulta un jour un cĂ©lĂ©brĂ© MĂ©decin, & lui dit quâelle Ă©toit le soir sans appĂ©tit il lui ordonna de dĂźner peu. Elle ajouta quâelle Ă©toit sujette Ă des insomnies ; il lui prescrivit de nâĂštre au lit que pendant la nuit. Elle lui demanda pourquoi elle devenoit pesante, & quel remede il lui falloir prendre il lui rĂ©pondit quâelle devoir se lever avant midi, & quelquefois se servir de ses jambes pour marcher. A combien dâautres ne pouroit-on pas faire les mĂȘmes rĂ©ponses ? Ăź- 7ââJ ». La table. Ne ressemblez pas Ă ceux qui paroissent nâavoir point de plus importantes affaires, que de dĂźner le matin & de souper le soir, & qui ne semblent nĂ©s que pour la digestion. Ne vivez pas pour manger, mais mangez pour vivre. Aimez les bonnes choses plus pour les autres que pour vous, & consultez moins votre goĂ»t que le leur. PrĂ©fĂ©rez le plus sain au plus friand. Le choix & le goĂ»t desalimens, lorsquâon nâa pour but que dâentretenir la santĂ© & de se mettre en Ă©tat de remplir ses devoirs, ne font des MĆurs. 271 pas interdits par la Sagesse ils entrent mĂȘme dans lâintention bienfaisante du CrĂ©ateur, & lâon sait la rĂ©ponse que fit un jour Descartes Ă ce sujet. Un Riche, dont les connoissances Ă©coient fort bornĂ©es , lui voyant manger quelques mets dĂ©licats Eh quoi ! dit-il, les Philolophes mangent-ils de ces morceaux? Pourquoi non , rĂ©pondit Descartes ! vous imagines- vous que la nature nait fait les bonnes choses que pour les ignorons ? Gardez-vous pourtant dâĂȘtre ou de paroitre trop dĂ©licat. Bien des gens font les dĂ©licats par vanitĂ©. Loin de donner dans une telle petitesse , quand vous auriez vraiment le goĂ»t fin , sachez lâoublier Ă table, ou du moins le cacher. On ne trouve rien de bon, quand on est trop difficile on souffre & on fait souffrir les autres par une dĂ©licatesse trop raffinĂ©e. Si un ragoĂ»t moins bon ou un plat moins bien accommodĂ© vous donne de lâhumeur , ceux que vous prĂ©tendez rĂ©galer ne pouront-ils pas dire de vous, comme le PoĂ«te comique Câest un fort mĂ©chant plat q\ie fa sotte personne^ Oui gĂąte Ăą mon avis tous les repas quâil lionne. M O L I ÂŁ R Er Ce seroit encore pis , si vous portiez ce caractĂšre chez les autres peu de gens voudraient vous recevoir ; & quelque M 4 27» Lâ E C O L E foin quâon prĂźt , quelque bonne chere quâon vous fit , vous vous croiriez toujours mal rĂ©galĂ©. Le vrai savoir-vivre est de savoir sâaccommoder aux temps & aux lieux. Les choies les plus dĂ©licates ne font pas toujours les plus agrĂ©ables ou ne le font pas long-temps , parce quâil est difficile de les goĂ»ter avec'cette modĂ©ration qui augmente le plaisir en le rĂ©glant. La sage nature, qui nous avertit ordinairement avant de nous punir , a mis dans le plaisir de la table, comme dans tous les autres, le dĂ©goĂ»t Ă cĂŽtĂ© de lâexcĂšs. Ce qui est trop dĂ©licat ou pris fans mesure, ne flatte plus, parce quâil a trop flattĂ©. Voulez-vous donc goĂ»ter dans toute fa puretĂ© le plaisir de la table ne le prenez que des mains de la Sagesse & dans les vues honnĂȘtes quâelle permet. Ne donnez jamais fur-tout dans aucune dĂ©s folies qui portent beaucoup de jeunes gens Ă prodiguer leur santĂ©. Quand ils font fur le retour de lâĂąge, ils voudraient bien, autant par plaisir que par religion , racheter les excĂšs de la jeunesse. PrĂ©venez ces regrets inutiles nâattendez pas que lâexpĂ©rience vous instruise trop tard, & vous serve plutĂŽt de chĂątiment que de remede. Ne mettez point votre tempĂ©rament Ă trop dâĂ©preuves usez, mais nâabufez point jouissez, mais ne dissipez pas. des MĆurs. 27z Il est permis, il est louable mĂȘme, fans avoir un foin inquiet & scrupuleux de sa santĂ© , de ne pas la prodiguer. Câest fans contredit le plus prĂ©cieux de tous les biens qui servent Ă la vie, celui que les hommes estiment le plus , & que souvent ils mĂ©nagent le moins. Sans la santĂ©, la vie est Ă charge ; & câest une grande extravagance dâabrĂ©ger sa vie, ou de la rendre plus triste, par tout ce qui nâest fait que pour la conserver ou pour lâĂ©gayer. Rien ne ruine plus la santĂ© & nâabrege plus les jours que les excĂšs de la bouche; ils font plus meurtriers que lâĂ©pĂ©e. Vous avez fans doute entendu parler de cette jeune Princesse , qui fs livroit Ă tous les plaisirs de la table elle prenoit avec excĂšs tout ce qui fiat- toit son goĂ»t. Quand on lâavertissoit quâelle jouoit Ă abrĂ©ger sa vie, Ăšlle rĂ©- pondoit en riant Courte g? bonne. Elle mourut en effet dans la fleur de son Ăąge. Alexandre , que tant de combats , de travaux, de fatigues , nâavoient pu vaincre , fut vaincu par le vin & par la dĂ©bauche. Il mourut Ă Babylone au milieu des plaisirs , Ă trente - deux ans. Ne connoĂźtre & ne goĂ»ter de plus grands plaisirs que ceux de la table, est un vice qui dĂ©grade. Ne sommes-nous donc faits que pour manger & pour boire ? & 11e sommes-nous nĂ©s pour riea M f 274 LâĂcole de plus Ă©levĂ© & de plus noble , que pour les plaisirs animaux ? Quelle gloire honteuse que celle quâon tire de la capacitĂ© du ventre ou dâun appĂ©tit glouton ! LâEmpereur Wenceslaç fit Gentilhomme un fameux buveur ; & la rĂ©compense Ă©toit digne de ce Prince. Henri IV ne fit pas de mĂȘme. Un homme qui man- geoit autant que six, se prĂ©senta un jour Ă ce Monarque, dans lâespĂ©rance quâil en obtiendroit de quoi entretenir un si beau talent. Le Roi, qui avoit entendu parler de cet homme , lui demanda sâil Ă©toit vrai, quâil mangeĂąt autant que six» Oui, Sire, rĂ©pondit-il. Et tu travailles Ă proportion , ajouta le Roi ? Sire, rĂ©pliqua-t-il , je travaille autant quâun autre de ma force & de mon Ăąge. Ventre- saint-pris, dit ce Prince, 7* savais beaucoup d'hommes comme toi dans mon Royaume , je les ferais pendre de tels coquins l'auroient bientĂŽt affamĂ©. On reconnoĂźt un gourmand Ă ses propos de table , Ă la profonde thĂ©orie de la cuisine quâil se plaĂźt Ă dĂ©velopper, Ă ses transports , au feu qui brille dans ses yeux lorsquâil parle des diffĂ©rens vins & de leurs qualitĂ©s, des maisons oĂč lâon traite avec le plus de goĂ»t, de dĂ©licatesse & dâabondance. Mais peut-on avoir pour lui dâautres sentimens que dessen- timens de mĂ©pris ? 7 des MĆurs. 27 f Câest en effet un dĂ©faut bas & honteux , qui rapproche lâhomme de la bĂȘte ne pcut-on pas mĂȘme dire quâil le met au-dessous? Les bĂȘtes le plus souvent se bornent au nĂ©cessaire. Si elles trouvent quelque chose qui ne rĂ©pugne pas Ă leur goĂ»t, elles sâen contentent, nâen prennent quâautant quâil leur en faut, & ne cherchent, rien de plus. Elles ne se provoquent pas au vomissement, pour manger de nouveau. Elles nâavalent pas des liqueurs fortes, pour hĂąter la digestion, afin de pouvoir satisfaire encore un appĂ©tit artificiel & plus que brutal. Croiroit- on que des hommes , des femmes mĂȘme, scient capables de pareils excĂšs? & nâest- ce pas lĂ , selon lâexpression Ă©nergique de lâEcriture , faire son dieu de son ventre ? Celui qui a Ă©tĂ© .bien Ă©levĂ©.* nâaura jamais un vice si dĂ©shonorant, & il ne mettra point au nombre de ses plaisirs ce qui le confondroit avec les plus vils animaux. Dâailleurs ces plaisirs grossiers conduisent souvent Ă de plus grossiers encore. Le vin & la bonne chere font les ali- mens de la voluptĂ©. Câest ce qui a fait dire aux Anciens Sine Baccho b Cerere * Venus friget. Eh! quepouroit VĂ©nus, faits Bacchus & CĂ©rĂšs ?' Le PoĂšte que nous avons dĂ©jĂ citĂ©-,, M 6 L6 Lâ Ă C O L E dit aufĂŻĂŻ dans le Portrait du Roi de Suede Une sage frugalitĂ© , Dont il donne lâexemple avec autoritĂ© , De son camp bannit la mollesse , Et le dĂ©fend lui - mĂȘme, au feu de la jeunesse* Dâun Ă©cueil plus Ă redouter , Aue tous les ennemis que son bras fut dompter. Ce Prince Ă©toit 'dâune sobriĂ©tĂ© qui ne contribua pas moins que lâexercice Ă rendre son tempĂ©rament fort & robuste. Jamais il ne se plaignit que ses mets luisent peu dĂ©licats ou mal apprĂȘtĂ©s. AprĂšs un repas frugal, il faisoit Ă cheval de longues courses , & le soir en campagne il couchoit sur de la paille Ă©tendue par terre , tĂȘte nue, sans draps , couvert seulement dâun manteau. Il avoir acquis par-lĂ un tempĂ©rament de fer, que les fatigues les plus violentes ne purent abattre. Qui doute en effet que la force & la santĂ© ne soient le partage de la sobriĂ©tĂ© A de lâexercice , comme la foiblesse & la maladie le sont de lâinaction & des excĂšs de la table ? Pourquoi voit-on une si grande diffĂ©rence pour le tempĂ©rament ,, la santĂ© & la force, entre le laboureur ou lâartisim , & le riche, le voluptueux, lâhomme de bonne chere ? des MĆurs. 277 Nâen doit-on pas chercher la principale cause dans, la diffĂ©rence de leurs alimens & de leurs boĂŒlons ? Le pain le plus gr'olĂŻier , les mets les plus simples, la boisson naturelle , font la nourriture des premiers. Le besoin, qui en fait tout lâagrĂ©ment , en regle aussi la quantitĂ©; & comme ces choses nâont par elles- mĂȘmes rien dâattrayant, on nâen prend jamais au - delĂ du nĂ©cessaire la digestion se fait aisĂ©ment & sans douleur; au bout de quelques heures le besoin renaĂźt, & 011 le satisfait avec le mĂȘme plaisir. Il nâen est pas de mĂȘme des riches & des personnes du grand monde. On voit fur ces tables oĂč rĂ©gnent la magnificence , le luxe & la somptuositĂ© , des viandes succulentes, des gibiers de haut goĂ»t, des pĂątisseries dĂ©licates , des mets variĂ©s de diffĂ©rentes façons & rendus plus Ă©chauffans par des aromates prodiguĂ©s. Les vins les plus fumeux & les plus violens, lâeau-de-vie masquĂ©e sous les formes les plus agrĂ©ables & les plus dangereuses , se trouvent Ă tous leurs repas. Lâimpression flatteuse de toutes ces choses dĂ©termine souvent Ă en prendre au-delĂ du besoin , & le trop en ce genre nuit encore plus que le trop peu; lâeffomac surchargĂ© digĂ©rĂ© mai, & toutes les fonctions du corps se dĂ©rangent 2/8 Lâ Ă C O L s Mais ce nâest pas tout encore. Le moment dâun nouveau repas arrive on se met Ă table , quoique le besoin rĂ©el nâexiste pas. On veut manger j lâodeur, la couleur , la saveur des mets y invitent. On paroĂźt dĂ©cidĂ© pour un plat, on en est servi, on le goĂ»te, on le renvoie on en essaie un grand nombre , on mange de quelques-uns lâensemble fait un volume , & est composĂ© dâune infinitĂ© de choses diffĂ©rentes, dont la rĂ©union offre les plus grands obstacles Ă la digestion. De - lĂ un long sĂ©jour sur lâestomac, une corruption plutĂŽt quâune digestion , une indisposition habituelle qui fait que, sans ĂȘtre malade , on ne se porte jamais bien. La sobriĂ©tĂ© , au contraire , rend le Corps dĂ©gagĂ© & dispos , & lâentretient dans une santĂ© ferme & vigoureuse. Un Roi de Perse envoya , dit - on , au Calife Mustapha un MĂ©decin trĂšs-habile. Celui- ci , en arrivant, demanda comment on vivoit Ă cette Cour. On ne mange, lui rĂ©pondit-on, que lorsquâon sent la faim , & on ne la satisfait pas entiĂšrement. Je me retire , dit - il, je liai que faire ici. On a dit dâun goutteux Ta manges des ragoĂ»ts exquis , Tune Lois que du fin Champagne, Et tu joins aux liqueurs d'Espagne ĂźLes vins que le Turc a conquis. 279 / des MĆurs. Sous une housse dâĂ©carlate , Tes rideaux fout dâun gros damas La Hollande a filĂ© res draps. Et tes matelas font dâouate. Dois- tu, GĂ©ronte, tâĂ©tonner De voir quâune Goutte cruelle , Qui traĂźne fa sĆur la Gravelle, Ne veuille point tâabandonner ? Je la trouverais ridicule De quitter tes festins avec ton lit mollet > Pour sâen aller jeĂ»ner avec un Camaldule , Ou coucher fur la dure avec un RĂ©collet* La tempĂ©rance qui est la source delĂ santĂ© , lâest aussi de la longue vie. LâexcĂšs de la bouche , dit le Sage, en a tuĂ© plusieurs mais [homme Jobre vivra plus long-temps 4. On a remarquĂ© quâon voyoit plus de vieillards en Italie quâen France ce quâon nâattribue pas seulement Ă la salubritĂ© defsair & Ă la douceur du climat, mais Ă laTobriĂ©tĂ© des Italiens. Uii PoĂ«te Anglois dit ingĂ©nieusement dans une de sesEpigrammes latines! Si tarde cupis esse senex , utaris oportet Vel modico medisĂ€; vel medico modlet. . Sumpta , ci bus tanquam , ladit falutemt At fimptus pro deĂ , ut mediĂ na, cibus, Ow Z '4 Propter crapu ânm multi obierunt qui auum abĂi* nens eĂ , adjiciet vitam , Ecdi. 37- 2go Lâ Ă C O L E On a ainsi traduit ou plutĂŽt imitĂ© cette Epigramme Peu de MĂ©decin, Peu de mĂ©decines Point de chagrin, Sobre cuisine. Si tu prĂ©tends Vivre long-temps. La tempĂ©rance & le travail, dit le Philosophe de Geneve , font les deux vrais mĂ©decins de lâhomme ; le travail aiguise son appĂ©tit , & la tempĂ©rance lâempĂȘche dâen abuser. Un MĂ©decin ayant demandĂ© au Pere Bourdaloue quel rĂ©gime de vie il observoit. Ce Pere lui rĂ©pondit quâil ne faisoit quâun repas par jour. Gardez - vous , lui dit le MĂ©decin , de rendre public votre secret vous nous ĂŽteriez toutes nos pratiques. Saint Charles BorromĂ©e Ă©tant tombĂ© malade Ă Rome , so vit obligĂ© de consulter les MĂ©decins. Mais comme ils ne convenoient pas entre eux fur sa maladie, il profita de leurs contradictions pour ne pas se mettre entre leurs mains, A pour se faire lui-mĂȘme un rĂ©gime de vie. Il commença par retrancher de sa table tout ce qui tenoit de la dĂ©licatesse, & qui ne servoit quâĂ flatter le goĂ»t ; & sâĂ©tant accoutumĂ© peu-Ă -peu Ă une vie jure & sobre, il fut bientĂŽt dĂ©livrĂ© de des MĆurs. agi fa pituite, de fa toux , de ses fievres & de ses autres incommoditĂ©s ordinaires. Il devint mĂȘme si robuste quâon est surpris de la force avec laquelle il supporta les plus rudes travaux de lâEpiC- copat, auxquels son zele le livroit. La vie humaine, dĂ©jĂ si courte, semble tous les jours, pour la plupart des gens du monde, le devenir encore plus. On regarde avec raison les Ă©piceries & les aromates, prĂ©sens funestes du Nouveau- Monde , comme une des principales causes de ce raccourcissement, parce que tout ce qui hĂąte les battemens du cĆur, fait quâil battra moins long-temps & que les organes sâuseront plus vite. A ces poisons , que lâart des cuisiniers prĂ©pare & varie en mille maniĂ©rĂ©s, comme sâils craignoient quâon nâen prĂźt pas assez, joignez ces boissons fortes & brĂ»lantes , qui achĂšvent de porter le ravage & la flamme dans les entrailles ; & il vous fera facile de juger quels effets pernicieux tout cela doit produire. Doit-on ĂȘtre surpris de tant de morts prĂ©maturĂ©es , de tant de morts subites, dont nous entendons parler maintenant. Si vous aimez votre santĂ© & votre vie, aimez la sobriĂ©tĂ©, nâoubliez jamais le prĂ©cepte que vous donne ici la Sagesse. Les plaisirs de la table pris fans modĂ©ration, ne font agrĂ©ables que pour 282 LâĂcotĂŒ le moment on les achetĂ© souvent bien cher ; & la nature ne tarde pas Ă se venger, quand on la force de prendre ce quâelle ne demande point. La frugalitĂ© au contraire flatte moins dans le moment, mais les suites en font douces & agrĂ©ables. TimothĂ©e, illustre citoyen dâAthenes , avoit fait chez Platon un souper frugal, oĂč il avoit eu beaucoup de plaisir. Lâayant rencontrĂ© le jour suivant Ami , lui dit-il, vos repas me plaisent beaucoup , parce quon s'en trouve bien , mĂȘme encore le lendemain. . LâAuteur de ÂŁ EcclĂ©siastique se sert de la mĂȘme raison, pour nous porter Ă la sobriĂ©tĂ©. Si vous ĂȘtes astis, dit-il, aune grande table , ne vous laiflez pas aller Ă lâintempĂ©rance de votre bouche usez, comme un homme tempĂ©rant, de ce qui vous est servi, & ne demandez pas le premier Ă boire. Un peu de vin nâest- il pas plus que suffisant Ă un homme rĂ©glĂ©? Ainsi vous nâaurez point dâinquiĂ©tude durant le sommeil, Ă vous ne sentirez point de douleur. Lâinsomnie, la colique 8e les tranchĂ©es font le partage de lâhomme intempĂ©rant. Celui qui » mange peu, aura un sommeil de santĂ© i il dormira jusquâau matin , A Ă son rĂ©-, veil il Te FĂ©licitera lui-mĂȘme du bon Ă©tat oĂč il se trouve. Ne soyez pas , dit-il encore ailleurs , des derniers Ă vous lever des MĆurs. 283 de table , V bĂ©nisjez le Seigneur qui vous, a créé U qui vous comble de ses biens s âą Voudra-t-on nous permettre de faire ici une rĂ©flexion ? On se pique dâĂȘtre ou de paroĂźtre reconnoiisant envers les hommes , & on oublie de lâĂȘtre, on rougit de le paroĂźtre envers Dieu ! Pourquoi dans tant de maisons oĂč lâon se dit ChrĂ©tien , a-t-on abandonnĂ© la religieuse coutume de nos peres, dâĂ©lever son cĆur & ses pensĂ©es vers le ciel avant & aprĂšs le repas , pour en faire descendre la bĂ©nĂ©diction & y faire monter ses actions de grĂąces , pour sanctifier & anoblir par la religion ce qui nous confond avec les animaux? Faisons-nous toujours gloire de reconnoĂźtre & de remercier la main bienfaisante qui rĂ©pand sur nous ses dons avec tant de bontĂ© & quelquefois avec tant de profusion plus elle est gĂ©nĂ©reuse Ă notre Ă©gard, plus nous devons ĂȘtre reconnoissans, & moins fur-tout nous devons abuser de ses bienfaits. Nous lâavons dit plus haut, & nous le rĂ©pĂ©tons on se trompe , si lâon croit que les plaisirs de la table consistent dans la quantitĂ© ou dans la dĂ©licatesse. Plus on court aprĂšs les sensations exquises , plus O ... . Dcrmiet ufqut marie , anima illius cum ipso delMabitur. EccĂźi. Z r. Et super his omnibus fane» dicite Dominum , ÂŁ7V. Eccli. 32., 284 Lâ Ă c o l E on sâen Ă©loigne. Les organes deviennent difficiles, Ă mesure quâon les flatte. Ce nâest quâen restant dans une juste simplicitĂ© , quâon peut sâassurer de goĂ»ter confi tamment ce plaisir agrĂ©able destinĂ© par la nature Ă nous faire prendre la nourriture convenable & nĂ©cessaire. Celui qui ne mange que du pain bis & ne boit que de lâeau , les trouve toujours bons. Lâhomme qui veut des mets succulens, des vins exquis , est toujours dans le cas dâen dĂ©sirer de nouveaux. Le sentiment sâĂ©mousse tout ce qui nâest pas piquant & extraordinaire, devient indiffĂ©rent ou insipide; & de lĂ souvent un dĂ©goĂ»t total , dont le meilleur & le plus sĂ»r remede est la dicte & la sobriĂ©tĂ©. ArtaxerxĂšs , Roi de Perse, ayant perdu une bataille, fut contraint dans sa retraite de manger des figues seches & du pain dâorge. 11 trouva excellons ces mets grossiers. O Dieux ! sâĂ©cria-t-il, de quel plaisir je mâĂ©tois privĂ© jusquâĂ prĂ©sent par trop de dĂ©licatesse ! Il y a long-temps quâon lâa dit, lâappĂ©tit est le meilleur de tous les assaisonne mens ; mais il faut se le procurer par la tempĂ©rance. Pour faire un souper dĂ©licieux , disoit un Philosophe, faites un dĂźner frugal. Socrate Ă la sobriĂ©tĂ© joi- gnoit lâexercice. Quelquâun lui demandant pourquoi tous les jours il se pro- menoit Ă grands pas jusquâĂ la nuit Je des MĆurs. 2gf prĂ©pare ainsi, pour mieux souper, report- dit-i!, le meilleur de tous les ragoĂ»ts , un bon appĂ©tit. Lâexercice est aprĂšs la sobriĂ©tĂ© un des plus ordinaires & des plus excellens conservateurs de la santĂ©. Une vie trop sĂ©dentaire accumule les humeurs , rend lâestomac paresseux, le corps dĂ©licat & souvent peu propre aux fonctions communes de la vie. Lâaction, au contraire, & le mouvement entretiennent la vigueur du corps, raniment celle de l'es, prit, & garantissent de beaucoup dâinfirmitĂ©s. Mais ce qui vaut peut ĂȘtre encore mieux, câest la gaietĂ©, cette aimable effusion de lâame , qui tient souvent lieu dâesprit dans la sociĂ©tĂ©, de compagnie dans la solitude, & de remede dans les maladies. Ce qui est certain , câest que la MĂ©decine nâa point de plus excellens remedes pour prĂ©venir les maux, que lâexercice, la tempĂ©rance & la joie. On demanda un jour Ă LĂ©oniccni, cĂ©lĂ©brĂ© MĂ©decin Italien, par quel secret il avoit conservĂ© pendant plus de quatre-vingt- dix ans, sa mĂ©moire , tous ses sens, un corps droit & une santĂ© pleine de force. Il rĂ©pondit quâil devoit la vigueur de son esprit Ă la puretĂ© de mĆurs dans laquelle il avoit toujours vĂ©cu, & la santĂ© de son corps Ă {Ă sobriĂ©tĂ© & Ă sa gaietĂ©. Celle- »86 Lâ E c o l 2 ci-, pour ĂȘtre pure & constante, doit avoir sa source dans le contentement de lâesprit & dans la tranquillitĂ© de la cous- cience. La bonne conduite est la mere de la gaietĂ©, & la gaietĂ© la mere de la santĂ©. y des MĆurs. L87 XXXII. Joucç pour le plalfĂźr, perdez noblement^ L E jeu est pour bien des personnes uhe des plus amusantes distractions. Il corrige par fa douceur lâamertume des peines, & par son agrĂ©ment il dĂ©lasse de la fatigue des affaires. Il est donc quelquefois permis , il est utile mĂȘme de jouer. Mais on ne doit, selon la belle pensĂ©e dâun saint Pere 1 & lâesprit du Christianisme, prendre le jeu que comme une mĂ©decine, pour le besoin seulement, ou lorsque les circonstances en font comme une espece de devoir Ă lâĂ©gard dâun malade , dâun ami ou dâun Ă©tranger quâil est de la politesse dâamuser quelques mont eus. Un sage PaĂŻen, dont toutes les maximes de morale semblent avoir Ă©tĂ© dictĂ©es par la plus faine raison, ne permet de jouer quâaprĂšs une grande application & des occupations importantesz. QuâeĂ»t-il dit de ces personnes du monde, qui emploient ou plutĂŽt qui perdent tous les jours tant dâheures au jeu, fans quâau- . Sans prodigalitĂ©, dĂ©pensa prudemment. Que de regrets on se prĂ©pare , quand on ne veut pas apprendre le secret de mesurer sa dĂ©pense sur sa fortune ! La cause la plus ordinaire de la ruine de bien des personnes, câest quâelles rĂšglent des MĆurs. 29/ leur dĂ©pense sur leur Ă©tat & non sur leurs moyens , fur leur ambition & non fur leurs richesses. Le luxe , enfant de la mollesse & de la vanitĂ©, conduit Ă la pauvretĂ© par des chemins brillans & agrĂ©ables; mais il nây a que les fous qui le suivent. Une elpece de luxe modĂ©rĂ© entre dans les vues de la nature , qui a rĂ©pandu fur la terre comme dans les deux une magnificence Ă©gale Ă fa grandeur elle nâa pas prodiguĂ© tant de bienfaits aux hommes , pour leur en interdire lâusage. Mais ce que la raison nous dĂ©fend , câest un luxe excessif ou ruineux, câest toute jouissance superflue, qui nâest prescrite ni par le rang , ni par lâusage lĂ©gitime de la nation oĂč lâon vit, & dont le retranchement ne peut que mĂ©riter lâapprobation des gens sensĂ©s. A quoi bon cette multitude de laquais infolens & pardieux, qui jouent & dorment dans une antichambre ? Que sert aux femmes cet excĂšs ridicule de parures , cette folle passion des modes & des nouveautĂ©s qui coĂ»tent si cher & qui passent si vite ? Je fais que la Sagesse permet' de suivre les modes qui ne font quâindissĂ©rentes, & qui ne .blessent point les mĆurs ni ne-dĂ©- rangent la fortune. Quoiqu'elles ne naist sent le plus souvent que de lâinconstance & du caprice, les personnes les plus sages \ se trouvent quelquefois obligĂ©es de sây N 4 296 L 5 Ă C O L E conformer & de sây soumettre , pour ne point paroĂźtre ridicules. Xa mode est un tyran dont rien ne nous dĂ©livre A son bizarre goĂ»t il faut sâaccommoder Mais fous ses folles lois Ă©tant forcĂ© de vivre» Le sage n'est jamais le premier Ă les suivre» Ni le dernier Ă les quitter. Pavillon, Sâil est permis Ă certaines conditions de porter des habits riches & magnifiques , il est plus glorieux & plus estimable de rester un peu au-dessous de son Ă©tat. La modestie & la pudeur seront toujours, pour les femmes mĂȘme , le plus bel ornement & la plus noble parure. Câctoit celle de la vertueuse Epouse de fleuri III, Louise de Vaudemont. Au milieu du luxe & du faste le plus indĂ©cent, elle ne se distinguoit que par la simplicitĂ© de ses habits. Ce qui donna lieu Ă une aventure assez singuliĂšre qui lui arriva. Passant un jour par la rue Saint-Denis, elle entra dans la boutique dâun Marchand de soie. Elle y trouva la femme dâun PrĂ©sident, magnifiquement parĂ©e & fort attachĂ©e au choix de quantitĂ© de superbes Ă©toffes. La Reine lâobserva quelque temps dans cette occupation ; & voyant quâelle ne pas seulement garde quâelle Ă©toit dans la boutique , elle sâapprocha de cette Dame , & lui demanda qui elle Ă©toit. La PrĂ©sidente qui se voyoit sans des MĆurs. 297 comparaison beaucoup mieux vĂȘtue que la Reine, & qui avoir tous ses sens occupĂ©s Ă considĂ©rer la beautĂ© des Ă©toffes quâelle avoir fous ses yeux, lui rĂ©pondit brusquement, quâon lâappeloit la PrĂ©sidente une telle. La Reine lui dit alors en riant Madame la PrĂ©sidente , vous ĂȘtes bien brave pour une femme de votre qualitĂ©. La PrĂ©sidente rĂ©pliqua fans dĂ©tourner la vue de dessus les Ă©toffes Ce n'est pas Ă vos dĂ©pens, Madame. Quelquâun de la fuite de la Reine avertit la PrĂ©sidente de prendre garde Ă qui elle parloir. Elle leva les yeux fur le visage de la Reine, & lâayant reconnue, elle se jeta Ă ses pieds , en lui demandant pardon. La Princesse lâayant relevĂ©e, lui fit avec douceur une remontrance fur le luxe de ses habits, & lui donna des tĂ©moignages de sa bienveillance. Les jeunes gens puissamment riches, & ceux qui le font devenus en peu de temps , font ordinairement prodigues, parce quâils ignorent le vrai usage des richesses. Ils sâimaginent aussi que la fortune , qui les a traitĂ©s si favorablement , ne les abandonnera jamais ils croient la tenir enchaĂźnĂ©e dans leur maison ; mais dĂ©liĂ©e bientĂŽt par leur main prodigue, elle sâenvole & ne revient plus. Nous devons nous ouvenir que, quelque maĂźtres que nous soyons des biens 'n r 289 LâĂcols que nous possĂ©dons lĂ©gitimement, nous avons nous-mĂȘmes un MaĂźtre de qui nous les tenons nous lui en rendrons un compte rigoureux, soit que par notre avarice nous les ayons rendus inutiles Ă nous & aux autres , soit que par notre prodigalitĂ© nous en ayons fait un mauvais usage, & nous nous soyons mis dans l'impuissance de faire du bien aux malheureux. Quoique la dissipation ne soit pas aussi universellement mĂ©prisĂ©e que lâavarice, parce quâelle a quelque chose dâĂ©clatant, qui frappe les yeux de la multitude & les Ă©blouit ; le prodigue qui a tout dissipĂ© & qui nâa plus rien , est peut-ĂȘtre encore plus mĂ©prisĂ© que lâavare. Dans le temps mĂȘme de son abondance, ses profusions ne le garantissent pas toujours du mĂ©pris quâil mĂ©rite. EntourĂ© de faux amis & de fourbes, qui feignent de lâestimer & de lâhonorer , il reçoit lâencens trompeur âdâune foule de libertins qui se divertissent Ă ses dĂ©pens , dâadulateurs parasites qui le louent & le dĂ©vorent , de mendians galonnĂ©s qui luisent lâhonneur de manger son bien avec lui, & le mĂ©prisent. Il sâattire, par une dĂ©pense excessive & par un faste ridicule , la raillerie de toute une ville quâil croit Ă©blouir, & il se ruine Ă se faire moquer de lui. Deux prodigues sembloient disputer entre eux lequel / des MĆurs. 299 seroit de plus folles dĂ©penses. Il me semble , dit une personne dâesprit, que je les vois se faire des complimens Ă la porte de l'hĂŽpital , pour s'inviter lâun & l'autre Ă y entrer le premier. Il en est de la prodigalitĂ© comme du feu , qui se consume en dĂ©vorant la matiĂšre qui doit lâentretenir. RĂ©duit Ă une mendicitĂ© imprĂ©vue, le prodigue est bien* tĂŽt obligĂ© dâavoir recours aux autres. Mais toute ressource lui manque ; car lĂź la libĂ©ralitĂ© fait des amis, la prodigalitĂ© ne fait que des ingrats. Ceux quâil a nourris , engraissĂ©s , ne le connoissent plus. Des amis p!us nobles qui lâauroient secouru, sâil nâavoit Ă©tĂ© que malheureux, lâabandonnent. LivrĂ© Ă lui seul &Ă ses rĂ©flexions , le souvenir de sa premiers situation le dĂ©chire Ă tous momens mille fois plus malheureux que lâavare, parce quâil sent tout son malheur ; parce quâil est nĂ©cessairement & malgrĂ© lui, ce que lâautre du moins est librement & par choix ; parce quâil souffre dâautant plus dâĂštre dĂ©nuĂ© de tout, quâil a plus agrĂ©ablement joui. Diogene voyant un prodigue qui nâavoit que des olives pour son souper Si tu avois , dit-il, toujours dinĂ© de la forte , tu ne foupcrois pas Ă mal. Le prodigue dĂ©pense comme sâil devoir bientĂŽt mourir, & lâavare Ă©pargne comme sâil toujours vivre. Plus N 6 }ĂŒO Lâ E C O L E mĂȘme Ă avance vers ce moment fatal oĂč tout doit lui ĂȘtre ĂŽtĂ© , plus il sây attache. Mais la mort vient enfin lâenlever au milieu de ses trĂ©sors, & le force de les abandonner Ă des hĂ©ritiers avides , qui les attendoient avec impatience, & qui les dissiperont peut-ĂȘtre aussi facilement & aussi vite quâil avoit mis de peine & de temps Ă les amasser. Nâauroic-il pas fait bien plus sagement, dâemployer pendant sa vie ses richesses Ă se procurer les choses nĂ©cessaires & utiles, Ă soulager les indigens, Ă faire plaisir Ă ses parens & Ă ses amis. 11 ie seroit du moins fait honneur de ce quâil possĂ©doit il auroit mĂ©ritĂ© lâestime & la reconnoissance des hommes, & ses bienfaitslâauroientrendu heureux , comme le dit unPoĂ«te, qui ajoute aussi trĂšs- bien A quoi bon cet amas frivole? Pourquoi tant de biens superflus ? Tout lâor quâentraĂźne le Pactole, Ne vous rasiafieroit plus. Lâavarice Ă lâhomme fatale, Est ie vrai tableau de Tantale Oui brĂ»le de soif dans les eaux* Toujours esclave insĂ©parable Lâun bien qui la rend misĂ©rable, Elle n'aime que ses bourreaux 3 f 3 Ă1 semble quâil eĂ»t fallu mettre son bourreau, a le fdilant rapporter au bien , qui est Je tourment des MĆurs. 301 Ăh ! faisons un phis doux usage Des biens qui nous viennent des Lieux. Les richesses aux yeux du sage Sont comme un vin dĂ©licieux Cette liqueurenchanteresse, Prise avec prudence & sagesse , Ranime nos goĂ»ts & nos cĆurs; LâexcĂšs dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en ivresse , La privation en tristesse. Lâabus de tout fait nos malheurs. Ode Ă l'Avarice , Par AL de Forces , AbbĂ©deVaĂŻmont , Lâhomme est si facile & si ingĂ©nieux Ă se tromper soi-mĂȘme, que le prodigue ne se croit que gĂ©nĂ©reux , & lâavare ne se croit que mĂ©nager. Soyez vraiment, toujours & tout ensemble , ce que tous deux se flattent dâĂȘtre & ce quâils ne font pas ; ne soyez jamais ce quâils font. Tenez le milieu entre les deux excĂšs. Soyez mĂ©nager pour lâordinaire, & gĂ©nĂ©reux dans lâoccasion ; vous vous ferez honneur, & vous ferez toujours en Ă©tat de vous le faste. Un Prodigue se plaignoit Ă Socrate quâil nâavoit point dâargent. Empruntez-en de vous-mĂȘme, lui rĂ©pondit ce Philosophe , en retranchant de votre dĂ©pense. le lâavarice. Mais on sent aufli lâentendre les trĂ©sats eu monceaux dâor 8c U argent. ZVL V Ă C O L E Uiie sage Ă©conomie qui sait retrancher , quand il le faut, les dĂ©penses peu nĂ©cessaires ou superflues , soutient les familles & les fait prospĂ©rer. La gloire & les richesses y entrent avec elle. Un fils disoit un jour Ă son pere qui avoit acquis beaucoup de bien Comment, mon pere, avez-vous fait pour avoir une si grande fortune ? pour moi, jâai peine Ă gagner le bout de lâannĂ©e avec tous les revenus du bien que vous mâavez donnĂ© en mariage. Rien nest plus facile , lui rĂ©pondit le pere en Ă©teignant une des deux bougies qui les Ă©clairoicnt cest de se contenter du necessaire , & de ne brĂ»ler qu'une bougie quand elle suffit. Conserver son argent pour nâen faire jamais un bon usage , câest une avarice criminelle ne le conserver dans un temps que pour sâen servir Ă propos dans un autre, câest une Ă©conomie louable. Nous avons dit quâil falloit ĂȘtre gĂ©nĂ©reux dans lâoccasion car ce nâest pas ĂȘtre prodigue que de lâĂȘtre Ă propos. Cette noble maxime Ă©toit celle Ă ejean Daens , cĂ©lĂ©brĂ© Marchand dâAnvers. Il Ă©toit extrĂȘmement riche. Ayant prĂȘtĂ© Ă Charles-Quint deux millions, il invita ce Monarque Ă un grand repas quâil lui donna chez lui. Il le rĂ©gala somptueusement mais nul me*s ne lui fut plus agrĂ©able, que celui quâil lui servit Ă la des MĆurs. 30? fin. Il se fit apporter sur un grand plat un petit fagot de bois odorifĂ©rant. Il y mit le feu, & y brĂ»la le billet que Charles-Quint lui avoitfĂ it. Grand Prince , lui dit- il , vous mâavez payĂ© en me faisant Vhonneur de venir manger chez mo}i. Une dĂ©pense bien placĂ©e a Ă©tĂ© pour plusieurs la source de leur fortune. Câest toujours la marque dâune personne qui pense bien ; & la gloire quâon en retire , vaut infiniment mieux que la dĂ©pense quâon a faite. Mais si lâon excepte quelques occasions rares, la prodigalitĂ© est le dĂ©faut dâun fou, qui dissipe son bien & nâen fait aucun. Le prodigue pour lâordinaire nâelt pas un homme bienfaisant. On en voit qui font des dĂ©penses en sottises de toute espece, & qui laisser oient pĂ©rir un malheureux pour un Ă©cu. Celui qui aime les bonnes actions, conserve son bien, pour ĂȘtre toujours en Ă©tat dâen faire , pour ne se point manquer Ă lui-mĂȘme, pour nâĂš- tre pas Ă charge aux autres. Il prĂ©fĂ©rĂ© les actions de justice aux actions dâĂ©clat il aime mieux payer une dette quâune pension , & sâacquitter que de donner. Mais un prodigue, qui veut passer pour gĂ©nĂ©reux , comble de biens des indignes , donne avec ostentation Ă qui il ne doit rien, & meurt chargĂ© de dettes car combien de prodigues, qui en mourant ne payent quâĂ la nature 1 ?c>4 LâĂcole Si vous voulez ne pas leur ressembler, Ă©vitez la dissipation puĂ©rile qui ne fait rien retenir , la vanitĂ© ridicule qui veut Ă©galer les Grands ou surpasser ses Ă©gaux par le tasse & par la dĂ©pense , les gĂ©nĂ©rositĂ©s excessives & dĂ©placĂ©es , les fantaisies trop tĂŽt satisfaites, dont on se repent ensuite & dont la fortune souffre presque tou jours. Une jolie chose quâon achetĂ©, en demande quelquefois dix autres , afin' que lâassortiment soit complet. Quand mĂȘme la dĂ©pense de chacune seroit peu de chose, celle de toutes ensemble est considĂ©rable ; & dâailleurs ce qui coĂ»te peu est toujours payĂ© trop cher, lorsquâon nâen a pas besoin. Une Dame achetoit tout ce qui lui paroilsoitĂ bas prix elle fit tant de bons marchĂ©s, quâelle se ruina. TĂąchez de vous tenir toujours Ă©galement Ă©loignĂ© de la prodigalitĂ© & de lâavarice. A la fuite de celle-ci marchent les inquiĂ©tudes outrĂ©es, les dĂ©fiances injurieuses Ă la Providence divine, les frayeurs anticipĂ©es, les plaintes ennuyeuses & trop souvent rĂ©pĂ©tĂ©es fur le malheur des temps , fur la facilitĂ© avec laquelle lâargent sâen va & la lenteur avec laquelle il vient, les petites attentions & les idĂ©es mesquines, la rĂ©gularitĂ© servile Ă se rendre compte de presque rien, les dĂ©tails dĂ©shonorans, & les Ă©pargnes minutieuses qui ne grossissent guĂšre la des MĆurs. 30 f fortune , & causent mille fois plus de peine quâelles ne valent. Le bien nous a-t-il donc Ă©tĂ© donnĂ©, pour nous rendre malheureux ? Une Dame de notre con- noissance , qui jouit dâune fortune assez honnĂȘte, & qui a encore plus de bon sens , nous disoit Ă ce sujet JâachetĂ© tous les ans mon repos & ma santĂ© par lesacrifice de quelques centaines de francs , dont jâaime mieux diminuer mon revenu , que de me tourmenter moi ÂŁ j? les autres, par une vigilance inquiĂ©tĂ© Ă ne rien perdre, Nous avons vu au contraire un Seigneur trĂšs-riche, qui nâĂ©toit pas avare , mais minutieux. Les plus grandes pertes ns lâaffectoient presque point ; & les plus petites dans le dĂ©tail du mĂ©nage dont il se mĂȘloit trop, ou dans des journĂ©es dâOu- vriers , le jetoient dans des vivacitĂ©s & des emportemens qui le rendoient odieux & insupportable , & qui, en lui boule- versantfrĂ©quemment les humeurs , nâont pas peu contribuĂ© Ă abrĂ©ger ses jours. On se rend souvent misĂ©rable dans la crainte de le devenir. On sâattire quelquefois de grands maux , en se refusant quelques petites dĂ©penses soit dans des voyages, ou dans des commencemens de maladies , qui ensuite occasionnent des frais bien plus considĂ©rables , & peut- ĂȘtre la mort mĂȘme. Ce fut une de ces Ă©pargnes sordides , qui causa celle de tz oS Lâ Ă C O L E Chapelain ; car Ă beaucoup de mĂ©rite, il joignoit une extrĂȘme avarice , qui ne le rendit pas moins ridicule que son PoĂ«me de la Puce lie. Quelques AcadĂ©miciens lâappelloient , en riant, le Chtva'ier de P Ordre de lâAraignĂ©e , Ă cause de lâhabit rapiĂ©cĂ© & recousu quâil portoit. SâĂ©tant mis en chemin, un jour dâAcadĂ©mie , pour se rendre Ă lâassemblĂ©e & gagner deux ou trois jetons, il fut surpris par un orage. Ne voulant pas donner quelques liards , pour palier le torrent formĂ© par la pluie fur une planche quâon y avoit jetĂ©e, il attendoit que lâeau fĂ»t Ă©coulĂ©e. Mais voyant quâil Ă©toit prĂšs de trois heures, il passa au travers de lâeau, & en eut jusquâĂ mi-jambe. La crainte quâil eut quâon ne soupçonnĂąt ce qui Ă©toit arrivĂ©, lâempĂȘcha de sâapprocher du feu Ă lâAcadĂ©mie. 11 sâalsit Ă un bureau , & cacha ses jambes dessous. Le froid le saisit, & il eut une oppression de poitrine dont il mourut. On trouva chez lui aprĂšs fa mort cinquante mille Ă©cus comptant. Lâargent est un bon serviteur & un mĂ©chant maĂźtre. Lâor quâon tient renfermĂ© dans ses coffres , est de nul prix il ne vaut quâautant quâon le fait valoir & quâon sâen sert on lâa comparĂ© au fumier, qui nâest utile que lorsquâon le rĂ©pand. Denis , Roi de Syracuse, ayant appris quâun de ses sujets avoit cachĂ© des MĆurs. 107 dans la terre un trĂ©sor, lui commanda de le lui apporter. Le Syraeusain ne lui en donna quâune partie ,8c sâen alla avec le reste dans un autre pays, oĂč il vĂ©cut plus libĂ©ralement quâil nâavoit fait. Denis qui en fut instruit , le fit revenir il lui rendit ce quâil lui avoit pris, & lui dit A prĂ©sent que vous savez bien user de vos richesses , vous mĂ©ritez de les avoir. Ne pas se servir, dans lâoccasion, de lâargent ou des commoditĂ©s quâil a plu Ă Dieu de nous accorder, & se prodiguer soi-mĂȘme pour mĂ©nager ce qui nâest fait que pour nous, câest ĂȘtre en mĂȘme temps avare & prodigue , câest une double folie. Celui qui a un beau cheval , le monts rarement, nâose le mettre en haleine, craint de le travailler, sâen refuse lâusage, tandis que lui - mĂȘme sâĂ©chauffe jusquâĂ gagner une pleurĂ©sie. Il nous reste encore Ă dire un mot fur les dĂ©penses de la table. Il y a des gens qui croient faire bonne chere, quand ils la font grande. Mais exceptĂ© certains repas de cĂ©rĂ©monie, oĂč la qualitĂ© des personnes, la multitude des convives demandent plus dâapparat & dâostentation, prĂ©fĂ©rez plutĂŽt de suivre ce que dit un PoĂ«te Bonnes façons & peu de plats; Sans somptuositĂ©, de la dĂ©licatesse,. PropretĂ©, ton vin, politesse C'est ce $uâil saut dans ua repas- zc-8 U Ă c o L E Ayez donc dans les repas que vous donnez Ă vos amis & il faut rarement en donner Ă d'autres , beaucoup de propretĂ© fans affectation, beaucoup de libertĂ© sans manquer Ă la politesse, une table servie selon votre Ă©tat & vos moyens , mais jamais de somptuositĂ©. Socrate ayant un jour quelques personnes Ă recevoir , rĂ©pondit Ă un de ses amis , qui paroissoit Ă©tonnĂ© de ce quâil nâavoit pas fait de plus grands prĂ©paratifs Si ce sont dâhonnĂȘtes gens , j'ai afjez pour eux } sâils ne le font pas, j'en ai trop. Il y a autant de fatuitĂ© Ă faire le magnifique , quand on ne doit pas l'ĂȘtre, que de petitesse Ă faire mal les honneurs de chez foi. Un fastueux, qui fait grande chere par orgueil, croit imposer ; mais il se trompe on ne paye que de mĂ©pris une magnificence mal placĂ©e. Rien cependant nâest plus commun aujourdâhui. On charge les tables de mets. Chacun se pique dâĂ©mulation & dâhonneur. On donne des repas magnifiques, oĂč rien ne manque que la gaietĂ© on mange somptueusement & ennuyeusement. Nos peres Ă©toient bien plus sages que nous. Usmangeoient moins magnifiquement & plus agrĂ©ablement. Ils nâadmet- toient de profusion que dans la joie. Ils »voient peu de plats, mais beaucoup de des MĆurs. 30* gaietĂ©, que nous avons remplacĂ©e par une abondance de mets. Il semble quâon ne sâinyite que pour manger. Lâusage a tellement prĂ©valu , que les plus avares mĂȘme se piquent de magnificence, & prĂ©fĂšrent, Ă la honte de pa- roĂźtre avares , le supplice dâĂȘtre prodigues. Donnez Ă manger fans prodigalitĂ©, mais toujours de bon cĆur, & noblement quand il le faut. Câest manquer Ă ses convives que de les mal rĂ©galer ; on nâinvite pas les gens pour leur faire faire mauvaise chere. Un avare donnant un repas fort mesquin , disoit Ă ses convives Mon repas ne vous causera point dâindigestion. On lui rĂ©pondit Vous vous trompez , car un pareil repas ejljvrt difficile Ă digĂ©rer. Si vous ĂȘtes surpris par des convives que vous nâattendiez pas, donnez de bon cĆur ce que vous avez. Il vaut mieux leur donner un peu moins , que de leur faire acheter par la faim & lâimpatience quelques plats de plus. Dites-leur ce que disoit en pareil cas un homme dâesprit Fuispic vous n avez pas jugĂ© Ă propos de me faire avertir , ou de venir plutĂŽt , vous Ă»inerez avec moi; mais ff une autre fois j en fuis prĂ©venu , je dinerai avec vous. ÂŁIQ LâĂ C O LE XXXIII. Ne perdes point le temps Ă des choses frivoles. D Ăš s quâon a passĂ© le premier Ăąge de la vie, destinĂ© par la nature presque tout entier pour le corps , & que la raison commence Ă se dĂ©gager des tĂ©nĂšbres de lâenfance, le temps devient prĂ©cieux. Celui de la jeunesse lâest infiniment. Les peres en seront comptables devant Dieu & devant les hommes, encore plus que leurs enfans, parce que câest Ă eux de leur en faire faire un digue usage. Pour vous, jeune homme, qui voulez paroĂźtre un jour avec honneur dans le monde, raccourcissez le temps de la bagatelle ; ce doit ĂȘtre le premier fruit de la rĂ©flexion. PrĂ©parez-vous Ă remplir dignement les emplois que la Providence vous destine, faites des provisions pour lâĂąge mĂ»r & pour la vieillesse. Le temps de la jeunesse est le temps de semer, si lâon veut recueillir. Du bon emploi de ce temps dĂ©pend pour lâordinaire le bonheur du reste de la vie. Profitez des leçons de vos maĂźtres les momens font chers -, si vous attendiez plus tard, vous nây reviendriez des MĆurs. Zu point. Qui sait si la fortune ou les honneurs ne vous attendent pas au bout de la carriĂšre , pour couronner votre diligence & rĂ©compenser votre ardeur ? Le cĂ©lĂ©brĂ© M. Rollin a voit un talent singulier pour former des jeunes gens & les animer Ă lâĂ©tude. M. le Premier PrĂ©sident Portail se plaisait quelquefois Ă lui reprocher quâil lâavoir excĂ©dĂ© de travail. Il vous si cd bien de vous en plaindre , lui rĂ©pondit M. Rollin , cefl cette habitude au travail qui vous a distinguĂ© dans la place dĂ© Avocat-gĂ©nĂ©ral , N qui vous a Ă©levĂ© Ă celle de Premier PrĂ©sident vous me devez votre fortune. Appliquez-vous donc Ă lâĂ©tude dans votre jeunesse câest le seul chemin qui conduise au mĂ©rite & Ă la gloire. Aimez le travail, & ne soyez pas de ces jeunes dĂ©sĆuvrĂ©s , qui se lĂšvent le matin pour se coucher le soir , & qui, promenant tout le jour leur pĂ©nible existence , ne savent que faire de leur temps ni dâeux- mĂšmes. AprĂšs avoir ainsi commencĂ© leur honteuse & ennuyante carriĂšre , ils la continuent de mĂȘme, & meurent sans avoir vĂ©cu. Imitez encore moins ces jeunes effĂ©minĂ©s qui perdent une grande partie de leur temps Ă leur toilette & Ă celle des femmes. Lâhomme est-il donc fait pour placer une mouche ou nouer des ;i2 Lâ Ă C O L I rubans? Lâimportant & honorable emploi , que celui de se rendre assidĂ»ment chez ces Dames qui nâont guere dâautre occupation que celle de leur parure, pour sâen occuper des heures entiĂšres avec elles, ou pour fuir lâennui, qui semble courir aprĂšs les dĂ©sĆuvrĂ©s & les suivre par-tout. Chaque femme de Paris, dit le Philosophe de Geneve, rassemble dans son appartement un sĂ©rail dâhommes plus femmes quâelle, & lĂąchement dĂ©vouĂ©s aux volontĂ©s du sexe que le nĂŽtre doit protĂ©ger & non servir. Voyez-les dans ces prisons volontaires se lever , se rasseoir, aller & venir sans cesse Ă la cheminĂ©e, Ă la fenĂȘtre, prendre & poser cent fois un Ă©cran, feuilleter des livres, parcourir des tableaux, tourner , pirouetter par la chambre, tandis que lâidole, Ă©tendue fans mouvement dans sa chaise longue, nâa dâactif que les yeux & la langue. Imaginez quelle peut ĂȘtre la trempe de lâame dâun homme uniquement occupĂ© de lâimportante affaire dâamuser les femmes , & qui passe sa vie entiĂšre Ă faire pour elles ce quâelles devroientfaire pour nous, quand Ă©puisĂ©s de travaux , dont elles font incapables, nos esprits ont besoin de dĂ©lassement. LivrĂ©e Ă ces puĂ©riles habitudes, Ă quoi notre effĂ©mince&frivole jeunesse pouroit- elle des MĆurs. 313 die jamais sâĂ©lever de grand l Celui qui ne fort quâaprĂšs avoir passĂ© deux ou trois heures devant un miroir Ă sâajuster, Ă fe parfumer, Ă fe farder, Ă le donner les airs quâil croit ĂȘtre Ă la mode, fait honte aux femmes en les imitant, & fe dĂ©shonore en voulant fe faire admirer. Heureux les jeunes gens qui connoif. sent mieux tout le prix de lâapplication & du travail, & qui savent mettre Ă profit tous les momens du plus bel Ăąge de leur vie ! Mais il 7 a pour la jeunesse un temps fur-tout bien critique ; câest celui oĂč les jeunes gens livrĂ©s Ă eux-mĂȘmes, fe fĂ©licitent dâavoir secouĂ© le joug de lâĂ©ducation , & font consister la libertĂ© Ă Ă©viter toutes les occupations sĂ©rieuses. Leurs Ă©tudes & leurs exercices finis, quelquefois avant que lâĂąge soit arrivĂ© de prendre un Ă©tablissement, ils ne savent quelle occupation fe prescrire, pour remplir le vide que leur laisse le dĂ©, faut dâemplois & dâastaires. Je le leur ai dĂ©jĂ dit quâils faflĂšnt des provisions pour lâavenir. Quâils prĂ©parent tout ce qui leur fera nĂ©cessaire pour lâĂ©tat auquel ils fe destinent ; & sâils- ont du temps de reste, quâils le consacrent Ă la lecture elle est le plus utile des amufemens. Lorsquâon proposoit Ă une Princesse de beaucoup dâesprit le jeu ou quelque autre partie de plaisir S Terne III. O 3 r'4 Lâ Ă e o l b elle refusoit, disant que cela nâapprenoifc rien. Mais que ferez-vous, lui dit - on ? Je lirai, rĂ©pondit-elle , ou je me ferai lire chez moi. Quels heureux effets ne produit pas la lecture ? Elle enrichit la mĂ©moire, embellit lâimagination , rectifie le jugement , forme le goĂ»t, apprend Ă penser, Ă©leve lâante & inspire de nobles senti- mens. Les bons livres font des conseillers aimables , qui nous instruisent sans nous ennuyer , nous avertissent de nos dĂ©fauts sans nous offenser, & nous corrigent fans nous dĂ©plaire. Alphonse, Roi dâAragon , disoit que les livres Ă©toient les conseillers quâil aimoit le mieux, parce quâils ne flattoient point, & quâils lui apprenoient ce quâil devoit faire. Ce font des amis complaisans , qui sâentretiennent avec nous quand il nous plaĂźt, & que nous quittons quand nous voulons. Au milieu dâun peuple rustique & grosser , ils nous font trouver les douceurs de la sociĂ©tĂ© la plus charmante, ils nous offrent les richesses les plus prĂ©cieuses de lâesprit humain, & les dĂ©couvertes de tous les siĂšcles. Ils font une source dâagrĂ©mens dans tous les Ă©tats, dans toutes les situations de la vie ; ils procurent mille plaisirs dans tous les Ăąges, dans celui mĂȘme qui nâen goĂ»te des MĆurs. ?if presque plus plaisirs qui se renouvellent fans cesse , que nous trouvons par-tout, que nous pouvons Ă tous les instans nous procurer. La lecture suspend le sentiment des peines dont la vie humaine nâest jamais exempte , & fait oublier, au moins pour un temps , les chagrins qui se font sentir dans tous les Ă©tats. Elle est dans bien des occasions une grande ressource contre lâennui. On nâest pas toujours avec des personnes qui plaisent, & il vaut mieux ĂȘtre seul quâavec des gens qui ne plaisent pas. Mais la solitude est bientĂŽt Ă charge, quand on ne sait pas sây occuper. Quâelle est douce, au contraire, quâelle est agrĂ©able , quand on fait tour-Ă -tour lâamuser par le travail & par la lecture ! Livres enchanteurs , que dâheures & de jours vous mâavez dĂ©robĂ©s Ă lâennui! que dâheureux momens vous mâavez fait couler dans le sein pur & innocent des plus doux plaisirs ! O vous pour qui jâĂ©cris, si jâai pu faire naĂźtre en vous lâamour delalecture, que dâavantages inestima- blĂ©s ne vous aurai-je pas procurĂ©s! La lecture est pour lâesprit ce que l'aliment est pour le corps. Câest ce que fit entendre ingĂ©nieusement le Duc de Vivonne Ă Louis XIV, qui lui deman- doit un jour Ă quoi pouvoir lui servir toutes ses lectures Sire , rĂ©pondit ce 1X6 Lâ E C o i E Seigneur qui avoit de belles couleurs & de lâembonpoint, les livres font Ă mon ejprit ce que vos perdrix font Ă mes joues. Les bons livres nous font part des lumiĂšres de ceux que la distance des lieux nous empĂȘche de voir & de consulter. Ils nous rendent prĂ©sens les plus grands hommes de lâantiquitĂ©, qui, dans leurs ouvrages immortels, semblent converser avec nous & nous instruire. Ils procurent mille connoissances utiles ou agrĂ©ables , & nous servent comme de flambeau pour nous conduire dans le cours de la vie. Mais pour recueillir plus sĂ»rement ces fruits prĂ©cieux, lisez avec choix. La vie est trop courte pour lire toutes sortes de livres. Il y en a dâailleurs de si dangereux, de si obscĂšnes , de si impies, fur-tout dans ce siede , quâil y a beaucoup Ă craindre pour celui qui lit au hasard. Mais que dis - je ? ne sont-ce pas ces livres-lĂ mĂȘme quâon recherche avec le plus dâempressement, quâon dĂ©vore avec le plus dâaviditĂ©? Que voit-on pour lâordinaire entre les mains des jeunes gens ? De misĂ©rables romans , dont la lecture, si souvent dangereuse pour les mĆurs par le penchant Ă lâamour quâelle inspire , seroit toujoĂčrs un grand mal, quand elle nâauroit dâautres effets que de corrompre le goĂ»t, de nourrir la \ B E S M E U RS. paresse naturelle de Pesprit, & de dĂ©goĂ»ter des lectures plus sĂ©rieuses & plus utiles des brochures frivoles , qui nâont dâautre mĂ©rite que celui de la nouveautĂ© des livres effrontĂ©ment cyniques, quâon ne lit que pour apprendre Ă ne plus rougir de rien , & qui nâapprennent que ce quâon devroit toujours ignorer des ouvrages impies , quâon se hĂąte de lire, parce quâon espere y trouver de quoi calmes ses remords , parce quâils font bien Ă©crits , souvent parce quâils font rares & dĂ©fendus. Nây a-t - il donc pas dâautres bons livres, oĂč Ton puisse se former lâesprit, se perfectionner le ityle., sâamuser agrĂ©ablement ? ou les a-t-on lu tous "i Un jeune homme , qui avait reçu une excellente Ă©ducation, ayant un jour trouvĂ© un livre obscene, nâen eut pas plutĂŽt lu quelques lignes, quâil le jeta au feu. Ayez le courage dâimiter cet exemple , & perdez plutĂŽt un mauvais livre que de vous perdre vous-mĂȘme. Mieux il est Ă©crit, plus il est dangereux. Le serpent cachĂ©ssous des fleurs, nâen est que plus Ă craindre. Ce nâest pas assez de lire avec choix , il faut lire avec rĂ©flexion. Lisez moins de livres, & lisez-les bien. 11 ne reste rien des lectures trop rapides. Il en est des livres comme de la nourriture , qui O ? Zl8 Lâ Ă C O L E ne profite que quand elle est prise lentement & bien digĂ©rĂ©e. U-n homme se vantoit Ă Arittipe dâavoir beaucoup lu Ce ne sont pas , rĂ©pondk ce Philosophe, ceux qui mangent davantage qui font les plus gras & les plus sains , mais ceux qui digĂšrent le mieux. Il ne faut pas, si l'on veut se former lâesprit, lire beaucoup de livres , mais lire beaucoup le mĂȘme livre, quand il est excellent. PrĂ©tendre Ă une universalitĂ© de connoissan- ces, est une illusion de lâamour-propre, & la folie de notre siede. La manie de tout savoir ou de savoir un peu de tout, ne fait que des esprits superficiels & de prĂ©somptueux ignorans. Lorsquâon veut trop savoir, on ne peut rien approfondir. JSe lisez pas pour les autres, mais pour vous voyez ce qui vous convient, & ce qui peut vous servir de regle de conduite. Lisez , non pour devenir plus savant, mais pour en ĂȘtre meilleur. Câest ainsi que vous devez lire lâhistoire mĂȘme, & non par un simple amusement ou par curiositĂ©. Que vous servira dâĂȘtre nĂ©aprĂšs tant de grands hommes , si vous ne les prenez pas pour modĂšles ? Que vous servira dâĂȘtre nĂ© aprĂšs tant de fous & de scĂ©lĂ©rats, si vous nâen devenez pas plus sage & plus vertueux ? Enfin, lisez quelquefois avec un ami judicieux, & communiquez-vous mutuel- des MĆurs. 519 lement vos rĂ©flexions vous en lirez avec plus de plaisir & avec plus de fruit. Ăn lisant Ă haute voix, vous aurez encore lâavantage de vous exercer Ă bien lire talent rare , que la nature refuse souvent aux hommes mĂȘme quâelle a comblĂ©s des dons du gĂ©nie. Saint - Evremond disoit quâil n'a voit pas vu en fa vie trois personnes qui luisent bien lire. Le grand Corneille lifoit tout-Ă -fait mal. Racine, au contraire , lifoit trĂšs - bien auflĂŻ Louis XIV aimoit-il Ă lâentendre lire, parce quâil avoir un talent singulier pour faire sentir la beautĂ© des ouvrages quâil lifoit. On devroit peut-ĂȘtre moins nĂ©gliger cette partie de lâĂ©ducation. On peut se trouver souvent dans le cas de lire Ă haute voix, & il est auili honteux pour foi que dĂ©sagrĂ©able pour les autres de le faire mal. Le sage efl mĂ©nager du temps S? des paroles. On a dit quâon devoir ĂȘtre mĂ©nager de son bien & de sa confiance on ne doit pas lâĂȘtre moins de son temps & de ses paroles. La feule avarice qui soit permise est celle du temps. Il ny a rien de si cher que le temps , disoit ThĂ©ophraste, U ceux qui le perdent font les plus condamnables de tous les prodigues . AuiĂŻi *io LâĂcole le Sage est-il toujours occupĂ©. Il aime lâapplication & le travail, quâil regarde somme un de nos plus grands besoins, comme lâami des hommes & leur consolateur aussi il lâaime & sâen occupe. Il se dĂ©laiĂźe dâun travail par un autre, ou par des lectures instructives & agrĂ©ables, qui, en ornant son esprit dâutiles connoissances, Je garantissent de lâennui insĂ©parable de lâoisivetĂ© ou de ces conversations osseuses plus pernicieuses encore. Il a de bonne heure accoutumĂ© son esprit Ă penser & Ă pouvoir se suffire. Il aime mieux pour lâordinaire sâentretenir avec lui-mĂȘme quâavec les autres , parce quâil nâest jamais moins seul, comme le disoit un Ancien , que lors, quâil est seul ; & que dâailleurs il a remarquĂ© plus dâune fois avec une personne de beaucoup de piĂ©tĂ©, quâil nâavoit presque jamais Ă©tĂ© avec les hommes, quâil nâen fĂ»t revenu moins homme. Comme lui , fuyez les longues conversations, parce quâelles font presque toujours ou inutiles, ou ennuyeuses, ou criminelles. Les choses indiffĂ©rentes ne plaisent guerre, & celles qui donnent du plaisir ne font pas toujours innocentes. Il faut avoir dans lâesprit bien de la ressource, pour entretenir plusieurs heures de fuite une conversation, sans rĂ©pĂ©titions, fans bĂąil- lemcns, fans mĂ©disances i & lâon rĂ©duĂźroit des MĆurs. ; Li au silence bien de grands parleurs? si on les obligeoit Ă ne dire que de bonnes choses. Le peuple le plus heureux & le plus sage , fut celui oĂč l'on parloir le moins , & oĂč lâon savoir le mieux employer le temps. Quelle RĂ©publique fut jamais plus florilsantc & plus admirable que celle des LacĂ©dĂ©moniens ? Mais dans quel Eta-t fut-on plus avare du temps & des paroles? Ils Ă©toient si concis dans leurs rĂ©ponses, que leur style est devenu lâexpresiion de la Un peuple voisin les ayant fait menacer que sâil entroit dans leur' pays , il mettroit tout Ă feu & Ă sang, ils rĂ©pondirent, Si. On voit souvent, dans leur histoire, que pour toute rĂ©ponse aux dĂ©pĂȘches les plus importantes ils n'emp'oyoient quâun monolyllabe , parce que rien nâapproche plus du silence, que Lycurgue leur avoir si souverainement recommandĂ©. Un peuple qui avoir tant de soin de mĂ©nager les paroles , nâa voit pas moins d'exactitude Ă mĂ©nager je temps. O nie regardoit Ă Sparte comme le plus prĂ©cieux de tous les biens on le rĂ©vĂ©roit comme une chose sacrĂ©e ; parce quâil sâenfuit & nous Ă©chappe avec la plus grande rapiditĂ©, parce quâune fois perd il Lest pour toujours. Mais quelque rapide que soit le temps, combien de perlonnes le trouvent encore O T ZL2 Lâ Ă C O L E troh long, parce quâelles ne savent Ăą quoi le passer ! On le dĂ©chire ! on le perd Ă ne rien faire ou Ă faire des choses qui ne valent guere mieux. Voyez tous ces dĂ©sĆuvrĂ©s , espece dâhommes ou de femmes qui font la partie la plus brillante & la moins utile de la sociĂ©tĂ©, quel usage en sont-ils ? A un long repos, que la mollesse aime Ă prolonger, succĂšdent lâhabillement & la parure , dont la vanitĂ© sâoccupe des heures entiĂšres. Le reite de la journĂ©e se dissipe , tantĂŽt dans de longues parties de jeux, oĂč lâon cherche Ă Ă©carter lâennui qui assiĂ©gĂ© toujours ceux qui nâont rien Ă faire, tantĂŽt dans des entretiens stĂ©riles &. dans des visites , oĂč lâon ne cause que pour se dire des riens, que pour sâapprendre rĂ©ciproquement des choses dont on est; Ă©galement instruit , ou dont il importe fort peu quâon le soit, rtlĂźemblĂ©es, visites , conversations, ajustemens, parties multipliĂ©es de plaisirs ou de jeu , foins profanes, occupations frivoles ; nâest-ce pas lĂ tout ce qui compose la vie de tant de personnes du grand monde , qui regardent cette vie oisive comme un des privilĂšges de leur condition, & qui la croient fort innocente , parce quâil leur semble quâils ne font pas beaucoup de mal? Il seroit facile de leur faire vois quâils sont dans lâerreur, & quâune telle des MĆurs. 325 vie est souvent beaucoup plus criminelle quâils ne pensent, parce que tout y fa*- vorise les pallions , y nourrit la voluptĂ© & la mollesse , y produit la nĂ©gligence & lâoubli de ses devoirs les plus essentiels. Ce qui a fait dire Ă une personne dâesprit , en parlant du temps que les Dames mettent Ă leur toilette quâelles employoient la moitiĂ© du jour pour fĂš prĂ©parer Ă perdre lâautre & Ă se perdre elles - mĂȘmes. Et en effet, quand il nây auroit dans une vie oisive que la perte du temps,, ne seroit - ce pas assez pour la rendre condamnable devant Dieu ? Nos annĂ©es ne sâĂ©coulent pas en vain. Toutes les minutes' de la vie vont frapper Ă la porte de lâĂ©ternitĂ©. Les heures , disoit un Ancien , sâenvolent au Ciel, pour y rendre compte de lâuiage que les hommes en ont fait. Dons Ă peine obtenus quâils nous font emportĂ©s' ùßoĂŻnens que nous perdons, St qui nous font comptĂ©s r . 1 Si la vie oisive & inutile est condamnĂ©e par les PaĂŻens mĂȘme , combien plus doit-elle lâĂȘtre par des ChrĂ©tiens, qui savent quâune destinĂ©e Ă©ternellement I Et nobis fereuiit ÂŁ 7 impinanâur. Martial O 6 3*4 LâĂ C O L E heureuse ou malheureuse , selon lâusage quâils auront fait de la vie, les attend Ă la fin de la courte carriĂšre oĂč ils marchent ! Un Auteur Persan , voulant rendre plus sensible & plus frappante cette importante vĂ©ritĂ©, lâa , suivant le goĂ»t des Orientaux , enveloppĂ©e fous le voile transparent dâune allĂ©gorie ingĂ©nieuse. Un Etranger, dit-il, ayant Ă©tĂ© jetĂ© par la tempĂȘte dans une Isle inconnue, y fut proclamĂ© Roi. EtonnĂ© dâabord de sa brillante fortune, il se familiarisa bientĂŽt avec elle , & il ne songeoit quâĂ jouir des plaisirs quâelle lui offroit, lorsque le Chef de Ăźa religion, qui est revĂȘtu dans cette Isle dâune grande autoritĂ©,vint le trouver, & lui dit Je crois, Prince, devoir vous avertir que rien nâest plus chancelant que le trĂŽne oĂč vous ĂȘtes placĂ©. Au moment que vous y penserez le moins, on vous en fera descendre vous serez dĂ©pouillĂ© des ornemens royaux, & revĂȘtu dâhabits greffiers. Des soldats impitoyables vous traĂźneront fur le bord de la mer , & vous jetteront presque nu sur un vaisseau , qui vous conduira dans une autre ĂŻsle fort Ă©loignĂ©e de celle-ci. Telle est la loi immuable de cet Etat, & aucun de vos prĂ©dĂ©cesseurs nâa pu la changer ni sây soustraire. Mais quoiquâils ne lâeussent pas ignorĂ©e. des MĆurs. ?2f la plupart dâentre eux nâont pas eu le courage de fixer fur un avenir dĂ©sagrĂ©able des yeux Ă©blouis par lâĂ©clat qui environne le trĂŽne ils nâont pas su prĂ©venir la fin qui les menaçoit, & le jour fatal est toujours venu , fans quâils eus sent rien sait pour adoucir leur funeste & inĂ©vitable sort. Les plus sages ont agi autrement. Quont - ils fait , reprit vivement le Roi , & que faut - il que je fasse moi-mĂȘme ? Ils ont fait passer, rĂ©pondit le Ministre de la religion., dans Ăźâisle qui leur Ă©toit destinĂ©e, toutes sortes de bonnes provisions & de secours, pour y mener une vie agrĂ©able & heureuse. Imitez leur exemple , le temps presse, & lâinstant Ă©chappĂ© ne renaĂźtroit plus. Souvenez - vous fur-tout que vous ne trouverez dans cette Isle que ce que vous y aurez sait transporter dâici dans le peu de jours peut-ĂȘtre qui vous restent. Le Monarque suivit un si sage conseil il envoya dans le nouveau sĂ©jour qui lâat- tendoit, autant de magasins de toute espece quâil en crut nĂ©cessaires pour se le rendre agrĂ©able. Tout ce qui lui avoit Ă©tĂ© prĂ©dit lui arri va il fut dĂ©pouillĂ© de la couronne, & conduit dans sa nouvelle Isle il y arriva heureusement, & y vĂ©cut plus heureusement encore. Qui doute que les femmes ne soient pas moins obligĂ©es que les hommes Ă , ;r6 LâĂcoiĂź faire un bon usage de leur temps ? Ne diroit - on pas nĂ©anmoins , Ă voir & Ă entendre presque toutes celles du grand monde , quâelles mâen font que solidement persuadĂ©es ? elles ne savent que faire , ni comment occuper le loisir que leur procurent le bonheur de leur nais sauce & lâagrĂ©ment de leur fortune. Tout leur soin elf de chercher Ă se dĂ©rober Ă lâennui insĂ©parable dâune vie oisive ? & lâon est sĂ»r d'avoir un mĂ©rite de plus auprĂšs dâelles , dĂšs quâon a le talent dâabrĂ©ger les heures & de les faire couâcr plus rapidement. Quoiquâelles aient la plupart une famille Ă rĂ©gler . des enfans Ă Ă©lever, un mĂ©nage Ă conduire , des domestiques Ă surveiller ; cette occupation si utile, si louable & si digne dâelles , nâest pas ce qui leur plaĂźt ni ce qui les amuse. La toilette, le jeu, les visites, font leurs occupations les plus ordinaires & le cercle uniforme qui environne le vide de leur vie. filles font de tous les plaisirs, elles volent Ă tous les spectacles , elles aiment Ă briller, Ă voir, & encore plus Ă ĂȘtre vues. Lâill ustre GĂ©noise que nous avons dĂ©jĂ plusieurs fois proposĂ©e aux Dames pour modele , Vincmtine Lomelin , faisoit de son temps un emploi bien plus lĂ€ge. Son Ă©poux ayant Ă©tĂ© fait Gouverneur de la des MĆurs. 327 PrincipautĂ© da Meise au Royaume de Naples, Vincentine employa les treize annĂ©es quâelle demeura dans ce pays Ă soulager les pauvres, Ă faire rĂ©gner dans sa maison la paix, lâunion & la piĂ©tĂ©. Elle voulut Ă©lever ses enfans elle-mĂȘme, & dĂšs que leur Ăąge le permettait, elle leur apprenait les prĂ©ceptes de la religion , & les formait de bonne heure Ă la vertu. Sa maison Ă©tait une des mieux rĂ©glĂ©es de Naples. Semblable Ă la Femme forte de lâEcriture , elle y offrait un modele toujours prĂ©sent de sagesse dans les paroles , de douceur dans la conduite , de vigilance dans les moindres choses ; & tandis que son Ă©poux remplilsoit avec honneur les fondions de st charge & maintenait le bon ordre dans son Gouvernement , elle entretenait dans sa famille lâordre , lâabondance & la paix elle Ă©tait persuadĂ©e que ce foin important regarde fur-tout la femme , comme celui de bien administrer les affaires du dehors doit ĂȘtre lâemploi de lâhomme. Toujours en action, mettait les autres. Chacun savait son ouvrage & le fallait. Elle avait lâĆil Ă tout fans embarras, fans inquiĂ©tude, & il ne le paÂŁ soit rien quâelle ne le liĂąt. Sa bontĂ© sâĂ©tendait sur toute sa famille sans exception , fur ses domestiques mĂȘme. Elle 328 Lâ Ă C O L E nâĂ©toit pas seulement leur maĂźtresse, elle Ă©toit leur mere. Elle avoit soin que rien ne leur manquĂąt & quâils ne manquassent Ă rien elle croyoit que lâexactitude des domestiques saisoit Ă©galement & leur Ă©loge & celui des maĂźtres. Elle ne se bornoit pas Ă veiller & Ă commander. Jamais oisive, elle donnent dans fa maison lâexemple du travail. Bien diffĂ©rente de ces femmes , qui regardent le travail comme quelque choie de trop au-dessous dâelles ou de trop pĂ©nible, elle ne dĂ©daignoit pas de prĂȘter ses mains aux ouvrages de son sexe , & de travailler Ă lâaiguille ; donnant ainsi des leçons & des exemples aux autres Dames, qui venojent lâadmirer & sâinstruire Ă son Ă©cole. Quelque rares que soient aujourdâhui de si beaux exemples, on voitnĂ©anmoins encore, malgrĂ© la corruption des mĆurs, de ces femmes vertueuses & vraiment estimables, qui mettent leur bonheur Ă se passer de ce que le monde appelle les plaisirs. Ellesfont consister leur gloire Ă vivre ignorĂ©es , convaincues que la femme la plus louable est celle dont on parle le moins. Elles sâapplaudissent de leur journĂ©e , non lorsquâelles se sont bien amusĂ©es , mais lorsquâelles ont bien rempli tous leurs devoirs. RenfermĂ©es dans ceux de femme & de mere, elles DES M ĂŻ TJ R S. ?2§ consacrent leurs jours Ă la pratique des vertus obscures. OccupĂ©es du gouvernement de leur famille, elles rĂ©gnent fur leur mari par la complaisance, sur leurs enfans par la douceur, fur leurs domestiques par la bontĂ©. Leur maison est la demeure des fentimens religieux âą, de la piĂ©tĂ© filiale , de lâamour conjugal ., de la tendresse maternelle, de lâordre, de la paix intĂ©rieure, du doux sommeil & de la santĂ©. Economes & sĂ©dentaires, elles se plaisent Ă gouverner leur famille, Ă en Ă©carter les besoins , & ne goĂ»tent nulle part plus de plaisir que chez elles. jLe grand monde & la compagnie des hommes nâont aucun attrait pour elles elles savent que dâordinaire la moindre perte quâon y fait est celle du temps, que les discours y sont encore plus pernicieux que les exemples , & que ce quâon appelle sociĂ©tĂ©, nâest souvent quâun amas de ridicules & de vices colorĂ©s dâun vernis brillant, une scene mĂȘlĂ©e de sĂ©rieux & de comique, oĂč les passions font mouvoir, lâintĂ©rĂȘt fait agir, & lâenvie fait parler, oĂč lâon se loue, sans sâestimer, oĂč lâon se dĂ©chire de sang-froid, & oĂč il nây a presque rien de fincere que la haine & le mĂ©pris rĂ©ciproque. Laissant aux folles, dont elles font entourĂ©es, la coquetterie, la frivolitĂ©, les caprices, les jalousies, toutes ces petites passions, ??° LâĂgoie toutes ces bagatelles qui paroissent Ă quelques-unes si importantes & qui le font si peu elles ont un caractĂšre de sagesse & de vertu quijes fait estimer, de rĂ©serve & de dignitĂ© qui les fait respecter , dâindulgence & de sensibilitĂ© qui les tait aimer. Ce temps, dont les autres Dames de leur condition ne savent que faire , elles en destinent une partie Ă essuyer les larmes des infortunĂ©s, Ă visiter les malades , Ă dĂ©couvrir & Ă soulager la vertueuse indigence, que la honte condamne Ă dĂ©vorer ses pleurs en secret. Ce nâest pas ici un portrait dâimagination que nous venons de tracer, pour servir de modele aux meres de famille & aux jeunes personnes destinĂ©es Ă lâĂȘtre un jour. Il est peu de villes oĂč il ne se trouve des Dames austi respectables par leur rang que par leur sagesse , quâon pouroit y reconnoĂźtre & dont la conduite est louĂ©e de celles mĂȘme qui leur ressemblent le moins. Mais pour suivre le conseil du Sage 2 , & ne parler que de celles , dont les vertus, soutenues constamment jusquâĂ la fin de leur carriĂšre , ont, si lâon peut sâexprimer ainsi, Ă©tĂ© couronnĂ©es par les mains de la Mort , 2 Ante monem ne laudes hominem qucmquam , Bs-li. il. des MĆurs. telle fut dans le dernier sieele Madame la PrĂ©sidente de Boivault. NĂ©e avec tous les avantages qui dcMnent un rang distinguĂ© dans le monde, son esprit, sa figure, & les grĂąces sĂ©duisantes rĂ©pandues surfa personne, la rendoient lâidole des cercles. Mais Ă peine eut-elle apperçu les pĂ©nis auxquels ces avantages extĂ©rieurs exposent une jeune personne , quâelle en fit hommage Ă celui qui lâeu avoit si libĂ©ralement pourvue. MĂ©prisant le ridicule que le monde attache Ă la dĂ©votion , elle pratiqua hautement la vertu, & la fit aimer. Devenue veuve par la mort de son mari, qui Ă©toit PrĂ©sident au Parlement de Dijon r elle se livra toute entiĂšre aux bonnes Ćuvres. Elle Ă©toit la mere des pauvres, lâappui des orphelins, le refuge des malheureux. Tandis quâelle se contentoit pour elle- mĂȘme dâun simple potage & souvent dâun morceau de pain , elle nourriisoit de pauvres & vertueuses familles des mets qui couvroient fa table. Elle remplit jusquâĂ la mort tous ses jours de bonnes Ćuvres & de mĂ©rites Elle nâen perdit aucun, parce quâelle lavoit quâil lui en faudrait rendre compte. Le temps oĂč il vous faudra le rendre, ce compte redoutable , qui que vous soyez, nâest pas fort Ă©loignĂ©. On meurt Ă tous les instans, Ă tous les Ăąges, & LâĂcolĂŻ la plus longue vie est bien courte. Mais prĂ©venus, dans notre jeunesse, de ce prĂ©jugĂ© si faux, que cinquante ou soixante ans de vie font une eipece dâĂ©ternitĂ© , semblables aux enfans qui regardent une piece dâor comme une fortune inĂ©puisable, nous ne pensons alors quâĂ jouir des dĂ©lices & des agrĂ©mens de la vie prĂ©sente, sans songer Ă celle qui doit suivre, sans oser penser Ă la mort, dont la triste & affligeante idĂ©e troubleroit nos plaisirs. Cependant elle arrive au moment que nous lâattendions le moins , elle vient nous surprendre comme un voleur, elle nous dĂ©pouille des titres passagers & des richesses fugitives que nous possĂ©dions. Mais quand tout disparoĂźt & sâanĂ©antit autour de nous, Ă©clat, dignitĂ©s, fortune, amis, famille, sociĂ©tĂ© ; nos Ćuvres seules ne nous abandonnent pas, elles nous accompagnent dans les rĂ©gions de lâĂ©ternitĂ©. VoilĂ le seul trĂ©sor que nous emporterons dans le monde nouveau qui doit nous recevoir en sortant de celui-ci. De quelle importance nâest-il donc pas pour nous de songer Ă nous les procurer , ces richesses prĂ©cieuses ? Si lâon considĂ©roit bien que ..chaque moment de cette vie peut nous mĂ©riter une Ă©ternitĂ© de bonheur, pouroit- ©n se rĂ©soudre Ă le perdre si facilement? des MĆurs. ftos jours passent rapidement; Lâheure de notre mort sâavance ; Et malheureux jouets dâune Folle espĂ©rance» Sans prĂ©voir lâavenir» nous perdons le prĂ©sent*, Aeunes, nous nĂ©gligeons le seul lien nĂ©cessaires Le temps, ce trĂ©sor salutaire, Sâenfuit, Ă©chappĂ© de nos mains Au sortir des jeux enfantins, Les plaisirs , les honneurs, les richesses FrivĂ©lĂȘĂŒ Agitent tour-Ă tout nos dĂ©sirs incertains. Mais , ĂŽ funeste erreur ! tĂȘtes vaines & folles ! Pendant que nous comptons nos trĂ©sors superflus, La mort vient nous abattre au pied de nos idoles ; La mort ! .... que de momerrs perdus ! Combien de personnes du grand monde meurent, aprĂšs avoir passĂ© presque toute leur vie dans une espece de prestige Ă©blouissant & dâenchantement agrĂ©able en apparence, qui les a comme endormies & fait oublier leur vĂ©ritable destinĂ©e ! Mais si elles nâont Ă prĂ©senter au tribunal du Dieu de vĂ©ritĂ© que des illusions & des songes, quel jugement doivent- elles en attendre , & quel fer* leur Ă©tonnement Ă leur rĂ©veil ! 3*4 Lâ Ă c o l s XXXIV. Saches Ă vos devoirs immoler vos plaisirs. .Avant que de dĂ©velopper cette belle maxime de la Sagesse , il ne sera peut- ĂȘtre pas inutile dâexaminer ici une question importante de la morale. On demande quelquefois si son peut aimer les plaisirs , les divertissemens ; & si lâEvangile, qui prononce anathĂšme contre ceux qui vivent dans la joie & dans les ris, en mĂȘme temps quâil canonise ceux qui souffrent-& qui pleurent, ne semble pas avoir dĂ©cidĂ© le contraire. Nous avouerons, & tout homme qui a de la religion avouera certainement avec nous, que la vie dâun ChrĂ©tien fur la terre doit ĂȘtre une vie de mortification & de pĂ©nitence. 11 faut porter fa croix, renoncer Ă soi-mĂȘme, se faire une guerre continuelle, & marcher sans cesse dans cette voie Ă©troite qui feule doit conduire au Ciel. Mais craignons de donner dans le rigorisme dâune morale outrĂ©e , dâĂȘtre plus sages quâil ne faut. Gardons-nous de reprĂ©senter la religion comme un tyran dur & cruel, qui ne se plaĂźt quâĂ entendre des gĂ©missemens A Ă voir couler des larmes une telle des MĆurs. idĂ©e ne servirent quâĂ inspirer de lâaversion pour elle. Si lâEcriture nous dit quâil vaut mieux aller dans une maison de deuil & de tristesse, que dans une maison de festins & de divertissemens, parce que dans la premiĂšre on apprend quelle fera la fin de tous les hommes & ce que nous deviendrons nous- mĂȘmes ; elle nous dit aussi que nous pouvons jouer , nous dĂ©lasser & nous rĂ©crĂ©er , pourvu que nous le faisions dans lâinnocence i . â La sagesse , disoit Mentor Ă son Ă©leve, nâa rien dâaustere ni dâaffectĂ© câest elle qui donne les vrais plaisirs ; elle feule fait les assaisonner, pour les rendre purs & durables elle fait mĂȘler les jeux & les ris avec les occupations graves & sĂ©rieuses elle prĂ©pare le plaisir par le travail, & elle dĂ©lasse du travail par le plaisir. La sagesse nâa point de honte de paroĂźtre enjouĂ©e quand il faut â. Il est donc certain, & il est admis dans la morale la plus exacte, que les divertissemens honnĂȘtes ne font pas incompatibles avec la vĂ©ritable sagesse. Mais si nous voulons que nos plaisirs soient dignes dâelle , & quâelle les approuve, il ne faut pas y placer notre bonheur, ni les goĂ»ter pour eux-mĂȘmes. Nous i Avocare, lĂŒde , U Ăąge conceptions tuas , fis non in delittis. Eccli. ZL. âą / Lâ Ă C O L 8 devons les Ă©purer, les anoblir par la puretĂ© de nos motifs , & les rĂ©duire dans les bornes du dĂ©lassement ou du remede. Ne les proscrivons pas tous fans rĂ©serve,mais suffi ne les admettons pas tous fans distinction ne les rejetons pas entiĂšrement, mais ne nous y livrons pas fans mesure. Dans la morale, câest entre les deux extrĂ©mitĂ©s quâest le chemin de la sagesse. Laissons donc les sectateurs dâune Philosophie sombre & mĂ©lancolique sâĂ©lever contre les plaisirs mĂȘme les plus conformes Ă la raison. Je ne prends point pour vertu Les noirs accĂšs de trHlessc Dâun loup-garou revĂȘtu Des habits de la sagesse Reu S s E A Ct Philosophes misanthropes, nâenviez pas aux hommes, qui ne font dĂ©jĂ que trop malheureux > quelques amusemens passagers , qui les aident Ă supporter les maux de cette triste vie. Eh,quoi! destinĂ©s , comme ils le font, par la nature Ă travailler & Ă souffrir, leur arracherez- vous encore ce quâelle a bien voulu leur laisser pour adoucir lâamertume des peines , pour rendre plus lĂ©ger le fardeau des affaires, & dĂ©lasser des fatigues dâun travail pĂ©nible? Qui est-ce qui nâĂ©prouve jamais, au sein mĂȘme du repos & au des MĆurs 337 milieu eu travail, certains momens de dĂ©goĂ»t & dâennui, qui accableroient lâeiprit & le jetteroient dans la langueur , sâil nâappeloit Ă son secours les dĂ©lasse- mens & les distractions ? Ils le tirent de son abattement, ils le rĂ©veillent, le raniment, & lui rendent toute son activitĂ©. Mais si quelques plaisirs sont nĂ©ceso faires , il en est fans doute de dangereux. 11 y en a de si flatteurs , quâil est bien difficile de ne pas sây livrer avec excĂšs, & de ne leur jamais rien sacrifier de ce qui est dĂ» Ă la vertu & au devoir. Il y en a dont le poison est si subtil & si trompeur, quâon le prend avec aviditĂ© , & que, lors mĂȘme quâon en Ă©prouve les funestes eftets , on insulte Ă la simplicitĂ© de ceux qui les redoutent Aies fuient, fl y en a qui par des routes semĂ©es de fleurs, conduisent aux plus horribles prĂ©cipices. II faut donc savoir les choisir avec sagesse & les goĂ»ter avec modĂ©ration. Lâabus des plus innocens mĂȘme est aufli funeste que lâufige modĂ©rĂ© en est gracieux. DĂ©ridez la sagesse, Ă la bonne heure, & Ă©gayez la vertu, mais consultez - les toujours dans tous vos divertissemens les plaisirs les plus agrĂ©ables font ceux que le rs. mords nâaccompagne jamais. PrĂ©fĂ©rez les plaisirs doux & tranquilles on les goĂ»te mieux, quand ils ne Tome III . P q;8 LâĂCOL! sont pas si vifs dâailleurs la joie immodĂ©rĂ©e est courte, les sentimens violens ne durent pas , lâame ne peut y suffire, & le corps sâen ressent. Les plaisirs bruyans ne seront jamais ceux du Sage. On les cherche pour se dĂ©sennuyer , & lâon ne sâennuie jamais tant quâaprĂšsles avoir pris. Ils laissent un vide, quâon croit remplir par de nouveaux plaisirs mais on sâen dĂ©goĂ»te bientĂŽt comme des premiers. On court de plaisirs en plaisirs , parce quâon ne peut ĂȘtre rendu un moment Ă soi - mĂȘme , fans Ă©prouver un ennui, mille fois plus insupportable que celui quâon a voulu Ă©viter. Le malheur est encore que ces grands plaisirs rendent tous les autres insipides ; & lâon devient si Ă charge Ă soi-mĂȘme, quâon ne peut plus sâen passer. Ainsi ce qui ne devroit ĂȘtre quâamusement, se change en paillon. Ce qui nâĂ©toit destinĂ© quâĂ dĂ©lasser & Ă rĂ©parer les forces, fatigue , Ă©puise, ruine la santĂ© & abrege les jours caria vie sâuse autant, & souvent plus, dans les plaisirs que dans les travaux. DĂ©mocrite disoit quâil Ă©toit parvenu Ă une extrĂȘme vieillesse en ne donnant rien aux plaisirs du corps. LeSage , qui fait que la nature nous a rendus plus sensibles Ă la douleur quâĂ la joie, renonce aux grands plaisirs, pour Ă©viter les maux qui en font la fuite ordinaire, des MĆurs. Imitez son exemple vous ne vous repentirez jamais de lâavoir suivi. Ne courez pas inconsidĂ©rĂ©ment aprĂšs toutes sortes de plaisirs; & ne prenez pas trop souvent ceux mĂȘme quâil vous est permis de prendre. Privez-vous-en quelquefois , vous les trouverez plus dĂ©licieux car telle est la triste destinĂ©e de lâhomme jusque dans les plaisirs mĂȘme, que plus on les prend, moins on les goĂ»te. Soyez toujours allez maĂźtre de vous-mĂȘme, pour ne pas vous y livrer avec trop dâardeur. Il vient un temps, oĂč lâon est bien fĂąchĂ© de les avoir sentis avec trop de force A de paflion. Les jeunes gens qui se forment des plaisirs lâidĂ©e la plus riante, croient quâils ne les goĂ»teront jamais assez tĂŽt ni assez souvent. Ils ont dans la fuite tout le temps de reconnoĂźtre quâils se sont trompĂ©s. Ce nâest pas que nous voulions leur dĂ©fendre les plaisirs de leur Ăąge, & que âąnous trouvions mauvais quâils se divertissent ils doivent avoir cette aimable gaietĂ©, qui convient si bien Ă la jeunesse. Mais ce que nous leur recommandons, câest de ne pas employer la premiĂšre partie de leur vie Ă rendre lâautre misĂ©rable , câest dâallier toujours la sagesse avec leurs divertissemens. Il faut , disoit un ancien Philosophe, ĂȘtre jeune dans fa vieillesse , ÂŁâą? vieux dans fa jeunesse, P 2 54° Lâ Ă c o i e ĂȘtre toujours gai & toujours sage- A quelque Ăąge 8c de quelque Ă©tat quâon {oit, il faut se prĂȘter aux divertissemens, fans sây livrer; nâen prendre jamais que de permis, & qui ne puissent nuire ni Ă soi- mĂȘme ni aux autres. Louis XVI, nâĂ©tant encore que Dauphin , en donna un jour un exemple aussi beau que rare dans un Ăąge & dans un rang, oĂč lâon ne commĂźt guere dâautre regle de ses plaisirs que de nâen point avoir. Il nâavoit que quatorze ans, & suivoit le Roi Ă la chasse avec les Princes ses frĂ©tĂ©s. On entend crier tout-Ă -coup que le cerf Ă©toit aux abois. Les Princes, par cet empressement si naturel Ă leur Ăąge , veulent ĂȘtre prĂ©sens Ă la mort du cerf. Le Cocher, pour servir leur impatience , veut traverser un champ de blĂ©. Le Dauphin qui sâen apperçoit, se prĂ©cipite Ă la portiĂšre, & commande au Cocher de prendre un autre chemin. Ce blĂ©, dit-il, ne nous appartient pas , nous ne devons point ĂŻendommager. On sâĂ©cria rempli dâadmiration Ah! que la France est heureuse dâavoir un Prince ! Ce que fit dans fa jeunesse, & avant de porter la couronne, Henri V, Roi dâAngleterre , est aussi trĂšs-beau. Ce Prince sâamuloitavec dâautres jeunes gens de son Ăąge Ă arrĂȘter les passait s, Ă les voler, & Ă jouir de la peur quâil leur des MĆurs. 341 faisait. Un de scs compagnons de dĂ©bauche fut citĂ© en Justice. Le Prince osa lây accompagner, & frapper le Magistrat qui venoit de condamner le coupable. Le Juge ordonne , dâun air grave & tranquille , de conduire le Prince en prison. Les asiistans frĂ©missoient 011 trembtoit pour le Juge. Mais le Prince, comme sâil eĂ»t Ă©tĂ© tout-Ă -coup terrassĂ© par la majestĂ© des lois, avoue son tort, se soumet Ă la sentence , & se laisse conduire en prison. Lorsquâil monta sur le trĂŽne, il congĂ©dia les compagnons de ses plaisirs. Allez , leur dit-il, changez de conduite ; je vais vous en donner lâexemple le temps mâapprendra quand je pourai vous rendre mon amitiĂ© Ă un titre plus honorable. Quant Ă prĂ©sent, voici les amis dont jâai besoin , ajouta- t-il en montrant les Ministres sages & sĂ©veres, qui avoient le plus hautement- condamnĂ© fa vie licencieuse. Le Juge qui lâavoit fait mettre en prison , nâosoit paroitre devant lui. Il le fit venir. Ce seroit Ă moi, lui dit-il, Ă redouter votre prĂ©sence pour vous , vous avez acquis des droits Ă©ternels Ă mon estime, je vais travailler Ă mĂ©riter la vĂŽtre. Il dit ^ux Grands , qui vouloientlui rendre hommage avant la cĂ©rĂ©monie du couronnement Attendez pour me jurer obĂ©ijjance , la bontĂ© de ce Prince que son amour pour la justice. Un vieux cheval abandonnĂ© de son martre, vint se frotter contre le mur , & fit sonner. Quâon ouvre , dit le Roi, & faites entrer. Ce nâest que le cheval dĂ» Seigneur Capece , dit le Garde en rentrant. Toute rassemblĂ©e Ă©clata de rire. Vous ries , dit le Prince 5 sachez que lâexacte justice Ă©tend ses foins jusque sur les animaux. Quon appelle Capece. Ce Seigneur Ă©tant arrivĂ© Qu est- ce que c'est que ce cheval que vous Laissez errer , lui demande le Roi ? Ah ! mon Prince, rĂ©pond le Cavalier, çâa Ă©tĂ© un fier animal dans son temps ; il a fait vingt campagnes fous moi mais enfin il est hors de service , & je ne suis pas dâavis de le nourrir Ă pure perte. Le Roi mon pere , reprit le Prince , vous a cependant bienrĂ©compenfi. 11 est vrai, jâenfuis comblĂ©. Et vous ne daignez pas nourrir ce gĂ©nĂ©reux animal , qui eut tant de part Ă vos services ? /liiez de ce pas lui donner une place dans vos Ă©curies quâil soit tenu Ă lâĂ©gal de vos autres animaux domestiques fans quoi je ne vous tiens plus vous-mĂȘme pour loyal Chevalier , & je vous retire mes bonnes grĂąces. Loin de nous les satires ameres , les censures outrageantes contre ceux que nous devons honorer & que nous res. pectons. Mais le dĂ©fit de rendre cet 3fO Lâ Ă C O L B Ouvrage utile Ă toutes les conditions, oĂč, si lâon veut, Ă la jeunesse qui doit remplir un jour les diffĂ©rens Ă©tats de la sociĂ©tĂ© , nous invite Ă vous adresser aussi la parole, ĂŽ vous Ă qui les Princes ont confiĂ© une des plus importantes & des plus redoutables parties de leur puissance. ChargĂ©s d'ĂȘtre parmi nous les interprĂštes de la loi, les organes de lâĂ©quitĂ© , les arbitres de la fortune, de lâhonneur & de la vie des citoyens, vous devez approfondir les affaires portĂ©es devant vos tribunaux, Ă©tudier les droits, discuter les preuves, Ă©claircir les nuages que lâartifice & la chicane ont le talent de rĂ©pandre , & peser mĂ»rement toutes les raisons dans la balance de la Justice. Combattez , dĂ©truisez lâhydre de la chicane, Veillez pour lâorphelin, secourez lâinnocent, Remlezlur tout au foible une prompte justice Quâaux yeux de la beautĂ©, quâĂ la voix du puissant, Le flambeau de ThĂ©mis jamais ne sâobscurcisse. Aux devoirs dâun Ă» mble emploi Immolez vosplaiflrs, vous-mĂȘme Sachez quâon ne sâĂ©lĂšve Ă la gloire suprĂȘme Quâautant quâon ne vit pas pour soi. VoilĂ , Juges de la terre, vos obligations. Mais si vous vous livrez Ă vos plailirs , que deviennent ces respectables engagemens ? Pour entrer dans ces discuisions aussi dĂ©sagrĂ©ables quâelles font dĂšs MĆurs. ? fi Ă©pineuses , il faudroit retrancher Ă ces plaisirs qui vous flattent, des raomen* quâils sollicitent en leur faveur ; on seroit obligĂ© dâabrĂ©ger ce jeu , dont on sâest fait une occupation rĂ©guliĂšre & pĂ©riodique ; il seroit nĂ©cessaire de supprimer ces visites superflues , oĂč lâon nâest conduit que par la crainte de sâennuyer avec soi-mĂȘme. Mais de pareils sacrifices semblent trop rigoureux on se les Ă©pargne., ou ferme les yeux fur ses obligations, on ne compte pas si scrupuleusement avec le devoir ; & si les plaisirs lâçxigent, on le leur sacrifie. Content de porter Ă la suite de son nom un titre honorable* qui tient lieu de mĂ©rite & suppose les connoiffances, on se dispense de les acquĂ©rir. On est de lâavis des autres, parce quâon est incapable de donner le sien. On prononce au hasard, & lâon porte un arrĂȘt injuste , qui dĂ©pouille le maĂźtre lĂ©gitime ou fait gĂ©mir lâinnocent. Au lieu dâĂȘtre le protecteur de lâĂ©quitĂ© contre les entreprises de lâintĂ©rĂȘt, de la mauvaise foi, de la calomnie, on Ă©leve de ses propres mains les trophĂ©es de lâinjustice qui triomphe avec insolence , & traĂźne enchaĂźnĂ©s Ă son char le bon droit vaincu & lâinnocence opprimĂ©e. Minis. trĂšs infidelles de la Justice, vous ĂȘtes Ă se* yeux plus injustes tSt plus criminels que ceux dont vous avez servi les injustices ?5r LâĂcoi e & les crimes, parce que vous deviez les rĂ©primer & les punir. Et vous , chefs de famille, nous vous lâavons dĂ©jĂ dit une de vos principales obligations , câest de procurer Ă vos en- fans une Ă©ducation qui les empĂȘche, dans un Ăąge plus avancĂ©, de regretter le temps de leur jeunesse, une Ă©ducation non-feu- lerftent polie & conforme Ă leur Ă©tat, mais vertueuse & devez de bonne heure Ă©loigner de ces Ăąmes pures & innocentes le souffle empoisonnĂ© de la contagion , cultiver avec soin leurs talens naturels , & prĂ©parer Ă la patrie , dans ces jeunes Ă©leves , des sujets capables de la servir utilement. Mais pouvez- vous les remplir ces obligations, & les remplissez-vous en effet, lorsque, vous livrant Ă vos plaisirs, vous leur offrez lâexemple trop persuasif dâune vie inutile & dissipĂ©e ; lorsque, pour vous Ă©pargner Ă vous-mĂȘmes les embarras de la vigilance , vous ne leur donnez dâautres fur- veillans que des domestiques qui est auroient eux-mĂȘmes besoin ? Ne pouroit-on pas Ă©galement demander aux meres , si elles remplissent leurs devoirs Ă lâĂ©gard de leurs enfans, lorsquâau lieu de veiller assidĂ»ment, comme ilferoit nĂ©cessaire, fur leurs inclinations naissantes , pour les tourner vers le bien ; au heu de leur donner de sages leçons, des MĆurs. telles que la mere de Salomon en don- noir Ă son fils , leçons qui dictĂ©es par la tendresse & lâamour, passeroient en traits de flamme dans ces jeunes cĆurs ; au lieu de se livrer Ă des foins fl doux pour une vraie mere qui veut doublement en mĂ©riter le nom , on les voit ne sâoccuper que dâelles - mĂȘmes & de leurs plaisirs ? Que font en effet la plupart de ces femmes du monde, dont nous parlons? Au sortir dâun sommeil dont la mollesse seule regle la durĂ©e , elles pensent Ă lâajustement , Ă la parure, y consument les plus belles heures du jour, &, dans ces toilettes oĂč la vanitĂ© prĂ©side , tiennent une Ă©cole quelquefois publique de mondanitĂ© & dâindĂ©cence. AprĂšs avoir parĂ© lâidole de tout ce quâon croit de plus propre?.Ă lui attirer des adorateurs, & lâavoir assez dĂ©guisĂ©e pour quâon ne re- connoisse plus dans les traits du visage la main du CrĂ©ateur, elles se promĂšnent de compagnies en compagnies, dâoĂč elles ne remportent que la vaine satisfaction de sâĂštre montrĂ©es & de croire quâelles ont plu. Le reste de leurs journĂ©es, absorbĂ© par le jeu ou par les spectacles, leur laisse Ă peine le temps de penser quâelles ont une maison Ă conduire, des enfans Ă Ă©lever; & peut-on mĂȘme croire quâelles y pensent ? ?54 L» E c o l e Cet oubli de ses devoirs les plus essentiels , si ordinaire parmi les Dames du grand monde , fera le plus juste sujet de leurs craintes Ă la mort & de leur condamnation au tribunal de Dieu. Que pouront-elles lui rĂ©pondre, lorsquâil leur opposera lâexemple non-seulement de plusieurs Dames ChrĂ©tiennes & de Princesses mĂȘme, mais de Dames PaĂŻennes, dont la conduite fut bien diffĂ©rente delĂ leur ? On lait le beau trait de CornĂ©lie , fille du grand Scipion. Cette illustre Romaine , dâun mĂ©rite aussi distinguĂ© que fa naissance , se trouva dans une compagnie de Dames, qui Ă©taloient leurs pierreries & leurs ajustemens. On lui demanda de voir les siens. Elle fit venir ses enfans, quâelle avoit Ă©levĂ©s avec foin pour la gloire de la patrie, & dit en les montrant VoilĂ mes ornement & ma parure. Y a-t-il en effet au monde, sâĂ©crie avec raison le Philosophe de Geneve, un spectacle aussi touchant, aussi respectable , que celui dâune mere de famille entourĂ©e de ses enfans, rĂ©glant les travaux de ses domestiques, procurant Ă son mari une vie heureuse, & gouvernant sagement sa maison! Câest-lĂ quâelle se montre dans toute fa dignitĂ© dâune honnĂȘte femme câest-lĂ quâelle impose vraiment du respect , & que la beautĂ© partage avec honneur les hommages rendus des MĆurs. ? sf Ă la vertu. Une maison dont la maĂźtresse est absente, est un corps fans ame, qui bientĂŽt tombe en corruption. Une femme hors de fa maison perd son plus grand lustre ; & dĂ©pouillĂ©e de ses vrais orne- mens, elle fe montre avec indĂ©cence. Si elle a un mari, que cherche-t-elle parmi les hommes ? Si elle nâen a pas, comment sâexpose-t-elle Ă rebuter par un maintien peu modeste celui qui serait tentĂ© de le devenir ? Quoi quâelle puisse faire , on sent quâelle nâest pas Ă fa place en public. Par-tout on est persuadĂ© quâil nây a point de bonnes mĆurs pour les femmes, hors dâune vie retirĂ©e & domestique ; que les paisibles foins de la famille & du mĂ©nage doivent [faire leurs plus agrĂ©ables occupations & leurs plus doux plaisirs, puisque câest Ă cela principalement que la nature les a destinĂ©es. Peut - on douter quâon ne doive sacrifier ses plaisirs Ă son devoir, puisquâon doit mĂȘme , sâil le faut, lui sacrifier son repos, ses-biens, fi vie, tout ce quâon a de plus cher ? Rotrou , cĂ©lĂ©brĂ© PoĂ«te François , connu par ses PiĂšces dramatiques , Ă©toit revĂȘtu delĂ premiĂšre MagiC. trature de la petite ville de Dreux, fa patrie , lorsquâelle fut affligĂ©e dâune maladie Ă©pidĂ©mique. PressĂ© par ses amis de Paris de mettre fa vie en furetĂ©, & de quitter un lieu si dangereux, il Zf6 LâĂ C O L E rĂ©pondit que sa conscience ne lui perraet- toit pas de suivre ce conseil, parce quâil nây avoir que lui qui pĂ»t maintenir le bon ordre dans ces circonstances. â Ce nâest pas, ajoutoit-il en finissant sa lettre, que le pĂ©ril oĂč je me trouve ne soit fort grand, puisquâau moment oĂč je vous Ă©cris , les cloches sonnent pour la vingt- deuxieme personne qui est morte aujourdâhui. Ce sera pour moi, quand il plaira Ă Dieuâ. Quâil est beau, quâil est grand de penser ainsi ! & quel sort plus digne dâenvie, que celui dâune personne qui meurt en faisant son devoir ! âąg " - L- Etpour vous rendĂźt heureux modĂšre^ vos deĂ, -s. Voulez- vous vivre heureux sentez le prix des biens que vous possĂ©dez, & sachez en jouir. Mettez des bornes Ă vos dĂ©sirs & Ă vos besoins plus on dĂ©sire , plus il manque de choses. Contentez-vous du nĂ©cessaire la modĂ©ration vaut mieux que tous les trĂ©sors de la fortune ; & la possession des richesses ne donne pas le repos, quâon trouve Ă nâen point dĂ©sirer. Quelquâun disoit un jour Ă MĂ©nĂ©demc , Philosophe Grec Câest un grand bonheur dâavoir ce quâon dĂ©sire. Câen eĂ un bien plus grand , rĂ©pondit-il, dâĂȘtre content de ce quâon a. On jouit dâune heureuse dss MĆurs. tranquillitĂ©, inconnue Ă ceux qui sont agitĂ©s dâune foule de dĂ©sirs. Ceux-ci en proie Ă une ambition aveugle ou Ă une cupiditĂ© effrĂ©nĂ©e, dĂ©sirent fans cesse & ne font jamais contens. Jouets Ă©ternels dâune trompeuse espĂ©rance, ils empoisonnent le bonheur de leurs jours pat de vains dĂ©sirs, qui les dĂ©goĂ»tent de leur Ă©tat, les empĂȘchent dâen remplir les devoirs & dâen sentir les avantages. bien nâest plus Ă©tonnant que de voir les hommes courir fans cesse aprĂšs le bonheur , fans pouvoir jamais lâatteindre. Au lieu de le chercher dans la modĂ©ration de leurs dĂ©sirs & dans la jouissance de ce quâils ont,ils croient toujours lâappercevoir dans des postes, des richesses ou des plaisirs , quâils nâont pas ; & lorsquâils les ont obtenus , honteux de ne lây point trouver & non guĂ©ris de leur folie, ils continuent toute leur vie Ă lâaller chercher dans dâautres objets, & meurent avec la douleur de ne fe voir pas plus prĂšs du terme, que le jour quâils avoient commencĂ© Ă y tendre. Ces songes dâun homme Ă©veillĂ©, ces souhaits inquiets,qui nous jouent & nous trompent, font bien dĂ©crits par lâAuteur dâune Ode morale, intitulĂ©e les DĂ©firs Lâheureux , sâil en Ă©toit au monde, Ce seroit lâhomme sans dĂ©sirs Dans le sein dâune paix profonde II goĂąteroit de vrais plaisirs. Lâ Ă c o i ĂŻ Mais la cupiditĂ© fans celle, Lâaiguillon Ă la main , nous presse, Et nous met tous en mouvement. En courant nous quittons la source Dâun bonheur quâau bout 4e la course Nous nous promettons vainement. Pour un souhait que lâonâ contente Quand on est chĂ©ri des destins , On en sent Ă©clore cinquante , Plus irritĂ©s & plus mutins. Le mal sâaigrit parle remede; On compte tout ce quâon possĂ©dĂ©, Ou pour peu de chose, ou pour rien; Et les mortels toujours avides, Se trouvent toujours les mains vides, Alors quâils regorgent de bien. Malheureux , qui lĂąchent la bride A leurs dĂ©sirs immodĂ©rĂ©s, Qui vont Ă lâaveugle & fans guide, De la droite voie Ă©garĂ©s ? Ah ! quâil feroit bien plus facile DâempĂȘcher leur foule indocile Dâouvrir la porte & de sortir, Que du milieu de la carriĂšre Les faire tourner en arriĂ©rĂ©, Quand on les a laissĂ© partir ! La raison nâest guere Ă©coutĂ©e Parmi les agitations Dâune multitude emportĂ©e DâimpĂ©tueuses passions. Quand Eolt- a frappĂ© la grote, A quoi te sert, triste Pilote, des MĆurs. ;59 Et ton gĂ©nie & ton travail ? Lâeffroyable orage qui gronde, A la violence de lâonde Fait obĂ©ir ton gouvernail. Adieu , seul charme de la vis * SacrifiĂ© mal-Ă -propos ; Adieu, seul bien digne d'envie. Repos » souhaitable repos. En te cherchant, on tâabandonne Par les mouvemens quâon se donne Pour jouir dâun tranquille sort. Un lâa trouvĂ© , dĂšs quâon sâarrĂȘte. Pour ne plus craindre de tempĂȘte, Aue ne se tient-on dans le port? Non, un vaisseau battu dâune tempĂȘte affreuse, roulant au grĂ© des flots en fureur au milieu des Ă©clairs , nâest pas plus agitĂ© quâun esprit inquiet, qui se livre Ă tous ses dĂ©sirs. Celui, au contraire, qui fait les modĂ©rer & les tenir fous son empire, ressemble Ă un vaisseau qui , poussĂ© parles doux zĂ©phyrs , vole lĂ©gĂšrement fur les ondes & arrive heureusement au port. LâAuteur des vers que nous venons de rapporter, demande trop fans doute en voulant que nous vivions fans dĂ©sirs. LâinquiĂ©tude naturelle de notre esprit, les besoins qui nous tourmentent, & notre propre foiblesse , ne nous permettent guere dâaspirer Ă cet Ă©tat de q6s Lâ Ă C O L E tranquillitĂ© parfaite, oĂč lâon nedĂ©sireroit plus rien. Ce quâon doit donc faire, câest de tĂącher de rĂ©gler fi bien son cĆur, quâil ne dĂ©sire rien trop ardemment ; câest de sâappliquer Ă se rendre heureux, moins en remplissant quâen bornant ses dĂ©sirs. Il faut savoir se borner. 11 y a plusieurs annĂ©es que vous dites Quand saurai fini cette affaire , je serai content. Vous en avez fini heureusement plusieurs, & vous ĂȘtes plus inquiets que jamais. Vous vous flattiez que, lorsque vous auriez obtenu cette place, cette dignitĂ©, vous seriez au comble du bonheur. Mais dĂšs que vous lâavez eue, vous en avez dĂ©sirĂ© une autre plus grande, dont vous vous voyiez plus proche. Le dĂ©sir augmente, quand on le croit rempli ; & lâon nâest jamais ni heureux ni content. Tous les hommes cherchent le bonheur , & peu le trouvent, parce que la plupart le mettent dans la possession de ce quâils nâont point ou de ce qui ne peut le donner. Il fuit souvent aulsi ceux qui le poursuivent avec trop dâardeur. Il en est du bonheur en quelque sorte ainsi que de la santĂ© ceux qui le cherchent trop sont ceux qui le trouvent le moins. ModĂ©rons nos propres vĆux , TĂąchons Ă nous mieux connoĂźtre DĂ©firescu dâĂȘtre heureux , DĂ©sire un peu moins de lâĂȘtre* Voici des MĆurs. z6i Voici commentTai comptĂ©. DĂšs ma plus tendre ĂźeuncflV, La vertu , puis la santĂ© ; La gloire, puis lairichefle» ⏠H A it L ÂŁ V A L* Ainsi, peusoit Charleval qui, quoique koste , avoit beaucoup de religion. Sa complexion Ă©toit si foible & si dĂ©licate, que, dĂšs son enfance mĂȘme, ses hĂ©ritiers regardoient fa succession comme trĂšs- .prochaine. Cependant par son bon rĂ©gime & par sa conduite modĂ©rĂ©e, il trouva le secret de prolonger sa carriĂšre jusquâĂ sa quatre-vingtiĂšme annĂ©e. Peres & meres, qui voulez rendre un jour vos enfans heureux au lieu de leur rĂ©pĂ©ter fans cesse les usages & les maximes du monde, les droits de leur nait sauce, les avantages des richesses, for- mez-les fur tout Ă la vertu, &apprenez- leur cette prĂ©cieuse modĂ©ration dont nous parlons. Iis seront toujours assez polis sâils font humains, assez nobles sâils font vertueux, assez riches sâils ont appris Ă modĂ©rer leurs dĂ©sirs. Un des plus grands obstacles au bon- heur de la plupart des hommes, câest le dĂ©sir trop vif des biens de la terre. Plus on a, plus on veut avoir. On est moins content de ce quâon possĂ©dĂ©, que jaloux de ce quâont les autres , & empressĂ© dâen avoir encore davantage. Mais * Tome III. Q_ z 6 r V E c o t b dit Salomon , lâhomme qui se hĂąte de s'enrichir , ÂŁ 5? qui porte envie aux autres , ne fait pas quâil fc trouvera surpris tout dâun coup par la pauvretĂ© 2. On perd souvent tout, en voulant trop avoir. Trois habitans de Balke , grande ville des Tartares, voyageant un jour ensemble, trouvĂšrent un trĂ©sor. Ils le partagĂšrent , & continuĂšrent leur route, en sâentretenant de lâusage quâils feroient de leurs nouvelles richesses. Ils manquĂšrent de vivres , & il fallut envoyer Ă la ville voisine en chercher. Le plus jeune fut chargĂ© de cette commission, & partit. Il se disoit en chemin Me voilĂ riche; mais je le serois bien davantage , si jâavois Ă©tĂ© seul quand on a trouvĂ© le trĂ©sor mes compagnons de voyage mâont enlevĂ© deux parts ; ne pourois-je pas les reprendre? Cela me seroit facile je nâaurois quâĂ empoisonner les vivres que je vais chercher. A mon retour je dirois que jâai dĂźnĂ© Ă la ville mes compagnons mangeroient fans dĂ©fiance , & ils mourroient. Je nâai que le tiers du trĂ©sor, & jâaurois le tout. Cependant les deux autres Voyageurs Ă©toient assis Ă lâombre , & ils se disoient a Vir qui feflinat ditari L" al iis invidtt , ignorĂąt qubd egeflassuperveniet ci. Prov. 28» des MĆurs. Nous avions bien affaire que ce jeune homme vĂźnt sâassocier avec nous. Nous avons Ă©tĂ© obligĂ©s de partager le trĂ©sor avec lui sa part auroit dĂ» nous appartenir, & câest alors que nous serions riches. 11 reviendra bientĂŽt. Nous avons de bons poignards. Le jeune homme revint ; ses compagnons lâassustinerent. Ils mangĂšrent ensuite des vivres empoisonnĂ©s ; ils moururent, & le trĂ©sor nâappartint Ă personne. Ce qui devroit satisfaire lâavarice, ne fait que lâirriter ; câest la soif de lâhydro- pique. Lâavare, au milieu de ses trĂ©sors, est toujours malheureux, toujours pauvre, parce quâil ne fait ni se borner ni jouir. Lesage, au contraire, lâhomme modĂ©rĂ©, avec peu est toujours riche, toujours noble & libĂ©ral, toujours heureux. Si vous voulez rendre quelquâun vĂšri . tablcment riche , disoit un ancien Philosophe , il ne faut pas ajoutera ses biens , mais seulement retrancher de ses defrs U de ses cupiditĂ©s. Savoir jouir de ce quâon a, Ne rien souhaiter au-delĂ , Ne craindre en ses procĂšs lâargent ni la cabale , Un bon livre, un ami voilĂ le vrai bonheur, La modĂ©ration du cĆur Est la pierre philosophale. Rzcxizr DesuarztsI Z 64 Lâ Ă c o l ĂŻ LâAuteur de ces vers Pavoit trouvĂ©e, & câest Ă elle quâil dut le bonheur de jouir de toute fa santĂ© & de tout son esprit â au-delĂ de quatre-vingts ans, comme il le dit lui-mĂȘme Soumis aux lois, libre >1» reste, Je me Cuis proposĂ© toujours De Cuivre le tranquille cours Dâune vie Ă©gale St modeste, OĂč mâaccommodant Ă mon sort, Ne comptant pour rien de paraĂźtre. Et de lues dĂ©lits tendu maĂźtre , Je vĂ©cusse Ă moi mĂȘme , en attendant la mort. Maintenant , grĂąces Ăč mon Ăąge , GrĂąces Ă la droite raison, Qui ne luit jamais davantage Que dans notre arriere-CaiCon, Exempt de crainte, exempt dâenvie, Satisfait dâun modique bien, Je commence Ă mener la vie Dâun homme qui nâaspire Ă rien. Je ne fais la cour Ăą personne , De la paix de lâesprit je goĂ»te les plaisirs, Et je jouis dans mon automne. De lâindĂ©pendance que donne De retranchement des dĂ©sirs. Lâhomme heureux nâest pas celui qui nâa besoin de rien, mais celui qui peut vivre fans ce quâil nâa pas, & que la privation de ce qui lui manque nâalfecte des MĆurs. z6s {joint. Un Solitaire avoit mis fur la porte de fa solitude Dans un lieu , du bruit retirĂ© , OĂč, pour peu quâon soit modĂ©rĂ©, On peut trouver que tout abonde , Sans amour, fans ambition , Exempt de toute pafĂŻion, Je jouis dâune paix profonde ; Et pour mâassurer le seul bien Que lâon doit estimer au monde, Tout ce que je nâai pas je le compte pdur rien. Il est plus facile de rĂ©primer un premier dĂ©sir, que de satisfaire tous ceux qui viennent ensuite, comme le disoit le Prince de Conti, il se refusoit Ăąux goĂ»ts, les plus innocens, Ă la curiositĂ© mĂȘme des peintures , oĂč ses infirmitĂ©s auroient pu trouver un dĂ©lassement. Il rĂ©pondoit aux instances que lui faisoit lĂ -dessus la Princesse son Ă©pouse, quâen se livrant Ă un goĂ»t on sâaccoutume Ă se livrer Ă tous , & quâil faut savoir ou ne pas tout dĂ©sirer, ou se passer souvent de ce quâon dĂ©sire. Ce retranchement, ou plutĂŽt cette modĂ©ration de dĂ©sirs, est en esset le seul moyen de nous rendre heureux. Nous ne prĂ©tendons pas nĂ©anmoins quâelle puisse nous procurer une fĂ©licitĂ© pleine & inaltĂ©rable. Ce bien nâest rĂ©servĂ© que pour lâautre vie ; & la religion seule est a? q6§ LâĂcolĂź chargĂ© de nous conduire dans la route du bonheur quâelle nous prĂ©pare au- delĂ du temps. Cette vie-ci est une vie de tentations & de combats, de peines & de traverses, dâafflictions & de chagrins. La constitution de notre corps, la foi. blesse de notre nature, lâactivitĂ© des Ă©lĂ©- mens, la variĂ©tĂ© des saisons, les diffĂ©rentes sortes dâelprits, de caractĂšres & dâhumeurs des personnes avec lesquelles nous sommes obligĂ©s de vivre, le choc des passions & des intĂ©rĂȘts, toutes ces choses nous empĂȘcheront toujours dâĂȘtre ici bas parfaitement heureux. Dieu lâa ainsi voulu, afin que nous ne nous attachions âąpas trop Ă la terre, & que nous portions nos vĆux vers celui qui seul peut les remplir. Mais il est vrai aussi que, si quelque chose est capable de diminuer le nombre &la violence des maux que nous avons Ă souffrir dans notre exil, câest cette modĂ©ration de dĂ©sirs, que nous recommandons. Câest elle qui peut nous rendre heureux autant quâon peut lâĂȘtre fur la terre, fans que le bonheur prĂ©sent ruine les espĂ©rances de lâavenir. Elle est comme les heureuses prĂ©mices & le garant de la fĂ©licitĂ© qui nous est destinĂ©e dans le Ciel, puisque rien nâest plus conforme Ă lâesprit de la religion, que de mettre des bornes Ă ses dĂ©sirs, de nâavoir aucune attache au monde ni dbs MĆurs. 5 6 ? Ă tous les biens du monde, dont la figure passe & sâĂ©vanouit comme lâombre. Lorsquâon vint apporter le bĂąton de MarĂ©chal de France Ă M. de Castelnau , six heures avant fa mort, il rĂ©pondit Cela est beau en ce monde , mais je vais dans un pays oĂč cela ne me servira guĂšre. Nous devons penser de mĂȘme. La grandeur, la gloire, les richesses, les honneurs distinguĂ©s , rien de plus, beau ni de plus flatteur en ce monde mais en lâautre tout cela fera comptĂ© pour rien, & ne servira mĂȘme souvent quâĂ rendre plus malheureux, parce quâil aura rendu plus criminel. Que deviendront toutes ces choses frivoles, qui paroissent suc- eelßßvement sur la scene du monde, & aprĂšs lesquelles nous courons avec tant d'ardeur? que deviendront-elles, quand le monde lui-mĂȘme aura disparu ? Il nâen restera plus aucun vestige tout ira sâenfoncer & se perdre dans les espaces immenses de lâĂ©ternitĂ©. La vertu, qui pou- roit bien plus finement nous conduire Ă la vraie fĂ©licitĂ©, que tous ces faux biens - la vertu que nous nĂ©gligeons , survivra seule Ă la ruine de lâunivers, & ne pĂ©rira point. Salomon , quâaucun Prince nâĂ©galera jamais ni pour la vaste Ă©tendue des con- noissances, ni pour la multitude des rieh elles j & qui a voit accordĂ© Ă son cĆur gög Lâ E c O L fc tous les plaisirs quâil pouvoir dĂ©sirer , avouoit nĂ©anmoins lui-mĂȘme quâil nâĂ - voit trouvĂ© dans toutes ces choses que vanitĂ©, & quâil nây avoir de vrai bien & de vrai bonheur que pour celui qui cherchent Ă servir Dieu & Ă lui plaire. Câelt ce que fait bien sentir une fiction in. gĂ©nieuse , attribuĂ©e Ă Mademoiselle Bernard, qui sâest rendue cĂ©lĂ©brĂ© par soqet prit & par son talent pour la poĂ©sie. LâImagination, amante du Bonheur, Sans cesse le dĂ©lire & fans cesse lâappelle ; Mais fur elle il exerce une extrĂȘme rigueur, Et, fait pour les dĂ©sirs, il est peu fait pour elle. Dans fa tendre jeunesse elle alla le chercher Jusque dans VAmoureux Empire ; Mais lorsque du Bonheur elle crut approcher, Le Soupçon, le jaloux Martyre, La DĂ©licatesse encor pire , Soudain Ă ses transports le vinrent arracher. Dans un Ăąge plus mĂ»r, du mĂȘme objet charmĂ©e, Au palais de Y Ambition Elle crut satisfaire encor fa passion; Mais elle nây trouva quâune ombre, une fumĂ©e , FantĂŽme du Bonheur L pure illusion. Enfin dans le pays quâhabite la RicbeĂe, SĂ©jour agrĂ©able & charmant, El'e va demander son fugitif amant. Elle y vit lâAbondance, elle y vit la Mollesse Avec le Plaisir enchanteur; Il nây manquoit que le Bonheur. des MĆurs. 369 Xi voilĂ donc encor qui cherche 8c Ce promenĂ©. La fie des grands chemins, elle trouve Ă lâĂ©cart Un sentier peu battu qĂŒâon dĂ©couvrait Ă peine. Une beautĂ© simple 8c sans art, Du lieu presque dĂ©sert Ă©tait la souveraine. CâĂ©toitla PiĂ©té» LĂ notre amante en pleurs Lui raconta son aventure. 21 ne tiendra quâĂ vous de finir vos malheurs . Vous verres Le Bonheur, câest moi qui vous lâajfure 9 Lui dit la fille sainte il faut, pour* Vattirer , Demeurer avec moi , sâUse peut , fans lâattendre , Sans le chercher , au moins fans trop le dĂ©sirer . Il arrive aussitĂŽt quâon cesse dây prĂ©tendre, Ou que dans Ja recherche on fait Je modĂ©rer* L'Imagination Ă l'avis sut se remlre > Le lionheur vint sans diffĂ©rer. 37o LâĂ c o l Ăź XXXV. Ne demande{ Ă Dieu ni grandeur ni richesse. Câes/t- lĂ , il est vrai, ce qui fait lâobjet des dĂ©sirs & des vĆux empressĂ©s de la plupart des hommes ; mais ils ne dĂ©sire- roient guere avec tant dâardeur, sâils connoiflbient parfaitement ce quâils dĂ©sirent. Tu demandes aux Dieux ce qui te semble bon , disoit Diogene , eS ils tâexau- eeroient peut - ĂȘtre , sâils nârevoient pitiĂ© de ton imbĂ©cillitĂ©. Quâest - ce aprĂšs tout, devons - nous nous dire Ă nous-mĂȘmes, que cette grandeur qui mâenchante, que ces honneurs qui me transportent , que cette poignĂ©e dâor qui mâĂ©blouit ? Ne suffit - il pas de les examiner attentivement & dans le silence des paffions, pour en ĂȘtre bientĂŽt dĂ©trompĂ© ? Essayons de le faire ; & avant que dâaspirer aux honneurs ou aux richesses , mĂ©ditons un peu fur leur vanitĂ©. Rien de plus brillant que les grandes dignitĂ©s & les emplois honorables on se voit Ă©levĂ© au-dessus des autres hommes , on commande Ă ses semblables, on reçoit leurs respects & leurs hommages. Mais perçons cette enveloppe Ă©clatante nous serons surpris de trouver que ces des MĆurs. 571 dignitĂ©s & ces emplois ne font le plus souvent que de grands fardeaux & de vraies servitudes, ou , pour se servir de lâexpression dâun ancien Philosophe, d'honorables tortures si. On a trĂšs - bien comparĂ© ceux qui occupent les plus hauts rangs, Ă ces corps cĂ©lestes , qui ont beaucoup dâĂ©clat, & nâont point de repos. La charge la plus belle , en charges est fĂ©conde ; Et les astres commis au rĂ©glement du Monde, Ecurie mettre en repos nâen Ă©prouvent jamais. Maelzv illz* Un Seigneur disoit Ă Henri IV, que le bonheur dâĂȘtre Roi palsoit pour si indubitable , que lorsquâon vouloit exprimer quâun homme Ă©toit heureux, on disoit ordinairement Il est heureux comme un Roi. Câest, rĂ©pondit ce grand Prince, quâon ignore tout le poids dâune couronne qui est portĂ©e dignement. Ornement plus riche U plus noble que tu nĂ©s heureux , difqit Antigonus en considĂ©rant sa couronne , si l'on savoit combien de foins , combien de pĂ©rils ÂŁ 5? de miseres t accompagnent ; lorsque tu ferais par terre , on ne daignerait pas feulement te ramajjĂ©r. C1 Ad speciosa tormenta alligatui sub Ingmti Ăčtulo . Senec. Q_ 6 ?72 Lâ E C O L E Ne croyons donc pas, avec le vulgaire imbĂ©cille , que les plus Ă©levĂ©s des hommes soient les plus heureux. Le bonheur est rarement assis fur le trĂŽne, comme lâavoua un jour ThĂ©odose le Jeune. Ce Prince sâĂ©tant Ă©loignĂ© de ses gens dans une chasse, arriva fort fatiguĂ© Ă une cabane. CâĂ©toit la cellule dâun AnachorĂšte. Le Solitaire le prit pour un Officier de la Cour , & le reçut avec honnĂȘtetĂ©. Ils firent la priĂšre & sâassirent. LâEmpereur jetant les yeux de toutes parts, ne vit dan? la cellule quâune corbeille oĂč Ă©toit un morceau de pain , & un vase plein dâeau. Son hĂŽte lâinvite Ă prendre quelque chose le Prince lâaccepte. AprĂšs ce repas frugal, sâĂ©tant fait connoitre pour ce quâil Ă©toit, le Solitaire se jette Ă ses pieds. Mais lâEmpereur le releva, en lui disant Que vous ĂȘtes heureux , mon Pere , de vivre loin des affaires du Ăecle ! Le vrai bonheur nâhabite pas Jbus la pourpre Je n ai jamais trouvĂ© de plies grand plaiĂr , UjuĂ manger votre pain Ă boire votre eau. LâEmpereur Charla-Quint fit le mĂȘme aveu. Lorsquâil fĂš dĂ©pouilla de ses Ltats en faveur de Philippe II son fils, dans une assemblĂ©e composĂ©e des plus grands Seigneurs de ses Royaumes , il lui dit Mon fils y je vous charge d'un fardeau bien pesant . Je vous rnets fur la tĂšte une des MĆurs. 37? couronne , dont les fleurons font entrelacĂ©s dâĂ©pines bien piquantes elle nâa quâun faux brillant. Je nâai pas goĂ»tĂ© dans la royautĂ© une feule heure de repos je nây ai eu aucun p'.aifr qui n'ait Ă©tĂ© empoisonnĂ©. Lâhomme sâennuie au milieu de lĂ gloire, de ses titres & de ses envieux. Ces honneurs qui auroientdĂ», ce semble , satisfaire son cĆur, nây portent que le dĂ©goĂ»t & lâinquiĂ©tude. La fortune peut nous rendre plus puissans , mais non pas plus heureux. â Que ne puis - je, dit Madame de Maintenon , dans une de ses Lettres , vous peindre lâennui qui dĂ©vore les Grands , & la peine quâils ont Ă remplir leurs journĂ©es ! Ne voyez-vous pas que je meurs de trilsesse , dans une fortune quâon auroit eu peine Ă imaginer? Je fuis venue Ă la plus haute faveur, & je vous proteste que cet Ă©tat me laisse Un vide affreux â. Quoi de plus capable de dĂ©tromper du bonheur prĂ©tendu des grandeurs humaines, quâun tel aveu, fait par une personne que la Duchesse de Chaulnes appeloit la plus heureuse des femmes ! Et cette pensĂ©e de Mainard nâest- elle pas aussi vraie quâelle est ingĂ©nieuse ? Tontes les pompeuses maisons Des Princes les plus adorables, Ne font qihe de belles prisons, Pleines Pillustres misĂ©rables. 374 LâĂcol e ^ Madame de Pompadour , qui Ă©toit parvenue , comme ou sait, Ă la plus haute faveur, dit aussi dans ses Lettres 2 â Je mâapperqois de plus en plus que la] condition des Rois & des Grands est bien triste. Quâil faut payer cher la pompe , la gloire & les magnifiques bagatelles, que le peuple ignorant a la bĂȘtise dâenvier ! Pour moi , je vous avouerai que je nâai pas eu six momens agrĂ©ables , depuis que je fuis ici. Tout le monde tĂąche de me plaire, & presque tout le monde me dĂ©plaĂźt. Les plus brillantes conversations me donnent la migraine. Je bĂąille au milieu des fĂȘtes, & jâĂ©prouve fans cesse quâil nây a point de bonheur dans la vanitĂ© Nâambitionnez donc pas les distinctions & les honneurs câest y mettre un trop grand prix que de les rechercher avec empressement. Lorsque les emplois, accordĂ©s par la Providence divine pour vous donner lieu dâexercer les talens quâelle vous a confiĂ©s, viennent sâoffrir Ă vous, recevez- les avec reconnoissance, & remplissez-les avec honneur. Mais si lâon vous parle de les aller chercher, rĂ©pondez avec autant de ; modestie que 2 Quoiquâelles ne soient pas dâelle , mais de M- CrĂ©billon le fils » elles nâexpriment ici quâun ien» riment auĂŒi vrai quâil est ordinaire» des MĆurs. 37s de grandeur dâame, que les moindres dignitĂ©s, quand elles font offertes comme la rĂ©compense du mĂ©rite , font dignes d'ĂȘtre acceptĂ©es & doivent lâĂȘtre ; mais que les plus grandes font trop peu de chose pour ĂȘtre briguĂ©es , & que câest cesser de mĂ©riter les honneurs que de demander ceux quâon mĂ©rite. Il est vrai que la plupart des Grands, plus occupĂ©s dâeux-mĂȘmes que des autres, ou assiĂ©gĂ©s par des solliciteurs qui leur arrachent les grĂąces , ne pensent guere Ă prĂ©venir & Ă placer le mĂ©rite modelte qui ne demande rien Sans cesse l'importun demande, sollicite, On le trouve par-tout, & lâon nâentend que lui. Câelt ainli quâon obtient les faveurs aujourdâhui, Et lâon va rarement'au-devant du mĂ©rite. R I CH ÂŁ Jt.. Mais il nâest pas moins vrai aussi, quâil vaut mieux ne pas obtenir les places dont on est digne , que dâavoir celles quâ011 11e mĂ©rite pas. LâĂ©clat des grands postes, qui rejaillit fur ceux qui les occupent, nâĂ©claire que leur honte, sâils font incapables de les remplir, fa fortune, ainsi que le soleil, fait briller les insectes, mais elle ne les rend pas moins vils. Un sot dans lâĂ©lĂ©vation,est comme un homme placĂ© fur une Ă©minence, du haut de laquelle tout le monde lui paroit petit. 575 L* E c o 1 ĂŻ & dâoĂč il paroĂźt petit Ă tout le monde. A quelque haut rang quâil soit, on mĂ©prise celui qui est vraiment digne de mĂ©pris ; & on le mĂ©prise avec dâautant plus de plaisir quâil est plus Ă©levĂ©. Les dignitĂ©s ne conviennent bien quâĂ celui qui est dĂ©jĂ grand par lui - mĂȘme. Mais un tel homme ne sâempressera pas dâaller, comme tant dâautres, offrir son encens Ă lâidole de la grandeur. 11 en commĂźt trop la vanitĂ©. Il fait quâil ne faut quâun instant pour la faire dispa- roitre, & que bien certainement la mort, ce Ministre de la MajestĂ© & de la Justice divine destinĂ© pour confondre lâorgueil humain,la brisera & la rĂ©duira en poudre. 11 Jaisse donc aux autres briguer les grandes places , aimer Ă se revĂȘtir de charges & dâhonneurs pour se distinguer de leurs Ă©gaux & sâĂ©lever au- dessus dâeux. Il aime mieux triompher de lui-mĂȘme que de ses concurrens, & vaincre son ambition que ses rivaux. Il a les beaux sen- timens exprimĂ©s dans ces vers sublimes Loin de nous , vains dĂ©sirs de oes pomper siiprĂ©mes, 11 faut nous Ă©lever, mais câest contre nous-mĂȘmes . Et triompher du vice Ă nos pieds abattu. Ne cherchons quâen nous seuls des conquĂȘtes nouvelles , Et croyons quâil nâest point de palmes Ă©ternelles, Que celles quâon reçoit des mains de la vertu. Malievuib. des MĆurs. 377 Ce nâest pas quâil faille mĂ©priser les honneurs & les emplois distinguĂ©s 011 doit tĂącher mĂȘme de sâen rendre digne. Mais le Sage se console, sâil ne les a pas, lorsque, pour y monter, il lui faudrait suivre ces sentiers obscurs & tortueux , par lesquels lâambition conduit il souvent aux grands postes, & qui ne furent jamais le chemin de la vertu. Oui , dit-il quelquefois , je renonce sans regret Ă toutes les dignitĂ©s , Ă pour y parvenir je dois , comme tant d'autres , fouler aux pieds honneur , probitĂ© , sentiment , %? fur ces ruines Ă©lever ßédifice de ma grandeur. Combien deserpens , Ă force de ramper, arrivent enfin Ă la cime dâun arbre r qui nâĂ©toit fait que pour servir de retraite aux oiseaux du ciel ! Lorsque la fortune nous nĂ©glige, pour Ă©lever aux premiĂšres places des hommes mĂ©prisables & fans mĂ©rite , ce nâest pas nous qui sommes le plus Ă plaindre ; & câest peut-ĂȘtre moins une injure quâelle nous fait, quâun bon office quâelle nous rend. Le changement de fortune change dâordinaire les mĆursj en quittant son ancien Ă©tat, on y laine sa vertu & son mĂ©rite; & lâon ne cesse souvent de pa- roĂźtre digne des emplois honorables, que lorsquâon les a obtenus. Il y a dans la vie de Timur - Lench , câcst-Ă -dire , Timur le Boiteux , plus 578 Lâ Ă c o i ĂŻ connu sous le nom de Tamerlan, un trait qui montre bien ce que ce fameux conquĂ©rant pensoit des honneurs & des dignitĂ©s qui paroissent les plus dignes dâenvie. AprĂšs avoir dĂ©fait & pris Bajazet, Empereur des Turcs, il le fit venir en fa prĂ©sence. SâĂ©tant apperçu quâil Ă©toit borgne , il se mit Ă rire. Bajazet indignĂ©, lui dit fiĂšrement Ne te ris point, Timur, de ma fortune apprends que câest Dieu qui est le distributeur des Royaumes & des Empires, & quâil peut demain tâen arriver autant quâil mâen arrive aujourdâhui. Je fais, lui rĂ©pondit Timur, que Dieu est le dispensateur des Couronnes. Je ne ris point de ton malheur, Ă Dieu ne plaise mais la pensĂ©e qui mâest venue en te regardant, câest quâil faut que ces Sceptres & ces Couronnes soient bien peu de chose devant Dieu , puisquâil les distribue Ă des gens aufii mal-faits que nous deux, Ă un borgne tel que tu es, & Ă un boiteux comme moi. Ne pouroit- on pas dire la mĂȘme chose des richesses, Ă voir la maniĂ©rĂ© dont le plus souvent elles font distribuĂ©es ? Les plus heureux ou les plus habiles, quelquefois les plus mĂ©chans & les plus indignes les attrapent. Les honnĂȘtes gens nâont souvent que de belles espĂ©rances ils restent dans lâindigence & dans lâobfi curitĂ©, tandis que dâautres , qui auroient des MĆurs. 37 9 dĂ» nâen sortir jamais , sâĂ©lĂšvent & laissent bien loin derriĂšre eux la vertu indignĂ©e. Ainsi lâĂ©cume des mers sâĂ©lĂšve fur leur surface, tandis que les perles restent au fond. Un Financier qui a voit amassĂ© de grands biens aux dĂ©pens de lâEtat, disoit Ă un Sage. Il faut, je crois, bien delĂ force dâesprit pour mĂ©priser les richesses. Vous vous trompez , lui rĂ©pondit le Phi- losophe , il suffit de regarder entre les mains de qui elles passent. Peu de bien avec lâinnocence & la probitĂ©, vaut mieux que des tonnes dâor amassĂ©es par les mains de lâinjustice. Le grand Turennc Ă©tant dans le ComtĂ© de la Mark en Allemagne, on lui proposa de lui faire gagner , par le moyen des contributions, cent mille Ă©cus , sans que la Cour en eĂ»t aucune connoissance. Il rĂ©pondit en riant AprĂšs avoir eu beaucoup de ces occaĂens fans en avoir profitĂ©, je ne fuis pas d'humeur de changer de conduite Ă mon Ă qe. On ne trouva dans ses coffres Ă fa mort que cinq cents Ă©cus. A quoi servent les richesses , quand 011 est dĂ©vorĂ© de remords , ou que le trĂ©pas vient enfin les ravir Ă son injuste possesseur ? Qui ne sait dâailleurs que le bien mal acquis se dissipe vite , qu'il profite rarement, & passe encore plus rarement Ă la troisiĂšme gĂ©nĂ©ration ? Et 38° L 1 Ă c e i e puis combien nâen coute-t-ii pas , lorC. quâil faut, par la restitution, rĂ©parer ses injustices ! Il est plus aisĂ© de ne point prendre le bien dâautrui, que de le rendre. Ce que nous possĂ©dons semble en quelque sorte sâĂȘtre identifiĂ© avec nous i & au moment mĂȘme quâon va en ĂȘtre entiĂšrement dĂ©pouillĂ©, on se rĂ©soud encore avec peine Ă en faire le sicrifice. Un fameux Usurier se voyant prĂšs de mourir , fit enfin appeler un Confesseur. Celui-ci ayant trouvĂ© que tout son bien Ă©toit acquis par la voie injuste de lâusure, lui dit quâil falloit absolument tout res. tituer. Mais que deviendront mes enfans , dit le malade ? Le salut fie votre ame, rĂ©pondit le Confesseur , doit vous ĂȘtre plus cher que la fortune de votre famille. Je ne puis me rĂ©soudre Ă ce que vous exigez , reprit le moribond au dĂ©sespoir, fef jâen courrai les risques. Il se retourne vers la muraille de son lit, & meurt. Il nâest pas dĂ©fendu, fans doute, de dĂ©sirer de devenir riche, fi on le peut; mais il ne faut pas le souhaiter trop ardemment. Le dĂ©sir de faire fortune est souvent un grand Ă©cueil pour la vertu. Celui, dit lâEfprit-Saint, qui se hĂąte de s'enrichir , ne fira pas innocent. L'or , ajoute-1- il, en a prĂ©cipitĂ© plusieurs dans le malheur, U son Ă©clat a causĂ© leur perte. L'or est un sujet de chute Ă ceux qui lui sacrifient des MĆurs. zZt malheur Ă ceux qui le recherchent avec ardeur ! il fera pĂ©rir tous la insensĂ©s. 3 â U11 Philosophe ayant perdu tout son bien dans une sociĂ©tĂ© qui lâavoit trompĂ© Je me repose, dit-il, sur lâargent que s aĂŻ- perdu , du soin de me venger de la mauvaise foi de mes associĂ©s. CratĂšs, qui pourtant auroitpu en faire un meilleur usage, jeta tout son argent dans la mer. Jâaime, mieux dit-il, te faire pĂ©rir que de pĂ©rir par toi. Il elt plus facile de le passer des richesses que dâen bien jouir. On dit communĂ©ment , & tout le monde se le persuade , que si lâon Ă©toit riche , on feroit un bon usage de ses richesses. Mais donc une chose si aisĂ©e ? Est-il si facile quâon le pense, de rĂ©sister continuellement Ă ses paillons, lorsquâon a tant de moyens & dâoccasions de les satisfaire ? Et ne faut-il pas bien de la sagesse pour ne faire jamais de son opulence quâun usage permis & lĂ©gitime ? Lâemploi que la plupart des riches font de leurs trĂ©sors , devroit consoler de ne les avoir pas. Les richesses sont des biens sans doute, mais, par lâulĂ ge quâon en fait, elles 3 QjiifefHnat iitan , nontrit innocent. Prov. 2$. Va i/Ă€s qui se ftantur illud t § 7" omnis imprudent deperiet âą n illo, ileeli. Zi. z8r Lâ Ă c o l e deviennent souvent plus nuisibles Ă lâhomme que ce quâil appelle des maux. On abuse de ces rieb elfes, qui donnent le pouvoir de faire bien des choses quâil est bon de ne pouvoir faire. Au lieu de les employer Ă secourir les malheureux, Ă consoler lâaffligĂ©, Ă rĂ©compenser le mĂ©rite & la vertu ; combien nây en a-t-il pas qui sâen servent pour opprimer le pauvre, pour Ă©taler un luxe orgueilleux & insultant, pour nourrir une sensuelle dĂ©licatesse, & pour satisfaire toutes leurs pallions ! Il me semble les voir, ces passions , se rassembler en foule autour du riche , crier avec importunitĂ© & sâagiter avec fureur , ou le presser plus puissamment encore par leurs attraits, parce quâelles lui voient entre les mains de quoi les appaifer. Comment rĂ©sistera-t-il Ă tant dâennemis ? Que poura fa foible vertu , quand tous ses sens flattĂ©s se ligueront contre elle, & quâil lui faudra lutter sons cesse contre ses plus doux penchans. Mais je veux quâil en triomphe trouvera-t-il dans ces biens tout le bonheur quâil en attend ? TourmentĂ© par lâinquiĂ©tude ou par la satiĂ©tĂ© mĂȘme de ses dĂ©sirs , fatiguĂ© par les embarras de son Ă©tat, dĂ©vorĂ© par lâennui, combien de fois ne portera-t-il pas envie aux plaisirs imiocens & Ă lâheureuse tranquillitĂ© des des MĆurs. conditions moins riches & moins Ă©clatantes ! Henri IV, du faĂźte des grandeurs, qui lâembarrĂąssoient pourtant moins quâun autre, faisoit lâĂ©loge de la mĂ©diocritĂ©. Il trouvoit heureux le Gentilhomme qui, avec dix mille livres de rente & moins encore, savoir vivre loin de la Cour. Une fortune mĂ©diocre suffit Ă nos vĂ©ritables besoins le relie nâelt quâosten- tation & vanitĂ©. Il faut du bien fans doute, mais Ă quoi sert le superflu ? On ell riche avec peu de bien, quand ou sait se passer des choses inutiles. - ArchĂ©- laiis, Roi de MacĂ©doine, ayant offert de grandes richesses Ă Socrate , sâil vou- loit venir Ă fa Cour, ce Philosophe lui rĂ©pondit La mesure de farinese vend peu de chose Ă AthĂšnes , 0? Peau ny coĂ»te rien. Quand on a le nĂ©cessaire, câest une folie de souhaiter de grands biens. Si lâon est plus riche, on dĂ©pense Ă proportion de ce quâon a, & les fantaisies augmentent comme la facilitĂ© de les satisfaire. Combien de choses quâon dĂ©sire avec ardeur, parce quâon les croit nĂ©cessaires , & qui pourtant ne le font pas ! Le trait si connu de Dioyene , quoique fans doute portĂ© trop loin , ne le prouve peut-ĂȘtre que mieux par fa singularitĂ© mĂȘme. Ce Philosophe, qui nâav oit pour y ?84 LâĂcole tout bien quâun tonneau, une besace, uneĂ©cuelle & une tasse , ayant apperçu un jeune homme qui buvoit dans le creux de fa main , jeta lĂ tasse comme une chose peu nĂ©cessaire. Vous savez quâAlexandre vint un jour le voir, & le pressa de lui demander ce quâil vou- droit. Mais ce Philosophe qui se chauf- foit alors aux rayons du soleil dans son tonneau, rejetant les offres de ce Prince, le pria seulement de ne pas lui ĂŽter par son ombre la chaleur du soleil. Ce dĂ©tachement des biens & des honneurs , quâAlexandre admira , & qui lui fit dire que sâil nâĂ©toit pas Alexandre il voudroit ĂȘtre Diogene , nâĂ©toit dans cet homme singulier , ainsi que dans la plupart des anciens Philosophes, quâun orgueil plus raffinĂ©, qui lui faifoit, comme le lui a reprochĂ© Platon, fouler aux pieds le fasse par un autre faste. Ce nâest guĂšre que dans les fixateurs de la Religion ChrĂ©tienne que peut ĂȘtre sincĂšre & vĂ©ritable le mĂ©pris de ces biens, qui sont si chers au cĆur de lâhomme. Pour quelques exemples, admirĂ©s parce quâils Ă©toient rares, que vante la Philosophie PaĂŻenne , &que la Philosophie de nos jours a mieux aimĂ© louer quâimiter, combien dâautres, en plus grand nombre & plus parfaits, le Christianisme n'offre-t-il pas! On des MĆurs. ;8s On a vu dans tous les siĂšcles & dans le nĂŽtre mĂȘme , des personnes distinguĂ©es dans le monde par leur rang & par leur naissance -, renoncer Ă lâagrĂ©ment dâune fortune au moins suffisante, Ă la certitude dâun avenir encore plus flatteur , pour embrasser la pauvretĂ© Ă©vangĂ©lique. Ils ont quittĂ© avec joie des biens fugitifs & passagers, pour sâassurer des biens Ă©ternels & infinis, promis fur-tout Ă ceux qui auront fait Ă Dieu un gĂ©nĂ©reux sacrifice des richesses & des elps- rances de la terre. Parmi une infinitĂ© dâexemples que nous pourions citer, nous rapporterons celui du pieux PrĂȘtre Bernard. NĂ© Ă Dijon en if 88 , dâune famille distinguĂ©e, il se livra dâabord aux plaisirs & aux amu- semens du monde mais enfin touchĂ© de Dieu, il se dĂ©voua tout entier au soulagement des pauvres, & leur donna tout son bien. Il refusa constamment les BĂ©nĂ©fices que la Cour lui offrit. Ăn jour le Cardinal de Richelieu lui dit quâil vouloit absolument quâil lui demandĂąt quelque chose, & le laissa seul pour y penser. Le Cardinal Ă©tant revenu une demi-heure aprĂšs, Monseigneur , lui dit le PrĂȘtre Bernard , aprĂšs avoir bien rĂȘvĂ©, j'ai trouvĂ© enfin une grĂące Ă vous demander. Lorsque je vais conduire les patiens d la potence , pour les ajpster Ă la mort Tome III. K ;86 Lâ Ă C 0 L E les planches de la charette fur laquelle on nous mette font fi mauvaises que nous courons risque Ă chaque instant de tomber Ă terre. Le Cardinal rit beaucoup de cette demande, & ordonna aussi-tĂŽt quâon mĂźt la charette en bon Ă©tat. Ce saint homme , qui nâavoit rien Ă demander pour lui - mĂȘme , parce quâil Ă©toit dĂ©tachĂ© de tout, demandent souvent au contraire pour les malheureux. Ayant un jour prĂ©sentĂ© un placet Ă une personne en place qui Ă©toit trĂšs-vive, cette personne entra en colere , & dit mille injures contre celui pour lequel M .Bernard sâintĂ©ressoit celui-ci insistant toujours, le Seigneur irritĂ© lui donna un soufflet. Sur le champ M. Bernard se jeta Ă ses genoux , & lui dit, en lui prĂ©sentant lâautre joue Monseigneur , donnez-moi encore un bon soufflet fur celle -ci , accordez - moi ma demande. Le Seigneur confus de son emportement, & plein dâadmiration pour la vertu du PrĂȘtre Bernard, lui accorda tout ce quâil voulut. La fortune nâest jamais petite, quand on a peu de besoins & de dĂ©sirs. Dubien ! iâen aurois mains, que jâen aurais assez, A qui vit fans dĂ©sirs, en faut-il davantage ? REGNIER DeSMARETS, Heureux celui qui, comme çe Poste, DES M CE U S. Si Z87 sait mĂ©priser lâinutile & jouir du nĂ©cessaire ! Content avec un bien mĂ©diocre , il voit du port, Ă lâabri de la tempĂȘte, tous les naufrages qui Ce font fur la mer orageuse de la fortune. Grands postes, biens immenses, les hommes vous dĂ©- lireroient-ils si passionnĂ©ment, si lâĂ©clat dont vous brillez , ne les empĂȘchoifc dâappercevoir les Ă©cueils semĂ©s autour de vous ? le bien de la fortune est un bien pĂ©rissableĂź Quand on bĂątit fur elle , on bĂątit fur le fable. Plus on est Ă©levĂ© , plus on court de dangers- Les grands pins font en butte aux coups de la tempĂȘte ; ' Et la rage des vents brise plutĂŽt le faĂźte Des maisons de nos Rois que des toits des bergers.â O bienheureux celui, qui peut de fa mĂ©moire Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire , Dont lâinutile foin traverse nos plaisirs Et qui, loin retirĂ© de la feule importune, Vivant dans fa maison content de fa fortune, A, selon son pouvoir , mesurĂ© ses dĂ©sirs Ăź Racait Vous voyez bien des gens qui ont beaucoup plus de richesses & dâhonneurs que vous uâen souhaitez pour vivre heureux , & qui ne le sont pourtant pas ; pourquoi espĂ©reriez-vous de lâĂȘtre plus quâeux ? Celui qui nâa pas assez de ce quâil possĂ©dĂ©, est auflĂź pauvre que celui ?88 LâĂcoie qui ne possĂ©dĂ© rien. Peu , au contraire, est beaucoup Ă celui qui se contente de ce quâil a. Ainsi lâont pensĂ© les PaĂŻens mĂȘme. Fhocion , cĂ©lĂ©brĂ© AthĂ©nien, avoit dissuadĂ© Alexandre de faire la guerre aux Grecs , parce que câĂ©toit sa patrie, & lui avoit conseil lĂ© de tourner plutĂŽt ses armes contre les Perses. Alexandre, aprĂšs ses conquĂȘtes, lui envoya, par recon- noissance, un prĂ©sent de cent talens 4 . PhocĂźon demanda Ă ceux qui les apportaient , pourquoi Alexandre vouloir faire Ă lui seul une si grande libĂ©ralitĂ©. Câest i rĂ©pondirent-ils, parce que vous ĂȘtes le seul dans AthĂšnes quâil ait reconnu pour homme de bien. Si Alexandre , reprit Phocion , ma connu tel dans la mĂ©diocritĂ© de ma fortune quil me laisse dans cette mĂ©diocritĂ© , quâil me permette de refter homme de bien. En disant cela, il s'occupent Ă tirer lui-mĂȘme de lâeau dâun puits, & fa femme faifoit du pain. Il persista toujours dans la fuite Ă refuser avec la mĂȘme fermetĂ© les prĂ©sens dâAlexandre , quelque instance que ce Prince lui fĂźt. Il refusa Ă©galement les grandes sommes quâAntipater, un des successeurs dâAlexandre,lui fit aussi offrir,; & comme on lui reprĂ©sentait que, sâil 4 te talent Atti^ue valoit trois mille livres de France. b e s MĆurs. 3S9 nâen vouloit point pour lui, il devoit du moins les accepter pour les enfans Si mes enfans font sages , rĂ©pondit - il, Us auront assez de ce qui me suffit d moi- mĂȘme U sâils ne le font pas , ils en auront trop. Heureux , dit le Sage, celui qui na point couru aprĂšs lâor ! Qui efi cet homme ? & nous le louerons f . Le mĂ©pris de ce mĂ©tal si recherchĂ©, si dangereux & si souvent funeste Ă lâinnocence, est un des plus sĂ»rs remparts de la vertu. Il est difficile de corrompre celui qui nâest point avide de richesses , qui a peu de besoins, & qui lait se contenter de ce quâlia. La Cour dâAngleterre avoir intĂ©rĂȘt dâattirer un Seigneur Anglois dans son parti. M. Walpole va le trouver. Je viens, lui dit-il, de la part du Roi vous assurer de fa protection, vous tĂ©moigner le regret quâil a de nâavoir encore rien fait pour vous, & vous offrir un emploi plus digne de votre mĂ©rite. Milord, lui rĂ©pliqua ce Seigneur, avant de rĂ©pondre Ă vos offres, permettez-moi de faire apporter mon souper devant vous. On lui sert au mĂȘme instant un hachis , fait du reste dâun gigot dont il avoir dĂźnĂ©. Se tournant alors vers M, Walpole Milord, ajouta-t-il, pensez. vous qĂčâun homme qui fe contente dâun iO ... Ouis est hic? ÂŁ t Uudabimus eum. Eccli. zl', R ' » 390 Lâ Ă C O L E pareil repas, soit un homme que la Cour puise aisĂ©ment gagnerDites au Roi ce que vous avez vu ceji la feule rĂ©ponse que s ai Ă lui faire. Que ces exemples de dĂ©sintĂ©ressement & de modĂ©ration font rares ! & combien peu font Ă lâĂ©preuve de cet aimant puissant & en pour mâinstruire de tout ce 400 Lâ Ă C O L E que je dois faire afin dâĂȘtre agrĂ©able Ă vos yeux. Salomon eut le bonheur dâobtenir ce quâil demandoit. Dieu lui accorda la sagesse, & avec elle tous les autres biens quâil ne demandoit pas. Câest aussi ce qui vous arrivera, si vous ĂȘtes assez heureux pour obtenir la sagesse. Elle vous procurera tout ce qui vous est nĂ©cessaire pour passer heureusement cette vie, & vous tiendra lieu de tout le reste. Que peut-il manquer Ă celui qui est sage, pour ĂȘtre heureux autant quâil est permis de lâĂȘtre fur la terre? Nâa-t-il pas cette tranquillitĂ© dâame, qui est, selon lâexpression de lâEcriture, comme un festin continuel , cette paix de la conscience & cette modĂ©ration de dĂ©sirs , qui font les plus doux fruits delĂ vertu? VoilĂ ce qui le rend le plus heureux Ă s hommes. Tout ce que la fortune peut donner, ne vaut pas ce quâil possĂ©dĂ©, puisquâil a la sagesse; & que sont tous les biens du monde au prix dâelle ? Que servent Ă F insensĂ© tous ses trĂ©sors , suivant la belle pensĂ©e de Salomon , puisquâil ne peut en acheter la fy'Js* C 7 âą Mais ce bien prĂ©cieux, câest, apres Dieu , aux parens Ă le procurer Ă leurs 7 prodeĂ Ăulto habere diyitias , cĂčm sapiens emt,re non pojsit ? Iârov. 17. des MĆurs. 401 enfans par une vertueuse Ă©ducation ; & câest aux enfans Ă le mĂ©riter par une grande docilitĂ©. Il y a tout Ă espĂ©rer de celui qui est docile, & qui reçoit avec attention les sages leçons quâ011 lui donne, Aufli cette qualitĂ© si nĂ©cessaire, qui est en mĂȘme temps le principe & le fruit dâune bonne Ă©ducation, le Dauphin, fils de Louis XV , avoit eu foin de lâinspirer de bonne heure Ă ses enfans ; & son fils aĂźnĂ© le Duc de Bourgogne, jeune Prince de beaucoup dâesprit & dâune grande espĂ©rance , en donna un jour un bel exemple. Il avoit contredit son Gouverneur , & dans la vivacitĂ© de la dilpute il sâĂ©chappa jusquâĂ lui dire Nous verrons qui de nous deux aura raison. Mais faisant ausiĂź-tĂŽt rĂ©flexion que cette saillie Ă©toifc contraire Ă la dĂ©fĂ©rence & Ă la docilitĂ© quâil lui devoir, il ajouta sur le champ Ce sera vous sans doute , parce que vous ĂȘtes plus r asonnable que moi. Cette estimable docilitĂ© est un des meilleurs moyens dâacquĂ©rir la sagesse & toutes les vertus. En ouvrant lâoreille aux bonnes instructions , elle les fait descendre jusque dans le cĆur, pour y rĂ©pandre des germes fĂ©conds. Mon fils , dit lâEcclĂ©siastique , aimez dĂšs votre premiĂšre jeunesse Ă ĂȘtre instruit , & vous acquerrez une sages'e que vous conserverez jusquâĂ la vieiĂŒes'e. Approchez-vous de la 4oa Lâ Ă c o l e sagesse de tout votre coeur. Cherchez-la avec soin, U elle vous fera dĂ©couverte ? & quand vous ĂŻaurez une fois embrassĂ©e , ne la quittez point car vous y trouverez Ă la fin votre repos , sy elle Je changera pour vous en un sujet de joie 8 . Les lumiĂšres de la raison ont dĂ©couvert aux PaĂŻens mĂȘme cette excellente vĂ©ritĂ© & lâon nous a conservĂ© Ă ce sujet une belle fiction morale de Crantor , Philosophe Platonicien. Il disoit que les DivinitĂ©s qui prĂ©sident Ă la richesse, Ă la voluptĂ© , Ă la santĂ© & Ă la vertu , se prĂ©sentĂšrent un jour Ă tous les Grecs rassemblĂ©s auxjeux Olympiques, afin quâils leur marquassent leur rang, suivant le degrĂ© de leur influence sur le bonheur de lâhomme. La Richesse Ă©tala si magnificence , & commençoit Ă Ă©blouir les yeux de ses Juges , quand la VoluptĂ© reprĂ©senta que lâunique mĂ©rite des richesses Ă©toit de conduire au plaisir. La SantĂ© dit que fans elle les plus grands plaisirs sont amers , & que la douleur prend bientĂŽt la place de la joie. Mais la Vertu termina la dispute, & fit convenir tous les Grecs que la richesse, le plaisir 8e la santĂ© ne durent pas long-temps fans elle, ou deviennent des maux pour qui ne fait pas 8 ... In , ovijjĂźmis enim inventes requiem in e ^-Ăą-AĂ , r MĂMOIRE S V R LA MENDICITĂ. Si quis non vult operari , nce manducet. 11. T H E S S A Z. 10. Si quelqu'un ne veut point travailler , qu'il ne mange point. AVERTISSEMENT. C E MĂ©moire a Ă©tĂ© composĂ© pour une AcadĂ©mie , & par le zele du bien public. Le mĂȘme motif engage Ă le faire imprimer Ă la fin de ce Volume. Il ne doit pas dâailleurs paroltre dĂ©placĂ© dans un Ouvrage , dont plusieurs Maximes tendent Ă inspirer la bienfaisance N l'inclination Ă secourir les indigens. On y trouvera un moyen aussi simple N facile , que juste raisonnable , de soulager la plus nombreuse partie des malheureux , U dâ'assurer le bonheur de tous les vrgis pauvres. Un sujets conforme aux vĆux de l'humanitĂ©, pouroit - il ne pas intĂ©resser tous les cĆurs Immaihs N sensibles ? Il convient Ă tous les pays qu infecte le chancre contagieux de la MendicitĂ© , & combien ny en a-t-il pas ! MEMOIRE SUR LA MENDICITĂ, Qiii a concouru au prix de VAcadĂ©mie des Sciences, Arts & Belles-Lettres de ChĂąlons-sur-Marne , U qui a obtenu Zâacceffit. Le sujet proposĂ© Ă©toit dâindiquer les moyens de dĂ©truire la mendicitĂ© , en rendant les mendians utiles Ă lâEtat, fans les rendre malheureux* hi=========ĂŠiùßs=======s. D E tous les sujets , qui ont Ă©tĂ© depuis long-temps donnĂ©s par les diffĂ©rentes AcadĂ©mies de lâEurope, il en est peu qui mâaient paru plus beaux , plus utiles, plus intĂ©rclfans que celui que vous avez choisi, Meilleurs, pour en faire cette annĂ©e lâobjet du triomphe littĂ©raire dans votre AcadĂ©mie. Quel avantage inestimable ne procurera-1-on pas Ă la sociĂ©tĂ© , T 3 4$8 MĂ©moire si par des moyens surs & faciles, on peut parvenir Ă la dĂ©charger dâune multitude avide dâinfectes rampans qui, ne parodiant nĂ©s que pour dĂ©vorer les fruits de la terre, fe multiplient tous les jours de plus en plus, malgrĂ© tous les efforts quâon fait pour sâen dĂ©livrer! Quelle source de riqhesses pour le Royaume, si , en employant Ă des travaux utiles tant de fainĂ©ans valides, on peut les faire servir Ă enrichir un Etat quâils appau- vriffoient, & restituer Ă la Patrie des hommes dont lâoisivetĂ© , lâhorreur du travail lui dĂ©roboient des bras destinĂ©s Ă la servir ! .Quel bien infini pour les mĆurs, pour la police , si lâon peut abolir la mendicitĂ©, cet Ă©tat funeste de fainĂ©antise, quelquefois encore plus rempli de vices que de miferes, plus chargĂ© de crimes que dâopprobre, & oĂč , aprĂšs avoir perdu toute honte, on perd souvent toute vertu! Que je mâestimerois heureux, si je pouvois contribuer Ă une rĂ©forme si avantageuse, qui fait depuis long-temps lâobjet des vĆux de tous les bons citoyens! AnimĂ© par lâintĂ©rĂȘt du bien public encore plus que par lâamour de la gloireje vais dans ce MĂ©moire exposer mes idĂ©es , joindre mes pensĂ©es , mes rĂ©flexions Ă celles que dâautres ont faites avant moi, proposer quelques sur la MendicitĂ©. 419 nouvelles vues pour Ă©claircir, rectifier, perfectionner, & rĂ©duire Ă une pratique plus facile les moyens qui sâemploient dĂ©jĂ avec succĂšs dans quelques pays voisins de la France. LâexpĂ©rience est la pierre-de-touche de tous les systĂšmes. Tel plan qui pa- roiisoit solide, mis Ă lâĂ©preuve ne sâest trouvĂ© que creux. Câest donc dâaprĂšs lâexpĂ©rience fur-tout que je vais parler. A la lumiĂšre de son flambeau , je ferai voir dâabord 1 inutilitĂ© ou lâinsuffisance des divers moyens employĂ©s en France dans les diffĂ©rais temps pour abolir la mendicitĂ©. Je ferai connoĂźtre ensuite celui de tous les moyens qui paroĂźt le plus propre Ă dĂ©livrer entiĂšrement & pour toujours, la sociĂ©tĂ© de ce mal si ancien & si rĂ©pandu , en rendant les mendians utiles Ă lâEtat, sans les rendre malheureux. Je dirai peu de chose de neuf. Je prĂ©fĂ©rĂ© Ă la gloire dâĂȘtre inventeur celle dâĂȘtre utile. Jâaime mieux exposer sans art un plan avantageux & Ă©prouvĂ©, que de crĂ©er de brillantes chimĂšres, qui sâĂ©vanouiroient aux rayons purs & rĂ©flĂ©chis de lâexpĂ©rience. PREMIERE PARTIE. Insuffisance des moyens employĂ©s en France jusqu Ă prĂ©sent , pour dĂ©truire la mendicitĂ©. Si la mendicitĂ© devient quelquefois nĂ©cessaire, pour empĂȘcher les indigens de pĂ©rir; elle est sujette Ă des incon- vĂ©niens si fĂącheux, Ă des abus si grands, si multipliĂ©s, si reconnus, que lâEtat doit, sâil est possible , chercher Ă lâabolir, en pourvoyant dâailleurs Ă la subsistance de tous les pauvres. Aussi la plupart des Gouvernemens se souvent occupĂ©s , comme ils le font encore aujourdâhui , de cette partie importante de lâadministration. Combien depuis deux siĂšcles , pour ne pas remonter plus haut, combien dâordonnances, de dĂ©clarations, dâarrĂȘts ont Ă©tĂ© portĂ©s dans la France feule au sujet des mendians ! Tous ces rĂ©glemens sont voir avec quel foin on sâest appliquĂ© depuis long-temps Ă corriger le mal de la mendicitĂ©. Pourquoi donc , malgrĂ© tant de lois , ce mal sâest, il perpĂ©tuĂ©, sâett-il accru mĂȘme au point oĂč il est aujourdâhui ? câest que ces lois ne donnoient que des moyens insuffisans, dont lâeffet fut peu durable. CâĂ©toient sur la MendicitĂ©. 441 de ces remedes palliatifs, qui nâarrĂȘtent le mal que pour un temps , & lui laissent ensuite reprendre son cours. Non, quelque justes que puissent ĂȘtre les motifs des lois quâon portera contre la mendicitĂ©, & quelque vigoureuse quâen soit lâexĂ©cution, on ne rĂ©ustĂŻra jamais Ă la proscrire , tandis quâon nâaura pas fait prĂ©cĂ©der un remede efficace Ă un mal si gĂ©nĂ©ral & si invĂ©tĂ©rĂ©. On crut lâavoir trouvĂ©, ce remede, dans lâĂ©tablissement des HĂŽpitaux Generaux. On se hĂąta dâĂ©lever dans plusieurs villes des Ă©difices immenses, destinĂ©s Ă recevoir un grand nombre de malheureux. On y rassembla beaucoup de pauvres valides & invalides. On y Ă©tablit des manufactures on y fabriqua ; & pour avoir le dĂ©bit, on vendit Ă bon compte. Le plan Ă©toit beau, le projet magnifique, & lâexĂ©cution paroissoit devoir favoriser lâentreprise. Mais a-t-elle Ă©tĂ© aussi avantageuse Ă lâEtat quâon lâespĂ©ro-it ? ne lui a -1 - elle pas mĂȘme Ă©tĂ© plutĂŽt nuisible ? On a fait par-lĂ tomber les fabricans particuliers, & lâon a ruinĂ© plusieurs familles qui lupportoient les charges de la Ville & de lâEtat. Câest ce quâon nâavoit pas prĂ©vu, lorsque lâon commença en France ces grands asiles de la milere. Louis XIV, qui im- primoit Ă toutes ses entreprises un air Ts 444 MĂ©moire de grandeur & de majestĂ© donna la premiĂšre idĂ©e de ces magnifiques HĂŽtels- Dieu , qui ont Ă©tĂ© construits dans plusieurs villes du Royaume, Ă lâimitation de celui de la Capitale. Tel est lâascendant quâobtiennent sur lâesprit des autres hommes les gĂ©nies dâun ordre supĂ©rieur, nĂ©s pour donner le ton Ă leur siede ils les entraĂźnent, ils les maĂźtrisent, & les forcent en quelque forte Ă recevoir fans examen toutes leurs idĂ©es particuliĂšres, qui deviennent celles de la nation. Ce nâest quâaprĂšs une certaine rĂ©volution dâannĂ©es, que lâillusion se disiipe , & quâon a le courage de revenir de la prĂ©vention qui avoit sĂ©duit tous les esprits. Ainsi commence-t-on aujourdâhui Ă ouvrir les yeux fur les inconvĂ©niens & fur le luxe dĂ©placĂ© de ces superbes bĂątimens, destinĂ©s Ă renfermer la pauvretĂ© & lâinfortune. On commence Ă reconnoĂźtre quâil seroit plus humain & mĂȘme plus noble dâemployer au secours des malheureux les sommes que la charitĂ© publique leur consacre, que de parer de dehors brillans lâasile des infirmitĂ©s & de lâindigence. Pour Ă©lever ces somptueux Ă©difices , qui peuvent devenir en un moment la proie des flammes x il a fallu , par ignorance, ou par intĂ©rĂȘt, sây opposent. Câest ce qui fait souvent Ă©chouer les Ă©tablissemens les plus utiles, lorsquâils ne font pas soutenus par des hommes de tĂȘte, dont le gĂ©nie sâĂ©lĂšve au-dessus des obstacles, & les mĂ©prise ou les surmonte. A toutes les objections quâon pouroifr faire , la meilleure & la plus dĂ©cisive rĂ©ponse , câest fans doute lâexpĂ©rience. Que ce projet soit praticable , on ne peut en disconvenir, puisquâil a lieu & le soutient dans plusieurs villes avec la plus grande satisfaction des habitans, qui en sentent de plus en plus tous les avantages. Cependant la plupart des habitans dâune de ces villes le regarderez dâabord comme impraticable 6. Ils y trouvoient des embarras & des difficultĂ©s fans nombre , & lâon peut dire que eet Ă©tablissement y a Ă©prouvĂ© Ă fa nais. ' sance toutes les contradictions que les bons projets ont coutume dâessuyer. Si la chose enfin a rĂ©uffi ; si elle y a pris CâŹ> Lts habitant dâAth, ville da Haiiixut Autrichien. sur la MendicitĂ©, 465 aujourdâhui une confistancĂš solide, on le doit au zele des Magistrats, & fur-tout Ă lâactivitĂ© & Ă la fermetĂ© du Chef de cette ville. Les grandes difficultĂ©s sâĂ©vanouirent bientĂŽt insensiblement les avantages se succĂ©dĂšrent ; & lâon fut Ă la fin surpris de trouver si facile ce qui au premier coup dâĆil avoir paru presque impossible. RĂ©pondons nĂ©anmoins Ă quelques objections les plus spĂ©cieuses, qui pouroient naĂźtre dans lâesprit des personnes mĂȘme les mieux intentionnĂ©es & les plus zĂ©lĂ©es pour le bien public. Plus on dĂ©sire ardemment , plus on craint pour le succĂšs ; & les vains fantĂŽmes quelquefois nâeffraient pas moins que les objets rĂ©els 7 . Vous voulez, dira-t-on, que chaque CommunautĂ© nourrisse scs pauvres mais ce rĂ©glement peut tout au plus sâobserver dans les lieux oĂč il y a beaucoup de per-, sonnes riches , comme en Hollande. Le succĂšs de cet Ă©tablissement ne dĂ©pend point de la richesse de lâendroit. Si la Hollande est trĂšs-riche, le pays dâĆžver- dun est trĂšs-pauvre. Ruremonde , oĂč il nây a point de commerce , nâest certainement pas riche. Cependant on est 7 ' Ves ohjestions suivantes ont rĂ©ellement Ă©tĂ© faites Ă Ath & ailleurs ; Si lâon y a rĂ©pondu I*rĂš5 âŹo;iuie nous le faisons ici. v 5 466 MĂ©moire parvenu Ă y abolir la mendicitĂ© par Ăźe moyen dâune aumĂŽne gĂ©nĂ©rale. On peut âądonc par le mĂȘme moyen lâempĂȘcher par-tout. Dans quelle ville, dans quel village les pauvres meurent-ils de faim ? Ils vivent par-tout de lâaumĂŽne , quoique souvent faite sans discernement ou Ă de prĂ©tendus pauvres. La moitiĂ© de ces charitĂ©s, que la plupart des riches font aux mendians importuns, fuffiroit, fi elle Ă©toit distribuĂ©e par des personnes sages & prudentes * pour nourrir, non plus des fainĂ©ans indignes de tout secours, mais devrais indigens dignes dâĂȘtre aidĂ©s. Dâailleurs fur trente personnes en Ă©tat de donner quelque chose, il nây a souvent quâun pauvre Ă entretenir ; & il est impoflĂźble que ces trente personnes puissent se dĂ©ranger, en fournissant Ă lâentretien de ce pauvre, Ă proportion de leurs moyens. On poura donc faire exĂ©cuter ce rĂ©glement Ă la campagne mĂȘme & dans tous les villages oĂč il y a de la police g. Mais quand il ne pouroit avoir lieu que dans les villes, ceseroit toujours un grand bien , parce que câest S Une personne mâa dit que dans un gros vil. Ăźage de Flandre, un CurĂ© zĂ©lĂ© avoir Ă©tabli cet ordre, aidĂ© seulcimnt de deux des premiers du lieu ; & ils Ă©toieur heureusement parvenus Ă y abolir entier-' ment sa MendicitĂ©. SUR LA Me N DI CI T i. 4§7 dans les villes fur-tout quâon a le plus Ă souffrir des mendians , qui sây multiplient & sây rassemblent davantage. Je conviens , ajoutera-1-on , que ce. projet est excellent pour les petites villes mais il eji presque impojsible de P exĂ©cuter dans les grandes , oĂč le nombre des pauvres est trop constdĂ©rable. Si les pauvres font en plus grand nombre dans les grandes villes , les fondations' & les aumĂŽnes y font aussi en proportion. Ces biens & ces aumĂŽnes y suffisent, non- feulement aux vrais pauvres, mais Ă une multitude de fainĂ©ans, dâautant plus difficiles Ă distinguer des autres, que la ville est plus grande & le nombre des pauvres plus considĂ©rable. Cet Ă©tablissement feroit donc plus nĂ©cessaire encore dans les grandes villes. Plus elles ont Ă souffrir des mendians, plus elles font intĂ©ressĂ©es Ă sâen dĂ©livrer, sâil est possible. Et pourquoi ne le feroit-il pas ? Il ne sâagira que de multiplier les quartiers, & de former plusieurs Bureaux. Si la ville est grande & a beaucoup dâindigens, il sây trouve en mĂȘme temps beaucoup, de personnes pour faire lâaumĂŽne & pour avoir foin des pauvres. Il y a en Hollande plusieurs villes trĂšs-peuplĂ©es & trĂšs-considĂ©rables. Cependant on nây mendie point, & tous les pauvres font secourus. Câest que cette V 6 468 M H M O I R E RĂ©publique , qui,malgrĂ© la diversitĂ© des sectes qui la divisent & des membres qui la composent, a su mettre dans fa police le mĂȘme ordre que dans son nĂ©goce, a Ă©tabli Ă cet Ă©gard une sage discipline. On a soin de la maintenir, parce quâon la regarde comme essentielle au bon ordre & Ă la tranquillitĂ© publique. Les crimes en effet font trĂšs-rares en Hollande, parce quâon nây nourrit pas aux dĂ©pens des vrais pauvres la fainĂ©antise , qui nourrit tous les vices. Ce rĂ©glement nây est pas moins avantageux au progrĂšs des fabriques, des arts & des mĂ©tiers , parce que tout le monde travaille ; & câelt peut-ĂȘtre Ă cet Ă©tablit fernem, que cette rĂ©publique florissante doit une partie de ses richesses & de lâĂ©tendue de son commerce. Combien de. matelots forts & robustes ne lui fournit- il pas ! & combien dâentre euxnâauroient jamais pris cet Ă©tat, fl la douce profeflion de mendianty Ă©toit permise, & auffi lucrative quâailleurs! Ne doutons pas que lâabolition de la mendicitĂ©, entre autres avantages, ne procurĂąt auffi en France aux rĂ©gimens provinciaux bien plus de soldats, & dans la fuite un plus grand nombre dâhommes mieux constituĂ©s, que ne le font dâordinaire aujourdâhui les enfans des rnen- dians. On les voit la plupart contrefaits Sur la Mendiöite. 4S9 a eltropiĂ©s , parce que leurs parens occupĂ©s Ă mendier, les abandonnent oĂč les nĂ©gligent. Ce qui n'arriveroit pas dans le plan que je propose. Les pauvres relieraient eheâ, 5 eux, & y Ă©leveroient leurs en la ns dans lâhabitude du travail, qui les rendroit forts & vigoureux, & les mettrait en Ă©tat de servir le Prince & la Patrie. On ne serait pas obligĂ©., comme on doit le faire dans un HĂŽpital- GĂ©nĂ©ral , de sĂ©parer des personnes que Dieu a jointes ensemble , & dâanĂ©antir un des principaux effets dâun Sacrement qui nâelt pas moins respectable parmi les pauvres que chez les riches. Mais, dira-t-on encore, comment occuper tous les mendiais valides , les obliger au travail ? la plupart nont point appris de mĂ©tier. DĂšs quâune sois on leur aura interdit le mĂ©tier honteux de mendier, ils seront obligĂ©s la plupart dâen apprendre un autre, qui fera plus honorable pour eux & plus avantageux Ă la sociĂ©tĂ©. Chacun choisira celui pour lequel il se trouvera le plus propre, ou qui fera le plus conforme Ă son goĂ»t, fl faudra sans doute dans les commence mens en aider plusieurs de la bourse des pauvres, en attendant quâils se soient mis en Ă©tat de gagner leur vie par le travail mais bientĂŽt ils le seront. Les manufactures, les arts , les mĂ©tiers 3 47 o MĂ©moire lâagriculture, les terrains incultes rĂ©clÂŁ ment en plusieurs endroits les bras oisifs. Ceux qui ne voudraient ou ne sauraient apprendre aucun mĂ©tier , ne pouroient- ils pas ĂȘtre employĂ©s utilement aux travaux publics , Ă lâentretien des chemins, Ă faire une partie de ces corvĂ©es si onĂ©reuses & si prĂ©judiciables aux habitans de la campagne ? Je ne fais quâindiquer ici les principaux moyens de procurer du travail aux mendians valides. Chaque pays a ses ressources & ses travaux. Ceux qui font chargĂ©s de iâadminiitration publique les connoissent, & avec du zele ils trouveront facilement Ă occuper tous leurs pauvres. Je dois leur laisser ce foin, persuadĂ© quâils sentiront eux-mĂȘmes tout lâavantage que le pays en doit retirer. LâEtat est comme une grande famille, dont !e Prince est le pere. Si tous ses enfans gagnent, lâEtat sâenrichit. Si un grand nombre ne gagne rien, & doit tirer sasubsistance de ceux qui travaillent, lâEtat devient pauvre & languit. Ainsi voit-on peu de fruits fur ces arbres, dont les branches parasites & gourmandes attirent Ă elles ce suc prĂ©cieux, qui ne devoir couler que dans les branches fertiles. Il est donc de lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, quâon procure Ă tous les membres de lâEtat sur la MendicitĂ©. 47r des moyens de travailler, parce quâon procurera ainsi Ă tous des moyens donnĂątes de subsister , sans ĂȘtre Ă charge aux autres. Ce travail utile, en prĂ©servant les pauvres des vices dont lâoisivetĂ© est la source, fournira du moins Ă une partie de leur subsistance, & sera toujours par consĂ©quent un profit pour lâEtat, qui les iiourriilbit Ă©galement Ă rien faire. Quand on ne pouroit absolument procurer du travail Ă tous les mendians valides , le plan que je propose nâen seroit pas moins utile. LâAumĂŽne gĂ©nĂ©rale bien administrĂ©e , seroit encore plus que suffisante Ă leur entretien ; puisque dans lâĂ©tat dâoisivetĂ© quâils professent, ils vivent tous de lâaumĂŽne , & que plusieurs y trouvent mĂȘme de quoi nourrir lâivrognerie & la dĂ©bauche. Mais ne craignons pas que les pauvres qui voudront travailler soient souvent dans le cas de rester oisifs , pour peu quâon ait foin de leur mĂ©nager les res. sources que peut fournir chaque canton Ă ceux qui veulent travailler. Dans les lieux oĂč la mendicitĂ© a Ă©tĂ© proscrite, on a presque toujours trouvĂ© de quoi occuper & faire travailler tous les pauvres > & ils sây font la plupart offerts & prĂȘtĂ©s de bonne grĂące. Ce fut, comme nous l'apprend un tĂ©moin oculaire, un spectacle bien satisfit! suit, le lendemain que 472 M Ă. M O I R B la dĂ©fense de mendier eut Ă©tĂ© publiĂ©e h Ath, de Voir des pauvres, qui se di- soierft auparavant infirmes ou estropiĂ©s, devenus tout dâun coup ouvriers valides, aller se prĂ©senter au travail. On vit les filles de ces pauvres sâoffrir pour apprendre Ă filer, tricoter, faire de la dentelle. On vit les garçons courir chez les maĂźtres de diffĂ©rais mĂ©tiers , pour y ĂȘtre J reçus apprentis. Ils furent tous placĂ©s 1 en peu de temps, ou occupĂ©s Ă travailler ' 1 chez eux ; & Ă la seconde visite gĂ©nĂ©- 2 raie quâon fit six mois aprĂšs, on nâen âif trouva que quatre ou cinq qui ne tra- u vailloient point. On vit mĂȘme des vieil- Ă lards octogĂ©naires , des mendians jubilaires , les uns faire des filets , dâautres Ă tricoter, ou tourner le rouet pour mettre Ă plusieurs fils ensemble, en un mot sâoc- ko cuper presque tous Ă faire quelque petit ho travail proportionnĂ© Ă leurs forces & Ă le, leur capacitĂ©. La fainĂ©antise redevint ce to quâelle devroit toujours ĂȘtre, un sujet nĂ© de honte ; & lâoccupation , le seul titre qu lĂ©gitime Ă la nourriture [ VI ]. toi Tel est lâavantage que cette ville a co, retirĂ© dâabqrd de cet utile Ă©tablissement. âą K Elle y gagne tout le travail que font me aujourdâhui ces pauvres & quâils ne fai- Ni soient pas. Les pauvres eux-mĂȘmes nâen bri font devenus que plus heureux. Iis font eu.' charmĂ©s dâĂštre assurĂ©s dâavoir toute lew P sur u MenĂ»icitI 47? vie de quoi subsister selon leur Ă©tat, d'ĂȘtre soulagĂ©s dans leurs maladies, & de nâĂȘtre plus exposĂ©s Ă tous les mauvais temps pour chercher leur pain de porte en porte. Comme ils avoient quelquefois d'abondantes, quelquefois dâin- suffifĂ ntes aumĂŽnes ; tantĂŽt ils man- geoient avec excĂšs , tantĂŽt ils n'avoient pas de quoi se nourrir ce qui ne pouvoit manquer de leur causer des maladies, dont la plupart Ă©toient les victimes. Aussi a-t-on remarquĂ© Ă Ath , que fur cent ^pauvres qui mouroient auparavant dans une annĂ©e, il nâen meurt pas dix aujourdâhui. Combien un tel Ă©tablissement nâest - il donc pas avantageux Ă lâEtat, & digne de lâhumanitĂ©. On conserve la vie des hommes on Ă©pargne Ă ses freies la honte de se mettre aux pieds de leurs semblables on pourvoit aux besoins de tous les indigens aucun nâest oubliĂ© ou nĂ©gligĂ©. Une ville paroĂźt nâĂȘtre plus quâune mĂȘme & grande famille, dont tous les membres concourent au bien commun. ReprĂ©sentez-vous cette quantitĂ© dâhommes fainĂ©ans , devenus ouvriers utiles. Non-feulement ils travailleront Ă vos fabriques & les augmenteront, mais avec eux on en Ă©tablira de nouvelles, parce que la main-dâĆuvre fera plus multipliĂ©e 474 MĂ©moire & coĂ»tera moins, dĂšs que tout le monde travaillera. Dâune multitude dâouvriers nouveaux naĂźtra donc une nouvelle source de richesses. Les mĆurs mĂȘme y gagneront. En enlevant Ă la fainĂ©antise ces nombreux troupeaux de mendians, dont la plupart crou- pissoient dĂšs lâenfance dans une oisivetĂ© infecte & corrompue , combien de vices & de dĂ©sordres le travail aflidu nâextirpera-t-il pas ? Les pauvres, qui ne viendront plus dans nos temples pour y troubler & y importuner la piĂ©tĂ©, mais pour*â y recevoir les instructions de leurs Pat leurs, seront mieux instruits, & plus en Ă©tat dâinstruire Ă leur tour leurs enfans ; au lieu que la plupart de ceux-ci, auparavant fans principes & fans Ă©ducation, renchĂ©rissoient souvent sur les vices de ceux qui leur avoient donnĂ© lâĂȘtre. Ne craignons pas non plus que les pauvres consument auflifacilement en dĂ©bauches lâargent quâils auront reçu pour prix de leur travail. Ce quâon acquiert fans peine, se dissipe vite mais ce quâon amasse difficilement , se dĂ©pense de mĂȘme. Les habitans dâAth, tĂ©moins des heureux effets, que le nouveau rĂ©glement produisent dans leur Ville, en firent si enchantĂ©s , quâils consentirent tous Ă se cotiser volontairement par semaine ou par mois. Ces aumĂŽnes ont suffi, aux sur la MendicitĂ©. 47/ besoins des pauvres , & cependant la plupart des citoyens ont remarquĂ© avec surprise, quâelles nâalloient pas Ă la moitiĂ© de ce que leur coĂ»toient autrefois les aumĂŽnes faites aux mendians, parce quâelles font dispensĂ©es avec plus dâordre & dâĂ©conomie [VII]. Dans chacune des principales auberges de la Ville , on a mis un tronc pour y recevoir les aumĂŽnes des Ă©trangers, qui se sont un plaisir de contribuer Ă un si utile Ă©tablissement. On peut en placer Ă©galement dans les Eglises mais il nâest ni nĂ©cessaire ni peut-ĂȘtre mĂȘme Ă propos dây mettre les quĂȘtes pour les pauvres. Outre que ces sollicitations bruyantes interrompent lâOffice divin & troublent lâattention des affistans , elles deviendront inutiles dans le systĂšme de lâaumĂŽne gĂ©nĂ©rale les personnes charitables donneront chez elles toute lâaumĂŽne quâelles ont envie dĂ©faire. Dâailleurs ces quĂȘtes mĂȘme pouroient nuire. Plusieurs, pour se dispenser de donner aux quĂȘteurs de la Ville, prĂ©texteroient quâils ont donnĂ© aux quĂȘteurs dâEglise. Les premiers une fois rĂ©butĂ©s & dĂ©couragĂ©s, les affaires des pauvres iroient bientĂŽt en dĂ©cadence ; & lâon seroit contraint de laisser renaĂźtre la mendicitĂ©, quâon au. roit eu tant de peine Ă dĂ©truire. Il faut donc prĂ©venir ce mal par toutes 47 6 MĂ©moire fortes de moyens, & il mâen reste encore un dernier Ă proposer. Sâil arrivoit des temps dâune mi fer e extrĂȘme, des calamitĂ©s publiques, de ces jours malheureux, oĂč les riches ont coutume de diminuer leurs aumĂŽnes, au lieu quâilsdevroient alors les augmenter* ou bien si un grand nombre de citoyens aisĂ©s , nâayant plus fous les yeux les pauvres ni leur miser?, nâen Ă©tant plus importunĂ©s, nâentendant plus leurs cris & leurs plaintes, venoient Ă en ĂȘtre moins touchĂ©s & Ă retrancher leurs aumĂŽnes ; en un mot, sâil arrivoit , de quelque maniĂ©rĂ© que ce fĂ»t, que lâaumĂŽne gĂ©nĂ©rale & volontaire ne pĂ»t suffire Ă lâentretien de tous les indi- gens , il faudroit alors que la CommunautĂ© y suppléùt. Puisque le superflu des riches est dĂ» aux pauvres, & quâen le leur donnant ils ne font que payer une dette, quâacquitter une de leurs plus justes & de leurs plus indispensables obligations ; une imposition fur le superflu seroit sans doute le moyen le plus propre & le moins onĂ©reux au peuple , pour supplĂ©er en cas dâinsuffisance. Mais comme il seroit souvent assez difficile de dĂ©terminer le superflu , & que plusieurs nâen convien- droient pas, car il y a des personnes qui nâont jamais assez ; le moyen le plus simple & le plus facile, lorsque la Corn- sur la. MendicitĂ©. 477 munautĂ© nâaura pas de biens quâelle puisse appliquer Ă cet usage, seroit peut-ĂȘtre dans ces cas extraordinaires, de mettre, avec la permission & lâautoritĂ© du Souverain , un lĂ©ger impĂŽt fur tous les citoyens. Je dis fur tous les citoyens fans exception lorsque les pauvres font dans une grande nĂ©cessitĂ©, la loi divine & la loi naturelle nâexemptent de lâaumĂŽne que ceux qui ne peuvent absolument la faire. Cette taxe pouroit se lever avec la taille, & mĂȘme Ă proportion de la taille rĂ©elle ou personnelle. Je ne doute pas que les privilĂ©giĂ©s ne soient les premiers Ă donner lâexemple, & ne veuillent ĂȘtre Ă la tĂšte dâun impĂŽt si honorable. Peut-ĂȘtre que dans ces momens de crise , le Roi lui-mĂȘme, instruit & touchĂ© des grands avantages que procure Ă lâEtat un si bel Ă©tablissement, se prĂȘtera volontiers Ă le soutenir , en y consacrant quelques portions des revenus de lâEtat ou de lâEglise. Les pauvres ne font - ils pas aussi les en fans ? Il faut dâune nĂ©cessitĂ© indispensable, que les indigens soient nourris & secourus il faut, Ă quelque prix que ce soit, dĂ©livrer la sociĂ©tĂ© du flĂ©au funeste de la mendicitĂ©. FallĂ»t - il pour un si grand bien tolĂ©rer une taxe, cette taxe devrait ĂȘtre dĂ©sirĂ©e de tout bon citoyen. Mais elle nâaura lieu tout au plus que dans 4? 8 MĂ©moire quelques cas rares & momentanĂ©s. Les aumĂŽnes libres des personnes bienfaisantes , & une bonne administration de ces aumĂŽnes , jointes au travail des pauvres mĂȘmes , suffiront dâordinaire pour les nourrir, comme elles ont suffi jus. quâĂ prĂ©sent dans plusieurs villes , oĂč lâaumĂŽne gĂ©nĂ©rale est Ă©tablie. On y voit des personnes riches & charitables qui, convaincues que lâaumĂŽne bien faite,loin dâappauvrir , est souvent une nouvelle source de bĂ©nĂ©dictions & de richdsos, donnent tous les ans pour les pauvres le dixiĂšme de leurs revenus , dâautres le quinziĂšme; & ils ne font peut-ĂȘtre en cela que satisfaire Ă lâobligation oĂč font tous les hommes de faire lâaumĂŽne selon leurs facultĂ©s. Mais quand toutes les personnes capables de contribuer , ne so cotiseroient quâĂ une somme modique, cela suffirent presque toujours pour soulager & entretenir tous les indigens. Il seroit bien plus beau, plus noble , plus gĂ©nĂ©reux de se taxer ainsi soi-mĂȘme. Auffi ne proposons-nous lâautre moyen quâĂ regret, & comme la derniere ressource dans les cas extrĂȘmes, oĂč le salut du peuple devient la premiĂšre loi [ VIII ]. Loin de redouter cette imposition dans les temps mĂȘme les plus fĂącheux, les personnes qui ont de lâhumanitĂ© la dĂ©sire- 1 zont, persuadĂ©es que dans tous les temps '' J sus. la MendicitĂ©. 47- la CommunautĂ© doit nourrir ses pauvres , soit quâils mendient ou quâils ne mendient pas. Les seuls riches avares & inhumains la craindront ; & en effet elle ne tombera que fur eux; au lieu quâelle dĂ©chargera les autres qui par charitĂ© & par compassion donnoient au-delĂ de leurs moyens. Nâest-il donc pas juste que tous contribuent Ă la nĂ©cessitĂ© publique , dans les circonstances oĂč les personnes charitables se trouvent si surchargĂ©es, quâelles ne peuvent suffire Ă soulager tous les malheureux ? Et quel inconvĂ©nient y a-t-il en ce cas Ă rĂ©gler, par la loi du Prince, des cotisations & des taxes, que des Ăąmes dures & des coeurs impitoyables ont rendues nĂ©cef. faires ? Mais faisons plus dâhonneur aux riches ; & Ă la gloire dâun siecle oĂč les personnes de distinction, fur les traces des Souverains, sâempressent Ă donner tous les jours des marques Ă©clatantes de bienfaisance & dâhumanitĂ©, pensons assez bien du plus grand nombre, pour espĂ©rer quâils se prĂȘteront avec zele Ă contribuer de leurs biens Ă lâĂ©tablissement le plus avantageux peut-ĂȘtre quâon puisse faire pour la sociĂ©tĂ©. Etablissement le plus propre , osons le dire, le seul propre Ă dĂ©truire la mendicitĂ©, sans rendre les mendians malheureux ; puisque de tous 4$o MĂ©moire les moyens quâon a employĂ©s jusquâĂ prĂ©sent , câest le seul qui ait parfaitement rĂ©uffi, & qui se soit le plus constamment soutenu. Je parle dâaprĂšs lâexpĂ©rience, qui dĂ©pose unanimement en faveur de ce systĂšme ; & sâil en falloir encore des exemples aprĂšs tous ceux que jâai dĂ©jĂ rapportĂ©s, celui de la ville de Courtrai en Flandres, qui vient de lâadopter, pou- roit venir Ă lâappui. En trĂšs-peu de temps tout y fut arrangĂ© sans obstacle, Ă la satisfaction gĂ©nĂ©rale des citoyens , qui ne peuvent trop se louer aujourdâhui du changement prompt & universel, que ce nouveau rĂ©glement a produit dans leur ville , en faveur du commerce, des mĆurs , de lâordre & de la tranquillitĂ© publique [IX]. Pourquoi ne pouroiton pas exĂ©cuter en France ce qui se pratique dans cette ville & dans plusieurs autres avec tant de succĂšs & dâavantage ? Ne nous faisons point un faux honneur de ne pas vouloir ĂȘtre ici les imitateurs des autres peuples , nous qui les imitons si volontiers en dâautres choses bien moins importantes. Adoptons fans peine ce quâils ont de meilleur ; A suivant le gĂ©nie propre Ă notre nation , perfectionnons-le mĂȘme, sâil est possible. A la place de ces fondations magnifiques , mais insuffisantes & plus brillantes quâutiles i Ă la place de tanh sur la. MendicitĂ©. 481 tant dâaumĂŽnes, quâune foule importune de mendians nous arrachent tous les jours fans reconnoissance comme fans mĂ©rite ; Ă la place de tant de charitĂ©s mal distribuĂ©es , & plus propres Ă entretenir ĂŻa fainĂ©antise quâĂ soulager lâindigence, substituons une aumĂŽne gĂ©nĂ©rale, une sage distribution, une prudente Ă©conomie , des travaux lucratifs, qui puissent fournir aux besoins rĂ©els de tous les vrais pauvres. Tous les indigens seront nourris , tous les fainĂ©ans occupĂ©s, tous les malheureux secourus , tous les pauvres malades soulagĂ©s. Sans ĂŽter entiĂšrement de dessus la terre la pauvretĂ© , qui dans les desseins de la Providence y est nĂ©cessaire, on abolira pour toujours la mendicitĂ© qui y est au moins inutile. Loin dâen ĂȘtre plus misĂ©rables, les mendians eux-mĂȘmes nâen deviendront que plus heureux, en devenant plus utiles Ă lâEtat, , Fin du MĂ©moire, Tome III. X 4ga SupplĂ©ment au MĂ©moire gâ , = "V!rr!r;. Sa^^5Ăż= !â!- » SUPPLĂMENT A U MĂMOIRE SUR LA MENDICITĂ. [J. ] P ar-todt il a fait'connaĂźtre les vĂ©ritables pauvres , &c. Câest le tĂ©moignage que rend Ă cet Ă©tablissement avantageux lâAuteur de /â EncyclopĂ©die Ă©conomique , rustique 'est politique , imprimĂ©e Ă Yverdun, petite ville assez peuplĂ©e du pays de Vaud en Suisse. Ce pays, situĂ© au nord du lac de Geneve, aLausanepour capitale, & sept ou huit autres petites villes. Le rĂ©glement dont je parle, fut dâabord Ă©tabli Ă Yverdun oĂčil se pratique depuis 1760, & fut successivement adoptĂ© par les autres villes de ce pays. [ IL ] La maniĂ©rĂ© dont cela se fait dans line petite ville de Flandres , efl aujst Ămple que facile. Câest Ă Ruremonde , ville des Pays-Bas Autrichiens. La police qui sây observe Ă lâĂ©gard des pauvres , est digne de servir de modele. Le plan en a Ă©tĂ© donnĂ© par un zĂ©lĂ© citoyen, qui avoit parcouru Ă ce dessein plusieurs ContrĂ©es de lâEurope, pour y recueillir tout ce quâil trouveroit de mieux en ce genre, Ă son retour, il a fait de trĂšs-beaux 6 uR la MendicitĂ©. 48; rĂ©glemens, qui ont dĂ©livrĂ© fa patrie de la mendicitĂ©. Ils sây observent depuis plus de vingt ans, Ă lâavantage des pauvres & de tous les habitans. Câest Ă de tels bienfaicteurs de lâhumanitĂ© quâon devrait Ă©riger des statues. [ III. ] Dans quelques endroits on fait la qucte toutes les semaines , Uc. LâApĂŽtre recommandoit aux premiers fidelles de mettre de cĂŽtĂ© un des jours de la semaine ce que chacun dâeux avoit intention de donner Ă la quĂȘte qui se faisoit pour leurs freres iudigens i . On a vu parmi nous des maĂźtres charitables, & entrâautres M. JS * * *, un des meilleurs Imprimeurs & Libraires de Liege , engager tous leurs ouvriers parleurs conseils & par leur exemple , Ă rĂ©server une petite partie de ce qui leur revenoifc chaque semaine de leur travail, pour la bourse des pauvres. Cette lĂ©gĂšre aumĂŽne dont ils ne sâappercevoient presque pas, ils la faisoient avec joie, non-seulement par charitĂ©, mais parce quâils pouvoient eux-mĂȘmes se trouver dans le cas un jour dâavoir besoin de lâaumĂŽne gĂ©nĂ©rale. La plupart des personnes du commun font austiplus en Ă©tat & donneront plus volontiers une petite somme chaque semaine, quâune plus considĂ©rable tous les mois. i De. coilettĂŻs autem çuet fiunt in san&os j 7c. i. Cor. 16. X 2 434 SupplĂ©ment au MĂ©moire On fait Ă Sedan la quĂȘte pour les pauvres tous les Dimanches & les plus grandes FĂȘtes de lâannĂ©e. Ce font les Dames qui la font tour Ă tour. Un des principaux de la ville leur donne la main, & les conduit dans toutes les maisons & les assemblĂ©es. On assure que pendant cette quĂȘte elles font plusieurs fois obligĂ©es de vider leur bourse dans une plus grande , quâelles font porter par leur domestique qui les fuit. On refuferoit souvent Ă son Ă©gal, quâon nâose le faire Ă une personne au-dessus de foi, & surtout aux Dames, qui naturellement font plus persuasives & plus engageantes que les hommes , pour les bonnes Ćuvres auxquels"s elles sâintĂ©ressent. [iV. J On lui associera deux sous-maĂźtres , gjfc. comme on le fait Ă K lire- monde. Chaque propriĂ©taire de maison y est obligĂ© dâĂȘtre maĂźtre de quartier Ă son tour pour un an. Il a pour adjoints ou fous-maĂźtres les deux propriĂ©taires voisins , & lâun dâeux lui succĂ©dĂ© lâannĂ©e suivante. Personne nâest exempt de cette charge; il faut la faire par soi-mĂȘme, ou mettre quelquâun Ă sa place. Si lâon trouvoit dans chaque quartier deux ou trois personnes zĂ©lĂ©es, qui voulussent ensemble se charger pour toujours de cet emploi, cela leroit peut-ĂȘtre encore mieux. Cette peine, qui dâailleurs ne sur la MendicitĂ©. 48s seroit pas fort grande , parce quâils se- roient plusieurs pour sâaider ou fe supplĂ©er, tire du sein de la religion & de la charitĂ© un prix insini. [ V. ] Ils faifiront & mĂšneront Ă la maison de force tous ceux quils trouveront mendier, ÂŁÂŁ c. Je crois quâon doit mettre quelques modifications Ă la dĂ©fense gĂ©nĂ©rale de 1 ailier entrer aucun pauvre ou mendiant, & Ă celle de leur faire lâaumĂŽne. Il peut se trouver des indigens , qui soient obligĂ©s de passer par un pays pour retourner dans le leur. Une calamitĂ© survenue dans une contrĂ©e voisine, ou lâimpuillance dâen soulager tous les pauvres, peut forcer ses malheureux ha- bitans Ă chercher dans les pays voisins de quoi subvenir Ă leurs pressans besoins. Dans ces cas & quelques autres semblables, leur refusera-t-on inhumainement les secours qui leur font nĂ©cessaires '{ & ne vaut-il pas mieux ĂȘtre trompĂ© quelquefois par de faux certificats, que de sâexposer Ă violer la loi divine & naturelle , qui ordonne de traiter charitablement les Ă©trangers lorsquâils viennent pour demeurer quelque temps ou quâils passent, & de prĂȘter une main secoura- ble Ă tous les pauvres 2 qui se trouvent 2 Frange efurunti pcntm tuum , cgznos va^ofjuc induc in Ă omum tuam , ifsc. II. /S. Frxcipio tibi ut aperias m&num fratrituo egcno O" pauperi. Deuter. 15. X Z 485 SupplĂ©ment au MĂ©moire dans la nĂ©cessitĂ©, puisquâils font tous nos semblables & nos freres? Le besoin unit tous les hommes par les liens respectables de lâhumanitĂ©, & fait de lâunivers entier une sociĂ©tĂ© dâamis qui doivent sâentrâaider rĂ©ciproquement. Mais aprĂšs avoir lu & examinĂ© les certificats des pauvres Ă©trangers, il faut les conduire Ă lâHĂŽpital ou Ă la personne chargĂ©e de la bourse des pauvres , afin dâen recevoir une lĂ©gĂšre aumĂŽne, fans leur permettre de mendier dans lâendroit. Pour veiller Ă la manutention de ces divers rĂ©glemens , & pour parvenir Ă purger entiĂšrement un pays de vrais bandits & vagabonds, rien ne seroit peut-ĂȘtre mieux que lâĂ©tabliiĂźement dâune MarĂ©chaussĂ©e , composĂ©e dâun certain nombre dâhommes bien armĂ©s. Câest la plus grande terreur quâon puisse donner aux voleurs & aux coquins, Ă qui la couleur feule de lâuniforme impose. PrĂ©tendre dĂ©truire la mendicitĂ© dans lâintĂ©rieur du pays fans en garderies entrĂ©es, ce seroit vouloir Ă©puiser les eaux dâune riviere, fans avoir dĂ©tournĂ© les sources qui les augmentent. La levĂ©e & lâentretien dâun tel corps si nĂ©cetĂźaire Ă la furetĂ© publique, coĂ»teroit beaucoup moins & ferviroit bien davantage, que ces patrouilles quâon fait en plusieurs endroits, & qui delĂ maniĂ©rĂ© sur la MendicitĂ©. 487 dont elles se sont,sont aussi inutiles quâonĂ©reuses. Câest ce qui avoit engagĂ© quelques villages du ComtĂ© de Namur, Ă substituer Ă la place un homme de la MarĂ©chaussĂ©e de Bruxelles, quâon avoit fait venir. Uveilloit fur quatre ou cinq villages , & il Ă©toit payĂ© par tous ceux qui Ă©toient obligĂ©s de faire la patrouille. Une personne qui a Ă©tĂ© chargĂ©e plusieurs annĂ©es de faire la rĂ©partition de ce que chaque contribuable devoit donner pour sa part, mâa dit que chacun dâeux nâeu Ă©toit par an quâĂ neuf ou dix fous du pays , qui font quinze ou seize sous de France ; & quâon ne voyoit plus aucun coquin ou vagabond. Un si utile Ă©tablis- sentent, qui subsiste encore dans plusieurs endroits de la Flandre, dura trop peu dans ceux dont je parle. Lâhomme de la MarĂ©chaussĂ©e fut renvoyĂ©, & les patrouilles furent rĂ©tablies par les intrigues dâun Maire qui retiroit quelque profit, lorsquâelles se faisaient, ou plutĂŽt , lorsquâelles se faisaient mal. LâintĂ©rĂȘt particulier sera-toujours le plus grand ennemi de lâintĂ©rĂȘt public. [ VI. ] L'occupation , leseiil titre legitim Ă la nourriture. On doit distinguer les gueux proprement dits, câest-Ă -dire , ceux qui le font par libertinage & par paresse, de ceux que la foiblesse de lâenfance , la caducitĂ© de la vieillesse, les 488 SupplĂ©ment au MĂ©moire infirmitĂ©s empĂȘchent de gagner leur vie par le travail. Câest un devoir indispensable de la charitĂ© chrĂ©tienne, & de iâhu- manitĂ© mĂȘme, de contribuera la sustentation de ces derniers. Mais câest aux hommes robustes Ă se charger de la portion du travail des infirmes , & les gueux nâen font pas exempts ; & câest dâeux surtout que lâApĂŽtre a dit que qui ne veut point travailler , ne doit pas manger . lien donnoit lui-mĂȘme lâexemple aux ChrĂ©tiens de la primitive Eglise , en travaillant Ă des ouvrages de tapisserie, afin de ne pas leur ĂȘtre Ă charge. Le travail doit ĂȘtre la premiĂšre ressource du pauvre ; A les personnes mĂȘme dĂ©chues, qui prĂ©tendroient, par rapport Ă leur naissance ou Ă leur Ă©tat, quâelles ne doivent rien faire, seroient indignes dâĂȘtre aidĂ©es de lâaumĂŽne publique. Lâhomme est nĂ© pour le travail ; & lorsque Dieu lui en imposa la peine, ce fut en la personne du premier & du plus ancien des nobles. Un fainĂ©ant doit ĂȘtre regardĂ© comme un monstre dans la sociĂ©tĂ© dont tous les membres doivent concourir au bien commun , par des travaux de lâeiprit ou du corps, en travaillant soi-mĂȘme ou en dirigeant le travail des autres. Il est des travaux honnĂȘtes, dont les personnes de nalliance & les com- plexions les plus dĂ©licates font capables, sur la MendicitĂ©. 4M Celui qui a pu sâadonner Ă des exercices & Ă des plaisirs fatigans, peut bien se prĂȘter Ă des occupations moins pĂ©nibles, pour avoir du pain , fans que {a p preise lui fasse trouver dans sa naissance un motif dâĂȘtre Ă chargĂ© au public. [Vil.] Elles n alloient pas Ă la moitiĂ© de ce que leur alitaient autrefois les aumĂŽnes faites aux mendians , &c. A peine le dessein fut-il formĂ© en Saxe dâabolir la mendicitĂ©, que tout le monde sâem- preilĂ de seconder un projet Ci utile , & lâon comprit quâon ne pouvoir lâexĂ©cuter que par le travail. ,, On employa , dit le Baron de Bielfe'ld , les mains des mendians Ă filer la laine & le coton, Ă tailler des bouchons de bouteille, Ă prĂ©parer le chanvre pour la corderie , & Ă dâautres travaux faciles Ă apprendre. LâexpĂ©rience mâa fait connonre, ajoute-t-il, quâau bout de dix ans on nâa plus eu Ă nourrir que quatre cents pauvres dans une vide capitale , qui contenoit au moins ce'ht mille habitans. Lâentretien de ces quatre cenrs personnes coutoit» par annĂ©e commune , environ huit Ă neul nulle Ă©cus dâAllemagne ce qui revendit Ă vingt ou vingt-deux Ă©cris par tĂšte. Les memes quatre cents personnes peuvent encore gagner par leur travail quatre nulle Ă©cus par an. Ainsi chacun de ces pauvres coĂ»te Ă lâEtat dix Ă©cus, Xf 49o SupplĂ©ment au MĂ©moire pour lesquels il peut ĂȘtre honnĂȘtement vĂȘtu, logĂ©, chauffĂ©, nourri ; & cent mille citoyens ne contribuent que quatre mille Ă©cus ou quelques liards par tĂȘte Ă ce sage Ă©tablissement,. qui les affranchit de toutes les vexations des mendians. â [ VLII. ] Dans les cas extrĂȘmes , oĂč le salut du peuple devient la premiĂšre loi. Il nâest point de vrai citoyen , qui ne dĂ©sire de voir la mendicitĂ© abolie, au moyen mĂȘme dâune contribution plus forte que la somme quâil emploie pendant le cours de lâannĂ©e en aumĂŽnes. Dans le cas oĂč la libĂ©ralitĂ© feule ne suffiroit pas, on poĂčroit, comme on le fait dans quelques endroits, mettre en faveur des pauvres des impĂŽts sur les chevaux, fur les chiens 9, fur les cartes, fur les assemblĂ©es de jeux, fur tous les spectacles & divertĂ»fĂȘmens publics. L es plaisirs font toujours ce qui coĂ»te le moins ; & nâest- il pas juste que ceux qui les goĂ»tent, contribuent au soulagement des malheureux qui souffrent? Comme les impĂŽts qui ne tombent pas fur le peuple ne font point destructifs, on pouroit auili taxer les maĂźtres 3 On mâa dit que dans un gros village oĂč lâon avoit mi une taxe fur les chiens, on avoĂźt tuĂ© plus dâune vingtaine rte ces animaux, HU, jnangeoisnt lu jisiu futilement. sur la MendicitĂ©. 491 Ă proportion de leurs domestiques & de leurs Ă©quipages, faire payer les galons , les dentelles, les broderies, les Ă©toffes prĂ©cieuses. Les personnes qui ont le moyen de les porter , nâen, souffriront pas beaucoup; & celles qui veulent se rstettre au-dessus de leur condition , mĂ©^ ritent bien de payer leur folie, il est bon, sur plus dâun objet, de tourner au profit des pauvres , le ridicule de ceux qui ne le font pas. [ IX. J En faveur du commerce, des mĆurs , de Cordre est de la tranquillitĂ© pu~ blique. Si lâon consulte lâEcc'Rustique & le SĂ©culier, le Noble & le Roturier, le Citoyen riche & celui qui ne lâest pas; tous se plaignent de la multitude des pauvres & des vexations quâils eu Ă©prouvent. Mais ce qui se passe Ă cet Ă©gard dans les villes, nâest nullement comparable Ă ce quâen souffrent les habi. tans de la campagne , oĂč les mendians, moins gĂȘnĂ©s par la Police,' demandent avec un certain empire, exigent mĂȘme avec insolence, & souvent peu contens de la charitĂ©, la reçoivent avec menace. Quâon se figure le spectacle hideux dâune troupe de mendians, qui se prĂ©sentent sur le soir Ă lâhabitant de la campagne, pour demander lâhospitalitĂ©. Osera-t-il la leur refuser ? il sâexposeroit Ă leur ret sentiment La leur accordera-t-il? fa X 6 492 SupplĂ©ment au MĂ©moire maison en sera toujours pleine*, & le gueux, qui sent bien quâil entre plus de crainte que de compaiĂŻion dans cette complaisance, nâen est que plus insolent & plus Ă craindre. Comme ces troupes aussi redoutable^ que crasseuses de gueux, quâon voit quelquefois dans les campagnes, nây ont pour lâordinaire ni feu ni lieu, elles se retirent dans les bois, dans les cavernes, dans les petits cabarets , y font des mariages crapuleux , & y commettent des horreurs. Câest de ces bandes de mendians, que sortent souvent les voleurs, les incendiaires, & tous les genres de scĂ©lĂ©rats qui infestent les villes & les campagnes. Tant dâabus & de dĂ©sordres ne font que trop sentir la nĂ©cessitĂ© dâĂ©tablir pour les campagnes, comme nous lâavons dit â une espece de MarĂ©chaussĂ©e elle les purgera des bandits & vagabonds , & servira Ă y maintenir une police, au moyen de laquelle, en obligeant chaque CommunautĂ© de nourrir ses pauvres, on poura, ainsi que dans les villes, y abolir entiĂšrement la mendicitĂ©. Dans les malheurs particuliers, ou lorsquâun vidage ne sauroit absolument nourrir tous ses pauvres , on ordonnĂšrent pour eux des quĂȘtes ailleurs , oĂč , ce qui vaudroit fans doute encore mieux, il faudroit avoir sur la MendicitĂ©. 49; dans les principales villes de chaque canton un fonds public, destinĂ© Ă fournir des secours prompts aux besoins pressans dans lesquels pouroientse trouver quelquefois les pauvres des villages circon- voistns. Les Seigneurs de ces endroits, & fur-tout ceux qui nây demeurent point & qui en retirent la principale richesse fans y rien dĂ©penser , ne doivent-ils pas aufli alors signaler leur bienfaisance & leur charitĂ©, comme lâa fait une Dame Lspagnole dans un village du ComtĂ© de Namur ? Instruite par une personne zĂ©lĂ©e & charitable de lâĂ©tat de ce village qui lui appartient, elle a ordonnĂ© , pour remplir ses justes obligations, quâon dit tribuĂ t aux pauvres du lieu une certaine quantitĂ© dâargent ou de pain ce qui sâexĂ©cute. Heureux les villages qui ont le bonheur dâavoir des Seigneurs si humains & si disposĂ©s Ă soulager les malheureux ! Fia du trtffieme & dernier Volume » 494 " 3 * TABLE DES MAXIMES Contenues dans le troisiĂšme Volume. XXV. J^ eprknez J ans aigreur , p. r Louez fansflatterie, 2o Ne mĂ©prisez personne ; 50. Entendez raillerie, 74 XXVI. Fuyez les libertins , f 9. Les fats , 70. gy / pĂ©dans , 7 7 ChoifiĂez vos amis, 84 - Voyez dâhonnĂȘtes gens, 104 XXVII. Jamais ne parlez mal des personnes absentes, 110 Badinez prudemment les personne .r prĂ©sentĂ©s, 12? XXVIII. Consultez volontiers, Evitez les procĂšs, If 2 OĂč la discorde regne, apportez- y la paix , 1 sS Avec les inconnus usez de dĂ©fiance, 164 Avec vos amis mĂȘme ayez de la prudence, 170 Point de folles amours, 176. Ni de vin , 205. Ni dejeux , 212 Ce font lĂ trois Ă©cueils en naufrages fameux, 21 J XXIX. XXX. TABLE. 49s XXX!. Sobre pour le travail, Le sommeil, 263. Et la table, 270 XXXII. Jouez pour le plaisr, & perdez noblement , 287 Sanr prodigalitĂ©, dĂ©pensez prudemment , 294 XXXIII. Ne perdez point de temps Ă des choses frivoles , 510 Le sage tft mĂ©nager du temps & des paroles, 419 XXXIV. Sachez Ă vos devoirs immoler vos plaisirs, . Et pour vous rendre heureux modĂ©rez vos dĂ©/ir s, XXXV. AT demandez Ă Dieu ni grandeur ni richesse, 570 pour vous gouverner , t/c- mandez la sagesse , 593 Portrait de l'honnĂȘte homme es du e ' . MĂ©moire fur la MendicitĂ©, I. PARTIE. Insussance des moyens employĂ©s pour la dĂ©truire, 440 II. PARTIE. Moyens propres Ă lâabolir , 449 46s 482 RĂ©ponses aux cbjeflionr, Sur? m e nt au MĂ©moire , Fin de la Table da troisiĂšme Volume. 495 TABLE OUE Des traits dâHistoire N des autres pria - , cipales matiĂšres contenues dans les trois Volumes. N. Ă. Le^second & le troisiĂšme Tome sont indiquĂ©s par les chiffres romains II k & III . A. AbBE noble qui dit la messe, II, 334 Qui plaide, TU, 137 Acard 3c un petit-maĂźtre, II, 280 Achat & vente injustes, IL 237 Adrien^ Empereur, ne se venge pas, II, 249 AdultĂ©rĂ© , grand pĂ©chĂ©, III, 182 Affligions , leurs avantages, II, 422 Agatocle , fils dâun Potier, IL 3 S 3 AgĂ©fJns qui a fait une promesse , 21 2-2 r 3 AlbcronĂź officieux, 219 Alexandre-h- Grand 3c les Scythes, 448 Et un Pirate , 449 Et un Historien flatteur., III, 25 Sa mort, 27Z Il se bouche une oreille, 4t6 Alexandre IX. Duc de Savoie, & un chasseur, II, 201 Alexis Comnene prisonnier, IL 394 AlgĂ©rien reconnoiffmt , 421 AĂźipe , Magistrat incorruptible, II, mç Aux spectacles , III, '.HZ Allemand % terme de mĂ©pris, III, 40 Alphonse - h - Grand , humain , 434 Chez un Joaillier, III, lit 1 Aljhonfe louĂ© de sa noblesse, II,'330 Alphonse le Courageux , sa ALPHABETIQUE.. 497 rĂ©ponse sur un songe* III, 131 Alphonse IX ne vend p?8 la ßà , II, 312 Alphonse , sa soumisĂŻĂŻni Ă son pere, 385 Aman orgueilleux, II, 340 Ambassadeur Turc & une Dame, 262 de France malade, II, 149 Et un Lord , III, 40 Et des Dames fardĂ©es , 132 Amboise Cardinal , prĂȘte gĂ©nĂ©reusement, II, 1 6 Ami parvenu qui mĂ©con- noĂźc, III, 90 Qu? demande une chose injuste, 99 Qui trompe son ami , 172 , 173, Ls suiv. Ami des enfans, III, 63 v Amour criminel, s'S peines, III, 175 Sa honte , 1S4 , 190 Ses effets funestes, 220 Ses punitions , 227 Ses remcdĂŻS & prĂ©servatifs , 23 L Amwt & Charles IX, III, 395 Anaxirnenes , grand parleur , Il, 29? oindre, Marquis de Saint- & Mrde Louvois, III , 18 ^Anglois qui fe coupe la gorge, 149 Qui ne paye pas ses ouvriers, 296 Humain & sensible, 434 Devenu SecrĂ©taire dâEtat, II, 342 Animaux sauvages ou do. mestfques, 142 ExcĂšs blĂąmable , III, 74 Anne de Bretagne & Louis XII, 318 Anne d'Autriche ne s 1 afflige pas , II, 262 Anne de Bolden , fa fin malheureuse, III, 1S4 Antoine , 'S. son respect pour les EcclĂ©siastiques, 40Ă Apeiles , Peintre cĂ©lĂ©brĂ©, III, 139 Argent , son usage » JTT . 326 AriĂtype & un pere, 100 Et Eschines, II, 264 Sa rĂ©ponse Ă un grand Lecteur, III, 318 ArnavdU rĂ©vĂ©lĂ© son secret, II, 322 Arruis & BourdaĂźoue Il, 302 Artaxerxes fait un repas groffisr, III, 2S4 AubignĂ© jette au feu des papiers, II, 211 Conseille Henri IV, III, 1Z6 Augufie traitĂ© familier», ment, II, 53 Ce que lui dit un accuse, 58 Regrette deux amis , III, 87 AumĂŽne* Ă qui il faut U faire, II, 171 Elle nâ p s, 195 TABLE 498 1faux prĂ©texte de ne la pas faire , ] 90 & 198 Combien on doit donner,* 193 Obligation de safte lâaumĂŽne , 441 plutĂŽt pendant fa vie , III* 413 Aux pauvres Ă©trangers* IJT, 485 Dumont , EvĂȘque h. main , II. 339 xAurengzeb , Empereur du Mogol, HI, 347 ^Avare y faux gĂ©nĂ©reux, 427 ComparĂ© avec le prodigue, 111,299 Avre qui donne un repas, 5c 9 Avare misĂ©rables 391 ^Aveugle qui se c'nfoĂźe II, 384 Avocat fĂąchĂ© dâavoir menti, 2C 1 B. BaBIIXARD eft Ănsup. portable, II, 289 Eli difficile Ă corriger, 290 Bacon , fa rĂ©ponse fur fa maison de campagne * II. 351 Sur un homme grand, III, 37 Bals, III, 253 Barnevelt , Dame , fa rĂ©ponse , 463 Les juges de son mari, HI , 132 B+ijsoĆiierrc , MurĂ©vhâ! , fe dit plus jeune , II, 323 Boit dans fa botte , III, 209 Bautru , son bon mot fur la justice, III, 153 Bayard , II, 165, 222 Bayle, ses doutes, II, IZL BĂ©nĂ©dicitĂ© 8c les grĂąces, III, 28Z Benoit XII , fa belle rĂ©ponse, III, 414 Benoit , Dame, fe ^end aimable, 282 Bernard , PrĂȘtre pieux , NI, 3SĂ Bernards Demoiselle, PoĂšte , III, Z68 Berry, Duc de & son Sous-Gouverneur, 56 Et un Officier rĂ©formĂ© , 73 Biefsdd , son tĂ©moignage, . III , 489 Blanche & S. Louis, 154 Boivault , Dame , son Ă©loge, III, 33C , sa mort, II, 12Ă Son beau trait, III, 123 Boqz , Ă©poux de Ruth , II, 444 Boucicaut salue des Courtisanes, 273 Boulanger impie converti, II, 144 Bourgeoise jolie 8c vertueuse, III, 194 Bourgogne, Duc, pe it-fils ce Louis XIV, & un vieux Offi-ier, 262 Petit Ă de Louis XV, ALPHABETIQUE. 499 & son Gouverneur , III, 401 Brtbevf , ce quâil dit dâun grand parleur, II, 237 C. CaUFE avare, II, 16Z CallisthĂšne , ami , III, 94 Cambise louĂ© par CrĂ©fus, III, 23 Canut & la mer, 139 Leben, II, T6S Capucins traitĂ©s Inhumainement, 441 Cardinal & son chapeau , II, 319 Cajsagne satirisĂ© , III , i i 5 CaJJien , ses mouvemens de colĂšre, > Castelnau , ses seutimens Ă Ja mort, III, Z67 CatechiĂse historique, 19 Philosophique, III, 43 Catherine de MĂ©dicis pardonne , II, 247 Catinat modeste aprĂšs une victoire, II, Z67 Caton se repeutoit de trois choses, II, 320 CĂ©lius & lin complaisant, 223 Chantal , II, 196 Chapelain , ami peu gĂ©nĂ©reux, 427 Sa mort, III, 306 Chapelle ivre, III, 205 Charbonnier , sa foi , II, 78 Charlesll , Rci dâEspagne, 11; 52 Charles I V , Empereur » & un traĂźtre , 45 5 Charles-Quint . Si un criminel dâEtat, 440 Et deux Dames, Il, 348 Il abdique la couronne , III, 372 Charles VII\ Roi de France , III, 343 Charles VIII , est secret, II, 317 Charles IX St un Gentilhomme, III, 17 Charles XII, Roi de SuĂšde , St un domestique , 43L Et la Reine sa mere, III, Il dort peu, 265 Vit frugalement, 27Ă Charles , Roi de Naples, Si un vieux cheval, III, 348 Charles BorrotnĂ©e S . malade, II, 385 II renvoie les mĂ©decins, III, 2S0 Charkval , PoĂ«te, meurt vieux , III , 36ÂŁ Chinois Si un mauvais PrĂ©cepteur, ICS Et son pers, 383 Et des envieux, II, Z8 Choix uâun Ă©tat » ZOZ Dâune femme, 344 Claude , Empereur imbĂ©- cille , III, 96 Claville , Auteur » la morale, III, 179, 429 ClĂ©ment XIV , Si un petit* maure, 264 Et un Peintre, NI, 92- TABLE foo Cockin , Avocat modeste, II, 369 Cf lere , passion odieuse , &c. 233 âŹoĂźere des femmes, 239 & ses envieux , II, Zi Colonne , la ConnĂ©table, laide , 548 ComĂ©die HJ, 244 Complimens peu sincĂšres, M, 23 Comte de Valmont , par M. GĂ©rard, 2 , z 8 , III, 245 CondĂ© & un parleur, II, 283 MĂ©prise un soldat, III, 37 Confesseur brutal, III, 3 Conseiller qui reçoit un soufflet, 323 Conseils de la Sagesse , par Boutaut, 13,76 Conseils Ă une amie, III, 217 Consolation de la calomnie, II, 37 7 De la perte des biens, 379 D'un accident, 38Z De la mort dâun proche, 388 Des maux futurs, 397 De la mauvaise humeur, 398 Conteur qui se rĂ©pĂ©tĂ©, II, 289 Conti , bon maĂźtre, 364 ModĂ©rĂ© dans ses dĂ©sirs , III, 365 Conversation , rĂ©glĂ©s qu'on doit y observer, II, 294 Longues conversations, III, 320 CornĂ©lie , Dame Romaine, III, 354 Corps humain , admirable, 146 Cotin satirisĂ© , III , 7 15 Courtisan devenu riche , II, 256 Qui ressemble Ă un bĆuf, III, j28 Courtisane & un jeune Seigneur, III, rtz2 Et deux Espagnols, 22 l Et un Raren , 227 Couvreurs de toit tuĂ©s, 441 Crainte de Dieu, IS3, 21ÂŁ Crantor , fa belle fiction, III, 402 CrĂ©j%s 8 c fa boulangĂšre, II, 314 Crillon avertit Fervaques, II, 48 Est duelliste, 220 Pardonne par religion , 260 Cumberland , Duc de humain, 431 CurĂ© chargĂ© de commis-, fions, 224' Qui accommode des procĂšs, III, 158 InterrogĂ© sur les revenus de fa cure , 398 CurioĂte dĂ©placĂ©e dâun jeune homme, II, 326 Curius , fa rĂ©ponse aux Samnites , II, 312 V ALPHABĂTIQUE. for CnfUer , avare Anglois, ni, 391 Cyrano & son nez, JTĂI, 55 Cyrus 8c des hommes ivres , III, 204 D, D ACIER, Dame peu polie, 260 Charitable, II, 194 Savante & modeste , 357 Daens , Marchand dâAnvers . III, 303 Dame 8c deux ministres, 163 Allemand fiere, 251 Qui ne joue quâĂą la bĂȘte, ZI 6 Epouse complaisante , 3-6 Qui donne un soufflet Ă son domestique, 368 Qui parle par envie , n, 33 Grande parleuse, 301 Impatiente dans fa maladie , 3S2 Dame L un jeune Ă©tourdi, III, 41 Et un Cordon âą bien , III, 133 Qui va au marchĂ©, 166 SollicitĂ©e au crime, 18Z Qui fait deux pas en arriĂ©rĂ© , 234 Qui consulte un mĂ©decin, 270 Qui fait de bons, marchĂ©s, 304 Qui achetĂ© son repos â 305 Espagnole charitable , III , 493 Dana , EvĂȘque gĂ©nĂ©reux , 423 Danse , L autres exercices, U 4 Darius , consolĂ© dâune perte, II, 3Sa David pardonne avec gloire, II, 25 7 Devient criminel, III » 26L DĂ©isme rĂ©futĂ© p*r lui- mĂȘme, II, izr DĂ©mĂ©trius refuse des offres, II, 313 Dtmoerite Sc ' IlĂ©raclius , III. 59 Devenu vieux, 338 Demoiselle laide & mĂ©ritante, 34S Qui cache son Ăąge, II, 323 DĂ©morax 8 c tin LacĂ©, Ă©- monien, 237 Denis âą le - Tyran 8 c le fils v tie Dion, 33 Reprend son fils, 73 Fait une question Ă - isti Philosophe, II, 3s 5 Prend un trĂ©sor, III, 306 Ce que lut rĂ©pond un Phiiosophc, 397 Defiartss supĂ©rieur aux injures, II, 244 Mange de friands morceaux , III, 27 t Des Fontaines 8 c un Magistrat, II» 57 Et Piran, III» 33 s T A B L E fC2 Des Houliercs, joue peu, III, 217 Desportes , PoĂ«te riche, 344 DefprĂ©aux fidclle Ă sa parole , 206 Et Patru, 4 SI Et Boursault, II, 272 Il fait prier Dieu pour Furetiere, 278 Se moque de deux fre- res, 362 Est satirique injuste, III, 114 DĂ©votion & dĂ©vots, 169 173 Dialogue de DĂ€mon , III, 200 Diane , Ă©pouse mal - propre , 316 ' DiBiennaire encyclopĂ©dique, III, 70 Didier , EvĂȘque de Verdun, II, 446 Diogene sur un niedere , II, 337 Ce quâil dit de CallisthĂšne, III, 109 A un prodigue, 299 A Alexandre, '384 Disputes sur la religion, 163 Dans la conversation, II, 299 Dissimulation permise, 200 Demeftiptes Espagnols , 373 Comment on doit reprendre les domestiques, III, 8 Domestiques Anglois & un petit chien, 74 Domitien qui tue des mouches , II, 293 Duel Se duellistes, II, 2IZ Dugas Se des boulangers, II, 316 Dumoulin , MĂ©decin bienfaisant , 11,7 Duras louĂ© par Louis XIV, 400 E. Ecclesiastiques do,. vent ĂȘtre honorĂ©s, 404 Ecriture-Suivie , XI, 102 Edouard , fils du PrĂ©tendant, II, 310 Eglises peu respectĂ©es, 186 ElĂ©onore , ImpĂ©ratrice, Z26 Charitable, II, ISI Courageuse, 410 Elie de Beaumont , ses conseils aux femmes, ZZ6 Elisabeth pardonne Ă Marie Lamhruii, II, 244 Eloi S. sa probitĂ©, II, 122 Enfant interrogĂ© vu est Dieu, 17 Qui veut avoir la lune, 24 Qui est trop avancĂ©, 81 Enfer , sâil existe, 129 , II, Epaminondas refuse des prĂ©sens, II, 21s EpifĂźete a la jambe cassĂ©e, H, 413 Epicuriens , leur systĂšme » 14S Espagnol pauvre & orgueilleux, II, 35 Ăź ALPHABETIQUE. Qui tue le fils dâun Maure, 395 Efpinosa , Cardinal, fa fin tragique, II, 373 Esprit , ce que câest, II, 70 Bel esprit & bon esprit, 305 Sujet dâorgueil, III, 47 Est & son cuisinier, II, 420 Minist*' bienfaisant, 455 Qui place un homme de mĂ©rite, 110 Trop louĂ© par un PoĂ«te, III, 22 Ministre Protestans , II, 153 Miracle , sâil y en a de vrais, II, 66 Mithridate Sc son fils, 398 Et un Officier Romain , II, 393 Mode quâon doit suivre , III, 295 Meliere & un pauvre, III, 34 Monique Ste. & son mati, 324 Montaigne, poli avec des Soldats, 265 Montanster Sc le Dauphin son Ă©leve, 71 LouĂ© dĂ©licatement, III, 24 McntĂ©cucuHi pardonne Ă un soldat, II, 249 Montesquieu , ce quâil dit de la religion chrĂ©tienne, 451 Mentmaur parasite , II, 304 Montraorenci Duc de bienfaisant, II, 164 MerĂ©ri meurt jeune, III, 260 Mort, rĂ©flexions Ă ce sujet, 111,332 Morue renvoie deux flacons, 11,315 Muncer , Anabaptiste , II, 134 Mustque, son utilitĂ©, 115 N. Napolitain qui offre parpolitesle, 430 Nature , sa dĂ©finition , 149 NĂ©ron , son beau mot, 440 HaĂŻ, 111,143 Neubourg 47 Meurt jeune, 259 Pauvre de la ThĂ©baĂŻde, II, 381 Pauvres, hĂ©ritiers dâun fils unique, 390 Peintre & un amateur , 292 PĂ©lijson menĂ© chez un Peintre, III, 3 5 PensĂ©es thĂ©ologiques, II, 155 Pere traĂźnĂ© par ses en- fans, 382 SuĂ©dois & son fils Ă Alger, 384 Anglais & ses douze enfans, 391 PesĂ© qui conduit son fils dans un HĂŽpital, III, 228 Pere Ă©conome, 302 Pires de Vergas , fa noble vengeance, II, 228 PĂ©riclh & Anaxagore, 460 Perrault & ses faux amis, III, 94 Terrier, PoĂšte vain , II, 359 Perroquet perdu, III, 65 Persan , fa fistion ingĂ©nieuse , III, 324 Petit - MaĂźtre , son portrait, III, 71 Peur , la corriger dans les enfans, 96 PhilĂ©mon , sot riche , II, 292 Philippe de MacĂ©doine, sa lettre Ă Aristote, 100 Averti par un esclave, 204 Il pardonne un outrage, II, 248 Fait du bien Ă son ennemi , 277 Souhaite un malheur, 383 Reprend un Musicien, III, 342 Est repris par une femme , 347 Philippe 1 , Roi de France, III, 127 Philippe-le-Bel & un EvĂȘque, II, 251 Philippe , Duc dâOrlĂ©ans , humain , 4 4 Philippe II , Roi dâEspagne , sa piĂ©tĂ©, 188 Son humeur Ă©gale, 278 Sa rĂ©ponse sur la perte de sa flotte, II, 386 Il achetĂ© une perle, III, 29 PhilopĂ©men , GĂ©nĂ©ral Grec, II, 34S philosophe qui censure le Gouvernement, ,4°2 TABLE fia Qui rĂ©pond Ă son Ă©colier ingrat, 410 Qui est tout visage, 5 Qui fait lâaumĂŽne , Il, 374 Qui se rt de ceux qui se moquent de lui, 210 Philosophes sensibles aux injures, 281 RĂ©ponse dâun Philosophe Ă un Censeur, III, 14 A un AthĂ©nien, 40 A un riche affranchi, 51 A un rapporteur, 3 63 Philosophe trompĂ© par ses associes, 381 Philosophes mal-nommĂ©s, II, 60 Phocion , refuse des prĂ©sens-, III, 388 Pic de la Mirandole , & un Cardinal, III, 129 Pitaval, & le Noble, 269 Plaisirs vains, plaisirs purs, III, 253 Si on peut aimer les plaisirs, 335 Platon , son beau mot Ă ses amis , II, 279 Avec des Ă©trangers , III, 83 A un faiseur de rapports, 162 A un de ses disciples fur le jeu, 214 Est frugal, 282 Pleurs des enfans, 3 6 Pline le jeune & fa mere, 388 PoĂšte 8c Philosophe qui sâinjurient, 244 Polignac complaisant, 225 Sa rĂ©ponse Ă la Duchesse du Maine, 258 Aux Holhndois, II, Z6Z Pompadour , ses lettres , III , 374 PompĂ©e le jeune tient fa parole, 206 Pompone refuse de se ma. rier, 352 Portes de lâenfer , II, 152 Poujjin , Peintre, & un Cardinal , 356 Tradm sifflĂ© & battu , III, 149 Praslin bienfaif?nt , H. 161 PrĂ©cepteur doit ĂȘtre res- pectĂ© , lot HonorĂ©, ibid. PleurĂ© par un Prince, II, 38,8 PrĂ©dicateur vain, humiliĂ©, II, Z6l PrĂ©diction fur le Duc de Montmouth , II, 62 Prince qui fait des sotti- ses, III, 141 Princejse qui abrege sa vie, III, 273 Qui aime la lecture, 314 Prodigue , ce quâon a dit de deux , III, 299 Proverbe Italien , 307 , II, 279 t Proverbe Russe, III, 35 Provincial trop poli, 272 Qui attrape trois joueurs, II , 2Z6 Qui rĂ©pond Ă un Parisien , 29? ALPHABĂTIQUE. P3 Jfy tbagore loue la bienfaisance, 448 Recommande le silence» II, 286 R -R A C A N, ruinĂ© par des procĂšs, III, iss Racine parle peu , II, 303 Raille DefprĂ©aux, III, 130 Rit bien, 319 Raillerie & plaisanterie , III, 54 Railleur confondu,' III, 129 Ramsai&M. de FĂ©nelon , II, 34 Rapports souvent funestes, III, 160 Rats & leur pere vieux, 397 Reigner - Defmarets modere ses dĂ©sirs, III, 386 Reine de France, Epouse de Louis XV, III, 122 Reine d'Espagne inconsolable , II, 389 Religieux Sc de jeunes "Officiers, 164 Religieux tenje, III, 261 Religieux mĂ©prisĂ©s injustement, 42 mondaine, 175 Laufes ordinaires de l'irrĂ©ligion , 167 > II » 61 Dangers de lâirrĂ©ligion , 79 ils, Son Ă©tablissement merveilleux, 89 Ses martyrs, 93 Foiblesse des objections, ibid. Sa supĂ©rioritĂ© reconnue, 101 Console dans les afflic- lions, 399, 407 RenĂ© U , Prince bienfaisant, 45 3 RĂ©putation , on doit en avoir soin , II, 209 111,414 RĂ©surrection de Jefus- Christ, II, 80 Retz C Cardinal de & ses crĂ©anciers, 299 Richesses , sujet de fiertĂ©., II, 350, III, 51 Peu propres au bonheur , 392 , 393 On en rendra compte Ă Dieu, 297 Rigorisme outrĂ©, 1 7 S Roboam Sc ses Conseillers, III, 148 Rodolphe de Hapsbourg, lS9 Rohan Françoise de ' trompĂ©e, III, 182 Catherine de vertueuse, 198 Roi de Prusse Se une Actrice , 428 Ve Fers Sc un pauvre, H, 172 Rois doivent ĂȘtre honorĂ©s , 401 Rolland , Prince de Sicile, II, 240 Kolli n Sc un PrĂ©sident, III, 3ĂŒ f ĂŻ4 TABLE Remains , jugent pour eux, II, 239 JUtrou sacrifie sa vie, III, 355 RĂ»ujfeau de Geneve , son Emile, 15, 35 Ce quâil dit des Livres saints, 450 Ses sectateurs, II, 64. s S ADI, Po'Ă©te Persan , 4S5 Kepris par son pere , II, 358 Saint-Pierre AbbĂ© de & Fontenelle, III, 141 1 Sallo, Conseiller, secourt un Cordonnier, 444 Se ruine au jeu, III, 2 x 5 Salomon , son aveu sur la vanitĂ©, III, 367 Il demande la mĂ©diocritĂ©, 394 La sagesse, ZSS Samfon , Chevalier de Malte, III, 57 Sannazar , PoĂšte , sa mort, II. 379 Santeuil Si le Prince de CoudĂ©, II, 346 Et du Perrier, 360 Saprice Si NicĂ©phore, II, 26S Sarasin , PoĂšte, sa mort, II, 326 Satin est dangereuse, III, 118 Savant , devenu tel en Ă©coutant, II, 283 MĂ©prisĂ© par un jeune Prince, III, 39 Scaliger ignore trois tho. ses, III, 49 Starren , Si M. NublĂ©, II, -34 Science, sujet de vanitĂ©, III, 46, 77 Aujourdâhui peu esti- mĂ©e, 1 81 Scipion aĂŻn , sa con- tinence > m, -24 SĂ©bastien , Carme, rĂ©com- pensĂ©, II, 25 Modeste, 368 Secret des autres, II, 41 Le Lea, 317 Sedan , quĂȘte quâon y fait, III, 48» SĂ©guier 8 i une mĂ©chante femme, 239 Scnault , Auteur Oratorien , III, 179 SensibilitĂ© louable, 277, 435 , 437 SĂ©rapion charitable, II, 441 Shafuburi Si M. Hollis, II, 45 Sibitle , Ă©pouse gĂ©nĂ©reuse, 33- Sigisimnd , bienfaisant pour ses ennemis , II, 277 Sixte - Quint reconnois- sant, 4x3 GĂ©nĂ©reux Si mĂ©nager, 3-3 Se souvenant de sa premiĂšre condition, II, 45- SobriĂ©tĂ©, ses bons effets, III, 27 ALPHABĂTIQUE. frf Socrate insultĂ©, II, 28 r. 378 Supporte les tumeurs clĂ© sa femme, 424 Est repris par Platon, III, 14 MĂ©prise un brutal, 156 Se promene avant ses repas, 284 Son conseil Ă un prodigue, 301 Sa rĂ©ponse sur sa table, 308 A ArchĂ©laĂŒs, Z 3 Z Soijjons Comte de & son dĂ©biteur, 289 Soldats Romains , parjures, 210 SoldĂąt qui rappelle un service , II » S Qui a perdu ses deux bras , 21 Qui refuse cent louis, 208 Soliman II t & un traĂźtre, 211 Repris par une femme, III, 19 Solitaire modĂ©rĂ© dans ses dĂ©sirs, III, Z 65 Soiade , satirique puni, III, 118 SpeĂlack de la Nature » par Pluche, 141 Stanislas le Bienfaisant, 452 Sterling , monnoie » sa valeur , 464 SuĂ©dois , & le Gouverneur du Prince,» 436 T. TaBITHE ressuscitĂ©e , II, 1S9 Table , ses plaisirs, III, 270, 42s Ses dĂ©penses, 307 Taste, qui garde le silence, II, 291 Temps souvent perdu, III, 321 ThĂ©mifiocle & sa fille, 343 ThĂ©ocrite raille un Roi, III, 12S ThĂ©oderic dĂ©fend le duel, II, 226 ThĂ©odose - le - Grand & S. Amphiloque, 160 Et le PrĂ©cepteur de son fils, 49 Sa lettre Ă Rufin , II, 250 ThĂ©odose - le - Jeune , bon envers ses ennemis, II, 2 >il Son aveu Ă un AnachorĂšte, III, 372 ThĂ©ophile & un pĂ©dant, III, 78 ThĂ©ophraste 8c un taciturne, II, 28Z Thomas 8 . 8c un Religieux menteur, 196 Thompson 8c Quiii, 464 Tibere 8c un Grammairien , III, So TimiditĂ©, comment on doitlâĂŽter, II, 5 Tirmr - lench 8c Bajazet, III. 377 Tort, avouer ses torts, III, 17 ri 6 TABLE Jour S? Taxis , & lin Marchand , II, 26 Trajan , Empereur affa- fole, 249 Turenne qui paye ses dettes , 298 GĂ©nĂ©reux, 42? ' Pere des soldats, 443 - RĂ©vĂ©lĂ© un secret, Il, 44 Renvoie un duelliste , 224 Refuse cent mille Ă©cus, 235 Rappelle su dĂ©faite, Z67 Supporte M. de la Perte, 428 Regoit un coup sur le derriĂšre, III, 9 Est louĂ© par un soldat, 24 Refuse de prendre des contributions, 379 u. UsURIER au Sermon, II, 14 A la mort, III, Z8o Y air refuse des EvĂȘchĂ©s, III, 396 Valentinien I , fa mort , 238 Valincourt perd fa biblio. theque, II, 3So VanitĂ© nuit au mĂ©rite , If, 358 Venceslas rĂ©compense un buveur, III, 274 VendĂŽme Duc de trop bon maĂźtre, 376 Respecte lâAbbĂ© AlbĂ©- Ăźoni, III, 4i Vengeance todte eher -, II, 263 Nâappartient quâĂ Dieu, 265 Se venger par fa bonne conduite, 279 Par le mĂ©pris , 280 Ventimille , son beau mot III, 156 VerĂficatim Françoise , II8 Vejmur , Dame & ses en. fans, 90 Vie cherche les honnĂȘtes gens, III, 104 Vie des Saints, 183 Vieillard AthĂ©nien , 409 Singulier, 11,324 Uni noircit ses cheveux, III, IZl Vieillejse respectable, 258 Villageois de VĂ©rone , 22Z Vtllars louĂ© par un Gascon , III, 24 Vincentine Lomelin , Dame charitable, II, 173 Douce & patiente pour son mari, 425 RĂ©glant bien sa maison, III, 326 Vivenne lit utilement , III, 316 Voiture emprunte Ă Cos- tar, 458 Voltaire , sa vanitĂ© jalousĂ©, II, 34 Ses disciples & son histoire de Charles XII, 74 Son aveu fur Jesus. Christ, 7 Ă Sa mort, 14e ALPHABĂTIQUE. fxy Su conversation avec sâGravesande, 301 VoJJtus , son aveu modeste , III, 49 Voyageurs avides, punis, III, Z 6 L Walitr loue Cromwell, III, 22 Walpole & un Seigneur Anglois , III, 389 Williams Gooels salue un NĂšgre, 27Z Wirtemberg Duc de sauvĂ© par son Ă©pouse 38 s Humain, 49 W&lĂy Cardinal, & Fitz- Williams, 41Ă X. XeNOCRATE, qui se tait, lĂŻ, 290 XirnenĂšs , Cardinal , ou. tragĂ©, II, 263 Z. 'E\ T ON, son beau mot sur les injures , II, 280 Fin de la Table AlphabĂ©tique. APPROBATION. JâAI lu , par ordre de Monseigneur le Garde des fcceaux , un manuscrit intitulĂ© LâEcole des MĆurs, far M. lâAbbĂ© Blanchard. Dans cet Ouvrage qui rĂ©unit l'instruction Ă lâagrĂ©ment, lâexemple est toujours joint au prĂ©cepte. Je le crois aussi propre Ă former le cĆur quâĂ Ă©clairer lâesprit. A Paris , c, lĂź Juillet 1782. SignĂ©, GUIDE EaaB i aiwMw»» i »u. r PRIVILEGE GĂNĂRAL. J^OUIS, PAR LA GRACE DE DlEU , Roi DE France et de Navarre a nos AmĂ©s & fĂ©aux Conseillers , les Gens tenant nos Cours de Parlement, MaĂźtres des RequĂȘtes ordinaires de notre HĂŽtel, Grand-Conseil , PrĂ©vĂŽt de Paris , Baillis, SĂ©nĂ©chaux , leurs Lieutenans Civils, & autres nos Justiciers quâil appartiendra SALUT. Notre amĂ© le sieur AbbĂ© Blanchard , nous a fait exposer quâil dĂ©si- reroit faire imprimer & donner au Public lâEcole des MĆurs , de sa composition, sâil nous plaisait lui accorder nos Lettres de PrivilĂšge Ă ce nĂ©cessaires. A CES CAUSES, voulant favorablement traiter lâExposant, nous lui avons permis & permettons de faire imprimer ledit Ouvrage autant de fois que bon lui semblera , & de le vendre , faire vendre par tout notre Royaume. Voulons quâil jouisse de lâeffet du prĂ©sent PrivilĂšge, pour lui & ses hoirs Ă perpĂ©tuitĂ©, pourvu quâil ne le rĂ©trocĂ©dĂ© Ă personne; & si cependant il jugeoit Ă propos dâen faire une CeflĂźon , lâActe qui la contiendra fera enregistrĂ© en la Chambre Syndicale de Paris, Ă peine de nullitĂ©, tant du PrivilĂšge que de la Cession ; & alors par le fait seul de la Cession enregistrĂ©e, la durĂ©e du prĂ©sent PrivilĂšge fera rĂ©duite Ă celle de la vie de lâExposant , ou Ă selle de dix annĂ©es Ă compter de ce jour, si lâExposant dĂ©cĂ©dĂ© avant lâexpiration desdites dix annĂ©es. le tout conformĂ©ment aux articles IV & V de lâArrĂȘt du Conseil du zo AoĂ»t 1777 . portant RĂ©glement sur la durĂ©e des PrivilĂšges en Librairie. FAISONS dĂ©fenses Ă tous Imprimeurs, Libraires et autres- personnes de quelque qualitĂ© et condition quâelles soient, dâen introduire dâimpression Ă©trangĂšre dans aucun lieu de notre obĂ©issance ; comme aussi dâimprimer ou faire imprimer , vendre, faire vendre, dĂ©biter ni contrefaire lefdits Ouvrages fous quelque prĂ©texte que ce puisse ĂȘtre, fans la permission expresse et par Ă©crit dudit Exposant ou de celui qui le reprĂ©sentera, Ă peine de saisie et de confiscation des exemplaires contrefaits, de six mille livres dâamende qui 11e poura ĂȘtre modĂ©rĂ©e , pour la premiĂšre fois ; dĂ©pareille amende et de dĂ©chĂ©ance d'Ă©tat en cas de rĂ©cidive , et de tous dĂ©pens, dommages et intĂ©rĂȘts, conformĂ©ment Ă lâArrĂȘt du Conseil du 30 AoĂ»t 1777 , concernant les contrefaçons. A la charge, etc.... Le tout Ă peine de nullitĂ© des PrĂ©sentes; du contenu desquelles vous mandons et enjoignons de faire jouir ledit Exposant et ses hoirs pleinement et paisiblement , fans souffrir qu'il leur soit fait aucun trouble ou empĂȘchement. VOULONS que la copie des PrĂ©sentes , qui fera imprimĂ©e tout au long au commencement ou Ă la fin dudit Ouvrage, soit tenue pour duementsignifiĂ©e , et quâaux capies collationnĂ©es par lâun de nos amĂ©s et fĂ©aux Conseillers-SecrĂ©taires, foi soit ajoutĂ©e comme Ă lâoriginal. COMMANDONS au premier notre Huissier ou Sergent sur ce requis, de faire pour lâexĂ©cution dâicelles, tous Actes requis et nĂ©cessaires , fans demander autre permission , et nonobstant clameur de Haro, Charte Normande, et Lettres Ă , ce contraires. Car tel est notre plaisir DONNE Ă Paris, le vingt-unieme jour d'AoĂ»t, l'an de grĂące mil sept cent quatre vingt-deux , et de notre Regiie le neuviĂšme. Par le Roi en son Conseil. SignĂ© , LE BEGUE. RĂ©gifirĂ© fur le Registre XXI de la Chambre Royale ÂŁ?* Syndicale des Libraires ÂŁ7 Imprimeurs de Paris , N 0 2702 , fol. 748 . conformĂ©ment aux dispositions Ă©noncĂ©es dans le prĂ©sent PrivilĂšge ; 5^ Ă la charge de remettre Ă ladite Chambre les huit Exemplaires prescrits par l'Art. CVlll du RĂ©glement de 172Z. A Paris , et il AoĂ»t 1782. SignĂ© , LE CLERC, Syndic . CESSION DU PRIVILEGE. J E , soussignĂ© , cede et transporte Ă Messieurs Jean- Marie Bruyset pere et fils, Libraires Ă Lyon, tous mes droits au PrivilĂšge que Sa MajestĂ© m'r accordĂ© le 21 AoĂ»t 1782 , pour lâOuvrage de nu composition , intitulĂ© lâEcole des MĆurs , ou RĂ©flexions morales & historiques fur les Maximes de la 'Sagesse, pour en jouir- eux et leurs ayans cause , conformĂ© ment au traitĂ© fait entre nous* A Avenay, le 2 Janvier» 1783. SignĂ© , LâAbbĂ© BLANCHARD, Chanoine. Registre la prĂ©sente cesston sur le Registre XXI de la Chambre royale U syndicale des Libraires ÂŁ7 Imprimeurs de Paris , iV.° 1/Z4 , jol. Siç , conformĂ©ment aux anciens RĂ©glemens » confirmĂ©s par celui du z 8 FĂ©vrier >-2y. A Paris , ce zi Janvier SignĂ© y LE CLERC, Syndic. &-tt s s- sqgwg 'i 4-^ âą s âąâą WĂ L ». !ÂŁâąâą ", ECOLE *% \à »Conclusion: Quelquâun a dit : « rendre le mal pour le bien est diabolique ; rendre le bien pour le bien câest humain ; rendre le bien pour le mal câest divin ». La demande de JĂ©sus est folle aux yeux du monde ! Son commandement requiert une vĂ©ritable conversion. Mais en aimant nos ennemis imaginez ce que nous Nous achevons aujourdâhui la lecture du sermon sur la montagne », dont lâampleur se dĂ©ploie depuis trois semaines et qui nous emmĂšne, dans un ultime mouvement Ă la contemplation de la splendeur du PĂšre. JĂ©sus continue de rĂ©vĂ©ler lâessence de la vie chrĂ©tienne en confrontant son enseignement aux certitudes et aux pratiques en vigueur. Vous avez appris⊠eh bien moi je vous dis ».Le premier adage Ă©tablit une loi dâĂ©quivalence. Il sâagit dâune prescription biblique visant Ă Ă©tablir un Ă©quilibre, Ă introduire une pondĂ©ration du dĂ©sir de vengeance dans les relations humaines. Le chant de Lamek â Oui, jâai tuĂ© un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. Oui, CaĂŻn sera vengĂ© 7 fois, mais Lamek 77 fois » Gn 4,23-24 â est Ă©touffĂ© par la loi du talion â Ćil pour Ćil, dent pour dent » Ex 21,24. Cependant, cette loi ne peut reprĂ©senter quâune Ă©tape vers la sagesse. Elle Ă©vite Ă lâhomme de tomber dans lâexcĂšs, mais elle le cantonne Ă lâĂ©quivalence des objets, sans tenir compte du sujet. JĂ©sus nous invite Ă prendre le risque dâĂȘtre humain. LâĂ©quilibre de la loi du talion consiste en un effet de miroir, imposant des mutilations rĂ©ciproques qui tiennent les hommes Ă distance. La loi de lâamour, au contraire, renonce Ă lâidentique du miroir de nos haines pour affirmer la libertĂ© du sujet Eh bien moi, je vous dis de ne pas riposter au mĂ©chant ».Affirmer sa libertĂ© pour sâaffranchir du cercle vicieux du mal nâest cependant pas la seule exigence de lâamour. Il faut encore venir au secours du frĂšre qui a cĂ©dĂ© Ă la violence et lâinviter Ă communion fraternelle. JĂ©sus appelle cela tendre lâautre joue ». Par ce geste, JĂ©sus ne nous invite pas Ă rĂ©clamer une nouvelle manifestation de violence ; il attend de nous que nous reconstruisions la fraternitĂ©. Tendre lâautre joue consiste Ă exposer une vulnĂ©rabilitĂ© volontaire, Ă dĂ©couvrir la confiance nĂ©e de lâamour, Ă montrer que rien ne pourra affecter la charitĂ©. Tendre lâautre joue consiste Ă dire au mĂ©chant quâil est reçu comme un frĂšre parce quâil lâest. Lâacte de violence est dĂ©samorcĂ© de lâintĂ©rieur par un geste dâabandon confiant. Seule la confiance peut conduire Ă lâ mĂȘme, celui qui use du pouvoir. Le procĂšs reprĂ©sente la puissance implacable de la justice des hommes, qui quantifie le mal. En cela, elle peut ĂȘtre rapprochĂ©e de la loi du talion. Or JĂ©sus veut sauver lâhomme. Sa rĂ©ponse est celle dâun surcroĂźt de lâamour, dâune surenchĂšre du don. Combien faut-il donner Ă celui qui veut prendre ? Davantage ! ComblĂ© au-delĂ de sa convoitise, le voleur rĂ©alise dâabord que le chemin de lâamour est plus profitable que celui de la puissance, puis il se rapproche de celui qui, en donnant, lâintroduit dans la en donnant son manteau en plus de sa tunique, en offrant deux mille pas Ă celui qui en impose mille, lâamour montre quâil a toujours lâinitiative. Tel est lâexercice de la libertĂ© qui plaĂźt au Seigneur renoncer Ă la rĂ©action primaire qui engendre la rĂ©ciprocitĂ© et qui se mesure en Ă©quivalences, pour choisir lâinitiative du don et la crĂ©ativitĂ© de lâamour construisant la communion. Donne Ă qui te demande ; ne te dĂ©tourne pas de celui qui veut tâemprunter. »Lâinitiative de lâamour doit alors ĂȘtre menĂ©e Ă son terme Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persĂ©cutent ». JĂ©sus ne se contente pas de dĂ©noncer notre systĂšme dâĂ©quivalence dans la vengeance et dans la violence, il entend que nous renoncions aussi Ă notre systĂšme dâĂ©quivalence dans le bien. Lâamour ne sâĂ©tablit pas sur la reconnaissance des similitudes, il ne grandit pas par rĂ©ciprocitĂ© â le frĂšre aimant celui qui est un frĂšre pour lui, lâami aimant celui qui est un ami pour lui. Lâamour procĂšde dâun don gratuit reposant sur une altĂ©ritĂ© irrĂ©ductible. Celui qui est Ă aimer nâest pas le mĂȘme, il est lâautre ; il nâest pas celui qui est proche, mais celui dont on se rend proche. Ailleurs, JĂ©sus dira celui dont on se fait le autant, JĂ©sus ne renonce pas Ă nos distinctions. Lâautre nâest pas toujours un ami ; il peut ĂȘtre un ennemi. Il est important de le souligner et de ne pas considĂ©rer, au nom de notre christianisme, que tous les hommes sont nos amis. LâobjectivitĂ© de la Parole de Dieu lâemporte sur les bons sentiments. Nous avons des ennemis ; câest un fait. Reste Ă bien comprendre qui sont-ils et que nous veulent-ils. Malheureusement, la saintetĂ© de la plupart dâentre nous nâest pas telle que nous reprĂ©sentions une menace pour lâesprit du monde. Ainsi, nos ennemis visent plus loin, plus grand que nous. Plus exactement plus profond. Le sceau baptismal. Le lien filial. LâEnnemi cherche Ă atteindre et Ă dĂ©figurer le Christ en nous ! Priez pour ceux qui vous persĂ©cutent, afin dâĂȘtre vraiment les fils de votre PĂšre qui est dans les cieux ». Affirmer et affermir notre identitĂ© filiale est la seule rĂ©ponse appropriĂ©e. Le commandement de lâamour que JĂ©sus nous laisse ne va pas sans la rĂ©vĂ©lation du don de lâamour lâĂȘtre filial. Ainsi se dĂ©ploie la pĂ©dagogie de JĂ©sus donner Ă qui demande, dans lâinitiative de lâamour, et devenir des fils en aimant sans condition, en aimant les ennemis qui voudraient mutiler lâĂȘtre filial. La logique de lâĂ©quivalence est dĂ©passĂ©e, la riposte nâexiste plus. Seul le don transfigure la haine et manifeste la filiation divine. Lâamour fait devenir atteignons-nous le sommet du discours de JĂ©sus. Car le fils fait les Ćuvres du PĂšre. En dĂ©veloppant ces antithĂšses, JĂ©sus ne tente pas dâĂ©difier un nouveau code moral ; il nous introduit dans la contemplation de la splendeur du PĂšre. Vous donc, soyez parfaits comme votre PĂšre cĂ©leste est parfait. » Tous les comportements que JĂ©sus demande et que ses disciples vivent, par grĂące, manifestent la grandeur du PĂšre. Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir », disait JĂ©sus la semaine derniĂšre. Nous mesurons mieux Ă prĂ©sent la nouveautĂ© de cet accomplissement. JĂ©sus ne rejette pas la Loi, il ne renonce Ă aucune catĂ©gorie morale, puisquâil nomme clairement les justes et les injustes, les bons et les mĂ©chants. Mais JĂ©sus rĂ©vĂšle que le PĂšre agit autrement que nous qui rejetons les uns et choisissons les autres. Le PĂšre fait lever le soleil et tomber la pluie sur les uns comme sur les autres. Le PĂšre sâoccupe autant des justes que des injustes, des bons que des mĂ©chants ; il ne donne pas Ă chacun selon ce quâil paraĂźt mais selon ce quâil est destinĂ© Ă ĂȘtre un fils dans le Fils. Tel est lâaccomplissement que rĂ©alise le Fils et qui rĂ©vĂšle lâagir du PĂšre. Tel est lâĆuvre des fils de Dieu ils ne cherchent pas la perfection de la Loi mais la perfection de la vie filiale, se rappelant que la Loi est faite pour le fils. Vous donc, soyez parfaits comme votre PĂšre cĂ©leste est parfait. » Le fils doit rechercher la perfection du PĂšre, qui est amour. Ainsi, parce que la justice des disciples du Christ trouve sa source dans la fĂ©conditĂ© de lâamour du PĂšre, elle est Ă leur portĂ©e. Bonne Nouvelle ! PĂšre Saint, que ton Nom soit sanctifiĂ© ! FrĂšre Dominique
Vousfinancez vous mĂȘme l'islamisation galopante avec vos impots et avec la viande hallal que vous mangez sans le savoir. Donc oui les musulmans sont les ennemis de la chrĂ©tientĂ© et les ennemis de la France. Mais ce sont les amis de la rĂ©publique, les "amis" des dĂ©mocrates et des naĂŻfs
Accueil Sujets Citation du jour Meilleures citations ApprĂ©ciation Inconnu 6personnes ont vu cette citation Plus de citations de cet auteur 0Lâune des choses les plus difficiles dans la vie est de savoir qui vous ĂȘtes censĂ© ĂȘtre. Si vous ĂȘtes dĂ©jĂ en train de devenir qui vous ĂȘtes, vous ĂȘtes dĂ©jĂ un succĂšs parce que câest plus loin que la plupart des gens. Inconnu - March 16, 2022 0Ce nâest pas qui vous ĂȘtes qui vous retient, câest qui vous pensez que vous nâĂȘtes pas. Inconnu - March 16, 2022 0Je ne pourrai peut-ĂȘtre pas te voir aussi longtemps que je le souhaite, je ne pourrai peut-ĂȘtre pas te tenir la nuit, mais au fond de mon cĆur, je sais que câest vrai, quoi quâil arrive⊠je tâaimerai toujours. Inconnu - March 10, 2022 0Certaines personnes ne peuvent pas et ne finiront jamais ensemble, mĂȘme si elles sâaiment. Câest une triste vĂ©ritĂ©, mais une vĂ©ritĂ© quand mĂȘme. Inconnu - March 16, 2022 0Sachez que chaque respiration est un miracle et chaque instant une bĂ©nĂ©diction et vous rĂ©aliserez vos rĂȘves. Inconnu - March 11, 2022 0La meilleure chose Ă propos du PASSĂ est quâil vous montre ce quâil ne faut pas apporter dans votre avenir. Inconnu - March 15, 2022 Plus de citations sur ce sujet 0MĂȘme si nous ne pouvons pas ĂȘtre ensemble Ă la fin, je suis toujours reconnaissant que vous ayez fait partie de ma vie Ă un moment donnĂ©. Inconnu - March 10, 2022 0Quelque part au cours de la vie, vous apprenez Ă vous connaĂźtre et rĂ©alisez quâil ne devrait jamais y avoir de regrets, seulement une apprĂ©ciation Ă vie des choix que vous avez faits. Inconnu - March 11, 2022 0Ne gaspillez pas votre prĂ©cieuse Ă©nergie Ă courir aprĂšs les gens. Laissez-les partir pour faire place Ă ceux qui vous apprĂ©cient. Robert Tew - March 11, 2022 0Dieu nous donne de la peine pour que nous apprenions Ă pardonner. Dieu nous donne de la joie Ă partager avec les autres. Dieu nous donne de lâamour pour que nous soyons humbles. Dieu est grand dans tout ce quâil fait. Analiza Garcia - March 11, 2022 0Ne vous habillez jamais pour les pauvres. Ils ne vous respecteront pas pour cela. Ils veulent que leur PremiĂšre Dame ressemble Ă un million de dollars. Imelda Marcos - March 10, 2022 0Parfois, je lĂšve simplement les yeux, souris et dis, je sais que câĂ©tait toi mon Dieu ! Merci. Marie Princesse Uy - March 10, 2022 Autres SujectsApprĂ©cie la vie3468Leçon de vie2340mariage2227Tout ce que je veux c'est toi1908ApprĂ©ciation1728LĂącher prise1478medical1375Conseils relationnels1205positif1116Vie incroyable1060 Ă PROPOS DE NOUSCitations Sages fournit des citations inspirantes depuis 2021 Ă notre communautĂ© française. © Citation Sages - 2022 SORe. 219 395 0 236 151 182 53 308 74